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Mercredi 25 juillet 2012

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Serge Lepeltier, ambassadeur en charge des négociations sur le changement climatique

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Serge Lepeltier, ambassadeur en charge des négociations sur le changement climatique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pour la première fois, nous recevons M. Serge Lepeltier, ambassadeur pour les négociations internationales sur le changement climatique.

M. Lepeltier avait déjà été auditionné par notre commission sous la treizième législature, le 2 novembre 2011, lors de la préparation de la conférence des Nations-Unies sur le changement climatique de Durban, comme son prédécesseur, M. Brice Lalonde, l’avait été les 4 octobre 2009 et 24 novembre 2010, dans la perspective des conférences de Copenhague et de Cancún.

Compte tenu de son expérience dans la coordination des experts et des liens qu’il tisse entre experts et décideurs politiques, il me paraît nécessaire qu’il présente à la commission du développement durable les enjeux des futures négociations internationales.

M. Serge Lepeltier. Il est effectivement primordial que le Parlement soit informé de l’évolution de négociations qui se déroulent tout au long de l’année, pour aboutir en novembre-décembre à la conférence des Parties – à Copenhague, à Cancún, à Durban l’an passé et à Doha cette année.

A la surprise de la plupart des observateurs, la conférence de Durban fut un vrai succès. On s’attendait à un constat de faiblesse ; la conférence a, au contraire, débouché sur deux décisions fortes.

En premier lieu, il a été décidé de poursuivre la mise en œuvre du Protocole de Kyoto, qui a jeté les bases d’une véritable politique pour limiter à terme les émissions de gaz à effet de serre, mais dont la période d’engagement, pour les pays développés, devait se terminer à la fin de 2012.

En second lieu, il a été décidé de lancer un processus de négociations – une « feuille de route » – devant aboutir, à la fin de 2015, à un accord global concernant non seulement les pays développés – dits « de l’annexe I » et qui, pour l’instant, sont les seuls à s’être engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre – mais tous les pays du monde, y compris ceux qui sont émergents ou en développement. Cet accord devrait entrer en application à partir de 2020.

En outre, on a pu constater à Durban des avancées continues et assez fortes dans l’application des décisions prises lors de précédentes conférences des Parties.

Que peut-on attendre de Doha ? Les débats porteront sur trois thèmes.

Le premier, que je viens d’évoquer et qui est d’une actualité quasi permanente, est la mise en œuvre de toutes les décisions qui ont été prises précédemment à Copenhague, à Cancún, à Durban, qu’elles concernent le « Fonds vert », le comité technologique – c’est-à-dire les transferts de technologie des pays développés vers les pays en développement –, la question de l’adaptation et la création de l’Adaptation Committee, ou le système MRV (Measurement, Reporting and Verification) – qui vise à créer des méthodes de mesure, de rapport et de vérification communes à tous les pays du monde et acceptables par tous.

Le deuxième sera le niveau d’ambition en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020. Il est en effet impératif que nous engagions d’ici là une politique permettant de limiter à 2 degrés Celsius l’augmentation de la température par rapport à la période préindustrielle. Aujourd’hui, les pays n’ont pris que 60 % des engagements nécessaires pour atteindre cet objectif. C’est dans ce cadre que se pose la grande question de Kyoto, sur laquelle je reviendrai.

Enfin, le troisième grand sujet est l’accord global que j’ai évoqué, qui devrait aboutir en 2015 et être appliqué en 2020, et que l’on appelle désormais la « plateforme de Durban ». Certes, tout ne sera pas décidé à Doha en 2012. Mais, si l’on s’en remet à une discussion générale jusqu’en 2015, sans procéder par étapes, sans définir les jalons des décisions à prendre d’ici là, chaque année, dans tel ou tel secteur, on risque de se replonger dans la situation que l’on a connue entre la conférence de Bali et celle de Copenhague : après qu’on avait privilégié la discussion générale, il avait fallu tout décider dans les six derniers mois et on n’était finalement parvenu à aucune décision véritable.

Cependant, pour conclure cet accord global, il ne faudra pas oublier que l’on ne peut pas attendre de tous les pays qu’ils prennent les mêmes engagements. L’Inde, qui émet 1,5 tonne de gaz à effet de serre par habitant, ne peut être comparée aux États-Unis, qui en émettent 20 tonnes.

Le président Chanteguet m’a très justement interrogé sur les enjeux des négociations internationales. Je tâcherai de ne pas trop entrer dans des considérations techniques, pour me concentrer sur les questions politiques qui concernent à la fois le Gouvernement et le Parlement.

Il a donc été décidé à Durban de prolonger le Protocole de Kyoto pour une seconde période d’engagement commençant le 1er janvier 2013. Il faut absolument que des décisions juridiques concernant ce que l’on appelle le « deuxième KP » (Kyoto Protocole) soient prises à Doha avant le 31 décembre de cette année. Toutefois, pour avoir pleine force juridique, il faut qu’un amendement au Protocole soit ratifié par tous les pays : celui-ci devra l’être par les vingt-sept pays membres de l’Union européenne, sans exception – l’Europe étant quasiment la seule à avoir décidé d’entrer dans ce processus. Cela ne se fera pas en une semaine – la ratification du Protocole de Kyoto avait pris plus de deux ans : en d’autres termes, au 1er janvier 2013, il n’y aura plus de véritable contrainte juridique pour les Etats, puisque l’amendement n’aura pas été ratifié par tous. Il faut donc, en parallèle, que ces États s’engageant dans la deuxième période de Kyoto manifestent la continuité de leur mobilisation sous forme d’une déclaration politique forte ayant valeur d’engagement.

On peut cependant s’interroger sur la durée de la deuxième période d’engagement : cinq ou huit ans. La France a déclaré qu’elle n’avait pas de préférence et ferait sienne la décision qui serait prise, mais l’Europe est favorable à la solution des huit ans : la plateforme de Durban sur l’accord global devant s’appliquer à partir de 2020, une période de cinq ans – qui ne nous mènerait que jusqu’en 2017 – n’aurait pas le même niveau d’ambition. Comme il est exclu d’envisager une troisième période, c’est plutôt l’hypothèse des huit ans qui est privilégiée. Toutefois, quelques pays – notamment les États insulaires – penchent pour la période de cinq ans, car leur survie est en jeu et ils considèrent que, sans une action vigoureuse et rapide, ils vont disparaître, submergés par la montée du niveau des mers. Les ONG défendent également plutôt la période de cinq ans. Pour ma part, je ne crois pas que le sujet soit fondamental : il vaut mieux mettre en place une politique sérieuse sur une longue durée que de devoir renégocier toutes les actions dans cinq ans.

La question du report des unités de quotas attribués (UQA) est, elle, extrêmement importante. Certains pays comme la France, ayant mené une bonne politique et réduit plus que prévu leurs émissions de gaz à effet de serre, n’ont pas consommé tous leurs quotas. On peut certes considérer que cette circonstance est due à la crise économique qui, ralentissant le développement, a entraîné une réduction des émissions. Il n’en reste pas moins que la France n’est pas la seule à avoir des quotas disponibles : les pays de l’est de l’Europe sont dans la même situation. Lorsque le Protocole de Kyoto a été signé, l’Europe ne comprenait en effet que quinze membres et, pour le faire ratifier aux dix pays d’Europe de l’Est qui ont adhéré à l’Union par la suite, on a eu tendance à leur attribuer des quotas plutôt élevés : certains pays s’étant beaucoup restructurés, il est évident que leurs émissions de gaz à effet de serre n’ont pu que se réduire et ils disposent donc d’excédents de quotas extrêmement importants.

Il est évident que le report de la totalité des quotas limiterait considérablement l’action que l’on pourra mener par la suite. Même si le niveau d’ambition est élevé, ne sera-t-on pas tenté de recourir aux quotas que l’on n’a pas utilisés précédemment et de se dispenser de mener une véritable politique d’action contre le changement climatique ? Cette question majeure est en débat au niveau européen. Certains pays de l’Est veulent que l’on transfère la totalité des quotas. La Commission européenne considère que nous serons de toute façon obligés de le faire, puisque nous ne pourrons obtenir l’unanimité au Conseil européen pour l’empêcher, mais, comme elle a la possibilité de limiter l’utilisation des quotas – y compris ceux qui ont été transférés –, elle ferait en sorte qu’ils ne puissent pas être vendus dans les premières années.

Il s’agit également d’une question politique pour notre pays, où le ministère du budget et le ministère des finances ont tendance à considérer qu’il faut transférer tous les quotas disponibles pour pouvoir les vendre et en retirer de l’argent. Bien que le prix du carbone soit extrêmement bas aujourd’hui – six euros la tonne –, on pourrait en effet en obtenir quelques centaines de millions d’euros ; à vingt euros la tonne, prix constaté précédemment, ce serait en milliards d’euros de recettes supplémentaires que l’on compterait.

Enfin, la question de la fixation des objectifs de réduction (Quantified Emission Limitation and Reduction Objective, QELRO) se pose également. Dans le cadre du paquet Énergie-climat, l’Europe s’est engagée sur un objectif de réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre.

Venons-en aux enjeux de la plateforme de Durban. Certes, la feuille de route doit nous conduire à prendre des décisions en 2015 et l’accord global concernera tous les pays en 2020, mais il ne faut pas rester inactifs en attendant cette échéance et négliger de fixer le niveau d’ambition. Il y a urgence : des organismes comme l’Agence internationale de l’énergie, dont la sensibilité n’est pourtant pas particulièrement écologiste, commencent à montrer, en se fondant sur des données chiffrées, que, si nous n’agissons pas d’ici à 2017, l’augmentation de la température dépassera les 2 degrés Celsius. Que pouvons-nous faire, d’ici à 2020, pour que tous les pays développés et tous les pays émergents se lancent dans une action d’envergure ?

Le texte prévoit que l’accord global concernera tous les pays – « all the countries ». Mais tous ne pouvant pas prendre le même type d’engagement, il faudra respecter un principe d’équité, en se demandant s’il vaut mieux considérer le niveau d’émission de gaz à effet de serre par habitant ou le niveau global, s’il faut fixer les mêmes objectifs à ceux qui ont toujours beaucoup émis et à ceux qui n’ont jamais émis et à qui l’on interdirait d’émettre et donc de se développer économiquement. Il faudra également prendre en considération un second grand principe, celui de la responsabilité « commune mais différenciée » – « commune » à l’ensemble des pays, mais « différenciée » selon qu’ils sont développés ou en développement, selon qu’ils ont émis ou n’ont pas émis.

Pour l’heure, nous devons donc répondre à plusieurs questions. Sommes-nous dans le temps du remue-méninges, comme le voudraient les pays qui souhaitent différer la décision, ou devons-nous en finir sans tarder avec les discussions théoriques et abstraites, pour entrer dans le concret et proposer des solutions d’engagement respectant le principe d’équité pour chaque pays ? Faut-il valider des indicateurs d’émission par habitant ou par PNB ? Faut-il adopter un système d’itération, permettant d’adapter le niveau d’engagement d’un pays si l’on s’aperçoit en cours de route qu’il est insuffisant ?

Au-delà de l’accord multilatéral, il est important que les engagements domestiques des pays eux-mêmes soient suffisamment élevés et se traduisent par de véritables actions. Il s’agit également d’un sujet politique : certains refusent les contraintes internationales et justifient leur non-accord sur le plan multilatéral en expliquant qu’ils font déjà beaucoup.

La question des financements doit être examinée en parallèle. À Copenhague et à Cancún, l’engagement a été pris de doter le « Fonds vert » de 100 milliards de dollars d’actions par an à partir de 2020. Toutefois, on a pu avoir l’impression que les pays développés allaient mettre 100 milliards de dollars dans ce Fonds, qui aurait donc à gérer une telle somme. Ce n’est pas le cas. Ces 100 milliards de dollars représentent la somme des actions des pays développés en direction des pays en développement. Certaines existent déjà –par exemple, en France, par l’intermédiaire de l’Agence française de développement – et seront comptabilisées dans le Fonds vert. Si tout ne doit donc pas passer par le Fonds vert, il exercera un effet de levier grâce à des fonds publics qui devront s’accompagner de fonds privés : c’est leur addition qui constituera les 100 milliards de dollars.

La question de l’opérationnalisation du Fonds vert s’est posée. Il a été très difficile de nommer les membres de son conseil d’administration, mais les pays développés ont fini par se mettre d’accord. La France aura un représentant permanent, circonstance assez rare. La première réunion, qui devait se tenir en mai, a été remise à la fin du mois d’août.

Cependant, le Gouvernement devra répondre assez rapidement à la question du fonds de capitalisation du Fonds vert : comment doit-on assurer son fonctionnement administratif et comment peut-on le mettre en situation d’agir et d’aider les projets dans le monde ?

Enfin, la question des sources de financement s’est posée lorsque la France présidait le G20. La France a toujours dit, comme d’autres pays du reste, que, en raison de la situation économique, les budgets des États ne pourront pas financer le Fonds vert et qu’il faudra trouver de nouvelles sources de financement innovantes. Cela concerne bien sûr la taxe sur les transactions financières – la France et l’Europe ont déjà partiellement pris cet engagement –, mais également d’autres mesures sur ce que l’on appelle « les Bunkers » – transports aériens, transports maritimes –, la suppression ou la limitation des subventions aux énergies fossiles, qui représentent des milliards d’euros dans le monde et qui pourraient être consacrées à d’autres actions.

Quelques questions politiques vont rapidement se poser. Ainsi, quel sera le niveau d’ambition pour la France ? Notre pays s’est engagé, dans le cadre du paquet Énergie-climat, à réduire ses émissions de 20 % d’ici à 2020 et la feuille de route européenne, qui propose une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 25 %, n’a pas encore été totalement adoptée : vingt-six pays la soutiennent, la Pologne étant le seul à n’y avoir pas complètement adhéré. Toutefois, certains pays européens, tels le Royaume-Uni et l’Allemagne, se sont déjà engagés à une réduction de 30 % d’ici à 2020. La France les suivra-t-elle ou s’en tiendra-t-elle à 20 ou 25 % ? Les grandes entreprises françaises acceptent qu’il y ait des engagements forts, mais à condition que soient fixés des délais raisonnables – 2030 plutôt que 2020 – qui leur donneraient une visibilité à long terme et permettraient les investissements nécessaires.

D’autre part, il faudra également s’interroger sur l’utilisation des ventes de quotas. À partir du 1er janvier 2013, un pourcentage des quotas qui seront attribués aux entreprises – ce que l’on appelle, au niveau européen, les ETS – sera vendu. L’Europe réfléchit actuellement à la question de savoir s’ils doivent être vendus aux enchères et s’il faut fixer un prix plancher. Pour l’instant, chaque État est maître de l’utilisation de ces sommes, mais nous devons nous demander ce que nous en ferons à l’avenir. Seront-elles consommées au niveau domestique ou au niveau international ? Serviront-elles à l’aide aux pays en développement, à la lutte contre le changement climatique ou seront-elles reversées au budget général de l’État ? Cette dernière hypothèse est envisagée par Bercy : ces sommes peuvent devenir importantes et la question politique n’en sera que plus aiguë. Les organisations non gouvernementales estiment qu’il faut aider les pays en développement, mais, quand on connaît la situation budgétaire des États, on ne peut rien exclure.

Enfin, une dernière question politique se posera à Doha. Je l’ai dit, les pays développés se sont engagés à doter le Fonds vert de 100 milliards de dollars à partir de 2020. En début d’action, il y a eu ce que l’on a appelé le « fast-start », qui prévoyait de financer sur trois ans – de 2010 à 2012 – pour 30 milliards de dollars – soit 10 milliards par an – d’actions destinées à lutter contre le changement climatique au niveau mondial. La France, qui devait concourir pour 450 millions d’euros par an, a parfaitement respecté son engagement. Toutefois, ce programme s’arrête en 2012 et rien n’est prévu, ensuite, de 2012 à 2020. Les pays en développement vont donc profiter de Doha pour demander aux pays développés ce qu’ils comptent faire durant cette période, s’ils vont continuer à les aider et s’ils prennent des engagements dans le cadre d’un nouveau fast-start.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Au cours d’une précédente réunion, je vous avais interrogé sur les 450 millions d’euros que la France s’était engagée à mobiliser dans le cadre de ces financements précoces de 30 milliards de dollars sur la période 2010-2012. Vous m’aviez assuré que notre pays était parvenu à mobiliser ces financements, mais je m’interroge toujours sur l’origine de ces fonds. On nous parle bien sûr de l’aide publique au développement, mais, à ma connaissance, on ne nous a pas encore apporté la preuve que la France avait bel et bien tenu les engagements qu’elle avait pris à Copenhague.

M. Jean-Yves Caullet. En vous écoutant, je songeai à la distance qui sépare l’indéniable mais lente et lointaine progression des négociations internationales et les préoccupations quotidiennes que vivent les élus nationaux ou locaux que nous sommes. Nous comprenons bien que le moindre retard dans les échéances internationales pourrait avoir de graves conséquences sur la mobilisation dans notre pays ou dans nos collectivités. S’il est abusif de prétendre que tous les acteurs économiques et politiques ont l’œil rivé sur ces négociations, qu’ils ne prennent pas une décision sans les avoir à l’esprit, les signes négatifs qui peuvent leur être donnés en la matière sont autant d’autorisations à ne pas agir. Nous ne devons pas attendre que la règle internationale s’impose, que l’on nous force à être vertueux : ce serait prendre un retard coupable.

Dans la situation actuelle, il peut être tentant de valoriser les quotas au niveau budgétaire. Néanmoins, si cette ressource venait à être mobilisée, il serait bon qu’elle soit recyclée dans des actions contribuant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui ne nous paraissent pas distinctes de celles en faveur du développement économique et de la recherche de nouvelles croissances.

D’autre part, ne pourrait-on faire en sorte que ces négociations apparaissent moins lointaines à nos concitoyens et deviennent un outil de pédagogie pour aider les collectivités, les États et les entreprises à faire de notre pays et de l’Europe des moteurs et des modèles en la matière ? Cela ne représenterait-il pas aussi pour nous, demain, une force politique au niveau international ? Quel bénéfice diplomatique notre pays pourrait-il retirer, selon vous, d’une position forte en matière de changement climatique ?

M. Martial Saddier. Pourriez-vous faire un point sur l’état des connaissances scientifiques en matière de réchauffement climatique : est-il notamment encore raisonnable de parler d’un objectif de hausse de deux degrés ? Le décalage est de plus en plus important entre ces négociations internationales, qui paraissent bien lointaines, bien peu concrètes, et les citoyens. A-t-on une chance de parvenir cet automne à un accord à Doha ?

Par ailleurs, vous n’avez pas évoqué la conférence internationale sur la biodiversité qui doit se tenir en Inde cet automne.

En ce qui concerne les quotas, la commissaire européenne à l’action pour le climat se bat – et au sein même de la Commission – en faveur d’une baisse de la quantité de quotas mis aux enchères. N’y a-t-il pas d’autre solution ?

Aurons-nous la chance de voir un jour aboutir le projet de création d’une Organisation mondiale de l’environnement ? Cette proposition, d’abord formulée par Jacques Chirac, a été reprise par Nicolas Sarkozy et, semble-t-il, par le nouveau Président de la République.

Enfin, monsieur l’ambassadeur, avez-vous rencontré, dans les grandes démocraties que vous avez visitées, des textes législatifs transversaux semblables aux Grenelle I et II de l’environnement ? Avec le recul, pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez ?

M. Denis Baupin. L’évaluation que l’on peut faire de Durban est forcément ambivalente : il y a, d’un côté, l’opinion de ceux qui ont participé aux négociations et qui, considérant que cela aurait pu être pire, estiment que c’est un succès, et ceux qui voient que les températures ne cessent d’augmenter, que la banquise n’a jamais été aussi atteinte et que l’Agence internationale de l’énergie elle-même – qui, pourtant, vous l’avez rappelé, n’a rien d’une officine écologiste – tire la sonnette d’alarme. Les générations futures porteront sur nous un jugement très sévère si, ayant eu entre les mains toutes les informations utiles, nous n’avons pas été capables de prendre les décisions qui s’imposaient. Face à un tel constat, les avancées que vous avez signalées paraissent bien timides.

En ce qui concerne l’objectif de deux degrés, dont certains craignent qu’il ne soit même pas respecté, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) explique que, si, il y a quelques années, lorsqu’il a recommandé de limiter le réchauffement à deux degrés, il avait eu les informations sur les conséquences de l’élévation des températures dont il dispose aujourd’hui, il aurait plutôt souhaité 1,5 degré.

Vous avez évoqué le débat en cours au niveau européen sur la possibilité de rester à 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou de passer à 25 %, voire à 30 %, comme le proposent certains pays. Il faut rappeler que le Parlement européen a pris position pour un objectif de 30 % à l’horizon 2020, considérant que, en raison de la crise économique, les réductions de gaz à effet de serre sont plus importantes que prévu et que, d’un point de vue industriel, la transition représente un enjeu majeur pour l’économie verte. Vous avez raison, il faut que les choses soient lisibles pour les industriels. Prenons donc des décisions, quitte à aider les pays pour lesquels il serait plus difficile de tenir ces engagements – vous avez à juste titre cité la Pologne.

J’ai également peine à croire, comme le président Chanteguet, que la France a totalement respecté ses engagements sur le fast-start. Il ne s’agit, en fait, que de redéploiements : on prend des crédits d’aide publique au développement, destinés aux systèmes d’assainissement d’eau ou aux écoles, pour les consacrer à la lutte contre le dérèglement climatique. Cette histoire des 100 milliards de dollars est un jeu de dupes ! Vous dites, aujourd’hui, qu’il s’agit d’une somme globale, dans laquelle doit être comptabilisée toute l’aide publique au développement : ce n’est pas ce qui avait été compris au moment de Copenhague.

Enfin, il est vrai que l’Europe est le continent le plus actif dans les négociations sur le dérèglement climatique, mais elle a besoin d’alliés. Pouvez-vous nous parler des alliances qui se nouent, me semble-t-il, de façon positive avec les pays les plus pauvres pour obtenir des avancées plus rapides face à des États – tels le Canada, l’Australie ou les États-Unis – qui, eux, sont beaucoup moins allants ?

M. Stéphane Demilly. Depuis votre précédente audition à la veille du sommet de Durban, s’est tenu le sommet « Rio + 20 », vingt après le Sommet de la Terre de Rio, en 1992. Le bilan que l’on peut tirer de cette réunion internationale est pour le moins mitigé, malgré l’intitulé de la déclaration officielle finale : « L’avenir que nous voulons ».

On peut se demander si la crise économique mondiale n’entraîne pas une forme de renoncement et si nous ne sommes pas en train de basculer d’une stratégie de lutte contre le réchauffement climatique à une stratégie d’adaptation, chacun semblant avoir fait son deuil de l’objectif visant à limiter à deux degrés la hausse des températures d’ici à la fin du siècle. Outre les effets de la crise, les conditions pour effectuer un véritable saut quantitatif et qualitatif ne semblent pas réunies. En effet, pour faire avancer des négociations climatiques multilatérales aussi complexes, il faut, me semble-t-il, au moins deux moteurs : d’abord, un groupe de pays leaders et volontaires ; ensuite, des financements innovants. Or les deux font aujourd’hui cruellement défaut et le volontarisme de la France, dont vous témoignez, ne peut suffire à lui seul. Il faut rappeler que la Chine et les États-Unis représentent à eux deux 40 % des émissions de gaz à effet de serre et qu’ils continuent de refuser tout engagement contraignant.

Par ailleurs, comme M. Saddier, je souhaiterais connaître votre point de vue sur le projet d’Organisation mondiale de l’environnement.

Pour ne pas être totalement négatif, je voudrais, malgré tout, souligner l’avancée positive de « Rio + 20 ». Pour la première fois, les chefs d’État de la planète se sont donné pour objectif d’assurer l’accès à l’énergie de la population mondiale. Un récent article de l’hebdomadaire Le Point rappelle que 1,3 milliard d’hommes n’ont pas accès à l’électricité. Ce chiffre devrait encore augmenter en Afrique subsaharienne au cours des vingt prochaines années, la croissance démographique dépassant les efforts d’électrification. Or l’accès à l’électricité, même en quantité limitée, permet de briser le cercle vicieux de l’extrême pauvreté. Accéder à l’électricité, c’est accéder à l’éclairage, à l’eau potable par pompage des eaux souterraines, à la réfrigération alimentaire et pharmaceutique, à la modernisation de l’agriculture et de l’artisanat. Bref, c’est un moyen d’accéder à la santé, à l’éducation, au développement de l’économie et au maintien des populations en zone rurale. C’est donc un enjeu essentiel qui nécessitera de développer massivement les énergies renouvelables. J’aimerais également connaître votre sentiment sur cette question.

M. Jacques Krabal. Nous débattons de sujets très complexes et difficiles à maîtriser. Il faut prendre garde aux conclusions que l’opinion publique peut tirer de ces différents sommets internationaux. Si l’on ne peut pas dire qu’ils se soient soldés par des échecs, on voit bien néanmoins que les choses n’avancent très lentement, à la vitesse d’un escargot, sinon d’une tortue – mais on sait, au pays de Jean de La Fontaine, que la tortue franchit la ligne d’arrivée avant le lièvre… Le réchauffement climatique est devenu un sujet majeur. Un journal quotidien, tel Le Parisien, se demande ainsi ce matin : « Quel temps fera-t-il en… 2035 ? »

Je me permettrai, dans un premier temps, de relayer quelques propositions techniques formulées par des spécialistes : jalonner l’échéance européenne de 2050 d’objectifs de réduction intermédiaires pour préciser la trajectoire après 2020 ; introduire dès 2013 un prix plancher pour les quotas de carbone européens qui seront vendus aux enchères par les États membres de l’Union – un prix minimal de 17 euros, prix adopté par l’Australie, qui est pourtant un pays minier très dépendant du charbon, paraît raisonnable à une grande majorité d’acteurs ; ne plus accepter, à partir de 2015, les crédits provenant des pays émergents qui ne s’engageraient pas dans le cadre du futur accord international.

Je suis convaincu que, au-delà de la préservation de la planète, nous sommes au cœur d’une mutation d’un monde énergétique et industriel. Une politique climatique bien conçue peut également être un puissant levier de transformation de l’économie, avec l’innovation technologique – on a parlé des énergies renouvelables –, les choix de spécialisation d’avenir, l’efficacité et l’indépendance énergétiques.

Pour les députés du groupe RRDP, au-delà de l’enjeu climatique, la réduction des émissions de carbone doit être un véritable levier de transformation de l’économie vers un modèle d’économie sobre en carbone et, plus largement, vers une économie verte.

M. Patrice Carvalho. Comme chacun, je regrette que les progrès soient aussi lents. L’attitude des États-Unis et du Canada, qui ne sont pourtant pas des pays émergents, pose un problème que seules des décisions politiques pourront résoudre.

La première reposerait sur une interdiction d’échanger avec les pays pratiquant des systèmes de production inadmissibles. Certains groupes français, lorsqu’ils opèrent à l’étranger, acceptent ce qu’ils refusent dans l’Hexagone : j’ai longtemps travaillé dans un grand groupe français qui investit beaucoup à l’étranger mais tâche de s’y comporter comme il le fait en France, malgré la concurrence locale qu’il doit affronter. Sans doute dira-t-on que ce serait une forme de protectionnisme. Contrairement à certains collègues, je ne suis pas favorable aux subventions accordées à tel ou tel pays – à la Pologne, par exemple. Chacun doit réaliser ses investissements, comme l’a fait la France, avec les fonds propres des entreprises.

Vous avez posé la question des grands groupes français qui demandent parfois des délais. J’ai vu trop d’investissements faramineux qui ne servaient à rien et finissaient par ne montrer que leur inefficacité. Là aussi, il faut prévoir une validation des équipements installés dans l’industrie pour traiter, par exemple, les fumées et autres rejets atmosphériques. La solution réside à mon sens dans un meilleur contrôle des investissements et de leur efficacité.

Il faut également s’interroger sur l’attitude des DREAL ou des DRIRE, services de l’État parfois très exigeants. Ainsi, dans mon canton de Ribécourt, un site classé Seveso devait construire un véritable bunker pour y confiner la production : après l’explosion de l’usine AZF, il fut évident que ç’aurait été une catastrophe et le projet fut abandonné. À quelques semaines près, nous avons échappé à des millions de francs d’investissement.

M. Serge Lepeltier. Le président Chanteguet et M. Baupin m’ont interrogé sur le financement précoce. Je confirme qu’il n’y a pas de redéploiement et que les crédits destinés à l’aide au développement ne sont pas détournés vers la lutte contre le changement climatique. Le Gouvernement pourrait vous fournir des chiffres qui montrent qu’il existe à la fois des financements multilatéraux – par exemple, le financement du Fonds pour l’environnement mondial – et des financements bilatéraux d’aide à certains États. En 2010, 2011 et 2012, les sommes consacrées à la lutte contre le réchauffement climatique ont été apportées en plus de ce qui allait précédemment à l’aide au développement. Il est vrai – la confusion s’explique peut-être par cela – que certains pays ont cru que nous allions leur donner des subventions supplémentaires, alors qu’il s’agissait de mener de nouvelles actions. Ainsi, l’aide française au développement se fait surtout par l’intermédiaire de prêts qui permettent de réaliser certaines actions. D’après les chiffres officiels, les 450 millions d’euros ont bel et bien été versés, à peu de choses près : 425 millions en 2010 et 435 millions en 2011.

Certains députés se sont inquiétés de la lenteur, bien réelle, des négociations. Il faut considérer que ce sont plus de 190 pays qui y participent et que le système onusien implique que soit trouvé un consensus. Certes, on considère aujourd’hui que l’opposition d’un seul pays n’empêche pas que le consensus soit valide du point de vue juridique. Mais si un petit groupe de pays s’oppose à une décision, le consensus est impossible. Les négociations sont donc compliquées, chaque pays ne peut pas voir tous ses souhaits réalisés.

Cependant, la lenteur de ces négociations doit-elle nous dispenser d’agir ? Aujourd’hui, les entreprises ont compris qu’agir contre le changement climatique, c’est agir pour le développement économique et qu’en limitant les émissions de gaz à effet de serre, on limite les consommations d’énergie et donc les coûts pour l’entreprise. Plus nous anticiperons sur la lutte contre le changement climatique, plus nous serons en avance par rapport à d’autres pays sur le plan économique. On l’a dit, les États-Unis ne veulent pas de contraintes internationales, mais cela ne les empêche pas d’agir au niveau des recherches technologiques et au niveau scientifique pour mettre en place des systèmes qui, à terme, permettront de limiter la consommation d’énergie. Ce jour-là, ils accepteront la contrainte internationale.

Il est vrai que la compréhension des enjeux par l’opinion publique n’est pas suffisante, même si celle-ci a parfaitement intégré la gravité du changement climatique. Un député a eu la franchise de reconnaître qu’il avait des difficultés à maîtriser ces sujets : c’est qu’ils sont très complexes. Je tâche en en parlant d’être aussi synthétique que possible, car, dès qu’on entre dans le détail technique, on n’y comprend plus rien. Il faut donc essayer d’expliquer très simplement les enjeux à l’opinion et commencer par lui dire que lutter contre le changement climatique, c’est en réalité diminuer nos consommations d’énergie, que ce n’est pas pénaliser l’économie, mais l’aider. Certaines grandes entreprises, certains secteurs économiques qui, étant grands émetteurs de gaz à effet de serre, étaient à l’origine très réticents, constatent que les investissements qu’ils ont entrepris en ce domaine les aident économiquement et les mettent en situation de mieux affronter la concurrence.

Plusieurs députés m’ont également interrogé sur l’aspect diplomatique de ce dossier. J’ai abordé la question hier lors d’un entretien avec la ministre chargée de l’écologie. Le changement climatique est un élément de plus en plus important des relations diplomatiques. Au début de l’année, je me suis rendu en Inde, pays qui se considérait comme « violé » par l’accord de Durban – la dernière phase des négociations avait en effet opposé l’Europe et l’Inde. Dans la relation diplomatique que nous avons avec ce pays, la prise en compte de ses préoccupations sur son niveau d’engagement est aujourd’hui très importante. J’ai développé cette idée auprès des ministres des affaires étrangères successifs, leur recommandant d’aborder cette question dans le cadre des relations bilatérales avec d’autres ministres des affaires étrangères, afin de montrer que nous sommes soucieux d’évoluer ensemble dans la lutte contre le changement climatique.

On m’a demandé un état de la question scientifique. Sur ce point, ce n’est pas au nom de la France que je répondrai, mais en m’exprimant à titre personnel. Nous aurons beaucoup de mal à ne pas dépasser les deux degrés Celsius de hausse de la température moyenne. Chaque fois que le GIEC publie un rapport, il donne une fourchette comportant des minima et des maxima : comme par hasard, on constate chaque fois que ce sont toujours les maxima qui sont atteints. Aujourd’hui, on peut être à peu près assuré qu’on aura atteint les deux degrés Celsius d’augmentation en 2050. Nous avons d’ores et déjà atteint un degré. Certes, deux degrés Celsius, cela peut paraître négligeable et il est vrai que la planète a déjà connu, par le passé, une telle augmentation des températures. Mais, à l’époque, l’homme n’avait pas encore fait son apparition sur Terre. Ainsi, en deux siècles, nous aurons accompli un bond de plusieurs centaines de milliers d’années en arrière.

Permettez-moi de vous donner un ordre de grandeur, qui intéressera particulièrement ceux dont la circonscription est située en bord de mer. Lorsque la planète avait une température moyenne supérieure de deux degrés Celsius à celle d’aujourd’hui, le niveau des océans était plus élevé de 25 mètres. Cela signifie donc que nous connaîtrons une élévation équivalente : cela ne se fera pas en cinquante ans, cela n’arrivera ni au XXIe siècle ni au XXIIe siècle, mais c’est inéluctable. Or vous imaginez ce que cela représente en termes d’adaptation pour la vie sur la planète.

On m’a également interrogé sur les perspectives de réussite de Doha. La suite de Kyoto ne sera pas facile, car l’Europe ne peut s’engager seule dans la deuxième période sans obtenir de contreparties. Doha ne sera pas une grande conférence des Parties, mais une réunion de transition progressive entre la conférence de Durban, qui a été très importante, et celle de 2015, qui le sera plus encore. On peut certes s’interroger sur la manière de jalonner d’ici là, mais aucun enjeu majeur ne sera discuté à Doha.

Il est vrai que je n’ai pas évoqué la conférence sur la biodiversité qui doit se tenir en Inde. Mais je ne suis responsable que des négociations sur le réchauffement climatique : il existe un ambassadeur chargé de l’environnement, compétent pour tous ces sujets, en dehors du climat. Néanmoins, l’extrême intérêt de cette conférence sur la biodiversité n’est pas douteux, car la question est, avec le climat, la plus importante sur le plan international.

Pour revenir sur la question de la baisse des quantités de quotas mis aux enchères, je rappelle que, outre le transfert des quotas déjà attribués (UQA), des quotas seront vendus aux entreprises. Le sujet est actuellement en discussion à la Commission européenne et rien n’est encore arrêté. Dans la mesure où l’accord des vingt-sept États membres est nécessaire pour augmenter le niveau d’ambition, il faut pouvoir restreindre les possibilités des entreprises en l’absence d’unanimité, et donc trouver des solutions qui permettraient d’augmenter le niveau d’ambition sans passer par une décision effective.

J’ai beaucoup travaillé, lorsque j’étais ministre de l’environnement, sur la question de l’Organisation mondiale de l’environnement. Nous avons enregistré quelques avancées à Rio + 20, puisque nous allons renforcer le Programme des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE), dont le siège est à Nairobi, lui donner davantage de moyens et, surtout, y faire participer l’ensemble des pays – alors qu’aujourd’hui, seuls les pays volontaires y sont associés. Mais il ne s’agit que d’un début d’avancée vers la création une agence, à laquelle nombre de pays sont encore opposés, car ils ne veulent ni des contraintes ni surtout d’une organisation qui soit, dans le domaine de l’environnement, l’équivalent de l’Organisation mondiale du commerce. Quoi qu’il en soit, nous ne devons pas renoncer à ce projet sous prétexte que Rio + 20 a été marqué par des progrès et qu’on pourrait en rester là. La France doit se montrer extrêmement ambitieuse sur ces questions déterminantes pour l’avenir de la planète.

Un député m’a demandé si d’autres pays avaient pris des dispositifs semblables à ceux des Grenelle I et II. Je dois dire, en toute objectivité, que la France est aujourd’hui considérée comme l’un des pays les plus en pointe sur les questions environnementales. Il y a dix ans, notre pays était en retard dans l’application des normes internationales et européennes. Le Grenelle de l’environnement a changé la donne. Aucun autre pays au monde n’a engagé de telles actions. Je ne prends pas ici de position politique, je relate simplement ce qui est ressenti sur le plan international.

M. Baupin a posé une question sur les alliés de l’Europe. Si Durban a été un succès, c’est parce que l’Europe a constitué une force avec l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS) et les pays les moins avancés. La grande inconnue était l’attitude de la Chine, laquelle a tendance à se présenter comme un pays en développement qui a besoin d’être aidé. Nous avons convaincu les pays les moins avancés de rappeler à la Chine que, si elle ne faisait rien, alors qu’elle émet déjà beaucoup de gaz à effet de serre, ce seraient eux qui en subiraient les conséquences. Cette attitude a fait évoluer la Chine. Le lien entre l’Europe et les pays les moins avancés et les États insulaires a donc influé sur la Chine. Il nous faut à présent renforcer ce lien, mais ne pas trop l’officialiser. En effet, si nous officialisons des liens en créant des groupes, les autres pays se sentiront marginalisés – comme on a pu le voir à Copenhague – et ils refuseront de signer des accords à la discussion desquels ils n’ont pas participé.

Il est vrai que la crise économique mondiale risque d’inciter à passer d’une stratégie de lutte contre les émissions à une stratégie d’adaptation. Dans l’opinion publique, ce sujet l’emporte sur tout, ce qui est bien compréhensible au regard de l’emploi. J’étais aux États-Unis en septembre dernier où les membres du Congrès me disaient que le changement climatique était devenu tabou, qu’on ne pouvait plus en parler. L’opinion publique a certes pris conscience des problèmes qui se posent, mais tout le monde dit : « Le job d’abord, et pour le reste, on verra après. ». Il ne faut pas négliger ce risque : si nous changeons de stratégie, nous connaîtrons de brusques augmentations des prix de l’énergie et nous casserons l’économie. Si nous voulons assurer le développement économique à long terme, je suis convaincu que la lutte contre le changement climatique peut être un élément de durabilité économique.

On a parlé, à Rio + 20, de l’accès mondial à l’énergie. La France a pris, en liaison avec le Kenya, l’initiative Paris-Nairobi pour aider l’Afrique à se doter d’énergies propres. Renforçons cette initiative, donnons-lui des moyens. Accéder à l’énergie propre, c’est lutter contre la pauvreté et pour la santé. On le sait : en Afrique, dans le monde rural, plus de 80 % de la population n’a pas accès à l’énergie et fait cuire ses aliments au feu de bois ; cela induit une pollution responsable d’une augmentation de la mortalité, notamment chez les femmes, puisque ce sont elles qui préparent les repas. Sans énergie, le développement économique est impossible. C’est au XIXe siècle, quand l’énergie a irrigué l’ensemble des territoires, que nos pays ont commencé à se développer. Enfin, l’énergie propre, c’est de l’écologie.

M. Carvalho est allé un peu loin. Faut-il interdire les échanges avec les pays ne respectant pas les règles en matière de changement climatique ? Je rappelle les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui avec l’ETS dans l’aviation, système de quotas mis en place par l’Europe.

D’autre part, faut-il aider la Pologne ? Elle touche déjà beaucoup de fonds européens – en particulier, en matière agricole et rurale – et il me semble que, en contrepartie, elle peut consentir quelques efforts. C’est d’ailleurs l’argument que nous lui faisons valoir dans le cadre des discussions que nous avons avec elle sur les évolutions budgétaires des prochaines années. Je l’ai dit clairement au ministre polonais : lorsqu’on est seul contre vingt-six pays, on doit se poser la question du collectif. On ne peut nier que ce pays ait de grandes difficultés, puisque 95 % de son électricité provient du charbon. Il faut néanmoins que nous avancions ensemble. Dans les échanges que le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France ont actuellement avec elle, il faut se montrer convaincant, car nous ne pouvons pas accepter qu’un seul pays bloque le système. On ne peut pas être européen sans avoir l’esprit collectif.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur l’ambassadeur, vous avez indiqué tout à l’heure que, sur le marché du carbone mis en place au niveau européen, le prix de la tonne était de 6 euros. Lorsque nous avons débattu de la mise en place de la taxe carbone, François Fillon avait arrêté un prix de 17 euros. Michel Rocard, dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée, avait proposé 32 euros, avec un objectif de 100 euros. Aujourd’hui, le marché du carbone dysfonctionne et ne permet pas de lutter efficacement contre le réchauffement climatique.

M. Serge Lepeltier. Permettez-moi de rappeler qu’en 1999, un excellent rapport parlementaire précisait qu’il faudrait atteindre le prix de 100 euros. Son auteur était le sénateur Lepeltier… (Sourires)

Mme Geneviève Gaillard. La situation est grave et nous voyons bien que nous n’atteindrons pas les objectifs fixés. J’ai cru comprendre que vous n’étiez pas très optimiste à cet égard, et que vous ne l’étiez pas non plus sur l’issue de la conférence de Doha. Pourriez-vous nous apporter quelques précisions ?

D’autre part, j’aimerais savoir comment, dans vos échanges avec des responsables de pays en voie de développement, vous abordez le problème de la croissance démographique.

Je voudrais également vous demander si Paris et Berlin sont sur la même longueur d’onde. On sait en effet qu’Angela Merkel a récemment appelé la communauté internationale à redoubler d’efforts dans la perspective de la conférence de Doha.

Enfin, comment peut-on faire comprendre à l’opinion publique les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique quand on organise une conférence à Doha et qu’on accepte en même temps que s’y déroule une Coupe du monde de football qui s’accompagnera d’un étalage inouï de richesses ?

M. Guillaume Chevrollier. L’impact du changement climatique sur les ressources en eau et les écosystèmes naturels agricoles est encore mal connu. Les ressources en eau sont pourtant une préoccupation importante pour les citoyens, notamment pour les agriculteurs. La France a connu plusieurs hivers particulièrement secs et les précipitations des dernières semaines n’ont pas permis de combler les déficits, si bien que, dans de nombreuses régions, le niveau des nappes phréatiques reste bas. Les dernières recherches permettent-elles de corroborer le lien entre le changement climatique et les déficits pluviométriques ? Dans l’affirmative, quelles mesures préconisez-vous pour préserver nos ressources en eau ?

D’autre part, l’annonce des 100 milliards de dollars versés au Fonds vert a laissé citoyens et élus fort perplexes. Ne pourrait-on prévoir un contrôle de gestion des actions qui seront menées ?

M. Philippe Plisson. Les sommets de la Terre se succèdent et les résultats sont de plus en plus décevants, à telle enseigne que vous-même, monsieur l’ambassadeur, paraissez résigné à une augmentation de plus de 3 degrés de la température d’ici à la fin du siècle. Si je comprends bien, il ne nous reste plus qu’à apprendre à nager ! (Sourires)

La biodiversité a été la grande absente de tous les débats, alors que la communauté scientifique ne cesse de répéter qu’il s’agit d’un élément essentiel pour la survie de l’espèce humaine. La France envisage-t-elle de mettre en avant cette question vitale lors des prochains rendez-vous internationaux, à Hyderabad et à Doha ?

M. Jean-Marie Sermier. Monsieur l’ambassadeur, les chiffres que vous avez cités – 25 mètres d’élévation du niveau des mers, à un horizon certes lointain – font froid dans le dos. Existe-t-il des observatoires qui se consacrent à la surveillance de l’évolution du niveau des mers ?

Les différents ambassadeurs chargés de l’environnement et le GIEC ont-ils des relations suivies ? Le GIEC a fait un bon travail, même s’il se trompe quelquefois – on se souvient de l’histoire de la fonte des glaciers de l’Himalaya.

Je voudrais également revenir sur la question des marchés de quotas de CO2. Il est vrai que le prix de la tonne de carbone est trop bas et qu’il ne peut être incitatif, mais un prix trop élevé ne risquerait-il pas, à l’inverse, de conduire à une délocalisation de l’industrie ? Ainsi, si l’industrie cimentière française n’a pas la possibilité de produire suffisamment en France, elle ira s’installer ailleurs, notamment au Maghreb, où les conditions ne peuvent pas être meilleures qu’ici, et il faudra ensuite transporter le ciment jusque dans l’Hexagone. Cette question a-t-elle été envisagée ?

Mme Sophie Errante. On connaît les conséquences que peut avoir l’agriculture sur l’environnement, en particulier par l’émission de gaz à effet de serre, mais il serait utile de connaître l’impact que produisent les changements climatiques sur l’agriculture et, en particulier, sur la viticulture. Certains chercheurs estiment qu’un réchauffement d’un degré Celsius équivaudrait à un déplacement des espèces végétales d’environ 180 kilomètres vers le nord. Il est donc probable que nous allons assister, dans les prochaines décennies, à une redistribution des espèces. Pour ce qui concerne la viticulture, l’élévation de la température entraînerait une variabilité de la qualité des raisins et un changement de la typicité des vins. Cela pourrait se traduire par une remise en cause des zones d’appellation ou des terroirs. Aussi, pouvez-vous nous dire quelle est la place de l’activité agricole au sein des négociations sur le changement climatique ?

M. Jean-Pierre Vigier. Depuis des années, nous subissons des événements climatiques importants : orages, inondations, sécheresse, tornades, détachements d’iceberg. Vaut-il mieux parler de réchauffement ou de dérèglement climatique ? Que nous disent les études en la matière ?

D’autre part, il est vrai que l’Europe fait des efforts importants pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, mais que valent-ils si les Chinois, qui sont responsables de 29 % de la pollution mondiale, ne font aucun effort de leur côté ?

M. François-Michel Lambert. Il serait suicidaire de se lancer dans l’exploitation des gaz de schiste. On sait en effet que le méthane est un gaz dont la capacité à créer un effet de serre est vingt-six fois plus forte que celle du CO2. À quoi bon traquer le CO2 si c’est pour promouvoir le méthane ? Aux États-Unis, où l’exploitation des gaz de schiste a commencé au début du siècle, les seules fuites des puits émettent plus de gaz à effet de serre que toutes les centrales thermiques fonctionnant au charbon. Tous les pays justifient cette exploitation peu respectueuse de l’environnement au nom de l’indépendance énergétique. Il me semble que c’est, au contraire, une course à l’abîme.

M. Arnaud Leroy. Monsieur l’ambassadeur, je souhaite vous interroger sur le fonctionnement de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). J’ai participé à de nombreuses négociations climatiques et j’ai du mal à croire que l’on puisse trouver facilement un consensus sur l’avenir du Protocole de Kyoto. Aurons-nous une stratégie de défense sur la question de l’amendement ? Est-il prévu une roue de secours ? Doit-on perpétuer un système de deux annexes ou peut-on enfin commencer à réfléchir à une troisième annexe intermédiaire ? On ne peut pas mettre les Kiribati et la Chine sur le même niveau et il est incompréhensible qu’ils soient dans la même annexe. De même, il est incompréhensible que l’Arabie saoudite figure dans l’annexe des pays les moins avancés.

En ce qui concerne la structure même des négociations, vous avez parlé d’un consensus. Pour ma part, j’avais cru comprendre que, pour les négociations climatiques, les règles de procédure onusiennes exigeaient l’unanimité. On a beaucoup parlé de la Chine, mais l’Arabie Saoudite est l’un des éléments perturbateurs dans les négociations climatiques : il faut pouvoir passer outre à leur veto.

Je comprends parfaitement la nécessité de conserver une diplomatie parallèle non structurelle. Mais ne pourrait-on pas commencer à parler au niveau mondial de coopération renforcée pour les questions climatiques, afin de permettre aux États et aux blocs d’États qui le souhaitent d’aller de l’avant ?

M. Yves Albarello. Vous l’avez rappelé, monsieur l’ambassadeur, l’étude du climat n’est pas une science aisée, et ma question vous paraîtra sans doute provocatrice. J’aimerais connaître votre avis sur une pétition de l’Oregon Institute of Science and Medicine, signée par 31 000 scientifiques américains, qui affirme « qu’il n’existe aucune preuve scientifique convaincante que les émissions humaines de dioxyde de carbone, de méthane ou d’autres gaz causent ou causeront, dans un futur prévisible, un réchauffement catastrophique de l’atmosphère et un bouleversement du climat terrestre ».

M. Lionel Tardy. Ma question porte sur la taxe carbone et sur la réciprocité dans les échanges commerciaux internationaux, qui auraient entre autres le mérite de restaurer en partie la compétitivité de l’industrie européenne. Que pensez-vous, monsieur l’ambassadeur, d’une taxe carbone qui frapperait les importations en provenance des pays dont l’industrie n’est pas assujettie aux plafonds d’émissions de CO2 qui, eux, s’imposent à l’Europe ? Où en est-on, à ce sujet, au niveau de l’Union européenne ?

M. Serge Lepeltier. Madame Gaillard, vous avez estimé que j’étais pessimiste quant au respect des objectifs. Le pessimisme empêche d’avancer. Or ma nature me porte plutôt à considérer que les négociations avancent et que, même si c’est trop lentement, la prise de conscience progresse, y compris pour les pays les moins avancés et pour les pays émergents, qui ont compris qu’on ne pourrait pas rester sans rien faire. La Chine, par exemple, est bien consciente qu’elle doit agir, pour son économie, pour la vie quotidienne de ses habitants, car le charbon n’induit pas seulement le changement climatique, il contribue à une pollution de proximité extrêmement forte. Certes, Doha sera une conférence de transition, mais toutes les conférences des Parties n’ont pas été des références. Le plus important, c’est que la prise de conscience des divers pays ait bien eu lieu.

Vous avez eu raison d’évoquer la question de la démographie, car le sujet n’est jamais évoqué. La population mondiale comptera bientôt de neuf à dix milliards d’individus. L’Afrique est le continent dont la démographie évolue le plus rapidement. Il est évident que les questions d’énergie vont s’y poser avec acuité, et c’est pourquoi je disais que le processus d’accès à l’énergie propre y est très important. Si nous laissons s’y développer des accès à l’énergie traditionnels, les émissions de gaz à effet de serre ne cesseront d’augmenter en proportion de la croissance démographique.

Vous m’avez également demandé si Paris et Berlin étaient sur la même longueur d’onde. Vous avez compris qu’ils ne peuvent l’être tout à fait sur un sujet énergétique : le fait que l’Allemagne ait décidé de se passer totalement du nucléaire, en particulier, est une différence fondamentale. Toutefois, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, nous avons une grande proximité en ce qui concerne la fixation du niveau des émissions ou la méthode à suivre.

Vous avez demandé s’il était opportun, du point de vue de l’image, de réunir une conférence à Doha. Certains pays se sont en effet interrogés à ce sujet. Pour ma part, je ne regrette pas la décision qui a été prise, car le pays qui reçoit – en l’occurrence le Qatar – préside des groupes de travail et est impliqué dans les négociations. Lors d’une récente réunion au niveau ministériel à Berlin, que coprésidaient l’Allemagne et le Qatar, nous avons pu constater que le responsable qatari était complètement investi dans le sujet. Le pays qui reçoit n’a pas intérêt à ce que la conférence des Parties échoue. Ainsi, l’année dernière, l’Afrique du Sud, pays émergent, s’est sentie investie d’une mission et, désireuse de voir la conférence de Durban se conclure par un succès, a entraîné à sa suite le groupe des pays BASIC dont elle fait partie avec le Brésil, l’Inde et la Chine.

En effet, le changement climatique a des conséquences importantes sur les ressources en eau. Les deux grands sujets concernant les financements sont la question de l’atténuation du changement climatique, c’est-à-dire la limitation des gaz à effet de serre, et celle de l’adaptation. Or le premier thème de l’adaptation sera l’eau. J’ai présidé le processus « Autorités locales et régionales » du Forum mondial de l’eau et je n’ignore pas l’importance du sujet. Toutefois, je peux dire, à titre personnel, que la France, pays tempéré, ne devrait pas connaître de problèmes d’approvisionnement en eau, si elle sait gérer la ressource. Mais, si elle fait du maïs là où il n’y a pas d’eau, il est évident qu’elle connaîtra des problèmes. Le tout est de bien organiser l’implantation des cultures. Je n’ignore pas que cela déplaît à certains agriculteurs et à certains parlementaires élus de circonscriptions très rurales : nous devons néanmoins faire des efforts de pédagogie en la matière. Il faut que notre système agricole évolue. Je sais ce qu’il en est, car mon département est très céréalier, ma ville a été touchée par des problèmes de nitrates et je n’ignore pas que le niveau des nappes phréatiques baisse, mais, si nous savons gérer cette question dans le moyen et dans le long terme, nous n’aurons pas de problèmes de quantités d’eau.

La France a adopté, il y a un an, un plan national d’adaptation au changement climatique qui comporte des mesures spécifiques pour l’eau. Je peux dire, en tant que président du comité de bassin de l’agence de l’eau Loire-Bretagne, qu’il est possible de faire des retenues d’eau, mais pas pour irriguer les champs de maïs dans des régions qui manquent d’eau. Il faut prévoir une évolution des types de culture. Permettez-moi enfin de vous dire, en tant qu’ancien député d’une zone très rurale, que les parlementaires ont à jouer un rôle pédagogique, qu’ils ne doivent pas être à la traîne de tous les groupes de pression et qu’ils doivent expliquer les enjeux et répandre les idées.

En ce qui concerne le Fonds vert et les effets d’annonce, il faut en effet de la transparence. Du reste, le site internet de la CCNUCC explique fort bien les actions menées dans le cadre du fast-start. C’est un début, mais, j’en conviens, la transparence doit être renforcée.

Il a été dit, à juste titre, que la biodiversité était un sujet un peu négligé par les débats. C’est la France qui a pris l’initiative de créer un GIEC de la biodiversité, à l’occasion d’une grande conférence présidée, à l’UNESCO, par le Président de la République de l’époque. De même, elle va contribuer à renforcer le lien entre les questions climatiques et celles touchant à la biodiversité : il s’agit là de l’un des principaux objectifs du ministère.

M. Albarello a évoqué une pétition portant la signature de 31 000 scientifiques – ou prétendus tels – affirmant qu’il n’y a pas de changement climatique. Il pourrait bien y en avoir 50 000 que cela ne prouverait rien ! Tout démontre au contraire la réalité du changement climatique. Le GIEC est un groupe de savants qui débattent entre eux, qui ne sont pas d’accord sur tout. Il ne publie que ce qui est accepté par l’ensemble de ses experts. Certes, ses rapports ont pu comporter quelques erreurs, notamment sur les glaciers de l’Himalaya, mais, bien que le GIEC les ait reconnues, tous les lobbies américains, sautant sur l’aubaine, ont amplifié l’information sur Facebook et autres sites afin de décrédibiliser le GIEC. Nous sommes en relation permanente avec cet organisme. Pour ma part, j’ai une relation directe avec son président, M. Pachauri. Ces experts ne sont pas des lobbyistes, ce sont des savants qui veulent vraiment comprendre. Ils n’ont pas inventé le changement climatique pour faire avancer le GIEC.

Du reste, à l’issue d’une réunion de tous les scientifiques, voulue par le ministre de l’époque, la personnalité française qui s’est le plus battue contre l’idée même du changement climatique a signé le rapport en reconnaissant la réalité. Il faut se montrer sérieux vis-à-vis de la population. Sans doute, nous-mêmes n’en subirons pas les conséquences, mais il faut penser à ce que vivra la France dans cinquante ou dans cent ans.

M. Sermier, il existe à l’université de Brest – où a eu lieu, il y a un peu plus d’un an, une réunion du GIEC – un observatoire spécialisé dans la surveillance du niveau des mers. J’ai rencontré ses responsables scientifiques qui sont les premiers à confirmer la réalité de la menace. Certains constats sont irréfutables : les plages d’Aquitaine diminuent d’un mètre par an en longueur et on évacue déjà certains bâtiments situés en bord de mer.

On peut, en effet, s’interroger sur le prix de la tonne de carbone dans le cadre des marchés de quotas pour les entreprises : que se passera-t-il s’il est trop bas ou, à l’inverse, s’il est trop élevé ? Dans le rapport que j’évoquais tout à l’heure, j’avais étudié les différents outils économiques et fiscaux pour lutter contre le changement climatique. Il est délicat d’imposer des quotas dans les secteurs très ouverts sur l’international : il faut que ces quotas ne concernent pas que la France, qu’ils soient internationaux. Or, aujourd’hui, les quotas ne fonctionnent réellement qu’au niveau européen. Le précédent gouvernement a défendu l’idée d’une taxe à l’importation, qui serait certes très compliquée à mettre en œuvre dans le cadre des règles de l’OMC. Mais d’autres secteurs, tel le bâtiment, ne sont pas très ouverts à l’international. Il s’agit de trouver un équilibre entre, d’un côté, un système des quotas d’émission très libéral et un système de taxe carbone qui pourrait toucher des secteurs beaucoup plus domestiques, moins ouverts sur l’extérieur.

Le cas de la production de ciment a été évoqué. En effet, la question est plus complexe pour cette industrie, car, pour des raisons physiques, la transformation de la matière première en ciment émet un certain pourcentage de gaz à effet de serre qu’il est impossible d’éviter. Une importante usine de ciment est installée dans mon département et j’ai moi-même travaillé dans ce secteur, que je connais très bien. Bien sûr, il ne s’agit pas de le tuer, mais des efforts ont permis des diminutions considérables de consommation d’énergie, qui se traduisent par des diminutions de coût. Il faut être prudent, cependant, et ne pas aller trop loin, sinon nous n’aurons plus que du ciment de Turquie.

Mme Errante, je vous signale que la France s’est beaucoup battue, à Durban, pour que l’agriculture ait toute sa place dans la négociation. Un groupe de travail a été constitué. Certains pays y sont très opposés, et le Brésil freine de toutes ses forces sur ces questions. Mais il est très important de faire comprendre qu’un travail sur l’atténuation des effets du changement climatique sur l’agriculture peut être bénéfique pour elle.

On peut, en effet, se poser la question, éminemment politique, de savoir pourquoi nous devrions faire quelque chose si la Chine n’agit pas et si l’Inde ne fait rien non plus. Essayons toutefois de ne pas nous dédouaner. Si vous considérez le douzième plan quinquennal en cours d’application en Chine, vous constatez que les Chinois ont parfaitement intégré l’idée qu’il fallait limiter la consommation d’énergie. L’Europe compte 500 millions d’habitants. En engageant des politiques ambitieuses dans ce domaine, elle oblige le monde industriel à évoluer dans le même sens. Lorsque les usines d’un grand groupe sont obligées de consommer moins d’énergie pour respecter les règles européennes, elles transmettent ces règles à d’autres unités de production dans le monde. Si nous sommes les premiers à agir – ce que certaines entreprises considèrent comme un handicap et qui est au contraire un atout –, nous entraînerons le reste du monde, y compris les entreprises américaines qui, elles aussi, lorsqu’elles veulent s’implanter sur le marché européen, sont obligées de respecter les règles européennes. C’est ainsi que nous pouvons les entraîner vers des actions positives pour la lutte contre le changement climatique.

La question des gaz de schiste et de l’indépendance énergétique est un enjeu politique majeur. Comme nous ne pouvons guère nous attendre à des avancées importantes dans les années à venir, il nous faut passer par le multilatéral pour fixer des contraintes qui limitent globalement les émissions de gaz à effet de serre, qui incitent à se tourner vers des énergies moins émettrices. Le sujet est international : le Canada dispose d’importantes ressources, notamment en Alberta, comme les États-Unis. Je n’ai pas retiré de mes conversations avec les représentants de ces différents pays le sentiment qu’ils imaginent de limiter leur production de gaz de schiste ou d’autres gaz bitumineux. Il nous faudra donc limiter les émissions globales, car les pays n’accepteront pas d’être contraints dans leur politique énergétique.

M. Leroy, la technicité de votre question sur les deux annexes et sur la possibilité de créer une troisième annexe démontre votre connaissance du sujet. Tous les négociateurs pensent qu’il faut sortir de la catégorisation des pays et qu’un accord global doit concerner tous les pays. Toutefois, si les catégories de pays devaient perdurer, il ne pourrait plus y en avoir que deux ; il faudrait qu’elles ne soient pas figées pour vingt ans et que l’on puisse passer d’une catégorie à l’autre. Aujourd’hui, la Chine émet plus de gaz à effet de serre par tête d’habitant que la France. Or la Chine compte 1,36 milliard d’habitants. Dès lors qu’elle émet davantage de gaz à effet de serre que la France, elle figure dans la non-annexe I. Il faut introduire de la flexibilité dans le système. Il s’agirait plutôt de renoncer aux catégories et de se reposer sur le système des indicateurs d’émission par tête d’habitant ou par PNB, et que les engagements soient pris en fonction de cela.

Est-ce le consensus ou l’unanimité qui prévaut dans les négociations ? Il se trouve qu’un pays s’est opposé à l’accord de Cancún : on a pourtant considéré que, juridiquement, le consensus était valide. Toutefois, personne ne sait ce qu’implique le consensus en termes de pourcentage. On peut imaginer qu’il reste valable si d’autres pays s’opposent à l’accord, mais combien et lesquels ? Si le premier pays du monde en termes d’émissions ne l’acceptait pas, on ne pourrait plus parler de consensus.

On peut imaginer une coopération renforcée entre groupes d’États, dont la taxe carbone est le meilleur exemple, dans le cadre du paquet Énergie-climat de l’Europe. J’ai évoqué les accords d’aide que nous avons passés avec certains pays, et notamment de l’initiative Paris-Nairobi prise par la France et le Kenya : il faut la renforcer et la prolonger.

Il est vrai que la question de la réciprocité entre les pays se pose à propos de la taxe carbone. De même, il ne sera pas facile de mettre en œuvre la taxe aux frontières. Mais, là aussi, nous ne devons pas nous empêcher de mener une politique sous prétexte que tous ne les pays ne le font pas. Il faut toutefois voir à quoi s’appliquent les taxes à l’importation : si c’est sur des chemises venant de Chine, cela peut créer des problèmes de pouvoir d’achat.

M. Laurent Furst. Je suis bien convaincu de la réalité du changement climatique, mais je me demande néanmoins si nous ne nous trouvons pas face à une grande fiction. La pollution au carbone est mondiale : or le monde est marqué par l’accroissement démographique, par la hausse du niveau de vie et par l’aspiration à plus de consommation. Si l’on considère les tendances lourdes dans les marchés mondiaux de l’automobile, de l’aviation ou du logement, on comprend que l’on ne peut aller mécaniquement que vers davantage de consommation de carbone. Nous avons auditionné hier le président-directeur général d’Air France qui nous a dit que la pollution au carbone liée à l’aviation représentait 5 % au niveau mondial, alors qu’elle était à 3 % il y a quelques années et qu’elle ne cesse d’augmenter en flèche. Parallèlement, on voit que, au rythme de consommation actuelle, les réserves connues de pétrole sont de quarante à cinquante ans, celles de gaz de 120 ans au moins, celles de charbon de plus de 200 ans. Quel est le facteur de régulation de la consommation d’énergie fossile ? Les accords internationaux ou le marché, l’offre et la demande, le coût des énergies ou la capacité d’acheter des énergies par les acteurs économiques ?

En outre, économiser l’énergie chez nous, n’est-ce pas faciliter la consommation dans d’autres parties du monde ?

Enfin, pour terminer sur un élément très positif, je note que vous avez dit quelque chose de très important, monsieur l’ambassadeur : économiser l’énergie, c’est soulager notre économie.

M. Serge Lepeltier. Certaines questions, comme celles qui concernent le comportement des consommateurs et les incitations qu’il peut recevoir, ont un arrière-fond idéologique ou politique. Tout en étant très engagé en faveur de l’écologie, j’ai toujours défendu la voiture individuelle, considérant qu’elle est un instrument de liberté. Dès lors que nous sommes en démocratie, on ne peut obliger les gens à prendre le bus ou le train s’ils n’en ont pas envie et s’ils se sentent mieux dans leur voiture. Certains militent pour la décroissance, notion à laquelle je ne me réfère pas. Il me paraît au contraire important de tout faire pour développer la voiture propre – je crois d’ailleurs savoir que des annonces en ce sens doivent être faites aujourd’hui. Dans tous les domaines, automobile ou aviation, la technologie peut apporter des réponses.

D’autre part, M. Furst, vous avez très justement posé la question du facteur de régulation. Dans une économie de marché, il n’existe qu’un seul critère de choix : le prix. Il faut donc que celui-ci intègre les conséquences environnementales du produit. C’est toute la question de la taxe carbone, qui est un système libéral. Naturellement, on peut recourir aux normes, comme dans le bâtiment : les Français ne savent pas assez que, à partir du 1er janvier 2013, on ne pourra plus construire que des bâtiments de basse consommation. De même, la France produit les voitures parmi les moins émettrices du monde. Je suis l’un de ceux qui ont lancé le système du bonus-malus, qui a eu un incroyable effet de levier.

Permettez-moi, pour conclure, de remercier tous les députés pour la pertinence de leurs questions.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci à vous, monsieur l’ambassadeur, pour votre disponibilité et la qualité des échanges que nous avons eus au cours de ces deux heures de réunion.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 25 juillet 2012 à 9 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Christian Assaf, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, M. Denis Baupin, Mme Catherine Beaubatie, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Alain Gest, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Olivier Marleix, M. Philippe Martin, M. Philippe Noguès, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Yannick Favennec, M. Christian Jacob, M. Guillaume Larrivé, M. Edouard Philippe, M. Gabriel Serville, M. David Vergé

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Claude Buisine, M. Michel Lesage, M. Lionel Tardy