Accueil > Travaux en commission > Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mercredi 3 juillet 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 78

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Présentation, ouverte à la presse, du rapport d’étape sur la mise en application de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris (MM. Yves Albarello et Alexis Bachelay, rapporteurs)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a présenté le rapport d’étape sur la mise en application de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris (MM. Yves Albarello et Alexis Bachelay, rapporteurs).

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. Depuis le vote de la loi relative au Grand Paris du 3 juin 2010, la Commission a souhaité contrôler la mise en application de ce texte et a créé sous la 13ème législature puis maintenant dans le cadre de la 14ème législature une mission d’information. Aujourd’hui, les deux rapporteurs que nous avons nommés le 18 juillet 2012, MM. Yves Albarello et Alexis Bachelay, ont souhaité présenter l’état d’avancement de leurs travaux sous la forme d’un rapport d’étape. Comme le rapport définitif sera présenté à l’automne, il nous revient aujourd’hui de prendre date et non de lancer un débat complet. Aussi, après l’exposé des deux rapporteurs, je donnerai la parole à chaque député qui souhaitera s’exprimer mais pour des questions courtes, ce qui laissera le temps aux rapporteurs de leur répondre.

M. Martial Saddier. Monsieur le Président, je vous remercie de me donner la parole pour un point d’ordre. Au nom des députés du groupe UMP, qui ont travaillé dans un esprit constructif et de dialogue qui n’exclut pas la confrontation d’idées, je souhaiterais mettre l’accent sur les événements d’hier. Nous avons eu l’occasion à plusieurs reprises d’interroger le Gouvernement sur le manque de lisibilité de sa politique environnementale. La manière dont Mme Delphine Batho a été limogée hier pour avoir eu le courage de dénoncer un budget de l’environnement qui sert de variable d’ajustement au projet de loi de finances nous fait penser que l’équilibre de la majorité parlementaire est perturbé. Ces derniers mois, d’autres membres du Gouvernement ont tenu des déclarations bien pires que Mme Batho. De plus, je rappelle que le Gouvernement a connu trois ministres chargés de l’environnement en un an. Je souhaite bon courage au niveau ministre de l’Écologie qui est issu des rangs de notre commission et qui y a toujours été apprécié.

M. Jean-Yves Caullet. Je trouve cette sollicitude délectable de la part d’un groupe qui prône les réductions de dépenses publiques. Pour le futur, le nouveau ministre, issu de nos rangs, a toute notre confiance pour poursuivre une politique réaliste. Contrairement à certains, nous pensons que « l’environnement commence » simplement. Il convient de ne pas se saisir de commentaires de presse pour redresser un balson qui a en tant besoin.

Dernier clin d’œil à propos du terme de limogeage : c’est une référence historique dépassée et une référence géographique péjorative. (Sourires)

——fpfp——

M. Yves Albarello, corapporteur. Mes chers collègues, nous allons parler d’un projet qui fait consensus aujourd’hui : le projet du Grand Paris. C’est un projet, comme nous l’indiquons dans la note d’étape, d’une complexité inédite. Je commence par un rappel historique : il y a eu la promulgation de la loi du 3 juin 2010, puis le 16 janvier 2011 l’accord, qualifié à l’époque d’ « historique », entre l’État et la région Ile-de-France, et enfin les arbitrages rendus par le Gouvernement et annoncés le 6 mars dernier à la cité Descartes par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui arrêtent définitivement et concrétisent le projet « Grand Paris Express », rebaptisé « Nouveau Grand Paris ».

Pour cette infrastructure de transport, on est parti d’une vision centralisée pour arriver aujourd’hui à une vision décentralisée. Le projet de réseau a beaucoup évolué, passant de 155 kilomètres pour 45 gares à un réseau de 202 kilomètres et 72 gares. Le législateur avait souhaité que ce réseau soit interconnecté au réseau existant, et on est allé plus loin puisque dans ses annonces du 6 mars, le Premier ministre a indiqué que 6 milliards d’euros seraient injectés pour l’amélioration du réseau francilien existant d’ici 2017, au titre du « plan de mobilisation ».

Le réseau du Nouveau Grand Paris, c’est d’une part un métro en rocade de 100 kilomètres, la ligne 15, avec des quais de 120 mètres et des trains à forte capacité d’emport, et sur les 100 autres kilomètres un métro à capacité adaptée, avec des quais de 60 mètres et des trains à moins grande capacité. Une fois que l’Autorité environnementale aura rendu son avis sur le premier tronçon, l’arc sud de la ligne 15 allant de Pont de Sèvres à Noisy-Champs, la réalisation de ce tronçon de 33 kilomètres commencera en 2015. L’avis de l’Autorité devrait être connu dans quelques jours.

Concernant le financement, le coût global a été évalué à 26,5 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter les 6 milliards d’euros du plan de mobilisation pour la période 2013-2017 uniquement. En ce qui concerne les recettes de la Société du Grand Paris, qui a été constituée en son temps pour mettre en place l’infrastructure de transport et acquérir le matériel avant de remettre le tout au STIF qui gèrera le réseau en tant qu’AOT, ces recettes devraient se stabiliser, à hauteur de 535 millions d’euros par an, en 2014 et 2015, lorsque le prélèvement au profit de l’ANRU aura pris fin. En novembre dernier, le Premier ministre a annoncé que seraient ajoutés 150 millions d’euros supplémentaires de recettes pour permettre à terme à la SGP de voir sa capacité annuelle de remboursement passer à 2,5 milliards d’euros.

S’agissant de la liaison vers les aéroports, on peut regretter que le séquençage qui a été opéré suite au rapport Auzannet n’en fasse pas une priorité. L’aéroport d’Orly sera relié à Paris par la ligne 14 prolongée, épine dorsale de la rocade. Mais l’aéroport international Roissy-Charles de Gaulle ne sera relié qu’en 2027. On peut le déplorer car le territoire du Grand Roissy est un territoire en développement, avec un potentiel important en termes de création d’emplois et de recettes fiscales. Pour autant, le projet d’une ligne de transport directe et dédiée, le « CDG Express », n’est pas abandonné : même si le Premier ministre a été très clair pour indiquer qu’il n’y aura pas un centime d’argent de l’État dans son financement, il en a confirmé l’existence. Il faut donc faire preuve d’imagination, pour que la première destination touristique du monde, la France, et le deuxième aéroport d’Europe, disposent de ce moyen de transport. Aujourd’hui les passagers n’ont le choix qu’entre le RER B avec de nombreux arrêts et correspondances, ou l’autoroute A1 saturée.

Le projet « Charles de Gaulle Express » peut être réalisé par un partenariat, soit privé, soit public-privé. Fervent défenseur de ce projet, je pense qu’il pourrait prendre la forme d’un EPIC, porté par Aéroports de Paris dont le président, M. Augustin de Romanet, est favorable à cette liaison directe. Une taxation de 2 euros par billet d’avion pour les passagers de l’aéroport de Roissy (40 millions de passagers par an, hors passagers en correspondance) permettrait d’abonder le financement dédié à cette infrastructure.

La question de l’interopérabilité et de l’intermodalité du réseau du Grand Paris est importante puisque de 45 gares, nous sommes passés à 72 gares, avec l’obligation posée par le législateur d’assurer l’interconnexion des réseaux. Pour chaque gare, il faudra réaliser une analyse fine en matière de desserte du territoire, pour ne pas faire de ces gares des culs-de-sac. C’est un sujet qui a été souvent abordé au cours de nos auditions. Nous avons noté que les présidents de conseils généraux sont très attentifs à la question de l’interopérabilité, car les futures gares sont d’une complexité sans précédent, en particulier la gare de Saint-Denis-Pleyel sur laquelle on ne disposera des études nécessaires qu’en septembre 2013.

En matière de coordination entre le STIF et la SGP, question qui a été abordée à plusieurs reprises pendant nos auditions, nous avons constaté qu’il faudrait mettre un peu d’huile dans les rouages. Le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles comporte des dispositions, dans ses articles 16 et 17, qui permettront une meilleure coordination entre ces deux acteurs.

Enfin, pour aborder le volet environnemental, il ne faut pas, à travers ce projet d’intérêt national, se priver – puisqu’on parle beaucoup de transition énergétique – de l’opportunité d’exploiter les ressources géothermiques, là où c’est possible, pour chauffer à la fois les gares du réseau et les logements qui seront construits dans le cadre des CDT.

Un autre aspect lié à l’environnement est lié aux déblais : 60 millions de tonnes qu’il faudra évacuer. Aujourd’hui l’Ile-de-France n’a pas les capacités nécessaires : il faudra forcément de nouvelles installations de stockage, ou bien combler les carrières de gypse de la région. De plus, l’on va extraire de la bentonite polluée : il faudra être vigilant sur son évacuation et son stockage.

Un dernier point : à l’occasion du premier rapport sur l’application de la loi de 2010, que j’avais présenté avec Mme Annick Lepetit sous la précédente législature, nous avions fait un certain nombre de remarques pertinentes, sur la compatibilité avec la révision du SDRIF et sur la nécessité de prolonger le délai prévu par la loi pour l’élaboration des CDT : le délai pour la prise des décisions d’ouverture des enquêtes publiques était fixé au 31 décembre 2012 par la loi de 2010 ; il a ensuite été reporté au 31 décembre 2013, mais à ce jour seuls 6 projets de CDT sur 21 sont formalisés. Il sera nécessaire de prolonger de nouveau ce délai.

M. Alexis Bachelay, corapporteur. Nous avons estimé qu’il était utile de présenter un point d’étape, à l’issue d’une série d’auditions qui nous a permis d’entendre près de 70 personnes.

Nous ne travaillons pas sur un objet figé, mais sur un objet vivant et qui a encore évolué récemment avec les annonces du Premier ministre sur le « Nouveau Grand Paris », et les précisions sur son calendrier et son financement. Cet objet vivant va continuer d’évoluer du fait d’autres décisions, notamment celles qui seront prises à l’occasion de l’examen du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

Je rappelle quels étaient les grands objectifs posés par la loi du 3 juin 2010 : tout d’abord un objectif de construction de logements, avec la territorialisation de cet objectif (TOL) fixée par le préfet de région. Il s’agit d’un sujet central de la loi et de l’outil de mise en œuvre des objectifs de celle-ci qu’est le contrat de développement territorial, le CDT. La question du financement des CDT, d’une part, et de la capacité d’atteindre l’objectif « logement », d’autre part, est clairement posée.

Le deuxième objectif concerne le développement économique. L’infrastructure de transport du Grand Paris va favoriser l’égalité d’accès des habitants de l’Ile-de-France aux zones d’emploi et de formation : à terme, 90 % des Franciliens demeureront à moins de 2 kilomètres d’une gare. Ceci constituera une évolution majeure, et permettra aussi une augmentation de la productivité des entreprises. La SGP évalue à 70 milliards d’euros les avantages économiques induits du Grand Paris Express. Évidemment, cette évaluation est controversée, certains experts la fixant plus haut, d’autres plus bas.

Il y aura également des retombées immédiates en termes d’emplois du fait du lancement des chantiers : ceux-ci pourraient générer de 15 à 20 000 emplois directs par an dans les secteurs du BTP et des industries ferroviaires, emplois non délocalisables et dont une partie non négligeable bénéficiera à d’autres régions via les appels d’offre et les marchés publics. Au-delà, la SGP estime que l’arrivée du Grand Paris Express permettrait de créer entre 115 et 315 000 emplois en plus de ceux créés par l’évolution naturelle de la région.

Le troisième objectif est environnemental. Bien sûr, en premier lieu, il s’agit de développer les modes de transport alternatifs à la voiture particulière ; mais il s’agit aussi d’anticiper la conduite des chantiers. Je ne reviens pas sur la question des déblais.

En ce qui concerne le CDT, contrat sui generis au service du projet du Grand Paris, régi par l’article 21 de la loi du 3 juin 2010, c’est l’outil de planification et de programmation qui permet de décliner au niveau local chacun des objectifs du projet. Il est élaboré par l’État et les communes ou leurs groupements, la région et les départements pouvant désormais en être également signataires. Le CDT n’est pas un document d’urbanisme au sens où on l’entend pour les PLU ou les SCOT. Toutefois, il a des liens très étroits avec ces documents : c’est une des limites de cet outil, l’autre étant son financement. Pourtant il est perçu positivement par les différents acteurs, y compris la Ville de Paris qui au départ ne souhaitait pas s’impliquer dans cette démarche et qui aujourd’hui est associée à l’élaboration de six CDT.

21 projets de CDT sont en cours d’élaboration, 9 d’entre eux ont été validés. La validation n’est une étape intermédiaire : la signature du CDT n’intervient qu’à l’issue d’une enquête publique, et qu’après que les organes délibérants des communes et des établissements publics intercommunaux concernés ont autorisé leurs présidents à signer le contrat. Pour les projets déjà validés, on se trouve en phase pré-opérationnelle, mais ils ne constituent donc qu’une minorité des projets. 8 autres projets sont aujourd’hui en suspens, sans que l’on soit en mesure de connaître les éléments d’un calendrier.

Le délai légal pour l’ouverture des enquêtes publiques a été repoussé au 31 décembre 2013 par la loi « Duflot », mais il faudra le repousser encore.

Il est par ailleurs évident qu’il faut s’interroger sur le lien entre les CDT et la question d’actualité qu’est la définition de la gouvernance de la métropole parisienne.

Au cours des auditions, nous avons abordé la question foncière qui a plusieurs dimensions : les acquisitions foncières nécessaires pour construire l’infrastructure de transport, le foncier aux abords immédiats des gares, et le foncier dans les zones plus larges autour de celles-ci et au-delà. En 2012 la SGP a procédé à de premières acquisitions, par voie amiable, pour un montant total de 10,4 millions d’euros ; elle prévoit d’y consacrer plus de 43 millions d’euros en 2013, dont 80 % pour acquérir des parcelles privées et 20 % pour acquérir des parcelles publiques.

Il est à noter qu’il y a une bonne coopération avec l’Établissement public foncier d’Ile-de-France, qui sera demain l’EPF unique dans le périmètre de la région comme le prévoit le projet de loi en cours d’examen.

En conclusion, la loi relative au Grand Paris a permis une initiative puissante en matière de transport et en matière de réflexion sur l’aménagement du territoire en Ile-de-France. Mais elle comporte une faiblesse, celle de la gouvernance, souvent abordée au cours de nos travaux. La métropole francilienne est un territoire complexe, avec une multiplicité des acteurs.

La loi en cours d’examen introduira, je l’espère, une nouvelle gouvernance qui est le chaînon manquant du projet du Grand Paris. J’ai développé avec de nombreux collègues franciliens des idées sur cette question, en particulier sur la zone dense. Il m’apparaît nécessaire, pour compléter le Grand Paris, d’aller vers un schéma régional du logement et de l’hébergement, d’avoir une véritable cohérence entre la carte des CDT et la réorganisation à venir de la carte des intercommunalités, et – c’est une position personnelle, mais qui semble portée aussi par le Gouvernement – d’aller vers une véritable « métropole du Grand Paris ». C’est un enjeu majeur pour la métropole francilienne, afin de lui assurer une place de premier rang parmi les métropoles mondiales, pour le développement économique, pour l’emploi, pour la transition écologique, et pour assurer un meilleur cadre de vie à ses habitants.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie nos deux rapporteurs pour leurs conclusions. Lorsque nous avions auditionné Augustin de Romanet, il avait indiqué être prêt à faire supporter une partie des investissements à Aéroports de Paris (ADP). A-t-on une idée du coût de la liaison « CDG Express » ?

M. Jacques Kossowski. Nos rapporteurs ont fait un excellent travail. Conclure les travaux par le tronçon entre La Défense, Pleyel et l’aéroport de Roissy, alors qu’il est estimé à la fois le plus rentable et le plus fréquenté, conduit à priver l’ensemble du programme d’un levier de réinvestissement et d’optimisation de ses ressources. Cette liaison directe me semble indispensable ; je ne comprends pas qu’on puisse la renvoyer à 2027. Serait-il possible d’envisager l’avancement du calendrier des travaux ?

Le nouveau schéma imposera, pour rallier Paris depuis Roissy, de prendre deux métros et un tram. Ceci me semble en contradiction avec l’objectif initial de trajets plus courts et plus directs pour les voyageurs.

M. Christophe Bouillon. Ce rapport d’étape est de très bonne qualité. On est loin de l’expression « Paris et le désert français », mais je m’interroge sur l’articulation du Grand Paris avec d’autres projets, comme l’Axe Seine ? Une cohérence m’apparaît indispensable.

M. Jean-Christophe Fromantin. Comment envisager la gestion des différents périmètres entre les fonctions qui font exister la métropole ? La commission des lois discute en ce moment de l’administration de Paris et de la Petite Couronne. La Région travaille sur un territoire différent pour l’organisation des transports. L’établissement public foncier va devenir régional. Le Grand Paris Express se construit à une échelle différente. L’efficacité des politiques publiques passe par une convergence de l’action, par une synergie de l’économie, du logement, du transport et de la formation professionnelle. Si on ajoute à cela, d’une part la relation stratégique avec les aéroports, d’autre part le rayonnement du port du Havre vers son hinterland de la région parisienne qui est fondamental pour notre compétitivité alors que la conteneurisation accélère le commerce international, je redoute un aboutissement incohérent. Comment faire métropole si toutes ces interventions publiques conçoivent différemment le territoire ?

M. Jean-Pierre Vigier. Trois ans après le vote de la loi, je constate que la mise en œuvre du Grand Paris sera encore repoussée jusqu’à fin 2014. Le rapport de la commission Mobilité 21 montre que, par manque de moyens financiers, l’édification des infrastructures sera ralentie sur tout le territoire national. Quelles sont, alors, vos propositions pour apporter à ce projet des financements complémentaires ?

M. Yannick Favennec. Comment seront gérées les soixante millions de tonnes de déblais qu’ont évoquées les rapporteurs, et qui supportera le coût de cette gestion ?

M. Guillaume Chevrollier. Le Grand Paris est un projet d’intérêt national, voué à développer la croissance bien au-delà des limites de la région francilienne. Comment le financement et la programmation des travaux seront-ils organisés ? Comment ne pas s’étonner du délai des interconnexions avec les aéroports, alors même que nous cherchons à édifier une métropole de rang mondial ?

M. Jean-Louis Bricout. Le Grand Paris est indiscutable tant au regard des besoins constatés que de l’intérêt économique poursuivi. Mais qui dit croissance dit nouveaux logements et nouveaux transports… Alors à quand le « Très Grand Paris » ? Ou ne vaudrait-il pas mieux envisager des décentralisations d’activités vers les territoires, dans les régions ?

Quant à « CDG Express », je m’étonne qu’on recommande encore une nouvelle taxe, cette fois sur les voyageurs. Peut-être est-ce une question de sensibilité politique ?

Mme Laurence Abeille. Nous allons prochainement discuter du projet de loi sur les métropoles. Pourriez-vous préciser le lien entre ces métropoles, les contrats de développement territoriaux et la constitution des intercommunalités en Petite Couronne ?

Ce projet de « Grand Paris Express » est le compromis entre deux visions de l’Île-de-France. L’une, portée par Christian Blanc et axée sur la compétitivité internationale, visait à relier les grands pôles scientifiques, techniques et financiers du territoire. L’autre, francilien, était au service des habitants et de leur quotidien, devenu presque invivable dans les infrastructures actuelles dont la rénovation est une priorité absolue. Le projet correspond à un accord entre les parties et aux enveloppes disponibles.

M. Laurent Furst. La dimension économique du projet lui confère une envergure nationale. Il s’inscrit dans un temps très long, qui excède celui des mandatures politiques : parce qu’il traversera probablement plusieurs alternances, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un consensus qui le préservera d’incessantes remises en cause. C’est aussi le projet d’infrastructures le plus important du pays à un moment où tous les dossiers provinciaux sont à l’arrêt.

Cette agglomération de dix millions d’habitants, dans une région de douze millions de personnes, devra être administrée autrement que par l’enchevêtrement de collectivités d’aujourd’hui. Je pense que nous serons tous d’accord, sinon sur la solution, du moins sur le constat.

Enfin, nous avons la chance de compter, avec Roissy, le deuxième aéroport européen. La connexion avec la capitale est une catastrophe. On ne peut pas repousser la modernisation de cette liaison. C’est un suicide pour l’aéroport et pour le développement de notre pays.

Mme Valérie Lacroute. Le projet du Grand Paris est un projet d’intérêt national, au regard tant des enjeux financiers que des enjeux d’aménagement du territoire.

Ce projet intéresse les franciliens de la « grande couronne », où se trouve ma propre circonscription. Le tracé a certainement été délicat à établir, puisqu’il doit bénéficier au plus grand nombre d’habitants possible. Si 90 % des franciliens devraient, à terme, résider à moins de deux kilomètres d’une gare, il en reste néanmoins 10 % qui continueront à souffrir d’une offre de transports relativement dégradée.

J’espère donc que ce projet n’obèrera pas les financements affectés aux transports en grande couronne et que ces transports continueront au contraire à bénéficier d’investissements. Le souvenir des projets Eole et Météor reste dans les mémoires, puisque l’État avait alors mobilisé des financements massifs à leur profit, au détriment des zones plus périphériques. La grande couronne souffre déjà d’un taux de chômage élevé et doit accueillir la construction de nombreux logements dans le cadre du schéma d’aménagement territorial : elle ne doit pas devenir le parent pauvre d’une Île-de-France à deux vitesses.

M. Martial Saddier. Utilisateur régulier de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, je constate que sa desserte depuis la capitale est catastrophique. Des travaux prospectifs sur l’évolution du trafic ont été réalisés : quelles seront les incidences des investissements envisagés sur Paris intra muros et sur le positionnement international de la France ?

M. Jacques-Alain Bénisti. Même si douze mois de réflexion complémentaire étaient inutiles, même si 4 milliards d'euros ont été perdus par le seul jeu des surcoûts et de la hausse du prix des matériaux nécessaires à la réalisation du projet, même si certaines institutions publiques comme le STIF se sont servies des financements prévus pour le Grand Paris pour se faire financer les 2 milliards d'euros de la jonction Saint-Lazare – La Défense par la SGP, même si les interconnexions avec les réseaux existants ne sont pas toutes réglées, le Grand Paris n’en reste pas moins un projet considérable, qui va révolutionner le transport en Île-de-France et permettre à 10 % de nos trois millions de chômeurs de trouver un emploi.

Une question reste néanmoins en suspens : comment sera réalisé l’acheminement des 61 millions de tonnes de déblais ? On peut imaginer de solliciter les voies ferrées aujourd’hui réservées au fret, qui existent dans bon nombre des sites concernés. Faut-il interpeller RFF et la SNCF sur ce sujet crucial, car ce sont des milliers de camions qui risqueraient autrement de polluer toute la région ? Notre commission doit se mobiliser pour obliger la SGP à mobiliser les voies ferrées et à faire transiter les déblais par le rail.

M. Jean-Luc Moudenc. Je trouve, comme beaucoup de collègues, totalement fondé l’engagement de l’État sur la question des transports publics en Île-de-France, eu égard notamment aux intérêts nationaux et internationaux en cause. Je rappelle néanmoins la faiblesse de ce même engagement quand il s’agit de transport public dans les grandes métropoles de province, qui ont également des besoins importants.

M. Jean-Paul Chanteguet, président. Dans le plan de financement du Grand Paris, figure une recette fiscale additionnelle à hauteur de 2,5 milliards d'euros : de quoi s’agira-t-il exactement ?

M. Yves Albarello, corapporteur. En réponse à M. Furst et à Mme Abeille, je rappelle qu’il m’a été difficile, en 2011, de m’engager dans le dossier du Grand Paris : ce projet s’opposait en effet à celui de la région, alors déjà voté et appelé « Arc Express ». Il était évident qu’il y aurait un conflit entre les deux tracés et à partir du moment où le STIF, dont je suis administrateur, avait voté à l’unanimité le projet Arc Express, il était de ma responsabilité de trouver une voie de passage entre l’un et l’autre projet.

En commission mixte paritaire, j’avais donc déposé un amendement tendant à mettre les deux tracés concomitamment au débat public. Je savais pertinemment qu’on trouverait, à cette occasion, un compromis entre l’Arc Express et le Grand Paris : c’est bien ce qui est advenu, à travers l’accord historique du 26 janvier 2011 signé entre le ministre Maurice Leroy et le président de la région Jean-Paul Huchon.

Ce projet d’intérêt national fait aujourd’hui consensus : il mobilisera 30 milliards d'euros de financement, générant un nombre considérable d’emplois et un surcroit de croissance en Île-de-France évalué à 0,2 %.

L’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, dont le secteur nord-ouest se trouve dans la circonscription dont je suis l’élu, est le deuxième aéroport international européen, après Londres-Heathrow. Il n’est donc effectivement pas normal que notre pays, qui accueille des touristes du monde entier, n’ait pas mis en place une liaison directe entre sa capitale et son aéroport international. En Suède, le réseau Arlanda-Express amène en quelques minutes les voyageurs au cœur de Stockholm : pourquoi n’aurions-nous pas une liaison équivalente ? L’arbitrage du Premier ministre a été très clair : il n’y aura pas d’argent de l’État engagé. Il faut donc nous montrer créatifs et audacieux, pour trouver les moyens qui nous permettront de réaliser cet équipement absolument nécessaire.

S’agissant des déblais, les évaluations sont comprises entre 50 et 60 millions de tonnes. Il est prévu, pour leur évacuation, de favoriser les voies fluviales et il est évident que certaines parties du territoire peuvent accueillir ces déblais plus facilement que d’autres : il est plus envisageable de les envoyer en Seine-et-Marne, dont je suis l’élu et où se trouvent déjà des installations de stockage de déchets inertes, des usines d’incinération d’ordures ménagères et des carrières de gypse, qu’en région PACA ! Un plan régional d’évacuation des déchets (PREDEC) a été annexé au dossier du Grand Paris, qui dresse les principales orientations dans ce domaine. Il est vrai qu’un certain nombre d’interrogations demeurent, qui devront recevoir une réponse rapidement – par exemple, le coût de l’élimination de ces déchets.

Pour ce qui concerne l’axe Seine, le projet de loi initial prévoyait une liaison par LGV entre Paris et le Havre, assurant l’hinterland du port du Havre. Notre collègue Philippe Duron, président de la commission Mobilité 21 chargée de hiérarchiser les 245 milliards d'euros de projets inscrits au schéma national des infrastructures de transport (SNIT), a indiqué récemment – et j’en suis d’accord – qu’il n’était pas pertinent de mettre en place une LGV sur une aussi courte distance et qu’une ligne normale rapide était suffisante. Je crois que cette option sera retenue pour le développement de l’axe Seine et du port du Havre.

Le coût du CDG-Express serait compris entre 800 millions et 1,2 milliard d'euros.

S’agissant du financement de la SGP, je rappelle que l’essentiel des recettes seront d’origine francilienne, conformément aux propositions du rapport Carrez. Compte tenu de l’état des finances de notre pays, il était en effet difficile de solliciter l’État à travers une dotation en capital de 4 milliards d'euros, telle que prévue initialement.

S’agissant de la taxe sur les billets d’avion, chacun sait que, même sur une destination régulière, le prix du billet d’avion varie constamment. Une taxe de 2 euros sur les voyageurs à Roissy sera à peine perceptible pour les intéressés, mais elle permettra de financer une infrastructure nationale au service des touristes du monde entier.

M. Alexis Bachelay, corapporteur. Il y a effectivement eu, dans un passé récent, des visions différentes des transports franciliens portées par l’État et la région, et le Grand Paris constitue un compromis dynamique et constructif, portant une ambition supérieure avec une meilleure association des pôles économiques.

Il y également un enjeu de simplification des échelons de décision au niveau régional et de cohérence entre les différents acteurs institutionnels. La question me semble encore devant nous et j’espère que notre collègue Jean-Christophe Fromantin, dont l’engagement au service du dynamisme des territoires est connu, pourra nous aider par des propositions.

La décision de faire démarrer les travaux dans le sud des Hauts-de-Seine avait déjà été prise lorsque notre mission a commencé ses auditions. Je reconnais volontiers que d’autres options eussent été possibles, dans le même département, mais nous sommes désormais liés par cette décision, puisque le réseau se construira ensuite tronçon par tronçon, suivant une logique de rocade.

La question de la rupture de charge à Saint-Denis-Pleyel, vers Charles-de-Gaulle ou vers la Défense, est essentiellement d’ordre technique : il semble en effet que l’exploitation d’un métro en rocade ne puisse se faire en continu et que de telles ruptures soient inévitables. Mais on pourrait imaginer un système analogue à celui de la station Châtelet, avec l’interconnexion des RER A et B par des quais adjacents pour les transferts de charge les plus importants. Dans ce contexte, la question de l’intermodalité et de l’interface avec les autres moyens de transport revêt naturellement un caractère essentiel : tout n’est pas réglé, de ce point de vue et le rapport souligne ainsi la nécessité d’améliorer l’articulation des travaux du STIF et ceux de la SGP. Sauf contrainte technique majeure, les interconnexions doivent être assurées et les distances minimisées pour les voyageurs.

S’agissant de la desserte de Roissy, je rappelle que l’aéroport avait été inauguré le 8 mars 1974 par Pierre Messmer : la question est donc posée depuis quarante ans… La perspective est néanmoins claire : cette desserte devra s’opérer dans le cadre posé par le Grand Paris.

M. Yves Albarello. Ce rapport n’est qu’un rapport d’étape, car le temps des transports est un temps long, alors que le temps politique est un temps court. Ce fait nous a été rappelé encore récemment… (Sourires).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie une nouvelle fois nos corapporteurs pour leur présentation et je rappelle qu’ils présenteront leur rapport définitif à l’automne.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 3 juillet 2013 à 9 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, M. Jacques Alain Bénisti, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, M. Michel Lesage, M. Olivier Marleix, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Thierry Solère, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Vignal

Excusés. - M. Serge Bardy, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, Mme Fanny Dombre Coste, M. Philippe Duron, M. Claude de Ganay, M. Christian Jacob, M. Franck Marlin, M. Edouard Philippe, M. Napole Polutélé, M. Jean-Marie Sermier, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Louis Dumont, M. Lionel Tardy