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Mercredi 29 mai 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 66

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Présentation des travaux de la Commission

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Karine Foucher, maître de conférences de droit public à la faculté de droit et des sciences politiques de Nantes, sur les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et le droit de l’environnement

– Informations relatives à la Commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, a présenté le rapport intitulé « Contribution au débat sur la transition écologique et énergétique ».

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Comme chacun a pu le constater depuis maintenant un an, la Commission du développement durable, si elle n’a pas eu de nombreux textes à examiner au fond, s’est investie dans la préparation en amont de l’examen de plusieurs projets de loi qui ont été annoncés par le Gouvernement : code minier, agence de la nature, biodiversité, réforme ferroviaire, et bien entendu la transition énergétique pour laquelle nous avons conduit de nombreuses auditions et organisé une dizaine de tables rondes.

Il est important que ce travail soit reconnu au sein de notre Assemblée, au sein du Parlement, mais aussi par le Gouvernement. Nous devons donc le rendre visible, le rendre public, le porter dans le débat pour que tous en prennent connaissance.

J’ai donc pris l’initiative de publier, sous forme d’un rapport officiel, les comptes rendus des tables rondes et des auditions que nous avons conduites sur le thème de la transition énergétique. J’ai pris la liberté de faire précéder cette compilation d’une analyse dans laquelle je recense les points qui font consensus mais aussi dissensus entre nous, et où j’exprime quelques choix tout à fait personnels.

Souhaitant que ce projet permette à chaque groupe politique de notre commission ainsi qu’à chaque commissaire d’exprimer sa vision de la transition énergétique, je vous propose de nous retrouver en commission, le mardi 11 juin, pour entendre chacun d’entre vous. Les propos tenus seront ensuite insérés dans le rapport sous forme de comptes rendus.

Je crois aujourd’hui nécessaire pour affirmer le rôle de notre commission et pour défendre ses compétences dans les débats fondamentaux qui s’annoncent – dont celui sur la transition énergétique – de mettre en évidence notre complet investissement dans ce domaine, comme le souhaitent d’ailleurs de nombreux commissaires. Notre travail doit servir à ce que le texte de loi que nous examinerons corresponde à ce que nous voulons et à ce que nous avons exprimé de manière très concrète au cours de nos travaux.

*

* *

La Commission a ensuite entendu Mme Karine Foucher, maître de conférences de droit public à la faculté de droit et des sciences politiques de Nantes, sur les questions prioritaires de constitutionnalité et le droit de l’environnement.

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Depuis le début de la présente législature, chacun a pris conscience que la réforme constitutionnelle de 2008, qui a introduit la notion de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), avait de fortes incidences sur le code de l’environnement, puisque plusieurs décisions du Conseil constitutionnel ont jugé des dispositions du code de l’environnement contraires à la Constitution.

Nous évoquons souvent la Charte de l’environnement au cours de nos travaux. Ceci provoque en général des discussions intéressantes et non consensuelles. Force est aussi de constater que nous parlons beaucoup du principe de précaution, que nous voyons pourtant peu, et que nous parlions peu du principe de participation, avant de le voir beaucoup. Enfin, nous devons connaître les raisonnements qu’applique le Conseil constitutionnel pour mieux légiférer et éviter d’encourir sa censure.

C’est pourquoi j’ai souhaité que nous auditionnions aujourd’hui Mme Karine Foucher, maître de conférences en droit public à la faculté de droit et des sciences politiques de Nantes. Mme Karine Foucher est une spécialiste de la Charte de l’environnement, à laquelle elle a consacré de nombreux articles et communications, et dont elle assure le commentaire dans l’ouvrage de référence qu’est le Code constitutionnel.

Pour éviter tout malentendu, je précise que Mme Karine Foucher est une constitutionnaliste, conviée pour nous éclairer sur la Charte et sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et qu’elle n’est pas spécialiste du droit de l’environnement : j’appelle les députés présents à garder cette information à l’esprit au moment de poser leurs questions les plus pertinentes, puisqu’il ne s’agira pas de s’interroger sur les ICPE ou sur tel autre dispositif extrêmement spécialisé du code de l’environnement.

Mme Karine Foucher, maître de conférences en droit public à la faculté de droit et des sciences politiques de Nantes. C’est pour moi un honneur, autant qu’un plaisir, de m’exprimer aujourd’hui devant vous, sur une question complexe qui pouvait sembler réservée aux enceintes universitaires : les incidences constitutionnelles de la Charte de l’environnement dans le cadre de la QPC. J’évoquerai successivement les effets potentiellement attendus de l’entrée en vigueur de la QPC sur la Charte, les grandes lignes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière et les conséquences de cette jurisprudence, puis les incertitudes qui subsistent et les perspectives d’évolution.

Les effets attendus de l’apparition de la QPC sur la Charte étaient nombreux. On pouvait même considérer que cette dernière était une « mine à QPC », dans la mesure où il s’agit d’un texte récent, et parce que les normes constitutionnelles intéressant l’environnement au moment de l’entrée en vigueur de la Charte étaient peu étoffées. Sur la trentaine de lois adoptées depuis le début des années 1970 en matière d’environnement, cinq seulement ont été examinées par le Conseil dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité a priori. Il faut ajouter à cela les dispositions législatives adoptées dans d’autres domaines, mais susceptibles d’avoir un impact négatif sur l’environnement – car la Charte n’a pas vocation à s’imposer aux seules lois environnementales. En outre, pour les dispositions déjà contrôlées, l’adoption de la Charte peut être considérée comme un « changement des circonstances de droit », pouvant justifier un réexamen par le Conseil constitutionnel. Enfin, la Charte de l’environnement constitue, à certains égards, un « catalogue » plus riche que celui qui résulte de sources externes comme le Conseil de l’Europe ou l’Union européenne.

Tous ces éléments auraient dû contribuer à donner à la Charte une place importante dans l’application de la QPC, mais tel n’est pas le cas à ce jour. En effet, seulement huit décisions ont été rendues par le Conseil constitutionnel sur le fondement de la Charte de l’environnement – et une vingtaine d’arrêts par le Conseil d’État dans son rôle de filtre.

La jurisprudence constitutionnelle issue de la Charte est presque exclusivement centrée sur l’article 7 et, plus particulièrement, sur la disposition octroyant au public le droit de participer. Elle mobilise un moyen de constitutionnalité externe : l’incompétence négative, que le Conseil constitutionnel utilise pour sanctionner le législateur n’ayant pas épuisé sa compétence. Ce grief peut être invoqué à l’appui d’une QPC à condition que la méconnaissance par le législateur de l’intégralité de sa compétence « affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit » : il s’agit donc d’une invocabilité conditionnée. Depuis la révision constitutionnelle du 1er mars 2005 et l’intégration de la Charte dans la loi fondamentale, la préservation de l’environnement figure parmi les matières que la Constitution réserve à la compétence du Parlement.

L’article 7 de la Charte de l’environnement consacre deux droits fondamentaux : être informé et participer. Le Conseil constitutionnel, puis le Conseil d’État, ont affirmé – le premier dans sa décision OGM du 19 juin 2008 et le second dans son fameux arrêt Commune d’Annecy du 3 octobre 2008 – que cet article instaurait une nouvelle répartition des compétences entre les pouvoirs législatif et réglementaire. Depuis le 1er mars 2005, il revient au législateur de préciser « les conditions et limites » dans lesquelles ces deux droits doivent s’exercer, le pouvoir réglementaire n’ayant pour seule responsabilité que d’arrêter les mesures d’application de ces conditions et limites. Par conséquent, le pouvoir réglementaire autonome a disparu dans ce domaine depuis le 1er mars 2005 – il en va d’ailleurs de même pour les mesures de prévention contenues dans l’article 3 de la Charte – et le pouvoir réglementaire d’application de la loi se trouve limité.

Cette nouvelle règle de partage des compétences a bouleversé l’état du droit antérieur où la compétence réglementaire en matière d’enquête et de débat publics s’étendait à la détermination de la nature même des opérations soumises à ces procédures. C’est ce qui a amené le Conseil d’État, dans son arrêt Commune d’Annecy, à déclarer contraire à la Constitution un décret par lequel il avait été décidé, dans le silence de la loi, de soumettre à la participation du public la délimitation de la zone d’application de la loi littoral au lac d’Annecy.

Les associations – au premier rang desquelles figure France Nature Environnement (FNE) – ont compris que cette nouvelle répartition de compétences permettait de remettre en cause un certain nombre de dispositions législatives. La jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de QPC relatives au droit de l’environnement se concentre donc sur l’article 7 de la Charte, et ce d’autant plus que le bénéfice tiré de l’invocation des autres dispositions du texte semble incertain.

Afin de restaurer la sécurité juridique des actes entrant dans le champ du principe de participation du public, l’intervention du législateur était indispensable. Celle-ci a d’ailleurs précédé les premières censures prononcées par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la QPC – je pense notamment à la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010 dont certaines dispositions ont pour objet de donner une base législative à des mesures réglementaires qui prévoient la participation du public –, mais l’entrée en vigueur de la nouvelle procédure le 1er mars 2010 a accéléré la mise en conformité du droit à la Charte. Néanmoins, il a fallu plus d’un an pour que le Conseil constitutionnel réponde à une QPC – le 8 avril 2011 – sur la base de la Charte de l’environnement. Il convient d’ailleurs de noter que cette première décision reste la seule fondée non pas sur l’article 7 de la Charte, mais sur les articles 1er et 2 à partir desquels le Conseil a reconnu l’obligation de vigilance environnementale. Les sept autres décisions – rendues entre le 14 octobre 2011 et le 26 avril dernier – concernent toutes, à titre principal ou exclusif, l’article 7 et, en particulier, le principe de participation du public à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement.

Cette jurisprudence a contraint le Parlement à intervenir en urgence et à adopter la loi du 27 décembre 2012 relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement.

Ce processus appelle plusieurs remarques d’un point de vue constitutionnel. Tout d’abord, il faut souligner le caractère intense du dialogue noué entre le Conseil constitutionnel et le Parlement par l’intermédiaire du Gouvernement. Le législateur a manifesté une volonté d’anticiper les futures censures en élaborant une procédure générale de participation du public – prévue par l’article L. 120-1 du code de l’environnement – qui ne se contente pas de prendre en compte les décisions du Conseil constitutionnel déjà rendues, mais qui intègre celles à venir et qui renforce les droits du public.

Le Conseil constitutionnel a rendu une décision le 23 novembre 2012, c’est-à-dire pendant vos débats sur le sujet, qui censurait des dispositions de l’article L. 120-1, mais qui ne précisait pas les modalités de la participation du public. Le Conseil s’est contenté, une nouvelle fois, du service minimum, car il s’est appuyé, sans le reconnaître explicitement, sur la notion d’incompétence négative en affirmant que le législateur avait privé de « garanties légales » l’exigence constitutionnelle de participation du public en ne prévoyant pas que celle-ci s’applique aux dispositions non réglementaires. Le Conseil a donc conservé le silence sur le fond du sujet et sur les modalités de la participation, alors que sa position était particulièrement attendue puisque la loi Grenelle 2 créant l’article L. 120-1 du code de l’environnement n’avait pas été soumise à son contrôle a priori et qu’il avait déjà – dans une décision du 13 juillet 2012 – éludé cette question, à l’occasion de l’examen d’une QPC relative à la constitutionnalité de l’article L.512-5 du même code qui prévoyait des modalités de participation à la procédure d’autorisation d’installations classées identiques à celles censurées dans la décision du 14 octobre 2011. Le Secrétariat général du Gouvernement proposait au Conseil constitutionnel d’effectuer une lecture combinée des articles L. 512-5 et L. 120-1 permettant de déclarer ces dispositions conformes à la Constitution. Écartant cette option, le Conseil constitutionnel s’est contenté de reproduire sa décision du 14 octobre 2011 en s’en tenant au registre de l’incompétence négative.

Au final, aucune des décisions rendues par le Conseil sur le fondement de l’article 7 de la Charte de l’environnement ne permet de connaître les modalités d’une participation du public conforme aux exigences constitutionnelles. Dans son rapport de 2010, le Conseil d’État a émis l’idée selon laquelle la publication d’une décision touchant à l’environnement, suivie de la transmission de cette décision à un organisme consultatif, était suffisante dès lors que certaines conditions étaient remplies. Mais le Conseil constitutionnel pourrait tout aussi bien estimer que l’article 7 de la Charte impose de donner à toute personne l’opportunité de donner son avis. Le Conseil n’a dégagé que trois principes : les modalités de la participation doivent être prévues par la loi ; la publication des projets de décision ne peut être assimilée à une procédure de participation du public ; la procédure de consultation d’un organisme représentatif prévue par les anciennes dispositions sur les installations classées n’est pas suffisante, sans que le Conseil constitutionnel en explique les raisons. Le législateur est donc allé bien au-delà de la contrainte imposée par le Conseil constitutionnel, puisqu’il a considéré que l’obligation de légiférer représentait une opportunité pour améliorer les modalités de mise en œuvre du principe de participation du public et pour le rendre effectif et conforme à la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement – convention tout de même entrée en vigueur en France en octobre 2002.

Je tenais à mettre l’accent sur cette situation paradoxale d’une loi provoquée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, alors que celui-ci ne s’est à aucun moment prononcé sur le fond. On attend toujours, en effet, la grande décision de principe du Conseil constitutionnel sur la Charte de l’environnement.

Une incertitude pèse sur le périmètre de l’invocabilité de la Charte dans le cadre de la QPC. En effet, la QPC est une procédure visant à protéger les droits et les libertés garantis par la Constitution. Or si l’on s’en tient à une lecture littérale de la Charte, celle-ci ne consacre que le droit à l’environnement, le droit d’être informé et le droit de participer. Le Conseil a bien entendu affirmé que ces droits entraient dans le champ d’application de la QPC. Pour le reste, la Charte énonce des devoirs de prévention et de réparation, ainsi que les principes de précaution et de conciliation. Nous ignorons si ces dispositions peuvent être invoquées en tant que telles ou si elles doivent l’être en lien avec un droit et une liberté : la jurisprudence reste évasive sur ce point.

La nature de l’invocabilité du principe de précaution au soutien d’une QPC est également floue ; il me semble que la précaution étant non pas un droit, mais un principe, elle ne peut être opposable en elle-même et doit être conditionnée à une atteinte à l’environnement.

D’une manière plus fondamentale, il convient d’étudier la question de l’apport de la QPC à la protection des droits environnementaux. Cet apport restera mitigé tant que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sera dominée par le registre de l’incompétence négative qui, en application du principe de l’économie de moyens, permet au Conseil d’éviter d’avoir à se prononcer au fond, c’est-à-dire sur le niveau de garantie des droits consacrés par la Charte de l’environnement.

Sur le fond, le développement de la jurisprudence sur la Charte risque de se heurter à deux limites : d’une part, l’autolimitation du Conseil constitutionnel – il a rappelé qu’il ne disposait pas du pouvoir d’appréciation du Parlement –, qui ne doit pas l’empêcher de définir le contenu minimal des droits proclamés par la Charte, tâche lui incombant, même si l’on imagine difficilement le Conseil constitutionnel censurer une atteinte au principe de précaution ; d’autre part, le Conseil opère un contrôle abstrait, puisqu’il examine la constitutionnalité de la loi en tant que telle – contrairement au système mis en place dans d’autres pays européens – et non telle qu’elle est appliquée concrètement dans le litige qui lui est soumis, ce qui est peu propice au développement d’une interprétation approfondissant la protection des droits fondamentaux. Il est important que le Conseil évolue vers un contrôle concret de constitutionnalité. Son président, M. Jean-Louis Debré, ne semble pas vouloir accéder à cette requête pour le moment, sa priorité résidant dans la consolidation de la QPC.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Des dispositions de la loi du 27 décembre 2012 pourraient-elles être annulées à la suite du dépôt d’une QPC ?

Mme Karine Foucher. Non, car le Parlement est allé au-delà de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les modalités de la participation comme sur le champ d’application de l’incompétence négative.

M. Jean-Yves Caullet. Je vous remercie de votre exposé qui montre que nous sommes entrés dans un nouveau processus d’élaboration de la norme : en intégrant dans la loi fondamentale de la République une règle générale contenue dans une charte, le législateur constitutionnel a promu un principe qu’il a fallu ensuite adapter, alors que, dans le schéma démocratique classique, la nécessité d’élaborer une règle répond à une demande de la société, charge à ses représentants de l’inscrire dans le droit. Cette évolution crée une instabilité tant que le Conseil constitutionnel n’a pas eu à se prononcer sur l’ensemble des dispositions de la Charte, même si la procédure de la QPC permet au public de le saisir, une fois franchi le filtre du Conseil d’État.

Pouvons-nous escompter – et si oui à quel moment – une stabilité de l’ordre juridique ? Pouvons-nous comparer cette situation à celle d’autres pays européens possédant une expérience différente de la nôtre en la matière ?

L’incertitude et la complexité de la norme résultent de nos choix : nous avons estimé que cette méthode était plus dynamique pour moderniser nos institutions et pour mieux prendre en compte de nouvelles exigences. Avons-nous eu raison de faire ce pari ? Le bénéfice dépassera-t-il les inconvénients – que nous espérons transitoires – liés à l’instabilité ?

J’ai eu le grand plaisir – bien que n’étant pas juriste – d’élaborer une constitution, qui a été l’une des premières à consacrer le droit à l’environnement de qualité pour les générations à venir ; mais comme nous nous étions gardés de rédiger une charte juridiquement complexe, nous ignorons toujours, dans ce petit État des Pyrénées qu’est l’Andorre, ce que cette norme moderne permettra de faire pour les générations futures, qui seront les seules à pouvoir juger.

M. Martial Saddier. Madame Foucher, je tiens à saluer, au nom de l’ensemble des députés de l’UMP, la qualité de votre intervention. Notre groupe voudrait rappeler l’engagement de l’ancien Président de la République, M. Jacques Chirac, qui, à la tribune de l’ONU, avait prononcé un discours que résume la célèbre formule « notre maison brûle et nous regardons ailleurs » ; il avait mené, au sein de la République française et y compris dans notre institution, un combat ayant abouti à l’intégration de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité. Nous souhaiterions également souligner l’engagement de son successeur, M. Nicolas Sarkozy, pour que chacun puisse s’assurer du respect de ses droits et de ses libertés grâce à la procédure de la QPC. Ces deux révisions de la Constitution ont constitué des avancées significatives pour nos concitoyens, pour l’Assemblée nationale et pour la République en général.

Vous l’avez rappelé, le nombre de QPC s’appuyant sur la Charte de l’environnement reste faible ; cette situation résulte peut-être de la relative faiblesse de l’arsenal juridique en matière d’environnement par rapport à d’autres secteurs d’activité comme l’industrie.

Les travaux parlementaires sur la Charte de l’environnement se sont focalisés sur son article 5 : pouvez-vous comparer la conception qu’avait le législateur de cet article à l’application qu’en font les magistrats et mesurer l’écart entre les craintes exprimées lors des débats parlementaires et la réalité ?

Le Parlement s’est saisi du sujet de la participation du public, ce qui est une très bonne chose, car le Conseil d’État a, dans son arrêt Commune d’Annecy confirmé par le Conseil constitutionnel, posé le principe de la soumission du pouvoir réglementaire au pouvoir législatif dans ce domaine du droit de l’environnement – position qui rend cette matière spécifique et qui nous réjouit.

Monsieur le président, il conviendrait que la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire poursuive sa réflexion sur l’application de la Charte de l’environnement et sur la participation du public que nous avons souhaité renforcer il y a quelques mois.

M. Bertrand Pancher. Je vous remercie, madame Foucher, pour votre intervention, pour avoir insisté sur la lecture de l’article 7 de la Charte de l’environnement par le Conseil constitutionnel et pour avoir mentionné la convention d’Aarhus qu’il nous semble nécessaire d’approfondir.

Qui – et comment – peut définir précisément ce qui a une incidence sur l’environnement et qui doit être soumis à la consultation du public ? J’avais été frappé par la QPC portant sur le permis de recherche en Nouvelle-Calédonie, car le Conseil constitutionnel avait annulé la décision sans expliquer si l’autorisation de recherche minière entraînait des conséquences sur l’environnement. Ces sujets doivent être davantage étudiés.

Ne pourrait-on pas alléger la procédure de la QPC en supprimant les filtres de première instance et de cassation, ce qui permettrait aux citoyens de poser une QPC directement au Conseil constitutionnel ?

La réforme de la QPC ne rend-elle pas nécessaire la transformation du Conseil constitutionnel en véritable cour constitutionnelle offrant toutes les garanties de procédure ? Je souhaiterais recueillir votre avis sur cette évolution qui constituerait une avancée démocratique pour notre pays.

Comment s’articulent les QPC et les questions préjudicielles posées à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ? Le Conseil constitutionnel a tendance à estimer que la QPC est prioritaire car la Constitution est la norme suprême, mais la CJUE considère que le droit européen prévaut.

Répondant à des questions d’associations comme FNE, le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions du code de l’environnement en litige étaient contraires à la Constitution, mais il a reporté l’entrée en vigueur de certaines décisions, afin de laisser au Gouvernement le temps de modifier le code de l’environnement : que pensez-vous de normes anticonstitutionnelles ne recevant aucune sanction ?

Que se passerait-il si une loi n’était pas déférée au Conseil constitutionnel, si elle commençait à recevoir une application et si une QPC, posée bien plus tard amenait le Conseil à déclarer ce texte contraire à la Constitution ? Ce cas de figure renforce la position de ceux souhaitant rendre automatique la soumission de la loi au contrôle a priori du Conseil constitutionnel. Dans le cadre de ce contrôle précédant la promulgation de la loi, il y a lieu de réfléchir à l’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel à des personnes de la société civile.

Mme Laurence Abeille. Madame Foucher, nous vous remercions d’être venue débattre avec nous d’un sujet techniquement complexe, mais politiquement important. Le groupe écologiste a accueilli avec satisfaction la mise en place de la QPC et son utilisation dans le domaine environnemental – parfois avec succès – par plusieurs associations. Cette procédure a obligé le législateur à élaborer la loi sur la participation du public, bien que l’on puisse regretter que les parlementaires doivent souvent travailler dans l’urgence. La Charte de l’environnement confie au pouvoir législatif le soin de préciser plusieurs de ses dispositions, notamment celles des articles 3 et 4 concernant la réparation des dommages causés à l’environnement. Estimez-vous la législation actuelle suffisante pour que la Charte de l’environnement soit pleinement appliquée ? Sur quel sujet le législateur pourrait-il se pencher en priorité ?

Le Conseil constitutionnel accorde une faible place aux droits environnementaux par rapport à ceux d’autres domaines comme la concurrence ou la propriété. On oppose souvent les anciens droits d’inspiration individuelle aux nouveaux de nature plus collective, le juge constitutionnel prenant moins bien en compte ces derniers dans la hiérarchisation délicate qu’il doit opérer entre certains droits fondamentaux et la préservation de l’environnement – et donc le respect des générations futures. Cette dernière pourrait devenir un principe constitutionnel pouvant primer sur d’autres comme l’égalité devant les charges publiques, contrairement à ce que le Conseil a considéré dans sa décision censurant la taxe carbone en 2009. Pensez-vous que le juge constitutionnel puisse davantage prendre en compte le droit de l’environnement à l’avenir, notamment grâce aux QPC ? Peut-on s’attendre à ce que les requérants invoquent davantage la Charte de l’environnement à l’appui de leurs QPC ?

M. Jacques Krabal. Le vote par le Parlement, en décembre dernier, de la loi relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement tire les conséquences de la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel et illustre l’efficacité de la procédure de QPC. Force est de constater que la Charte de l’environnement n’est un texte ni vaporeux ni déclaratif. Elle produit des effets de droit remarquables, et elle contribue à faire évoluer notre modèle démocratique.

Dans son rapport d’information sur la QPC, présenté en mars dernier, le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Urvoas, n’hésite pas à parler de révolution juridique concernant cette procédure ; qu’en pensez-vous ? Ce rapport constate que la complexité de la démarche explique en partie le faible nombre de procédures engagées. Comment opérer une simplification qui profiterait en particulier aux associations, principales actrices du droit de l’environnement – FNE en tête ? Il est proposé que les frais de procédure soient pris en charge par l’État lorsque le Conseil constitutionnel a prononcé une décision de non-conformité dont l’auteur de la question ne peut se prévaloir. Selon vous, une telle disposition favoriserait-elle l’augmentation du nombre de QPC relatives au droit de l’environnement ? Plus généralement, que pensez-vous des recommandations de ce rapport d’information ?

Plusieurs décisions du Conseil constitutionnel nous incitent à nous interroger sur les rapports entre droit de l’environnement et Constitution. Je pense aux récentes décisions en réponse à des QPC relatives, d’une part, à la Nouvelle-Calédonie et, d’autre part, à la quantité minimale de matériaux en bois dans certaines constructions nouvelles. Mais je pense aussi aux décisions futures : une ordonnance prise le 21 mars 2013 par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise renvoie devant le Conseil d’État une QPC, déposée par une société texane dans le cadre d’un recours contre l’abrogation de ses permis de recherche d’hydrocarbures, visant la loi du 13 juillet 2011 qui interdit la fracturation hydraulique pour l’extraction d’hydrocarbures. Une décision de non-conformité du Conseil constitutionnel abrogerait la loi du 13 juillet 2011 ; elle ouvrirait la porte à la délivrance de nouveaux permis d’exploration et d’exploitation par cette technique.

Le droit de l’environnement est-il soluble dans la Constitution ? Les mesures environnementales ne sont-elles pas de nature non constitutionnelle ? Deux décisions plus anciennes, celle relative à la taxe carbone, en 2009, et celle concernant la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) en 2000, montrent que ces questions ne sont pas nouvelles.

La fiscalité environnementale semble très difficile à mettre en œuvre et le code de l’environnement montre ses limites. Alors que le mardi 16 avril dernier, Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, a présenté, les États généraux de la modernisation du droit de l’environnement, quelles avancées significatives pouvons-nous attendre en la matière ?

M. Philippe Plisson. Les élus locaux sont régulièrement confrontés à deux situations antinomiques. Il arrive que l’emploi, la productivité ou l’utilité publique s’accommodent du droit de l’environnement pour permettre la réalisation de projets jugés emblématiques à l’issue d’enquêtes d’utilité publique qui ne servent que d’alibi. Il arrive qu’à l’inverse, un projet d’importance locale majeure se heurte à des blocages administratifs, des retards ou même des annulations au motif que l’on aurait par exemple décelé la présence sur un site d’une espèce de papillon comme le fadet des laîches ! Comment simplifier les textes et rendre leur application plus efficace et plus objective – autrement dit, moins intégriste –, sans toutefois reculer sur la protection de l’environnement ?

M. Jacques Kossowski. La conjonction de l’introduction dans le bloc de constitutionnalité de la Charte de l’environnement, en 2005, et de la QPC, en 2008, ne va-t-elle pas générer des antagonismes juridiques entre les droits fondamentaux anciens et les nouveaux droits environnementaux ? Le droit de propriété, la liberté du commerce et de l’industrie, celle d’aller et de venir risquent de s’opposer aux principes de précaution et de réparation alors que ces normes ont la même valeur. Grâce à la QPC, les nouveaux droits d’inspiration collective ne vont-ils pas supplanter les anciens droits d’inspiration individuelle ? Le Conseil constitutionnel risque d’être contraint d’avoir à trancher entre des positions inconciliables. Comment analysez-vous cette situation ? La jurisprudence, qui en la matière ne peut qu’être récente, nous donne-t-elle déjà un début de réponse ?

M. Yannick Favennec. Quel est l’apport de la QPC à la protection des droits environnementaux, en particulier en ce qui concerne le principe de participation du public consacré par l’article 7 de la Charte de l’environnement ? Quel est le rôle des associations de défense de l’environnement ? Saisissent-elles fréquemment le Conseil constitutionnel de QPC concernant ce principe ?

Mme Laurence Abeille. Au regard du principe constitutionnel qui vient d’être évoqué, que pensez-vous du débat public en cours sur le projet de centre de stockage profond réversible des déchets radioactifs (CIGÉO) ? Sachant que certaines informations ne sont pas disponibles et que le type et la quantité de déchets nucléaires enfouis ne sont pas encore connus, il paraît difficile d’assurer aujourd’hui une véritable participation du public.

Au regard de la Charte de l’environnement, et notamment de son article 2 et de son article 3 selon lequel « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences », que pensez-vous du projet de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sur un lieu réservoir de biodiversité ?

Mme Françoise Dubois. Quelles associations ont les épaules assez solides et disposent d’une expertise juridique suffisante pour contribuer, grâce au recours à la QPC, à la construction d’un véritable droit constitutionnel de l’environnement en poussant les juges constitutionnels dans leurs retranchements ? Peut-on imaginer une collaboration ou un système de relais entre les petites associations locales de défense de l’environnement et les plus grosses structures associatives ?

M. Guillaume Chevrollier. Une norme constitutionnelle devant s’appliquer en tout domaine, il semble que la Charte de l’environnement s’impose à toutes les lois antérieures à sa promulgation ce qui pourrait donner lieu à de nombreux recours concernant les lois antérieures à 2005. Faut-il, selon vous, envisager une évolution notable du droit de l’environnement ? Le Conseil constitutionnel compte-t-il s’engager dans une voie qui créerait de l’insécurité juridique et une instabilité préjudiciable au développement du pays ?

M. David Douillet. Je me réjouis que la QPC fasse aujourd’hui l’unanimité. La gauche n’avait pas voté la révision constitutionnelle de 2008 ; tout le monde peut évoluer !

Madame Foucher, quels enseignements principaux tirez-vous des trois premières années de mise en œuvre de cette procédure ? Comment améliorer l’usage qui en est fait, en particulier en matière d’environnement ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur Douillet, permettez-moi de vous rappeler qu’il a fallu la voix d’un membre de l’opposition de l’époque pour que la révision constitutionnelle de 2008 soit adoptée ! (Sourires)

M. Jean-Marie Sermier. Finalement, la Ve République a su se moderniser en faisant évoluer sa Constitution avec deux avancées majeures : la Charte de l’environnement et la mise en place de la QPC. La conjugaison de ces deux innovations est cependant complexe.

J’ai rédigé, en 2011, avec Mme Geneviève Gaillard, un rapport d’information sur les modes de financement et de gouvernance des associations de protection de la nature et de l’environnement. Eu égard à la faiblesse de leurs structures juridiques, je ne suis pas surpris par le faible nombre de QPC relatives à l’environnement que ces associations déposent.

M. Jean-Pierre Vigier. Introduite dans notre droit par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la QPC est une idée neuve en France même si, depuis 2010 et l’entrée en vigueur de la procédure, le Conseil constitutionnel a déjà rendu des centaines de décisions dont je rappelle qu’elles ne valent que temporairement, toute modification législative ultérieure pouvant les rendre caduques.

Les associations environnementales sont nombreuses et très actives en France. Sont-elles tentées d’utiliser la QPC pour se faire entendre ? Cette procédure devient-elle un moyen de pression pour faire évoluer le droit de l’environnement plus rapidement que prévu ?

Mme Sophie Rohfritsch. Dans sa décision du 24 mai dernier, le Conseil constitutionnel a fait prévaloir la liberté d’entreprendre – en l’espèce celle des entreprises de construction –, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, sur le droit de l’environnement et la volonté d’imposer des normes concernant la quantité minimale de matériaux en bois dans certaines constructions nouvelles. Doit-on en conclure que l’économie est au-dessus de tout, et que la liberté d’entreprendre est supérieure au droit de l’environnement ?

Mme Karine Foucher. Certains d’entre vous m’ont interrogée sur les évolutions possibles de la QPC et sur les améliorations qui pourraient lui être apportées.

Afin d’alléger la procédure, il serait judicieux de revenir sur le double filtrage, même s’il ne faut pas oublier qu’il s’agissait au moment de la révision constitutionnelle, d’une condition sine qua non posée par les deux cours suprêmes de notre hiérarchie juridique. Celles-ci souhaitaient que soient affirmées leur souveraineté juridique et leur légitimité dans la protection des droits fondamentaux – notamment pour ce qui concerne le Conseil d’État. Il est indéniable que cette procédure est trop lourde ; c’est en tout cas la position de FNE. À l’exception de la Belgique, la France est le seul État européen à procéder à un double filtrage. Celui-ci a existé en RFA entre 1949 et 1956, mais il a été abrogé en raison de sa lourdeur et des divergences d’interprétations entre cours suprêmes.

Par ailleurs, le double filtrage amène les juridictions à s’en remettre aux cours suprêmes. Elles se contentent de filtrer très grossièrement les saisines fantaisistes, le véritable examen s’opérant au deuxième niveau. Au final, un seul filtrage est réellement utile.

Je note en outre que, dans ses analyses, le Conseil d’État marche de plus en plus souvent sur les plates-bandes du Conseil constitutionnel : quand il considère, par exemple, qu’une question n’est pas sérieuse, il opère une sorte de « pré-contrôle » de constitutionnalité – ce que beaucoup considéraient impossible en vertu du monopole du Conseil constitutionnel. Cette tendance, qui n’est pas choquante dès lors qu’un rôle de filtre a été attribué aux cours suprêmes, peut soustraire certaines QPC intéressantes à l’examen du juge constitutionnel.

Alors que le recours à un avocat aux Conseils peut se révéler nécessaire, la globalité des frais engagés reste à la charge des associations de défense de l’environnement. FNE estime globalement ces frais trop élevés pour les associations. Parce qu’elle dispose de réels moyens, elle juge également qu’elle serait en mesure de présenter elle-même ses observations sans recourir à des avocats.

La lourdeur de la procédure et la faiblesse des services juridiques des associations expliquent le faible nombre de QPC en matière d’environnement. Mais il faut tenir compte du fait que les associations se sont toujours battues pour défendre l’application de la loi – en utilisant, par exemple, le recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif. Elles n’ont pas encore de culture de mise en cause de la loi. Il faut leur laisser le temps de changer de stratégie.

Il me semble qu’à la faveur de l’introduction du contrôle a posteriori, le Conseil devrait évoluer pour devenir une cour constitutionnelle. En 2008, Robert Badinter avait proposé un changement de dénomination ; il faut aller bien au-delà. Tout d’abord, la procédure elle-même n’apporte pas suffisamment de garanties quant au contradictoire, même si de nombreux progrès ont été accomplis. Ensuite, le service juridique du Conseil doit être renforcé – en comparaison des autres cours européennes, les personnels de ce service sont excessivement peu nombreux et se trouvent dans l’obligation de faire ponctuellement appel à des maîtres de conférence.

Enfin, la question de la nomination des membres du Conseil persiste. La suppression des membres de droit s’impose – le président du Conseil n’y est d’ailleurs pas opposé. Ces derniers ne siègent quasiment pas sur les QPC : MM. Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac n’assistent jamais aux séances qui y sont consacrées, et M. Nicolas Sarkozy, qui a été présent à cinq ou six reprises, se tient désormais en retrait. Il faut avouer que ce type de contrôle demande beaucoup plus de travail que l’examen a priori de la loi. Aujourd’hui, il n’est plus possible de mener de front une autre activité. En ce qui concerne les membres nommés, il faut franchir un cap essentiel et exiger qu’ils présentent les qualifications suffisantes pour être magistrat. Toutes les cours constitutionnelles étrangères ont cette exigence ! Les membres actuels ont tous fait du droit, mais il est arrivé qu’un pharmacien siège au Conseil. Jean-Louis Debré nous dirait que le regard de chacun peut être utile au débat mais, dès lors que le Conseil se prononce sur la QPC et que ses analyses juridiques doivent être détaillées, il est indispensable que la qualification juridique de ses membres évolue.

Les membres du Conseil sont trop peu nombreux au regard de la composition des cours étrangères. Les juges constitutionnels sont seize en Allemagne et quinze en Italie, ce qui leur permet d’opérer un filtrage en comité restreint. Parce que les neuf membres du Conseil n’ont pas de rapporteur adjoint et qu’ils veulent tous prendre part à la décision collective, ils ne peuvent traiter qu’un nombre restreint d’affaires, ce qui empêche de mettre fin au double filtrage. À l’étranger, le premier juge saisi assure un filtrage efficace, et la Cour constitutionnelle joue le rôle de second filtre – c’est également ce que fait la Cour européenne des droits de l’homme qui se réunit en comité de trois juges.

Une autre évolution me semble nécessaire quant à la nature du contrôle opéré par le Conseil : d’abstrait, il devrait devenir concret. Pour expliquer la différence, l’ancien président de la cour constitutionnelle italienne citait un exemple : alors que, de façon abstraite, la loi interdisant l’adoption d’enfants ayant moins de dix-huit ans ou plus de quarante ans d’écart avec leurs futurs parents était conforme à la Constitution, la Cour a demandé au législateur de corriger son texte parce, de façon concrète, la loi n’avait pas prévu que l’enfant adopté pouvait avoir un frère ou une sœur dont il ne devait pas être séparé et dont l’âge ne correspondait pas à la règle imposée, cas auquel elle était confrontée. On comprend qu’il s’agit, non pas de tout remettre en cause, mais d’affiner les dispositions législatives afin qu’elles protègent mieux les droits fondamentaux. Tant que nous nous contenterons d’un contrôle abstrait, il ne se passera pas grand-chose en matière d’environnement. En tant que telle, la loi OGM est assurément conforme au principe de précaution puisqu’elle transpose la directive de 2001. Mais le respect du seuil de contamination des champs voisins permet-il concrètement d’assurer le droit à un environnement sain ?

J’ajoute que le délai de trois mois est trop bref. L’étau pourrait être desserré : une durée de six mois permettrait d’opérer un contrôle plus concret qui ferait progresser la protection des droits fondamentaux, notamment en matière d’environnement.

Les particularités de la procédure française sont très fortes. Jean-Louis Debré n’a peut-être pas tort quand il souhaite l’installer dans le paysage juridique avant d’envisager des évolutions. Elle constitue une révolution juridique ou plutôt, en raison des progrès qui restent encore à accomplir, une quasi-révolution. Il faudra remettre l’ouvrage sur le métier pour passer à un stade supérieur en matière de défense des droits fondamentaux.

En ce qui concerne la Charte de l’environnement et l’instabilité juridique que plusieurs d’entre vous ont évoquée, j’en reviens à mon propos liminaire sur les moyens utilisés par le Conseil constitutionnel. L’incompétence négative lui permet de ne jamais prendre position sur le fond et de sanctionner la loi uniquement parce qu’elle ne prévoit pas les conditions d’application des principes énoncés – par exemple, la participation du public. Ainsi, en tout état de cause, la proposition de loi visant à inscrire la notion de dommage causé à l’environnement dans le code civil, adoptée par le Sénat le 16 mai dernier, serait déclarée non conforme à la Constitution pour incompétence négative si elle devait être adoptée telle quelle. En effet, selon l’article 4 de la Charte : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi. » Or la proposition de loi ne définit pas ces conditions : elle ne précise ni les fondements de la responsabilité engagée en cas d’atteinte à l’environnement, ni les modalités, ni le niveau des réparations en nature. Heureusement, je crois qu’un projet de loi plus précis est annoncé sur le sujet.

Dès lors que l’incompétence négative lui suffit pour considérer qu’une loi ne respecte pas la Constitution, le Conseil estime, au nom d’une économie de moyens déjà mise en œuvre par le Conseil d’État, qu’il n’a pas à pousser son contrôle plus loin. En conséquence, tant que le législateur ne se sera pas saisi de son entière compétence, les censures du Conseil, sans intérêt sur le fond, continueront de vous donner une impression d’instabilité. Elles vous obligeront à légiférer en urgence. Au stade où nous en sommes, la véritable révolution opérée par la Charte réside non pas dans le contenu des droits environnementaux, mais dans l’accroissement de la compétence du Parlement et la disparition du pouvoir réglementaire autonome. Malgré tout, il faudra qu’un jour le Conseil prenne position sur la Charte.

À mon sens, il est regrettable que la loi du 27 décembre 2012, relative à la mise en œuvre de participation du public, ait supprimé dans le nouvel article L. 120-1 du code de l’environnement la référence à l’incidence « directe et significative » sur l’environnement alors même que le Conseil avait estimé cette référence conforme à la Constitution. Toute condition de seuil a disparu avec la suppression du terme « significative », ce qui risque de fragiliser de nombreux actes réglementaires et décisions dont on ne sait plus vraiment s’ils doivent faire l’objet d’une participation. Par cohérence avec la Charte, qui a pour objet de prévenir et de réparer les dommages à l’environnement, j’estime qu’il faudrait s’en tenir aux incidences significatives et même à celles qui sont négatives. Je note qu’au lieu de s’attacher à cette cohérence, le Conseil, en se fondant sur l’incompétence négative, rend finalement des décisions qui vont parfois dans le sens des pollueurs en censurant des textes protecteurs juridiquement insuffisants.

La jurisprudence du Conseil ne portant pas sur le fond, la situation n’est pas très confortable pour le législateur qui ne dispose d’aucune ligne directrice. Il lui revient pourtant de se prononcer sur les conditions de mise en œuvre des principes énoncés – en l’espèce sur la participation des citoyens. Un « copié-collé » de la Charte n’est pas suffisant ! Sur le fond, le Conseil laissera probablement au Parlement une large marge d’appréciation. Si l’on fait le parallèle avec la mise en œuvre de l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946, relatif à la participation des travailleurs, jamais le Conseil n’a imposé une modalité précise – considérant que cette matière relevait de la compétence du Parlement.

À mon sens, le principe de précaution, auquel j’ai consacré ma thèse, n’a rien à faire dans la Charte. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il ne soit pas fréquemment utilisé dans la jurisprudence constitutionnelle. Il aurait suffi de consacrer le droit à un environnement sain, équilibré et respectueux de la santé, duquel le juge aurait parfaitement su tirer toutes les conséquences, mais on a préféré adopter un texte trop large, peut-être trop bavard, dans lequel le principe de précaution n’a pas place.

Contrairement à ce qu’écrit la doctrine, le principe de précaution ne s’applique pas tout seul. Il faut organiser une procédure d’expertise, une procédure d’autorisation, un aller-retour entre les experts et le décideur, la mise en œuvre de mesures proportionnées et provisoires… Tout cela est prévu par la loi – par exemple, par la loi OGM – ; c’est ensuite, au cas par cas, au niveau de la mise en œuvre par l’autorité administrative qui autorise l’utilisation de tel OGM ou l’installation de telle antenne relais de téléphonie mobile, qu’existe un risque de contradiction avec le principe de précaution. Ce n’est quasiment jamais au niveau du législateur, sauf lorsqu’il se prononce sur une activité ou un produit à risque – comme le stockage de déchets nucléaires. Je ne suis d’ailleurs pas certaine que le Conseil s’aventurerait à censurer une disposition de ce type, car il considère qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement ».

La mention du principe de précaution dans la Charte a peut-être eu un effet accélérateur. On pouvait toutefois s’en passer, car l’article L. 110-1 du code de l’environnement et le droit de l’Union européenne permettait de l’imposer. Cette mention s’est tout de même traduite par une avancée : elle a permis de passer outre l’indépendance des législations. Grâce à l’article 5 de la Charte, le principe de précaution s’impose désormais en matière d’urbanisme, comme l’a affirmé le Conseil d’État en 2010. Ce résultat aurait également pu être obtenu par une autre voie, mais il faut reconnaître qu’il s’agit d’un apport direct du principe de précaution – c’est même le seul.

J’ai été interrogée sur la place des droits environnementaux par rapport aux autres droits. Officiellement, contrairement à ce qui se passe en Allemagne ou en Espagne, il n’existe en France aucune hiérarchie entre droits fondamentaux. Déclaration de 1789, préambule de 1946, Charte de l’environnement : tous ces textes sont sur le même plan. Toutefois, il ressort de l’analyse des décisions du Conseil que certains droits et libertés sont mieux protégés que d’autres. Au regard de l’intensité du contrôle opéré – minimum ou normal –, certains auteurs considèrent que la dignité, la liberté d’aller et venir et les anciennes libertés publiques se situent au sommet de la hiérarchie. D’autres auteurs contestent cette approche et proposent d’autres classements. La lisibilité fait défaut, mais il me semble probable que le droit à l’environnement céderait s’il était opposé à un droit de première génération comme la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre ou la liberté de communication – je ne cite pas le droit de propriété que le Conseil constitutionnel ne protège pas tant que cela.

Il ne faut pas désespérer du Conseil parce qu’il a invalidé la taxe carbone. Le dispositif proposé était particulièrement fragile au regard du principe d’égalité devant les charges publiques, et c’est bien à ce titre qu’il a été décidé que cette mesure n’était pas conforme à la Constitution. Le Conseil veille en effet à ce que, sans être discriminatoires, les éventuelles différences de traitement soient en accord avec l’objectif de la loi. Or la taxe carbone visait à réduire les émissions de gaz à effet de serre en excluant de l’assiette les industries polluantes à l’origine de 70 % des émissions ! Dès lors que la cohérence interne d’un texte sera respectée, la Charte aidera à la reconnaissance d’une fiscalité écologique. Le Conseil considère d’ailleurs que rien dans la Constitution n’interdit d’inciter, par l’impôt et la mise en place de taxes, à des comportements vertueux en matière d’environnement.

Contrairement à la règle applicable dans d’autres États européens, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas rétroactives – il peut tout de même en décider autrement à titre dérogatoire. Il est regrettable que le requérant ne profite pas directement de la décision mais, en matière d’environnement, l’intérêt général cède devant les intérêts particuliers, et il revient aux associations de faire progresser le droit de l’environnement.

Enfin, en tant que juriste, je ne me prononce que sur les dossiers que je maîtrise. Je m’abstiendrai donc de répondre sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mardi prochain, nous discuterons en séance publique de la proposition de résolution pour une fiscalité écologique au cœur d’un développement soutenable. Il faut rappeler que, depuis 2009 et la censure de la taxe carbone pour rupture de l’égalité devant l’impôt, le Conseil constitutionnel a reconnu l’utilité de la fiscalité environnementale pour lutter contre le réchauffement climatique. Cette position nous permet d’envisager de faire de nouvelles propositions.

Madame Foucher, je vous remercie vivement et chaleureusement. Nous sommes tous plus intelligents qu’il y a deux heures. (Sourires) Il nous appartient d’accompagner la réflexion du Gouvernement et des associations car, sur les sujets dont nous venons de traiter, de nombreux progrès restent à accomplir.

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Informations relatives à la commission

La Commission a ensuite procédé à la nomination de rapporteurs.

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Suite à l’expérimentation qui a eu lieu depuis le vote de la loi Grenelle II et dans l’attente des décisions qui seront prises par le Gouvernement pour élargir ou non le dispositif, il me semble utile que notre commission crée une mission d’information sur l’affichage environnemental. Cette mission, circonscrite à un sujet précis, pourrait commencer ses travaux en juin et se terminer fin septembre. (Assentiment)

La Commission a alors désigné Mme Sophie Errante (SRC) et M. Martial Saddier (UMP) rapporteurs d’une mission d’information sur l’affichage environnemental.

M. Jean-Paul Chanteguet, président. En ce qui concerne les travaux de la commission, je souhaite tout d’abord rappeler l’audition commune avec la commission des affaires européennes de Mme Connie Hedegaard, commissaire européenne au climat, mardi 4 juin à 8h15. Par ailleurs, trois séances intéressent directement notre commission : le débat sur la sûreté nucléaire, jeudi 30 mai à 21h30, salle Lamartine, à la demande du groupe Ecologiste ; les questions au ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la pêche, mardi 11 juin, à 21h30, à l’initiative des groupes UMP et UDI ; et le débat sur la politique maritime de la France, mercredi 12 juin, à 21h30, proposé par le groupe GDR.

Je rappelle que pour la mise en place d’un groupe de travail sur la réforme du groupe minier, ont été désignés :

J’attends les noms pour les groupes UDI et RRDP ainsi que le troisième nom pour le groupe UMP.

Enfin, la commission organise une visite du salon du Bourget, jeudi 20 juin au matin.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 29 mai 2013 à 9 h 45

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, M. Christian Assaf, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Olivier Marleix, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Edouard Philippe, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, M. Thierry Solère, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Vignal

Excusés. - M. Julien Aubert, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Philippe Bies, M. Patrice Carvalho, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. Alain Gest, M. Christian Jacob, Mme Viviane Le Dissez, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Napole Polutélé, M. Gilles Savary, M. Gabriel Serville