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Mardi 16 avril 2013

Séance de 17 heures 

Compte rendu n° 57

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Examen de la proposition de résolution européenne sur l'interdiction de certains pesticides responsables de la mortalité des abeilles (n° 872) (Mme Sophie Errante, rapporteure)

– Examen de la proposition de résolution européenne sur le quatrième paquet ferroviaire (n° 905) (M. Gilles Savary, rapporteur)

– Amendements examinés par la commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné, sur le rapport de Mme Sophie Errante, la proposition de résolution européenne sur l'interdiction de certains pesticides responsables de la mortalité des abeilles (n° 872).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, en votre nom à tous, je voudrais tout d’abord souhaiter la bienvenue à notre nouveau collègue Napole Polutélé, élu dans la circonscription de Wallis-et-Futuna. (Applaudissements sur tous les bancs)

Je cède maintenant la parole à notre rapporteure Sophie Errante pour qu’elle expose ses conclusions sur la proposition de résolution européenne sur la mortalité des abeilles, que la commission des affaires européennes a adopté le mercredi 27 mars dernier.

Mme Sophie Errante, rapporteure. Notre commission est aujourd’hui appelée à se prononcer sur un dossier sensible, celui de la mortalité des abeilles en raison de l’usage des pesticides dans l’agriculture. Notre collègue Danielle Auroi, présidente de la Commission des affaires européennes, a en effet déposé une proposition de résolution à la suite du rejet par le Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale de l’Union européenne (CPCASA) d’une demande d’interdiction de trois insecticides de la catégorie des néonicotinoïdes, jugés responsables par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) de la mortalité prématurée des abeilles.

Notre collègue Laurence Abeille avait également déposé, le 17 octobre 2012, une proposition de résolution en ce sens, cosignée par plusieurs de ses collègues du groupe écologiste.

Je rappelle que l’Union européenne instruit depuis trois ans un dossier sur la santé des abeilles, lorsqu’elles se trouvent en présence de certains pesticides. À la suite d’expériences conduites dans différents laboratoires – en France, à Sophia Antipolis (ANSES) et à Avignon (INRA) –, le CPCASA a proposé un moratoire de deux ans sur trois d’entre eux, que l’on retrouve dans les produits phytosanitaires appliqués à de grandes cultures. Cette proposition, soutenue par la France, n’a malheureusement pas réuni de majorité en janvier dernier, sans qu’il y ait eu obligation pour les États membres de motiver leur vote.

Un nouveau vote, dit « d’appel », doit intervenir le 29 avril prochain. La proposition de résolution que nous examinons a pour finalité que notre Gouvernement puisse se prévaloir du soutien de l’Assemblée nationale sur cette question.

J’en viens au fond du dossier, qui résume l’ensemble de la problématique du développement durable avec un entremêlement de questions économiques et écologiques, et qui, pour moi, va au-delà de la seule question des abeilles. Il comporte un double enjeu : santé publique et préservation d’une filière économique.

Depuis près de vingt ans, la surmortalité des abeilles a été observée partout dans le monde : alors que le taux de mortalité normal s’établit entre 10 et 14 % des effectifs d’une colonie, il oscille en Europe et en Amérique du Nord entre 19 et 30 % ; au Moyen-Orient, des taux de 50 à 80 % de chute ont même été observés. Ce phénomène a été baptisé « syndrome d’effondrement des colonies ».

Le risque écologique lié à cet effondrement tient au rôle des insectes pollinisateurs dans la nature. Les 1 100 espèces d’abeilles et de bourdons jouent en effet un rôle fondamental dans la biodiversité et la reproduction des végétaux. Quelque 170 000 espèces végétales, arbres, fleurs, sauvages ou cultivés, dépendent des pollinisateurs. Les économistes caractérisent cette activité sous le concept de « service rendu gratuitement par la nature ». La valeur économique annuelle de la pollinisation est aujourd’hui estimée à 150 milliards d’euros à travers le monde. Pour la France, la disparition des abeilles aurait pour conséquence d’obliger le monde agricole à recourir à la pollinisation artificielle, soit une charge d’environ 2,8 milliards d’euros par an.

Le syndrome d’effondrement des colonies a agi comme un révélateur de la crise du monde apicole. Ces dix dernières années, la production de miel a chuté de 28 %, les importations de miel de qualité variable ont augmenté de 49 % et le nombre des apiculteurs est passé de 69 000 à 41 000 personnes. Notre pays, qui dispose d’un vaste espace rural et de paysages et de climats très différents – en résumé, de conditions optimales pour produire des miels de qualité – est devenu importateur net, alors qu’il pourrait être exportateur de ce produit, sur lequel il y a une importante demande mondiale.

La responsabilité de l’effondrement des colonies d’abeilles est une question qui n’emporte pas l’unanimité. Elle est donc au cœur du débat politique au sein de l’Union européenne.

Plusieurs études montrent que certains pesticides sont mortels pour les colonies d’abeilles, parce qu’ils provoquent leur désorientation ou altèrent leur identité olfactive. Ces études doivent être considérées comme sérieuses. Elles sont complétées par des observations sur le terrain, où les taux de mortalité d’abeilles sont enregistrés et transmis aux autorités européennes.

Ces études sont toutefois contestées tant par les industriels de la chimie que par certains États, qui considèrent qu’elles n’ont pas été conduites selon un protocole de recherche validé dans l’ensemble de l’Union européenne ou qu’elles sont le résultat d’expertises en laboratoire, alors qu’il faudrait les conduire en pleine nature.

Par ailleurs, un autre problème est apparu : une surmortalité des abeilles a été constatée dans des zones où il n’y a pas de pesticides, par exemple en Auvergne, en altitude. Les scientifiques mettent donc en avant deux autres facteurs : la diminution de la biodiversité, qui réduit leurs ressources alimentaires, et la virulence des parasites et acariens qui affectent les ruches.

Un relatif consensus s’établit donc autour d’une multiplicité de facteurs : un affaiblissement dû aux pesticides, qui altère les facultés d’orientation et les défenses immunitaires – d’où une moindre résistance aux parasites –, et la réduction du bol alimentaire des abeilles.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments, comme le Comité permanent de la chaîne alimentaire, mettent en avant le rôle de trois pesticides pour lesquels un moratoire est demandé, mais ils sont parfaitement conscients de la nécessité de mettre au point à l’échelle européenne un protocole commun de recherche. C’est en effet la diversité des études – certaines concluent d’ailleurs à l’innocuité des pesticides – qui justifie la position de certains États opposés au moratoire proposé par l’Union européenne.

Tel est l’état du dossier : une forte suspicion à l’encontre de certains pesticides, mais qui n’est pas unanimement admise par certains États, et une prise de conscience des conséquences pour les abeilles de la réduction de la biodiversité.

La question de la surmortalité des abeilles comporte un double enjeu, de santé publique et de préservation d’une filière économique.

En termes de santé publique, la question des pesticides est centrale dans l’agriculture, puisque ces produits posent problème tant pour l’état des sols et des eaux que pour les pratiques culturales. La France en est le premier utilisateur en Europe, avec 62 700 tonnes en 2011 – dont 20 % pour la viticulture.

Le débat est idéologique – au sens noble du terme – et technique. On retrouve en effet des traces de pesticides dans la chaîne alimentaire et dans la nature. Il y a donc un véritable débat politique, portant sur leur interdiction ou sur le « réglage du curseur » – en d’autres termes, la modification des doses comme des périodes d’administration des pesticides sur les cultures. Il s’agit donc d’arbitrer entre des exigences environnementales et sanitaires, et des exigences économiques pour un secteur agricole qui est soumis à de fortes contraintes règlementaires et financières.

Une autre question se greffe dans ce débat : plusieurs pesticides sont classés parmi les perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire des produits qui peuvent avoir des conséquences génétiques chez l’homme ou provoquer des cancers. Ils sont présents dans des produits alimentaires, mais aussi dans les secteurs cosmétique et textile. Les pouvoirs publics commencent à prendre la mesure de ce problème.

Pour ce qui concerne la filière apicole, il faut avoir le courage de dire que l’apiculture est en crise, mais que cette crise ne provient pas seulement de la surmortalité des abeilles : elle provient largement de l’absence de filière apicole digne de ce nom.

Ce problème avait déjà été soulevé en 2008 par notre collègue Martial Saddier, auteur d’un rapport sur la « filière apicole durable » remis au Premier ministre François Fillon. Les pouvoirs publics ne sont pas inactifs face à cette situation. Le précédent Gouvernement, sur les recommandations de notre collègue, a commencé la restructuration de la filière en la dotant d’un Institut technique ; plus récemment, le ministre chargé de l’agriculture Stéphane Le Foll a lui-même proposé un plan en faveur de l’apiculture.

Plus généralement, la division du monde apicole entre producteurs amateurs, professionnels pluriactifs et professionnels à plein temps ne favorise pas l’unité de position de ce secteur. Par ailleurs, ce n’est que récemment que les cultivateurs et les éleveurs ont reconnu l’apiculture comme une composante de l’agriculture. Cette absence de véritable filière laisse les apiculteurs désarmés quand ils font face à des difficultés comme l’effondrement des colonies.

Ma conclusion est donc que les pesticides sont sans doute responsables d’une partie de la mortalité des abeilles, mais pas exclusivement. Ma prudence rejoint celle de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, qui admet elle-même un manque d’information sur de nombreux points. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Commission européenne propose un moratoire et non l’interdiction définitive de trois produits.

Le relèvement de l’apiculture ne peut être assuré que par une politique d’ensemble, par une inflexion de la politique agricole commune vers un plus grand respect des équilibres écologiques et par un ensemble d’actions nationales réorganisant la filière.

Le moratoire proposé par la Commission européenne n’a de sens que si la période de deux ans qu’il ouvre sert à approfondir nos connaissances sur les colonies d’abeilles, à partir d’un protocole de recherche validé par l’ensemble des pays européens. À défaut, il ne servira à rien et si jamais les abeilles continuent de mourir au terme de ce moratoire, le pouvoir politique n’aura pas de base scientifique pour agir. Je vous proposerai donc d’adopter la proposition de résolution, compte tenu d’un amendement rédactionnel et d’un amendement portant sur les actions à conduire pendant la période du moratoire.

Mme Françoise Dubois. Je remercie Sophie Errante pour son travail sur cette proposition de résolution européenne de la présidente Danielle Auroi. Elle en a explicité les enjeux, c’est-à-dire les soupçons pèsent sur les pesticides – et singulièrement sur les trois insecticides ciblés – dans la surmortalité des abeilles en Europe. Le rapport de causalité est incertain, complexe et non-exclusif puisqu’une quarantaine de facteurs sont visiblement responsables de cette situation. Toutefois, une responsabilité partielle justifie un moratoire de deux ans pour mener une recherche publique alors qu’aucune donnée précise n’est aujourd’hui disponible pour tirer des conclusions formelles sur la situation des pollinisateurs. L’absence de programmes internationaux et régionaux de surveillance du phénomène fait planer une incertitude.

Le relèvement de la filière apicole constitue également un objectif auquel nous souscrivons.

Sans revenir sur la procédure européenne, rappelons combien il est important de soutenir le Gouvernement dans ses discussions avec les autres États-membres. Ceux-ci devront motiver leur position sur le projet de moratoire, et la réunion d’une majorité autour de la position française ne semble pas inaccessible.

À l’intérieur de nos frontières, ce moratoire est compatible avec le plan de développement durable de l’apiculture présenté par le ministre Stéphane Le Foll en Sarthe il y a quelques mois : il avait alors insisté, à raison, sur l’intérêt des pollinisateurs tant du point de vue économique que dans une approche écologique. Ce plan important et cohérent prévoit d’injecter quatre millions d’euros en trois ans dans la filière apicole.

Quant aux apiculteurs, la faible organisation de leur filière impose que les élus relaient efficacement leur voix et leurs inquiétudes. Il n’y a pas à les opposer aux agriculteurs dans la mesure où chacun peut mener ses activités en bonne intelligence. Faut-il rappeler que bon nombre de plantes ont besoin d’une pollinisation animale pour se reproduire ? À ce propos, une étude réalisée en 2012 sur la corrélation entre le déclin des pollinisateurs et la diminution de la productivité agricole a chiffré la valeur de la pollinisation des cultures à 265 milliards de dollars.

Le groupe SRC plaide pour le renforcement de la filière apicole et pour enrayer la surmortalité des abeilles tout en préservant la rentabilité de l’agriculture et en conservant à l’esprit les préoccupations de santé publique. Des techniques respectueuses des pollinisateurs doivent émerger. Le bon sens comme la prudence requièrent donc de soutenir la présente proposition de résolution pour une meilleure connaissance des effets des trois insecticides visés.

M. Martial Saddier. Je veux adresser mes félicitations à notre rapporteure pour la qualité de la synthèse qu’elle a dressée. Les premiers travaux sur la mortalité des abeilles remontent à 1947 ; ils ont mis en évidence une surmortalité des abeilles et, ce qu’on néglige trop souvent, des apoïdes sauvages. Peut-être, d’ailleurs, faudrait-il également évoquer ces derniers !

Peut-être, aussi, le fait de pointer du doigt les pesticides dans la recherche des responsables de la surmortalité des abeilles a-t-il braqué un certain nombre de personnes alors qu’un consensus assez large admet une pluralité de facteurs à la source de cette situation.

On parle de mortalité de 30 à 40 % suivant les territoires, et c’est bien ce qui est important : ces taux se retrouvent aussi bien dans les grandes plaines céréalières qu’au sein des vallées que domine le Mont-Blanc. Il y a donc plusieurs causes et beaucoup d’inconnus. Tous les pays du monde sont frappés avec la même vigueur par le même phénomène. On en comprend l’impact quand on sait que le cycle des protéines commence immanquablement ou presque par une pollinisation par les apoïdes sauvages. Le chiffre de 250 milliards de dollars a déjà été mentionné pour en donner la traduction annuelle en termes monétaires ; ce montant atteint 2 milliards d’euros pour l’espace français. J’indique, au passage, que les plantes anémophiles constituent une exception à cette règle puisque, comme leur nom l’indique, le vent suffit à leur pollinisation.

Le constat de cette mortalité excessive a conduit à organiser une table-ronde dédiée dans le cadre du Grenelle de l’environnement. En 2007, le chef du Gouvernement a demandé à trois de ses ministres – Jean-Louis Borloo, Michel Barnier et Nathalie Kosciusko-Morizet – d’encadrer un parlementaire en mission pour formuler des propositions. Il a découlé du rapport Pour une filière apicole durable, que j’ai eu l’honneur de commettre, un plan de relance de l’apiculture dans notre pays. Les causes multiples ont alors été abondamment décrites, qu’il s’agisse des intrants, de l’état du cheptel, de l’habitat ou encore des ressources alimentaires.

Vous avez insisté sur la double nécessité, d’une part de mener le combat au niveau européen pour convaincre nos partenaires de l’opportunité d’une action commune, d’autre part de constituer une filière apicole à partir des organisations encore trop éclatées malgré la création de l’Institut technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation en 2009. Il faut poursuivre vers une interprofession qui sera, j’en suis convaincu, la seule façon de régler toutes nos difficultés.

Pour toutes ces raisons, aucun député UMP ne s’opposera au vote de cette résolution, et je gage que beaucoup voteront même en sa faveur comme je m’apprête à le faire moi-même. Ce soutien est subordonné, néanmoins, à l’adoption de l’amendement évoqué précédemment par notre rapporteure, car il est exclu que la France fasse cavalier seul sur ce sujet.

M. Bertrand Pancher. J’ai mauvaise grâce à m’exprimer à la suite de Martial Saddier tant sa connaissance du sujet est précise. Comme lui, les commissaires du groupe UDI soutiendront cette proposition de résolution.

Nous sommes convaincus de la pluralité des causes de la disparition des abeilles dans les pays occidentaux ; cependant nous sommes tout aussi conscients que les insecticides sont dangereux à partir de doses en nanogrammes par abeille alors que chaque hectare de terre cultivée peut réglementairement recevoir aux environs de cent grammes. L’émission de poussières polluées, la rémanence des pesticides dans les plantes et les sols, leur forte toxicité pour les abeilles comme d’ailleurs pour d’autres espèces, la nécessité d’une harmonisation européenne nous convainquent tout à fait.

Les questions de la rotation des cultures et des maladies ne doivent pas être éludées. La précédente mandature avait vu le renforcement des études scientifiques pour mieux caractériser la situation, car il ne s’agit évidemment pas de proclamer la culpabilité d’une filière particulière sur la base de quelques présomptions. Ne mettons pas en péril l’équilibre économique du pays en général, et de l’agriculture en particulier.

Nous espérons, enfin, la finalisation d’un document d’orientation européen destiné à l’évaluation des effets des substances pharmaceutiques et chimiques sur les comportements humains et animaux. Les règles doivent être renforcées !

M. François-Michel Lambert. Chacun sait combien les écologistes tiennent la biodiversité pour primordiale, et nous nous réjouissons de la future création d’une agence dédiée à cette problématique. Sa préservation est essentielle ; elle doit prévaloir sur les intérêts économiques de toute sorte. Notre groupe soutiendra donc cette proposition de résolution européenne, adoptée unanimement par la commission des affaires européennes, et à laquelle je souhaite le même destin dans notre commission du développement durable. Le texte qui nous est soumis a été d’abord inspiré par notre collègue Laurence Abeille, qui a plaidé pour un moratoire sur les pesticides néonicotinoïdes et phénylpyrazoles. Danielle Auroi a élargi son approche pour aboutir à la proposition qui nous est soumise aujourd’hui.

Une étude de l’INRA, réalisée en 2012, a révélé les risques des pesticides sur le système nerveux des abeilles. Ils entraînent indirectement la mort en troublant le sens de l’orientation de l’animal et en l’empêchant de retrouver le chemin de sa ruche – or chacun sait qu’une nuit hors de la ruche condamne une abeille. Or, ces effets indirects sont particulièrement difficiles à isoler, ce qui ralentit le progrès de la connaissance scientifique et la compréhension du phénomène d’effondrement des populations d’abeilles. Une nouvelle étude, de 2013 cette fois, a confirmé ces conclusions également renforcées par un précédent : la décision de l’Italie d’interdire les néonicotinoïdes sur le maïs, en 2008, a coïncidé avec une reprise de l’apiculture transalpine – sans qu’on puisse toutefois, et il faut le souligner, déduire de cette corrélation une causalité.

Je ne reviendrai pas sur l’inquiétude que montre le Programme des Nations-unies pour l’environnement au sujet du désordre dans les colonies d’abeilles. Il est nécessaire, au-delà de ce vote, de rompre avec une agriculture fondée sur la chimie qui perturbe les écosystèmes, qui détruit la biodiversité et qui, au bout de la chaîne, altère la santé humaine. (Murmures)

Cette agriculture-là doit intégrer les principes du développement durable. Tout ceci n’est pas nouveau. On en a parlé dans le Grenelle de l’environnement ; on a dressé le plan Écophyto 2018 pour réduire l’emploi des pesticides. C’est l’un des grands échecs des dernières années de ne pas être parvenu à limiter la croissance de leur utilisation.

Enfin, nous devons réfléchir à la filière apicole française. C’est un sujet environnemental, économique, social. Pour la préservation de la biodiversité, le plan lancé par Stéphane Le Foll devra répondre aux attentes qu’il suscite et inaugurer un nouveau chemin pour la production agricole. Arrêtons de nous droguer aux pesticides !

M. Christophe Priou. Notre collègue Jacques Krabal cite fréquemment Jean de La Fontaine au cours de nos travaux ; il me revient à l’esprit, issue d’une fable dont le nom m’échappe, la maxime selon laquelle « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ».

Plusieurs députés sur tous les bancs. Le Lion et le Rat !

M. Christophe Priou. Merci à nos collègues de suppléer ma mémoire ! Cette morale s’applique parfaitement au cas qui nous occupe aujourd’hui : l’autorité européenne de sécurité sanitaire des aliments reconnaît enfin les découvertes des chercheurs français. Je ne suis pas certain, toutefois, que ce laps de temps soit au goût des apiculteurs, puisque la multiplicité des causes, évoquée par notre rapporteure, semble désormais attestée pour le plus grand malheur des populations d’abeilles. Je sais que les espèces invasives, et notamment le frelon asiatique, ont leur part de responsabilité dans cette situation.

Nous avons besoin du soutien d’un maximum de parlementaires, comme la France aura besoin d’un maximum de soutien de ses partenaires pour faire prévaloir le moratoire demandé par cette proposition de résolution. Il est grand temps. J’espère que ce texte fera consensus dans notre commission.

M. Charles-Ange Ginesy. Je soutiens naturellement cette résolution. Le Grenelle de l’environnement a suscité de nombreuses réflexions sur la question des abeilles, et ma position en découle directement. Il ne faut pas que la France soit seule à s’engager dans la voie du moratoire : être en pointe est une chose, être isolé en est une autre.

Je me réjouis de la suppression du Gaucho, du Régent et du Cruiser. Mais je demeure inquiet de la progression du varroa, cet acarien qui continue à décimer les populations d’abeilles. Ceci illustre la pluralité des causes dont les intervenants précédents ont fait mention. Je m’interroge également beaucoup sur l’utilisation de l’amitraze et de ce qu’on nomme couramment les « lanières », qui réduisent encore les populations et qui restent autorisées en France alors qu’une interdiction a été décidée dans le reste de l’Europe. Il faut poursuivre la réflexion car le varroa, lui, s’habitue à ce traitement.

M. Yannick Favennec. Dans son avis de janvier 2013, l’AESA a été très sévère à l’encontre des néonicotinoïdes. Or ces pesticides figurent parmi les plus utilisés dans le monde. Le Cruiser en fait ainsi partie et il est largement appliqué sur les cultures de maïs. Madame la rapporteure, faut-il selon vous interdire ce produit ?

Mme Geneviève Gaillard. Je soutiens le travail de notre rapporteure, mais je suis inquiète quand elle évoque dans son amendement n° 2 le recours à des crédits publics nationaux ou européens pour mettre en œuvre de nouvelles expertises quand on connaît la difficulté qu’il y a à les mobiliser. Il faut du temps pour inscrire des crédits à un budget et pour se mettre d’accord sur un protocole de recherche. La période proposée pour le moratoire est de deux ans mais je crains que nous ne disposions pas d’éléments probants lorsqu’il expirera, d’où le risque qu’il ne soit prolongé.

M. Olivier Marleix. Je salue à mon tour la contribution de notre rapporteure à un débat qui n’est pas simple, car les études qui le sous-tendent sont souvent contestées. Il existe de forts indices en faveur de causes multifactorielles provoquant l’effondrement des colonies d’abeilles, comme la diminution de la biodiversité et l’action du varroa. Si les pesticides devaient être supprimés, a-t-on chiffré le coût qui en résulterait pour l’agriculture, en termes de baisse de la production ?

M. Jean-Pierre Vigier. De nombreuses mesures ont déjà été prises en faveur des colonies d’abeilles, avec l’interdiction du Gaucho et du Régent en 1999. Le Gouvernement vient de mettre en place un plan triennal en faveur de l’apiculture auquel il faut donner une rapide impulsion ; de nouvelles techniques, comme les déflecteurs, évitent de disséminer les poussières qui portent des pesticides, mais quelles aides pouvons-nous apporter à nos agriculteurs dans ce dossier ?

M. Jean-Marie Sermier. Je tiens à féliciter notre rapporteure qui a su faire la part des choses dans un débat passionné, passionnant et souvent chargé d’émotion. L’amendement qu’elle a déposé au dernier alinéa de la proposition de résolution m’apparaît essentiel afin de distinguer ce qui ressort des techniques phytosanitaires et ce qui relève de la biologie. Il est par ailleurs vital de redresser la filière apicole, car la profession est « balkanisée ».

Mme la rapporteure. M. Martial Saddier a évoqué la question des autres insectes pollinisateurs. Sur ce point, l’AESA est très claire et son avis fait preuve de modestie intellectuelle puisque cette autorité indique qu’il n’existe pas d’étude sur les conséquences des pesticides sur les insectes autres que les abeilles mellifères. M. Yannick Favennec m’a interrogé sur le Cruiser : je précise que ce produit est visé par le moratoire proposé par l’Union européenne car il contient du thiametoxame, qui est un néonicotinoïde. Mme Geneviève Gaillard s’est inquiétée des effets de mon projet d’amendement : je tiens à lui préciser que j’ai consulté le Gouvernement sur les crédits qui pourraient être affectés à de telles recherches, ces crédits étant d’un faible montant.

Mme Geneviève Gaillard. Espérons-le !

Mme la rapporteure. Je suis d’accord avec M. Jean-Pierre Vigier pour donner une vive impulsion au plan en faveur de l’apiculture. Toute la difficulté est de mettre autour de la table les apiculteurs, les agriculteurs, les semenciers et les chimistes. Enfin, j’ai bien noté les propos de M. François-Michel Lambert : les études sur les néonicotinoïdes sont probantes, mais ne suffisent pas ; elles suscitent des contre-expertises et en susciteront encore si nous n’établissons pas à l’échelle européenne un protocole de recherche.

*

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous en arrivons à l’examen des deux amendements qui ont été déposés.

La commission adopte tout d’abord à l’unanimité l’amendement rédactionnel CD 1 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CD 2 de la rapporteure.

Mme Sophie Errante, rapporteure. Comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, cet amendement a pour objet de consacrer la période du moratoire à l’approfondissement des connaissances scientifiques sur les causes de la mortalité des abeilles, à l’échelle européenne.

M. Martial Saddier. Le groupe UMP soutient cet amendement car il est important de relayer au niveau européen l’action que nous conduisons dans notre pays.

La commission adopte alors à l’unanimité l’amendement CD 2 puis l’ensemble de la proposition de résolution ainsi modifiée.

*

* *

La Commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Gilles Savary, la proposition de résolution européenne sur le quatrième paquet ferroviaire (n° 905).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. M. Gilles Savary va nous présenter une proposition de résolution adoptée, sur son initiative, par la commission des affaires européennes.

M. Gilles Savary, rapporteur. Il s’agit du quatrième « paquet ferroviaire », un « paquet » législatif composé de six propositions de directives et de règlements, et qui constitue l’acte final de la longue aventure, commencée dans les années quatre-vingt-dix, qu’est la constitution d’une « Europe du rail » sans frontières. Le texte originel, la directive 91/440, avait amené la France à séparer, en 1997, la SNCF et RFF. Contrairement à une idée reçue, cette notion de « paquet législatif » ne signifie pas seulement « libéralisation ». Il s’agit, certes, de « dé-monopolisation », mais aussi d’une nouvelle régulation, d’une démarche de « re-réglementation », qui est très importante, sur la gouvernance du système ferroviaire, la sécurité, l’accès aux sillons et aux gares, et le statut des services publics.

Les précédents « paquets ferroviaires » ont changé radicalement le management des systèmes ferroviaires.

Le premier « paquet », adopté en 2001, a amené la libéralisation, ou l’ouverture, du fret ferroviaire international. Le deuxième, en 2004, a ouvert le marché du fret national. Le troisième, adopté en 2007, a procédé à l’ouverture du marché du transport international de voyageurs, ouverture qui n’est devenue effective en France que tardivement, en décembre 2010. A ce jour, un seul train international se trouve en concurrence avec les trains de la SNCF, ceux de l’opérateur ferroviaire Thello, opérateur constitué par Trenitalia et Veolia Transdev.

Avec le quatrième « paquet », nous arrivons à la dernière étape, l’ouverture à la concurrence du trafic national de voyageurs. Celui-ci constitue l’essentiel du trafic, puisqu’il inclut tous les TER, tous les TET et Corail, tous les transports à grande vitesse circulant sur le territoire national, sur des trajets comme Paris-Lyon, Paris-Bordeaux ou Paris-Strasbourg. D’où l’extrême importance de ces propositions, qui sont d’une grande complexité.

Le premier texte du « paquet » est une proposition de directive qui porte sur deux sujets : d’une part, la date de l’ouverture de ce marché, que la Commission européenne propose de fixer au 31 décembre 2019, ce qui correspond à la date annoncée par le Premier ministre pour l’entrée en vigueur de la réforme ferroviaire française – il est probable que la Commission européenne a volontairement « calé » sa proposition sur l’échéance française.

D’autre part, la gouvernance. Sur ce sujet il y a eu une partie de « bras de fer » entre la Commission européenne d’une part, la France et l’Allemagne d’autre part. La Commission voulait aller jusqu’à la séparation absolue dans les systèmes ferroviaires, le cloisonnement total, alors que la France, à l’issue des Assises du ferroviaire, était parvenue à la conclusion qu’une séparation totale est potentiellement risquée, coûte cher et suscite des dysfonctionnements administratifs forts. En Allemagne le système est encore très intégré, plus intégré que la « fausse séparation » française. La Deutsche Bahn (DB) est un groupe très puissant, le premier en termes de chiffre d’affaires. Elle procède à un développement externe très important.

Le texte proposé par la Commission ouvre deux options : une séparation complète des fonctions pour éviter, en ce qui concerne la France, que la SNCF ne soit « juge et partie » et soit trop impliquée dans la gestion courante du réseau, ce qui la mettrait en position d’empêcher l’arrivée de nouveaux concurrents. C’est la ligne doctrinale forte de la Commission européenne.

La France et l’Allemagne ont pesé sur la Commission pour que soit ouverte une deuxième option, l’organisation sous forme d’un groupe verticalement intégré, c’est-à-dire une holding. La Commission a accepté, mais en encadrant cette organisation par des « murailles de Chine », imposant une stricte indépendance de la filiale vouée au réseau. Cela signifierait pour le système français le rapatriement de 50 000 cheminots sous RFF ; ces cheminots seraient à l’intérieur d’une holding « SNCF », mais, par contre, aucun membre de la compagnie « SNCF » - celle qui fait rouler les trains - ne pourrait faire partie du conseil d’administration de RFF, et le patron de RFF serait nommé par le ministre chargé des transports et pas placé sous la tutelle du président de la SNCF.

Un État pourra donc faire le choix d’un groupe intégré, mais à condition que ce groupe garantisse la clarté et l’égalité d’accès aux « fonctions essentielles », c’est-à-dire aux sillons, aux rails, aux gares et aux installations, ce qui aujourd’hui n’est totalement assuré ni en France, ni en Allemagne.

Les principaux éléments de la proposition de résolution que je vous soumets sont les suivants :

L’article 2 porte sur le premier des six textes du « paquet » et réaffirme que les deux modèles d’organisation proposés supposent de garantir un accès libre, transparent et non discriminatoire aux fonctions essentielles.

Je note que le regroupement des métiers du réseau qui s’opère au sein de RFF constitue une première étape, en attendant l’indispensable regroupement du patrimoine : dans les gares, une partie du patrimoine appartient à la SNCF et une autre à RFF, de façon inextricable.

M. Martial Saddier. Il suffit d’avoir essayé une fois d’acheter un terrain à la SNCF ou à RFF pour comprendre cela !

M. Gilles Savary, rapporteur. Le texte proposé sur la gouvernance est asymétrique : la Commission européenne pose des conditions particulières pour les entreprises intégrées, qui conduiraient notamment à interdire tout lien financier entre la SNCF et RFF. Je vous propose – c’est l’alinéa 15 de l’article 2 de la proposition de résolution – d’approuver une interdiction des mouvements financiers mais uniquement dans un sens : il faut qu’il puisse y avoir des flux financiers de la SNCF vers RFF.

En Allemagne, le gestionnaire du réseau, DB Netz, a un budget très excédentaire : 1,5 milliards d’euros en 2012. Via la holding, cet excédent vient financer la Deutsche Bahn. C’est de cette manière que la DB a les moyens financiers d’acheter Veolia Transdev, ce qu’elle s’apprête à faire, grâce aux péages très élevés perçus par DB Netz.

Il ne faut pas faire la courte échelle à la DB ! En revanche il faut permettre à la SNCF de financer RFF, c’est-à-dire rendre possible l’affectation de profits de la SNCF au financement du réseau au lieu de les faire sortir du système ferroviaire en les versant à l’Etat sous forme de dividendes.

L’alinéa 16 de l’article 2 de la proposition de résolution concerne une disposition très particulière : la Commission européenne prévoit qu’à partir de 2019 il ne sera plus possible pour un Etat d’organiser son système ferroviaire en holding. C’est une asymétrie injustifiée. Ce qui est important, et conforme au principe de subsidiarité, c’est de garantir la liberté d’accès, l’équité et la transparence quel que soit le mode d’organisation choisi par chaque Etat.

L’alinéa 21 de l’article 2 de la proposition de résolution souligne l’intérêt que présentent les comités de coordination proposés par la Commission, car ils feront participer les nouveaux entrants à la gouvernance. Ces comités permettront de pointer les dysfonctionnements et de les régler en évitant les contentieux longs à résoudre.

Enfin, l’alinéa 25 de l’article 2 vise à prévenir dans le ferroviaire ce qui est advenu dans les secteurs routier, aérien et maritime : le dumping social. Un texte sur la certification des conducteurs existe déjà, et les personnels demandent qu’un texte soit élaboré sur la certification professionnelle des personnels de bord. J’appelle donc la Commission européenne à présenter une proposition en ce sens, car le « paquet » ferroviaire n’aborde pas cette question.

Le deuxième texte du « paquet » est une proposition de révision du règlement « OSP » qui concerne les aides d’État aux missions de service public. Il convient de ne pas laisser croire que les règles européennes empêchent l’exercice des missions de service public ! Dans le cadre de la mise en œuvre du quatrième « paquet », les autorités publiques continueront de conclure des contrats incluant toutes les obligations de service public qu’elles souhaitent y inclure, avec une compensation à due concurrence par des subventions, c’est-à-dire par des aides d’État.

Le « règlement OSP » prévoyait plusieurs exceptions : les métros, les tramways, et les chemins de fer lourds. Cette dernière exception avait été obtenue par M. Dominique Perben, afin de protéger le monopole de la SNCF. Bien sûr, cette exception va disparaître avec l’adoption du quatrième « paquet ». La proposition de résolution en prend acte. Je propose, dans l’alinéa 3 de l’article 3, que l’exception concernant les tramways soit également supprimée : il n’est pas acceptable qu’en Allemagne par exemple le marché des transports collectifs urbains demeure fermé alors qu’il est ouvert en France.

L’alinéa 6 de l’article 3 rappelle qu’il sera toujours possible, pour les élus locaux, en matière de transports collectifs, de choisir entre appel d’offres et régie. Il s’agit de mettre fin à la confusion, souvent faite, entre l’ouverture des TER à la concurrence et l’impossibilité de recourir à la régie pour les exploiter. Ce qui ne sera plus possible, c’est d’attribuer le marché directement à la SNCF : si une région choisit de procéder autrement qu’en régie directe, elle devra mettre la SNCF en concurrence avec d’autres entreprises dans le cadre d’un appel d’offres.

Le troisième texte du « paquet » porte sur l’Agence ferroviaire européenne, dont le siège est à Valenciennes, pour étendre fortement ses prérogatives. J’y suis favorable, sauf sur un point : la délivrance des certificats de sécurité pour le matériel roulant. Actuellement, les normes en la matière sont européennes, mais ce sont les agences nationales qui délivrent les certificats. Or il y a des pays, tels que l’Allemagne, où sous couvert d’exigences de sécurité, les agences nationales refusent de délivrer ces certificats d’une manière qui constitue du protectionnisme déguisé. Il est donc nécessaire que l’Agence européenne joue un rôle dans la délivrance des certificats, mais je propose qu’elle ne le fasse qu’en appel, au lieu de lui donner cette compétence totalement – elle n’aurait de toute façon pas les moyens de l’exercer. Il est utile qu’elle décide en dernière instance, y compris en s’auto-saisissant.

Les trois derniers textes du « paquet » sont également importants mais beaucoup plus techniques : une proposition de directive de refonte sur la sécurité ferroviaire, une proposition de règlement sur la comptabilité des entreprises ferroviaires, et une proposition de directive relative à l’interopérabilité.

La sécurité ferroviaire n’est en aucune façon remise en cause par la libéralisation, pas plus que dans le secteur aérien. En matière de sécurité aérienne il faut saluer les progrès remarquables qui ont été faits grâce à l’Union européenne. Les règles européennes de sécurité ferroviaire sont aussi un corps de règles très puissant. Le quatrième « paquet » va simplifier leur mise en œuvre et les étendre à l’ensemble des matériels, même ceux qui sont totalement nationaux.

Quant à l’interopérabilité, il s’agit d’un chantier considérable, lancé dans les années quatre-vingt-dix. Il porte sur une vingtaine de spécificités techniques. Des pools d’ingénieurs et de techniciens travaillent sur tous les composants des trains, mais aussi du ballast, du réseau et des voies. Ce chantier durera probablement plusieurs décennies, et ne pourra peut-être pas être complètement achevé – notamment en ce qui concerne le problème du gabarit des trains. Eurostar est plus « efflanqué » que le Thalys, parce que le gabarit des trains britanniques, et donc la taille des tunnels ferroviaires en Grande-Bretagne, imposaient un train moins large.

Les travaux d’interopérabilité en cours portent, par exemple, sur les systèmes de contrôle-commande qui guident le train sur la voie. Il y en a actuellement sept qui coexistent pour le Thalys !

Ces problèmes d’interopérabilité ne sont qu’une des illustrations de la difficulté particulière qu’il y a à faire progresser « l’Europe du rail », par rapport au secteur routier. Les systèmes ferroviaires nationaux ont été volontairement conçus, historiquement, comme hétérogènes, pour protéger l’économie nationale et pour protéger le territoire en entravant les intrusions des armées étrangères.

Enfin, la dernière proposition de règlement vise à abroger le règlement 1192/69 qui n’a jamais été appliqué en France. Ce règlement demandait aux États d’assainir la situation financière de leurs opérateurs ferroviaires, c’est-à-dire de récupérer la dette et de faire en sorte que les systèmes de retraite ne relevant pas du régime de base soient pris en charge par les États, ce qui n’est que partiellement le cas en France. C’est ce qui explique que le système français soit lourdement endetté alors que le système allemand, lui, s’est désendetté. Ce règlement n’est plus nécessaire puisque de nouveaux textes régissent l’assainissement financier des compagnies ferroviaires.

Le quatrième « paquet ferroviaire » constitue globalement un dispositif lourd, complexe et plein de nuances.

M. Rémi Pauvros. Je remercie notre collègue Gilles Savary pour son exposé très complet des motifs de sa résolution. Celle-ci met parfaitement en lumière le caractère extrêmement complexe des textes présentés par la Commission européenne.

Le quatrième « paquet ferroviaire » est en effet un texte ambitieux : M. Jean-Éric Paquet, directeur en charge de l’Unité « Réseaux transeuropéens de transport » à la Commission européenne, a eu l’occasion de nous le rappeler lors du colloque sur la réforme du système ferroviaire organisé jeudi dernier à l’Assemblée nationale.

Il ressort de ce colloque, comme de cette proposition de résolution, que la France est décidée à ne pas subir, mais plutôt à relever le défi de la libéralisation du rail européen. Le texte de M. Gilles Savary s’en fait parfaitement l’écho, en devançant à la fois le débat qui va avoir lieu au Parlement européen – avant ou après son prochain renouvellement, on ne sait pas encore – et la remise du rapport de M. Jean-Louis Bianco sur la « réforme » – ou plutôt la « refondation », pour reprendre ses propres termes – du système ferroviaire français.

La réflexion enclenchée à travers la résolution était plus que nécessaire pour poser les bases du débat qui va avoir lieu très prochainement au sein de notre Assemblée. Cette réflexion rend compte des enjeux qui se dessinent pour la France, dans ce qui est appelé à être un véritable « changement de paradigme » pour le rail français – puisque la nouvelle phase d’ouverture à la concurrence va désormais toucher les 94 % restants du trafic ferroviaire de voyageurs en Europe.

Nous partons dans l’optique que la France doit soutenir la mise en place d’un espace ferroviaire européen unique et qu’elle doit donc accueillir favorablement les propositions de la Commission contenues dans ce quatrième « paquet ferroviaire », qui s’inscrivent bien dans cette perspective.

Le groupe socialiste considère néanmoins que l’ouverture à la concurrence n’est pas une fin en soi, qu’elle doit être réalisée progressivement pour se prémunir des excès, dont certains exemples étrangers ont pu montrer la dangerosité, et que cette réforme ne doit donc pas voir son calendrier avancé. La libéralisation du fret à l’occasion des deux premiers « paquets ferroviaires » et l’échec relatif de sa mise en œuvre en France démontrent clairement la nécessité d’aborder cette nouvelle phase très tôt en amont.

Nous estimons enfin que l’accès non discriminatoire au réseau n’est pas incompatible avec la mise en place d’un pôle public ferroviaire unifié et que le rattachement du futur gestionnaire d’infrastructures unifié (GIU) à la SNCF doit permettre d’améliorer les prestations d’ensemble du secteur et les services fournis aux usagers, à travers une meilleure intégration.

La volonté de la Commission européenne de dresser, selon ses propres termes, une « muraille de Chine » entre l’opérateur et le gestionnaire du réseau ne nous semble pas pertinente dans le cadre de ce système intégré, qui a fait ses preuves aussi bien en France qu’en Allemagne. La décision du 28 février 2013 de la Cour de justice de l’Union européenne donne d’ailleurs raison, en la matière, à l’Allemagne et à l’Autriche contre la Commission européenne. La France s’attachera donc à assurer un fonctionnement impartial du futur GIU, mais la transparence est un meilleur gage d’impartialité que le cloisonnement de ses activités.

En nous saisissant très tôt du sujet de la place de la France dans le rail européen, nous serons ainsi capables de dresser un constat lucide sur les atouts et les difficultés du secteur et d’aborder avec pragmatisme et force de conviction les propositions de la Commission européenne. Il nous appartient également de réaffirmer le rôle du pouvoir politique dans les profondes mutations à venir : notre rôle comme parlementaires est de faire émerger un consensus sur la nécessité d’un État stratège dans ce secteur, qui développe une vision de long terme, capable de poser des bases solides à la construction d’un nouveau cadre social harmonisé pour les salariés du rail et, en définitive, apte à porter le rail français à son plus haut niveau d’excellence dans toute l’Europe.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste se prononcera en faveur de cette proposition de résolution européenne.

M. Alain Gest. Je voudrais tout d’abord saluer la qualité de la présentation du rapporteur, qui ne nous surprend pas compte tenu de sa compétence reconnue sur l’ensemble de ces sujets et même si nous n’en partageons pas toutes les analyses. Il a réussi à introduire un peu de clarté dans un ensemble de textes complexes.

Les propositions du quatrième « paquet ferroviaire » visent à achever un marché ferroviaire unique à l’échelle de l’Union européenne, à ouvrir le trafic national de passagers à plus de concurrence et à assurer une totale interopérabilité au sein du réseau transeuropéen, sous le contrôle de régulateurs indépendants. Le marché de l’électricité a connu, dans un passé récent, une évolution assez similaire.

Le groupe UMP est très favorable à l’ensemble des principes sous-jacents à ce mouvement. Nous souhaitons que s’établisse un espace ferroviaire unique européen, qui fonctionne et au sein duquel la concurrence transfrontalière puisse se déployer sans entraves.

Le quatrième « paquet ferroviaire » doit néanmoins être replacé dans la perspective de la réforme ferroviaire en France, qui doit conduire à un système unique intégré et un pôle ferroviaire public unifié à travers le rapprochement de la SNCF et de RFF.

La question de la compatibilité de ces deux approches, celle de la Commission européenne et celle de la France, me conduit à présenter trois remarques sur les propositions présentées par le rapporteur.

Je souscris au propos de notre collègue Rémi Pauvros, lorsqu’il estime que la concurrence n’est pas une fin en soi. Ce n’est pas, à l’évidence, une condition suffisante de qualité et de compétitivité du rail. Mais quelle peut être alors sa justification ? Elle constitue, pour le groupe UMP, un formidable outil d’amélioration de la performance et de stimulation de l’innovation des entreprises ferroviaires, au service de leurs clients – État, régions, entreprises, particuliers. Si l’on prend pour postulat que l’ouverture à la concurrence dans notre pays permettrait d’atteindre des coûts similaires à ceux de l’Allemagne, la facture ferroviaire des conseils régionaux s’en trouverait allégée d’au moins 25 % – je rappelle, en passant, que les conducteurs de train allemands sont aujourd’hui mieux payés que leurs homologues français.

Le président de la SNCF, M. Guillaume Pepy, a maintes fois expliqué qu’il avait besoin de concurrence pour faire progresser son entreprise. C’est d’ailleurs bien la raison pour laquelle le précédent Gouvernement avait planifié une ouverture progressive du secteur à la concurrence, en commençant par quelques lignes de TET en 2014. Nous regrettons que l’actuel Gouvernement ait renoncé à cette ouverture, car cela aurait permis à la SNCF de se comparer à ses concurrents et de se préparer à l’échéance de l’ouverture totale en 2019.

Ma deuxième remarque porte sur le fait que la proposition de résolution met sur un pied d’égalité les deux systèmes de gouvernance ferroviaire possibles et renvoie, sur ce point, au libre choix des États en vertu du principe de subsidiarité. La Commission soutient le modèle dit de « séparation » et ne tolère le modèle dit « intégré » que dans les seuls pays où il existe déjà – et encore, sous certaines conditions.

Nous estimons que la Commission européenne est fondée à vouloir orienter les systèmes de gouvernance nationaux et qu’elle a raison de défendre la solution de séparation. Le premier argument en faveur de la séparation tient au développement de la concurrence qu’elle autorise : il ne peut y avoir de véritable concurrence que si toutes les entreprises ferroviaires sont à égalité devant le gestionnaire d’infrastructures, opérateur en situation de monopole par nature.

Un autre argument est lié à la construction d’un espace ferroviaire unique au sein de l’Union européenne, car le développement des trains à grande vitesse encourage les déplacements de voyageurs à longue distance et la route a évincé le fret ferroviaire du transport de marchandises à courte distance. Le ferroviaire doit s’adapter à l’enjeu de la distance et, à cette fin, les gestionnaires d’infrastructures nationaux doivent se rapprocher les uns des autres et coopérer plus étroitement. Ce n’est pas en reconstituant des bastions nationaux, reposant sur des couples gestionnaire-opérateur historique, que nous inciterons les uns et les autres à construire cet espace intégré et nous sommes donc profondément en désaccord, sur ce point, avec la proposition de résolution.

Ma dernière remarque tient à l’opacité, souvent dénoncée, des flux financiers entre l’État, RFF et la SNCF. Il nous semble qu’un effort de simplification s’impose et qu’il est impératif de prévenir tout flux entre le gestionnaire d’infrastructures et l’opérateur historique.

Quant aux flux inverses, de l’opérateur vers le gestionnaire, ils sont constitués par les péages et les redevances d’infrastructures. Si l’opérateur fait des bénéfices considérés comme trop importants, on peut soit augmenter les péages, soit prévoir un dividende exceptionnel à l’État actionnaire, susceptible d’être ensuite reversé par celui-ci au gestionnaire sous forme de subvention. Nous sommes donc également opposés à votre proposition d’autoriser les flux unilatéraux de l’opérateur vers le gestionnaire : celle-ci aboutirait à une complexification inopportune d’un système déjà passablement intriqué.

M. Bertrand Pancher. Le groupe UDI considère que le texte présenté comprend une série d’orientations de bon sens, s’agissant de grands opérateurs comme la SNCF et RFF.

Des réformes d’envergure du secteur ferroviaire ne sont pas envisageables sans le soutien de ces opérateurs. L’idée de pousser à la mise en place d’une holding, supervisant d’un côté l’exploitation, de l’autre le réseau, est largement soutenue et permettrait très certainement de faire baisser les coûts à travers une optimisation du fonctionnement.

Nous ne pouvons donc que soutenir un projet qui fait consensus, tout en soulignant que, quelle que soit l’architecture finale retenue, des mesures de rationalisation et d’économie ne pourront pas être évitées. Les trois milliards d’euros de déficit annuel de l’ensemble du système ne sont plus supportables.

Par ailleurs, la libéralisation du système ferroviaire européen appelle un véritable changement culturel chez tous les acteurs français – il me semble que la SNCF et RFF en sont pleinement conscients.

M. François-Michel Lambert. Il convient de prendre des précautions quand on parle d’aménagement du territoire et de transports. Comparer notre pays avec d’autres, ou encore comparer l’Île-de-France à d’autres régions, nécessite d’être prudent, surtout si l’on considère que la politique d’aménagement du territoire a déstructuré nos espaces. Contrairement à ce que l’on entend souvent, le transport ferroviaire est majoritairement un transport de proximité, alors qu’il y a stagnation du transport de longue distance. Nos travaux doivent être conduits à l’aune des besoins de nos concitoyens, afin de coupler l’aménagement du territoire à une politique intelligente de territorialisation.

A mon sens, ce quatrième « paquet ferroviaire » ne répond pas aux besoins quotidiens des usagers. La vision de la Commission européenne – analyser le rail comme un mode opératoire au même titre que la route – ne correspond pas à la réalité physique et n’a aucun sens : un train est prisonnier de ses rails et n’a pas la même souplesse qu’un véhicule routier ou qu’un avion...

Plusieurs députés. Les avions ont besoin de pistes pour décoller ou atterrir !

M. François-Michel Lambert. Mme Isabelle Durand, vice-présidente du Parlement européen, estime que – je la cite – « cette obsession de la Commission en faveur d’un éclatement du quatrième ‘paquet ferroviaire’, d’un cloisonnement strict de ses composantes, montre qu’elle n’a pas tiré les enseignements des conséquences de la faillite de son modèle et de celui du fret ferroviaire, ni des conclusions que les Britanniques tirent eux-mêmes de la libéralisation de leurs chemins de fer. Il convient au contraire de conserver une certaine souplesse dans le modèle de séparation et d’appel à la concurrence convenant le mieux à chaque État membre ». M. Jean-Jacob Bicep, membre de la commission des transports du Parlement européen, a mis pour sa part en lumière le fait que la concurrence n’avait apporté ni une diminution des coûts, ni une amélioration des services et qu’elle ne portait pas la moindre attention au statut des travailleurs.

La Commission européenne est portée par une idéologie libérale, loin des préoccupations sociales et écologiques. Il nous faut donc adopter une attitude offensive à son encontre. C’est bien ce que j’ai senti dans les propos de notre rapporteur. Il nous faut une Europe sociale. La mise en concurrence des travailleurs ne peut avoir que des conséquences désastreuses. La question fondamentale, que défend notre Gouvernement, est de garantir un service public de qualité pour les transports de proximité, d’assurer une égalité des tarifs ainsi qu’une véritable politique d’aménagement du territoire.

M. Michel Heinrich. Ce débat me rappelle celui sur l’ouverture du marché de l’électricité, auquel j’avais participé. Nous attendions la baisse des prix grâce à la concurrence. Nous en sommes très loin… Pouvons-nous attendre une diminution des coûts ou une amélioration du service ? Comment garantir l’existence des lignes peu ou pas rentables ?

M. Jean-Marie Sermier. Je salue l’excellence du travail de notre rapporteur. J’opèrerai la même analyse que notre collègue François-Michel Lambert, mais avec des conclusions différentes. Quand M. Jean-Claude Gayssot avait accepté la libéralisation du fret, l’objectif était de 100 milliards de tonnes/km alors que le chiffre actuel n’est que de
34 milliards. Comme l’a révélé l’audition du directeur de Euro Cargo Rail, il me semble difficile de revenir à un seul opérateur, à la fois gestionnaire du réseau et organisateur des sillons. Il existe de nombreux obstacles en France pour trouver des sillons aussi facilement que dans d’autres pays européens. Je rejoins donc mon collègue Alain Gest contre cette proposition de résolution.

M. Martial Saddier. Je tiens à mon tour à souligner la compétence de notre rapporteur, mais je suis effrayé par les positions du groupe SRC. Nous connaissons bien cette question pour avoir organisé les Assises ferroviaires. Mes chers collègues, 2019 approche et il s’agit de trouver le moyen de traverser facilement l’Europe, tant pour des impératifs de communication que pour la préservation des équilibres écologiques. Notre débat donne l’impression que la majorité tergiverse, alors que s’agissant d’infrastructures lourdes, les décisions ont un effet sur 15 à 20 ans. Le groupe SRC semble avoir écouté le chant des sirènes des syndicats. Apparemment, ces derniers ont chanté très fort… (Murmures)

J’aimerais qu’on ne revienne pas sur des décisions qui correspondent à l’intérêt général. Sur les flux financiers, il ne fait par ailleurs aucun doute que la Commission européenne examinera le volet juridique.

Je profite enfin de cette réunion pour demander à notre président s’il connaît le calendrier parlementaire de ce texte ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. On parle d’un dépôt du projet de loi au mois de juin…

M. Gilles Savary, rapporteur. Je ne peux apporter de réponses catégoriques à des questions marquées par de fortes convictions, mais je peux vous livrer quelques éléments, eux-mêmes fonction de mes propres convictions. Il est probable que la réforme ferroviaire interviendra en France avant l’adoption du quatrième paquet ferroviaire. Nous ne sommes pas certains en effet que le Parlement européen puisse en débattre avant son renouvellement. La France devra donc se prononcer à partir de son modèle ferroviaire, sachant que l’Union européenne ne sera pas en mesure de se prononcer sur le système français réformé au regard des dispositions du quatrième paquet, puisque celui-ci ne sera adopté qu’ensuite. Si on parvient à un texte équilibré, on peut faire prévaloir un modèle français.

Ce que je vous propose est intermédiaire entre le modèle allemand et le modèle ultralibéral, et quand j’évoque les transferts financiers de SNCF vers RFF, de l’opérateur du réseau vers le gestionnaire d’infrastructures, je suis sur une ligne différente du système allemand tout en offrant une perspective à la Commission européenne. En outre, nous gèrerions 500 millions d’euros par an, qui ne sortiraient pas de notre système. C’est certes complexe, avec soit le versement de dividendes, soit l’augmentation des péages, mais il est plus simple de ne pas distribuer de dividendes et d’affecter les sommes afférentes sur les infrastructures. Si je propose un mécanisme asymétrique, c’est pour mettre fin au système allemand, qui biaise la concurrence.

L’Allemagne, avec la Deutsche Bahn (DB), convoite le marché français : il est inutile de le cacher. Il nous faut donc envoyer des messages. Les profits de DB Netz basculent automatiquement dans les comptes de la Deutsche Bahn. Tout entrant sur le marché allemand paie une double dîme, une pour l’accès au marché via des péages très élevés, l’autre pour acquitter l’électricité produite par DB. Avec ces sommes, DB conduit une stratégie de croissance externe, notamment en Espagne, encerclant ainsi le marché français.

M. Martial Saddier. La Suisse fait obstacle ! (sourires)

M. Gilles Savary, rapporteur. S’accoler à DB peut être intéressant dans un premier temps, mais j’y reviendrai, de même que je reparlerai de la nécessité d’un groupe intégré. Il faut dissocier les vertus de la concurrence de la politique industrielle. La Commission européenne réduit la politique industrielle à la politique de la concurrence, ce qui est dangereux et affaiblit, voire démantèle, les grands groupes européens.

Il est nécessaire de clarifier et de simplifier la gouvernance de notre système ferroviaire, notamment en fonction de ce principe simple : qui décide paye ! Ce qui est proposé à travers le quatrième « paquet ferroviaire », ce n’est ni plus ni moins que la construction de « l’Europe du rail », en même temps que la transformation de la SNCF en opérateur majeur de cette Europe en devenir, en prenant en compte ses obligations de service public.

La concurrence dans le domaine ferroviaire prend d’abord la forme de celle qui voit s’affronter quotidiennement le rail et la route. Je rappelle qu’en France 83 % du trafic intérieur transite par la route, 17 % seulement par le réseau ferré, et que celui-ci génère
29 milliards d’euros de recettes, dont 13 qui bénéficient directement aux opérateurs ferroviaires. Nous avons tous collectivement été impuissants à modifier cet équilibre : le port du Havre n’est par exemple toujours alimenté qu’à 5 % par le réseau ferré qui le relie à son hinterland ! Nous avons donc besoin d’une vision logistique stratégique. Il ne suffit malheureusement pas de sauter comme un cabri en disant « Le fret, le fret » - comme le disait le général de Gaulle à propos de l’Europe – pour faire avancer sa cause.

En 2001, la relance du fret ferroviaire s’est soldée par un échec. Pour une bonne raison, quasiment culturelle : notre système ferroviaire privilégie le trafic voyageurs, et on imagine mal un train de ligne bondé patienter quatre heures sur une voie de garage pour laisser passer un train de marchandises ! Tout le contraire du modèle américain, dans lequel la priorité va très clairement au fret, et qui comporte très peu de trafic voyageurs.

La concurrence n’est donc pas une fin en soi. Conduit-elle dans le domaine ferroviaire à une baisse des prix ? J’en doute, car les investissements colossaux à réaliser sur le réseau et la nécessité de les amortir imposent rapidement une augmentation des péages et des redevances d’utilisation. Une solution pourrait être d’adopter la logique du modèle allemand, qui consiste à augmenter les péages au fur et à mesure de l’apparition des nouveaux entrants sur le marché. Nous ne pouvons cependant y songer pour ce qui nous concerne, car elle aboutirait à peser lourdement sur les finances de notre opérateur historique, et donc à le pénaliser, ce que je refuse.

Prenez les TER : nous en conservons une approche un peu mythique, auréolée de leur succès. Dans quelle situation se trouvent-t-ils en réalité ? Les voyageurs les plébiscitent s’ils n’ont pas à contribuer à leur financement – ils ne le font aujourd’hui qu’à hauteur de
28 %… Les présidents de région, qui sont aujourd’hui financièrement « au taquet », connaissent le coût exorbitant des rames cadencées en heure creuse, circulant à vide en rase campagne : ils évoluent vers une gestion mixte, en lançant notamment des liaisons par car.

Pour répondre à M. Alain Gest, nous n’avons aucune volonté de casser l’opérateur historique. L’exemple de la Grande-Bretagne nous enseigne que ce risque existe en cas d’ouverture non maîtrisée de l’espace ferroviaire à la concurrence : l’Angleterre est découpée en 27 régions ferroviaires, chacune desservie par un opérateur exclusif, dont aucun n’a la taille critique européenne pour affronter la concurrence mondiale, notamment chinoise, qui déjà pris position au sein de l’Union, par exemple à Stockholm.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je dois dire que la tonalité de certaines interventions me surprennent : il me semble que les auditions que nous avons organisées très en amont sur la réforme ferroviaire, qu’il s’agisse de celle du président Guillaume Pepy ou celle de M. Jean-Louis Bianco, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par le Gouvernement, avaient été reçues positivement et avaient permis de lever les légitimes interrogations des commissaires.

M. Martial Saddier. Nos inquiétudes portent pour l’essentiel sur ce qu’il adviendra du projet de loi réformant notre système ferroviaire à l’issue du débat au Parlement.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous aurons l’occasion de poursuivre ce débat lors de l’examen des textes – je pense au projet de loi sur la réforme ferroviaire, mais aussi à ceux portant « acte III » de la décentralisation, qui comporteront des dispositions liées aux transports – qui viendront à l’ordre du jour de notre assemblée.

M. Martial Saddier. Le président Jean-Paul Chanteguet a très bien compris ce que je voulais dire (Sourires).

*

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La discussion générale étant close, nous en venons à l’examen de la proposition de la résolution qui est présentée sous forme « d’articles ».

Avant l’article premier

La commission a adopté les amendements rédactionnels n° CD 20 et CD 1, au troisième visa.

Article premier : « Quatrième paquet ferroviaire »

La commission a successivement adopté les amendements rédactionnels ou de cohérence CD 5, CD 8, CD 10, CD 22, CD 24 et CD 12.

M. Alain Gest. Le groupe UMP s’abstiendra sur cet « article » premier.

La commission a adopté l’article premier ainsi modifié.

Article 2 : Proposition de directive modifiant la directive 2012/34/UE du
Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant
un espace ferroviaire unique européen, en ce qui concerne l'ouverture
du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin
de fer et la gouvernance de l'infrastructure ferroviaire (COM [2013] 29 final)

La commission a ensuite adopté les amendements rédactionnels CD 14, CD 16, CD 3, CD 6, CD 26, CD 9, CD 27, CD 18 et CD 11 du rapporteur.

M. Alain Gest. Le groupe UMP s’abstiendra également sur cet « article ».

La commission a adopté l’article 2 ainsi modifié.

Article 3 : Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement 1370/2007/CE en ce qui concerne l’ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer (dit « Règlement OSP ») (COM [2013] 28 final)

La commission a successivement adopté les amendements rédactionnels CD 28 du rapporteur, CD 29 du président Jean-Paul Chanteguet, CD 13, CD 15, CD 19, CD 17et CD 21 du rapporteur.

La commission a adopté à l’unanimité l’article 3 ainsi modifié.

Article 4 : Proposition de règlement du Parlement et du Conseil relatif à l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer et abrogeant le règlement
(CE) no° 881/2004 (COM [2013] 27 final)

La commission a adopté les amendements rédactionnels du rapporteur CD 4 et CD 7. Puis elle a adopté à l’unanimité l’article 4 ainsi modifié.

Article 5 : Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la sécurité ferroviaire (Refonte) (COM [2013] 31 final)

La commission a ensuite adopté les amendements rédactionnels du rapporteur CD 2 et CD 23. Puis elle a adopté l’article 5 ainsi modifié.

Article 6 : Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil
abrogeant le règlement (CEE) n° 1192/69 relatif aux règles communes
pour la normalisation des comptes des entreprises de chemin de fer
(COM [2013] 26 final)

La commission a adopté l’article 6 sans modification.

Article 7 : Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil
relative à l'interopérabilité du système ferroviaire au sein de
l’Union européenne (Refonte) (COM [2013] 30 final)

La commission a adopté l’article 7 sans modification, le rapporteur ayant retiré son amendement CD 25.

*

M. Alain Gest. Vous aurez compris, monsieur le président, que nos hésitations sur la philosophie générale du texte se nourrissent de nos craintes de le voir dénaturé lors de son examen au Parlement. Pour cette raison, nous nous abstiendrons sur les deux premiers articles de la résolution. Nous resterons vigilants ensuite quant aux textes qui préciseront l’évolution de notre système ferroviaire, sans nous interdire de revoir alors notre position d’attente de ce jour.

M. Rémi Pauvros. S’il fallait trouver une raison supplémentaire de voter ce projet, nos 50 000 cheminots nous la fournissent.

La commission a alors adopté l’ensemble de la proposition de résolution ainsi modifiée, le groupe UMP s’abstenant.

*

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement CD 1 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Avant l’article 1er

Au 2 du troisième visa, substituer au mot : « nations », le mot : « nationaux ».

Amendement CD 2 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 5

Rédiger ainsi le début de l’alinéa 1 :

« 1. Se félicite du renforcement et de la simplification des règles de sécurité prévus par la proposition de directive, tout en conservant… (le reste sans changement) ».

Amendement CD 3 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 2

À l’alinéa 14, supprimer les mots : « dans les deux cas ».

Amendement CD 4 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 4

À la fin de l’alinéa 5, substituer aux mots : « le règlement », les mots : « la proposition de règlement ».

Amendement CD 5 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 1er

À l’alinéa 1, substituer aux mots : « voyageur national », les mots : « national de voyageurs ».

Amendement CD 6 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 2

Rédiger ainsi le début de l’alinéa 16 :

« 5. Récuse le traitement discriminant fait par la proposition de directive en son article 7 quater, au titre duquel, à la demande d’un État membre, la Commission européenne disposerait d’un pouvoir de contrôle de conformité des seules entreprises ferroviaires verticalement intégrées à l’exception des autres types d’entreprises ferroviaires, pouvant motiver une restriction de leurs droits d’accès… (le reste sans changement) ».

Amendement CD 7 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 4

À l’alinéa 6, substituer aux mots : « instaurées par les articles 21 et 22 de la proposition de règlement, mais estime que les pouvoirs qu’il confère », les mots : « instauré par les articles 21 et 22 de la proposition de règlement, mais estime que les pouvoirs que ces articles confèrent ».

Amendement CD 8 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 1er

À la fin de l’alinéa 1, substituer au mot : « passagers », le mot : « voyageurs ».

Amendement CD 9 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 2

À l’alinéa 19, supprimer le mot : « seuls ».

Amendement CD 10 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 1er

À l’alinéa 4, substituer aux mots : « la date d’ouverture totale au », les mots : « comme date d’ouverture totale le ».

Amendement CD 11 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 2

À l’alinéa 25, substituer aux mots : « le chemin de fer », les mots : « le secteur ferroviaire ».

Amendement CD 12 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 1er

À l’alinéa 11, substituer aux mots : « d’en adapter la gouvernance », les mots : « d’adapter la gouvernance des systèmes ferroviaires nationaux ».

Amendement CD 13 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 3

À l’alinéa 4, substituer au mot : « suggestions », le mot : « sujétions ».

Amendement CD 14 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 2

Après le mot : « nationale », rédiger ainsi la fin de l’alinéa 1 : « des dispositions suivantes avant la date butoir du 16 juin 2015 : ».

Amendement CD 15 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 3

À l’alinéa 6, substituer aux mots : « le projet », les mots : « la proposition ».

Amendement CD 16 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 2

À l’alinéa 11, substituer aux mots : « le nouveau projet », les mots : « la nouvelle proposition ».

Amendement CD 17 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 3

À l’alinéa 8, substituer aux mots : « le projet de texte », les mots : « la proposition de directive ».

Amendement CD 18 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 2

À l’alinéa 25, substituer aux mots : « 1er janvier », les mots : « 31 décembre ».

Amendement CD 19 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 3

À l’alinéa 7, substituer aux mots : « modifiant l’ », les mots : « insérant un ».

Amendement CD 20 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Avant l’article 1er

Rédiger ainsi le troisième visa :

« Vu l’ensemble de six propositions d’actes européens dénommé ‘quatrième paquet ferroviaire’ adopté… (le reste sans changement) ».

Amendement CD 21 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 3

À l’alinéa 9, après le mot : « actuel », insérer les mots : « du ‘règlement OSP’ ».

Amendement CD 22 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 1er

À la fin de l’alinéa 9, supprimer le mot : « notamment ».

Amendement CD 23 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 5

À l’alinéa 4, substituer aux mots : « responsabilité et de clarté », les mots : « détermination de responsabilités et de nécessaire clarté dans la répartition des compétences ».

Amendement CD 24 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 1er

À l’alinéa 10, substituer aux mots : « de celles de la route, de l’aérien et du maritime », les mots : « de l’abolition des frontières routières, aériennes et maritimes ».

Amendement CD 25 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 7

À l’alinéa 4, substituer aux mots : « en marché des véhicules d’une part, et de mise en service », les mots : « sur le marché des véhicules, d’une part, et de mise en service des véhicules, ».

Amendement CD 26 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 2

Après les mots : « compagnie ferroviaire », rédiger ainsi la fin de l’alinéa 17 : « appartenant à une entreprise verticalement intégrée, puissent demeurer dans le système ferroviaire pour être affectés au financement de l’infrastructure, et non au versement de dividendes ; ».

Amendement CD 27 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 2

À l’alinéa 24, substituer au mot : « est », le mot : « soit ».

Amendement CD 28 présenté par M. Gilles Savary, rapporteur :

Article 3

À l’alinéa 2, substituer aux mots : « révision du », les mots : « proposition de règlement modifiant le ».

Amendement CD 29 présenté par M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable :

Article 3

À l’alinéa 3, substituer aux mots : « , à l’instar de la France, », les mots : « , contrairement à la France, ».

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 16 avril 2013 à 17 h 15

Présents. - M. Yves Albarello, M. Florent Boudié, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Olivier Marleix, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Napole Polutélé, M. Christophe Priou, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Denis Baupin, M. Jean-Louis Bricout, M. Patrice Carvalho, M. Guillaume Chevrollier, M. Stéphane Demilly, M. Laurent Furst, M. Christian Jacob, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - Mme Françoise Dubois, Mme Marie-Line Reynaud