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Mercredi 14 novembre 2012

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Table ronde, ouverte à la presse, commune avec la commission des affaires économiques, sur le fret, avec la participation de M. Jean-Michel Genestier, directeur général adjoint de SNCF Géodis, M. Emmanuel Delachambre, directeur général d’Euro Cargo Rail et membre de la Commission des affaires ferroviaires de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), M. Philippe Deiss, président d’HAROPA, M. Patrick Bouchez, président-directeur général de l’Union des entreprises de transport et de logistique de France, et M. Philippe Duong, directeur de Samarcande, bureau d’études spécialisé en transport, logistique et aménagement du territoire, professeur associé en logistique au CNAM

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde, commune avec la commission des affaires économiques, sur le fret, avec la participation de M. Jean-Michel Genestier, directeur général adjoint de SNCF Géodis, M. Emmanuel Delachambre, directeur général d’Euro Cargo Rail et membre de la Commission des affaires ferroviaires de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), M. Philippe Deiss, président d’HAROPA, M. Patrick Bouchez, président-directeur général de l’Union des entreprises de transport et de logistique de France, et M. Philippe Duong, directeur de Samarcande, bureau d’études spécialisé en transport, logistique et aménagement du territoire, professeur associé en logistique au CNAM.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Dans le cadre de la transition écologique, la commission du développement durable s’est engagée dans un travail prospectif pour mieux appréhender les textes qui lui seront soumis dans les prochains mois. Nous avons consacré du temps au développement durable outre-mer, à la biodiversité ou encore aux énergies renouvelables. Début octobre, nous avions organisé une table-ronde avec la commission des affaires économiques pour aborder plus particulièrement le volet énergétique de la transition écologique.

François Brottes et moi avions convenu de nous retrouver pour aborder la question du fret. Ce sujet intéresse nos entreprises qui ont besoin d’être connectées convenablement à leurs clients et aux marchés étrangers. Il intéresse également le développement durable puisque les transports massifiés améliorent les dessertes tandis que la multimodalité, en limitant la fraction routière du fret, au bénéfice du train et du bateau, évite des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre. Je précise immédiatement que nous avons choisi de ne pas inclure dans nos réflexions de la matinée le fret aérien, qui nous paraît porteur de problématiques particulières, notamment en termes de vitesse d’acheminement. Des travaux spécifiques lui seront consacrés.

Au nom des deux commissions, j’ai donc le plaisir d’accueillir nos invités. Messieurs, je vous souhaite à tous la bienvenue devant la représentation nationale. Avant de transmettre la parole à François Brottes, j’aimerais évoquer l’Engagement national pour le Fret ferroviaire pris en 2009 par le Gouvernement d’alors. Il s’agissait de faire progresser la part modale du non-routier et du non-aérien de 14 % à 25 % à l’horizon 2022 avec, pour le rail, un investissement global de plus de 7 milliards d’euros. Le Conseil économique, social et environnemental a publié en février 2012 un rapport qui parle, sans détour, d’un abandon de cet engagement. Au-delà du constat, qui paraît incontestable, je souhaiterais recueillir votre sentiment.

M. le président François Brottes. La commission des affaires économiques n’a pas compétence pour les questions de transport et de fret. Elle a pourtant souhaité s’associer à cette table-ronde dans la mesure où l’organisation logistique est désormais un facteur clef de la compétitivité des entreprises. L’approvisionnement, la gestion des stocks, la réactivité à la demande de la clientèle dépendent directement de la qualité du système de fret. Il y a même un nouveau type d’opérateur qui se dessine, avec la tendance croissante à la sous-traitance logistique. J’aimerais être éclairé sur ce mouvement d’intégration de la chaîne.

Entre le bateau, le train et la route, la concurrence est rude. Dans ma région, on s’interroge par exemple sur l’opportunité de la liaison ferroviaire entre Lyon et Turin devant la baisse du trafic routier. Est-ce durable, passager, dû à l’offre de transport par bateau ? À l’heure où de lourds investissements doivent être confirmés, notre discussion ne sera pas inutile. Je me demande aussi si le cabotage n’est pas, finalement, l’ennemi du fret. On cherche toujours à limiter les ruptures de charge et les temps de stockage dans le processus de livraison. C’est un problème pour le fret massifié.

Enfin, le conteneur est devenu, au cours des dernières décennies, une donnée universelle. Cette norme s’est imposée d’elle-même, et c’est rassurant, mais cela pose question pour les infrastructures anciennes dont le gabarit n’est pas adapté – je pense particulièrement aux tunnels ferroviaires.

Voici pour mes questions, qui ne sont qu’un avant-goût de celles que nos collègues ne manqueront pas de poser en nombre.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je cède maintenant la parole à nos invités, que je remercie de se montrer aussi concis que possible.

M. Philippe Duong, directeur du cabinet Samarcande. Je tiens à remercier l’Assemblée nationale de me faire l’honneur de son invitation, et je vais tâcher de me montrer synthétique.

Le transport de marchandises n’a pour légitimité que d’assurer le service des entreprises et des territoires. Il s’oppose, sur ce point, au transport de voyageurs qui est au service des populations. Inscrire la question du fret dans le cadre d’un débat économique est donc tout à fait cohérent.

La logistique constitue l’intermédiaire entre l’économie et le transport. Selon toutes les études récentes, ses coûts représentent 10 % du PIB, soit 200 milliards d’euros en France. C’est donc un enjeu considérable : baisser les coûts logistiques d’un dixième équivaudrait à un gain de 20 milliards d’euros pour les entreprises. De surcroît, c’est un progrès assez facilement accessible, qui existe dans toutes les filières et dans toutes les activités, et qui présente de nombreuses vertus : il ne donne pas prise à des délocalisations, il ne provoque pas de suppression d’emplois, il s’accompagne d’une élévation des compétences et d’une réduction des gaspillages. Je verse cet élément dans les discussions sur la compétitivité.

Tous les chefs d’entreprises se soucient des charges et de la fiscalité, mais pas plus d’un sur dix cherche à gagner en efficacité logistique alors que les gains potentiels – jusqu’à 40 % des coûts – sont largement supérieurs, principalement dans les PME souvent en retard en la matière. J’irai même jusqu’à dire que c’est un combat aussi fondateur que la recherche et le développement dans les activités de flux.

Il est vrai que la logistique actuelle est soumise à des contradictions fortes. Dans un monde économique qui privilégie les flux tendus et les livraisons fractionnées, il est difficile de développer des transports optimaux – c’est-à-dire massifiés. C’est un paradoxe qu’il n’est pas facile de résoudre pour les modes alternatifs à la route, parfaitement adaptée à ces contraintes, mais auquel le commerce maritime apporte déjà une réponse à travers la conteneurisation.

Les entreprises sont le facteur principal de la compétitivité, mais ne négligeons pas le rôle structurant des pouvoirs publics dans le système de transport et dans la politique d’aménagement du territoire. Le bilan de ces dernières décennies n’incite pas à l’enthousiasme : on a laissé les entreprises s’installer à leur guise, sans prendre en compte les besoins de transport et les difficultés d’une massification des flux dans un contexte de dispersion des activités.

De plus, la logistique et le transport sont longtemps demeurés en marge des politiques publiques. J’y vois une des principales raisons de la perte de compétitivité des entreprises françaises et du déclin de nos activités industrielles. Les modes alternatifs à la route n’ont pas été soutenus et, d’ailleurs, la route non plus : le pavillon français a lourdement reculé parmi les transporteurs internationaux. L’État a manqué d’une vision intégrée entre transport et logistique, entre industrie et aménagement du territoire. Tout ceci amène à déplorer une approche lacunaire, dans laquelle le transport de marchandise est appréhendé à travers le prisme de l’aménagement du territoire – ce qui est la vérité, mais pas toute la vérité. L’interface avec l’économie n’a été pensée ni à l’échelon national, ni à l’échelon local.

Les politiques sectorielles de transport manquent de coordination. Nous avons une politique ferroviaire, une politique portuaire, une politique d’aménagement des zones logistiques. L’articulation avec les interfaces maritimes n’a pas été imaginée, et il en résulte un gaspillage colossal. L’évolution du fret ferroviaire est accablante puisque la moitié du trafic a disparu dans les années 2000. Quant au secteur maritime, alors même que la France compte le littoral le plus important en Europe derrière la Grèce, les indicateurs doivent alarmer : nous générons 1 700 conteneurs par milliard d’euro de production, contre 4 000 en Allemagne, plus de 7 000 en Espagne, 13 000 aux Pays-Bas et 21 000 en Belgique. Nous sommes donc très en-deçà du poids de notre économie.

Je terminerai par la désormais rituelle comparaison avec l’Allemagne. Dans sa politique de fret, elle a une vision cohérente : un plan logistique national décliné en volets ferroviaire, fluvial et portuaire extrêmement efficaces. Le rail et les canaux desservent notamment à la perfection les ports de Hambourg et de Brême. Cette articulation de la stratégie industrielle, exportatrice, entre le Bund et les Länder n’existe pas en France. S’il y a un bon exemple à prendre en Allemagne, c’est certainement celui-ci, plus encore que dans la thématique de la compétitivité. C’est un enjeu essentiel pour maintenir à flot notre économie et notre industrie dans les territoires. Notre vision des échanges et de la logistique doit connaître une véritable révolution.

M. Jean-Michel Genestier, directeur général adjoint de SNCF Geodis. La branche transports de la SNCF occupe la quatrième place en Europe, et la dixième au monde, avec un chiffre d’affaires cumulé de 10,5 milliards d’euros au total, dont 6,5 pour Geodis.

L’ensemble Geodis comprend plusieurs branches. La branche routière, avec la filiale Bourgey-Montreuil, constitue un élément essentiel de notre offre multimodale, tout comme le colis, pour lequel Calberson, avec ses camions, travaille au cœur de l’économie nationale. La logistique, avec 3 millions de m² d’entrepôts, va aujourd’hui bien au-delà du simple stockage. Nos équipes vont par exemple chez le client monter des pièces sur des chaînes automobiles, ou bien fournir des composants électroniques. Il s’agit d’un savoir-faire français, exportable à l’étranger. Cette palette d’activités comprend également une offre de commission de transport : il s’agit de prendre complètement en charge des marchandises dont nous assurons, depuis leur lieu de production, le convoyage, le dédouanement, mais aussi la mise en marché dans l’hexagone, en fournissant en matière d’acheminement à destination un conseil à forte valeur ajoutée à nos clients, tout en garantissant le report modal de leur flux de marchandises.

Le développement du transport de marchandises par le rail est un sujet de préoccupation, à la fois pour les pouvoirs publics, qui ont lancé un plan fret en 2011, mais aussi pour l’entreprise SNCF, puisque nous avons lancé en septembre 2009 un schéma directeur. Certes, Fret-SNCF perd de l’argent, mais notre objectif reste de rendre cette activité stratégique bénéficiaire en 2014. Notre offre se concentre autour de deux services : les trains entiers, très compétitifs sur la longue distance, particulièrement en matière de produits pondéreux, et le wagon isolé. Ce dernier métier, la messagerie ferroviaire, permet de former un système maillé de tri et de passage des wagons affrétés par nos clients, que nous sommes les seuls à exercer, pour l’orienter vers un service orienté « multi-lots » et « multi-clients », de façon à constituer des trains massifs, entiers, à partir des demandes de nos différents clients.

La réforme de FRET SNCF, qui suit son cours, vise à réduire à la fois les coûts et les tarifs. Les pertes de la société diminuent d’année en année, notre objectif étant d’atteindre l’équilibre en 2014. Dans cette perspective, l’ouverture à la concurrence, effective depuis le 31 mars 2006, reste un vrai sujet, car celle-ci a conquis, depuis lors, 30 % du marché. Cette évolution a été très rapide. En comparaison, l’Allemagne, avec une ouverture réalisée il y a une vingtaine d’années, n’a vu que 20 % du marché exploité par des acteurs privés. Sur le marché national, les nouveaux entrants ont sans surprise jeté leur dévolu sur les flux massifs, qui restent les plus rentables, plutôt que sur les flux locaux et son corollaire, le wagon isolé.

Le cadre social harmonisé reste un élément à prendre en compte : nos cheminots ne sont pas plus payés, mais ils sont moins polyvalents que leurs homologues de la concurrence. Cette situation nous handicape, notamment lorsque nous soumissionnons à des appels d’offres. J’observe que notre filiale VFLI, qui n’y est pas soumise, enregistre un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros et contribue, au même titre que sa maison-mère, au maintien du transport ferroviaire de marchandises dans notre pays.

Je ne peux pas ne pas évoquer la question de l’accès à l’infrastructure. Nous sommes en effet impactés directement par les travaux en cours sur les voies, dont nous ne contestons pas le bien-fondé, puisqu’il s’agit de maintenir et de moderniser les voies, mais également par la crise des sillons. Or ces sillons demeurent une condition essentielle de la fourniture en temps, en heure et à la bonne destination, des prestations souhaitées par notre clientèle.

Notre offre, via notre filiale Naviland, inclut également le transport combiné, qui associe au moins deux modes de transport différents. Il faut garder présent à l’esprit la prédominance, au plan mondial, du transport maritime de marchandises, qui représente 96 % du marché en tonne par kilomètre. Dans ce domaine, nous nous interrogeons sur la capacité de nos ports à organiser de façon pertinente leur hinterland, de façon à desservir au mieux les lieux de consommation.

J’en viens aux autoroutes ferroviaires, qui consistent à placer des camions sur des trains. Plusieurs enregistrent des résultats encourageants. L’autoroute alpine entre Aiton et Bassano, longue de 175 kilomètres, bénéficie d’une subvention de la France et de l’Italie qui assure son équilibre. La deuxième, longue de 1 050 kilomètres, relie le Luxembourg à la ville du Boulou à la frontière franco-espagnole : elle permet de convoyer 37 à 48 remorques par jour, grâce à trois rotations quotidiennes. Sa montée en charge en 2012 a évité à 52 000 remorques d’emprunter le réseau routier : nous contribuons, ainsi aux progrès du report modal, à la satisfaction des opérateurs rouliers.

Le ministère des transports a d’ailleurs récemment lancé l’autoroute ferroviaire dite de la façade atlantique, dont nous sommes délégataires. Pour conclure, les autoroutes ferroviaires représentent déjà, sur 30 gigatonne/kilomètre transportées en France chaque année, 1,6 gigatonne par kilomètre.

La complémentarité des différents modes de transports doit progresser, en mettant l’accent sur la pertinence de chacun d’entre eux. Il ne faut pas oublier que l’offre de transports qui émane des entreprises du secteur représente 1,1 million d’emplois, non délocalisables.

M. Philippe Deiss, président d’HAROPA. J’interviens aujourd’hui en qualité de président du directoire du Grand Port maritime de Rouen, mais également comme président — pour cette année — du GIE que les grands ports de Paris, Rouen et Le Havre ont mis en place après des décennies de méfiance, voire d’hostilité.

L’alliance HAROPA nous est imposée par l’évolution du contexte maritime international, marqué une explosion du trafic — on transporte aujourd’hui par mer trente-deux fois plus qu’on ne transportait en 1950 — et un mouvement de concentration autour de certains axes, autour de quelques ports et entre les mains de quelques armateurs majeurs.

Ces évolutions structurelles obligent les ports français à une mutation radicale. La réduction du nombre de destinations desservies exacerbe en effet la concurrence entre les différentes places, notamment au regard de leur offre de services. Par ailleurs, la massification des escales, qui vise à réduire le coût du transport à la tonne, conduit à une augmentation spectaculaire de la taille des navires et à une croissance concomitante des infrastructures et capacités d’accueil requises.

Mais on entend dire, de plus en plus souvent, que la bataille des ports se gagne à terre. C’est exact. Le coût du transport et de la logistique se partage en une composante maritime, une composante portuaire et une composante terrestre et, au regard du développement de ports de plus en plus massifiés, il faut que les dessertes terrestres en aval soient pleinement opérantes : à titre d’exemple, amener une tonne de céréales de Rouen jusqu’au Havre coûte aussi cher que d’amener cette tonne de Rouen à Alger et amener un conteneur de Dijon à Marseille représente la même charge que de l’amener de Marseille à Shanghai… La maîtrise des dessertes terrestres, la qualité des réseaux massifiés, les caractéristiques de l’offre et sa diversité, la densité des « haltes » potentielles sont donc devenues des enjeux majeurs.

Jusqu’à présent, priorité a été donnée par les pouvoirs publics au transport de voyageurs. Mais la compétitivité industrielle et logistique d’un pays passe par l’acheminement souple, fiable et rapide des frets. Nos concurrents, les ports du nord de l’Europe, l’ont compris depuis bien longtemps : ils sont excellemment desservis par leur hinterland, ils utilisent largement des modes massifiés pour maximiser les économies d’échelle et ils anticipent les évolutions à venir. Les ports français – et ceux de l’axe Seine n’y faisaient pas exception – ont longtemps souffert, inversement, d’un ensemble de faiblesses : absence de taille critique, mauvaise qualité des dessertes, contraintes d’organisation humaine significatives, etc.

La loi du 4 juillet 2008 a permis d’adapter les grands ports français à ce nouveau contexte. Indéniablement, la France adopte désormais un modèle nord-européen, dans lequel les opérateurs privés sont en charge du fonctionnement des services portuaires et de l’investissement, les établissements publics sont très fortement impliqués dans les problématiques de desserte terrestre, d’aménagement, d’environnement, d’animation et de portage de projets et dans lequel l’État défend les intérêts nationaux et définit une stratégie pour l’ensemble du territoire, au-delà des particularismes locaux. Les ports français bénéficient depuis cette date d’une nouvelle dynamique, qui doit leur permettre de reconquérir des parts de marché vis-à-vis de leurs concurrents — s’agissant des conteneurs, il faut avoir à l’esprit que le port d’Anvers est aujourd’hui le principal port de France…

La réforme de 2008 a également invité à mieux se coordonner, soit par façades, soit par axes. Cette coordination, qui est récente, est une tendance qui n’est pas propre au seul territoire français et il y a des exemples en ce sens au Canada, en Chine ou en Belgique. Sur une distance de 200 km, il y avait jusqu’à présent les ports de Paris, du Havre et de Rouen et Voies navigables de France, chacun avec sa politique de commercialisation, sa stratégie, ses investissements… Les clients, de leur côté, exprimaient des attentes fortes, demandant un service logistique de bout en bout, du Havre à Paris, et souhaitant n’avoir qu’un partenaire unique et intégré au lieu d’une multitude d’interlocuteurs. Ces mêmes clients demandaient une mise à niveau des équipements et des infrastructures et un transfert fluvio-maritime plus aisé. Ils faisaient également part de leur embarras face à certaines contraintes d’ordre réglementaire, technique, douanier ou contractuel.

L’objectif de l’alliance HAROPA est donc de pouvoir proposer une réponse globale et adaptée. L’alliance constitue aujourd’hui le quatrième complexe portuaire européen, soit 100 millions de tonnes en termes de trafic maritime — et 130 millions de tonnes pour le maritime et le fluvial. Nous disposons de quelques positions de force : premier port européen exportateur de céréales, premier port français pour les conteneurs — en dépit d’un rang international modeste —, second port fluvial européen, premier port intérieur mondial pour le tourisme, etc. L’alliance confère un positionnement tant national qu’international totalement novateur et nous donne une lisibilité sans commune mesure vis-à-vis de nos partenaires étrangers. Culturellement, une véritable révolution est en marche, avec son cortège de réticences à surmonter, tant au niveau des places portuaires que des personnels.

Le GIE a vocation à regrouper l’effort des trois ports dans plusieurs domaines. Il sera chargé d’élaborer une stratégie à l’horizon de 2030. Les équipes chargées des réseaux, de l’hinterland et de la multimodalité auront à contribuer à une redynamisation du transport ferroviaire, à accompagner le développement du trafic fluvial, à lancer des projets allant jusqu’à la distribution en milieu urbain. Il y aura également des équipes chargées de la politique commerciale, de la promotion et de la communication. Créé en janvier 2012, le GIE regroupe une centaine de salariés des trois ports, dans une structure unique qui n’est pas une holding, mais un outil, un service commun aux trois opérateurs. Au terme de quelques mois d’existence, plusieurs succès ont déjà été capitalisés en termes de visibilité internationale et de légitimité.

Notre vocation est donc de nous affirmer comme un hub maritime et logistique dans le « top cinq » européen, mais aussi de jouer un rôle de cluster industriel dans certains secteurs — chimie, agro-industrie, énergie, automobile, bâtiment et travaux publics… —, de faire de la Seine un territoire attractif pour l’économie des territoires et de devenir une référence en matière d’intégration des ports à leur environnement urbain ou naturel.

M. Patrick Bouchez, président-directeur général de l’Union des entreprises de transport et de logistique de France. L’Union des entreprises de transport et de logistique de France (TLF) est l’organisation professionnelle patronale qui couvre tous les métiers de la chaîne du transport de marchandises et de la logistique. Elle regroupe 6 000 entités : TPE, PME, grands groupes – 40 des 50 plus grands du secteur – et 14 syndicats affiliés, notamment dans le domaine portuaire, en métropole et outre-mer. Les entreprises adhérentes interviennent dans l’ensemble du secteur des transports : terrestre, aérien, maritime, multimodal (ferroviaire, fluvial) et dans la location de véhicules industriels. Alors que le transport multimodal était auparavant utilisé exclusivement par les grands groupes, il l’est de plus en plus aujourd’hui par des PME régionales ou familiales. Les entreprises deviennent elles-mêmes gestionnaires de flux et architectes de la chaîne du transport de marchandises, en proposant des solutions globales aux clients chargeurs. Nous sommes très ouverts à la complémentarité des modes de transport et à leur massification, car celles-ci présentent de nombreux avantages. Cependant, il faut garder une vision réaliste de la taille d’activité de ce secteur ainsi que des distances couvertes. Les entreprises d’organisation de transport, qui représentent 50 à 90 % du marché français selon les modes de transport, sont particulièrement attentives à nos analyses du secteur.

Le secteur du transport de marchandises et de la logistique est un secteur stratégique de l’économie française puisqu’il représente 800 000 emplois directs et 1,1 million d’emplois globalement, ainsi que 51 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Mais c’est un secteur qui souffre beaucoup. Il connaît plusieurs facteurs de faiblesse, en premier lieu sa dépendance aux variations conjoncturelles. Sur 36 000 entreprises adhérentes, les trois quarts ont moins de dix salariés et 7 % seulement ont plus de 50 salariés. Ensuite, le secteur est fortement exposé à la concurrence internationale, et ceci depuis de nombreuses années. La place de la France recule dans tous les modes de transport. Enfin, la fiscalité, qu’il s’agisse de l’énergie, des infrastructures, pèse fortement sur nos entreprises, à hauteur de 9 % sur 51 milliards de chiffre d’affaires, soit trois fois plus que la moyenne des secteurs d’activité en France.

Notre secteur dispose également d’atouts importants. Nos entreprises sont très réactives. « L’ascenseur social » fonctionne encore : le secteur embauche 30 000 personnes chaque année et les jeunes peuvent intégrer nos métiers à tous les niveaux de qualification, avec des perspectives d’évolution de carrière. Nos entreprises ont également fourni beaucoup d’efforts pour développer des solutions intelligentes de transport de marchandises, ainsi que pour mettre en œuvre des objectifs ambitieux de développement durable. A cet égard, de nombreuses entreprises ont signé des chartes volontaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au sein de TLF, nous menons des actions pour améliorer la communication sur ce type de démarche car les efforts du secteur ne sont pas assez connus. Par exemple, le grand public ignore qu’un camion porteur de 19 tonnes émet aujourd’hui moins de CO2 qu’une berline moyenne. Cela a été rendu possible par des évolutions technologiques considérables, mises en œuvre avec les constructeurs.

Nous souhaitons actuellement améliorer la compétitivité de nos entreprises et l’attractivité de la France car nous souffrons de handicaps par rapport à nos principaux concurrents, le Benelux, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. En outre, la France s’impose parfois plus de contraintes que ses concurrents européens car elle souhaite être exemplaire. Dans le domaine réglementaire, des progrès doivent être faits dans la direction d’une harmonisation des législations sociales et des transports. D’autre part, des infrastructures compatibles avec l’objectif de développement du transport multimodal sont nécessaires. Cependant, 75 % des marchandises transitant à moins de 150 kilomètres, il existe peu de possibilités de trouver des alternatives au transport routier qui soient économiquement viables et compatibles avec le développement durable. Enfin, l’environnement fiscal et économique doit être amélioré et nous sommes donc très sensibles aux mesures qui ont été récemment annoncées par le Gouvernement.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je souhaiterais poser deux questions à M. Emmanuel Delachambre : l’ « écotaxe poids lourds », qui va entrer en application en juillet 2013, aura-t-elle des conséquences en termes de report modal ? La mise en place des opérateurs ferroviaires de proximité, encore peu nombreux, peut-elle également avoir de telles conséquences ?

M. Emmanuel Delachambre, directeur général d’Euro Cargo Rail et membre de la Commission des affaires ferroviaires de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP). Je ne peux pas répondre à votre première question. Notre philosophie est de rendre le fret ferroviaire compétitif par lui-même, on ne compte pas sur la taxation des activités routières pour ce faire. Nous voulons démontrer que notre modèle économique est viable sur la durée. Le fret ferroviaire français doit trouver des réponses par lui-même. Notre préoccupation aujourd’hui est de faire rouler nos trains sur un réseau dont la qualité des sillons est très médiocre. Nous serons probablement rentables, pour la première fois, cette année. Tout type d’écotaxe incitera à un peu plus de report modal. L’avenir du fret ferroviaire en France passe par le transport combiné ; or à cet égard les signaux actuels sont mauvais. Il n’y a pas d’opérateurs de transport combiné assez forts.

Sur les opérateurs ferroviaires de proximité, je partage votre avis, Monsieur le président, sur le caractère insuffisant de leur nombre. La densité industrielle en France est nettement inférieure à celle de l’Allemagne, ce qui fait que la pertinence du fret ferroviaire est plus difficile à établir. Le modèle de l’opérateur historique, puis celui de la grosse PME qu’est Euro Cargo Rail, ont montré leurs limites sur certaines zones du territoire : il faudrait trouver un modèle nouveau, plus flexible. Il n’y a sans doute pas encore assez d’OFP, une dizaine actuellement, mais l’augmentation de leur nombre est une bonne évolution et une piste qu’il faut pousser. Il faut aider ce type de structure, car il y a bien un consensus pour dire qu’il faut davantage d’OFP.

M. le président François Brottes. Nous avons 26 demandes d’intervention, je vous prie de cibler vos questions, mes chers collègues, de manière à obtenir des réponses concises.

M. Gilles Savary. J’ai le sentiment que certes, il y a un problème du fret à l’échelle européenne, puisque la politique engagée dans les années quatre-vingt-dix n’a eu que des résultats ténus, mais qu’il y a une crise spécifique et violente du fret français. Les évolutions négatives sont bien plus fortes en France que dans d’autres pays. M. Jean-Claude Gayssot avait fixé un objectif de 100 milliards de tonnes-kilomètre, et on est aujourd’hui à 34 milliards de tonnes-kilomètre, soit à peine 12 % du fret qui circule en mode ferroviaire. De plus, dans la crise du fret, il y a une crise du fret SNCF : si la Commission européenne décidait de mettre en œuvre les règles en vigueur, Fret SNCF disparaîtrait, à cause des aides d’État qui sont versées.

Je souhaite vous interroger, Messieurs, sur les conditions d’une relance. Faut-il organiser des corridors, des lignes dédiées au fret comme l’a demandé l’Union européenne ? La France est un grand pays de transit. Sur la question des aides publiques et des obligations de service public, le « wagon isolé » est en train de disparaître, parce qu’il n’y a pas d’obligations de service public et parce qu’il n’est pas rentable. Il y a par ailleurs des conditions techniques : l’état du réseau classique est très dégradé, de mauvais choix ont été faits sur la base du projet de SNIT, des contournements urbains ne sont pas réalisés et constituent des « bouchons » pour la circulation du fret, comme l’illustre le cas de l’agglomération lyonnaise. Je déplore l’absence de projets et de réflexion sur ce point. S’agissant des conditions économiques, que pensez-vous du poids lourd 44 tonnes, et de la pression de la profession pour faire du « 60 tonnes » ? Enfin, faut-il en France un schéma directeur de logistique comme en Allemagne ?

M. Antoine Herth. Je souhaite souligner au nom du groupe UMP l’intérêt de cette table ronde, notamment sur la question du transport combiné qui revêt une grande importance.

J’appelle à une clarification de la situation d’un point de vue statistique. Il faudrait établir ce qui se passe réellement, regarder le fret de manière dynamique, ce qu’on transporte, d’où partent les chargements et où ils vont. On peut noter que les importations ont fortement augmenté.

J’ai plusieurs questions à vous poser. Tout d’abord, est-il possible de tirer un premier bilan du cadencement généralisé lancé en 2011 par la SNCF, pour dégager des sillons plus « lisibles » ? Quelle serait la bonne échelle pour établir un schéma directeur logistique ? Il faudrait évidemment en créer un au niveau national, mais ne doit-on pas également raisonner à l’échelle européenne ?

En ce qui concerne la taxe poids lourds, le budget que nous venons d’examiner chiffre son impact pour 2013 à hauteur d’une réduction de 300 millions d’euros de la dotation versée par l’État à l’AFITF : on est donc loin d’une révolution, mais ceci permettra de dégager des moyens supplémentaires pour des investissements.

Dans le secteur fluvial, quid du débat sur, d’une part, le canal Seine-Nord-Europe, et d’autre part sur la liaison Saône-Rhin-Moselle ? Quel est l’intérêt de ces projets ? Toujours en matière de transport fluvial, il convient d’attirer l’attention des présidents de nos deux commissions sur l’intérêt qu’il y aurait à réfléchir à une extension aux ports fluviaux du régime de la loi de 2008 relative aux infrastructures portuaires maritimes.

Enfin, sur le transport routier, quid du développement des filiales dans des pays où la législation sociale est moins sévère que la nôtre ? Il s’agit d’une tendance lourde, et je voudrais qu’elle soit évoquée dans nos débats.

M. Stéphane Demilly. Une politique de fret efficace ne peut fonctionner que si elle s’appuie sur trois piliers complémentaires et compétitifs : la route, le rail et le fluvial. Or, la compétitivité du transport routier et de marchandises est en chute libre. Sur ce point, il faut rappeler un certain nombre de réalités. La situation de ce secteur, qui emploie près de 400 000 personnes en France, est plus qu’inquiétante. Il y a eu 151 dépôts de bilan en octobre dernier, contre 108 en septembre, et on note une augmentation globale des défaillances de 13 % entre octobre 2011 et octobre 2012.

J’ai rencontré la Fédération nationale des transporteurs routiers, qui tient son congrès aujourd’hui et demain. Elle met en évidence quatre problèmes majeurs auxquels les entreprises sont confrontées. Premier problème : la taxe sur les poids lourds, qui doit entrer en vigueur en juillet 2013, va certes contribuer à diminuer les gaz à effet de serre, mais elle va également se traduire par une usine à gaz pour la répercuter au niveau des clients. Deuxième problème : le coût du travail, particulièrement lourd dans ce secteur, soumis à la concurrence internationale. Dans ce contexte, la décision de re-fiscaliser les heures supplémentaires va se traduire par une perte d’un mois de salaire pour les conducteurs et les entreprises ne seront pas en mesure de compenser la différence. Troisième problème : l’ouverture à la concurrence dans une Europe élargie, mais sans aucune harmonisation sociale. Les transporteurs français, qui doivent « laver plus blanc que blanc », ne peuvent lutter à armes égales avec leurs concurrents polonais ou roumains, qui n’ont pas les mêmes coûts salariaux, ni les mêmes contraintes réglementaires. Quatrième problème : la frilosité des banques vis-à-vis d’un secteur jugé à risques, ce qui fragilise nos entreprises, avec parfois l’impossibilité de trouver des financements pour rénover le matériel.

M. Franck Reynier. Notre Parlement s’est engagé, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, à améliorer l’efficacité énergétique sur deux volets, le logement et les transports, car il s’agit de gisements carbones importants.

Sur le volet transport, qui nous intéresse aujourd’hui, les transports de marchandises n’ont d’avenir que par la multimodalité.

Ma première question porte sur les infrastructures indispensables. Les orateurs précédents ont rappelé le caractère indispensable des infrastructures dans le domaine fluvial, mais il faut également ajouter les travaux de planification sur les volets routier et ferroviaire. Quelle est la volonté politique de réaliser les investissements indispensables sur ces infrastructures ?

S’agissant du transport routier, le pavillon français est en difficulté à l’international, mais également sur le territoire français où il souffre d’un déficit de compétitivité. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur les évolutions à apporter ?

S’agissant du fret ferroviaire, la France souffre d’un problème spécifique, visible au travers des pertes de la SNCF. Pourquoi l’offre commerciale proposée sur le rail ne séduit-elle plus ? La SNCF vous paraît-elle suffisamment réactive sur ce sujet ? Y a-t-il des rapprochements possibles entre RFF et la SNCF ?

M. André Chassaigne. Je souhaite revenir sur l’enjeu du report modal et sur la transition écologique. Nous ne pouvons rester corsetés par la seule approche de la compétitivité. Il y va du devenir de notre planète. Afin de prendre en compte les conséquences des émissions de CO2, il est nécessaire de définir une vision à moyen et long terme.

Il convient dès lors de réfléchir à des orientations. Comment rééquilibrer le trafic entre la route et le rail ? Comment prendre en compte les coûts d’entretien des infrastructures dans le transport routier pour opérer ce rééquilibrage ? Comment lutter contre le dumping social au niveau communautaire ? Comment lutter contre la concurrence déloyale du transport routier ?

Au regard de ces enjeux, le fret ferroviaire est d’intérêt général. Pourtant, le wagon isolé souffre d’une prise en charge limitée. Pour sortir de cette situation, des crédits doivent être affectés au maintien du wagon isolé. À défaut, il disparaîtra.

Le report sur la route du trafic de marchandises – on parle de 250 000 wagons de marchandises reportées sur le transport routier sur la période récente - est considérable. Face à cette situation, quelles sont les pistes de solutions ? Le décloisonnement des métiers entre services de voyageurs et de fret au sein de la SNCF permettra-t-il d’apporter une amélioration ?

Quel est l’avenir des OFP ? Devant l’échec des OFP, il y a des choix politiques à faire : leur maintien ou non. Une politique en faveur des OFP nécessite de s’en donner les moyens.

Les choix en matière d’infrastructure de transport, au travers du SNIT, peuvent-ils libérer des sillons en faveur du fret ferroviaire et nous permettre d’ouvrir des sillons en faveur des autoroutes ferroviaires ?

M. François-Michel Lambert. On ne peut se tromper devant la réalité. Il y a désormais une nouvelle politique industrielle à mettre en œuvre en France, avec, à la clé, 10 à 15 % de gains de productivité, et de 20 à 60 milliards d’euros de gains annuels pour nos entreprises – à comparer avec les 30 milliards de gain de compétitivité recherchés dans le rapport Gallois. Ces économies peuvent être réalisées au travers d’une baisse de la consommation d’énergie et d’une pression sociale et environnementale moindre.

La logistique se définit comme le pilotage des flux de marchandises dans le cadre d’une politique définie. Définir cette politique, c’est là la question. Partout en France, on ne trouve aucune trace d’une logistique intégrée, à la différence de l’Allemagne, qui a réussi sa mutation industrielle et définit une stratégie claire au travers d’un master plan logistique. La France voit ses territoires déstructurés et ne parvient pas à mettre en place de véritable stratégie.

Ne doit-on pas réfléchir à un master plan et logistique en France et intégrer la problématique de logistique dans un ministère, le SNIT n’étant pas mesure de prendre en compte les enjeux de structuration logistique sur le territoire national ? Quel peut être le rôle des collectivités locales dans cette structuration logistique ?

M. Joël Giraud. Pourquoi n’avons-nous pas, comme en Allemagne, un plan national pour la logistique et le transport des marchandises, inscrit dans une vision véritablement européenne ? Peut-on harmoniser les conditions de concurrence route-rail-fluvial et/ou envisager de déclarer le fret fluvial et ferroviaire d’intérêt général ? Sur les lignes non encore électrifiées, se pose la question des motrices en fin de vie et celle des politiques pertinentes à conduire en réponse. La même problématique affecte d’ailleurs les trains d’équilibre du territoire.

M. Olivier Falorni. Le Grenelle de l’environnement avait fixé de nouveaux objectifs en matière de fret, marquant une volonté de promouvoir les transports écologiques : il invitait en effet à faire passer la part modale du fret maritime et ferroviaire de 14 % aujourd’hui à 20 % en 2022. Il s’agissait d’offrir une alternative systématique à tous les transports routiers, plus performante et plus sobre en émissions de gaz à effet de serre. Trois ans après l’engagement national pour le fret ferroviaire (ENFF), qui devait appuyer la mise en œuvre des engagements du Grenelle, la réunion de la présente table-ronde était plus qu’opportune et j’en remercie les présidents des deux commissions.

Le transport de marchandises sur rail connaît une baisse continue depuis plusieurs années et le déséquilibre tend même à s’accroître entre le transport ferroviaire et le transport routier, en faveur de ce dernier. Comment enrayer cette dynamique négative, à ce moment charnière et à mi-parcours du programme d’action de l’ENFF ?

L’offre des opérateurs doit leur permettre de consolider, voire d’augmenter, leur part de marché sur les flux massifs, mais également sur le combiné – afin de transférer une part importante du transit routier vers le fret ferroviaire. Une étude réalisée dans le cadre des 3e Journées européennes du fret ferroviaire identifie une série de points à améliorer, afin de répondre à la demande des chargeurs : flexibilité du marché, lisibilité, fiabilité, meilleure adéquation avec les systèmes des donneurs d’ordre, etc.

Le rôle des commissionnaires doit donc évoluer, pour jouer celui de véritable intégrateur de la demande : les entreprises françaises de transport et de logistique sont-elles prêtes à relever ce défi ?

Par ailleurs, je voudrais souligner que les opérateurs ferroviaires de proximité (OFP) participent grandement à l’aménagement du territoire. Ils constituent le point d’ancrage du fret ferroviaire dans les territoires, au plus près des besoins des mondes industriel et agricole. C’est le cas, par exemple, de l’OFP La Rochelle – Maritime Rail Services, premier opérateur ferroviaire portuaire créé en France.

Après l’acquisition, par le Grand Port maritime (GPM), du réseau ferroviaire présent sur son domaine, ce sont près de 7 millions € qui ont été investis pour moderniser un réseau ferré long de 45 km, que le port a acquis auprès de RFF. Les dessertes vers les clients ont été fluidifiées et le raccord de chacun des terminaux de déchargement réalisé. Une modification en profondeur a également été menée pour assouplir l’exploitation de la circulation ferroviaire. Il s’agit donc d’un véritable outil d’accompagnement du report modal. L’OFP, filiale du Port atlantique La Rochelle et d’Euro Cargo Rail, poursuit ainsi son développement et propose une offre logistique ferroviaire plus large, incluant le transport de nouvelles marchandises. Après un trafic de deux trains par semaine en 2011, il enregistre un trafic d’un train par jour en 2012.

Quelles seraient les ambitions d’HAROPA quant à la mise en œuvre d’un outil comparable dans les ports membres du GIE ?

Il faut également évoquer la question de la mutualisation des infrastructures et la création de plates-formes logistiques dédiées et embranchées sur le réseau ferré. De telles plates-formes seraient de nature, à mon sens, à stimuler le fret ferroviaire et à favoriser le report modal : partagez-vous cette analyse ?

M. Philippe Duong, directeur de Samarcande. Plusieurs intervenants ont souligné la nécessité d’avoir une vision beaucoup plus globale du transport et de la logistique — au travers d’un master plan, d’un « schéma logistique » ou de tout autre instrument portant une vision nationale.

Je crois qu’il s’agit effectivement là d’une question fondamentale. Mais, à mon sens, avant de parler de « plan » ou de « schéma » — appellations vagues qui ne règlent pas tous les problèmes —, il faut avoir une vision d’ensemble de la place du transport et de la logistique dans l’organisation de l’économie et de la société françaises. Jusqu’à présent, nous avons trop souffert de l’idée selon laquelle transport et logistique étaient d’abord des questions d’infrastructures et, plus secondairement, d’implantation, de plates-formes, de sites, etc.

Je crois, au contraire, qu’il faut réaffirmer que le transport et la logistique n’ont d’autre légitimité que d’être au service de l’économie, des territoires et des populations qui y vivent. La question est donc de savoir comment articuler une vision de l’économie — y compris le développement de nouvelles activités, d’éco-industries, etc. — et une vision des transports et de la logistique. Il s’agit d’avoir une vision nationale, qu’il appartient certes au Gouvernement, au Parlement, aux experts d’élaborer… mais qui relève aussi des entreprises et des filières, puisqu’elles sont au cœur des flux générés. Cette vision doit ensuite se décliner territorialement, en termes d’infrastructures et d’implantations, domaines dans lesquels l’équilibre me semble clairement sous-optimal, les gaspillages gigantesques et les politiques inefficaces.

Il faut, à ce propos, regretter qu’une vision d’ensemble de l’aménagement du territoire fasse cruellement défaut en France depuis plusieurs années : le géographe de formation que je suis déplore, plus généralement, une certaine méconnaissance de la géographie économique de notre pays. Beaucoup en restent ainsi à l’idée que la France n’a guère changé depuis les débuts du XXe siècle, avec l’économie à l’Est et les campagnes à l’Ouest. Qui sait, par exemple, que les deux seules régions créatrices nettes d’emploi industriels jusqu’à la crise étaient la Bretagne et les Pays de la Loire… c’est-à-dire des régions parmi les plus défavorisées, notamment en matière de transport ferroviaire ? Si on posait différemment un certain nombre de problèmes — par exemple, la question de savoir pourquoi il n’y a pas de grand port sur la façade atlantique française, alors qu’elle représente un atout considérable pour notre pays —, on aboutirait à des questions intéressantes sur la manière dont se structure notre vision des relations avec le reste du monde et notre tropisme européen. HAROPA et Marseille ont des atouts exceptionnels, mais il manque bien un maillon sur la façade occidentale, dans une perspective d’aménagement du territoire qui ne soit pas seulement portuaire, qui engagerait une vision du développement économique et de l’intermodalité des transports.

La question des OFP est une question importante. Le concept « d’OFP » a permis d’asseoir une nouvelle vision du fret ferroviaire, c’est-à-dire la nécessité que ce fret irrigue les territoires — d’autant que certains ont été assez largement abandonnés par les grands opérateurs. Au-delà d’une nécessaire sensibilisation, je ne crois pas néanmoins qu’ils constituent la seule réponse possible : un opérateur comme la SNCF demeure, à mon sens, en capacité de capter du « fret diffus » dans les territoires.

Je suis un grand partisan du transport combiné rail-route, sans me faire néanmoins trop d’illusions. Il a des dizaines de milliers d’entreprises en France ; seules quelques milliers sont embranchées « fer » et il n’en ira pas différemment dans les prochaines années. Pour permettre au ferroviaire de capter potentiellement 100 % des flux, il faut en passer par le transport combiné rail-route. Mais le drame est que la France va totalement à contre-courant des évolutions observées chez nos voisins : le transport combiné connaît chez nous une crise encore plus forte que celle du fret conventionnel.

Il y a eu, dans les années soixante, une révolution dans le transport maritime à travers la conteneurisation. Si une révolution doit intervenir dans le transport ferroviaire, elle passera selon moi à travers le transport combiné rail-route. Mais un tel développement n’est pas envisageable sans un soutien des politiques publiques, aux plans national et local.

M. Jean-Michel Genestier, directeur général adjoint de SNCF Géodis. Je répondrai d’abord aux questions relatives au transport routier, qui suscite l’inquiétude de nombreux parlementaires.

La transposition de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services — dite « directive Détachement » — aboutirait à accroitre la compétitivité des transporteurs étrangers, au moins sur le segment français. Les entreprises françaises auraient à en souffrir et l’on voit bien, d’ores et déjà, un certain nombre de « tractions » captées par des chauffeurs de nationalité roumaine ou ressortissant de pays du centre et de l’est de l’Europe.

S’agissant des corridors ferroviaires européens, ces lignes potentiellement dédiées, il me semble qu’il y aurait là un important facteur de compétitivité globale : le transport ferroviaire trouve en effet sa pertinence sur la longue distance. La moitié des flux de Fret SNCF et Voies ferrées locales et industrielles passe au moins une frontière et pouvoir emprunter des corridors sur lesquels une priorité existe constituerait un atout important.

Contrairement à l’idée selon laquelle le « wagon isolé » aurait été abandonné par la SNCF, celui-ci existe bien dans une forme différente, notre offre « multi-lots, multi-clients ». Il y a aujourd’hui deux cent mille trajets de wagon isolé opérés par Fret SNCF sur l’ensemble du territoire : un wagon représentant le volume de deux camions, l’ensemble avoisine donc quatre cent mille équivalents routier. Mais il est vrai que le wagon isolé est en compétition avec la route et que seules des décisions majeures, sans doute de nature législative, seraient à même de renforcer la compétitivité du rail — un univers beaucoup plus contraint que la route, parfois plus onéreux, mais où les capacités d’emport sont bien supérieures : ce qui explique que de gros chargeurs comme Arcelor-Mittal, l’industrie automobile, l’agriculture ou les carriers continuent à y faire appel massivement.

Nous sommes favorables à un schéma directeur logistique national, à condition que celui-ci corresponde aux réalités économiques et prenne en compte la localisation des points de massification. Par le passé, il y a eu trop d’exemples de chantiers de transport combiné jamais opérés en raison de mauvais choix d’implantation.

Nous ne sommes pas opposés à la taxe poids lourds, qui peut permettre de financer des investissements dans les infrastructures, mais nous ne pensons pas qu’elle puisse permettre à elle seule le report modal. Compte tenu de la faiblesse des marges des transporteurs routiers, celle-ci risque de conduire à la disparition des plus petites entreprises. C’est donc un sujet sur lequel il faudra se montrer vigilant.

L’autorisation des camions ayant des capacités d’emport très élevées (44 et 60 tonnes) n’est pas cohérente avec une politique de report modal car ce mode de transport entre en concurrence avec le ferroviaire.

Nous souhaitons participer à la transition écologique, évoquée par M. André Chassaigne. Le transport combiné peut être un facteur de cette transition. Dans cette perspective, il faut s’interroger sur la position des autorités sur l’aide à la pince versée aux opérateurs de transport combiné, qui a été portée à 18 euros il y a deux ans. Il serait souhaitable de créer une mission d’information parlementaire sur le sujet plus large des équilibres économiques du transport combiné. Ces équilibres sont en effet très instables en raison des charges multiples qui pèsent sur ce secteur. Les autoroutes ferroviaires connaissent également des équilibres instables mais l’axe Bettembourg – Le Boulou a démontré sa pertinence économique.

Monsieur François- Michel Lambert, vous avez estimé que les acteurs de la logistique devraient arbitrer les décisions mais je considère que celles-ci relèvent de l’État. Il est nécessaire de pouvoir disposer de grandes orientations adaptées à l’économie, sur la base desquelles les logisticiens puissent mener leurs activités, elles-mêmes liées aux réglementations. Certaines posent des difficultés : par exemple, dans le cadre des plans de déplacement urbain, compte tenu du fait que le dernier kilomètre représente 40 % des coûts, les disparités de réglementation des collectivités dans les conurbations posent problème.

M. Philippe Deiss, président d’HAROPA : Les ports ont besoin des poids lourds pour les dessertes terminales. Ces derniers ne nous concurrencent que pour les très longues dessertes. Or la taxe sur les poids lourds ne limitera pas le recours aux poids lourds pour ce type de dessertes mais pourrait pénaliser l’acheminement court.

S’agissant du ferroviaire, les ports sont aujourd’hui propriétaires des réseaux portuaires, ce qui représente 45 kilomètres pour le port de la Rochelle et 120 kilomètres pour le port de Rouen. Avec la maîtrise des voies, nous devons assurer leur entretien et le développement de la desserte des terminaux. Certes, nous ne règlerons pas la problématique du fret ferroviaire en France mais nous pouvons contribuer à dynamiser la demande. Le principal problème est le manque de sillons horaires. Lorsque des travaux sont nécessaires sur une voie, par exemple la voie Paris-Rouen-Le Havre, ceux-ci ont lieu la nuit, afin d’éviter de pénaliser les voyageurs, ce qui en revanche pénalise le fret. A contrario, le développement de nouvelles infrastructures dédiées aux voyageurs libèreront des capacités pour le fret. Ce serait le cas pour la ligne Paris-Normandie. Cependant, il ne s’agit pas d’une solution miracle, l’existence d’un marché est une condition indispensable, ce qui est le cas pour les ports de la Rochelle et du Havre mais pas pour le port de Rouen.

Le fret fluvial a connu un développement important ces dernières années. À titre d’exemple, l’entreprise Ferrero fait circuler très fréquemment des conteneurs de 16 tonnes de Nutella de Rouen vers Paris.

Nous avons besoin d’aide pour le transport combiné, qu’il s’agisse du ferroviaire ou du fluvial.

Le canal Seine-Nord Europe est nécessaire, au même titre que toutes les nouvelles infrastructures, comme la ligne Paris-Normandie ou le contournement routier de Rouen.

Il existe deux grands ports fluviaux en France, Paris et Strasbourg, et de nombreux ports fluviaux de petite taille. Il n’est pas possible d’appliquer un même mode de gouvernance à l’ensemble de ces ports. S’agissant de Paris, une évolution vers une gouvernance fondée sur un directoire et un conseil de surveillance, ainsi qu’un conseil de développement, serait souhaitable.

Nous considérons qu’un schéma directeur national est un objectif pour nos trois ports.

Enfin, la situation de l’Allemagne a souvent été évoquée mais je tiens à souligner, à partir de mon expérience de président d’HAROPA, que la France peut aussi être un exemple.

M. Patrick Bouchez, président-directeur général de l’Union des entreprises de transport et de logistique de France. Monsieur Olivier Falorni, vous m’avez interrogé sur le rôle des commissionnaires de transport. Dans le domaine du transport multimodal, 80 à 90 % d’entre eux sont adhérents à la Fédération des entreprises de transport et de logistique de France (TLF). Les entreprises ont de plus en plus fréquemment recours à des solutions intégrées, allant de la conception et de la production des marchandises jusqu’à leur livraison finale. Nous travaillons avec l’administration des douanes pour la dématérialisation et la simplification des procédures, afin de développer cette approche intégrée.

L’intérêt de notre profession pour les 44 tonnes s’est manifesté avant 2008, dans une période de croissance des volumes de fret et de difficultés de recrutement. Le contexte actuel est très différent, les difficultés économiques et le poids des nouvelles contraintes dans le secteur (taxe nationale sur les poids lourds, obligation d’afficher les émissions de CO2) doivent inciter les pouvoirs publics à reporter l’autorisation de ce mode de transport, comme notre organisation l’a demandé.

La taxe sur les poids lourds constitue un des motifs majeurs d’inquiétude des entreprises du transport routier. Actuellement, la marge nette dans le transport routier est comprise en moyenne entre 1 et 1,5 % du chiffre d’affaire. Toute taxe, qui ne peut être répercutée, intégralement et immédiatement, sur le client-chargeur mettra en péril les entreprises du transport routier, compte tenu de ces marges.

Un camion sur deux en France est affrété par une entreprise adhérente de TLF. Au sein de nos adhérents, 40 % des entreprises sont actuellement dans le « rouge ». Parmi les 60 % qui sont dans le « vert », un tiers dégage un résultat d’exploitation positif grâce aux allègements de charges. Toute remise en cause des allègements de charges conduira à les faire basculer dans le rouge.

Concernant l’harmonisation sociale, TLF est demandeur de règles du jeu dans le transport routier, identiques à celles de nos concurrents communautaires limitrophes, et en particulier à un décompte du temps de service harmonisé, la France étant actuellement le seul pays où les chauffeurs ont un temps d’attente décompté de leur temps de travail.

S’agissant de la création de filiales à l’est de l’Union européenne, le secteur des transports routiers, où la tradition de sous-traitance est très forte, a une problématique spécifique en Europe. Les coûts salariaux représentent en effet 30 à 40 % des coûts de revient. Or, de 2000 à 2010, ces coûts salariaux ont augmenté en France de 20 %, contre 7 % en Allemagne. Devant le dérapage observé en France, le transport routier doit pouvoir disposer de filiales dans des pays européens compétitifs en matière de coûts salariaux, afin de gagner en compétitivité, et bénéficier de mesures de réduction du coût du travail pour sauvegarder l’emploi en France. Autrement dit, la sous-traitance doit être préservée, mais au bénéfice des entreprises et des emplois français.

M. Emmanuel Delachambre, directeur-général d’Euro Cargo Rail et membre de la Commission des affaires ferroviaires de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP). J’interviendrai sur 3 points. Premièrement, en ce qui concerne la qualité des sillons et l’effet du cadencement, à la question « le cadencement a-t-il aidé à dégager des sillons pour le fret ? », je répondrai par la négative.

La performance globale du réseau du fret ferroviaire n’a cessé de se dégrader au cours des 4 dernières années. Trois chiffres l’illustrent. En 2009, Euro Cargo Rail avait 71 % de ses sillons dans le cadre du changement de service. Pour 2013, nous allons avoir 47 % de réponses positives, soit un taux de perte de 24 % sur 2009-2013. RFF et la SNCF sont en effet soumis à une grave crise de fonctionnement, comme l’illustre le fait que chaque vendredi il manque à RFF 32 % des sillons nécessaires au trafic. Comment monter un plan de production hebdomadaire quand on ne sait comment acheminer un tiers des trains ? À l’opposé, en Grande-Bretagne, 85 % des sillons sont obtenus deux mois à l’avance.

Deuxièmement, sur la réforme de la gouvernance du réseau et face à la grave crise du fret ferroviaire en France, il convient de revoir les modalités de fonctionnement du secteur. Un combat semblait s’amorcer la semaine dernière entre RFF et la SNCF pour la conduite du leadership du réseau. La SNCF semble prendre ce leadership, mais quelle est l’ambition pour le réseau associée à cette réforme ? Je ne la vois pas. Deux mots semblent tabous concernant le fonctionnement du fret ferroviaire : la productivité et la qualité. Pour assurer la survie du fret ferroviaire en France, il faut désormais un plan de productivité et de qualité, avec des objectifs chiffrés pour le réseau. Seul l’État, patron de RFF et de la SNCF, peut mener à bien ce plan.

Enfin, l’harmonisation sociale. S’agissant du cadre social harmonisé, l’organisation du travail en France est régie soit par voie conventionnelle pour le transport routier, soit par un accord d’entreprise avec l’État pour la SNCF, qui prévoit des périodes de repos supplémentaires et donc des pertes de productivité imposées. À l’inverse, nos concurrents bulgares et espagnols ont des conditions de travail dictées par le marché. Le fret ferroviaire pâtit en France de conditions de travail imposées.

Nous réfléchissons actuellement dans un contexte français, alors que le débat est européen. Mon concurrent n’est pas l’activité fret de la SNCF mais le chauffeur routier bulgare, roumain ou espagnol, d’autant que la SNCF se voit imposer une organisation du travail qui, par nature, la place hors du marché. Ma préoccupation se situe dans le fait que des milliers de camions traversent la France de part en part plus rapidement, et à un coût moins élevé, que ne peut le faire Euro Cargo Rail. La situation qu’a connue le transport routier, avec une concurrence effrénée des pavillons étrangers, va prochainement toucher le transport ferroviaire. Or, nous prenons le chemin contraire en prévoyant par la loi des contraintes supplémentaires. Encore une fois, la discussion doit se dérouler en ayant à l’esprit le cadre européen. Le vrai sujet, s’agissant du cadre social modernisé, est d’aider la SNCF en allégeant ses contraintes dans l’organisation du travail. Sinon, l’activité de fret ne sera jamais compétitive et nous supporterons des coûts supplémentaires alors que le marché est en dépression. En résumé, nous faisons le contraire de ce qui est logique : il nous faut un choc de compétitivité, au plan social et, je pèse mes mots, un choc de productivité sur le réseau français.

M. le président François Brottes. Merci… L’intérêt d’une table ronde comme celle d’aujourd’hui est de pouvoir s’exprimer en toute liberté.

M. Dominique Pottier. Je partage l’avis général de la nécessité d’une planification nationale. Dans ce cadre, quelle place donneriez-vous au Sud de la Lorraine et à l’Ouest de Nancy ? Pour répondre à mon collègue Jean-Michel Lambert, les gains de productivité se situent plutôt sur 30 ans, mais j’aimerais vous interroger sur les progrès que nous pouvons accomplir dans les trois prochaines années, notamment sur les pistes suivantes : peut-on obliger les concessionnaires qui opèrent sur de grands sillons à travailler sur une échelle de proximité et peut-on mettre en place une fiscalité favorable aux OFP ?

M. Dino Cinieri. Mon collègue Georges Fenech s’associe à ma question, qui porte sur le contournement de l’agglomération lyonnaise, dont le tracé menace le parc du Pyla et des terroirs classés en AOC. Le tracé semble avoir été fixé arbitrairement. Y a-t-il possibilité de le modifier ? Il met en péril des activités économiques essentielles, et porte la menace de futures nuisances sonores.

M. Jean-Christophe Lagarde. J’évoquerai le transport de matières dangereuses, ces dernières transitant par des centres de tri proches des habitations, comme au Bourget. Les risques d’accidents sont nombreux. Pour reprendre l’exemple du Bourget, où un incident s’est récemment produit, le danger menace 150 000 à 200 000 personnes. En conséquence, que pensez-vous d’une limitation par la loi ou par décret du transport routier de marchandises dangereuses au seul cabotage ? Les chargeurs devraient assurer le reste du trafic par fret ferroviaire, ce qui permettrait de regrouper les marchandises hors des zones urbanisées denses. Si vous jugez qu’il n’est pas possible d’imposer règlementairement une telle solution, pourquoi ne pas développer – par exemple en Île-de-France avec Roissy – des plateformes qui regrouperaient et évacueraient les matières dangereuses hors de ces zones urbaines ?

M. Patrick Carvalho. Je voudrais connaître les raisons du déclin du fret ferroviaire. Quelle analyse peut-on nous livrer sur ce point ? On nous parle de 3 millions de capacités de stockage. De quelle manière envisage-t-on d’en tirer parti ? Peut-on aussi nous expliquer comment de grands groupes européens utilisent la SNCF dans leur pays mais lui tournent le dos en France et se reportent sur la route ? Enfin, nous évoquons le transport ferroviaire et fluvial, mais quand ferons-nous acquitter les professionnels du transport routier du coût réel du transport routier ? Ce sont actuellement les conseils municipaux et généraux qui l’assument.

M. Denis Baupin. Je voudrais aborder la question de la logistique urbaine. Certes, une planification nationale est nécessaire, mais il lui faut une déclinaison locale, avec des embranchements et des entrepôts… Si je prends l’exemple de Paris, nous sommes parvenus à un accord avec la société Monoprix pour que ses marchandises arrivent par fret ferroviaire dans la capitale, grâce à l’existence d’entrepôts judicieusement placés. Cette coordination entre niveau national et niveau local est indispensable. Je souhaite en conséquence que les collectivités territoriales aient compétence sur le transport local de marchandises.

Par ailleurs, je voudrais revenir sur le rapport de la Cour des comptes, qui, dans le dossier de la liaison entre Lyon et Turin, a appelé à une meilleure utilisation des infrastructures existantes. Enfin, puisque notre collègue Jean-Christophe Lagarde a évoqué les matières dangereuses, nous devrions nous pencher sur le transport des déchets nucléaires, qui traversent nos agglomérations aux heures de pointe.

M. Philippe Kemel. L’ensemble des interventions montre bien qu’il y a une nécessité de reconsidérer la politique du fret de manière globale. La logistique constitue l’outil principal de la stratégie de développement économique, mais n’a-t-elle pas été conçue dans l’intérêt des distributeurs plutôt que dans celui des industriels ? L’on sait également qu’il faut améliorer la qualité des infrastructures du fret ferroviaire : des projets sont envisagés, comme des lignes à grande vitesse. S’agissant du cabotage, nous en constatons les conséquences sur le transport routier… Puisque nous allons mettre en place un crédit d’impôt pour tenir compte de ces problèmes de compétitivité, peut-on avoir une différenciation de ce crédit d’impôt en fonction des secteurs les plus exposés ?

Mme Sophie Rohfritsch. Nous avons peu évoqué lors de cette table ronde la question du dernier kilomètre. Or, c’est l’ensemble de l’organisation urbaine qui y est liée. Les transports en ville sont à l’origine d’un tiers des émissions de gaz polluants ; or ils continuent de se développer avec l’essor du commerce électronique. Cette question a par ailleurs un lien avec l’écotaxe. La fédération des transports routiers a fait part du risque de perte de compétitivité. Puisque tous les produits vont être dans le champ de cette taxe, c’est le consommateur final qui sera pénalisé. Quelle est la position définitive du Gouvernement, qui annonce qu’il va la simplifier, puis la renforcer à partir de 2014 ?

M. le Président François Brottes. Je rappelle que le Gouvernement n’est pas présent aujourd’hui…

Mme Frédérique Massat. Je regrette que RFF ne participe pas à notre table ronde… Je me réjouis par ailleurs des propos que j’ai entendus sur le wagon isolé, même si ce n’est pas la perception qu’en ont les acteurs économiques dans nos territoires. S’agissant de la taxe sur les poids lourds, il va falloir se mettre d’accord. Si l’on veut développer le fret ferroviaire, il faut mettre en place des outils pour qu’il y ait moins de camions sur nos routes. La future écotaxe sera un moyen, mais pas le seul. M. Guillaume Pepy, au Sénat, a appelé à la mise en place d’une fiscalité écologique rééquilibrant la route et le rail.

Mme Geneviève Gaillard. Des investissements importants doivent être programmés sur les lignes à grande vitesse et sur l’ensemble du réseau. Ne pensez-vous pas que le risque d’augmentation des péages de RFF annule les effets attendus de l’écotaxe ? S’agissant de la façade atlantique, évoquée par M. Philippe Duong, il y a des projets, notamment celui du port de La Rochelle. Sachez que les collectivités publiques s’impliquent beaucoup dans ce projet. Il nous manque 40 km de doublement de voie et il nous reste quelques secteurs à électrifier. En l’état, pensez-vous que ce projet puisse aboutir et bénéficiera-t-il de la considération qu’il mérite ?

M. Jacques Kossowski. Dans une note du Centre d’analyse stratégique, en septembre 2012, il était proposé d’étendre les réseaux complémentaires à la route, celle-ci n’offrant pas, contrairement au fluvial et au ferroviaire, de disponibilité permanente. Il était aussi suggéré d’accroître l’ouverture et la disponibilité du réseau ferroviaire au fret, sur des tranches horaires à la fois plus tardives et plus matinales, ainsi que celle du réseau fluvial, 24 heures sur 24, en privilégiant l’automatisation des écluses. Qu’en pensez-vous ?

M. Michel Sordi. Je voudrais rappeler à notre collègue écologiste, que j’ai entendu tout à l’heure « grimper au rideau », que mon plus grand regret remonte à 1997, lors de l’abandon de liaison Rhin-Rhône grand gabarit, alors même que tous les terrains avaient été achetés et les financements finalisés.

Les décisions d’implantations sont prises, par les chefs d’entreprise, en fonction de la main d’œuvre et de la qualité de l’offre de formation, mais aussi des aides financières dont ils peuvent bénéficier de la part des régions, et qui sont variables. J’entends bien votre discours à ce sujet, mais échangez-vous avec les grosses collectivités et les chambres de commerce et d’industrie, car il me semble qu’il y a là un problème d’information ?

S’agissant des ports, dans ma circonscription, une entreprise a renoncé à s’implanter à Marseille du fait des grèves répétées des dockers. Ce problème reste-t-il d’actualité ? Une autre, dans ma commune, utilisait, grâce à une « aiguille » qui la relie au réseau, un wagon isolé pour lequel RFF lui demandait 12 600 € par an de maintenance. Elle a dû se rabattre sur la route.

Quid du service et de la ponctualité, à la fois dans nos ports et sur notre réseau ferré ? Disposez-vous d’indicateurs permettant de les mesurer ?

M. le Président François Brottes. Je précise que notre collègue Germinal Peiro, auquel je cède la parole, interviendra cet après-midi en Commission des affaires économiques, sur la réforme de la PAC.

M. Germinal Peiro. En effet. Concernant le transport routier, le crédit d’impôt va-t-il constituer une réponse à la compétitivité des entreprises ?

Je prends un exemple local pour en tirer une conclusion nationale. Dans le Sud de la Dordogne, les ressources tirées du massif forestier ont été transportées, pendant plus d’un siècle, par la SNCF. Or, nous avons assisté, depuis le début des années 1990, à des fermetures progressives de gares. Malgré l’investissement réalisé par les collectivités locales dans un nœud ferroviaire, à la demande de l’opérateur historique, celui-ci a désormais cessé de transporter ce bois.

Une grosse papeterie de la région, qui achemine sa pâte à papier depuis le port La Rochelle en train, ne peut plus utiliser le rail pour expédier ses produits finis depuis son usine, pour des raisons de coût.

J’en conclus que depuis vingt ans, le fret, plus on en parle, moins on en fait. Sur les petites distances, la bataille n’est-elle pas d’ores et déjà perdue, sauf à trouver des solutions tout à fait marginales ?

M. Jean-Marie Sermier. Je retiens de nos échanges que coexistent désormais, dans le domaine du fret, un secteur, la route, ultra-libéralisé, prêt à toutes les évolutions et qui se développe, et un autre, le rail, très protégé avec un opérateur historique, qui s’effondre d’année en année.

En matière de cabotage au sein de l’Union européenne, il me paraît nécessaire d’évaluer précisément les décisions qui viennent d’être prises, afin de s’assurer qu’elles n’auront pas comme conséquence de confronter nos entreprises à une concurrence déloyale.

S’agissant de la mise sous tutelle de RFF par la SNCF, je m’interroge sur le bien-fondé de cette opération, du point de vue de l’amélioration de l’organisation du fret et de l’ouverture de sillons à la concurrence.

M. Michel Lesage. Compétitivité des entreprises et développement des territoires passent désormais par une amélioration constante de l’offre de service logistique et de transport. Or certains territoires excentrés, comme ceux de l’Ouest, dont la Bretagne, restent à l’écart de celle-ci. Dans cet espace, le tonnage transporté par rail, déjà faible au départ, a même régressé ces dernières années, puisqu’il ne représente plus que 1,4 % du total national ! L’absence d’adéquation entre l’offre de fret ferroviaire et la demande des entreprises, tant sur la plan géographique qu’économique, reste la principale explication ce déclin. Cette inadéquation se traduit concrètement par la suppression de dessertes, par la fermeture au wagon isolé de certaines gares et par la hausse des tarifs, mais également par le non-respect des délais. Dans ce contexte, quelles réponses peut-on apporter qui permettent une véritable relance du fret dans ces régions ? Les entreprises, comme les collectivités locales concernées, les attendent avec impatience, et elles ne pourront se satisfaire d’une simple offre d’infrastructures.

M. Claude de Ganay. En remerciant les intervenants de la franchise de leur propos, je voudrais évoquer le cabotage européen, qui, associé à l’alourdissement du prix de l’essence et des péages, fragilise la situation économique des entreprises de transport. Le transport multimodal, en complément du transport routier de marchandises, représente une piste intéressante. La France est relativement en retard sur ces voisins européens qui ont intégré ces dispositifs avec succès. Je souhaitais donc voir précisée notre stratégie en matière de report modal, notamment en matière de contrats-type et d’autoroutes ferroviaires.

M. Philippe Duong, directeur de Samarcande. J’ai été interrogé sur les raisons du déclin du fret ferroviaire, et la principale est à mon sens à chercher dans l’absence de politique publique en la matière. Paradoxalement, le succès de la branche voyageurs et son exceptionnel développement, qui supporte très bien les comparaisons internationales, démontre l’efficience d’une stratégie définie sous l’égide de l’État et partagée par les opérateurs.

S’agissant du port de La Rochelle, je ferais la même réponse à Geneviève Gaillard qu’à Michel Lesage sur le grand Ouest : je ne dispose personnellement d’aucun moyen de financement ! Les modalités de passage à une massification des flux passe, sur ces territoires, par l’étude de la spécificité de chacun d’entre eux, puis par la mise au point d’un modèle qui n’existe pas encore. Bien entendu, le combiné rail-route constitue une des réponses aux défis auxquels ils sont confrontés.

Le choix par les entreprises de leur implantation leur appartient totalement. Mais cette liberté – j’ai beaucoup travaillé, pour répondre à Michel Sordi, sur le sujet avec diverses chambres de commerce et d’industrie – s’exerce naturellement compte tenu des politiques d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Les collectivités locales l’influencent dont largement.

À la décharge des entreprises ferroviaires, on ne leur a pas facilité la tâche depuis 1950 : on a disséminé des zones d’activité un partout sur le territoire, sans prendre en compte les contraintes des opérateurs ferroviaires, ce qui constitue aujourd’hui un obstacle à l’optimisation de leur activité. Réfléchir sur nos implantations économiques implique de prendre en compte l’accès aux réseaux, condition sine qua non de la rationalisation des flux.

Le transport fluvial bénéficie certes d’une évolution dynamique, mais récente. Il pâtit de plus d’un problème lié à l’interconnexion, notamment dans le grand gabarit, ce qui est vrai pour le Rhin comme pour le Rhône. Le développement des infrastructures – je pense naturellement au canal Seine-Nord-Europe – est très coûteux : il implique selon moi un choix politique qui devra arbitrer entre celui-ci et la modernisation du réseau ferré.

La logistique urbaine revêt une importance stratégique : le dernier kilomètre, que Sophie Rohfritsch a évoqué, représente en moyenne 40 % du coût du transport d’un bien. Au bout de la chaîne, nous vivons une véritable schizophrénie : en tant que consommateurs, nous voulons que le réfrigérateur – dont nous avons étudié le prix pendant un an – que nous venons de commander nous soit livré en 48 heures, et en tant que citoyens nous pestons contre les nuisances générées par les contraintes de livraison. Les opérateurs de transport doivent y travailler avec les collectivités locales, mais aussi avec les distributeurs, les commerçants et les consommateurs. L’exemple du « train Monoprix » en région parisienne ne serait pas transposable à Poitiers ou à La Rochelle. Faire arriver un train de marchandises en centre-ville n’est aujourd’hui pas rentable, mais l’entreprise qui en a pris l’initiative en tire des bénéfices certains en termes d’image.

M. Jean-Michel Genestier, directeur général adjoint de SNCF Geodis. Il faut garder à l’esprit que les opérateurs répondent à des clients. On ne peut évoquer la baisse du trafic ferroviaire de marchandises sans pointer les effets de la crise économique qui ont affaibli les flux.

Madame Geneviève Gaillard a parlé de report modal en région, notamment dans l’ouest du pays. L’État a accepté le principe d’une autoroute ferroviaire atlantique, entre Dourges et Tarnos, qui traversera notamment la région Poitou-Charentes, dans un délai de deux ans.

Le transport fluvial représente de lourds investissements et il ne peut s’opérer que sur les bassins du Rhin, de Saône et Moselle, du Rhône et de la Seine. Nous sommes prêts à nous engager, mais il faudra prendre garde à édifier des plateformes multimodales qui soient performantes et relativement distantes les unes des autres.

Le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise se réalisera en deux phases dans un temps assez long. C’est un immense enjeu pour faciliter les acheminements entre nord et sud ainsi que vers l’Italie. Nous n’avons pas à nous prononcer sur le tracé qui sera retenu, et moins encore sur le contenu du dialogue avec les populations locales.

Jean-Christophe Lagarde a soulevé la question des matières dangereuses. La loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003, dite loi Bachelot, relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, impose la conduite d’études de danger sur les sites de transit routier ainsi que sur les gares de triage. Celles-ci sont en cours. Toutefois, il faut savoir que leur résultat aura un impact direct sur la constructibilité des terrains. S’il fallait effectuer le tri des matières dangereuses dans un lieu et celui du reste des marchandises dans un autre, le surcoût engendré nous ferait sortir du marché. On ne pourrait plus opérer ces transports par le rail. C’est à l’État que reviendra la décision, mais il faut admettre qu’un report des flux vers la route, à l’opposé des ambitions environnementales, n’est pas à exclure.

En ce qui concerne la logistique urbaine, c’est pour elle que nous avons créé notre filiale Distripolis. Il existe aussi un projet européen à Lyon. Mais tout ceci a un coût, qui doit être accepté par le client. Quand on parle du train Monoprix, qui entre dans Paris pour confier ses marchandises à des camions propulsés au gaz, il génère un surcoût logistique accepté à la suite d’une analyse marketing. Ne faudrait-il pas imaginer une réglementation, une labellisation propre à valoriser les démarches de ce type auprès du consommateur final ?

Le wagon isolé ne peut exister partout ; il suppose des plateformes propres à collecter les marchandises pour affréter ensuite des trains vers d’autres plateformes. Je concède qu’il n’y a rien de tel en Ariège : nous ne pouvons pas aller partout, au risque de déficits trop importants.

Une question concernait Cernay et le Haut-Rhin. Je répondrai ultérieurement au parlementaire car je n’ai pas les éléments de réponse à disposition.

La filière bois a fait l’objet de lourds investissements dans la foulée de la tempête de 1999, pour des gares spécialisées qui n’ont quasiment pas été utilisées – sans doute parce que leur emplacement n’était pas idéal. Le bois, comme les autres marchandises, doit être massifié : c’est à la filière qu’il revient de s’organiser, et nous sommes prêts à l’accompagner. Toutefois, les derniers résultats indiquent que nous subissons des pertes qui atteignent 75 % du chiffre d’affaires dans ce secteur.

En ce qui concerne la desserte de la Bretagne, je répète que massifier le transport implique d’avoir à transporter des marchandises et des industries à desservir. Seule la filière d’alimentation du bétail présente les caractéristiques économiques correspondant à un acheminement ferroviaire. Ce sont d’ailleurs des marchés qui ont été gagnés par notre concurrent.

La nation doit poser un regard attentif sur les autoroutes ferroviaires pour identifier les tracés les plus pertinents. Ce ne sont pas forcément les ports, comme je l’ai souvent entendu, mais plus sûrement là où existent des flux routiers considérables : je pense, par exemple, à Calais et au trafic de poids lourds qui transite vers la Grande-Bretagne.

Je crois avoir répondu à toutes les questions. Je ne souhaite pas m’étendre sur les matières nucléaires, pour lesquelles j’indiquerai simplement que la sécurité du transport fait l’objet d’une attention extrême, non seulement de notre part, mais aussi des opérateurs et des pouvoirs publics.

M. Patrick Bouchez, président-directeur général de l’Union des entreprises de transport et de logistique de France. Pour ce qui concerne le crédit d’impôt qui vient d’être annoncé par le Gouvernement, les entreprises françaises de transport routier ne peuvent naturellement que l’accueillir favorablement, lors même qu’elles auraient probablement préféré un système d’allègement de charges, qui aurait présenté l’avantage d’être plus simple et plus efficient à court terme. Leur attention se concentre donc désormais sur les questions de la date d’effet de la mesure — eu égard à la situation économique très dégradée du secteur du transport de marchandises — et des éventuelles conditions d’accès au dispositif.

Pour ce qui concerne le cabotage, et après interpellation de la Commission européenne sur ce sujet, il n’apparaît pas possible d’obtenir un élargissement total de celui-ci à compter de 2014 s’il n’y a pas, au préalable, un minimum d’harmonisation sociale et fiscale entre les États. À défaut, il y a fort à parier que nous aurions à compter nos morts en France…

Un parlementaire s’est demandé à quelle date on taxerait « enfin » les transporteurs routiers pour l’usage des infrastructures qu’ils utilisent. Je lui rappellerai simplement que, sur 51 milliards d’€ de chiffre d’affaires du secteur transport et logistique, la fiscalité globale sur celui-ci ne représente pas moins de 4,7 milliards d’€, soit 9 % et à peu près trois fois la moyenne de tous les secteurs d’activité en France. Sur les carburants, les infrastructures et les implantations logistiques pèsent donc d’ores et déjà un prélèvement extrêmement lourd, qu’il faut rapprocher de la modestie des marges constatées dans le secteur du transport routier de marchandises, qui sont comprises entre 1 et 1,5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. Eu égard au fait que 40 % d’entre elles sont aujourd’hui dans le rouge, il faut bien réfléchir aux décisions qu’on prend et qui intéressent ce secteur. De manière courageuse et pragmatique, le Président de la République a récemment déclaré que l’année 2013 verrait le constat renouvelé d’une progression du chômage et du nombre de demandeurs d’emploi : il faut prendre garde à ne pas accélérer un tel mouvement par des initiatives malheureuses.

M. Emmanuel Delachambre, directeur général d’Euro Cargo Rail. De nombreuses questions ont été posées sur la nécessité d’une initiative, d’un « master plan », d’un schéma directeur pour le secteur du transport de marchandises.

Je pense que nous avons effectivement besoin d’un tel plan pour faire rebondir le secteur. Mais il ne m’apparaît pas que les conditions pour décider de ce plan soient aujourd’hui réunies. Du point de vue de l’État, le secteur apparaît en effet essentiellement consommateur de crédits publics : la dette de RFF dérive et l’entité n’a pas démontré sa capacité à répondre aux attentes des entreprises de fret ferroviaire ; quant à l’activité de fret au sein de l’EPIC SNCF, elle perd massivement de l’argent. On brûle donc de l’argent chaque année et, tant que ces deux sujets ne seront pas traités par des décisions de l’État — en application de règles simples de bonne gestion pour rééquilibrer les comptes, du côté de RFF, et en permettant à la SNCF de revenir sur certains taquets d’ordre réglementaire — il est vain d’espérer pouvoir se doter d’une véritable planification stratégique.

Un plan nécessite de pouvoir mobiliser des moyens d’investissement et le secteur ne fait aujourd’hui aucunement la démonstration de sa capacité à l’appliquer et ainsi lui conférer une certaine profitabilité.

Un tel investissement est pourtant absolument nécessaire, dans plusieurs domaines. Il faudrait ainsi réussir à mieux connecter les ports au réseau et satisfaire le besoin manifeste de terminaux intermodaux performants, en mesure de traiter efficacement les containers maritimes — puisque c’est ainsi désormais qu’on transporte les marchandises de par le monde. Parier sur la conteneurisation et le transport intermodal sont des orientations de bon sens : c’est à la fois favorable au transport routier — la marchandise arrive presque toujours chez le client et en repart par la route — au transport ferroviaire – celui-ci couvre l’essentiel des distances à parcourir – et à la collectivité – le bilan-carbone est largement positif, les nuisances sont maitrisées, etc. Il n’y a donc aucun doute quant au point de savoir s’il s’agit de la bonne réponse : c’est une certitude.

C’est pourtant une évolution inverse qu’on observe : un certain nombre de terminaux intermodaux ferment – ou vont fermer dans les prochains mois – et leur liste est déjà connue. L’offre tend à se réduire et l’investissement n’est plus suffisant pour assurer leur remplacement ou leur modernisation.

Une autre bonne idée qui a été évoquée est celle de la logistique urbaine et du « dernier kilomètre ». L’exemple de Samada et du « train Monoprix » est pleinement probant : c’est exactement ce qu’il faut faire. Cette réussite a reposé sur une opportunité extraordinaire : la présence, dans le patrimoine de la SNCF, d’un entrepôt situé à proximité immédiate de la gare de Lyon. Il me semble donc urgent de réserver, autant que faire se peut, des surfaces foncières dans le cœur des villes. D’ici quinze ou vingt ans, lorsque les sujets du coût du carburant ou du coût du carbone auront pris une acuité particulière, pourront y être construits des entrepôts à partir desquels seront livrées les zones urbaines très denses. Le « grand Paris » est, dans cette perspective, un vrai sujet de préoccupation — comme Lyon ou Marseille, d’ailleurs. Mais il faut qu’entretemps les collectivités territoriales fassent preuve de suffisamment de responsabilité et de retenue pour ne pas céder ces espaces à la pression de la demande foncière.

Tant que n’auront pas été traitées un certain nombre de questions fondamentales comme la productivité du réseau et le retour à l’équilibre de RFF et de la SNCF, l’État n’a donc aucun intérêt objectif à investir avec un argent qu’au demeurant il n’a pas. Mais d’un autre côté, si nous n’agissons pas maintenant, nous et nos enfants le regretteront dans vingt ans.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie l’ensemble des intervenants pour l’intérêt des échanges que nous avons eus avec eux. Il me semble que se dessinent, en filigrane, un certain nombre d’actions et de propositions.

Je retiens notamment des discussions que la France souffre aujourd’hui de l’absence d’une véritable politique d’aménagement du territoire et que, si nous voulons demain mettre en place un plan logistique national, une telle politique constitue un préalable nécessaire. Il se pourrait que « l’acte III de la décentralisation » puisse constituer, de ce point de vue, un moment important de réflexion pour le Gouvernement et le législateur.

Les problèmes de la modernisation des infrastructures ferroviaires et de la disponibilité des sillons sont clairement apparus : il y a là de véritables goulots d’étranglement. Dans le cadre de la réflexion aujourd’hui organisée par le ministère sur le schéma national des infrastructures de transport, des décisions fortes devront être prises, et je crois qu’il faut avoir le courage de dire que, demain, nous ne pourrons pas allonger la liste des lignes à grande vitesse. Il faudra en rester aux projets déjà en cours de réalisation, et les efforts supplémentaires devront privilégier la modernisation du réseau existant.

Pour ce qui concerne la SNCF, le ministère porte aujourd’hui un projet ambitieux. Il est notamment question de créer un groupe unifié des infrastructures, ce qui constituerait un progrès indéniable, et d’y intégrer un pôle ferroviaire unifié. J’ignore, à ce stade, si le projet de loi envisagé dans les mois prochains répondra complètement à vos interrogations, mais je crois que les difficultés soulignées sont prises en compte et que le Gouvernement a la volonté politique d’aboutir.

S’agissant, en dernier lieu, de l’autorisation de circulation des poids lourds de 44 tonnes et six essieux, je me suis toujours opposé au décret publié par la majorité précédente. J’étais naturellement encore plus opposé à la modification opérée dans le cadre de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives, autorisant la circulation de semi-remorques à cinq essieux, avec les conséquences que l’on peut imaginer sur la détérioration des routes. Souhaite-t-on, demain, la circulation de véhicules de 55 tonnes, voire 60 tonnes, dont on voit bien qu’elle serait également préjudiciable au report modal ? J’aurai l’occasion de redire au ministre Frédéric Cuvillier mon opposition à l’ensemble de ces dispositions relatives aux camions de 44 tonnes.

M. le président François Brottes. Il faut néanmoins garder présentes à l’esprit les spécificités du transport de grumes.

Compte tenu de la densité de nos échanges, d’une part, et de la mise en place d’une mission d’information sur les coûts de production au sein de la Commission des affaires économiques, présidée par le Président Bernard Accoyer et dont le rapporteur est M. Daniel Goldberg, d’autre part, nous allons établir l’inventaire des diagnostics et propositions présentés ce matin. De la sorte et dans le cadre de cette mission, les rapporteurs seront à même d’établir une série de préconisations, qui pourraient être mises en œuvre au fil des textes qui seront examinés par le Parlement dans les prochains mois.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 14 novembre 2012 à 9 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Christian Assaf, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, M. Denis Baupin, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, Mme Fanny Dombre Coste, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Olivier Marleix, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Laurent Furst, M. Christian Jacob, M. Jacques Krabal, M. Philippe Martin, M. Edouard Philippe, M. Philippe Plisson, M. Martial Saddier, M. Gabriel Serville, M. David Vergé, M. Patrick Vignal

Assistaient également à la réunion. - M. François Brottes, M. Jean-Christophe Lagarde