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Mardi 11 décembre 2012

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 25

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la transition écologique, avec M. Philippe Boisseau, directeur des branches « énergies nouvelles » et « marketing et services » de Total, M. Jean-François Cirelli, vice-président de GDF-Suez, M. Luc Poyer, président du directoire d’E.ON France et M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité.

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur la transition écologique, avec M. Philippe Boisseau, directeur des branches « énergies nouvelles » et « marketing et services » de Total, M. Jean-François Cirelli, vice-président de GDF-Suez, M. Luc Poyer, président du directoire d’E.ON France et M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. À la suite de la Conférence environnementale des 14 et 15 septembre, et de la publication par le Premier ministre d’une « feuille de route », notre commission a pris la décision d’organiser une série de tables rondes sur la transition écologique. La première réunissait plusieurs filières des énergies renouvelables ; elle nous a permis de comprendre comment les associer à la diversification de notre approvisionnement énergétique. Lors de la deuxième réunion, commune avec la commission des affaires économiques, nous avons abordé l’avenir du bouquet énergétique national. La troisième table-ronde, conjointe avec la délégation aux outre-mer, a porté sur le développement durable des territoires ultramarins.

Nous accueillons aujourd’hui M. Philippe Boisseau, directeur des branches « énergies nouvelles » et « marketing et services » de Total – qui représente M. Christophe de Margerie, son président-directeur général –, M. Jean-François Cirelli, vice-président de GDF-Suez, M. Luc Poyer, président du directoire d’E.ON France, et M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité. Je les remercie tous quatre d’avoir accepté notre invitation.

M. Philippe Boisseau, directeur des branches « énergies nouvelles » et « marketing et services » de Total. Je vais m’efforcer de vous décrire la vision énergétique qui est celle de Total, avant de vous exposer comment nous exerçons notre responsabilité : celle-ci consiste non seulement à fournir de l’énergie à nos clients, mais aussi à nous comporter en acteur responsable vis-à-vis des grandes communautés dans lesquelles nous travaillons, en particulier en France.

Nous avons une approche mondiale de l’énergie, puisque nous sommes présents dans de très nombreux pays. À ce titre, nous constatons que la demande d’énergie croît faiblement en Europe, et cette tendance est appelée à perdurer du fait des économies d’énergie. En revanche, elle est extrêmement forte dans le reste du monde : dans les vingt prochaines années, 80 % de la demande viendra de pays extérieurs à l’OCDE.

Comment répondre à cette demande, en particulier à la demande pétrolière ? Pour lutter contre le déclin naturel des champs pétroliers, il faut toujours accroître la production ; or c’est de plus en plus difficile. Nous allons arriver à un plateau énergétique que nous estimons à 95 millions de barils par jour à l’échelle mondiale, sachant que nous en produisons et consommons aujourd’hui 90 millions. Nous allons donc être confrontés à une raréfaction de l’énergie dans la décennie qui vient. Nous devrons nous adapter à ce contexte.

Nous déduisons de cette analyse que l’énergie est un bien rare et que la seule façon de répondre à l’ensemble des besoins de la planète consiste à combiner toutes les formes d’énergie possibles, car elles seront toutes nécessaires – au même titre que l’efficacité énergétique ou les économies d’énergie. Notre première responsabilité est donc de continuer à investir. Nous allons consacrer, cette année, près de 20 milliards d’euros au développement de ressources énergétiques faisant partie de notre cœur de métier, à savoir le pétrole et le gaz, mais aussi aux nouvelles sources d’énergie. Nous avons retenu deux options fondamentales : les biocarburants et l’énergie solaire, dans lesquels nous avons investi de manière importante.

Dans ce cadre, l’énergie sera forcément chère, et ceci entraîne des conséquences. Nous devons apporter à nos clients des solutions qui leur permettent de consommer moins et mieux. Cela peut apparaître comme un paradoxe, mais c’est une nécessité : dans la mesure où les clients trouvent le produit cher, notre responsabilité de producteur, de fournisseur et de distributeur est de les aider à réduire leur consommation. Nous avons pris plusieurs initiatives pour répondre à ces préoccupations, à commencer par la recherche et développement. Nous y investissons environ 800 millions d’euros par an, dont environ une centaine de millions sur la seule qualité des carburants et plus d’une centaine de millions sur les énergies nouvelles.

Pour ce qui est de la France, nous avons répondu au souhait de nos clients d’avoir accès aux carburants les moins chers possible en lançant l’an dernier le programme Total Access. Il s’agit d’investir dans l’augmentation de la capacité d’un certain nombre de stations, en faisant le pari – à l’instar de nos principaux concurrents, les grandes surfaces – que la multiplication par trois des volumes écoulés dans ces stations compenserait une baisse tarifaire. Cette stratégie fonctionne : elle concerne aujourd’hui plus de 250 stations en France ; nous en visons 600 l’année prochaine, voire davantage en 2014.

Telle était la première réponse que nous devions à nos clients : des carburants de qualité, qui assurent aux moteurs une durée de vie supérieure, en touchant le plus grand nombre. Ainsi, nous partons à la reconquête des clients particuliers, dont nous ne détenons aujourd’hui que 18 % du marché. 85 % de nos clients sont en effet des professionnels.

Notre responsabilité ne s’arrête pas là. Il faut mettre au point des produits qui permettent de consommer moins. L’Excellium, par exemple, est spécialement conçu pour réduire la consommation des moteurs.

S’agissant des économies d’énergie, notre action est double. En tant qu’industriels, nous cherchons d’abord à réduire notre propre consommation. Nous avons pris l’engagement de la diminuer chaque année de 1 %, ce qui exige des investissements très significatifs. Nous devons ensuite apporter à nos clients des solutions qui leur permettent de consommer moins ; je vous ai parlé des mesures que nous avons prises en ce sens.

J’en viens aux biocarburants. Nous sommes le premier distributeur de biocarburants en France. Il s’agit, pour l’instant, de mélanges de bioester et de diesel ou d’éthanol et d’essence. Mais nous conduisons aussi des recherches beaucoup plus en amont, qui consistent à produire des biocarburants à partir de la biomasse, en explorant deux voies technologiques. D’une part, il y a la filière thermochimique, avec le projet BioTfuel conduit dans le nord de la France. D’autre part, les filières biotechnologiques, avec des partenariats dans de nombreuses petites entreprises de biotechnologies, permettent de produire, par la fermentation de sucre – et demain de la partie non alimentaire des plantes – des produits tels que des lubrifiants, des carburants pour l’aviation, des parfums, ou encore des médicaments. Les biotechnologies constituent depuis une dizaine d’années une véritable révolution.

Je terminerai par l’énergie solaire. Parce que nous sommes convaincus de l’importance de toutes les sources de production, nous avons choisi d’investir massivement dans le photovoltaïque. Après avoir passé en revue deux cents entreprises de par le monde, nous avons pris le contrôle d’une société américaine. Ses activités ont fusionné avec les nôtres, afin de former la première compagnie mondiale d’énergie solaire non asiatique – les trois premiers opérateurs de ce secteur sont chinois, le quatrième coréen, et vient désormais Total SunPower, avec une capacité de production annuelle de 1 GW. Nous réorganisons cette activité pour la concentrer en Europe, en particulier en France : nous faisons de notre centre de Lyon, Tenesol, le centre d’ingénierie mondial de développement de cette activité hors des États-Unis, et nous allons moderniser nos usines de Carling et de Toulouse. Nous poursuivons également des recherches en la matière, et nous sommes partenaires de l’Institut photovoltaïque d’Île-de-France, qui sera l’un des cinq plus grands centres mondiaux de recherche solaire. C’est pour nous un engagement considérable, qui atteint un milliard d’euros. Nous souffrons bien sûr, comme tous les acteurs du secteur dont la plupart déposent le bilan, mais nous avons la capacité de résister et nous sommes convaincus que le solaire – qui progresse certes lentement, car extrêmement capitalistique – a un véritable avenir. Les sociétés qui gagneront cette bataille seront celles qui disposent d’une couverture industrielle, de la taille mondiale et de l’assise financière leur permettant de faire face à la concurrence.

Non seulement nous exerçons notre métier d’industriel en investissant et en préparant les productions de demain, mais nous entendons le faire de façon responsable, en limitant autant que faire se peut l’impact écologique de nos activités et en préparant les énergies de demain par un effort d’investissement.

M. Jean-François Cirelli, vice-président de GDF-Suez. Permettez-moi d’abord de vous remercier de votre invitation : il est toujours intéressant d’avoir l’occasion de s’exprimer devant la représentation nationale. Je vous dirai certes un mot de GDF-Suez, mais je voudrais surtout vous présenter ce que nous attendons de la représentation nationale et de l’action publique dans ce grand débat de la transition énergétique.

GDF-Suez est très engagé dans ce processus. Pour la seule Europe, une branche de 77 000 personnes est dédiée à l’efficacité énergétique, avec des entreprises comme Cofely ou Ineo. Nous sommes le premier exploitant de parcs éoliens terrestres en France, avec plus de 1 200 Mégawatts installés et 15 % du marché. Nous sommes aussi le premier gestionnaire de chaufferies biomasse, avec plus de 200 installations, et, par conséquent, le premier acheteur de bois en France – nous commençons d’ailleurs à éprouver quelques inquiétudes concernant l’approvisionnement de nos chaufferies.

Nous entendons développer davantage le biogaz et le biométhane, et devenir les chefs-de-file dans ce domaine en France et en Europe.

La transition énergétique est irrémédiablement engagée, mais elle se heurte à deux conditions qui ne sont pas encore réunies. D’abord, il faut faire payer les émissions de CO2. Ensuite, cette transition a besoin de capitaux. Nous devons donc être capables d’attirer des investissements, mais, pour cela, il faut une stabilité des politiques publiques.

En ce qui concerne la taxation des émissions de gaz à effet de serre, nous sommes loin du compte : la tonne de CO2 vaut actuellement entre 7 et 8 euros. Autant dire qu’il n’existe pas d’incitation à économiser le carbone. Nous avons donc besoin d’une action claire sur le prix des émissions. La Commission européenne a pris des initiatives. Nous les soutenons, même si nous les jugeons insuffisantes.

J’en viens au besoin de confiance des investisseurs. Je ne vous cacherai pas nos inquiétudes, qu’alimentent régulièrement les notes des analystes qui suivent le secteur énergétique. Il y a une quinzaine de jours, le Crédit suisse First Boston estimait que l’Europe ne pourrait pas se permettre de financer les subventions aux énergies renouvelables. Vous conviendrez que cela n’encourage guère à débloquer des fonds.

Il faut aussi une stabilité des engagements et des politiques publiques. Nous souhaitons notamment à une politique énergétique européenne, dont l’émergence se fait attendre. Nous sommes conscients que les politiques publiques exigent un certain consensus dans le pays. Vous-mêmes, représentants de la Nation, devez accepter la nécessité d’un arbitrage entre cette transition – et les coûts qu’elle entraîne – et le prix des énergies. Je ne suis pas de ceux qui disent que les prix doivent continuer à augmenter, mais il est certain que la transition ne pourra pas s’opérer sans augmentation. Encore faut-il l’assumer. Mais jusqu’où sommes-nous collectivement prêts à le faire ? Ce n’est pas un choix facile, comme en atteste le débat qui a lieu depuis deux ans au Royaume-Uni sur la réforme du marché de l’énergie. La question du coût est bien au cœur de la réflexion.

Compte tenu des capitaux engagés et de la lenteur de ce processus, le choix du bouquet énergétique prendra plus de temps que le souhaiteraient les opinions publiques et leurs représentants. Les attentes sont fortes par rapport à ce que l’industrie et le marché peuvent apporter dans l’immédiat. Nous devons, bien sûr, composer notre bouquet à partir des énergies dont la France dispose déjà. Pour notre part, nous sommes partisans d’une diversification. Quels que puissent être les changements et les évolutions politiques, mieux vaut, comme on dit, « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». En Europe comme ailleurs, nous avons besoin de plusieurs sources d’approvisionnement. Le principe de base doit être de favoriser les énergies renouvelables les moins chères pour la collectivité – choix qu’il faut également assumer. Nous devons trouver un mécanisme qui assure la garantie du système lorsqu’il change. Nous sommes ainsi très attachés au mécanisme de capacité : pendant que nous développons les énergies renouvelables, il faut pallier l’intermittence. Qui dit intermittence dit centrales moins productives ; et si elles produisent moins, il faut les aider à produire. La problématique des marchés de capacité va devenir essentielle pour les énergéticiens dans l’Europe de demain.

Nous sommes engagés dans la voie de cette transition, mais, encore une fois, nous avons besoin de clarté dans l’action publique. L’évolution voulue par le Gouvernement doit se traduire par une loi qui fixera un cadre. Ce sera un élément important pour attirer les investissements et nous confirmer que nous allons dans la bonne direction.

M. Luc Poyer, président du directoire d’E.ON France. Je suis heureux de pouvoir apporter la contribution d’E.ON à ce débat fondamental de la transition énergétique.

E.ON est un grand groupe énergéticien européen à capitaux privés, d’une taille comparable à EDF ou GDF-Suez. D’origine allemande, le groupe s’est très tôt aventuré hors de son marché national. Avec une trentaine de millions de clients, il est désormais présent non seulement en Allemagne, mais aussi en Grande-Bretagne, en Scandinavie, en Europe centrale, en France, en Espagne et en Italie.

Je commencerai par évoquer la transition énergétique telle qu’E.ON la conçoit et la met déjà en œuvre. En France, E.ON a hérité de la capacité installée de Charbonnages de France en matière d’électricité, soit environ 3 GW : quatre centrales thermiques situées sur les anciens bassins miniers, qui regroupent sept tranches au charbon et deux cycles combinés gaz (CCG), des parcs éoliens et deux fermes solaires. Nous sommes un petit acteur en taille, mais nous jouons un rôle déterminant dans l’équilibre entre l’offre et la demande, notamment pour faire face aux pics de consommation – ce qu’on appelle un acteur de semi-base et de pointe.

Nous avons pris la transition énergétique à bras-le-corps, en engageant un effort d’adaptation de notre outil industriel, qui a commencé par la reprise des centrales de Charbonnages de France, dont un tiers doit fermer à l’horizon 2015 pour des raisons réglementaires. Nous avons, d’autre part, investi plus de 700 millions d’euros depuis 2008, et nous sommes prêts à engager la conversion d’une de nos tranches charbon à la biomasse. Ce projet, conduit en Provence et qui requiert un investissement de l’ordre de 200 millions d’euros, devrait porter la capacité installée de ce site à 150 MW, dans une région en déficit de génération d’électricité. Il contribuerait à hauteur de plus de 600 000 tonnes à la réduction des émissions françaises de CO2, tout en permettant une valorisation de la forêt méditerranéenne.

Nous sommes également engagés dans une démarche de valorisation de l’hydroélectricité française. Nous rachetons la production de petits opérateurs sortis du tarif de rachat qui doivent trouver un débouché ; nous leur apportons des solutions à moyen terme. Nous sommes par ailleurs candidats au renouvellement des concessions hydroélectriques en association avec les acteurs locaux.

Nous sommes aussi présents à l’aval, c’est-à-dire dans la commercialisation. Nous élargissons notre portefeuille de clientèle, aujourd’hui centré sur les grands industriels, aux PME-PMI, en leur proposant des offres compétitives sur le marché du gaz.

Notre vision de la transition énergétique concerne donc aussi bien l’amont que l’aval. Les groupes énergétiques sont des acteurs essentiels. La France a et aura besoin d’acteurs solides et performants, ce qui conduit à poser la question des possibilités de développement d’un opérateur européen en France. Nous sommes en concurrence avec les deux grands groupes français, mais cela ne signifie ni que le secteur électrique doive reposer sur les seuls acteurs privés, ni qu’il faille atomiser l’offre. La concurrence repose, à notre sens, sur deux piliers. En premier lieu, il faut que plusieurs acteurs soient en mesure d’investir dans la production, pour des raisons de partage des risques et de poids des financements, mais aussi d’incitation à l’innovation. Ainsi, la centrale biomasse dont j’ai parlé constitue une forme d’innovation en France, car nous n’avons développé d’installations de ce type qu’en Suède ou en Grande-Bretagne. En second lieu, les tarifs de l’électricité doivent refléter les prix de marché, et, pour cela, il faut un bon signal-prix sur la durée. Or c’est de plus en plus difficile d’y parvenir, en raison des renouvelables et du fait du trop faible prix des quotas de CO2. Une grande attention doit donc être portée à la qualité et à la stabilité du cadre réglementaire, afin de permettre aux opérateurs d’investir sur le long terme.

Trois paradoxes me semblent caractériser la transition énergétique.

Premier paradoxe : alors que nous souhaitons tous une baisse de la consommation, c’est-à-dire du nombre de mégawattheures consommés et donc produits, il nous faudra accepter un accroissement de la capacité installée. Ainsi, en Allemagne, plus de 50 GW renouvelables ont été construits en quelques années.

Deuxième paradoxe : l’effort d’investissement a un coût, qui implique lui-même une hausse des prix pour le consommateur, au moins par kilowattheure consommé.

Troisième paradoxe : alors que les émissions de gaz à effet de serre et le changement climatique sont au cœur des préoccupations, le marché du carbone ne fonctionne pas bien. Il faut remettre sur les rails le marché des quotas de CO2, innovation européenne indispensable pour que les opérateurs aient le bon signal-prix sur la transition énergétique. Je ne parlerai pas ici des déboires d’une technologie très importante pour modifier la donne en matière de génération d’électricité : le captage, le transport et le stockage du CO2.

Quels enseignements tirer de l’exemple allemand en matière de transition énergétique ? Le tournant pris en Allemagne consiste à sortir très rapidement du nucléaire mais aussi – ce qui est moins connu – à accélérer le développement des énergies renouvelables, qui devraient représenter plus de 80% de la génération d’électricité en 2050. Il s’agit également de modérer les consommations – de 25% d’ici à 2050 pour l’électricité – et de réduire les émissions de CO2 de 80% à 95% d’ici à 2050.

Les enjeux allemands sont au nombre de trois. Le premier est le financement des infrastructures de transport : environ 30 milliards d’euros sont nécessaires pour construire 4 000 kilomètres de lignes, alors que 200 kilomètres ont été construits durant les cinq dernières années. Le deuxième enjeu est le coût des énergies renouvelables : 20 milliards d’euros de subventions devront être versés en 2013 pour financer les tarifs de rachat, soit une facture annuelle de l’ordre de 900 euros par foyer en Allemagne, contre 660 euros en France. Le troisième enjeu est sans doute le plus complexe : c’est celui du maintien d’une capacité suffisante pour couvrir la pointe. Le marché de capacité sera nécessaire ainsi que des ruptures technologiques – d’où l’importance de l’innovation dans le stockage d’énergie.

E.ON contribue au changement en s’engageant massivement, depuis 2008, dans le développement des énergies renouvelables avec la volonté de tripler sa capacité installée à l’horizon 2020, et en mettant en œuvre une politique de réduction du coût des énergies renouvelables pour sortir des tarifs de rachat. Nous rejoignons la préoccupation des pouvoirs publics et de l’opinion publique : les énergies renouvelables doivent impérativement devenir compétitives. Elles ne pourront pas être subventionnées ad vitam aeternam.

Notre deuxième contribution à la transition énergétique consiste à investir dans l’innovation. Je pense aux centrales hydrauliques de stockage, ou stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), que nous développons dans plusieurs pays, et à diverses avancées en matière de stockage. Nous avons développé à Falkenhagen, en Allemagne, une chaîne à partir de l’électricité produite par les éoliennes : nous la transformons en hydrogène par électrolyse, avant de stocker cet hydrogène dans des tuyaux haute pression de gaz naturel.

La transition énergétique doit être l’occasion d’une réflexion large, cohérente et ambitieuse, dans un cadre européen et à partir d’exemples réussis, en particulier dans la coopération franco-allemande. Il est nécessaire d’inventer un nouveau modèle propre à chaque pays, avec un bouquet énergétique plus développé, mais aussi d’organiser des interdépendances. Sans l’interconnexion franco-allemande, la France aurait connu un black out à l’hiver dernier.

Il faut enfin développer des partenariats, à l’exemple du projet de Provence 4, qui nous permettra, espérons-le, de revenir à la source de ce qui a fait le succès de la construction européenne, commencée par une coopération énergétique. Il s’agit, comme l’ont voulu Jean Monnet et Robert Schuman, de « réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait. »

M. Robert Durdilly, président de l’Union française de l’électricité. Je vous remercie d’offrir à l’Union française de l’électricité (UFE) l’occasion de s’exprimer devant vous en ce moment crucial du débat national sur la transition énergétique.

L’UFE regroupe la plupart des industriels français du secteur électrique, parmi lesquels E.ON et GDF-Suez, et de nombreux représentants des filières des énergies renouvelables dont certains ont une dimension internationale. Nous menons depuis plusieurs années des travaux sur les questions touchant à l’évolution du système électrique. Nous les avons récemment approfondis au vu des orientations politiques qui se dessinent aujourd’hui.

Permettez-moi de rappeler, à mon tour, les deux grands enjeux de cette transition énergétique. Le premier est lié à la « performance CO2 » du bouquet énergétique français, qu’il convient de préserver voire d’amplifier. Le second est celui de la balance commerciale : lors du colloque de l’UFE, Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, a insisté sur la nécessité que la transition ne conduise pas à aggraver le déficit commercial, mais puisse au contraire contribuer à le réduire.

Nous avons travaillé sur la base des éléments du scénario dit « nouveau mix », qui est l’un de ceux étudiés par Réseau de transport d’électricité (RTE) dans son bilan prévisionnel. Ce scénario, qui pousse le plus loin le développement des énergies renouvelables, paraît proche des orientations fixées par le pouvoir politique. Il suppose de quadrupler la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique, afin de la porter à 40% avec, par exemple, 30 GW photovoltaïques, 40 Gigawatts éoliens – terrestre ou offshore – et 28 GW hydrauliques à l’horizon 2030. Ces chiffres sont importants : la puissance installée dans les énergies renouvelables devrait rapidement dépasser celle du parc nucléaire. C’est dire que nous allons assister à un bouleversement du système électrique. Se pose dès lors la question des conditions de réussite du développement et de l’intégration. Cinq facteurs clés de réussite me semblent devoir être cités, mais cette énumération n’est pas exhaustive.

Le premier facteur est celui du financement. Nous évaluons les investissements dans le système électrique exigés par ce scénario, hors investissements dans l’efficacité énergétique, à 420 milliards d’euros à l’horizon 2030, dont 180 milliards dédiés aux équipements de production d’énergies renouvelables. Ces montants sont élevés ; or le financement de ces investissements est important. Comme Jean-François Cirelli, nous insistons sur le besoin de sécurisation et de visibilité des opérateurs. Il faut un cadre réglementaire stable, des règles de marché adaptées et des tarifs qui reflètent a minima les coûts.

Le deuxième facteur est le renforcement de l’industrie française. La situation varie selon les filières, mais elle n’est pas toujours positive en termes de balance commerciale. Si nous ne nous attaquons pas à ce sujet, nous risquons d’aggraver la situation avec le développement des énergies renouvelables. Il est donc capital de renforcer notre tissu industriel. En réduisant de 50% les taux d’importation de ces équipements, nous réduirions le déficit commercial cumulé sur la période de 40 milliards d’euros.

Le troisième facteur est le suivant : un effort considérable en matière d’énergies renouvelables doit conduire à affecter prioritairement leur production à la réduction de la consommation d’hydrocarbures. Le fioul et le pétrole représentent environ la moitié de la consommation d’énergie en France : le premier est le second mode de chauffage des Français, avec 120 térawattheures par an, devant le chauffage électrique et après le gaz. Le déficit commercial s’élève à 70 milliards d’euros, dont plus de 85 % sont liés aux importations pétrolières. Il y a donc un intérêt à affecter des transferts d’usage – développement des pompes à chaleur ou des transports électriques, par exemple – pour optimiser notre bilan CO2 et réduire notre dépendance énergétique.

Un quatrième facteur tient aux infrastructures. Aucun développement des énergies renouvelables n’est possible sans un développement important des réseaux de transport et de distribution. Il faut tirer parti de la complémentarité des territoires – je pense en particulier aux régimes de vents, qui sont différents suivant les régions, mais il en va de même pour la production solaire. À cette fin, il faut permettre à la fois un développement local et une sécurité nationale, ce qui implique un renforcement des réseaux et une large interconnexion. Compte tenu des difficultés de construction des lignes, c’est une donnée à maîtriser.

Le dernier facteur que je mentionnerai est la cohérence des choix. Il convient d’éviter les conflits de règles. Prenons l’exemple de l’hydroélectricité française. Il existe un potentiel non exploité de près de 11 térawattheures, ce qui constitue une chance car c’est une énergie renouvelable, bien répartie, souple, prévisible et compétitive. Or la révision des classements de cours d’eau risque d’empêcher l’exploitation de cette ressource – au vu des projets dont nous avons connaissance, les trois quarts de celle-ci pourraient être supprimés. Assurer la cohérence de nos politiques constitue un véritable enjeu et, en la matière, la représentation nationale a un rôle important à jouer. Dans la perspective de la loi de programmation qui devrait clore le débat sur la transition énergétique, il est essentiel que vous preniez la mesure des conséquences de vos choix pour assurer la réussite de cette évolution.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pour la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, les priorités de la transition écologique sont l’efficacité et la sobriété énergétiques ainsi que le développement des énergies renouvelables. L’ADEME considère que la demande d’énergie finale devrait diminuer avec le temps, à la différence d’autres acteurs qui estiment qu’elle continuera à croître sous l’effet de la démographie et de la croissance économique – même faible. Sommes-nous en mesure de programmer une diminution de la demande d’énergie finale ?

Selon le président Cirelli, le marché européen des quotas de carbone a complètement perdu son efficacité puisque le prix de la tonne de carbone se situe entre 6 et 7 euros après avoir atteint 17 à 18 euros à une certaine période. Mme Connie Hedegaard a fait des propositions pour redonner vie et dynamisme à ce marché mais celles-ci n’ont pas recueilli l’assentiment des États-membres. C’est particulièrement inquiétant ! Considérez-vous qu’il faut instaurer une contribution climat-énergie ou une taxe carbone ?

M. Philippe Plisson. À l’issue de la conférence de Doha, la plupart de ceux qui ont pris conscience de l’urgence écologique ont la « gueule de bois » : c’est encore un coup d’épée dans l’eau, un sommet pour pas grand-chose, dans l’indifférence quasi-générale ! Il faudrait contenir le réchauffement de la planète à 2° C d’ici à 2100 pour éviter la catastrophe annoncée. Il sera vraisemblablement de 4° C en 2060 ! La ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie l’a rappelé : nous devons être exemplaires. Ici, nous sommes conscients de l’importance du sujet, très impliqués et prêts à prendre nos responsabilités. Malheureusement, ceux qui ne sont pas là restent à convaincre de l’urgence et de la nécessité.

Lors de son discours d’ouverture de la Conférence environnementale, le Président de la République a clairement établi un lien entre écologie et économie ; il a affiché son ambition pour un nouveau projet de société en proposant rien moins qu’un nouveau modèle de développement qui implique d’admettre « que le progrès de l’humanité à l’heure de la mondialisation ne peut se concevoir selon des schémas nés à l’heure industrielle ». En outre, les objectifs annoncés lors de cette conférence sont ambitieux : ramener d’ici à 2025 de 75 à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité dans notre pays, sécuriser notre approvisionnement, maintenir l’interdiction de la fracturation hydraulique et développer l’ensemble des énergies renouvelables.

À la suite de sa première réunion du 29 novembre, le comité de pilotage a présenté les différents organes qui assureront le bon déroulement du débat, auquel vous prendrez part grâce à la création du groupe de contact des entreprises de l’énergie. Deux priorités se dégagent de cette réunion : d’une part la compétitivité, d’autre part la croissance verte avec la création de 100 000 emplois en trois ans dans les domaines des éco-industries, de l’efficacité énergétique, du génie écologique et de l’économie circulaire. Pour que ce groupe de travail réussisse, ses membres ne doivent pas être une addition de groupes de pression défendant chacun sa chapelle. Or vos interventions successives se sont juxtaposées mais pas toujours répondu. Comment envisagez-vous, messieurs, le travail en commun au sein de ce groupe, et comment en assurer la synergie ?

Devant l’urgence d’une plus grande sobriété énergétique et d’un nouveau modèle de réseau, que pensez-vous de la mise en place d’un réseau décentralisé  de production et de consommation électriques ? Quelles pistes proposez-vous pour y parvenir ? Comment conciliez-vous l’offre et la demande ? L’objectif de sobriété suppose une diminution de la consommation et une meilleure efficacité : quelle politique mener sur ce dernier point ? Que pensez-vous des compteurs intelligents pour EDF et pour les ménages ?

Le développement des énergies renouvelables suppose une politique volontariste afin d’atteindre une plus grande indépendance énergétique, de lutter contre le changement climatique et de créer de nouvelles filières professionnelles. Quelles sont les stratégies de recherche et développement en la matière, en particulier pour renforcer la complémentarité ?

La France pourrait être le pays organisateur de la Conférence mondiale sur le climat en 2015, ce qui nous confère un devoir d’exemplarité. Le dynamisme induit par le débat sur la transition énergétique permettra-t-il aux protagonistes français d’assurer le succès de cette conférence?

M. Martial Saddier. La France est un pays qui dispose de peu de ressources fossiles. Depuis 40 ans, cette situation l’a conduite à mener une politique très claire : notre taux d’indépendance énergétique est passé de 23,9 % en 1973 à environ 50 % en 2006, notamment grâce à notre programme électronucléaire. Les prix de l’électricité française se situent parmi les plus bas d’Europe et le solde exportateur de l’électricité est largement positif. Enfin, les principales sources de production d’électricité que sont le nucléaire, qui représente 78 % de notre production, et l’hydraulique, 10 %, n’émettent pas de gaz à effet de serre. On compare souvent la part des énergies renouvelables en France et en Allemagne : cette part serait-elle si importante si l’on produisait aussi, outre-Rhin, 78 % de nucléaire ?

Quel est le taux de satisfaction de nos compatriotes à l’égard de notre système énergétique actuel ? Quelles sont les réserves en énergie fossile ?

Lors de la Conférence environnementale, le Président de la République a confirmé son choix de diminuer la part du nucléaire : à combien estimez-vous le coût de ce choix dans le budget de nos concitoyens ? Quelles seront ses incidences sur nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre — de 40 % d’ici à 2030 et de 60 % d’ici à 2040 ? Cette option est-elle réalisable et compatible avec ces objectifs ?

Obtenir dans dix ans un moteur automobile consommant deux litres d’essence pour 100 kilomètres est-il possible à grande échelle ?

Où la recherche-développement en est-elle en matière de captage et de stockage de CO2 ? Quel serait pour vous, messieurs, le prix adéquat d’une tonne de carbone ?

Quel est l’état d’avancement de la recherche en matière d’exploitation des gaz de schiste par une technique autre que celle de la fracturation hydraulique ?

La France s’apprête à être condamnée par la Cour de Justice de l’Union européenne pour ses émissions polluantes de particules PM 10 et PM 2,5. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, du point de vue de la transition énergétique, l’acte III de la décentralisation constitue-t-il une chance ou une source d’inquiétude ?

M. Bertrand Pancher. Ma question s’adresse à M. Philippe Boisseau. J’ai participé à la Conférence internationale sur le réchauffement climatique. À l’instar de mes collègues, je n’ai cessé d’être horrifié par la lenteur des décisions de la communauté internationale. Dans quelques années, nous serons confrontés sur les émissions de gaz à effet de serre aux polémiques que nous avons connues dans les affaires du sang contaminé et de l’amiante. Tous diront : « Vous saviez et vous n’avez rien fait ! ». Cette responsabilité est complètement collective : elle est partagée par les élus, l’opinion publique et les dirigeants d’entreprise.

Dans vingt ans, notre unique choix ne consistera-t-il pas à choisir entre la peste et le choléra, c’est-à-dire entre le schiste bitumineux, pour produire du pétrole dans n’importe quelles conditions, et la gazéification du charbon, source d’émissions de gaz à effet de serre ? Vers quel modèle vertueux souhaiteriez-vous nous entraîner ? D’ici vingt à trente ans, est-il possible de créer une économie entièrement décarbonée ?

Je remercie Jean-François Cirelli pour la hauteur de vue de ses propos sur la taxation du CO2, que nous jugeons indispensable pour disposer des capitaux nécessaires à la transition écologique. Mais comment protéger nos activités aux frontières de l’Europe ? Nous nous trouvons confrontés à deux types d’entreprises, celles qui ont opté pour le libéralisme et ne souhaitent aucune contrainte aux frontières, et d’autres qui souhaitent être protégées car elles vont devoir payer leurs quotas de CO2 en janvier.

La stabilité tarifaire des énergies renouvelables est essentielle. Or, ainsi que cela a été souligné, les fluctuations sont incessantes dans tous les pays européens. Existe-t-il des modèles en la matière ?

Le captage-stockage de CO2 est une technologie très lourde : peut-on parier sur sa généralisation ? Quel tarif de rachat faudra-t-il fixer pour parvenir à multiplier par quatre la production d’énergies renouvelables et réaliser les investissements correspondants ?

Quel sera demain le tarif de l’électricité ? Nous savons qu’il va augmenter : pourquoi avons-nous peur d’annoncer ces augmentations ? De quel ordre seront-elles ?

M. Patrice Carvalho. J’ose le dire : j’entends des propos gênants. L’entreprise Total se prétend responsable, mais c’est difficile à écouter : certes, sur nos routes, elle transporte l’essence dans de beaux camions riches en couleurs et visibles de loin mais, sur la mer, elle la transporte dans de vieux rafiots tout en prenant bien soin de se protéger sur le plan juridique. De même, lorsqu’elle a fermé des stations-service, elle n’a fait qu’enlever le logo en laissant l’équipement complètement à l’abandon. Et si elle produit 7 % d’énergie renouvelable, il faut comprendre 93 % d’hydrocarbures. Une entreprise n’est pas complètement philanthropique ! Elle est d’ailleurs celle qui pratique les prix les plus chers sur autoroute et en station-service.

S’agissant du carbone, ce qui importe, ce n’est pas le prix de la tonne, mais le prix que doivent payer les entreprises souhaitant acheter des quotas. Nombre d’industries lourdes ferment leurs portes et nombre de fours — dans le secteur de la métallurgie ou du verre — sont mis en veilleuse, le marché du carbone n’étant pas intéressant pour eux !

Par ailleurs, le gaz à effet de serre peut être capté de multiples manières, notamment en utilisant des fermenticides. GDF semble ouvert à l’installation d’unités de méthanisation : c’est une technique d’avenir dont j’aurais aimé entendre parler !

En ce qui concerne E.ON, que va devenir Hornaing ? Il y a eu des engagements pour transformer le site d’ici à 2015 ; il y a la possibilité d’installer un système de récupération de CO2 ou une centrale à gaz. Or je n’ai pas l’impression d’une vision claire à ce sujet.

Nous sommes en train de fermer peu à peu nos petites centrales hydrauliques. Ce n’est plus EDF qui en rachète l’électricité mais d’autres sociétés, et surtout les Allemands, qui l’achètent 20 % moins cher que l’ancien prix EDF, mais qui nous le revendent mille fois plus cher lorsqu’il y a des pointes de consommation. On a du mal à comprendre ce que fait notre compagnie française d’électricité si nous ne sommes pas capables d’acheter l’électricité produite en France par de petites centrales. Au reste, celles-ci risquent d’être fermées bientôt à cause d’une loi sur l’eau surdimensionnée et aux effets néfastes sur la production électrique !

M. Denis Baupin. Je me félicite de la tenue de cette table ronde et j’en profite pour proposer à la présidence que nous recevions également les grands acteurs industriels œuvrant dans le domaine de l’efficacité énergétique. Je me réjouis d’avoir entendu que les acteurs industriels souhaitent des orientations publiques sur la question énergétique et qu’ils invoquent la responsabilité des politiques. Je me réjouis également de l’importance qu’ils accordent aux énergies renouvelables, ce qui ringardise une bonne partie des discours entendus dans notre assemblée. L’UFE a fait la démonstration que la transition énergétique, et les objectifs que la majorité s’est fixée, sont techniquement possibles et bénéfiques, tant pour la croissance que pour l’emploi. Cela nous conforte, même si je ne partage pas toutes les hypothèses. Nous, les écologistes, pensons que la transition énergétique est nécessaire mais qu’elle est surtout une opportunité pour l’emploi et pour notre balance commerciale.

M. Cirelli souligne la nécessité de donner un prix au carbone. Soit, mais il faut aussi en donner un à la déplétion pétrolière ainsi qu’à l’accident nucléaire. Si l’on internalise l’ensemble de ces coûts externes, on s’apercevra que les énergies renouvelables sont bien plus compétitives que beaucoup d’autres.

L’investissement de 400 milliards d’euros dont parle l’UFE n’est pas exclusivement public. Ce montant peut paraître astronomique mais, sur trente ans, il correspond à peu près à six années de notre déficit commercial dû au pétrole. Nous pouvons choisir d’investir chez nous pour faire des économies d’énergie et développer les énergies locales, ou continuer à importer des énergies de l’étranger.

La transition énergétique est non seulement juste sur le plan économique, mais elle est également pertinente sur le plan social. Il faut faire en sorte, non que les tarifs ne progressent pas, mais bien que la facture n’augmente pas. La politique en matière de consommation d’énergie est essentielle à la maîtrise des coûts pour le consommateur. Qui plus est, quelles seront les parts respectives de la transition énergétique payées par le consommateur et par le contribuable ? Actuellement, une fraction importante de notre politique nucléaire n’a pas été payée par le consommateur, mais par le contribuable. C’est d’ailleurs pourquoi on nous raconte que le kilowattheure nucléaire est le moins cher : de fait, il est artificiellement bas. Si la transition énergétique est payée par le consommateur, nous disposerons d’un signal-prix intéressant. Pour autant, nous devons trouver le juste équilibre afin de ne pas mettre en difficulté les ménages.

Pourriez-vous nous confirmer que, selon vous, la transition énergétique, passage des vieilles énergies — dont fait partie le gaz de schiste — aux énergies d’avenir que sont le négawatt et les énergies renouvelables, constitue une opportunité économique et industrielle ?

M. Olivier Falorni. La question centrale de notre débat est celle des énergies renouvelables. N’oublions jamais nos cinq objectifs principaux, qui supposent action et résultat : la sécurité des approvisionnements et la réduction de notre dépendance à l’égard des énergies fossiles ; la compétitivité des prix pour les particuliers et les entreprises ; la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique ; l'accès de tous à l’énergie ; enfin, l’objectif industriel de développement de filières porteuses de croissance.

Les industriels de l’électricité et la ministre de l’énergie, Delphine Batho, s’accordent pour dire qu’un investissement considérable sera nécessaire pour aider au financement de la transition. Parmi les points essentiels, pour le groupe RRDP, figure la transparence des prix à la production et des prix de transport. Ce n’est pas simple : comment parvenir à une transparence totale sur les coûts réels des différents moyens de production et sur le coût final supporté par le consommateur ?

Avec quels outils lutter concrètement contre la précarité énergétique, sachant que la fourniture de chaleur devra représenter 10 millions de tonnes équivalent pétrole en 2020 ?

Quant à l’exploitation du gaz de schiste, sujet incontournable du débat sur la transition écologique, le Président de la République a récemment réitéré son opposition à la facturation hydraulique, estimant qu'elle n'est pas « exempte de risques lourds pour la santé et l’environnement » du fait de son caractère polluant. M. de Margerie est un ardent défenseur du gaz de schiste, que Total exploite aux États-Unis, et le considère comme un incroyable moteur de croissance. Plus de 3 000 forages ont été effectués en Pennsylvanie au cours des six dernières années, et 15 000 dans le nord du Texas. Son mode d’extraction fait débat car il contaminerait les nappes phréatiques. Au-delà des querelles idéologiques, c’est l’indépendance énergétique qui est en cause. Comment peut-on affirmer que l’exploitation que ce type de gaz est sans risque pour notre santé et notre environnement, et qu’il s’agit de l’énergie du futur ?

Le groupe E.ON envisage la suppression de plusieurs tranches dans ses quatre centrales à charbon situées sur notre territoire, ce qui entraînera la perte de plusieurs centaines d’emplois, le plus souvent sous forme de départs volontaires. C’est un coup dur pour notre tissu industriel. Vous venez d’investir 113 milliards d’euros en Turquie – certes, sous réserve de l’autorisation des autorités de régulation. Or vous excluez d’ouvrir de nouveaux chantiers en France d’ici à 2020. D’où ma question : quelles sont vos perspectives dans notre pays ?

Mme Sophie Errante. Je souhaiterais connaître l’opinion de Jean-François Cirelli quant à l’opportunité d’exploiter du gaz de schiste en France. La présence de ce gaz sur le territoire est considérée par certains comme une opportunité, puisque son exploitation pourrait être facteur de croissance économique, de création d’emplois et d’indépendance énergétique. Pour autant, on peut être sceptique quant à l’intérêt pour la France de se lancer dans des recherches coûteuses dont les résultats sont difficilement quantifiables. Les entreprises se concentrent majoritairement sur l’amélioration de la technique de la fracturation hydraulique, mais existe-t-il d’autres techniques viables à moyen terme ?

M. Jean-Marie Sermier. La transition énergétique est un état de fait, et l’idéologie n’y a pas sa place ! Malgré tout, cette transition prendra beaucoup de temps : celui de l’expérimentation technologique, de la politique et de l’acceptation sociétale.

Le développement de chaque énergie renouvelable s’est heurté à des obstacles, qu’il s’agisse de l’éolien, du photovoltaïque ou de la biomasse. La transition énergétique consiste en un panachage, qui durera plusieurs décennies, entre énergies fossiles et renouvelables. Pour la réussir, nous devons rassurer les populations et donner de la visibilité aux entreprises. Notre devoir est de poser sereinement le problème. La transition énergétique ne dépend-elle pas des stocks d’énergie fossile dont nous disposons et du temps qu’il nous faudra pour la mettre en place ?

Total a récemment affirmé que sa production de pétrole et de gaz devait augmenter de 3 % par an entre 2012 et 2015. L’entreprise a investi fortement dans des champs pétrolifères, notamment au Kazakhstan. Quelles sont les réserves de pétrole et de gaz du groupe Total au niveau mondial ?

Mme Martine Lignières-Cassou. Monsieur Poyer a indiqué que l’échec du stockage de carbone relevait d’un problème technique. N’a-t-on pas plutôt des difficultés à créer un marché stabilisé autour du CO2 ?

Au-delà la polémique sur la fracturation hydraulique utilisée pour extraire le gaz de schiste, le gaz gardera-t-il une place importante dans la transition énergétique, sachant qu’il s’agit d’une énergie fossile ?

Mme Sophie Rohfritsch. S’agissant du stockage de l’hydrogène et de la pile à combustible, la société française McPhy a lancé, à proximité d’un aéroport du Brandebourg, la création d’un grand consortium dans le but de stocker l’énergie procurée par un immense champ éolien en la transformant en hydrogène. En France, cette technologie apparaît encore comme très peu mature. Néanmoins, Total et d’autres sont membres de ce consortium et investissent de manière très importante dans cette technologie : peut-on dès lors penser qu’il s’agit d’une énergie disponible dans un futur très proche ?

Mme Catherine Quéré. Les 14 et 15 septembre 2012, le Gouvernement a défini sa feuille de route en matière de transition écologique : elle prévoit un plan de rénovation thermique, une simplification des procédures administratives pour le développement des énergies renouvelables et un soutien aux filières éolienne et solaire. Considérez-vous cette ambition nationale comme une menace ou une chance pour vos entreprises ?

La baisse de la participation de GDF-Suez dans Suez-environnement, annoncée le 6 décembre, marque-t-elle un repli de GDF par rapport aux enjeux de développement durable et des énergies renouvelables ?

M. Gérard Mestrallet, président directeur général de GDF-Suez, a évoqué récemment les surcapacités de l’Europe en matière d’énergie. Nous venons d’entendre l’inverse : qu’il n’y a pas assez d’énergie disponible. Comment expliquez-vous ces appréciations différentes ?

M. Christophe Priou. Nous fêterons demain l’anniversaire du naufrage de l’Erika, survenu le 12 décembre 1999. Les législateurs européen et français avaient alors beaucoup agi, sous le coup de l’émotion légitime et de la colère, pour renforcer la sécurité du transport maritime. Au lendemain d’une bataille juridique gagnée par les collectivités territoriales et les associations, comment ne pas repenser à cette caricature qui représentait un cormoran mazouté interpellant M. Christophe de Margerie : « En France, on n’a pas de pétrole mais on a une justice ! ». Toutefois, la question de la sécurité du transport reste posée, quelle que soit la source d’énergie concernée.

Comment la société Total – gros employeur et gros investisseur – pourrait-elle diversifier son activité ? J’ai beaucoup entendu parler de l’énergie solaire, mais elle est en difficulté. Cela dit, dans la mesure où Total exploite beaucoup en milieu marin et que les recherches se font majoritairement dans les sous-sols marins, comptez-vous intervenir dans le biomarin, l’éolien en mer et l’énergie des vagues ? Voilà qui permettrait de redorer l’image durablement altérée de votre société depuis le naufrage de l’Erika, qui aurait pu et dû être évité.

M. Jean-Jacques Cottel. Les projets d’installations à cycle combiné gaz, qualifiés de centrales thermiques à gaz et remplaçant les centrales au charbon, semblent se développer. En raison d’un manque de transparence et parce qu’ils sont fort peu créateurs d’emplois, ils ne sont pas toujours bien compris par nos populations, voire parfois controversés, d’autant plus que l’on doit souvent acheminer le gaz en milieu rural. Ils constituent certes une manne pour les territoires, mais certains coûtent cher. Je voudrais donc savoir si l’on mesure vraiment les besoins énergétiques d’une région ou d’un territoire avant l’installation de ces centrales et si celles-ci permettent réellement de limiter la pénurie d’électricité lors des pics de consommation hivernale. De surcroît, ce gaz n’a-t-il pas un impact négatif sur la santé ?

M. Jacques-Alain Benisti. Le précédent Gouvernement a considérablement investi dans la recherche, en multipliant par cinq les budgets d’accompagnement de grands projets de recherche en faveur de la biodiversité énergétique. Un groupement « Ville et mobilité durable » a même été créé à 15 kilomètres à l’est de Paris, avec les universités françaises les plus importantes et la construction du plus grand centre de recherche en matière de bioénergie et de développement des énergies nouvelles. Quatre cents hectares ont été réservés pour permettre aux entreprises françaises de se regrouper et favoriser leur synergie en matière de transition énergétique ; malheureusement, seules trois entreprises ont manifesté leur intérêt pour le projet…et elles étaient allemandes !

Vous demandez à la représentation nationale de soutenir votre effort d’investissement. Or, si la majorité précédente l’a fait, rares ont été les réponses il y a un an ! Avez-vous l’intention de répondre enfin ?

M. Alain Gest. Que pensez-vous du coût supporté par les entreprises allemandes à la suite de la décision prise par Mme Angela Merkel en matière énergétique ?

On parle actuellement beaucoup du prix du gaz, et je partage les propos tenus tout à l’heure par Jean-François Cirelli à cet égard. Cependant, le prix du gaz est indexé sur celui du pétrole. Comment sortir de ce système ?

M. Philippe Boisseau. Quelles sont les réserves d’énergies fossiles ? Même si la consommation énergétique des pays de l’OCDE croît relativement peu, la demande mondiale va considérablement augmenter dans les trente années à venir et concernera essentiellement l’électricité. Dans le monde, celle-ci est principalement produite à partir de charbon et de gaz. Par ailleurs, la part du nucléaire n’augmente pas dans le bouquet énergétique mondial. Enfin, peu de pays produisent de l’électricité à partir du pétrole car cette utilisation n’est pas compétitive. Par conséquent, si la demande mondiale d’électricité augmente fortement, la part du gaz s’élèvera forcément. À l’horizon 2030, on comptera 70 % d’énergies fossiles — gaz, pétrole et charbon — contre 75 % actuellement. Certes, le pourcentage diminue mais comme la demande progresse, la quantité absolue d’énergies fossiles augmentera également.

Bien sûr, il est absolument essentiel de promouvoir les économies d’énergie et les énergies nouvelles. Nous nous attachons à le faire. Nous ne sommes pas les seuls.

Nous sommes conscients des enjeux liés au prix du CO2. Nous avons mené des actions, en tant qu’industriel et vis-à-vis de nos clients, en faveur de l’efficacité énergétique. Nous avons même spontanément, sur fonds privés, financé à Lacq un projet industriel de tests de captage et de stockage de CO2. Nous nous sommes donc préparés. Néanmoins, en tant qu’industriel, nous ne pouvons aborder seul ce sujet, car nous sommes en concurrence avec de nombreuses industries extra-européennes. Il faut être conscient que des normes unilatérales engendreront des distorsions de concurrence au détriment de l’industrie européenne, favoriseront ses concurrents étrangers et ne contribueront pas à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Autrement dit, la réduction de ces émissions constitue une priorité mais elle ne peut se faire seule. Si le prix du CO2 est bas en Europe, malgré les critères et les quotas exigeants qui ont été définis, cela traduit malheureusement le fait que l’Europe est en crise, que l’industrie européenne produit moins et qu’elle émet par conséquent moins de CO2 que ce prévoyait la trajectoire de réduction des émissions. C’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle : bonne en ce qui concerne le CO2, moins bonne pour notre économie. La réglementation des émissions doit se faire collectivement ensemble et non de façon isolée, sinon les effets obtenus ne sont pas ceux attendus.

En ce qui concerne les réserves de pétrole et de gaz, notre compagnie dispose d’une vingtaine d’années de réserve et de quarante ans de ressources. Cette quarantaine d’années correspond à la visibilité dont on dispose au niveau mondial. Cela étant, la durée de vie des réserves progresse au fur et à mesure qu’on produit parce que l’on continue d’en découvrir de nouvelles. Néanmoins, la quantité produite va plafonner ; c’est ce qui nécessitera de trouver des énergies complémentaires.

Nous pensons que les premiers véhicules consommant deux litres d’essence pour 100 kilomètres sont faisables à l’horizon 2020, en s’appuyant sur des moteurs hybrides. Dans le cadre de nos recherches en partenariat avec les constructeurs automobiles, deux types de moteur émergent : les hybrides diesel pour les très grosses cylindrées, et les hybrides à essence pour les petites cylindrées. Néanmoins, il faudra attendre dix à vingt ans supplémentaires pour que ces deux technologies occupent une part significative dans le parc.

Différentes techniques ont été testées pour le captage et le stockage de CO2 (CCS, carbon capture and storage). Malheureusement, la technique de stockage dans des aquifères profonds est beaucoup plus complexe qu’on ne le pense, et les tailles de stockage imaginées initialement sont considérablement réduites – le grand projet dans le bassin parisien pour lequel nous étions partenaires a ainsi vu sa capacité initiale divisée par cent. Le captage et le stockage du CO2 peuvent être réalisés dans d’autres circonstances, comme nous le faisons à Lacq dans un gisement de gaz déplété. Toutefois, ce procédé n’est pas encore rentable et reste du domaine de la recherche. À cet égard, nous sommes partenaires d’autres initiatives.

Nos bateaux ne sont pas des poubelles. La justice a tranché pour l’affaire de l’Erika. Le groupe Total a mis en place, il y a plus de dix ans, des règles internes qui fixent un âge limite à tous ses navires à double coque, partout dans le monde, et qui l’obligent à n’affréter aucun navire ne répondant pas à ces critères, même s’il n’en a pas la responsabilité juridique – ce qui nous pose parfois des difficultés de transport, mais nous souhaitons développer cette démarche d’amélioration continue.

Total exploite des gisements de gaz de schiste à l’étranger. En France, le dossier gaz de schiste est clos pour nous.

L’hydrogène constitue une forme de stockage de l’énergie qui n’en est qu’au stade de l’expérimentation. Pour limiter son empreinte carbone, il doit être produit par l’électrolyse de l’eau couplée à une source d’électricité propre. Actuellement, ce procédé n’est ni rentable ni maîtrisé, et constitue donc une solution lointaine. À cela s’ajoute, comme pour toutes les nouvelles sources d’énergie, le prix des infrastructures. Le développement d’un type de carburant nécessite, en effet, des infrastructures très lourdes. Or s’il faut avoir des stations pour lancer des voitures, il faut aussi des voitures pour lancer des stations. Compte tenu de l’importance des investissements, la mise en place de ces procédés est très lente. En revanche, nous avons décidé d’être pionniers en matière d’expérimentation. C’est ainsi que nous exploitons en Allemagne une dizaine de stations hydrogène dans le cadre de notre R&D.

Enfin, le dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE) existe et nous pensons que la Commission européenne pourrait prendre des initiatives en la matière. Certes, au vu de sa complexité sur le plan administratif, nous ne souhaitons pas son application dans le domaine des transports. Néanmoins, pour le chauffage, il a donné lieu à un certain nombre de projets. Nous sommes devenus un des principaux promoteurs français en matière d’économies d’énergie, notamment dans l’habitat, grâce ou à cause de ce dispositif. Il constitue un des éléments de réponse à la précarité énergétique, car faire baisser la consommation des clients est une façon de diminuer leur facture.

M. Jean-François Cirelli. Il est possible de maîtriser la demande – elle est d’ailleurs en passe de l’être. Si des économies d’énergie supplémentaires ne sont pas réalisées aujourd’hui, c’est parce qu’elles représentent un coût. Des financements idoines devront apparaître, car les travaux de rénovation d’une « passoire thermique » peuvent s’élever à 10 000 ou 15 000 euros, ce que ne peut assumer l’ensemble de nos concitoyens.

Dans le cadre du débat sur la transition énergétique, il faudra dépasser les intérêts catégoriels. Pour ma part, je m’en tiendrai à une position générale puisque GDF-Suez est un acteur dans tous les domaines en France, sauf dans le charbon.

Certes, les réseaux décentralisés vont se développer à l’avenir. Néanmoins, ils ne représentent pour l’heure qu’un tiers de la consommation d’énergie. Nous avons donc encore besoin de grosses structures pour assurer l’approvisionnement de l’industrie.

Il est surprenant que l’Europe, qui milite en faveur des énergies renouvelables dans le cadre de la transition, n’ait pas lancé un grand projet de recherche sur le sujet. GDF-Suez mène des travaux dans le domaine des énergies marines et a lancé un projet d’hydroliennes. Il est indéniable que la recherche publique est insuffisante dans notre pays.

Il y a dix ans, les industriels parlaient d’un « après hydrocarbures » – British Petroleum (BP) s’était même renommée Beyond petroleum, c’est-à-dire « au-delà du pétrole ». Aujourd’hui, même si cela ne va pas plaire à tout le monde, leur sentiment est qu’il y a beaucoup plus d’hydrocarbures qu’on ne le pensait. De la même manière, les réserves de gaz non conventionnel ont été réévaluées, pour passer de soixante à deux cent cinquante ans. Si c’est vrai, notre approche de l’énergie de demain est à revoir.

Nous plaidons pour une politique européenne de l’énergie. Évitons une renationalisation des politiques énergétiques ! S’agissant du carbone, une taxation peut être imaginée, mais essayons d’avoir des politiques coordonnées au sein de l’Union européenne. Avec E.ON, nous menons le dernier grand projet de captage et de stockage de CO2 aux Pays-Bas dans une centrale au charbon. Mais nous nous heurtons à deux difficultés majeures. La première est que nous ne pouvons en assumer le coût avec un CO2 à 8 euros la tonne, malgré les 300 millions d’euros de subventions reçues. La seconde difficulté a trait à l’acceptabilité sociale, car si, dans le cadre de notre projet aux Pays-Bas, le CO2 sera acheminé dans un champ déplété en Mer du Nord, la phase terrestre est difficile à faire accepter aux électeurs.

GDG-Suez est très favorable à la méthanisation. Après quelques blocages techniques, les choses ont bien avancé. Nous avons d’ailleurs passé un important accord avec le monde agricole.

La transition énergétique est possible : c’est une question de moyens, mais aussi de volonté politique. La Nation doit faire des choix.

Un trop grand nombre de ménages français vit dans une situation de précarité énergétique. Comme l’a annoncé Mme Batho, les tarifs sociaux du gaz et de l’électricité seront étendus à 830 000 personnes supplémentaires, ce dont nous nous réjouissons. GDF-Suez plaide en ce sens depuis six mois.

Il est devenu très compliqué pour un industriel de parler des gaz de schiste en France. En fait, les industriels s’adaptent. Ainsi, si GDF-Suez n’a pas d’activité dans le charbon en France, elle en a aux Pays-Bas. De la même manière, nous sommes recalés en France pour l’installation d’éoliennes en mer, mais félicités par l’Allemagne quand nous leur en livrons. Le dossier des gaz de schiste est clos en France ; nous n’allons pas le rouvrir, d’autres le feront. Pour l’heure, le seul procédé connu pour les extraire est la fracturation hydraulique ; il sera sûrement amélioré. Néanmoins, les gaz de schiste constituent une vraie révolution. Les Américains sont indépendants pour le gaz et le seront peut-être, selon le scénario élaboré par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans son rapport annuel, pour le pétrole. De surcroît, ils sont passés du charbon au gaz de schiste, et exportent dorénavant le premier en Europe. Comme cette dernière utilise le charbon américain, ses centrales au charbon fonctionnent à plein régime et émettent beaucoup de CO2, alors que ses centrales au gaz marchent un jour sur quatre. Une augmentation des émissions de CO2 dans le secteur énergétique européen est donc inéluctable. Or selon l’AIE, le gaz est le seul combustible pour lequel la demande mondiale augmente quel que soit le scénario envisagé. Je suis déçu que le gaz chasse le charbon aux États-Unis, et que le charbon chasse le gaz en Europe – mais pas trop en France qui n’est pas vraiment un pays gazier. D’ailleurs, il est impossible de construire une centrale CCG aujourd’hui par manque de rentabilité : les miennes fonctionnent un tiers du temps alors qu’elles sont neuves !

Nous n’avons pas baissé notre participation dans Suez Environnement – à hauteur 35 % – et n’avons pas l’intention de le faire, comme l’a rappelé ce matin Gérard Mestrallet. Nous en restons le principal actionnaire ; un contrat entre nos deux entreprises prévoit d’ailleurs de développer nos activités. En revanche, nous avons décidé de mettre fin à notre contrôle sur cette filiale.

Aujourd’hui, la surcapacité électrique de l’Europe est une réalité. Les centrales au gaz ont été fabriquées pour tourner 6 500 heures, mais fonctionnent 2 000 heures. Le système est plus fragile à la pointe de consommation. Il a fallu attendre 2012 pour parler du risque d’une Europe plongée dans le noir ! La décennie 2020-2030 sera difficile car nous serons vraisemblablement en sous-capacité. Mais aujourd’hui, aucun énergéticien n’est capable d’investir dans la filière thermique en Europe.

Nous ne sommes pas défavorables aux énergies renouvelables, à condition d’avoir confiance dans la capacité des pays où l’on investit à respecter leurs engagements. Seriez-vous prêt à investir dans l’éolien en Italie à 150 euros le mégawatt ?

J’ai compris l’appel sur la bioénergie. Je vais étudier la question.

Je termine par le prix du gaz indexé sur le prix du pétrole. D’abord, les contrats sont ce qu’ils sont. Ensuite, l’indexation pétrole existe à peu partout, sauf dans le monde anglo-saxon. Enfin, grâce aux renégociations de GDF-Suez avec ses fournisseurs, la nouvelle formule de calcul des tarifs du gaz en France intégrera une part de prix de marché à hauteur de 36 % au 1er janvier contre 26 % actuellement. J’espère que la représentation nationale ne me reprochera pas à l’avenir d’avoir introduit une part de marché dans le prix du gaz.

M. Luc Poyer. Monsieur Denis Baupin, la transition énergétique constitue une opportunité, et c’est bien pour cela qu’elle fait l’objet d’une mobilisation au sein de la société allemande. Mais elle comporte une autre face : elle ne peut avoir lieu sans effort, sans tension, sans défi à relever. E.ON France – qui, je le rappelle, a repris l’héritage électrique de Charbonnages de France – doit aussi compter avec cette réalité-là, notamment avec les conséquences qu’entraîne la transition énergétique pour le corps social. À cet égard, je suis sensible aux remarques formulées au sujet de la centrale d’Hornaing, que je connais bien.

Les tranches charbon sont en effet contraintes de s’adapter. Certaines sont modernes, ou modernisables, et ont donc bénéficié d’investissements pour devenir moins polluantes : elles pourront fonctionner au-delà de 2020. D’autres, plus anciennes, ne sont plus conformes à la réglementation. Nous avons décidé d’échelonner leur fermeture : une seule tranche fermera en 2013, contre cinq initialement prévues.

S’adapter à la transition énergétique signifie également investir. Malheureusement, en France, nous avons dû abandonner les investissements en faveur de la technologie CCGT. Certes, nous avons achevé, pour un coût de 500 millions d’euros, la construction de la centrale « Émile Huchet », l’une des installations à cycle combiné gaz les plus importantes du pays. Mais – et tous les énergéticiens européens s’accordent sur ce point – les conditions économiques ne permettent pas de poursuivre dans cette voie. Nous avons donc fait le choix de convertir une tranche charbon en tranche biomasse. C’est une première en France.

Sur le plan social, notre secteur électrique et gazier est soumis à un statut particulier. Cela entraîne une gestion particulière des ressources humaines – un programme de départs volontaires fait actuellement l’objet de consultations – ainsi qu’une modernisation du dialogue social, de façon à pouvoir trouver des solutions pour chacun de nos salariés.

En l’absence d’un modèle économique clair, il est nécessaire que les grands acteurs du secteur nouent des partenariats, comme l’ont fait E.ON et GDF-Suez. Dans le monde pétrolier, de tels accords sont une tradition. Un grand industriel européen de l’électricité peut-il, aujourd’hui, porter seul des projets coûtant plusieurs centaines de millions d’euros, voire plusieurs milliards ?

En ce qui concerne le stockage du dioxyde de carbone, E.ON est impliqué dans les recherches en cours. Pardonnez-moi si j’ai pu laisser penser que la technologie n’était pas au point. Elle l’est, mais le modèle économique manque, sachant que l’investissement, par rapport à une centrale au charbon, est de 50 % plus élevé. En principe, les subventions permettent de compenser le surcoût, mais elles sont financées par la vente de quotas d’émissions, si bien que leur volume diminue à mesure que baisse le cours des quotas. Il existe donc un lien entre le fonctionnement du marché du carbone et le démarrage des technologies destinées à le stocker. Les innovations technologiques ayant entraîné une révolution industrielle ont toujours bénéficié du soutien des pouvoirs publics mais, dans le cas du CCS, la situation est d’autant plus bloquée que l’opinion a du mal à accepter cette technique peu connue. Les industriels n’ont peut-être pas suffisamment fait preuve de pédagogie, mais les politiques ont sûrement aussi un rôle à jouer. Pour l’instant, le captage, le transport et le stockage du CO2 sont sans doute moins attractifs aux yeux du public que le moteur à hydrogène, par exemple.

Sur l’hydrogène justement, E.ON est engagé dans le projet de stockage « power-to-gas » : l’hydrogène produit par électrolyse est mélangé avec du gaz naturel. D’autres utilisations sont possibles, comme le montre l’exemple que vous avez cité, celui de la start-up française McPhy. Les pouvoirs publics devraient se tourner vers ce secteur et entamer sur l’hydrogène une réflexion se nourrissant de l’expérience acquise en matière photovoltaïque ou éolienne. En tout état de cause, et sans être spécialiste, je constate que les choses bougent de l’autre côté du Rhin. On encourage la production d’énergie renouvelable, d’électricité verte, mais pas de l’hydrogène vert. Il existe deux façons de produire cet élément : soit par reformage d’hydrocarbures – qui émet alors du CO2 –, soit en convertissant l’énergie éolienne ou hydroélectrique. Dans ce dernier cas, on peut alors parler d’hydrogène vert. Reste le modèle économique à inventer.

On m’a interrogé sur l’évolution de la politique énergétique en Allemagne et sur le coût qu’elle fait supporter aux entreprises. Les conséquences de cette évolution sont de deux ordres. Tout d’abord, les entreprises telles que la mienne doivent assumer le coût de la fermeture accélérée des centrales nucléaires : 1,5 milliard d’euros en 2011, puis 1 milliard chaque année jusqu’en 2022. Ensuite, l’ensemble de l’économie allemande subit une perte de compétitivité en raison de l’augmentation des tarifs de rachat. L’équivalent allemand de l’UFE, le BDEW – Bundesverband der Energie und Wasserwirtschaft –, a publié en octobre 2012 une étude montrant que, sur les 20 milliards d’euros d’aides accordées aux énergies renouvelables, 6 milliards sont à la charge de l’industrie allemande. Les industriels jugent donc la transition très coûteuse. Cependant, d’autres interlocuteurs souligneront l’existence, pour les électro-intensifs, de dispositifs élaborés qui les exonèrent d’une partie du coût de rachat des énergies renouvelables ainsi que de certains coûts liés aux réseaux.

Pour conclure, j’ai relevé au cours du débat de nombreux sujets – comme l’hydrogène vert – pouvant faire l’objet d’une coopération franco-allemande. Pourquoi des pays situés au cœur de l’économie européenne ne pourraient-ils pas mettre en commun une partie de leurs dépenses publiques en faveur de la recherche et développement, notamment dans le domaine des énergies renouvelables ? Les efforts ne devraient pas être dupliqués de part et d’autre du Rhin.

M. Robert Durdilly. Les études auxquelles j’ai fait allusion tout à l’heure, fondée sur l’hypothèse d’un renforcement significatif des énergies renouvelables dans le bouquet français à l’horizon 2030, permettent d’évaluer ce que pourrait représenter le coût de la transition énergétique dans notre pays. On peut distinguer deux étapes : la première associe le maintien du parc électronucléaire au développement des énergies renouvelables à hauteur des objectifs inscrits dans le Grenelle de l’environnement. Dans cette hypothèse, le prix du MWh qui, pour un particulier, est aujourd’hui d’environ 130 euros, augmenterait de 30 à 40 euros en 2030. La deuxième marche consiste en un nouveau renforcement des énergies renouvelables se conjuguant avec une diminution de la part du nucléaire. L’augmentation serait équivalente.

Ces hausses soulèvent un certain nombre de questions. Quel serait le sort des entreprises ? Quel serait l’impact sur leur compétitivité, en particulier s’agissant des électro-intensifs, auxquels l’Allemagne applique un traitement spécifique afin de les protéger contre une partie des effets du renchérissement de l’électricité ? Comment prendre en compte la situation des ménages en difficulté ? En tout état de cause, les ordres de grandeur que je viens d’indiquer sont utiles pour apprécier les conséquences de la transition énergétique.

La maîtrise de la demande est un des piliers de la politique énergétique du futur. Les objectifs fixés sont extrêmement ambitieux. L’UFE vient de publier une étude, toutes énergies confondues, sur le pilotage de la politique d’efficacité énergétique. Il est nécessaire de réajuster les efforts sur des gisements d’économie aujourd’hui peu sollicités. Il convient également de mieux évaluer la rentabilité des différents types d’action destinés à améliorer l’efficacité énergétique et d’optimiser le rapport entre investissement consenti et économies obtenues : cela implique d’établir une hiérarchie des actions d’efficacité énergétique.

Par ailleurs, la constitution d’une filière française de l’efficacité énergétique est un enjeu considérable : l’énorme masse d’argent investie dans le secteur doit bénéficier avant tout au tissu national. Aujourd’hui, un certain nombre d’actions sont sources d’importations.

Enfin, savoir qui doit payer pour l’efficacité énergétique, et dans quelles proportions, est une question extrêmement importante.

Denis Baupin a demandé tout à l’heure si la transition énergétique était ou non bénéfique ; pour notre part, nous avons tenté d’en objectiver les conséquences, de montrer ses effets positifs, mais aussi les risques qu’elle fait courir et que nous devons maîtriser pour que son bilan, en termes d’émissions de CO2, de balance commerciale et d’emplois, ne soit pas négatif. Par ailleurs, nous devons veiller à ce que l’inévitable renchérissement qu’elle entraînera ne se traduise pas par une décélération de l’économie. Certes, à court terme, et à condition de trouver les sources de financement nécessaires, les investissements réalisés auront un impact macroéconomique positif et entraîneront une relance. Mais s’ils ne bénéficient pas principalement à des filières françaises, ils pourraient générer des effets déflationnistes à plus long terme.

Je finirai par l’énergie thermique. Plus nous voulons développer la part des énergies renouvelables dans le système de production d’électricité, plus il nous faut augmenter le volume d’énergie produite de manière souple et réactive. C’est encore plus vrai si nous voulons également réduire la part du nucléaire dans la production d’énergie. À cet égard, le cycle combiné gaz représente la meilleure solution technique. Malheureusement, elle n’est pas rentable dans les conditions actuelles. Pour assurer la sécurité de notre système électrique, nous devrons donc assurer cette rentabilité. Les projets relatifs aux marchés et aux obligations de capacité constituent un élément de réponse, mais peut-être pas suffisants. Cette question fait partie de celles que doit résoudre le débat sur la transition énergétique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous allons nous y employer. De même, nous devrons relever un autre défi, celui de la construction d’une Europe de l’énergie – une orientation fixée par le Président de la République lors de la Conférence environnementale.

Au nom de tous les parlementaires qui ont assisté à cette audition, je remercie nos invités et leurs collaborateurs. Je me réjouis de la qualité de nos échanges.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 11 décembre 2012 à 17 h 15

Présents. - M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, M. Denis Baupin, M. Jacques Alain Bénisti, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Fanny Dombre Coste, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Laurent Furst, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. François-Michel Lambert, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Olivier Marleix, M. Philippe Martin, M. Jean-Luc Moudenc, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. David Vergé, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Christian Jacob, M. Gabriel Serville

Assistait également à la réunion. - M. Lionel Tardy