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Mercredi 28 novembre 2012

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Delphine Batho, ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie, sur les conférences d’Hyderabad et de Doha

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu Mme Delphine Batho, ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie, sur les conférences d’Hyderabad et de Doha.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je souhaite la bienvenue à Mme Delphine Batho, que nous auditionnons aujourd’hui sur les négociations internationales sur le climat et la biodiversité. Elle tirera le bilan de la conférence d’Hyderabad qui a eu lieu du 8 au 20 octobre dernier et à laquelle notre collègue Geneviève Gaillard a participé ; elle nous exposera également les enjeux de la conférence de Doha, qui s’est ouverte le 26 novembre, la session ministérielle devant se dérouler du 5 au 7 décembre.

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Je suis heureuse de l’occasion qui m’est donnée d’échanger avec vous mes réflexions sur les négociations internationales portant sur des sujets intrinsèquement liés, la biodiversité et le changement climatique. La conférence d’Hyderabad a prolongé la dynamique générée l’an dernier par celle de Nagoya et a livré un résultat satisfaisant, avec le doublement de l’aide accordée aux pays en voie de développement dans le cadre du financement multilatéral. Ce point de l’accord final est issu d’une proposition conjointe de la France et de l’Allemagne. Il prévoit le doublement que je viens d’évoquer d’ici à 2015, puis le maintien à niveau des contributions de 2015 à 2020.

La protection du milieu marin et de la biodiversité marine constitue la seconde avancée majeure d’Hyderabad, avec la décision de procéder à un inventaire dans des zones d’intérêt écologique et biologique. La France a obtenu d’y inclure la mer Méditerranée. C’est un premier acquis, sachant que notre pays milite pour la mise en œuvre d’un statut pour les zones de haute mer, actuellement res nullius. C’est une proposition qu’a portée notamment le Président François Hollande lors de la dernière conférence de Rio.

Les autres avancées concernent les liens entre biodiversité et climat avec le programme Red Plus sur la déforestation et les activités de géo-ingéniérie climatique pour lesquelles a été réaffirmé le moratoire décidé à Nagoya ; enfin, nous avons constaté l’engagement très fort de la plupart des États parties à la conférence de ratifier le protocole de Nagoya. L’Union européenne a promis de prendre un règlement européen pour ce qui la concerne – c’est un domaine où les compétences sont partagées – tandis que la France procèdera à la ratification de ce protocole dans la loi-cadre sur la biodiversité.

J’en arrive à la conférence de Doha, ouverte le 26 novembre dernier. L’enjeu politique essentiel est de poursuivre les progrès enregistrés l’an dernier à Durban afin d’ouvrir la voie à un accord universel sur le climat en 2015. Les interventions lors des réunions préparatoires à cette conférence ont montré qu’il existait un risque de blocage extrêmement préoccupant. C’est donc à dessein que la Banque mondiale a publié avant l’ouverture de la conférence son rapport pour mettre la communauté internationale face à ses responsabilités. Les prévisions du Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC) se confirment années après années. La délégation française sera conduite par le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, par le ministre délégué chargé du développement Pascal Canfin et par moi-même.

La délégation française sera animée d’un triple objectif : à court terme, appliquer la seconde période du Protocole de Kyoto dès le 1er janvier 2013, sans attendre les ratifications ; agir pour un financement au bénéfice des pays en voie de développement pour les accompagner dans leur lutte contre le réchauffement climatique. Rappelons que la France est actuellement le second contributeur européen pour cette action. Notre pays, qui a noué des liens de longue date avec les pays africains ainsi qu’avec des États insulaires peut jouer un rôle très utile dans le dialogue que les pays développés et l’Union européenne entretiennent avec ces États ; enfin, établir les conditions d’un accord universel sur le climat en 2015.

La France souhaite accueillir en 2015, à la demande du Président de la République, la conférence sur le climat. Notre pays, au-delà l’accueil des États parties à cette conférence, devra jouer un rôle diplomatique en amont afin que la conférence aboutisse à un accord universel. Pour l’heure, quand on fait le total des engagements pris par les différents pays, on est loin d’espérer une action efficace en faveur de la réduction des gaz à effet de serre.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Je note que la ratification du protocole de Nagoya interviendra dans la loi-cadre sur la biodiversité. S’agissant du climat et face aux rapports multiples confirmant l’augmentation continue des gaz à effet de serre, ne trouvez-vous pas inquiétant que seuls 28 pays aient annoncé qu’ils s’engageraient en faveur de la seconde période du protocole de Kyoto, à partir du 1er janvier 2013 ? Les États-Unis, la Russie, le Japon font ainsi partie des pays qui s’y refusent. L’Union européenne souhaite maintenir son objectif de réduction de 20 % d’émission d’ici à 2020, mais comme elle a déjà diminué lesdites émissions de 17 %, elle pourrait faire preuve de plus grandes ambitions.

M. Philippe Plisson. Vingt ans nous séparent du premier sommet de la terre de Rio, qui avait pour la première fois réuni l’ensemble des chefs d’État et de Gouvernement autour du changement climatique, enjeu crucial pour notre avenir. Pourtant, l’actualité nous enseigne que ce phénomène reste à l’œuvre, puisque par exemple la moitié de la banquise du pôle Nord a fondu par rapport à 1980. Si rien n’est fait, cette calotte glaciaire disparaîtra purement et simplement dans quatre ans. Le premier rapport du GIEC, en 2007, avait pourtant mis l’accent sur l’aggravation du réchauffement : notre faillite pour la prévenir s’avère donc aujourd’hui complète. L’augmentation du niveau général des mers aurait pourtant dû agir comme un signal d’alarme : il n’en a rien été, et le cinquième rapport du GIEC, dont la première partie sera rendue publique en septembre 2013, risque de nous ramener à une triste réalité à venir.

L’expérience des grands sommets internationaux consacrés au changement climatique – je pense aux conférences de Copenhague en 2009, Cancun en 2010, et Durban en 2011 - révèle qu’ils ne débouchent généralement sur rien de concret – mis à part le protocole de Kyoto, que nous devons juger avec indulgence - hormis des vœux pieux.

S’agissant de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre, les années se suivent et se ressemblent : le dernier bulletin annuel de l’Organisation météorologique mondiale, publié le 20 novembre dernier, révèle que 2011 établit un nouveau record, notamment en raison de la consommation d’énergies fossiles. Le fossé ne cesse de s’élargir entre la réduction des émissions de GES nécessaire pour limiter le réchauffement climatique à 2 degrés, et les efforts réellement déployés pour atteindre cet objectif. La barrière des 4 degrés pourrait, dans ces conditions, être franchie dès 2060.

A la suite de la Conférence environnementale, le Président de la République a annoncé que non seulement les objectifs européens de diminution, à horizon de 2020, de 20 % d’émissions de GES seraient poursuivis, mais qu’il souhaitait qu’en 2060 cette baisse atteigne la valeur ambitieuse de 60 %. Je partage l’orientation choisie par le Gouvernement d’une sobriété et d’une efficacité énergétiques, ainsi que d’un recours réel aux énergies renouvelables.

Madame la ministre, à la conférence de Doha, nous comptons sur vous pour que soient défendues la position de la France et de l’Union européenne, positions revenues sur le devant de la scène lors de la conférence de Durban. Qu’en est-il du projet de créer une organisation internationale dédiée à l’environnement ?

S’agissant de l’alimentation du fonds vert, l’Union européenne prévoit-elle de l’alimenter au moyen d’une taxe sur les transactions financières ?

La XIème Conférence des parties qui s’est tenue à Hyderabad en Inde nous a mis du baume au cœur : je vous félicite, madame la ministre, du compromis qui y a été obtenu, car il doit beaucoup à l’action des États membres et à l’Union européenne, au premier rang desquels la France et l’Allemagne. Le doublement des financements consacrés à la protection de la biodiversité d’ici 2015 et leur maintien à ce niveau jusqu’à 2020 constituent de réelles avancées. La France ayant opté pour une exemplarité en la matière, il s’agit d’un signe très positif envoyé à la communauté internationale. Cette ambition pourrait se voir contrariée par un point de discorde : en matière de biodiversité marine, notamment dans les outre-mer, les décisions du ministère de la pêche ne vont pas dans le sens des orientations définies par le ministère de l’écologie, qu’il s’agisse de protection du milieu ou des stocks. Qu’en est-il du moratoire sur la pêche en eau profonde en France ?

Le rapport de Guillaume Sainteny sur les aides publiques dommageables à la biodiversité, rendu public en octobre 2011, proposait plusieurs pistes de réflexion. Quelles suites le Gouvernement envisage-t-il de leur donner ?

Le débat national sur la transition énergétique va s’ouvrir très prochainement : le Gouvernement va-t-il respecter l’engagement pris, au moment de la Conférence environnementale, auprès de l’ensemble des filières de production d’énergie renouvelable, de leur donner sans attendre un signal fort de son appui ? Cet engagement s’avérerait caduc si la question de l’arrêté tarifaire n’était pas résolue de toute urgence. En effet, le conseil a renvoyé le dossier devant la Cour de justice européenne, qui semble-t-il l’analyse comme un dispositif de soutien public. Cette situation rend les banques réticentes à prêter des fonds aux entreprises du secteur, au motif que le tarif de rachat n’est pas sécurisé. Vous avez récemment réaffirmé votre volonté de voir maintenu un tarif pour l’éolien, néanmoins, là aussi, de nombreux projets ne peuvent voir le jour en raison de la frilosité du secteur bancaire. En l’absence d’un arrêté, il faudrait attendre deux ans pour que la Cour de justice européenne statue sur la nature du tarif réglementé : la question est de savoir s’il constitue ou non une aide de l’État. Or ce délai pourrait porter un coup fatal à l’ensemble de la filière. Comptez-vous prendre prochainement un tel arrêté ? Que convient-il de faire pour assurer le développement de ces énergies ?

La composition du comité de pilotage de la transition énergétique est désormais connue. Les mauvais esprits se posent des questions sur la présence en son sein de Michel Rollier et d’Anne Lauvergeon, qui seraient décalés par rapport aux objectifs. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?

M. Martial Saddier. Me vient à l’esprit ce proverbe qui dit « préservez-moi de mes amis »… (Sourires)

Madame la ministre, avez-vous pu prendre connaissance du compte rendu de la réunion de notre commission de ce matin, consacrée au débat sur la transition énergétique ?

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Je l’ai déjà vu.

M. Martial Saddier. Ce n’était pas l’objet de notre réunion mais nous pourrons en reparler. J’en viens à l’objet de votre audition. Il s’agit de sujets sur lesquels existe un réel consensus : la préservation de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique.

Nous souhaitons que le Gouvernement réussisse, lors de la conférence de Doha qui vient de s’ouvrir, à porter sur ce deuxième sujet des positions fortes : 50 milliards de tonnes de CO2 sont en jeu. Je salue votre communiqué de presse sur le risque d’une augmentation de 4 degrés de la température moyenne : continuer à évoquer le seuil de 2 degrés relève de la fable. Par ailleurs, il nous importe de savoir quels sont les États qui partagent nos positions et nos engagements. Quid, enfin, du fonds vert et des fameux 100 milliards d’euros ?

La conférence d’Hyderabad a-t-elle entretenu la dynamique de Nagoya ? Qu’en est-il exactement de l’objectif, défendu par la France et l’Allemagne, de doubler à horizon de 2020, les financements consacrés à la préservation de la biodiversité ? Quid de la forêt ? Je salue bien évidemment l’inclusion de la Méditerranée dans l’inventaire des milieux marins à protéger.

Enfin, que pouvez-vous nous dire, au-delà de ces deux sommets, du contrôle, qui me paraît stratégique, de l’application des décisions qui y sont prises ?

Mme Laurence Abeille. En dépit du vent de pessimisme qui les entoure, les écologistes espèrent beaucoup des négociations sur le climat, et attendent qu’un accord juridique contraignant, comprenant des objectifs par pays, puissent les conclure. Nous nous interrogeons cependant sur le rythme de ces négociations. L’urgence climatique s’accommode mal d’un accord en 2015, qui ne produirait des effets contraignants qu’à partir de 2020. Au lieu d’agir concrètement, nous négocions encore et toujours.

Si un accord juridique contraignant pouvait naître de la conférence de Doha, il faudrait qu’il s’accompagne d’un système de sanctions, sur le modèle de ceux en vigueur à l’OMC. Comment un tel système pourrait-il fonctionner, sachant qu’en son absence le respect des obligations de chaque partie risque fort de rester lettre morte ?

Par ailleurs, nous avons désormais accès – je pense notamment aux nombreux rapports publiés avant la conférence de Doha - à une information de plus en plus précise sur les coûts économiques, sociaux et environnementaux de l’inaction en matière climatique. Je regrette qu’elle n’ait pas débouché sur une prise de conscience politique mondiale sur la nécessité de mener une action forte et immédiate.

En dépit du fait que, comme l’a rappelé tout à l’heure le président Jean-Paul Chanteguet, l’Europe reste un important niveau de décision, mais elle semble incapable de parler d’une seule voix. Comment pourrait-elle le faire alors qu’au sein de l’Union certains États membres privilégient l’extraction des gaz de schiste, alors que d’autres choisissent des mix énergétiques plus vertueux ?

La question du calcul des émissions de GES reste posée : le programme des Nations Unies pour l’environnement a recommandé d’y intégrer la fonte du permafrost de l’Arctique, qui contient 1 700 milliards de tonnes de CO2, soit le double du volume contenu dans l’atmosphère. Une hausse de trois degrés. Or une hausse de la température moyenne de 3 degrés génèrerait sur place une augmentation de 6 degrés, et la perte de 60 à 85 % de ce volume glaciaire, qui libèrerait une quantité très importante de CO2. Où en sont les négociations à ce sujet et quelle position la France défendra-t-elle ?

Le fonds vert pour le climat, officiellement lancé à Durban l’an dernier, doit mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Qu’en est-il de sa mise en œuvre ?

J’espère enfin que vous serez de nouveau auditionnée par notre commission afin de dresser un bilan de la conférence de Doha.

Mme Geneviève Gaillard. Après un sommet « Rio + 20 » décevant en matière de protection des milieux marins, la conférence d’Hyderabad a marqué une avancée et a permis de mettre l’accent sur la piètre gestion – on devrait parler de surpêche plutôt que de pêche - des ressources halieutiques au niveau mondial, qui a conduit à la disparition de 70 % des stocks. Un règlement européen doit intervenir prochainement, mais la France s’apprêterait à autoriser des niveaux campagnes de pêche en eau profonde préjudiciables à des espèces comme le grenadier ou le sabre noir, sans aucune expertise scientifique à l’appui. Par le passé, ce type de pêche a conduit à la disparition d’espèces comme l’empereur, dont la durée de vie est de 160 ans. Que comptez-vous faire ? Allez-vous commander des études scientifiques ?

Il faut, en effet, arrêter le massacre des espèces d’eau profonde par des chaluts qui raclent les fonds sous-marins ! Sinon il est à craindre que dans quelques années nos océans se trouvent entièrement vides, exception faite de quelques méduses.

M. Jean-Marie Sermier. On ne peut pas avoir un discours en contradiction totale avec ses actes : en 2012, le Qatar organise la conférence sur le climat, et, en 2022, le même pays va accueillir la coupe du monde football. Il érigera pour la circonstance douze stades entièrement climatisés, en plein milieu du désert, en contradiction totale avec les principes du développement durable. Ne faudrait-il pas demander à ce pays de renoncer purement et simplement à cette compétition internationale ?

M. Jean-Yves Caullet. Devant la lourdeur et la complexité des négociations multilatérales, on ne peut que se demander si l’enjeu climatique est suffisamment intégré dans notre diplomatie. Dans les relations internationales, il faut bien savoir, à un moment donné, qui est « pour » et qui est « contre ». On ne peut pas être « avec » certains et « contre » d’autres et changer constamment de partenaires selon les sujets. A l’instar de la défense des droits de l’Homme, dont la prégnance s’est progressivement affirmée dans notre diplomatie, avez-vous le sentiment que l’enjeu climatique a trouvé sa place, pleine et entière, au sein de nos orientations diplomatiques ? La présence du ministre des Affaires étrangères à vos côtés lors des prochaines négociations m’incline à répondre par l’affirmative.

Par ailleurs, le récent rapport de la Banque mondiale nous confronte à une responsabilité directe en tant qu’élus : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Une croissance des températures moyennes de 4°C au moins sera à l’origine, dans un siècle, de grands troubles ; de possibles affrontements à venir dépendent de nos décisions d’aujourd’hui. Comment pouvons-nous mieux faire partager à nos concitoyens ces enjeux et cette responsabilité à long terme, qui doit dépasser les clivages entre les partis politiques et en leur sein ?

M. Yves Albarello. La grande bataille du changement climatique ne pourra être gagnée que si chacun joue le jeu (Approbations sur divers bancs). Cette lutte est une lutte de tous les instants et de tous les pays. Pourtant, certains pays industrialisés comme l’Inde, la Chine, les États-Unis ou le Canada ne souhaitent pas s’engager dans des politiques volontaristes dans ce domaine. D’un autre côté, les pays faiblement développés sont confrontés à de lourds problèmes financiers et n’ont, eux, pas les moyens d’engager de telles politiques.

La situation est donc grave. J’en veux pour preuve l’exemple de la Casamance, où j’étais récemment en déplacement : l’Océan gagne continûment sur les terres et son avancée est visible à l’œil nu, d’une année sur l’autre. Je voudrais également évoquer la lutte contre la pêche intensive. Les droits de pêche alloués aux Coréens dans ce pays se traduisent par un véritable pillage des fonds marins.

Je crains donc que l’effort des Européens, si louable soit-il, ne suffise pas à inverser la tendance. Une prise de conscience internationale et les efforts de tous sont absolument nécessaires pour que des actions déterminées et vigoureuses puissent être conduites.

M. Jean-Paul Chanteguet. Je voudrais revenir d’un mot sur la question des financements.

Lors de la conférence de Nagoya, le principe avait arrêté d’une mobilisation plus importante des flux financiers en faveur de la biodiversité. A Copenhague, la France s’était engagée à mobiliser 400 millions d’euros de crédits supplémentaires dans le cadre des « financements précoces ».

Malheureusement, force est de constater qu’on a aujourd’hui le plus grand mal à identifier ces nouveaux financements dans la masse des crédits mobilisés : ils sont « fondus » dans l’ensemble des moyens accordés par l’Agence française de développement. Il est difficile de se déprendre de l’impression qu’il y a parfois des substitutions et on s’interroge sur le point de savoir si les moyens financiers nouveaux qui avaient été promis ont effectivement été alloués.

Pour ce qui concerne la France, le ministre Pascal Canfin a indiqué que 10 % du produit de la taxe sur les transactions financières seraient affectés au développement : le produit de cette taxe se montant à 1,6 milliard d’euros par an, cela signifie que 480 millions d’euros supplémentaires sont susceptibles d’être mobilisés sur trois ans. Mais de quel développement parle-t-on, au juste ? Ces fonds viendront-ils abonder le « fonds vert », contribueront-ils à la lutte contre le réchauffement climatique ? La question est posée et des clarifications seront bientôt nécessaires.

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Le problème de l’interdépendance planétaire est patent. Malheureusement, les efforts des uns n’ont aujourd’hui pour seule récompense que la passivité des autres et ce, alors même qu’un engagement véritablement universel serait absolument nécessaire.

Dans ce contexte, l’objectif que l’Europe s’assigne — 20 % d’émissions en moins en 2020 — représente un effort sérieux et cohérent avec son souci d’exemplarité. Relever encore le niveau de notre ambition collective nous exposerait, selon certains acteurs économiques, aux risques de « fuites de carbone » et de délocalisations, dans la mesure où certains de nos partenaires ne s’obligent pas aux mêmes efforts que nous. Des pertes au plan économique viendraient ainsi récompenser notre souci d’être vertueux.

La stratégie de l’Union européenne en matière d’émissions de gaz à effet de serre repose sur la définition d’une trajectoire prévisible à l’horizon 2020. Dès lors qu’il est clair qu’il n’y aurait pas d’accord à 27 sur un relèvement du niveau d’exigence et conformément à la volonté du président de la République, l’action collective doit donc s’inscrire dans la durée, avec pour objectif ultime un « facteur quatre » de réduction des émissions en 2050.

L’enjeu majeur est de faire comprendre que le combat pour la réduction des émissions est générateur d’un avantage compétitif : c’est un pari gagnant sur le plan économique, c’est une stratégie appropriée de réponse à la crise. C’est seulement si nous réussissons à faire de cet objectif une ambition positive, qui soit créatrice d’emplois et de nouvelles technologies, que nous arriverons à mobiliser les énergies. Cette possibilité existe : ma récente visite du salon Pollutec avec le ministre chargé du redressement productif m’a permis de me rendre compte du rythme extraordinairement soutenu des avancées technologiques dans ce domaine, parfois dans des délais très courts.

En ce qui concerne le dépassement d’une croissance de 2 °C des températures moyennes d’ici à la fin du siècle, notre préoccupation vient de ce que certains pays, opposés à tout accord juridiquement contraignant, tirent argument de ce que cette limite sera certainement franchie pour dénoncer la caducité des engagements souscrits à Durban. La question de la lutte contre le changement climatique serait tranchée, la problématique des années à venir serait désormais celle de l’adaptation à un changement climatique considéré comme inéluctable. Il y aura là une bataille politique importante à mener.

Pour ce qui concerne le « fonds vert », les choses n’avancent que très lentement. A Doha, le choix d’un siège situé en Corée du Sud devrait être validé. Les équipes et les moyens de fonctionnement existent, mais le fonds n’est toujours pas opérationnel.

S’agissant des moyens de l’AFD, je confirme que des efforts sont engagés pour améliorer la traçabilité des crédits. Dans le cadre de la préparation de la conférence d’Hyderabad, j’avais souhaité pouvoir mieux identifier les actions relevant de la préservation de la biodiversité ou de la lutte contre le réchauffement climatique et mon collègue Pascal Canfin travaille actuellement à prolonger ces efforts de clarté, de transparence et de visibilité des projets concrets. Ce travail a notamment permis de constater que les chiffres mis en avant par l’OCDE, qui gratifiait la France d’un effort considérable dans ces domaines, étaient surévalués.

Le changement climatique occupe dans notre diplomatie une place essentielle : le fait que le Président de la République, à la différence de certains de ses collègues, se soit rendu au sommet « Rio+20 » a constitué un message très fort en ce sens. En témoigne également le souhait d’accueillir une prochaine conférence internationale sur le climat, qui atteste de l’engagement de l’ensemble de notre diplomatie dans les négociations multilatérales. Car accueillir une telle conférence ne signifie pas uniquement la présider, c’est aussi jouer le rôle d’un facilitateur constant entre les parties et les intérêts en présence. De ce point de vue, la France occupe une position particulière : pays d’Europe par sa géographie, elle est conduite par son histoire et ses valeurs à entretenir des liens privilégiés avec de nombreux autres pays.

J’ai été interrogée sur la question des « alliés » de la France dans ces négociations. Ceux-ci comprennent naturellement les États membres de l’Union européenne, la Norvège ou la Suisse. Des contacts particuliers sont noués avec le Brésil, l’Afrique du sud, l’Afrique francophone, les pays insulaires ou encore des pays très concernés par le réchauffement comme le Bangladesh.

Dans le cadre de l’Union européenne, un conseil des ministres en charge de l’environnement s’est tenu début novembre. Les discussions ont été assez difficiles, car la question était de se saisir d’une des propositions du G77 — à savoir, l’effacement des UQA en fin de deuxième période d’application du protocole de Kyoto. Même s’il s’agit de quotas assez virtuels, la discussion interne à l’Union a achoppé sur cette question du fait de l’opposition d’un certain nombre de pays. Ce point pourra-t-il évoluer dans le fil des discussions et négociations à Doha même ? Je l’ignore et espère, en tout cas, qu’il ne constituera pas un facteur bloquant à l’obtention d’un accord. Par-delà les aspects techniques, il est manifeste que les divergences observables sont le reflet de structures différenciées des mix énergétiques nationaux, avec la place plus ou moins grande jouée qu’y jouent les énergies carbonées (charbon).

Concernant l’organisation mondiale de l’environnement, vous savez que cette proposition n’a pas été retenue lors du sommet « Rio + 20 », au bénéfice d’une réforme du Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE), qui sera débattue lors de sa prochaine réunion, prévue en février 2013 à Nairobi.

Je reviens sur la conférence d’Hyderabad : nous avons obtenu satisfaction avec le doublement d’ici 2015 – des pays comme l’Inde ont pesé pour que l’échéance ne reste pas fixée à 2020 - des fonds consacrés à la lutte contre l’érosion de la biodiversité, et leur maintien à ce niveau pour cinq ans.

Sur la question des subventions défavorables à l’environnement, la feuille de route de la Conférence environnementale prévoit leur réexamen : il sera opéré, en vue de formuler des propositions qui pourraient in fine trouver leur place dans le projet de loi de finances pour 2014, par le groupe de travail permanent sur la fiscalité écologique que j’installerai avant fin décembre avec Pierre Moscovici. J’ai d’ailleurs sollicité les parties prenantes à la Conférence, et donc l’Assemblée nationale, afin qu’elles y désignent leurs représentants.

S’agissant des énergies renouvelables, le Gouvernement prendra ses responsabilités pour sécuriser le tarif de rachat de l’éolien, même si je ne peux anticiper sur les suites qui seront données au contentieux en la matière.

Je partage avec Geneviève Gaillard le constat d’un effondrement des stocks halieutiques, et par conséquent de la qualité de la biodiversité marine, qui s’illustre également dans la perspective de voir 70 % des coraux disparaître d’ici 2030. Cette situation nécessite mobilisation internationale et exemplarité : l’Europe a pris des dispositions particulièrement protectrices. Je transmettrai à mon collègue Frédéric Cuvillier la question spécifique de la disparition des espèces d’eau profonde. Avec sa position de deuxième puissance maritime au monde, grâce à ses outre-mer, et sa présence sur tous les océans, notre pays reste fidèle à un développement maritime en parfaite harmonie avec nos objectifs de protection du milieu marin. Je rappelle que la France accueillera au mois d’octobre prochain la conférence mondiale des aires marines protégées.

J’ai été interrogée, notamment par Philippe Plisson, sur le comité de pilotage du débat sur la transition énergétique : la réussite de ses travaux passe par la prise en compte, grâce à la présence de personnalités fortes mais diverses, de la pluralité des points de vue qui existe dans la société française comme chez les acteurs du secteur. La compétitivité reste une dimension de ce débat, mais ce n’est pas la seule : nous devons concilier l’objectif écologique de lutte contre le réchauffement climatique et l’objectif économique de préservation du pouvoir d’achat des ménages dont la facture énergétique s’alourdit. Nous devons aussi prendre en compte les enjeux liés à la sécurité de nos approvisionnements et à la réduction du déficit de notre balance commerciale. Tous ces paramètres doivent être débattus. Le caractère populaire et citoyen de ce débat, comme l’appropriation de la question des économies d’énergie et de la sobriété énergétique, m’apparaissent plus que nécessaire.

Je rappelle que le comité de pilotage, chargé du respect du pluralisme et de la charte, ne formulera pas les recommandations finales : cette mission revient au conseil national, au sein duquel seront représentées toutes les parties prenantes de la Conférence environnementale : associations environnementales, syndicats, employeurs, associations de consommateurs, ONG, élus locaux et parlementaires. J’imagine que certaines d’entre elles feront l’objet d’un consensus, et que d’autres d’appréciations majoritaire et divergente.

In fine, le Gouvernement et le Parlement trancheront, dans le cadre de l’examen de la future loi de programmation pour la transition énergétique.

Mme Martine Lignières-Cassou. Pouvez-vous évoquer l’état d’avancement de la définition des contours de l’agence de la biodiversité, au-delà de la mutualisation d’un certain nombre d’organismes ? Son préfigurateur a-t-il été nommé ? Quel sens donnez-vous à sa création ?

M. Arnaud Leroy. Je suis ravi qu’avec ce Gouvernement nous puissions parler de mer et d’océans. Comment comptez-vous remédier à l’acidification des océans, problème peu évoqué dans l’espace public malgré son importance, et qui nécessite la mobilisation de moyens très importants ? Quelle coopération comptez-vous développer avec nos partenaires européens, alors que l’Union met en place une politique océanique ? Il s’agit également d’une urgence, qui passe souvent à la trappe.

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Les préfigurateurs de l’agence de la biodiversité seront nommés d’ici une dizaine de jours. La méthode que j’ai définie dans leur lettre de mission ? Définir d’abord les missions avant d’en déterminer le périmètre, notamment par rapport aux structures existantes. Les premières apparaissent aujourd’hui clairement : la connaissance – hors le champ de la recherche scientifique pure – c’est-à-dire le regroupement et la mise à disposition, car nous trouvons bien souvent aujourd’hui dans l’incapacité de fournir les inventaires qu’exigent de nous notamment les institutions européennes ; le pilotage de l’action, notamment en direction des collectivités territoriales, en formant un centre de ressources ; la protection de la biodiversité au sein d’espaces spécifiques, une remise à plat, dans le sens d’une harmonisation et d’une clarification de la gouvernance, des différents dispositifs existants étant nécessaire ; et enfin la prise en compte de la biodiversité ordinaire, qui compte tout autant que les espaces remarquables.

Ces préfigurateurs auront en charge la concertation avec les acteurs de la biodiversité, dont certains m’ont fait, dans les semaines écoulées, des propositions fort intéressantes, qu’il s’agisse des élus locaux, des ONG, du monde de la recherche, des universités, ou des établissements publics. Nous ne partons pas de rien : de multiples rapports, rédigés lorsque, sous la précédente législature, il avait été envisagé de créer une agence de la nature, sont disponibles. Ces préfigurateurs devront également, pour pouvoir établir le chemin menant à la création de cette agence, mener un travail de concertation en matière d’organisation administrative du ministère dont j’ai la responsabilité. La création de l’agence se fera ensuite par voie législative, dans la loi-cadre pour la biodiversité.

Cette agence aura besoin de moyens, ce qui nous renvoie à la question de la fiscalité écologique : la question des impacts sur la biodiversité devra être étudiée, en recherchant peut-être des financements dont le produit serait affecté à la protection de la biodiversité. Il s’agit à ce stade d’une piste de réflexion, qui n’est pas aboutie.

Le modèle dont nous nous inspirons est proche de celui qui avait été choisi lors de la création de l’ADEME : il partait d’établissements publics existants, mais a su trouvé sa voie et monter en puissance.

La question de l’acidification des océans ne peut être dissociée de celle des émissions de GES. Il est certain que la France a dans ce domaine, mais également dans celui de la biodiversité marine, de la défense des coraux – nous avons pris une initiative commune avec le ministre des outre-mer –, une responsabilité particulière. Nous disposons de grands centres de recherche, notamment au sein de l’IFREMER. J’ai eu l’occasion de le dire lors d’un déplacement à Brest : nous devrions faire de la biodiversité marine une grande cause mobilisatrice. Nous disposons du potentiel pour cela, et nous portons cette ambition au plan international : sans vouloir lancer des « cocoricos », la France a joué un rôle moteur sur ce sujet - qui reste insuffisamment pris en compte à l’échelle internationale - à Rio comme à Hyderabad. L’une des réflexions actuelles vise à inscrire ce sujet à l’ordre du jour de la prochaine conférence environnementale, en prélude au congrès mondial des aires marines protégées.

La déforestation a reçu, elle, une réponse concrète au travers du programme REDD+. Comme le disent certains pays, défavorables à un accord juridique – en réalité une clé de répartition des efforts à faire – contraignant en matière de réduction des émissions de GES, il faut d’abord se saisir de projets concrets comme REDD, ou de questions comme celle des océans, portant sur les grands enjeux liés au réchauffement climatique, pour faire avancer, à partir de programmes d’action internationale, la lutte contre celui-ci.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Mme la ministre, je vous remercie d’être venue nous parler de ces négociations

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 28 novembre 2012 à 16 h 15

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Christian Assaf, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Sophie Errante, M. Jean-Christophe Fromantin, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Julien Aubert, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, Mme Florence Delaunay, M. David Douillet, M. Michel Heinrich, M. Christian Jacob, M. Jacques Krabal, M. Franck Marlin, M. Rémi Pauvros, M. Gilles Savary, M. Gabriel Serville, M. David Vergé, M. Patrick Vignal