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Mercredi 12 décembre 2012

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition ouverte à la presse de M. Hervé Le Treut, climatologue, directeur de recherche au CNRS, sur le changement climatique et la transition écologique

– Information relative à la commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Hervé Le Treut, climatologue, directeur de recherche au CNRS, sur le changement climatique et la transition écologique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Hervé Le Treut, que nous sommes heureux d’accueillir ce matin, est directeur de recherches au CNRS et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Connu pour ses travaux de modélisation numérique du système climatique et de ses perturbations, il a écrit de nombreux ouvrages ; il est notamment coauteur d’un essai paru en 2004, intitulé Climat : chronique d’un bouleversement annoncé. Je le remercie d’avoir accepté notre invitation, quelques jours après la conférence sur le climat qui s’est tenue à Doha, à laquelle ont participé plusieurs députés membres de cette Commission : Denis Baupin, Jean-Yves Caullet, Bertrand Pancher, Arnaud Leroy et Olivier Marleix. Hervé Le Treut nous parlera du rythme du changement climatique et en évoquera les conséquences environnementales.

M. Hervé Le Treut, climatologue, directeur de recherche au CNRS. Professeur à l’université Pierre et Marie Curie, je suis également membre de l’Académie des sciences et, jusqu’à la fin de l’année, du conseil scientifique du programme mondial de recherches sur le climat. J’essaierai de montrer que la climatologie – mon domaine de compétence – est une science collective.

Parler du diagnostic posé aujourd’hui sur le climat exige de remonter en arrière. L’éventualité d’un changement anthropique du climat est envisagée dès les années soixante-dix, lorsqu’on se rend compte que la concentration du CO2 dans l’atmosphère augmente, les océans et la végétation n’étant pas capables de capter ce gaz au rythme des émissions. On se demande alors dans quelle mesure les gaz à effet de serre représentent un danger, et dès cette époque, on formule des éléments de réponse : le CO2 restant une centaine d’années dans l’atmosphère, le doublement de sa concentration entraînerait un réchauffement de plusieurs degrés. On conçoit déjà une typologie grossière des conséquences régionales de ces changements, notamment un réchauffement particulièrement fort dans les régions polaires et, plus généralement, sur les continents, et une exacerbation des tendances naturelles des précipitations, avec des pluies plus abondantes dans les régions pluvieuses et moins abondantes dans les régions semi-arides. On mesure également la portée du changement, le précédent réchauffement de cette ampleur remontant à la dernière déglaciation. Le premier rapport sur ces problèmes – celui de l’Académie des sciences américaine, en 1979 – contient tous ces éléments.

Dans les dernières décennies, ce que la science avait depuis longtemps prévu a progressivement commencé à se réaliser. La chronologie est ici très importante : l’émission des gaz à effet de serre à travers la combustion du gaz naturel, du charbon et du pétrole a essentiellement commencé après la Deuxième Guerre mondiale ; les premiers effets d’accumulation de ces gaz dans l’atmosphère datent des années soixante-dix ; et c’est à partir des années quatre-vingt-dix – car il faut un certain temps pour que la planète commence à se réchauffer – que l’on a pu observer les premières manifestations des changements climatiques, allant exactement dans le sens de ce qui avait été anticipé. L’important effort de recherche entrepris depuis a conduit – grâce notamment aux rapports réguliers du GIEC, qui en font la synthèse – à une prise de conscience d’autant plus vive que les observations confirmaient les prévisions faites auparavant. Cette science a maintenant trente ans d’âge, et s’il ne peut y avoir de certitudes absolues, ses fondements sont très solides.

La situation est pourtant très préoccupante, malgré les tentatives d’accords internationaux. Dans les années cinquante, les émissions s’élevaient à un ou deux milliards de tonnes de carbone par an ; dans les années soixante-dix, elles ont dépassé le seuil fatidique des trois ou quatre milliards de tonnes, estimé conduire à une déstabilisation du climat ; à la fin du vingtième siècle, elles ont atteint six ou sept milliards, et elles sont maintenant évaluées à plus de neuf milliards par an. Les dix dernières années ont ainsi vu l’augmentation la plus rapide de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Les changements annoncés sont donc plus que jamais devant nous, et il faut avoir conscience que les difficultés ne font que commencer, les conséquences du changement climatique devant s’amplifier au fil du XXIe siècle. Par rapport aux différents scenarii envisagés, le rythme actuel des émissions nous place en effet sur la trajectoire la plus pessimiste, voire en dehors des prévisions.

D’une part, face à ce problème, la seule véritable solution consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ou à développer des techniques – pour le moment marginales – de stockage du CO2. D’autre part, dans la mesure où le changement climatique est en train de commencer, il nous faut nous adapter à ses manifestations. L’alimentation représente l’un des défis majeurs. Des études du CNRS sur l’Afrique de l’Ouest montrent ainsi que le changement climatique met en péril l’accroissement de la production agricole par habitant, alors qu’aujourd’hui même cette production a tendance à décroître, et que la quantité globale de nourriture devrait être quatre à cinq fois ce qu’elle est actuellement.

L’adaptation doit être pensée à l’échelle locale. Ainsi, en France, certains secteurs – comme l’agriculture, et plus généralement le vivant – et certaines régions – comme les littoraux –, sont particulièrement vulnérables. Le niveau des mers s’élève aujourd’hui de quelque 35 centimètres par siècle, et il est voué à augmenter pour atteindre, à la fin du XXIe siècle, plus de 50 centimètres. Certains espaces sont en outre par nature sensibles aux changements climatiques, notamment la zone montagnarde où l’étagement des systèmes naturels se fait en fonction de la température.

Les régions les plus exposées sont celles de la zone intertropicale – où la perturbation de la saison des pluies peut avoir des conséquences catastrophiques – et les régions littorales, à la fois touchées par la montée du niveau des mers et particulièrement concernées par les événements extrêmes comme les typhons. Autour du bassin méditerranéen, les deltas – dont celui du Nil – sont également extrêmement vulnérables. Mais il faut avoir conscience de la mondialisation des risques : dans un monde globalisé, les changements climatiques n’épargneront personne.

Pourtant, si la science est relativement unanime et claire sur la notion de risque global que le changement climatique fait peser sur l’ensemble de la planète, sa capacité à en appréhender les effets à l’échelle régionale est au contraire très limitée. Les systèmes de moussons dans les tropiques ou le phénomène d’El Niño dans le Pacifique étant fondés sur des interactions partiellement chaotiques, il est difficile de savoir si la mousson indienne, par exemple, augmentera ou se modifiera. Pour certaines régions du monde, plusieurs scenarii sont possibles, et la nature décidera un jour si elles subiront plutôt des sécheresses, des inondations ou une succession des deux. Ces évolutions locales, en particulier dans les zones vulnérables, viendront par surprise, à l’occasion de crises inattendues. La prévision est également délicate en matière d’événements extrêmes, comme les cyclones ou les typhons ; tout au plus peut-on affirmer que certaines régions qui n’y sont pas soumises actuellement le seront dans le futur.

Il convient de bien séparer deux échelles temporelles. La transition qui nous attend nous exposera simultanément à toute une série de risques de nature différente – en matière d’énergie, d’alimentation, de biodiversité ou de ressources en eau – qu’il nous faudra hiérarchiser. Pour appréhender au mieux cette transition, il faut établir un diagnostic pluridisciplinaire, mobilisant des spécialistes du climat, de la biodiversité et de l’hydrologie. L’articulation de tous ces aspects est fondamentale, même si les problèmes d’équité sociale – notamment entre les pays du Nord et du Sud – que soulèvent ces questions excèdent le champ de l’expertise scientifique. Or, actuellement, les experts des différents domaines ont du mal à trouver des lieux où se réunir ; même le GIEC est séparé en trois groupes relativement autonomes et étanches, avec peu de transmission d’expertise d’un domaine à l’autre. Il faut donc ouvrir un espace de réflexion collectif, organisé et structuré, sur ces problèmes.

Au-delà de cette transition critique des prochaines décennies, reste cependant la question plus globale du futur de la planète, et plus précisément de celui de nos descendants. À la fin du XXIe siècle, plusieurs processus seront plus marqués : la fonte des glaciers, les évolutions des courants ou celles de la végétation. Aujourd’hui, beaucoup d’actions – comme la gestion du méthane ou d’autres gaz – ont pour horizon le court terme ; les tentatives de limiter les émissions de CO2 – gaz le plus massivement émis dans l’atmosphère et qui y reste le plus longtemps – constitue au contraire une action forte sur le long terme. Mais en abordant ce futur lointain, l’on ne saurait dissocier l’évolution du climat et celle du vivant.

Pour résumer, le climat représente l’entrée dans tout un écheveau de complexités. Il faudrait classer les difficultés – en isolant, d’une part, la question des quelques prochaines décennies et, d’autre part, celle du futur plus lointain – et établir des lieux de partage de compétences plus organisés qu’actuellement.

M. Jean-Yves Caullet. Au nom du groupe SRC, je remercie M. Le Treut pour cet exposé bref, mais complet.

Les modèles climatiques existants sont-ils capables de rendre compte des évolutions passées de façon satisfaisante ?

D’après votre exposé, l’effet de l’émission des gaz sur le réchauffement planétaire se fait sentir avec un décalage de vingt à trente ans ; est-ce à dire que ce qu’on fait aujourd’hui n’a aucune incidence sur ce qui se passera durant les vingt à trente prochaines années, pour lesquelles tout serait déjà écrit ?

Ayant participé, avec plusieurs collègues, à la délégation qui s’est rendue à Doha, je me suis entendu dire que les modèles climatiques n’étaient plus opérationnels lorsqu’il s’agissait d’envisager des augmentations de température au-delà de 3 ou 4 °C. Est-il vrai que les perspectives aujourd’hui imaginées ne sont peut-être pas modélisables ?

Y a-t-il un risque de dégel des permafrosts et de poursuite de la fonte des glaciers, y compris dans leur partie continentale ? Quelles en seraient les conséquences ?

Vous avez évoqué le cycle de carbone ; quel est votre avis sur le rôle de la forêt ? Sa capacité à capter le CO2 est souvent mise en avant, d’autant qu’en utilisant le bois comme source d’énergie, on ne relâche que le carbone qui avait précédemment été fixé, le stock restant donc invariable ; les litières émettent néanmoins du méthane. Quel est donc, en matière de carbone, le bilan d’une forêt qu’on exploiterait, d’une part, en bois d’œuvre et, d’autre part, en bois énergie ?

Enfin, la forêt est plantée aujourd’hui pour produire dans soixante-dix à quatre-vingts ans. Est-il possible de prévoir et éventuellement de modifier les choix d’essences et les modalités de sylviculture, pour que les récoltes espérées par les forestiers d’aujourd’hui ne soient pas mises en cause par l’évolution climatique à mi-chemin de leur période de production ?

M. Martial Saddier. Je voudrais, au nom de mes collègues du groupe UMP, saluer M. Le Treut et le remercier pour sa présence.

Au niveau mondial, 75 % de la consommation d’énergie proviennent aujourd’hui des énergies fossiles, et quels que soient nos efforts, ce pourcentage ne pourrait être inférieur à 70 % en 2030. Même si tous les pays de l’OCDE parviennent à stabiliser leurs émissions, les pays en voie de développement, qui connaissent une croissance très forte, absorberont en effet la diminution.

On parle désormais d’un réchauffement de 4 °C en 2060 ou en 2100. Quel est, selon vous, le scénario réaliste de changement climatique ?

Cette audition étant suivie sur Internet et couverte par la presse, le large public apprécierait certainement que vous reveniez plus précisément sur les origines de cette évolution du climat, et notamment sur la part de la responsabilité humaine.

N’avez-vous pas le sentiment que la communauté scientifique évolue vers la résignation, considérant qu’il est trop tard pour empêcher le changement climatique, et que par conséquent les efforts sont largement inutiles ?

Y a-t-il, au sein de la communauté scientifique, un consensus sur le lien entre l’évolution du climat et les accidents climatiques, notamment l’accélération et l’intensité des ouragans et des typhons ?

Pourriez-vous être plus précis sur l’incidence du réchauffement climatique sur les rendements agricoles et halieutiques ?

A-t-on commencé à chiffrer le pourcentage ou le nombre d’habitants qui connaîtront une mobilité du fait du réchauffement ?

Le dégel du permafrost et la disparition de la calotte glaciaire suscitent beaucoup de débats ; a-t-on des chiffres relatifs à leurs conséquences potentielles ?

Peut-on avoir un tableau plus précis en matière d’élévation du niveau des mers et des océans sur le territoire français – métropolitain et d’outre-mer ?

Qu’en sera-t-il des températures en ville, et notamment des canicules ?

Le réchauffement est deux fois plus rapide en montagne ; où en est-on dans ces régions ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Le groupe UDI se satisfera des réponses aux questions déjà posées.

M. Patrice Carvalho. Le groupe GDR se réjouit de ce débat.

La lutte contre les gaz à effet de serre est d’autant plus difficile que l’on est face à une multitude de petites sources d’émission – notamment les fermes. Comment arriver à capter – et éventuellement à stocker – les gaz qui en proviennent ?

La forêt est présentée comme l’un des moyens forts de lutter contre les émissions de CO2 ; mais est-il exact que certaines plantes – notamment la betterave, pourtant en disparition au profit de la canne à sucre – seraient des capteurs encore plus efficaces ?

Mme Laurence Abeille. Le décalage est énorme entre, d’un côté, la réalité du changement climatique qui s’accélère et, de l’autre, l’inaction politique internationale dont l’issue des négociations de Doha fournit un nouvel exemple ; nous partageons tous une grande inquiétude à ce sujet. Plus personne ne conteste la réalité du changement climatique, mais son impact et ses conséquences sur l’activité humaine, l’agriculture, la biodiversité ou l’alimentation continuent à faire l’objet de dénis. D’aucuns considèrent en effet que cet impact serait maîtrisable, et que le progrès technique et technologique permettrait d’y faire face. Il ne serait dès lors pas nécessaire de changer de modèle de développement  : s’adapter aux changements suffirait. S’ils conçoivent que les catastrophes naturelles sont plus intenses, ils estiment qu’il faudrait rendre les constructions humaines plus résistantes. En somme, tout pourrait s’arranger dans le cadre actuel.

Le groupe écologiste considère que ce schéma de pensée doit être fortement combattu ; l’homme ne peut pas sortir indemne de ces bouleversements, et nier les désastres du changement climatique vers lequel nous allons aurait un coût immense.

La séparation des groupes de chercheurs en compartiments étanches que vous avez évoquée est très préoccupante. N’y a-t-il pas là une volonté d’entretenir l’inaction ? À qui cette situation profite-t-elle ?

Le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) recommande la prise en compte, dans les modèles climatiques, de la fonte du permafrost qui renferme 1 700 milliards de tonnes de carbone, soit le double du volume déjà présent dans l’atmosphère. Où en est la prise en compte de ce paramètre dans les débats et calculs des scientifiques ?

Les écologistes défendent depuis longtemps la participation des citoyens et des ONG aux processus de négociation et de décision. Pensez-vous qu’une participation effective du public pourrait faire avancer les choses ?

Quelles informations nouvelles peut-on attendre du rapport du GIEC prévu en 2014 ?

Nous examinerons, en janvier, une proposition de loi du Sénat sur l’expertise indépendante en matière de santé et d’environnement et la protection des lanceurs d’alerte. Qu’en pensez-vous ?

Vous avez soulevé la question de l’équité qui constitue, au niveau international, l’un des points essentiels. Pouvez-vous nous en dire plus ? Comment arriver à des politiques qui prennent cette question en compte ?

L’exploitation des hydrocarbures non conventionnels – gaz et pétrole de schiste – ne pourrait-elle pas anéantir tous les efforts consentis par ailleurs ?

Enfin, que faire pour que l’écologie et la protection du climat ne soient pas considérées comme des ennemis de l’économie ? Peut-on réussir la transition écologique en gardant le même mode de pensée économique productiviste ?

M. Jacques Krabal. Le groupe RRDP aimerait recueillir les impressions des membres de la Commission qui ont assisté à la conférence de Doha. Peut-on dépasser le pessimisme qui transparaît dans tous les discours ?

Monsieur Le Treut, le typhon Bopha a causé plus de 540 morts aux Philippines, et près de 580 personnes sont encore portées disparues ; le dernier ouragan Sandy a causé d’importants dégâts aux États-Unis. Est-ce une fatalité ? Peut-on faire un lien de cause à effet entre le réchauffement climatique et ces accidents ?

Le cloisonnement de la recherche vous préoccupe visiblement ; avez-vous réfléchi aux contours de cet espace de réflexion collectif que vous appelez de vos vœux, au niveau national, européen ou international ? L’ONU constitue-t-elle un cadre pertinent ?

J’ai apprécié de vous entendre dire que le risque était mondial ; comment peut-on le prévenir au niveau régional ? La météorologie a fait de grands progrès ; la prévision des accidents climatiques pourrait-elle également être améliorée ?

Votre discours, empreint de pessimisme, est assez fataliste. Quelles propositions pourraient être mises en œuvre pour éviter la catastrophe ?

M. Philippe Plisson. Voilà plus de vingt ans que le GIEC a été créé, plus de trente ans que la question de l’influence de l’homme sur l’atmosphère a été évoquée. Alors que Doha vient de s’achever sur un énième fiasco, quel est le sentiment de l’ensemble de la communauté scientifique sur la multiplication des échecs pour trouver un accord entre les différentes parties prenantes ?

Quel est votre avis sur la méthodologie et les conclusions des rapports rendus publics en novembre dernier par différentes organisations ? Celui du PNUE sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction d’émissions constate que la concentration des gaz à effet de serre a augmenté de 20 % depuis 2000 et prévoit, si rien n’est entrepris, une hausse des températures de 3 à 5 °C au cours du XXIe siècle. Il contient néanmoins une pointe d’optimisme : l’objectif d’un réchauffement limité à 2 °C resterait toujours réaliste. Le rapport de la Banque mondiale table, pour sa part, sur une hausse de 4 °C. Le dernier rapport du GIEC dressait un tableau sensiblement différent ; le prochain s’orientera-t-il vers des conclusions similaires ? Les prévisions du GIEC prennent-elles en compte les variations naturelles du cycle d’activité solaire ?

En tant que spécialiste des interactions entre l’atmosphère et l’océan, pourriez-vous nous éclairer sur le problème de l’acidification des océans ? Quels organismes en souffrent le plus ? Observe-t-on un déficit en calcification, comme les scientifiques le prévoyaient ? Le blanchiment des coraux observé sur les grandes ceintures coralliennes est-il une conséquence de l’acidification, et leur disparition est-elle inéluctable ?

M. Yves Albarello. Ma question a déjà été posée par Martial Saddier. Je suis, monsieur Le Treut, dans le même état d’esprit que vous. J’observe – non en tant que climatologue, mais en tant que citoyen – un piétinement des conférences internationales, dont le statut quo de Doha est une illustration. On assiste, impuissants, au réchauffement climatique, alors que certains grands pays industrialisés refusent d’entrer dans le cercle vertueux que nous essayons de mettre en place. Que faut-il faire ? Comment voyez-vous notre avenir ?

Mme Geneviève Gaillard. La lutte contre le changement climatique nous concerne tous, pouvoirs publics, citoyens, entreprises. Quel peut être le rôle de la fiscalité environnementale ? Est-elle efficace ou devons-nous aller plus loin, comme le fait aujourd’hui l’Allemagne ?

M. Charles-Ange Ginesy. La France est candidate à l’organisation de la prochaine conférence climatique : pour que celle-ci réussisse, à l’inverse de la conférence de Doha, quelle organisation faudra-t-il adopter ?

Par ailleurs, l’économie de la montagne représente en France beaucoup d’emplois – de 30 000 à 40 000 selon les estimations. D’après le GIEC, le réchauffement est une tendance sur le très long terme : quelles transformations doit-on envisager pour nos stations de sport d’hiver ?

M. Philippe Noguès. L’association Two Degrees Investing, lancée il y a quelques jours et soutenue par le Commissariat général au développement durable et une vingtaine d’acteurs, dont la Caisse des dépôts – gage incontestable de sérieux –, propose des indicateurs permettant de combiner financement à long terme et lutte contre le changement climatique. En effet, d’après cette association, notre modèle financier à court terme ne mesure la performance et les risques que sur les indices boursiers phares. Or ceux-ci comptent 10 % à 15 % d’entreprises qui extraient ou produisent des énergies fossiles.

Les marchés ne se sentent pas menacés par le risque climatique, et ne l’intègrent pas à leur modèle de gestion financière : ils continuent donc, sans remords, à provoquer toujours plus d’émissions de carbone. L’association constate que, pour limiter le réchauffement à deux degrés, nous disposons d’un budget carbone maximum de 450 gigatonnes d’émissions de CO2 d’ici à 2050, alors que nous devrions être à 550 gigatonnes d’ici à 2035, montant auquel il faut ajouter le CO2 produit par les réserves prouvées d’énergie fossile. Nous risquons donc d’atteindre un réchauffement de six degrés en 2050. On mesure dès lors l’ampleur des risques environnementaux, accentués encore par les conséquences financières catastrophiques des désastres climatiques. Or ces dépenses nous empêcheront de financer la transition écologique et de favoriser de nouveaux modèles économiques plus sobres en carbone.

Il existe un rapport étroit entre dégradation climatique et modèle économique : il est par conséquent nécessaire d’intégrer le risque climatique à la mesure de la performance et des risques financiers. Pour cela, nous avons besoin d’une grande transparence. Il faudrait commencer par obliger les investisseurs à déclarer leur degré d’exposition au risque climatique.

M. Guillaume Chevrollier. Le réchauffement climatique est une menace : nous devons préserver notre planète pour les générations futures. Notre pays a fait des efforts, mais ceux-ci doivent être équitablement répartis. L’accord de Doha nous laisse sceptiques : il engage l’Union européenne et une dizaine d’autres pays industrialisés, mais sa portée sera essentiellement symbolique, puisque les signataires ne produisent qu’environ 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Comment régler ce qui est un problème planétaire, alors que les États-Unis, la Chine, l’Inde, contestent ces accords ?

M. Christian Assaf. Lors des sommets internationaux, les pays en voie de développement et les pays émergents comme la Chine et l’Inde répondent aux pays occidentaux, volontiers donneurs de leçons, que les contraintes qu’on leur imposerait pourraient freiner leur développement. Mais ces pays ne pourraient-ils pas être aussi les premières victimes du changement climatique ?

M. Jean-Marie Sermier. Peut-on mesurer précisément l’importance des différents facteurs du réchauffement climatique ?

En évaluant mal certains risques, les scientifiques n’ont-ils pas une part de responsabilité dans l’absence de décisions ? Autrement dit, qu’est-ce qui vaut mieux pour l’humanité : le risque nucléaire ou le risque du changement climatique ?

M. Arnaud Leroy. Essayons d’être positifs : le captage de gaz à effet de serre pourrait peut-être constituer une vraie solution. Si cela fonctionne, ne faudrait-il pas, dans les prochains textes de loi portant sur l’environnement, prévoir un pourcentage pour la captation ? Cela nous permettrait de faire émerger des filières industrielles, et par là même de rassurer nos concitoyens, qui voient avec crainte, voire avec angoisse, les conséquences que pourraient avoir sur leur emploi et leur vie quotidienne les mesures prises pour lutter contre le réchauffement climatique.

M. Laurent Furst. L’ouragan Sandy a eu, selon certains, une influence considérable sur la récente réélection du président des États-Unis. Les commentateurs ont parlé de conséquence du changement climatique, mais tout événement météorologique est-il une conséquence du changement climatique ?

Mme Sophie Errante. Certains grands États boudent les conférences environnementales et refusent de prendre des engagements. Partagez-vous l’analyse selon laquelle ce sont les nouvelles découvertes de réserves d’énergies fossiles, pour les 250 prochaines années peut-être, qui motivent ce désintérêt ?

M. Olivier Marleix. Je veux d’abord rendre hommage aux climatologues, dont le travail est reconnu par tous ceux qui s’intéressent à ce domaine, et qui sont malheureusement parfois confrontés au scepticisme de ceux qui ne s’y intéressent pas. Nous avons besoin de pédagogie : il faut faire comprendre que l’évolution du climat n’est pas linéaire, et que nous allons plutôt vers un dérèglement du climat. Pouvez-vous souligner ce point ?

Par ailleurs, la gestion des crises climatiques sera de plus en plus difficile, les risques de famine et de bouleversements migratoires seront de plus en plus forts. J’ai été surpris que ces aspects soient peu évoqués à Doha : quel serait l’espace de réflexion pertinent pour agir ?

M. Jean-Pierre Vigier. Le Gouvernement souhaite diminuer la production d’électricité d’origine nucléaire au profit des énergies renouvelables. Nous ne savons pas aujourd’hui si celles-ci seront suffisantes ; si elles ne le sont pas, devrons-nous consommer plus de gaz, et donc produire plus de CO2, polluer plus et accélérer encore le changement climatique ?

Que peut-on dire de la pollution engendrée par la production de CO2 des pays émergents ?

Mme Sophie Rohfritsch. Les modèles de calcul des évolutions climatiques prennent-ils en compte le stockage de CO2 dans les roches ? Un laboratoire toulousain a montré que, contrairement à ce que l’on pensait jusqu’à présent, le processus d’altération chimique des continents pourrait avoir des conséquences à l’échelle d’un siècle, c’est-à-dire l’échelle de temps prise en considération par ces modèles.

M. Alain Lebœuf. Pourriez-vous apporter des précisions sur le captage et le stockage du CO2 ? L’évolution de la consommation du CO2 a-t-elle évolué sur notre planète depuis plusieurs décennies ?

M. Jacques Kossowski. La population mondiale est responsable du changement climatique, et elle continuera à augmenter dans les années qui viennent. Comment peut-elle moins polluer ?

Par ailleurs, les bovins émettent du méthane, ce qui n’est pas sans influence : quelle action peut-on envisager dans le domaine agricole ?

M. David Douillet. Comment allons-nous faire pour que tout le monde s’asseye autour de la table, pour provoquer une prise de conscience mondiale de la nécessité de protéger notre planète ? Les États-Unis, le Canada, la Chine… adoptent des visions à court terme, et placent au-dessus de nous une épée de Damoclès.

Pourrait-on essayer de calculer le coût du changement climatique, d’évaluer le prix des désastres qui en résulteront ? Cela nous permettrait peut-être de convaincre ceux qui adoptent une vision purement mercantile de ces problèmes.

M. Hervé Le Treut. La notion de modèle est générique : elle sert à désigner des choses très différentes les unes des autres. Les modèles climatiques visent surtout à prévoir l’évolution du climat sur la base des lois de la physique. Le calage de ces modèles est donc partiel, l’essentiel de l’information venant des lois de la physique. En bonne science, le calage des modèles doit se faire sur des événements passés ; il faut également faire des hypothèses, que l’on vérifie ensuite en testant la capacité du modèle à reproduire une série de processus. Pour être qualifié, un modèle doit donc répondre à un large ensemble de critères.

Une vingtaine de groupes produisent des modèles climatiques : c’est un travail lent et lourd qui mobilise cinquante à cent personnes pendant une dizaine d’années. Le dernier rapport du GIEC a permis de mettre en commun les résultats obtenus par la communauté scientifique internationale, en construisant des bases de données auxquelles peuvent accéder les scientifiques du monde entier quand ils souhaitent analyser les changements climatiques et vérifier la capacité des modèles à reproduire des événements actuels ou passés. Un millier d’études qui utilisent les simulations réalisées par les vingt groupes de modélisation ont été publiées ; nous en attendons beaucoup plus encore pour le prochain rapport du GIEC. Cela souligne l’une des difficultés de ce travail : il n’est pas facile de prendre connaissance d’une telle masse de résultats.

Globalement, la confiance que l’on peut avoir en ces outils a beaucoup augmenté. Ceux-ci ne permettent pas, bien sûr, de faire n’importe quoi : pour construire un modèle, il faut d’abord avoir une bonne connaissance des processus que l’on veut modéliser.

Le permafrost, par exemple, n’est pas connu et étudié depuis très longtemps. Toutes les régions arctiques sont complexes, notamment parce qu’il est difficile de savoir jusqu’où va pénétrer le réchauffement, puisqu’il s’agit de savoir comment va se libérer le méthane emprisonné dans les cristaux de glace. De plus, le sol se reforme, l’activité biologique pouvant être intense en été dans ces régions, avec un restockage du méthane et du CO2. Le bilan global a toutes chances de varier beaucoup selon des facteurs locaux. Enfin, si nos équipes peuvent travailler sans problème au Canada, ce n’est pas toujours le cas en Russie.

L’appréhension de ces problèmes est progressive, et si les scientifiques hésitent encore à mentionner le permafrost, c’est qu’il y a encore bien des choses que nous ne comprenons pas bien : lors du dernier épisode de réchauffement de la planète, il y a 120 000 ans de cela, le méthane n’a pas beaucoup augmenté ; nous ne savons pas l’expliquer.

Il existe donc des risques tout à fait réels, mais que la science ne sait pas encore préciser. Il en va d’ailleurs de même pour le CO2 stocké dans les roches, problème dont je ne suis pas spécialiste.

Si les rapports du GIEC sortent tous les cinq ans, c’est parce que cette périodicité nous permet non seulement d’accumuler des résultats scientifiques nouveaux, mais aussi de prendre le temps de les tester, et donc de nous appuyer sur quelques certitudes. Des publications paraissent tous les jours, mais la communauté scientifique doit les mettre à l’épreuve.

Vous m’interrogez sur le scénario le plus probable. Les rapports précédents du GIEC proposaient plusieurs scenarii possibles si l’on ne prenait aucune mesure politique, avec une fourchette de réchauffement en 2100 qui allait de deux à six degrés : même sans intervention, l’émission de gaz à effet de serre pouvait donc avoir des effets très variables. Malgré une recherche très active dans ces domaines, les modèles scientifiques ont du mal à appréhender tous les facteurs aggravants, par exemple les nuages.

Aujourd’hui, nous suivons plutôt une trajectoire pessimiste ; nous allons vers quatre à cinq degrés de réchauffement. C’est le réchauffement qui correspond à la dernière déglaciation : c’est un phénomène d’une très grande ampleur. Il ne faut donc pas, j’y insiste, juger du changement climatique futur et de ses risques à partir de ce que l’on observe aujourd’hui.

Cela fait une vingtaine d’années que nous constatons un réchauffement de la planète, et que nous voyons des signes nous incitant à penser que ce réchauffement est lié à l’augmentation des gaz à effet de serre – refroidissement, par exemple, de la stratosphère qui accompagne un réchauffement des basses couches de l’atmosphère, ou bien réduction de la surface de la banquise de 30 % à 40 % par rapport à ce qu’elle était il y a une quarantaine d’années.

Mais pour beaucoup d’autres phénomènes, il est extrêmement difficile de faire un diagnostic, ne serait-ce que parce que le temps de recul est trop court. C’est le cas pour les ouragans, les cyclones, les tornades : si le temps de retour d’un événement passe de cent à cinquante ans, comment peut-on faire la part de ce qui est naturel et de ce qui tient aux activités humaines ? Ce n’est pas possible. Pour tous ces événements rares, mais puissants, nous ne pouvons pas encore dire qu’il y a un changement. Nous sommes bien obligés de dire que nous sommes incapables de mesurer un éventuel impact du changement climatique sur l’apparition, par exemple, de Sandy.

Cela ne veut pas dire pour autant, bien au contraire, que nous ne sommes pas inquiets de la multiplication, dans le futur, de ces événements : nous savons que la température des océans est un facteur majeur de déclenchement d’un cyclone.

C’est toute l’ambiguïté de ce débat : il ne faut pas confondre l’absence de preuves qu’un événement donné soit d’origine anthropique avec ce qui peut se produire dans le futur. Dans le passé, nous avons d’abord compris ces problèmes de façon théorique ; nous avons constaté certains phénomènes de façon pratique, ensuite, mais certains autres, plus difficiles à établir, ne pourront être vérifiés que plus tard, par des moyens statistiques.

Cette différence vaut pour le réchauffement lui-même : nous commençons à pouvoir dire qu’il ne peut pas être le résultat de processus naturels ; le dernier rapport du GIEC estimait qu’il y avait 90 % de risques que le réchauffement actuel soit d’origine anthropique.

Plusieurs questions ont porté sur la forêt, domaine dont je ne suis pas spécialiste. La forêt peut constituer une richesse, que certains pays veulent exploiter. Elle joue également un rôle climatique en modifiant le cycle de l’eau. Ainsi, au Brésil, si elle venait à mourir, elle serait, peut-on estimer, remplacée par une savane : la forêt entretient un système de végétation parce qu’elle entretient aussi un certain régime hydrique. Elle peut constituer un stock de carbone, mais je ne crois pas qu’il faille accorder trop d’importance à ce point : toutes les propositions de stockage de carbone dans la forêt ont une limite, puisqu’une fois leur croissance achevée, les végétaux ne stockent plus rien.

La forêt constitue enfin un réservoir pour une partie du patrimoine génétique de la planète, que nous devons préserver. Il y a d’autres choses à préserver que les caractères physiques de notre planète : notre patrimoine est aussi biologique. Une forêt, c’est des arbres, mais c’est aussi tout un écosystème cohérent, des bactéries aux animaux.

Beaucoup de questions portaient sur l’évolution probable du changement climatique. Je l’ai dit, le GIEC prévoyait un réchauffement de deux à six degrés si nous ne faisions rien, et nous sommes plutôt en haut de cette fourchette. Les prochaines décennies sont-elles déjà déterminées par les émissions de gaz à effet de serre passées ? En partie, oui. Les systèmes réagissent plus ou moins vite ; l’histoire future de ceux qui réagissent lentement, comme les océans, est aujourd’hui largement écrite. La hausse du niveau des mers relève par exemple de la très longue durée.

Si nous ne faisons rien, le réchauffement de deux degrés arrivera vers le milieu de ce siècle à peu près. Si nous voulons faire quelque chose, il faut prendre en compte l’inertie des systèmes climatiques. Il faut donc agir très vite et réduire les émissions de gaz à effet de serre dans des proportions considérables.

La communauté scientifique fait-elle preuve de fatalisme ? C’est compliqué. D’abord, les scientifiques analysent, travaillent, et ont donc « le nez dans le guidon », si vous me permettez l’expression. Par ailleurs, le seuil de deux degrés est un choix politique, que je crois judicieux parce qu’il représente un seuil au-delà duquel le climat sera effectivement beaucoup plus difficile à prévoir, mais il n’y a pas en réalité un seuil unique. Le climat dépend de composantes dont les rythmes diffèrent ; l’océan peut réagir, mais nous ne savons pas comment ni à quelle échelle de temps ; les glaciers, la végétation, la forêt peuvent être vulnérables au changement climatique, mais là encore nous ignorons comment. Il y a donc des seuils à un, deux, trois degrés.

Les conséquences de cette complexité sont paradoxales. D’une part, il faut vraiment éviter de franchir ces seuils : la forêt amazonienne pourrait ainsi rencontrer un tipping point, un moment où la disparition de sa niche écologique ne lui permettra plus de survivre, mais nous ne savons pas quand. D’autre part, chaque franchissement de seuil rend les choses plus compliquées, mais il n’y a pas un seuil précis, unique, au-delà duquel tout serait perdu.

La question des ressources agricoles et halieutiques est extrêmement complexe. Il faut d’abord savoir si ces systèmes peuvent retirer du CO2 de l’atmosphère et le stocker. Il est possible que cette capacité ne soit que temporaire, et la communauté scientifique craint même qu’elle ne soit diminuée par le réchauffement : les forêts réagissent mal au réchauffement important, de même que les océans. Ces rétroactions sont mal évaluées aujourd’hui. Nous avons besoin de systèmes de végétation en bon état, c’est certain ; faut-il les utiliser pour stocker du carbone ? C’est une solution sans doute très difficile à mettre en œuvre.

Quant au stockage de CO2 dans les couches géologiques, je n’en suis pas spécialiste, mais je sais que c’est possible. J’ai appartenu au conseil scientifique de Gaz de France et je fais partie du conseil d’administration de l’Institut français du pétrole : les uns et les autres développent des prototypes en ce sens. Cette technique fait partie de celles qui pourraient nous permettre de nous débarrasser du CO2 en excédent. Mais il faudrait être capable de l’imposer. Aujourd’hui, nous sommes extrêmement loin de ce que l’on pourrait faire : c’est un problème de volonté politique, quand des centrales thermiques s’ouvrent régulièrement un peu partout sur la planète.

Plusieurs questions portaient sur les risques en France même. Le retour de phénomènes comme la sécheresse ou la canicule fait évidemment partie des risques bien identifiés du changement climatique : l’essentiel des modèles conduit à penser qu’une canicule comme celle de 2003 pourrait se reproduire toutes les quelques années à partir du milieu du siècle – il est bien sûr difficile d’émettre une prévision précise, mais ce sera certainement plus souvent que tous les dix ans. C’est suffisamment plausible et étayé pour en tirer des conséquences en termes d’urbanisme, par exemple.

Depuis quelques années, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) réalise des études sur le littoral. Je connais quelques exemples en détail, et tous sont différents. J’ai ainsi animé un groupe interdisciplinaire qui a travaillé sur le littoral aquitain : celui-ci a tendance à reculer, mais pas par submersion, plutôt sous l’effet de vagues plus puissantes, donc d’une érosion plus forte. La fragilité du milieu littoral dépend de facteurs locaux qui diffèrent d’une région à l’autre : par exemple, la capacité des fleuves à s’alimenter peut être plus ou moins grande, et peut être modifiée par le changement climatique ; le sol peut être relevé. Le travail sur le littoral est donc d’une grande importance. Le problème se pose de façon plus aiguë encore dans d’autres pays, notamment les Pays-Bas, qui ont déjà dû prendre des décisions.

Le terme d’« étanchéité » des domaines scientifiques est sans doute exagéré ; la communauté scientifique fait preuve d’une forte volonté de faire émerger des projets interdisciplinaires, mais c’est très difficile : ces problèmes sont extrêmement complexes. Le lien entre climat et biodiversité constitue, par exemple, un sujet de recherche très riche, mais que nous ne pourrons aborder que très progressivement. Le contact entre les disciplines ne viendra pas seulement de la recherche ; il viendra aussi de l’enseignement, comme de l’expertise et de son partage. Pour ces questionnements pluridisciplinaires, il faut des lieux, des projets, à l’échelle nationale voire régionale – j’ai cité tout à l’heure l’expérience aquitaine.

Qu’attend-on du prochain rapport du GIEC ? Depuis sa création, nous avons assisté à une confirmation progressive du diagnostic scientifique ; je pense que cela continuera. L’accent doit aujourd’hui être mis fortement sur les questions d’adaptation. Il ne faut pas, comme on l’a parfois fait dans le passé, opposer les politiques qui visent à diminuer les émissions de gaz à effet de serre à celles qui visent à s’adapter au changement climatique, que l’on condamnait comme des formes de démission. Les solutions peuvent être les mêmes, notamment à l’échelle régionale et locale : c’est une raison supplémentaire pour travailler à ces échelles.

Les fluctuations solaires sont prises en compte ; nous pensons qu’elles jouent un rôle d’un ordre de grandeur faible, en tout cas par rapport à ce que l’on peut craindre pour le futur. Certains scientifiques, qui travaillent sur le cycle climatique naturel, estiment que les effets du rayonnement solaire peuvent être amplifiés par des effets naturels : si c’est vrai, je ne vois pas en quoi ce serait rassurant ! Nous subirons alors la somme des fluctuations climatiques dues aux activités humaines et des fluctuations climatiques naturelles qui seraient plus grandes que prévues.

L’acidification est effectivement considérée par ceux qui l’étudient comme un problème majeur.

Plusieurs questions portaient sur le contexte international et la responsabilité des différents pays.

Comme climatologue, je ne suis pas compétent pour parler de ces pays, que je ne connais que par leurs communautés scientifiques. L’Inde, la Chine, et bien entendu les États-Unis et le Canada disposent de communautés scientifiques très fortes qui connaissent très bien ces enjeux. L’Inde, et surtout la Chine, ont conscience qu’elles sont fortement tributaires du climat : ainsi, l’intensité des moussons chinoises, qui pèsent sur toute l’activité économique, peut varier du simple au double. La Chine est exposée aux typhons, et la désertification y progresse. Ce pays connaît donc les enjeux du changement climatique, mais ne veut pas prendre d’engagements contraignants vis-à-vis des pays occidentaux. Ces considérations ne relèvent plus de la climatologie, mais devront être prises en considération pour la préparation des prochains sommets.

Quant à l’origine du réchauffement, le débat médiatique a beaucoup obscurci la situation. Les médias posent en effet sans cesse la question du réchauffement tel qu’il est aujourd’hui ; or, les origines de ce réchauffement sont à la fois naturelles et anthropiques : séparer les choses, c’est le quotidien des scientifiques, et ce n’est pas toujours facile. Mais cela n’a que peu à voir avec ce qui nous attend dans les décennies qui viennent : le risque de réchauffement lié aux activités humaines est très important.

Encore une fois, la communauté scientifique ne s’appuie pas sur des événements récents pour prévoir des choses ; elle réfléchit aux conséquences, selon les lois de la physique, de l’émission de gaz à effet de serre. Ce travail a dû être bien fait, puisque l’on voit aujourd’hui se réaliser des prévisions faites dès les années 70.

Vous m’interrogez aussi sur la responsabilité des scientifiques. J’ai beaucoup insisté sur la pluridisciplinarité et sur la collégialité : on parle ici de scientifiques dont les compétences sont souvent très différentes les unes des autres. Il est très difficile, voire impossible, pour un seul scientifique de comprendre aussi bien les risques climatiques que ceux liés à certaines filières énergétiques. Cela pose le problème de l’expertise et de son organisation. Il y a des sujets que j’étudie depuis trente ans, sur lesquels je me sens capable de répondre, et d’autres que je connais par la lecture du journal : je ne veux pas mettre sur le même plan les uns et les autres. Tous les scientifiques, je crois, partagent ces scrupules.

Les problèmes de démographie, et d’alimentation bovine, font partie des facteurs importants. La Chine ou l’Inde les mettent souvent en avant, la Chine parce qu’elle a fait des efforts considérables pour réduire sa population, l’Inde parce que son alimentation fait qu’elle émet moins de gaz à effet de serre que les pays occidentaux. Ces pays émettent d’ailleurs moins de gaz à effet de serre par habitant que les pays occidentaux.

L’opposition de l’échelle mondiale et de l’échelle régionale est délicate. Autrefois, nous nous disions que, puisque nous ne savions pas prévoir où les changements se manifesteraient, puisque nous habitions après tout sur la même planète, nous allions prendre des décisions collectives, dans un esprit de solidarité. Aujourd’hui, malheureusement, nous connaissons suffisamment bien ces problèmes pour que certains se disent qu’ils vont profiter du changement climatique, quand d’autres voient bien qu’ils vont en pâtir. Il faut donc articuler diagnostic mondial et diagnostic régional.

Ce diagnostic régional est toutefois, scientifiquement, souvent plus difficile à faire – les systèmes climatiques sont extrêmement complexes. Même à l’échelle de la France, on peut s’attendre à un climat dominant plutôt de sécheresse dans le sud, mais cela n’exclut pas des évolutions différentes, avec des crues intenses par exemple. Peut-on donc choisir les essences d’arbres que l’on plante en prenant en considération le changement climatique ? Je dirais qu’on peut donner des conseils, tout en gardant à l’esprit les incertitudes actuelles. Il faut donc favoriser des solutions de résilience, c’est-à-dire prendre des précautions plus générales du fait de la difficulté à anticiper l’avenir à l’échelle régionale. Il faut, ici, mêler expertise scientifique et planification, à l’échelle par exemple des collectivités locales.

Par ailleurs, une chose est sûre : les efforts nécessaires ne se feront pas de façon spontanée. Il faudra des outils – quotas, fiscalité, marchés, tout cela existe ; aucun ne fonctionnera tout seul et il faudra sans doute les associer. Mais, n’étant pas économiste, je ne peux pas en dire plus.

Une communauté scientifique active travaille sur le chiffrage des dégâts. On estime que cela coûterait moins cher de réduire les émissions de gaz à effet de serre que de s’adapter tardivement au changement climatique. Je vous renvoie notamment au rapport Stern. Ces estimations seront réactualisées dans le prochain rapport du GIEC.

Quant aux stations de sport d’hiver, il y a un réchauffement global – c’est la plus inéluctable des prévisions que l’on peut faire. Cela ne veut pas forcément dire moins de neige partout, mais probablement l’enneigement deviendra-t-il très irrégulier, avec de mauvaises années plus fréquentes. C’est, je pense, inévitable pour les stations situées à basse altitude : si certains facteurs peuvent varier, voire refluer, la tendance au réchauffement doit être envisagée sur la très longue durée.

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Information relative à la commission

La Commission a désigné Mme Marie-Line Reynaud rapporteure pour avis sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte (n° 432).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je précise que cette proposition de loi sera inscrite dans la journée réservée au groupe écologiste du 31 janvier 2013 et que, compte tenu des délais, et de l’examen par la commission des affaires sociales, saisie au fond, notre commission examinera ce texte dès le mardi 15 janvier après-midi.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 12 décembre 2012 à 9 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Christian Assaf, M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, M. Denis Baupin, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Fanny Dombre Coste, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Olivier Marleix, M. Philippe Martin, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. David Vergé, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Chantal Berthelot, Mme Florence Delaunay, M. Christian Jacob, M. Franck Marlin, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Edouard Philippe, M. Christophe Priou, M. Gabriel Serville, M. Thierry Solère