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Mardi 18 décembre 2012

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 28

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. François-Michel Gonnot, président de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) et Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale

– Information relative à la commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. François-Michel Gonnot, président de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) et Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale.

M. Martial Saddier. Monsieur le président, depuis le mois de septembre, la Commission a beaucoup travaillé, à la demande du Gouvernement, sur des textes et sur des thématiques d’actualité, en rapport notamment avec la conférence environnementale des 13 et 14 septembre et avec le débat national à venir sur la transition énergétique. Or nous avons dernièrement eu connaissance des avant-projets de loi de Mmes Duflot et Lebranchu ; en outre, la proposition de loi de notre collègue François Brottes sur les tarifs de l’énergie pourrait être examinée en nouvelle lecture dans le courant du mois de janvier. Pourriez-vous nous assurer qu’un rééquilibrage de nos travaux interviendra au profit de l’aménagement du territoire, et que notre Commission tiendra toute sa place dans l’examen de ces textes importants ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Notre Commission sera bien entendu très présente dans ces débats, puisqu’elle se saisira pour avis aussi bien du projet de loi sur la décentralisation que du projet relatif au logement et à l’urbanisme. En outre, elle sera saisie au fond sur le projet de loi relatif aux transports et à l’éco-redevance, sur le projet de loi portant création d’une agence de la nature, sur le projet de loi-cadre sur la biodiversité et sur le projet de réforme ferroviaire !

En attendant, elle aura à examiner pour avis, le mardi 15 ou le mercredi 16 janvier, la proposition de loi relative à l’application du principe de précaution défini par la Charte de l’environnement aux risques résultant des ondes électromagnétiques. La discussion de ce texte est inscrite à l’ordre du jour de la séance publique du 31 janvier 2013, dans le cadre de la journée réservée au groupe écologiste. Il nous faut par conséquent désigner un rapporteur pour avis ; je vous propose de confier ce travail à Mme Suzanne Tallard.

Mme Suzanne Tallard est nommée rapporteure pour avis de cette proposition de loi.

La Commission procède ensuite à l’audition de M. François-Michel Gonnot, président de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) et de Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue, en votre nom à tous, à M. François-Michel Gonnot, président de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), et Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale.

M. Gonnot a longtemps été membre de la commission de la production et des échanges, dont il fut durant plusieurs années le président, et il a été également membre de notre Commission. Quant à Mme Dupuis, nous l’avons déjà auditionnée le 21 octobre 2009, sur les événements de Cadarache.

Je rappelle que notre Commission a décidé en juillet de créer une mission d’information sur la gestion des déchets radioactifs, dont MM. Christophe Bouillon et Julien Aubert sont les co-rapporteurs.

Monsieur le président, madame la directrice générale, l’ANDRA a publié il y a quelques semaines son dernier inventaire national des matières et déchets radioactifs. Quelles sont les principales évolutions enregistrées depuis l’inventaire de 2009 ? Quelles sont les perspectives pour les décennies à venir, en fonction des différents scénarios relatifs à la durée de vie des centrales et à l’évolution de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique français ? Les capacités de stockage existantes seront-elles suffisantes pour faire face aux besoins à venir ?

Les évaluations du coût du futur centre industriel de stockage géologique (CIGÉO) varient entre 15 et 35 milliards d’euros. Pourquoi de telles différences, s’agissant d’une installation qui est bien plus simple à réaliser qu’une centrale nucléaire puisqu’elle fait appel, pour l’essentiel, à des techniques de génie civil conventionnelles ? Le dialogue avec les opérateurs, dont EDF et AREVA, a-t-il permis de réduire les incertitudes ? Un chiffre de référence sera-t-il publié afin d’éclairer le débat public sur CIGÉO ?

Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l’ANDRA. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me donner l’occasion de présenter la gestion des déchets radioactifs en France.

L’ANDRA est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), qui a été créé par la première loi relative à la gestion des déchets radioactifs, en 1991. Ses effectifs, en croissance, sont aujourd’hui de 576 salariés. Il est placé sous la triple tutelle des ministères chargés de l’énergie, de l’environnement et de la recherche, et il est indépendant des producteurs de déchets radioactifs. Son unique mission est de trouver des solutions de gestion sûres à long terme pour l’ensemble de ces déchets.

Le budget pour 2012 de l’ANDRA est de 190 millions d’euros. La quasi-totalité de cette somme est financée par les producteurs de déchets, suivant différents canaux : des conventions, portant sur quelque 65 millions d’euros, ont été signées pour assurer les activités industrielles et le stockage des déchets dans les centres existants ; les recherches et les études sur le stockage géologique profond sont financées via une taxe additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base, dite « taxe INB », instituée par la deuxième loi relative à la gestion des déchets, en 2006. À cela s’ajoute une subvention publique qui peut paraître modeste au regard de notre budget annuel, puisqu’elle s’établit à 5 millions d’euros environ, mais qui est importante pour nous dans la mesure où elle est destinée à financer nos missions d’intérêt général : établissement tous les trois ans de l’inventaire national des matières et déchets radioactifs, assainissement des sites pollués historiques, collecte des objets radioactifs anciens encore en la possession de particuliers. En outre, nous avons été dotés dans le cadre des investissements d’avenir d’un fonds de 75 millions d’euros dédié à la recherche sur le recyclage et le traitement des déchets radioactifs.

Nos projets, complexes, sont soumis à une gouvernance également complexe. L’ANDRA souhaite en effet être, sous l’égide de l’État, à l’écoute d’un maximum d’acteurs. Nous travaillons en liaison étroite avec les meilleurs organismes de recherche français et étrangers, dans une perspective pluridisciplinaire. Nos clients sont les producteurs de déchets, qui nous confient la gestion de ceux-ci et financent nos travaux. Nous échangeons aussi beaucoup avec la société civile, à l’échelon national et local, ainsi qu’avec les élus locaux qui nous accueillent sur leurs territoires et avec les parlementaires. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) assure un suivi très régulier de nos travaux. Enfin, nous sommes, selon l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), l’un des établissements publics les plus évalués de France !

Quand on évoque l’ANDRA, on pense en général aux déchets provenant de la production d’électricité, mais il existe bien d’autres applications de la radioactivité : militaires, dans le cadre de la dissuasion nucléaire ; médicales, pour le diagnostic et les traitements ; industrielles, pour des contrôles, ou agroalimentaires, pour le traitement des cultures. Au total, plus de 1 000 producteurs génèrent quelque 2 kilogrammes de déchets nucléaires par an et par habitant – dont 59 % « seulement » proviennent de l’industrie électronucléaire.

Les déchets radioactifs sont classés en fonction de deux critères. Le premier est leur durée de vie, qui varie de quelques jours à plusieurs centaines de milliers d’années ; on appelle déchet à vie courte un déchet comportant des radioéléments dont la période de demi-vie est inférieure à 31 ans – c’est-à-dire qu’il faudra attendre quelque 300 ans pour que le site qui les accueille ne nécessite plus de surveillance. Le second critère est le niveau d’activité : cela va de la très faible activité – souvent les déchets provenant de démantèlements – à la haute activité – déchets issus du fonctionnement des réacteurs.

L’inventaire national des matières et déchets radioactifs a été mis à jour en 2012. Il existe aujourd’hui un peu plus de 1,3 million de mètres cubes de déchets radioactifs en France ; nous avons une solution de gestion sûre pour plus de 90 % de ce total. Les déchets de haute activité issus du retraitement du combustible usé ne représentent que 0,2 % du volume à stocker, mais ils concentrent 96 % de la radioactivité totale des déchets.

En réalisant l’inventaire national, l’ANDRA ne se contente pas de prendre une photographie à un moment donné ; elle s’efforce également de faire de la prospective, en s’appuyant sur les déclarations des producteurs de déchets, afin de proposer des solutions de gestion sûres. Les prévisions pour 2020 et 2030 ont été rendues publiques en juillet de cette année ; la principale nouveauté tient à la très forte augmentation du volume des déchets très faiblement actifs, qui atteindrait 1,3 million de mètres cubes en 2030. Il s’agit essentiellement de déchets provenant des chantiers de démantèlement de centrales et d’installations nucléaires de base (INB), pour lesquelles il est difficile de faire des prévisions fiables.

Nous essayons de prolonger la prospective jusqu’à la fin de vie du parc nucléaire français, afin d’évaluer les futurs besoins de stockage. Comme les résultats sont dépendants de la politique énergétique française, nous travaillons sur la base de deux scénarios contrastés, qui, quoique théoriques, ont été validés par le comité de pilotage de l’inventaire national, lequel comprend non seulement les principaux producteurs de déchets – EDF, CEA, AREVA –, les représentants de l’État et des experts, mais aussi des représentants de la société civile, pour que les données soient lisibles et compréhensibles. Le premier scénario est la poursuite de la production électronucléaire, avec des réacteurs d’une durée de fonctionnement de 50 ans, et la poursuite du traitement et du recyclage des déchets de haute activité conformément à la politique industrielle actuelle d’EDF. L’autre scénario est, non pas l’arrêt brutal du nucléaire – hypothèse fort improbable –, mais le non-renouvellement de la production électronucléaire ; les réacteurs seraient arrêtés après 40 ans de fonctionnement, et le traitement du combustible usé abandonné dès lors qu’il ne serait plus utilisé pour la fabrication du combustible MOX. Le résultat des évaluations montre que la production de déchets très faiblement actifs ne varie guère d’une hypothèse à l’autre ; en revanche, le second scénario pose la question du stockage direct des combustibles usés, voire des combustibles MOX usés. L’ANDRA travaille sur l’hypothèse d’un traitement de tous les combustibles usés : nous prévoyons de stocker à 500 mètres de profondeur les colis vitrifiés issus du traitement des combustibles par AREVA à La Hague. On peut ainsi mesurer l’impact d’une politique énergétique sur notre mission de gestion des déchets.

Il existe actuellement trois centres de stockage de déchets radioactifs, tous en surface.

Le plus ancien est le centre de la Manche, qui a été construit à côté de La Hague. Plus de 500 000 mètres cubes de déchets de faible et moyenne activité y sont stockés. Il est aujourd’hui fermé et en phase de surveillance.

Le centre de stockage de l’Aube a été ouvert en 1992 à Soulaines. Conçu pour accueillir 1 million de mètres cubes de déchets, il est aujourd’hui rempli au quart de sa capacité ; nous considérons qu’il lui reste une soixantaine d’années d’exploitation. S’agissant des déchets d’exploitation et de maintenance des centrales nucléaires – les déchets dits « à vie courte » –, nous considérons que ce centre permettra de couvrir les besoins du parc nucléaire français jusqu’à la « fin de vie » de celui-ci.

Un autre centre de stockage a été ouvert en 2003 à quelques kilomètres du précédent, à Morvilliers, dans l’Aube. Nous disposons d’une autorisation pour le stockage de 650 000 mètres cubes de déchets de très faible activité, essentiellement issus des démantèlements actuels. Or ce centre est déjà rempli à 27 % ; il ne lui reste plus qu’une quinzaine d’années d’exploitation alors que, comme je l’ai dit, on prévoit à l’horizon 2030 1,3 million de mètres cubes de déchets de ce type. Avec ce seul centre, nous ne disposerons donc pas d’une capacité de stockage suffisante pour accueillir tous les déchets des démantèlements.

Afin de remédier à ce problème, nous travaillons dans plusieurs directions ; nous incitons les producteurs à réduire le volume de leurs déchets, en triant mieux et en compactant les ferrailles, et nous tâchons d’améliorer le recyclage au sein de la filière nucléaire, via la mise en œuvre d’une filière de valorisation de certains métaux. Malgré ces efforts, il faudra envisager un jour l’extension du centre actuel, voire en construire un nouveau.

J’en viens aux deux centres de stockage en projet.

Les déchets de faible activité à vie longue correspondent essentiellement à des déchets qui nous ont été légués par l’histoire. Leur volume est modeste – 150 000 mètres cubes –, et une partie seulement concerne la filière électronucléaire : il s’agit des déchets de graphite issus de l’exploitation des réacteurs de la filière UNGG (uranium naturel-graphite-gaz), installés dans les centrales de Bugey, Saint-Laurent et Chinon, actuellement en attente de démantèlement. Comme ces déchets sont à vie longue, nous ne pouvons pas les stocker en surface, car on ne peut pas être certain de maîtriser les risques sur une durée de quelque 10 000 ans. Comme ils sont de faible activité, il serait possible de les stocker dans une couche d’argile à faible profondeur ; encore faut-il trouver le site adéquat ! L’ANDRA a lancé en 2008 un appel à candidatures ; malheureusement, les deux communes sélectionnées ont retiré leur candidature, et nous devons remettre avant la fin de l’année un rapport à la ministre faisant de nouvelles propositions de gestion : EDF a besoin d’une solution pour engager le démantèlement de ses anciennes centrales et l’ANDRA pour stocker les terres radifères qu’elle retire des sites pollués, parfois en milieu urbain.

L’autre projet porte sur le stockage géologique des déchets de haute et de moyenne activité à vie longue. Certains sont issus du retraitement des combustibles usés : après extraction de l’uranium et du plutonium, il subsiste en effet des déchets de haute activité, composés d’actinides mineurs et de produits de fission, qui sont coulés dans une matrice de verre, elle-même placée dans une cuve en inox ; les coques et les embouts constituent, pour leur part des déchets, de moyenne activité à vie longue. Il faut bien avoir à l’esprit que, quelles que soient les décisions que le Gouvernement et le Parlement prendront en matière de politique énergétique, une grande partie des déchets de haute et de moyenne activité ont déjà été produits. Le projet de centre de stockage géologique sur lequel nous travaillons a vocation à accueillir 70 000 mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue – dont 60 % ont déjà été produits – et 10 000 mètres cubes de déchets de haute activité – dont 30 % déjà produits.

Ces déchets sont pour l’instant entreposés, en toute sécurité, sur les sites de Marcoule, de Cadarache et de La Hague. Pour quelques dizaines d’années, cela ne pose pas de problème, mais, comme l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) estime qu’il convient d’apporter la garantie d’une surveillance humaine sur une centaine de milliers d’années, il n’est pas raisonnable de les stocker en surface sur le long terme. La communauté internationale – notamment l’Agence internationale de l’énergie atomique et la Commission européenne – juge d’ailleurs préférable de les enfouir à 500 mètres de profondeur.

En France, le processus législatif a débuté en 1991. La première loi relative à la gestion des déchets nucléaires avait fixé au CEA trois axes de recherche : la séparation-transmutation, visant à séparer les radioéléments à vie longue pour ensuite les transmuter afin de réduire leur durée de vie ; l’entreposage de longue durée ; le stockage géologique. On est arrivé à la conclusion que ce dernier était incontournable : il serait en effet impossible de transmuter tous les radioéléments et l’entreposage en surface nécessiterait une surveillance humaine et la reconstruction régulière des ouvrages.

Après un débat public organisé à la demande du Gouvernement, il a été fait, par la loi de programme du 28 juin 2006, le choix du stockage réversible profond. L’ANDRA a été chargée de préparer pour 2015 une demande d’autorisation de création d’un centre de stockage, pour une mise en service prévue en 2025. La loi de 2006 prévoit également que le stockage soit réversible pendant au moins cent ans, les conditions de réversibilité étant fixées par une nouvelle loi devant être adoptée avant l’autorisation du stockage – soit vers 2016 ; l’ANDRA doit faire des propositions en la matière. Des recherches doivent être également entreprises sur les deux autres options de gestion des déchets.

Monsieur le président, le stockage géologique n’est pas plus simple à concevoir qu’une centrale nucléaire – loin de là ! Il s’agit de construire une installation nucléaire destinée à accueillir des déchets de haute activité à 500 mètres de profondeur. Les ingénieurs et industriels qui travaillent avec nous considèrent qu’il s’agit du seul cas de figure où l’on doit combiner les compétences de l’industrie nucléaire et celles du génie civil, voire des mines – pour la ventilation. Cette installation sera exploitée pendant plus de cent ans, le temps de mettre en place tous les colis de déchets. Le principe de la sûreté à long terme est de stocker les déchets dans une couche d’argile de 130 mètres d’épaisseur, datant de plus de 150 millions d’années ; c’est en effet l’argile qui, après la désagrégation des protections réalisées de la main de l’homme – colis et ouvrages en béton –, confinera in fine la radioactivité. L’argile a également la qualité précieuse d’empêcher les circulations d’eau susceptibles de détériorer les colis.

Il est demandé à l’ANDRA, non seulement de concevoir cette installation industrielle atypique, mais aussi d’en démontrer, par le calcul et grâce à des expériences dans son laboratoire souterrain, la sûreté sur un million d’années. C’est pourquoi l’AERES a reconnu l’ANDRA comme un institut de recherche.

Il est prévu d’implanter le centre dans la Meuse, à la limite de la Haute-Marne. Depuis la loi de 2006, nous avons engagé à la fois des études scientifiques et une concertation avec les acteurs locaux afin de proposer un site. Nos installations, ouvertes à tous, accueillent plusieurs milliers de visiteurs par an, et nous avons construit un dialogue avec les élus de tous les niveaux : communes, communautés de communes, conseils généraux, Parlement.

La préservation de l’environnement est pour nous un enjeu fondamental. Nous avons pris l’engagement auprès des populations locales que, si l’implantation du CIGÉO était autorisée, ce lieu serait le plus surveillé de France. Nous avons mis en place un observatoire pérenne de l’environnement, outil scientifique d’observation unique, et reconnu comme tel par l’alliance AllEnvi. Sa mission est de surveiller sur plusieurs centaines de kilomètres carrés un écosystème couvrant forêts, prairies et cultures, et d’alimenter une « écothèque » – la première en France, qui sera inaugurée l’année prochaine –, qui permettra de conserver durant plusieurs dizaines d’années des échantillons de l’environnement et de faire des rétroanalyses. Des discussions sont en outre en cours avec les services de l’État pour mettre en œuvre un dispositif de surveillance sanitaire.

Le Parlement nous ayant demandé de réfléchir à la réversibilité du stockage, nous avons examiné quelles étaient les attentes en la matière et nous présenterons nos propositions lors du débat public. Nous avons souhaité que les conditions de réversibilité ne compromettent pas la sûreté du stockage et qu’elles soient réalistes sur le plan industriel ; nous avons travaillé à la fois sur la technique – afin de permettre, grâce à des robots et à une architecture adaptée, la récupération des colis de déchets –, et sur la gouvernance : s’il est prévu un stockage géologique pour les déchets ultimes, ce n’est pas a priori pour qu’on les retire. Ne mentons pas : le centre de stockage est destiné à être fermé un jour – c’est d’ailleurs à cette condition que la sûreté à long terme sera assurée. Mais cette fermeture pourra être progressive, suivant un calendrier transparent, concerté et modifiable.

Dans le cadre du débat public, nous proposerons de mettre en place une gouvernance du stockage après l’autorisation de création et la mise en service de CIGÉO, afin de ne pas donner un chèque en blanc pour cent ans à l’ANDRA. La société civile a été associée à toutes les étapes du projet depuis 1991, il faut que cela continue. Nous devrons rendre des comptes sur la sûreté de l’installation tous les dix ans ; pourquoi ne pas organiser des rendez-vous réguliers avec la société civile pour évaluer la pertinence de ce choix de gestion des déchets ?

La prochaine étape sera le débat public, programmé pour 2013 – il faudra l’articuler avec le débat national sur la transition énergétique. Nous aurons ensuite besoin de deux ans pour préparer la demande d’autorisation de création ; l’OPECST sera saisi pour avis. Une loi fixera les conditions de réversibilité du stockage, et il y aura ensuite une nouvelle enquête publique.

S’agissant des coûts, vous avez raison : deux chiffres sont avancés. La Cour des comptes a souligné la complexité de cette évaluation. Elle tient d’abord au fait qu’une telle installation industrielle n’a encore jamais été réalisée dans le monde ; nous ne pouvons donc pas nous référer à des précédents. Il existe bien aux États-Unis un centre de stockage géologique de déchets radioactifs issus de la défense, mais qui ne sont pas de haute activité. La France se trouve par conséquent à l’avant-garde en ce domaine – avec les Scandinaves, qui travaillent sur des projets de stockage dans le granit.

D’autre part, on nous demande d’évaluer non seulement l’investissement initial, mais aussi le coût du stockage sur toute sa durée de vie, en incluant les coûts d’exploitation et même les impôts et taxes. La fourchette n’est donc pas surprenante, d’autant moins que les calculs portent sur des données brutes, non actualisées sur la durée d’exploitation, c’est-à-dire cent ans. Le ministère souhaite publier un nouveau chiffrage avant la fin 2013.

Il s’agit d’un processus long : nous finissons actuellement l’esquisse industrielle qui sera présentée au débat public ; suivra une évaluation par des scientifiques, des ingénieurs et des industriels, puis la consultation de l’Autorité de sûreté nucléaire. Donc, rendez-vous l’année prochaine !

M. Jacques Krabal. Cette audition s’inscrit à la fois dans le cadre de nos travaux sur la transition énergétique et dans la continuité de notre audition du préfet Deslandes sur la Commission nationale du débat public.

L’enjeu principal est bien évidemment le stockage des déchets nucléaires de haute et moyenne activité à vie longue, prévu à Bure, dans la Meuse, et dans ses environs.

Le premier problème est celui de la réversibilité du stockage. Des ingénieurs nous expliquent régulièrement que les techniques permettant cette réversibilité ne sont pas au point ; cette absence de garantie nourrit l’inquiétude. Vous-même, madame la directrice générale, n’avez pas réussi à dissimuler vos doutes quant à la gouvernance nécessaire.

Ensuite, il y a le problème du coût. S’il est bien entendu difficile de procéder à une évaluation sur cent ans, le niveau d’incertitude fait problème. Sans un minimum de visibilité, comment pouvons-nous prendre des décisions ?

L’ANDRA n’a pas la possibilité de donner d’avis sur les opérations de démantèlement, puisqu’aux termes de la loi de 1991, les compétences qu’elle exerce ne portent que sur le stockage des déchets radioactifs – même si la loi de 2006 les a élargies en amont. Jugeriez-vous utile de renforcer sa collaboration avec EDF, le CEA et AREVA sur les stratégies de démantèlement, et de lui donner le pouvoir de produire des rapports sur le retrait des combustibles des centrales ?

La poursuite du programme nucléaire comme le démantèlement des réacteurs impliquent la création de nouveaux centres de stockage. Pourriez-vous préciser quels seraient les sites, les coûts et les financements possibles ?

Lors de son audition, le préfet Deslandes a défini les principes qui devraient selon lui régir la concertation sur CIGÉO. Celui qui l’organise « doit être neutre et indépendant », a-t-il déclaré, « et, pour le prouver, s’abstenir, tout au long du débat, de donner le moindre avis ». Sera-ce votre façon de procéder ?

Le préfet Deslandes a ajouté : « Le deuxième principe est celui de la transparence. Il faut que l’information dont dispose le public pour débattre soit la plus sincère et la plus complète possible. Elle est parfois difficile à obtenir du porteur de projet. Dans le cadre du projet CIGÉO, j’ai demandé à l’ANDRA un dossier comportant une grande partie pédagogique, expliquant d’où proviennent les différents déchets radioactifs à haute et moyenne activité ; quelles sont les différentes recherches menées depuis la loi, pour évaluer les chances de savoir un jour séparer les actinides de l’uranium et du plutonium, ce qui permettrait de réduire les quantités stockées. » Comptez-vous reprendre ces problématiques dans le cadre du débat public ?

Ce débat se télescope avec celui sur la transition énergétique. Les deux vous semblent-ils compatibles ?

Il importe de réussir ce débat public, qui est une chance pour la démocratie. Nous venons d’adopter le projet de loi relatif à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement. Jean de La Fontaine disait, dans Les femmes et le secret : « Rien ne pèse tant qu’un secret ». Ouvrons les portes du débat public au plus grand nombre, sans appréhension !

M. Jean-Yves Caullet. Les questions que l’on se posait il y a quarante ans sont donc devenues des certitudes… Comme dans Amédée ou comment s’en débarrasser de Ionesco, le cadavre grandit inexorablement ! Quel que soit notre avis sur la transition énergétique, nous avons hérité des déchets nucléaires. Que cela nous plaise ou non, il nous faut bien nous en occuper !

Les questions abordées nous paraissent surprenantes, tant l’échelle de temps utilisée dépasse la notion de génération – qui situe pour nous le « long terme ». Il s’agit d’un débat quelque peu théorique sur des durées et des activités que nous maîtrisons mal.

Je poserai donc des questions de néophyte.

On parle tantôt de volume, tantôt de masse : n’aurait-on pas tendance à utiliser l’unité qui arrange le plus en fonction du problème concerné ?

Notre capacité à traiter les déchets peut-elle présenter un avantage compétitif pour notre pays, notamment dans le cadre des démantèlements ?

Dans quelle situation, enfin, se trouve la France par rapport aux autres pays ayant développé l’énergie nucléaire ?

M. Martial Saddier. Au préalable, permettez-moi de saluer M. François-Michel Gonnot, ancien président de la Commission de la production et des échanges.

Au regard des nouveaux enjeux, le périmètre actuel de l’ANDRA vous semble-t-il satisfaisant, ou faudra-t-il mettre à profit la loi à venir pour l’étendre ?

On imagine les difficultés que peut rencontrer un élu pour convaincre la population d’accueillir sur son territoire un centre de stockage de déchets nucléaires. Considérez-vous que la solidarité en la matière est suffisante ou le législateur devrait-il prendre des initiatives pour la soutenir ?

À la demande du Conseil constitutionnel, nous avons la semaine dernière adopté le projet de loi relatif à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement. Cela changera-t-il quelque chose aux procédures de débat public déjà engagées ?

Quid des déchets nucléaires militaires ? Dépendent-ils de l’ANDRA ?

Si l’on manquait une étape du calendrier du projet CIGÉO, quelles en seraient les conséquences ?

Vous m’apprenez que l’on produit 2 kilogrammes de déchets radioactifs par an et par habitant : je ne m’attendais pas à ce chiffre ! De nouvelles technologies pourraient-elles contribuer à en réduire la production ?

Quel est votre avis sur le projet de reconversion de Fessenheim en un site pilote pour le démantèlement des centrales en fin de vie ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Dans le même ordre d’idées, pourriez-vous nous indiquer où en est le démantèlement de la centrale de Brennilis ? Il semblerait qu’EDF rencontre quelques difficultés à ce propos…

M. Bertrand Pancher. J’aurai peu de questions à poser à Mme Dupuis et à M. Gonnot, que j’ai le plaisir de rencontrer régulièrement dans le cadre du projet de stockage des déchets nucléaires à Bure, dans ma circonscription.

Je peux témoigner de la qualité des relations qu’ils ont su nouer avec les élus locaux et avec les populations concernées. Ce n’était pas gagné d’avance ! Le projet est en effet issu d’une controverse, puisque la loi de 1991 prévoyait l’implantation de plusieurs laboratoires sur le territoire et l’exploration de trois axes de recherche : l’entreposage en surface, le stockage profond et la transmutation ; or cela a abouti à l’ouverture d’un seul laboratoire, dans la Meuse, destiné à étudier le stockage. Les populations ont eu le sentiment d’avoir été trompées ! Pourtant, la bonne communication et la concertation ont contribué à ce que le projet soit de mieux en mieux accepté localement ; d’ailleurs, plus on se rapproche du lieu de stockage, plus l’adhésion au projet est forte : les gens considèrent qu’il s’agit d’une chance formidable pour le développement économique de leur territoire, puisque cela va créer plus de 2 000 emplois directs.

Je souhaiterais que le calendrier soit respecté, notamment pour le débat public, afin d’éviter qu’il ne se télescope avec les prochaines élections locales ; il ne faudrait pas que ce soit un sujet de conflits entre élus.

Plus le stockage est réversible, moins il est sûr. Il reste que la loi de 2006 a posé le principe de la réversibilité. Qu’en pensez-vous ? Personnellement, mon sentiment est qu’en laissant le débat public aller à son terme, il en sortira peut-être des réflexions de bon sens – dont il faudra tenir compte dans la future loi…

La loi Bataille avait prévu la poursuite des recherches sur la transmutation, qui peut contribuer à réduire les déchets nucléaires. Pourriez-vous nous rappeler dans quelles conditions ?

Mme Laurence Abeille. Vous le savez, les écologistes portent un grand intérêt à la question du nucléaire. La question des déchets, centrale, s’ajoute à celle des risques que cette technologie fait courir à la population et à celle de ses coûts, très mal évalués.

En une cinquantaine d’années, les réacteurs français ont produit près de 33 000 tonnes de déchets dont nous ne savons que faire, d’autant que leur durée de vie est extrêmement longue – elle dépasse même parfois l’entendement : jusqu’à 4,5 milliards d’années pour l’uranium 238 ! La période de demi-vie de la plupart de ces éléments radioactifs est de plusieurs dizaines, voire de plusieurs centaines de milliers d’années. La solution serait l’enfouissement des déchets en couche géologique profonde, avec le projet CIGÉO de Bure : c’est certes une façon d’enfouir le problème, mais pas de le résoudre !

Nous avons récemment examiné le projet de loi relatif à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement. Les écologistes ont défendu l’idée que cette participation devait être menée bien en amont du projet pour être utile. Dans le cas de CIGÉO, un débat public est prévu pour 2013, alors que le projet est presque arrêté et qu’il n’existe pas de solution de rechange. Dès lors, sous l’apparence d’une concertation, ce débat ne servira en réalité qu’à entériner une décision. Existe-t-il des projets alternatifs ? Si oui, quel est leur état d’avancement ? L’ANDRA et la Commission nationale du débat public sont-elles prêtes à organiser un débat réellement contradictoire ?

Comment garder la mémoire, sur plusieurs millions d’années, du site d’enfouissement de Bure ? Comment être sûr que celui-ci ne connaîtra pas de modifications hydrogéologiques, tectoniques ou artificielles ? Ce projet insensé est mené faute d’autre solution, et parce que nous ne savons que faire de nos déchets nucléaires – ce qui ne nous empêche pas de continuer à en produire.

Le nucléaire nous est toujours présenté comme étant l’énergie la moins coûteuse ; mais la perception change dès lors que l’on prend en compte les coûts du démantèlement, de l’assurance en cas d’accident, de la recherche et développement, de la gestion des déchets et de leur enfouissement pendant des dizaines de milliers d’années – voire davantage.

Dans son rapport de 2011, la Cour des comptes soulignait que le coût de la gestion des déchets n’était pas connu, et qu’il était presque impossible à évaluer. Le modèle économique du nucléaire n’est pas pertinent dès lors qu’il ne parvient pas à intégrer le coût du stockage des déchets. Après l’enfouissement définitif, pendant combien de temps devra-t-on employer du personnel pour surveiller le site ? Faudra-t-il conserver une structure de surface pour conserver la mémoire du lieu ? Si c’est le cas, le coût sera colossal – mais l’hypothèse inverse ne serait guère responsable.

Bref, la gestion des déchets nucléaires nous inquiète fortement.

M. Christophe Bouillon. L’ANDRA a connu un glissement progressif, d’une mission relevant de la seule recherche à des activités plus opérationnelles. A-t-elle les moyens, financiers et humains, d’assumer cette mutation ? L’établissement bénéficie à la fois de financements spécifiques et de contributions adossées à la fiscalité : ces ressources sont-elles convenablement stabilisées ?

Avez-vous pu établir le coût supplémentaire dû à la réversibilité du stockage, ne serait-ce que pour préparer le débat que nous aurons sur ce thème ?

M. Jean-Marie Sermier. La France a posé dans la loi du 30 décembre 1991 – et plusieurs fois réaffirmé depuis, en particulier dans la loi de programme du 28 juin 2006 – le principe de l’interdiction du stockage sur son territoire de déchets radioactifs en provenance de l’étranger. Pouvez-vous nous confirmer que ce principe est bien respecté, alors que les médias font régulièrement état de convois de matières radioactives traversant notre pays ?

Vous avez souligné l’importance des rendez-vous avec la société civile, mais rencontrez-vous aussi des organisations non gouvernementales (ONG) et, spécialement, Greenpeace ? De quelle nature sont vos contacts et vos relations ? En quoi consistent les engagements des uns et des autres ?

M. Philippe Plisson. Quelle est la durée de radioactivité des déchets déjà enfouis ? Nous confirmez-vous qu’aucune réversibilité n’est envisagée dans leur cas ?

Est-on totalement assuré, à si long terme, de la sécurité du stockage souterrain au regard des risques sismiques et des risques de contamination de l’eau ? Nous connaissons les déboires rencontrés en Allemagne avec le site d’Asse II. Quelles leçons en tire-t-on ?

M. Laurent Furst. Les déchets médicaux entrent-ils dans le champ de vos compétences ? Comment sont-ils collectés et traités, compte tenu de leur éparpillement sur le territoire et de leur caractère purement civil ?

Que craindre si un missile tombe sur un site de stockage ?

Comment procèdent les pays voisins ? Assurent-ils la même sécurité que nous, la radioactivité ignorant les frontières ?

Certains déchets ne pourraient-ils devenir demain de nouvelles sources d’énergie si le progrès technique permettait de les transformer ?

Enfin, que reste-t-il des immersions de déchets en mer, pratiquées autrefois ? Que sait-on des citernes, des silos et des fûts alors jetés à l’eau ? Sont-ils recensés ? Pourrait-on les rechercher et les les récuérer ? Nos côtes sont-elles propres partout ?

Mme Marie-Claire Dupuis. Je n’ai pas de doutes sur la réversibilité, mais je reste prudente. On nous demande en effet de travailler à un stockage « réversible » alors que cette notion et les modalités générales de sa mise en œuvre ne seront définies que par une loi à venir. Nous avons porté le débat au niveau international, interrogeant une vingtaine de pays intéressés comme nous au sujet. Il en ressort que celui-ci pose deux questions : l’une technique, portant sur la faisabilité industrielle d’un éventuel retrait des déchets ; l’autre relative à la gouvernance nécessaire pour assurer cette réversibilité tout au long d’une centaine d’années d’exploitation des installations.

La première ne soulève guère de difficultés : des tests ont été effectués, qui ont démontré que nos robots étaient à même de transporter les colis de déchets sur plusieurs centaines de mètres, dans un sens et dans l’autre. 

La gouvernance suscite en revanche bien des interrogations complexes, que le Parlement devra aborder à l’occasion de l’examen de la nouvelle loi. Ainsi, à quels moments rendre la parole à la société et sous quelle forme ?

Le stockage sera réalisé très progressivement, en fonction des besoins. Pendant des dizaines d’années, nous creuserons des alvéoles dans l’argile et les remplirons au fur et à mesure de cuves en béton renfermant les déchets. Puis se posera la question de la fermeture de la première alvéole, lorsque le premier tunnel, de quelque 10 m de diamètre et de 400 m de long, sera plein, sachant qu’il sera fort difficile d’en retirer les colis une fois celui-ci bien bouché. La décision sera donc non seulement technique, mais également politique. C’est pourquoi il serait souhaitable que la loi précise à qui elle appartiendra : à l’ANDRA seule ou bien à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui délivrera alors une autorisation à l’ANDRA ? Faudra-t-il un arrêté ministériel, un décret, une loi ? Comment consultera-t-on le public en amont ? Pour notre part, lorsque nous demanderons l’autorisation de créer le stockage, nous nous attacherons à informer sur la façon dont nous concevons ce processus, étalé sur une centaine d’années.

M. François-Michel Gonnot, président de l’ANDRA. La France a été le premier pays, et demeure un des seuls, à avoir introduit le terme de « réversibilité » dans une loi, mais sans lui donner, en effet, de définition juridique. Les Anglo-Saxons parlent de « récupérabilité », notion plus claire mais plus limitée. Celle de réversibilité va bien au-delà : elle implique, par exemple, la possibilité d’arrêter les installations en cours d’exploitation, ainsi que des rendez-vous d’étape avec la société et avec les autorités politiques, nationales ou locales… Nous avons donc voulu donner à cette notion une signification internationalement reconnue, c’est-à-dire validée par les pays travaillant à des projets de stockage comparables, cela en vue de faciliter le consensus national.

Rien n’est décidé à ce jour : la loi de 2006 ayant posé l’obligation de réversibilité, il nous faut, malgré l’absence de définition juridique, industrielle ou même sociétale, présenter des propositions dans la perspective du débat public de 2013, qui devrait permettre de préciser les choses avant qu’un projet de loi ne traite le sujet en donnant enfin une définition que l’ANDRA appliquera dans la demande d’autorisation de construction en 2015.

M. Martial Saddier. Est-ce qu’il ne faudrait pas alors changer le nom ?

M. François-Michel Gonnot, président de l’ANDRA. Non. Même si certains pays repoussent totalement cette idée d’installations réversibles. En effet, les rejets en mer avaient été arrêtés au cours des années soixante pour faire place à une solution considérée comme définitive : celle des stockages géologiques.

Nous travaillons aussi sur une question qui est également apparue à la faveur du débat organisé en 2005 par la Commission nationale du débat public : celle de la mémoire – de ce que nous aurons fait et de ce que nous aurons déposé dans les installations – à conserver à l’intention des générations futures. Il s’agit là d’un formidable chantier pour les sciences humaines. En pratique, nous allons enfermer, dans un « coffre-fort » enfoui à 500 m sous terre, un certain nombre de choses qu’on nous demande de surveiller en en entretenant le souvenir précis. Cela supposera de faire appel à des techniques qui ne sont pas encore toutes disponibles : nous n’avons par exemple pas encore idée des supports informatiques certainement destinés à remplacer les clés USB et autres mémoires actuelles… Nous réfléchissons donc à ce problème avec la défense nationale, ainsi qu’avec les archives nationales et départementales. Aujourd’hui, les questions sont plus nombreuses que les réponses. Nous ne disposons encore que de pistes et de scénarios.

Mme Marie-Claire Dupuis. Lors du débat public de 2013, nous présenterons les différentes hypothèses de coût en fonction des diverses options possibles en matière de réversibilité.

M. François-Michel Gonnot. Il n’y a pas d’autre cas d’une installation industrielle dont on demanderait d’évaluer le coût total sur une durée de cent ans, fiscalité incluse. Or qui peut prévoir comment évolueront les impôts, ou le coût de la main-d’œuvre, des machines et des technologies au cours de ce siècle ? Combien coûtera, à terme, la fermeture d’une installation de stockage ? C’est pourtant ce qu’on nous demande de dire, alors que personne ne s’interroge, par exemple, sur le coût complet du démantèlement ou de l’arrêt du réacteur européen à eau pressurisée (EPR).

M. Jean-Yves Caullet. Mais c’est bien là le problème !

M. François-Michel Gonnot. Lors de la discussion de la loi de 2006, nous avions demandé, au nom du principe « pollueur payeur », que les entreprises qui en produisent provisionnent dans leurs comptes l’intégralité du coût de gestion des déchets. Un coût théorique est donc calculé, et régulièrement actualisé, par le ministère chargé de l’énergie, sur la base d’éléments fournis par l’ANDRA et par les trois principaux producteurs de déchets – EDF, le CEA et AREVA, dans cet ordre. Il sera donc disponible pendant les cent ans prévus. Mais cette question extrêmement complexe exige évidemment de la prudence. Au fil du temps, les estimations évolueront, peut-être même tantôt vers le haut, tantôt vers le bas…

Mme Marie-Claire Dupuis. Nous n’en sommes pas encore, je le répète, à la phase de décision. L’autorisation de création du stockage ne sera pas demandée avant la fin de 2018, après l’adoption de la future loi et une nouvelle évaluation par l’ASN, en attendant une mise en service prévue pour 2025. Les premières recherches ont commencé avant 1991. Il s’agit d’un processus long mais qui doit être poursuivi à un rythme suffisamment soutenu pour aboutir dans de bonnes conditions. Le prochain rendez-vous est, en 2013, le débat public sur le projet industriel de stockage : nous serons alors à même de fournir des éléments précis, sur le contrôle-commande, sur l’étendue des galeries et sur les effectifs nécessaires, par exemple. Nous aurons ensuite deux ans pour mettre au point notre dossier de demande d’autorisation, ce qui nous permettra d’intégrer les conclusions de ce débat public, particulièrement sur les questions de réversibilité ainsi que d’implantation et de transport. Ces dernières font l’objet d’un projet de schéma de territoire interdépartemental, piloté par le préfet de la Meuse pour le compte de l’État.

Le calendrier du débat public de 2013 sur le CIGÉO se télescope avec celui, fixé par la suite, du débat sur la transition énergétique. Il faut donc trouver la bonne articulation entre les deux. Les ONG demandent donc que l’on repousse le premier au deuxième semestre, quand le second sera achevé, cependant que les élus locaux, quant à eux, refusent que le débat sur l’enfouissement, qui les concerne évidemment de très près, soit organisé aussi près des prochaines élections municipales. Mais l’ANDRA n’est pas décideur en la matière. C’est à la CNDP qu’il reviendra de trouver la meilleure articulation. En tout état de cause, une bonne partie des déchets existe déjà et il faudra bien résoudre le problème qu’ils posent, quelle que soit la nouvelle politique de l’énergie. Mais nous savons aussi que l’ANDRA aura à contribuer au débat sur la transition énergétique, ne serait-ce qu’en indiquant les incidences qu’auront sur le stockage des déchets les différents scénarios examinés, selon la part qu’ils feront au nucléaire.

Nous avons ouvert aux ONG les instances et les comités de l’ANDRA, dans le cadre de l’inventaire national et de nos missions d’intérêt général. Nous les associons ainsi à nos décisions sur la réhabilitation des sites pollués « orphelins » et sur l’attribution des fonds publics. Nous les rencontrons régulièrement au sein d’instances nationales comme le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire ou le groupe de travail sur le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Nous sommes transparents. Chacun est le bienvenu dans nos installations. Toutes les ONG y sont venues, à un moment ou à un autre – Greenpeace a ainsi récemment visité notre laboratoire souterrain.

Au niveau international, la France se situe dans le peloton de tête pour le stockage géologique et, plus généralement, pour la gestion des déchets radioactifs. Elle est souvent citée en exemple par l’Agence internationale de l’énergie atomique et par la Commission européenne. De grands pays nous sollicitent, soit pour aider à mettre en place des centres de stockage de surface, soit pour préparer les futurs stockages profonds. Nous venons ainsi de signer un accord avec les États-Unis, qui revoient complètement leur politique de gestion des déchets radioactifs, ainsi qu’avec la Chine et avec la Russie. Nous coopérons également avec les pays les plus avancés sur le sujet, comme la Belgique, la Suisse et les pays scandinaves. D’une manière générale, la coopération internationale fonctionne bien car les nations ne se sont pas en concurrence dans ce domaine. La complexité de la matière conduit au contraire la communauté internationale à se montrer très soudée pour dégager les solutions de l’avenir.

Le projet de loi de finances pour 2013 vise à plafonner les emplois de l’ANDRA, ce qui risque de susciter des difficultés à partir de 2014. Nos effectifs seront insuffisants pour mener à bien le projet de grande ampleur dont on nous a chargés, et qui exigerait la participation d’environ 2 000 personnes. Ne nous manqueraient toutefois que quelques dizaines d’emplois.

La taxe additionnelle dite « de recherche » qui nous alimente, s’est élevée pendant trois ans jusqu’à atteindre 118 millions d’euros, mais la mesure vient maintenant à expiration, de sorte que la ressource allouée à notre fonds de recherche va redescendre à 96 millions à partir de 2014, ce qui ne sera pas suffisant. Nous discutons donc avec notre tutelle, consciente du problème, pour adapter le niveau de notre financement aux besoins.

Pour l’essentiel, nos missions se sont jusqu’ici cantonnées au stockage des déchets. Or l’ANDRA pourrait davantage intervenir en amont, notamment pour des travaux de recherche et développement (R&D) visant à réduire le volume des déchets à stocker. C’est d’ailleurs à cet effet que 75 millions d’euros de moyens financiers nous avaient été octroyés au titre des investissements d’avenir. Mais il ne s’agissait que d’un appoint conjoncturel et fortement contraint : les sommes correspondantes ne pouvaient être utilisées par l’ANDRA pour les actions qu’elle conduisait elle-même, qu’elle devait financer sur ses fonds propres, qui sont très modestes.

On a donné aux acteurs du nucléaire tous les moyens de travailler au stockage géologique des déchets, on a consacré d’importants budgets aux recherches sur les réacteurs du futur et sur le cycle du combustible, mais l’effort a été insuffisant en ce qui concerne la R&D portant sur la caractérisation, sur le conditionnement, sur le traitement et sur le recyclage des déchets radioactifs. Nous essayons certes de promouvoir quelques innovations en la matière mais il devrait être possible d’aller plus loin, moyennant quelques moyens supplémentaires. Il en va de même des stratégies de démantèlement. Nous nous rapprochons dans ce domaine d’EDF, d’Areva et du CEA afin, ici encore, de travailler plus en amont.

Je confirme que la loi interdisant le stockage de déchets venus de l’étranger est bien respectée. Certes, AREVA retraite des combustibles usés venant d’autres pays, mais c’est dans le cadre d’accords intergouvernementaux transparents.

M. Denis Baupin. Transparents ?

Mme Marie-Claire Dupuis. Oui, dans le texte. La France renvoie ces déchets dans le pays d’origine après vitrification.

L’exploitation de la mine d’Asse en Allemagne aux fins d’enfouissement de déchets radioactifs relevait de techniques remontant à la fin des années soixante. Il s’agissait de réutiliser une ancienne mine de sel, a priori excellent matériau de confinement, mais on avait tellement creusé les galeries que les parois de sel, devenues trop fines, n’empêchaient pas l’eau de s’infiltrer et de circuler. Nous savons depuis lors qu’il ne faut pas réutiliser des mines déjà exploitées mais, au contraire, creuser des mines nouvelles. À Asse, on essaie aujourd’hui de retirer les déchets, en appliquant une réversibilité qui n’avait pas été prévue à l’origine.

Les inventaires de déchets radioactifs sont établis en volume, en masse et en détaillant les radioéléments contenus dans les produits. Nous pouvons parfois mettre l’accent sur les volumes, mais les masses sont pour nous tout aussi importantes : en dépend par exemple la puissance à donner à nos robots.

Nous prenons également en charge les déchets militaires, selon les mêmes règles que pour les déchets civils. Notre interlocuteur en la matière est le plus souvent la direction des applications militaires du CEA. L’inventaire national que nous publions les intègre mais, pour des raisons de sécurité nationale, nous ne fournissons pas la répartition géographique précise de leurs éléments constitutifs.

Les déchets médicaux, provenant notamment des hôpitaux, relèvent de la gestion des déchets provenant de petits producteurs. Les volumes concernés sont très faibles, mais les lieux de production sont très dispersés. Nous assurons là un service complet, récupérant l’ensemble de ces déchets à la source. Ils figurent également dans l’inventaire national. Leur nombre tend à décroître grâce au progrès des produits de substitution, mais la filière est économiquement fragile. C’est pourquoi l’ANDRA vient de décider d’investir, sur ses fonds propres, dans une installation de tri et de traitement pour les petits producteurs, après l’avoir fait dans une installation d’entreposage temporaire. En revanche, les gros producteurs comme EDF, le CEA et AREVA stockent, de façon temporaire, leurs déchets sur leurs propres sites et ont leurs installations de tri et de traitement.

Le CEA devrait présenter, avant la fin de cette année, un rapport sur ses recherches en matière de transmutation et de réacteur du futur, de type Astrid, confirmant la possibilité de transmuter l’américium. En revanche, la transmutation du curium, si elle est techniquement réalisable, soulèverait d’importants problèmes de radioprotection. Il faut donc poursuivre les recherches, sachant qu’on ne pourra pas transmuter tous les actinides mineurs ni tous les produits de fission et qu’il faudra donc toujours faire appel au stockage en profondeur.

Le démantèlement du site nucléaire de Brennilis, dans le Finistère, est en cours. Mais l’entreposage temporaire des déchets de moyenne activité et à vie longue, prévu par EDF à côté de Bugey, ayant fait l’objet d’un recours contentieux, le chantier a été interrompu. Un nouveau plan local d’urbanisme est en préparation. Trouver un site de stockage n’est jamais facile, même pour un entreposage d’attente sur un site nucléaire ! C’est pourquoi l’ANDRA s’attache à entretenir la confiance qu’elle a pu établir autour de ses sites, dans l’Aube, dans la Manche, dans la Meuse et en Haute-Marne.

Nous avons étudié les incidences éventuelles d’une chute d’avion, mais non d’un missile, sur un site de stockage. Du fait de l’épaisse protection de béton, les fûts seraient au pire un peu écrasés, sans risque de réaction en chaîne. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la meilleure cible pour une action terroriste. S’attaquer à une tour de La Défense provoquerait bien plus de dommages.

M. François-Michel Gonnot. Les rejets en mer figurent maintenant dans l’inventaire national de l’ANDRA. D’autres pays que la France ont eu recours à cette méthode, comme les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni et, moins longtemps, l’Allemagne. La nature des enfouissements français, réalisés dans des failles et des fosses trop profondes, interdit aujourd’hui de récupérer les produits.

M. Le président Jean-Paul Chanteguet. Nous vous remercions pour toutes ces précisions.

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Information relative à la commission

La Commission a désigné Mme Suzanne Tallard, rapporteure pour avis sur la proposition de loi relative à l’application du principe de précaution défini par la Charte de l’environnement aux risques résultant des ondes électromagnétiques (n° 531).

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 18 décembre 2012 à 17 h 30

Présents. - M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, M. Denis Baupin, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. David Douillet, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Jacques Krabal, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Philippe Martin, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Brigitte Allain, M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Jacques Cottel, M. Philippe Duron, M. Claude de Ganay, M. Christian Jacob, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gabriel Serville, Mme Suzanne Tallard, M. David Vergé

Assistait également à la réunion. - Mme Laurence Abeille