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Mardi 9 juillet 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 80

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Présentation, ouverte à la presse, du rapport d’étape de la mission d’information sur la gestion des déchets dans le cadre des filières à responsabilité élargie des producteurs (dites « filières REP ») (MM. Jean-Jacques Cottel et Guillaume Chevrollier, rapporteurs)

– Audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia Environnement

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné le rapport d’étape de la mission d’information sur la gestion des déchets dans le cadre des filières à responsabilité élargie des producteurs (dites « filières REP ») (MM. Jean-Jacques Cottel et Guillaume Chevrollier, rapporteurs).

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. La commission a créé, le 20 février 2013, une mission d’information sur la gestion des déchets dans le cadre des filières à responsabilité élargie des producteurs, dites « filières REP ». Dans un délai assez bref, nos deux rapporteurs, MM. Jean-Jacques Cottel et Guillaume Chevrollier, ont procédé, jusqu’à la semaine dernière, à une cinquantaine d’auditions ainsi qu’à un déplacement sur le terrain. Ils souhaitent nous exposer l’état d’avancement de leurs travaux sous la forme d’un rapport d’étape, afin de présenter leurs conclusions avant la prochaine conférence environnementale des 20 et 21 septembre prochain, dont une des tables rondes sera consacrée aux déchets.

M. Guillaume Chevrollier, corapporteur. La mission d’information, créée le 20 février 2013, a en effet souhaité présenter un rapport d’étape, assorti de conclusions et de propositions, avant la conférence environnementale de septembre prochain. La mission a travaillé à un rythme soutenu, puisqu’une cinquantaine d’auditions ont été réalisées en quelques semaines (ministère chargé de l’écologie, ADEME, représentants des éco-organismes, syndicats d’entreprises du secteur du traitement et des déchets, associations d’élus, censeurs d’État, Autorité de la concurrence, acteurs de l’économie sociale et solidaire, metteurs sur le marché, etc.) et qu’elles ont été complétées par une visite sur le terrain, dans le département de la Mayenne où je suis élu, pour y rencontrer notamment des collectivités territoriales qui ont fait le choix de la redevance incitative.

Le contexte de cette mission est présent à l’esprit de chacun : c’est celui du développement continu des filières REP au cours des années récentes, dans le cadre notamment de la loi « Grenelle II ». Les filières les plus récemment créées sont celles des meubles, des déchets d'activités de soins à risques infectieux (DASRI) et des déchets diffus spécifiques des ménages (DDS). Les montants financiers en jeu ont progressé concomitamment : les éco-contributions perçues par les éco-organismes s’élevaient à 926 millions d'euros en 2011, elles devraient avoisiner 1,4 milliard d'euros en 2015 ; quant aux reversements d’Eco-emballages aux collectivités locales, ils se montent aujourd’hui à 653 millions d'euros.

Pourtant, un rapport du ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie publié au printemps 2012 a prôné une « pause » dans l’extension des filières REP, suggérant de n’envisager une évolution ou extension du champ des REP qu’après la mise en évidence de leur opportunité. Presque simultanément, un avis de l’Autorité de la concurrence a pointé le danger des situations monopolistiques et un certain défaut de transparence des éco-organismes (EO). Par ailleurs, les relations sont parfois tendues entre les collectivités locales et les éco-organismes ou entre ceux-ci et les professionnels du traitement des déchets.

Le principe de la prise en charge de tout ou partie de la gestion des déchets par les acteurs économiques, fabricants, distributeurs, importateurs, qui mettent sur le marché des produits générant des déchets, figure dans la loi depuis 1975 et est désormais codifié à l’article L. 541-10 du code de l’environnement, aux termes duquel « il peut être fait obligation aux producteurs, importateurs et distributeurs de ces produits ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication de pourvoir ou de contribuer à l’élimination des déchets qui en proviennent. »

Aujourd’hui, une vingtaine de filières REP existent, dont les origines sont variées. Certaines sont issues d’une réglementation européenne imposant la création d’une REP, que le législateur a directement transposée : c’est le cas de l’automobile, des déchets électriques et électroniques (DEEE) ou des piles et accumulateurs. Dans d’autres cas, la réglementation européenne était moins directement prescriptive, mais les pouvoirs publics ont fait le choix de la filière REP comme instrument de transposition : par exemple, pour les emballages ménagers, les fluides frigorigènes fluorés, les médicaments ou les lubrifiants. Il existe aussi des REP de création française, voulues par l’État, comme les pneumatiques, les papiers graphiques, le textile, les DASRI, l’ameublement, les DDS ou encore les bouteilles de gaz (à venir). L’inventaire ne serait pas complet si n’étaient pas mentionnées les REP volontaires, comme celles des produits de l’agrofourniture, des panneaux photovoltaïques (qui sera intégrée dans la filière DEEE), des emballages de fertilisants et amendements, des mobil-homes ou des cartouches d’impression bureautique.

Globalement, le sentiment prévaut d’une gouvernance complexe, avec une multitude d’acteurs aux objectifs, responsabilités, statuts et moyens extrêmement variables et d’un défaut général de lisibilité.

Au terme de nos travaux, entretiens et réflexions, la première proposition que nous formulons est celle de favoriser l’émergence d’une véritable filière industrielle du recyclage, c’est-à-dire de faire du recyclage une des priorités stratégiques de notre politique industrielle. Dans un contexte international marqué par une tension de plus en plus forte sur le marché des matières premières, la production à partir de déchets ménagers et professionnels de « matières premières secondaires » constituera un enjeu économique majeur dans les années à venir. Une telle production sera le moyen de limiter les importations de matières premières, dont l’accès sera de fait de plus en plus difficile, et elle contribuera positivement au solde notre balance commerciale. Elle desserrera l’étau de la dépendance au cours desdites matières. Elle sera créatrice de valeur ajoutée et d’emplois, pour la plupart non délocalisables car liés à un gisement hexagonal – ce que d’aucuns appellent désormais les « mines urbaines ». La mobilisation de ce gisement secondaire permettra enfin de diminuer l’impact sur l’environnement de la production, le recyclage ayant de ce point de vue un avantage comparatif par rapport à la production à partir de ressources naturelles, d’incinération ou de stockage.

Une deuxième proposition forte consiste à créer une fonction de délégué interministériel au recyclage et aux matières premières secondaires. Cette création permettrait d’atteindre plusieurs objectifs : personnifier la lutte pour le développement d’un potentiel industriel nouveau, pour lequel notre pays dispose d’atouts et d’une antériorité certains ; donner une impulsion forte à une politique publique à la fois nouvelle, transversale et multisectorielle ; disposer au sein de l’appareil d’État d’un relais à la fois souple et efficace, capable de suivre tous les aspects du recyclage (réglementaire, industriel, local, international), d’en maîtriser les enjeux et d’en accélérer l’essor. Afin d’améliorer le portage politique de la question du recyclage et de l’emploi de matières premières secondaires, on pourrait imaginer que ce délégué soit directement rattaché au Premier ministre, ce qui aurait également l’avantage de mieux asseoir le caractère transversal et interministériel de sa mission. Il pourrait également constituer un interlocuteur de haut niveau à la fois pour les collectivités locales, pour les industriels du recyclage et, le cas échéant, pour les éco-organismes.

M. Jean-Jacques Cottel, rapporteur. Notre mission d’information a effectué un travail à la fois intéressant et intense, avec plus de cinquante auditions en quatre mois, ainsi qu’un déplacement sur le terrain dans le département de la Mayenne. Nos multiples échanges avec les acteurs du secteur nous ont révélé sa complexité tout autant que ses contradictions : le fonctionnement des différentes filières REP reste, au premier abord, difficile à décrypter. Le mettre en perspective relève de la gageure, d’autant plus que de ces échanges ont parfois émergé la volonté de défendre un pré-carré.

Le contexte de nos travaux s’avère, lui, relativement simple : notre modèle de société de consommation se trouve confronté à l’accroissement de ses besoins en énergie ainsi qu’à une raréfaction des ressources, problématique que le débat sur la transition énergétique a mise en lumière. Dès lors, l’utilisation des déchets comme moyen de mettre en place une économie circulaire prend tout son sens, même si cette perspective se heurte à certains corporatismes, et si elle implique une prise de conscience de la part de nos concitoyens. Dans cette optique, nos propositions ont été gouvernées par quelques idées simples : il nous faut réduire la production de déchets, limiter drastiquement le recours à l’enfouissement, ne recourir à l’incinération que si elle permet la récupération de l’énergie ainsi libérée, par exemple en l’utilisant dans des réseaux de chaleur, et faire porter tous nos efforts sur le développement du recyclage.

Le tri sélectif, tout comme la mise en place des filières REP depuis une vingtaine d’années, ont permis de progresser dans cette démarche vertueuse, conforme au principe du pollueur-payeur, par exemple en augmentant le taux de réemploi et en faisant progresser l’éco-conception des produits mis sur le marché. Dans ce dispositif, les collectivités locales, communes ou établissements de coopération intercommunale, occupent une place centrale. Dans le choix de financement de leur service de collecte des ordures ménagères, il nous a semblé que la redevance d’enlèvement des ordures – la REOM, ou redevance incitative – présente de multiples avantages : responsabilisation de l’usager, lien direct entre geste de tri et facturation du service, optimisation des collectes et des circuits sélectifs, et baisse, de l’ordre de 30 % en trois ans dans le cadre du syndicat de communes que nous avons rencontré, du volume collecté au titre des ordures dites résiduelles. Or la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) reste - à 70 ou 80 % - le financement le plus répandu : elle constitue une taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés bâties, recouvrée par le trésor public.

Si les modes de collecte, ainsi que leur financement, doivent évoluer comme je l’ai indiqué, il en va également, en aval, des modes de traitement des déchets. L’interdiction du stockage – c’est-à-dire de l’enfouissement définitif – que plusieurs États membres de l’Union européenne comme les Pays-Bas ou l’Allemagne ont déjà expérimenté avec succès, assèche rapidement le stock de déchets et force les acteurs à modifier, dans un sens plus vertueux, leur comportement. Nous devrons y venir, en augmentant de façon drastique la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) correspondante. Nous proposons aussi que, par ricochet, la TGAP portant sur l’incinération connaisse un relèvement similaire.

S’agissant du fonctionnement des filières, certaines rectifications de frontières s’imposent. Le secteur du papier souffre d’un paradoxe : alors que notre pays en utilise relativement peu, le taux de recyclage y est sensiblement inférieur à d’autres pays voisins comme l’Allemagne, qui, plus consommateurs, bénéficient également d’un coût de traitement plus faible. Une partie de la solution réside dans la non inclusion dans le périmètre de la filière de plusieurs « metteurs en marché » importants : je veux parler de la presse, des magazines et des documents imprimés que l’Etat met en circulation. Or le manque à gagner s’avère considérable : près de 40 % du total des éco-contributions n’abondent pas l’éco-organisme de la filière. Un élargissement du périmètre de la filière nous paraît donc souhaitable, notamment afin de dégager des fonds pour la modernisation, par exemple, de notre industrie papetière.

M. le Président Jean-Paul Chanteguet. En raison des votes par scrutin public sur les deux projets relatifs à l’interdiction du cumul des mandats, je vous propose de suspendre la réunion. Avec l’accord des co-rapporteurs, nous la reprendrons demain matin, vers 11 heures, à l’issue de l’audition de M. Xavier Beulin.

La séance est suspendue à 16 heures 40.

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La séance reprend à 17 heures 15.

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a alors auditionné M. Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia Environnement.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous avons le plaisir d’accueillir pour la première fois dans notre Commission M. Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia Environnement. Mais nous aurons certainement l’occasion de renouveler notre invitation, par exemple à l’occasion d’une table ronde que nous organiserons sans doute maintenant qu’ont été rendus les rapports de mission de nos collègues Philippe Martin – aujourd’hui ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie – et Michel Lesage : l’un portant sur la gestion quantitative de l’eau en agriculture, l’autre tendant à évaluer la politique de l’eau.

Le groupe Veolia est l’un des principaux groupes industriels du secteur de l’environnement, avec un chiffre d’affaires en France de 11,5 milliards d’euros en 2011 – soit 40 % de son chiffre d’affaires total – et plus de 100 000 salariés selon votre dernier rapport d’activité. Il est présent dans quatre grands métiers : l’eau, la propreté, l’énergie et les transports. À ce titre, il constitue un interlocuteur essentiel pour de nombreuses collectivités territoriales.

M. Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia Environnement. En fait, dans la mesure où nous sommes convenus avec la Caisse des dépôts et consignations qu’elle reprendrait notre opérateur de transport, l’activité de Veolia Environnement se concentre désormais sur trois métiers seulement : les services de l’eau, les services de la propreté et les services locaux de l’énergie. Dans chacun de ces trois domaines, Veolia Environnement est leader mondial dans sa spécialité. Son chiffre d’affaires a atteint environ 30 milliards d’euros en 2012, selon les normes comptables de l’époque ; pour un peu plus de 11 milliards – soit 38 % –, il a été réalisé en France. En 1999, la proportion dépassait 90 % : on mesure là l’effet de notre développement à l’international, au demeurant récent. Notre groupe réalise désormais entre 2,5 et 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans chacune des zones géographiques suivantes : Amérique du Nord, Grande-Bretagne, Allemagne, Europe orientale et Asie. Hors transports, il emploie 220 000 salariés dans le monde, dont environ 65 000 en France.

Veolia Environnement intervient sur des marchés porteurs, voire très porteurs à long terme, tant pour une clientèle de collectivités publiques que pour une clientèle d’industriels. Néanmoins, sa situation financière est tendue. L’entreprise a été extraite du groupe Vivendi il y a onze ans, dans des conditions difficiles et avec une dette qui s’élevait à 17 milliards d’euros. Cet endettement a été bien supporté et accepté durant les années 2000, qui étaient des années de croissance ; il n’a donc pas diminué durant cette période, ce qui nous a permis d’assurer notre développement, notamment à l’étranger. Mais depuis la crise, il est jugé fortement excessif. J’ai donc engagé une politique visant à le réduire rapidement, afin de redonner au groupe flexibilité et marges de manœuvre.

D’autre part, en France, nous souffrons du contexte économique qui a conduit à une importante baisse du volume des déchets, notamment des déchets industriels, et à une tension sur les prix des matières recyclées. De surcroît, chaque renouvellement de contrat – notamment dans le domaine de l’eau, mais pas seulement – donne lieu à une forte pression pour que nous baissions nos prix, de sorte que nous devons souvent consentir des rabais qui excèdent nos marges.

Nos activités souffrent également en Allemagne. En revanche, elles sont relativement épargnées en Grande-Bretagne, pour des raisons particulières liées à la politique de traitement des déchets menée dans ce pays.

Tirant parti de la flexibilité retrouvée grâce à un important programme de cessions, le groupe cherche désormais une croissance rentable et profitable dans de nouvelles zones géographiques, notamment en Europe centrale et orientale, en Asie – plus particulièrement en Asie du nord –, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Sa stratégie consiste d’une part à abaisser ses coûts de structure mais aussi ses coûts opérationnels grâce à d’importants programmes de reengineering, visant à industrialiser ce métier de services : automatisation d’un certain nombre de tâches, industrialisation des process, standardisation des manières de travailler, spécialisation des équipes… ; d’autre part, à accélérer sa projection vers les activités offrant des possibilités de croissance, en volume comme en valeur. Je souhaite ainsi accroître la part de notre activité consacrée à notre clientèle industrielle, pour la porter de 30 % à 50 % en quatre ans. De même, j’entends faire évoluer l’empreinte géographique du groupe, dont l’activité s’exerce actuellement à 70 % dans les pays développés – à raison de 40 % pour la France et de 10 % pour l’Allemagne comme pour la Grande-Bretagne et pour les Etats-Unis. La part des autres zones géographiques, en croissance, devrait ainsi passer de 30 % à plus de 50 % d’ici quatre ans.

J’en viens aux grands défis auxquels sont confrontés nos métiers et les services à l’environnement.

Le premier est le traitement des pollutions les plus difficiles. Un certain nombre sont connues – et Veolia est fortement présent dans ce secteur. Je pense aux déchets industriels toxiques et dangereux, aux boues des stations d’épuration, aux émissions de CO2 et aux gaz à effet de serre. D’autres ont été plus récemment identifiées : c’est le cas des résidus médicamenteux et des perturbateurs endocriniens présents dans l’eau, mais aussi de la pollution de l’eau liée à la mobilisation d’énergies alternatives telles que les gaz de schiste et les pétroles de schiste. À cela s’ajoutent enfin le démantèlement et la « remise au vert » des sites nucléaires.

Le deuxième grand défi de nos métiers consiste à faire face aux problèmes des raretés croissantes de l’eau, des matières premières, des énergies fossiles et, demain, des quotas de CO2. Dans chacun de ces cas, nous cherchons à inventer des solutions pour les proposer à notre clientèle. Pour l’eau, les axes de travail sont au nombre de trois : la réduction du gaspillage et l’économie de la ressource à usage constant, la mobilisation des ressources alternatives comme l’eau de mer ou le recyclage des eaux usées, qui est aujourd’hui la solution la plus prometteuse, et enfin des actions de gestion de la ressource, telle que la recharge de nappes, encore peu utilisée en France.

Pour remédier à la rareté des matières premières, nous devons privilégier l’économie circulaire et le recyclage. Nous avons commencé par le plus simple, en recyclant le papier, le carton et la ferraille. Mais ces matières aisément recyclables n’ont que peu de valeur, à la différence du cuivre, du lithium et des terres rares qu’il est en revanche bien plus compliqué d’extraire et de recycler – d’autant que les industriels exigent de pouvoir les réutiliser sans modifier leurs process industriels, ce qui suppose de leur fournir des matières d’une qualité au moins égale à celle des matières qui leur sont fournies par le secteur minier, et dans la même forme. Néanmoins, notre groupe est déjà très actif dans le traitement des huiles de moteur usagées, du cuivre et du lithium, grâce à ses efforts de recherche et développement (R&D) et à la construction d’usines de recyclage, qui a assuré l’essentiel de notre développement en France au cours des dernières années et reste une niche à l’échelle de la planète. Ces usines, qui sont des innovations mondiales, sont appelées à se multiplier. La maîtrise du coût du tri – encore largement manuel – est ici un enjeu important : tant que la valeur extraite restera insuffisante, l’automatisation du tri et la baisse de la part de la main-d’œuvre dans son coût seront décisifs. Nous ouvrons ainsi chaque année en France un nouveau centre de tri plus automatisé que le précédent.

Pour surmonter la raréfaction des sources d’énergie, nous devons agir pour plus d’efficacité énergétique, travailler sur le stockage de l’énergie et utiliser les ressources alternatives comme la biomasse utilisée par la technique de la cogénération au gaz. Cette dernière, mise en œuvre en France depuis une douzaine d’années à partir du gaz, a bien failli disparaître il y a quelques semaines : les grosses cogénérations sont sans doute sauvées, mais la survie des petites est encore en débat. Si nous n’y prenons pas garde, il pourrait en résulter de fortes hausses du prix du chauffage pour nombre d’habitations, au détriment notamment des plus modestes.

Le troisième grand défi que nous avons à relever est celui de la gestion de grands services publics complexes dans des villes qui regroupent de plus en plus d’habitants. Chaque mois, la population urbaine s’accroît de l’équivalent d’une ville comme Madrid, soit de trois millions d’habitants – dont une bonne moitié en Asie. La moitié de la population mondiale est aujourd’hui urbanisée ; en 2035, ce sera 70 %. La France a donc une carte à jouer là, grâce à son savoir-faire et à ses entreprises. Le paradoxe est qu’au moment où de nombreux marchés s’ouvrent à nous dans les grandes métropoles étrangères, le modèle français de gestion déléguée est contesté. Les principaux risques sont de deux ordres : la tentation du low cost pour les services publics, particulièrement ceux de l’eau, et le danger de voir le dénigrement de notre savoir-faire auquel certains se livrent en France nous desservir à l’étranger. Il nous faut faire évoluer notre modèle – à la fois les offres et les modes de rémunération –pour satisfaire les nouvelles attentes, mais nous devons également contribuer au décloisonnement du fonctionnement technique de la ville, aujourd’hui trop organisé en silos.

Pour relever ces trois grands défis, il nous faut d’abord innover. Nous ne connaissons ou maîtrisons aujourd’hui que la moitié des services que nous proposerons à nos clients dans vingt ans. Les autres restent à inventer, un peu comme la biologie et la chimie fine ont supplanté le camion-poubelle et le bulldozer, qui formaient l’essentiel des outils à la disposition des services de propreté il y a vingt ans. Bref, l’innovation est la clé de l’avenir.

Il faut ensuite tout un travail de reengineering pour industrialiser nos services. La pression sur les prix, très forte en Europe, nous contraint à imaginer les voies grâce auxquelles nous pourrons abaisser nos coûts sans pour autant tomber dans le piège du low cost.

Enfin, il nous faut former. Les métiers des services à l’environnement se caractérisent à la fois – ce qui est assez rare – par une forte intensité technique et par une forte intensité de main-d’œuvre. Il est donc impératif, au-delà de la formation initiale, de former nos salariés tout au long de leur vie professionnelle, à mesure que naissent de nouveaux savoir-faire et de nouvelles technologies de plus en plus sophistiqués. Cela s’impose d’autant plus que 90 % d’entre eux sont des « cols bleus ». Nous nous sommes donc dotés de vingt centres de formation, dont six en France, et nous en avons ouvert trois l’an dernier à Lyon, à Tarbes et à Lille.

La qualité des services à l’environnement est importante pour les territoires pour trois raisons : parce qu’elle contribue à leur attractivité ; parce que leurs responsables peuvent, en collaboration avec les grands groupes et avec les petites entreprises locales élaborer des écosystèmes économiques d’où sortira un savoir-faire exportable ; enfin, parce que ces services sont porteurs de nombreux emplois non délocalisables et bien adaptés aux jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification, l’apprentissage permettant de leur donner une formation diplômante et un métier.

En quoi les pouvoirs publics peuvent-ils nous aider à relever ces grands défis ? Ils doivent d’abord fixer des objectifs ambitieux mais réalistes, en fonction des capacités du pays, et adapter en conséquence les normes réglementaires. La baisse de la consommation d’énergies primaires carbonées au profit de la biomasse, de la cogénération au gaz ou de l’exploitation du potentiel énergétique des déchets – nous n’en exploitons aujourd’hui que la moitié – est une première voie. La seconde est la rénovation énergétique des bâtiments, à condition que soient résolues deux difficultés. En premier lieu, il faut garantir aux particuliers que l’investissement qu’ils devront consentir leur assurera bien les résultats promis. Or cela ne peut être le fait de l’installateur de fenêtres ou de chaudières et on sait que l’absence actuelle de garantie à long terme est le premier facteur qui fait hésiter les candidats à la rénovation thermique. En second lieu, il faut organiser un financement long adapté à ces travaux. En effet, cette rénovation est économiquement rentable, mais à long terme : le retour intervient au bout de sept à dix ans. Il faudrait donc pouvoir financer ces travaux sur une quinzaine d’années.

Je l’ai dit, la réutilisation des eaux usées est certainement la voie la plus prometteuse pour remédier à la rareté de l’eau dans le monde. Mais nous manquons, en France, d’une norme pour transformer cette eau usée, aujourd’hui considérée comme un déchet, en un produit. Nous avons réussi à le faire pour les boues de stations d’épuration, pour « normer » le compost et transformer la boue épandue en un vrai produit, à condition qu’il soit traçable – et tracé. Nous n’avons pas l’équivalent pour le recyclage des eaux usées, pourtant largement utilisé dans d’autres parties du monde, pour des usages parfois peu « nobles » tels que le nettoyage, le lavage ou l’irrigation, mais pas seulement : la moitié de la population de Berlin et la totalité de celle de Windhoek, la capitale de la Namibie, sont alimentées en eau potable provenant du recyclage de l’eau usée ; toutes les usines de microélectronique de Singapour sont alimentées en eau ultra-pure avec de l’eau recyclée… La transformation de l’eau usée en eau potable, voire ultra-pure, ne se heurte en effet à aucune difficulté technique. Nous manquons simplement d’une norme permettant de faire « décoller » cette activité.

Pour finir, j’appelle votre attention sur une contradiction de plus en plus fréquente entre le droit du travail et le droit de la concurrence. Les services que nous fournissons ne sont pas délocalisables, mais le droit du travail exigeait jusqu’à présent qu’en cas de mise en concurrence, le lauréat, nouveau titulaire du contrat, reprenne les salariés. Le droit de la concurrence s’y oppose désormais, au motif que cette obligation constituerait une entrave à la concurrence. C’est donc le juge qui tranche au cas par cas.

M. Jean-Marie Sermier. Je remercie M. Antoine Frérot de nous avoir exposé aussi brillamment les activités de son groupe et les défis auxquels il est confronté. Je le félicite, et à travers lui l’ensemble des 220 000 collaborateurs qui permettent à Veolia d’être une entreprise d’excellence dans son secteur et d’exporter. Enfin, je remercie le président Chanteguet de l’avoir invité : l’audition de représentants des entreprises ou des collectivités ou de grands commis de l’État est un précieux apport aux travaux de notre Commission.

Le groupe UMP constate que la société prend de plus en plus la mesure de ses responsabilités à l’égard de l’environnement. Ce mouvement ne date certes pas d’hier, mais on peut dire que ce qui divisait il y a quelques années fait aujourd’hui consensus. Le Grenelle de l’environnement a certainement contribué à cette convergence qui conduit chacun à rechercher, au-delà de ses idéaux, des solutions pragmatiques pour sauver la planète. C’est bien sûr difficile, tant l’on bute vite sur des problèmes concrets.

Ainsi, même si vous avez raison de vouloir privilégier l’énergie décarbonée, nous savons aujourd’hui qu’il n’existe pas d’énergie propre, et que l’énergie photovoltaïque, l’énergie éolienne ou l’énergie hydraulique posent à leur tour des problèmes de toute sorte. C’est finalement un bouquet d’énergies qui semble le plus à même de répondre à la demande énergétique de demain. La biomasse en fait partie. Vous nous en avez dit trop – ou pas assez – en expliquant que cette énergie avait failli disparaître en France. Pouvez-vous être plus précis ? Je sais que Veolia et ses entreprises satellites, notamment Dalkia, ont eu des projets importants en matière de cogénération. Quelle est votre politique dans ce domaine ?

La question de l’eau est primordiale pour notre planète, même si nous ne le mesurons pas toujours en France, a fortiori dans notre château d’eau du Jura ! Néanmoins, la prise de conscience mérite d’être collective. Cependant, le grand problème qui se pose à propos de l’eau potable est celui de la gouvernance. Après avoir longtemps laissé le champ libre aux sociétés, les collectivités souhaitent aujourd’hui se réapproprier la gestion de l’eau. Nous devons donc travailler ensemble, dans le respect de nos compétences respectives, les élus assumant une partie de la gouvernance et les sociétés – dont le savoir-faire est irremplaçable – la partie technologique. Quelle est votre vision de la gouvernance en matière d’eau potable et d’eaux usées pour les années à venir ? Faut-il privilégier la régie, la délégation, la société d’économie mixte, ou un mariage des trois ?

J’ignore si une ville française ressemblera un jour à Windhoek, où la totalité de l’eau usée est recyclée. Ne serait-il pas préférable de dépolluer cette eau au mieux, pour qu’elle ne soit ni plus ni moins que de l’eau qui revienne à la rivière, afin de privilégier une utilisation en cycle vraiment fermé ?

Enfin, pouvez-vous nous en dire plus sur la formation, notamment sur la formation par alternance, qui mériterait d’être développée dans de nombreux métiers de l’eau ? Quelle est la stratégie du groupe en la matière ?

M. Bertrand Pancher. Il y a une vraie timidité des grands groupes qui œuvrent en liaison avec les collectivités ou les pouvoirs publics à travailler en amont avec le Parlement à des adaptations législatives ou réglementaires, comme si les connivences coupables du passé avaient conduit à un retrait de votre part. Cette réflexion vaut pour tous les grands groupes, en particulier pour ceux du bâtiment et des travaux publics. Or nous avons besoin de construire ensemble les textes législatifs et réglementaires, spécialement dans le domaine de l’eau. Je souhaite donc que nous poursuivions le travail d’analyse et de veille parlementaire sur les dispositions qui viendront en discussion dans les prochains mois.

Nous partageons votre vision de l’avenir de Veolia. Quelles que soient les difficultés du moment dans le domaine de l’eau ou dans celui de l’assainissement – sans doute moins dans le domaine énergétique, grâce à votre filiale Dalkia –, le groupe doit continuer à gagner de l’argent – si possible sur le territoire national – si nous voulons qu’il reste un géant mondial et continue à exporter. Votre stratégie se fonde sur une diminution des coûts, mais nous avons un travail collectif à mener pour faire comprendre à nos concitoyens que la qualité se paye, et pour parvenir à leur offrir de vrais services rémunérés. Comment faire en sorte qu’ils s’approprient ces enjeux, sachant que cela pose en effet le problème de la gouvernance au niveau local ?

En ce qui concerne l’énergie, il me paraît important de poursuivre les efforts tant de rénovation de l’habitat ancien que de développement des nouvelles énergies. Je suis frappé par l’essor que connaissent dans de nombreux autres pays européens les sociétés de services en économies d’énergie, qui réalisent des bilans énergétiques chez les particuliers. Cela nécessite sans doute moins de moyens que des politiques très ambitieuses d’aide à la rénovation des logements. Que suggérez-vous pour mobiliser les acteurs de ce secteur, pour un coût raisonnable ?

Même question en ce qui concerne la production d’énergie à partir de la biomasse. Notre pays dispose de surfaces boisées importantes, mais la mobilisation de nos forêts n’est pas encore à son optimum. Je sais que votre groupe étudie la possibilité d’acquérir des surfaces plus importantes.

Enfin, je suis frappé par la segmentation qui prévaut en France, à la différence d’autres pays européens, notamment d’Europe du nord, où les entreprises privées travaillent avec les collectivités dans le cadre de projets public-privé. Nous avons du mal à suivre cet exemple, nous privant ainsi de lever des moyens financiers dans le cadre de partenariats à long terme pour des projets de développement créateurs d’emplois. Quel est votre point de vue sur le sujet ?

M. Arnaud Leroy. Votre groupe a traversé une période de turbulences qui l’ont conduit à se recentrer sur certaines activités. Quelle est votre vision de son avenir à court et à moyen terme ? Envisagez-vous des alliances dans certains secteurs ?

La France a la chance d’avoir des champions mondiaux comme Veolia dans le domaine des services à l’environnement. Le concept de ville durable, dont on a beaucoup parlé ces derniers temps, pourrait, s’il se concrétisait, donner un fort élan à nos exportations, mais nous éprouvons, semble-t-il, quelques difficultés à le définir précisément et à déterminer ce que grands groupes, PME et ETI pourront faire ensemble dans ce cadre. Veolia met-elle en pratique le portage, qui consiste, est-il utile de le rappeler, pour un grand groupe à faire office de locomotive à l’export pour les PME locales ? Quels progrès suggéreriez-vous à cet égard ?

Je rejoins Bertrand Pancher sur l’intérêt d’échanger entre nous, surtout dans le contexte de la guerre des normes qui se joue actuellement. Il faut savoir que, dans certains États membres de l’Union européenne, les sociétés sont très proches des parlements nationaux. Je suis donc preneur de rencontres régulières et d’informations techniques susceptibles d’éclairer les débats parlementaires.

Quelle est votre vision de ce qu’on appelle la « croissance verte » ? Quelles perspectives offre-t-elle en termes d’emplois et de croissance ? Que peut-on faire pour accélérer le processus ?

Vous avez évoqué les attaques en cours dans les couloirs de Bruxelles contre la notion de concession. Quels sont nos alliés potentiels – États membres ou sociétés – sur ce dossier ? Avez-vous des éléments à nous communiquer sur le calendrier des sanctions ou des demandes d’enquête qui pourraient nous viser ?

M. François-Michel Lambert. S’agissant de l’eau en général, les positions de Veolia en Allemagne ne seraient-elles pas aujourd’hui menacées ? Quel a été l’effet de la pétition européenne « L’eau : un droit humain », qui a soulevé la question de la privatisation de l’eau ?

La France a pour ambition de produire une part majeure de son énergie renouvelable à partir de la biomasse. À cet égard, comment votre groupe aborde-t-il les difficultés que pose la mobilisation du bois ? Quelle est d’autre part son approche pour la mise en exploitation du biogaz ?

Quant à la question des déchets, je l’aborderai par le biais de l’économie circulaire, qui fera l’objet d’une table ronde lors de la prochaine Conférence environnementale – M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, vient de le confirmer. Cette notion conduit à un bouleversement de notre vision – donc de notre modèle – économique : on dépasse la notion de déchets pour chercher une utilisation optimale de la ressource. Cela suppose une vision beaucoup plus territoriale, qui exigera de la part des grands groupes des innovations techniques et organisationnelles, mais aussi des innovations dans la répartition de la valeur, avec sans doute de nouvelles normes comptables et une évolution – voire une révolution – fiscale ; et, surtout, cela exigera de repenser la gouvernance, ce qui nous renvoie à la question des relations de votre groupe avec les acteurs locaux. Comment voyez-vous cette évolution vers un nouveau modèle économique, qui aura nécessairement des incidences importantes pour vous ?

M. Olivier Falorni. L’activité de votre groupe est au cœur des sujets qui occupent notre Commission : la transition énergétique, l’aménagement du territoire et les problématiques urbaines de l’eau, de la propreté et des réseaux de chaleur. À l’échelle locale comme à l’échelle nationale, Veolia est en constante interaction avec les pouvoirs publics – avec l’administration comme avec les élus – mais elle travaille aussi à satisfaire les besoins quotidiens des Français. Son activité constitue donc un bon indicateur des pratiques que nous cherchons à améliorer. Autrement dit, votre regard nous est précieux.

Votre groupe se désengage aujourd’hui des transports pour se concentrer sur trois domaines : l’eau, la propreté et l’énergie. Où en est la vente de Veolia Transport à Transdev ? Dans l’hypothèse où elle n’aboutirait pas, comment le groupe devra-t-il évoluer ?

Dans le débat sur la transition énergétique, comment mettra-t-il à profit son expertise et son expérience pour proposer des solutions novatrices ?

Les économies d’énergie sont aujourd’hui la principale ressource énergétique disponible. Le législateur et le Gouvernement s’efforcent de les favoriser, même si ce mouvement correspond à une tendance lourde. La proposition de loi sur la tarification progressive de l’énergie a certes été invalidée par le Conseil constitutionnel au motif que certaines de ses dispositions induisaient une rupture d’égalité, mais le Parlement va être saisi d’un nouveau texte. Nous ne vous avons pas beaucoup entendu sur cette proposition de loi, qui vous concernait pourtant directement. Que pensez-vous de ce principe de la tarification progressive, que ce soit pour l’énergie, pour l’eau ou pour les déchets ? Comment améliorer le texte de la proposition de loi ?

S’agissant de l’eau, des déchets et des réseaux de chaleur, je me ferai le porte-parole de nos concitoyens dont les factures ont augmenté depuis dix ou quinze ans dans des proportions parfois déraisonnables. En dépit de l’existence de tarifs sociaux, les élus que nous sommes mesurent les difficultés qui en résultent pour les plus fragiles. Quels sont selon vous les mécanismes de tarification sociale les plus efficaces pour soulager les plus défavorisés sans les dissuader d’économiser l’énergie ?

Sans entrer dans le débat entre délégation de service public et régie, nous savons que des investissements sont nécessaires pour moderniser les réseaux. Cependant, les hausses de tarifs sont trop souvent disproportionnées par rapport à ces investissements. Votre groupe a des compétences et une expertise reconnues, mais l’argent public devient une ressource rare. Dans ces conditions, les réformes de structure vous permettront-elles de maintenir un service de qualité tout en diminuant vos tarifs ?

M. Jacques Kossowski. En avril dernier, l'Association française de normalisation (AFNOR) a défini une norme expérimentale pour aider à détecter la présence de résidus de médicaments dans l’eau. Nous nous souvenons qu’en mars dernier, l’association 60 millions de consommateurs a publié une étude mettant en évidence la présence de traces infimes de pesticides et de substances médicamenteuses dans certaines eaux en bouteille. Cette norme détermine donc une méthode générale de dosage de certains médicaments et composés organiques contenus dans des échantillons d'eaux destinées à la consommation humaine et aux eaux souterraines. Elle serait utilisable par tous – laboratoires, entreprises, institutions, acteurs de la santé, villes et collectivités, associations de consommateurs et organisations non gouvernementales. Veolia s’est fortement impliqué dans sa définition. Pouvez-vous nous dire quelques mots de cette expérience et de son application future ?

M. Jean-Jacques Cottel. Je vous remercie de l’accueil que vous avez réservé à la mission d’information sur les filières de responsabilité élargie du producteur (REP), lorsque nous avons visité l’unité de traitement des déchets d’équipements électriques et électroniques de Veolia, au parc d’activités d’Angers.

Dans le cadre de la politique industrielle rénovée définie par le ministre du redressement productif en janvier 2013, les éco-industries ont été identifiées comme l’une des douze filières industrielles devant faire l’objet d’un contrat de filière élaboré par un comité stratégique de filière. Cette intégration du recyclage dans notre politique industrielle permettra de mieux valoriser le savoir-faire français dans l’optique de l’exporter, en particulier dans les pays émergents, où les besoins en matière de tri et de traitement des déchets vont aller croissant. Comment vous situez-vous par rapport à cette évolution, compte tenu de votre expertise reconnue, de vos moyens en R&D et de votre expérience internationale ? Quels bénéfices pouvons-nous en tirer à l’échelle nationale ?

M. Jean-Pierre Vigier. L’environnement est la raison d’être de votre groupe. Or, le respect et la protection de l’environnement coûtent de plus en plus cher alors que les budgets des collectivités, en particulier des plus petites d’entre elles, ne cessent de se restreindre. Quelles nouvelles formes de partenariat pouvez-vous établir avec elles pour leur permettre de satisfaire à des normes environnementales de plus en plus contraignantes ?

M. Guillaume Chevrollier. La vision de Veolia, leader dans le monde et néanmoins confronté à de nombreux défis dans un contexte très concurrentiel, nous est précieuse. Comment votre groupe peut-il nous apporter son concours pour faire du recyclage une priorité stratégique de notre politique industrielle, afin de valoriser davantage les déchets ménagers et professionnels en les transformant en matières premières secondaires, tirant ainsi parti des « mines urbaines » que recèle notre territoire ?

La présence de perturbateurs endocriniens dans l’eau inquiète légitimement nos concitoyens. Quels travaux menez-vous précisément sur le sujet ?

M. Jean-Luc Moudenc. Les difficultés et contraintes nouvelles que vous avez évoquées, qui affectent en particulier les services de l’eau, pourraient-elles se traduire par des suppressions d’emplois dans notre pays ? Si oui, à quelle hauteur et dans quelles régions ou quelles métropoles ? Comment voyez-vous l’avenir du groupe à cinq ou dix ans, compte tenu des problématiques nouvelles auxquelles il est confronté ?

M. Yannick Favennec. De façon paradoxale, alors que notre pays compte parmi les fleurons de son économie deux groupes de dimension internationale spécialisés dans la gestion des déchets, Veolia et Suez Environnement, ses performances dans ce secteur le placent au milieu du peloton européen, avec un taux de recyclage et de compostage des ordures ménagères de 37 % en 2011, légèrement inférieur à la moyenne communautaire, qui s’établit à 40 %, mais très loin derrière les pays d’Europe du nord où ce taux avoisine, voire dépasse 50 %. En 2009, la loi dite Grenelle I a fixé des objectifs de réduction de la production de déchets et de la part des déchets mis en décharge ou incinérés, qui devaient être atteints dès 2012. Elle a également prévu le passage à 45 % du taux de recyclage et de compostage en 2015. Or, selon un rapport du Commissariat général au développement durable publié fin mai, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) actuelle n’incite pas au respect de la hiérarchie de traitement fixée par Bruxelles, à savoir la réutilisation, le recyclage, la valorisation énergétique puis l’enfouissement. Que préconisez-vous pour assurer le respect de ces engagements et pour développer le recyclage et la valorisation des déchets ?

Mme Sophie Rohfritsch. Trois pôles de compétitivité sont directement concernés par la thématique de l’eau. Parmi eux figure le pôle Hydreos, commun à l’Alsace et à la Lorraine, dont la vocation est de traiter de la qualité des eaux. À ce titre, il peut s’intéresser à l’éviction des résidus médicamenteux dans les eaux traitées. Les trois grands groupes français du secteur de l’eau sont présents dans ces pôles de compétitivité. J’ose espérer qu’il ne s’agit pas seulement pour eux de faire de la veille : c’est en effet à l’intérieur des pôles de compétitivité que les collectivités territoriales investissent et que les grands groupes peuvent œuvrer à la croissance par la recherche et l’innovation et soutenir le développement des PME et PMI locales. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Permettez-moi de revenir sur la cogénération. Pour les installations les plus importantes, à savoir celles dont la puissance est supérieure à douze mégawatts, le problème a été réglé dans le cadre de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable. Reste à trouver une solution pour les installations de puissance inférieure, sujet qui intéresse avant tout les collectivités territoriales. Où en sommes-nous à cet égard ?

Jean-Jacques Cottel et Guillaume Chevrollier, rapporteurs de la mission d’information que notre Commission a créée sur les éco-organismes et les filières REP, nous ont indiqué que l’expérimentation de la redevance incitative à Château-Gontier s’était traduite par une réduction d’un tiers du volume de déchets collectés. Votre groupe est-il en mesure de répondre aux demandes qui pourraient lui être adressées par des collectivités territoriales soucieuses de travailler dans cette direction ?

L’exploitation des gaz de schiste et des hydrocarbures non conventionnels, les forages off shore – voire les forages off shore profonds – suscitent aujourd’hui de vifs débats en France, comme dans d’autres pays, mais le développement de certaines de ces activités à l’international permet à votre groupe de s’engager sur de nouveaux marchés. Je pense au traitement des eaux usées sur les sites d’extraction des gaz de schiste, ou encore à la possibilité de procéder, demain, au démantèlement des plateformes pétrolières – sachant qu’on en dénombre 700 en mer du Nord et 3 600 dans le golfe du Mexique, cela pourrait représenter un chiffre d’affaires significatif pour Veolia.

Dans le même ordre d’idées, votre groupe pourrait-il envisager de participer à une opération de démantèlement d’une centrale nucléaire française ?

M. Jean-Marie Sermier. Vous pensez à Fessenheim ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je n’ai pas donné de nom !

M. François-Michel Lambert. Mais il faudra bien commencer… (Exclamations diverses)

M. Antoine Frérot. C’est la cogénération au gaz – et non la cogénération à partir de la biomasse – qui a failli disparaître en France, monsieur Sermier.

La cogénération est une technique qui permet, à partir d’une même source d’énergie – le gaz ou la biomasse –, de produire à la fois de la chaleur et de l’électricité. Contrairement aux chaudières à gaz classiques, les installations de cogénération au gaz se distinguent par leur efficacité énergétique : 75 % de l’énergie primaire est transformée en énergie finale ; les pertes sont donc faibles.

Encore faut-il que l’électricité ainsi produite soit valorisée et vendue. EDF est tenue de l’acheter à un tarif fixé par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), le surcoût qui en résulte pour elle étant financé par la contribution au service public de l’énergie (CSPE). Or, tout au long des douze premières années d’exploitation de la cogénération au gaz en France, la DGEC a constamment cherché à faire baisser les tarifs d’achat de l’électricité ainsi produite. Dans le même temps, ceux de l’électricité d’origine solaire et éolienne étaient considérablement augmentés. Dans ces conditions, les installations de cogénération au gaz sont devenues non rentables.

Nous avons alors commencé à démanteler les plus importantes d’entre elles, essentiellement utilisées sur les sites industriels, et à les remplacer par de plus simples, qui produisent de la chaleur, mais pas d’électricité. Les grands groupes, comme Veolia et sa filiale Dalkia, ont pu réimplanter leurs installations en Europe centrale. D’autres entreprises, en revanche, ont été confrontées à de graves difficultés. Surtout, cette politique a été une erreur du point de vue de la performance énergétique.

Heureusement, la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable, définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 2 juillet 2013, a posé le principe d’une meilleure rémunération des installations dont la puissance est supérieure à douze mégawatts. Nous attendons toutefois que les conditions d’achat de cette électricité soient précisées par décret. À notre sens, les parlementaires ont suffisamment insisté pour qu’elles soient fixées de manière à maintenir les installations de cogénération au gaz en France, mais il reste que la partie n’est pas encore définitivement gagnée.

Quant aux installations d’une puissance inférieure à douze mégawatts, qui alimentent généralement les réseaux de chaleur urbains – seules deux ou trois installations exploitées par Dalkia pour le chauffage urbain ont une puissance supérieure à douze mégawatts –, la loi votée le 2 juillet n’en traite pas. Cependant, les services du Premier ministre et le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie se sont saisis du dossier et semblent conscients des risques. Une réunion s’est tenue le 19 juin dernier et les arbitrages devraient être rendus dans les jours qui viennent. À ce stade, je ne suis pas en mesure de vous dire si les tarifs d’achat de l’électricité permettront de maintenir ces petites installations.

Sur ce dossier certes technique et complexe, il convient que les élus locaux soient entendus par le Gouvernement et, plus encore, par l’administration, notamment la DGEC. L’enjeu est également le prix du chauffage pour les particuliers : il augmentera de 10 à 20 % si les petites installations de cogénération au gaz disparaissent, faute de tarifs leur garantissant une rentabilité minimale.

La biomasse constitue, selon nous, la source d’énergie renouvelable la plus prometteuse pour notre pays : elle est effectivement renouvelable ; le bilan carbone de son exploitation est positif ; nous n’avons pas à l’importer, la France étant l’un des pays les plus boisés d’Europe. Cependant, la forêt française est morcelée et insuffisamment exploitée, à l’exception des surfaces – environ un tiers – gérées par l’Office nationale des forêts (ONF). Dans de nombreuses parcelles, le bois tombé lors des tempêtes de la fin des années 1990 pourrit sur place : il n’a toujours pas été ramassé, faute de filières organisées à cet effet.

Notre pays dispose de nombreuses autres ressources en biomasse – paille, divers déchets organiques –, qui peuvent être utilisées comme combustibles ou transformées en produits commercialisables. Veolia vient ainsi d’ouvrir, pour Limagrain, une installation de cogénération à partir des rafles de maïs, qui étaient auparavant détruites sans valorisation. Nous avons également construit, à Graincourt-lès-Havrincourt, près d’Arras, une usine qui produit des engrais à partir de racines d’endives et des rebuts de crème glacée d’une industrie voisine.

Il est nécessaire d’organiser des filières de collecte, à l’échelle territoriale : la biomasse se trouve généralement à proximité des lieux où elle est susceptible d’être consommée, et son transport sur de grandes distances rendrait de toute façon son exploitation peu rentable. Le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt est le mieux placé pour conduire ce travail. En outre, il conviendrait de faciliter l’accès aux petites parcelles de forêt privées. Dans l’ensemble, cle ramassage de la biomasse représente un gisement d’emplois locaux.

Néanmoins, pour être compétitive avec la filière nucléaire, la production d’électricité et de chaleur à partir de la biomasse, devra, comme la cogénération au gaz, bénéficier d’aides : obligation d’achat à un tarif fixé par la puissance publique ou subventions du Fonds chaleur. Il convient en effet de financer le surcoût lié à ce mode de production, qui sera néanmoins bien inférieur à celui de l’électricité d’origine éolienne ou solaire.

J’en viens à la situation économique de Veolia, notamment dans le secteur de l’eau. Lors des renouvellements de contrats de gestion de l’eau, les collectivités publiques demandent des baisses de prix allant de 10 à 20 %, parfois au-delà. Or les taux de marge des opérateurs de l’eau avant impôt s’établissent en moyenne à moins de 10 %. C’est d’ailleurs en France que Veolia réalise ses taux de marge les plus faibles : en 2012, ils représentaient la moitié de ceux réalisés en Europe centrale et les deux tiers de ceux réalisés en Chine. Il est vrai que c’est également en France que les investissements sont les plus faibles, une grande partie des équipements ayant été largement amortis.

Quoi qu’il en soit, les baisses de prix supérieures à 10 % lors des renouvellements de contrats impliquent que nous abaissions considérablement nos coûts pour maintenir la rentabilité de notre activité. Comme pour les autres activités de Veolia, les coûts des services d’eau se répartissent de la manière suivante : un tiers d’achats ; un tiers de masse salariale ; un tiers représenté par l’amortissement des investissements, les frais financiers, les impôts et la marge. Pour baisser les coûts, nous ne pouvons agir que sur les deux premiers tiers : il y aura donc bien un impact important sur l’emploi. Veolia Eau a défini un plan de reengineering et annoncé que 10 % de ses emplois seraient affectés dans les deux ans qui viennent, à condition que la situation ne s’aggrave pas encore.

J’en viens à la question de M. Olivier Falorni : serons-nous capables de maintenir la qualité des services d’eau malgré la baisse de la rémunération des contrats, compte tenu de la rareté de l’argent public ? En conformité avec la réglementation européenne, les services d’eau sont payés non pas par les contribuables, mais par les usagers. Même si les collectivités publiques complètent parfois le financement de certains investissements nouveaux, ce sont donc les budgets des ménages qui sont sollicités.

Tout l’enjeu pour Veolia est bien de maintenir la qualité des services tout en réduisant ses coûts. À l’avenir, les baisses de prix des services d’eau risquent d’avoir des répercussions non seulement sur l’emploi, mais aussi sur les investissements. Certains s’en inquiètent déjà, à l’instar de l’association Service public 2000, fondée par l’Association des maires de France et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, ou encore d’une association de défense des consommateurs citée ce matin dans la presse.

Le service public de l’eau français présente le meilleur rapport qualité-prix en Europe. Vous trouverez quelques comparaisons entre pays européens dans la presse de ce matin : les ménages français paient deux fois moins que les ménages allemands et plus de deux fois moins que les ménages d’Europe du Nord pour des services de qualité équivalente. Seuls les ménages italiens – en Italie, les eaux usées ne sont pas traitées – et espagnols paient des factures moins élevées. Mais nous sommes arrivés à une limite : si les prix baissent encore, la qualité du service public de l’eau sera menacée.

Dans le cadre des appels d’offres à plusieurs tours pour la gestion déléguée des services d’eau, il est de plus en plus fréquent, lorsque Veolia arrive en tête, que les chefs des exécutifs locaux négocient à la baisse le prix de son offre en renonçant à certaines composantes : service clientèle aux heures d’ouverture étendues ; fourniture de bonbonnes d’eau de secours destinées à alimenter la population en cas de dysfonctionnement du service, etc. C’est ce que j’appelle « la tentation du low-cost » : pour préserver à tout prix le pouvoir d’achat de leurs administrés – préoccupation que nous pouvons comprendre –, certains élus sont séduits par des services minimaux. Pourtant, les dépenses d’eau ne représentent en moyenne que 0,8 % du budget des ménages français, contre 4 à 5 % pour les services téléphoniques et 7 à 8 % pour le chauffage.

Madame Sophie Rohfritsch, Veolia est en effet présente dans les trois pôles de compétitivité qui traitent de gestion de l’eau. Cependant, est-il raisonnable d’en avoir trois – il y en avait même huit à l’origine – à l’échelle de la France ? D’autant qu’il en existe deux qui travaillent sur la mer. Notre pays doit choisir : nous ne pouvons pas tout faire partout !

Les pôles de compétitivité ont pour vocation première de rassembler des acteurs aux compétences distinctes – petites et grandes entreprises, monde académique, collectivités territoriales – et de favoriser l’émergence de véritables écosystèmes. Ils sont très liés au territoire sur lequel ils sont implantés. Cependant, les pôles de compétitivité français ne rendent pas tous les services attendus, ni n’atteignent les résultats escomptés. Cela tient principalement à ce qu’on a confondu la fin et les moyens. L’innovation est la finalité des pôles de compétitivité français alors qu’elle n’est qu’un moyen pour leurs équivalents allemands ou britanniques, l’objectif de ceux-ci étant de conquérir des marchés préalablement ciblés – l’ensemble des acteurs économiques et académiques se mobilise alors au service de ce « but de guerre », les collectivités locales jouant un rôle important d’incubateur, et ces pôles de compétitivité allemands et britanniques réussissent mieux que les nôtres.

Le pôle de compétitivité à vocation mondiale « EAU » de Montpellier est néanmoins un contre-exemple : il commence à atteindre ses objectifs. Veolia y est très impliquée, au point de le piloter – le rôle de contrôle revenant à la puissance publique et aux élus locaux. De nombreuses PME de la région Languedoc-Roussillon ont tiré profit de ce travail : plusieurs sont devenues des fournisseurs de Veolia en Chine.

Vous m’avez également interrogé, monsieur Olivier Falorni, sur la vente de notre activité en matière de transports. Transdev est aujourd’hui détenue par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et par Veolia. Nous sommes convenus que la CDC en prendra le contrôle une fois que Veolia aura racheté la participation de 66 % que détient cette entreprise dans la Société nationale Corse Méditerranée (SNCM). Cependant, conformément à la loi, le comité d’entreprise de la SNCM doit se prononcer sur cette reprise. Or il refuse de le faire tant que les incertitudes sur l’avenir de la SNCM ne seront pas levées. Nous espérons qu’elles le seront dans les mois qui viennent, notamment en ce qui concerne la délégation de service public portant sur le transport entre la Corse et le continent. Nous procéderons aux opérations prévues dès que le comité d’entreprise aura rendu son avis.

Les risques à court ou moyen terme pour Veolia sont de deux ordres : son important endettement, qu’il a fallu traiter rapidement, comme je l’ai expliqué précédemment ; la très forte pression sur les prix, notamment en France, que j’ai également évoquée. D’autre part, Veolia devra se séparer de certaines activités ou filiales qui n’ont pas leur place au sein du groupe, à commencer par la SNCM. Aucun repreneur n’étant actuellement intéressé, Veolia devra rétablir la situation économique de cette société avant de trouver un actionnaire susceptible d’assurer son avenir.

S’agissant des attaques contre le modèle de la délégation de service public à Bruxelles, vous évoquez sans doute le fait que les secteurs de l’eau et, peut-être, de l’assainissement ont été retirés du champ de la proposition de directive sur les concessions, après l’avoir été de la directive sur les marchés publics. Nous regrettons cette décision : l’activité de gestion de l’eau se trouve suspendue dans un certain vide juridique. Ce retrait est sans doute moins lié, monsieur Lambert, à l’initiative citoyenne européenne « L’eau : un droit humain » qu’aux craintes respectives de l’Allemagne et de la France : la première préférait écarter le secteur de l’eau du champ de la directive, la seconde souhaitait exclure celui de l’énergie, et il y a peut-être eu de leur part des concessions mutuelles. Toujours est-il que la proposition de directive a été vidée de sa substance.

La position de l’Allemagne tient à ce que la gestion de l’eau, mais aussi de l’énergie, des transports et, parfois, des déchets, y est souvent assurée par des entreprises publiques locales, les Stadtwerke. Historiquement, celles-ci ont cherché à mutualiser les moyens nécessaires au développement de ces différentes activités : ainsi, à la fin du xixe siècle et pendant la première moitié du xxe, les bénéfices du secteur de l’énergie ont permis de financer les infrastructures du secteur de l’eau ; pendant la seconde moitié du xxe siècle, les bénéfices de ces deux secteurs ont financé les déficits du secteur des transports. En Allemagne, ces activités sont donc peu déléguées aux entreprises privées, et les Allemands ne souhaitent guère d’évolution en la matière. Néanmoins, certaines grandes villes – notamment Berlin, en 1999, et Brunswick – ont délégué leur activité de gestion de l’eau. Au total, 10 à 15 % du marché de l’eau allemand est aujourd’hui délégué à des entreprises privées. On assiste aux mêmes débats qu’en France : convient-il de continuer dans cette direction ou, au contraire, de revenir au modèle antérieur ? Les positions sont très diverses : à Berlin, la coalition actuelle souhaite remunicipaliser la gestion de l’eau ; à Brunswick, on souhaite poursuivre l’expérience.

Veolia est en effet intéressée par le marché du démantèlement des plateformes pétrolières. Dans les vingt ans qui viennent, une grande partie des plateformes actuelles
– elles sont 450 en mer du Nord et près de 4 000 dans le golfe du Mexique – devront être démantelées. Le processus a d’ailleurs commencé, notamment en mer du Nord. C’est un métier complexe : il faut détacher les plateformes des puits en toute sécurité, puis les remorquer jusqu’à la côte sans polluer, avant de les démanteler et de recycler les nombreux éléments qui peuvent l’être. Veolia a déjà démantelé quelques plateformes au cours des trois dernières années et souhaite développer cette activité.

Veolia est également intéressée par le marché du démantèlement des centrales nucléaires. Cependant, il convient au préalable de développer les techniques nécessaires. La France compte cinquante-huit réacteurs en activité et neuf à l’arrêt, pour certains depuis plus de vingt ans, en particulier ceux de la filière graphite-gaz. Actuellement, on ne sait pas vraiment démanteler les centrales, on est seulement capable de les stocker en totalité dans des puits très profonds. Il conviendrait pourtant de traiter différemment le cœur de la centrale et le bureau du directeur ! (Sourires) Pour cela, il est nécessaire de cartographier les niveaux de radiation et de proposer des filières de traitement adaptées à chacun de ces niveaux. Nous devons également trouver les moyens d’intervenir sur un site sans mettre en danger la sécurité des techniciens. Afin de mettre au point ces différents savoir-faire, Veolia a conclu un partenariat avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

À terme, Veolia souhaite être en mesure de proposer une ingénierie complète de l’intervention sur les sites nucléaires et de leur démantèlement. En revanche, nous pensons nous concentrer seulement sur certaines filières de traitement des déchets. Nous interviendrons donc en complément d’autres opérateurs. À ce stade, Veolia dispose déjà de certaines compétences. Elle est ainsi le sous-traitant de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) pour le traitement de déchets très faiblement radioactifs. L’an dernier, nous avons également été sollicités par les Japonais pour traiter les eaux irradiées stockées dans le sous-sol de la centrale de Fukushima. Enfin, nous avons décidé de mettre en application les techniques que nous développons avec le CEA sur deux des sites que celui-ci doit démanteler : Marcoule et Cadarache. Le CEA consacre d’ailleurs beaucoup de moyens à ces opérations.

Les perturbateurs endocriniens sont, comme tous les polluants nouvellement identifiés, difficiles à traiter. Ils sont probablement présents dans les eaux usées depuis longtemps, mais on ne s’en souciait guère tant qu’on n’était pas en mesure de les détecter. Leur concentration a sans doute augmenté à mesure que la consommation de médicaments s’est elle-même accrue. Ils inquiètent aujourd’hui les Français.

Dans le cycle de production de l’eau potable, les perturbateurs endocriniens présents dans les eaux de rivière, voire dans les nappes phréatiques, pourraient être bloqués assez facilement par les procédés d’ultrafiltration. Ce sont en effet de grosses molécules. L’ajout de moyens d’ultrafiltration dans les usines de production d’eau potable déjà dotées d’équipements de filtration ne renchérirait que peu le coût du traitement.

S’agissant du traitement des eaux usées, le problème est plus complexe. Si l’on souhaite éviter le rejet dans les rivières de perturbateurs endocriniens qui risquent de nuire à la faune et à la flore, il convient de doter les stations d’épuration d’équipements dont elles ne disposent pas actuellement, ce qui renchérirait cette fois sensiblement le coût du traitement. Je préconise d’employer l’ozone, oxydant fort qui permet de casser ces molécules. L’usage des ozoneurs dans les usines d’eau potable avait il y a quelque temps été exclu sans doute un peu rapidement en raison du risque de formation de bromates. Il pourrait être judicieux sur les stations d’épuration.

Quant à l’idée de piéger les perturbateurs endocriniens à la source, elle paraît peu réaliste : il s’agit d’une pollution diffuse, qui émane de la plupart des toilettes domestiques. La seule solution est de les bloquer là où ils sont concentrés : dans les stations d’épuration.

Il est exact que nous recyclons beaucoup moins de déchets que les pays d’Europe du nord, mais nous payons aussi le traitement des déchets beaucoup moins cher, bien que son coût augmente régulièrement.

Le Royaume-Uni, qui était en retard – il y a vingt ans, on y déversait encore tous les déchets dans les mines de charbon ou dans la mer –, a pris, il y a deux ans, en pleine crise économique, la décision courageuse de supprimer la mise en décharge d’ici à 2020. Pour ce faire, le Gouvernement a considérablement relevé le niveau de l’équivalent de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). Parallèlement, il a incité les territoires à se doter de grands complexes de tri, de recyclage, d’incinération et de méthanisation des déchets ménagers et industriels. Le taux de recyclage augmentera considérablement au Royaume-Uni, mais le prix du traitement des déchets également.

Il convient sans doute d’adopter une démarche plus progressive en France : il s’agirait d’augmenter le prix demandé aux usagers pour le traitement des déchets à mesure que nous maîtriserons les techniques permettant de réintroduire les produits du recyclage dans le circuit économique. En effet, certaines technologies nous font encore défaut pour organiser une véritable économie circulaire : cela concerne, outre l’automatisation du tri, le recyclage de certains matériaux nobles. Aujourd’hui, beaucoup de produits du recyclage n’ont pas encore la qualité ou la forme requises pour être directement utilisables par les industriels. Ce sont trop souvent des produits à faible valeur ajoutée revendus en vrac à l’autre bout du monde.

À ce stade, l’économie circulaire est déjà une réalité pour certaines matières : les huiles de moteur usagées collectées dans les garages sont recyclées à 75 % en huile réutilisable de la même manière. Nous ne sommes pas loin d’obtenir des résultats analogues pour les huiles végétales des restaurants. En revanche, ce n’est pas encore le cas pour les déchets électriques et électroniques.

Qui dit économie circulaire ne dit pas nécessairement recyclage à l’échelle d’un territoire. Si l’économie circulaire raccourcit par nature les circuits économiques, l’échelle pertinente pour le recyclage dépend de la quantité de déchets et des technologies utilisées. Ainsi, il n’y a place en France que pour une seule grande usine de recyclage des huiles de moteur. Il en ira sans doute de même pour le recyclage du lithium des batteries électriques. En revanche, pour l’exploitation de la biomasse, je l’ai dit, c’est bien l’échelle des territoires qui est pertinente.

Une révolution fiscale est-elle nécessaire pour organiser l’économie circulaire et, plus généralement, pour promouvoir le développement durable ? Selon moi, toute fiscalité écologique – sur les déchets, sur le carbone – doit reposer sur le principe pollueur-payeur : les comportements vertueux doivent être financés par ceux qui sont préjudiciables à l’environnement. Les agences de l’eau fonctionnent très bien selon ce principe. Il est compréhensible et acceptable par tous, à condition qu’il soit strictement appliqué : les sommes prélevées sur les pollueurs doivent effectivement être consacrées à l’amélioration des performances environnementales ou à la dépollution. Toute autre utilisation remettrait en cause la crédibilité de la démarche. À cet égard, je mets en garde la représentation nationale contre les tentatives récurrentes de ponctionner les fonds des agences de l’eau.

Quant à la tarification incitative que nous avons importée en France il y a quelques années après l’avoir expérimentée en Australie, elle vise davantage à réduire le volume des déchets qu’à favoriser leur recyclage. C’est une technique désormais bien maîtrisée par la plupart des grands opérateurs présents sur le marché français. Si une collectivité nous demande de la mettre en place, nous sommes en mesure de le faire. Nous avons également organisé, dans certains quartiers, une collecte pneumatique, qui permet de supprimer certaines nuisances, notamment les tournées de camions-poubelles.

M. Gilles Savary. Au sein de la commission des affaires européennes, j’ai été rapporteur de la proposition de directive sur les concessions : elle m’a paru très confuse. Il faut sans doute y voir, comme souvent, le résultat des interventions successives de lobbies aux intérêts divergents. À la demande de l’Allemagne – cela serait lié aux activités d’une Stadtwerk allemande dans la région nantaise –, il serait question de permettre aux sociétés d’économie mixte (SEM) d’échapper aux appels d’offres dès lors que leur capital est détenu à moins de 20 % par des personnes privées. En France, nous avions créé le statut de société publique locale (SPL) précisément parce que la législation et la jurisprudence européennes n’autorisaient pas les collectivités publiques à dispenser les SEM de mise en concurrence. Il est troublant de faire ainsi marche arrière. Quel est votre point de vue sur cette question ?

M. Antoine Frérot. Le retrait du secteur de l’eau du champ de la directive sur les concessions n’est pas lié au fait qu’une grande Stadtwerk allemande a racheté une petite entreprise de gestion de l’eau en France. En revanche, il semblerait que ladite entreprise, qui ne parvenait pas à remporter beaucoup de contrats de gestion de l’eau en France, a porté plainte pour violation des règles de la concurrence auprès de la Commission européenne, laquelle a lancé une enquête sur le marché de l’eau en France. La Commission a déployé de nombreux moyens – une centaine de personnes pendant plusieurs semaines, deux années de suite – et a finalement classé l’affaire sans suite.

M. Rainier d’Haussonville, directeur des affaires publiques de Veolia Environnement. Les Stadtwerke allemandes ont été très actives auprès du Parlement européen, de la Commission et du Conseil. Nombre d’entre elles ne sont pas en conformité avec les règles de concurrence européennes : elles ont obtenu des marchés publics ou des concessions dans le secteur de l’eau sans mise en concurrence, alors même qu’elles ne remplissent pas les critères fixés par la Cour de justice de l’Union européenne qui leur permettraient de s’en dispenser. Elles ont donc demandé que la directive prévoie un régime dérogatoire pour elles. Cette dérogation allait si loin que la Commission a fini par retirer le secteur de l’eau du champ de la directive. C’est là le résultat non pas de la campagne « L’eau : un droit humain », mais du rapport de forces entre le lobby des Stadtwerke et les institutions européennes.

En vertu de la jurisprudence européenne, les entreprises ne peuvent être dispensées de mise en concurrence que dans deux cas précis. Premièrement, lorsque leur capital est détenu à 100 % par une personne publique – elles sont alors dites « in-house ». Le lobby des Stadtwerke a fait pression pour que le capital de ces entreprises soit ouvert à des personnes privées tout en continuant à bénéficier de la dérogation au principe de mise en concurrence. Il convient de s’élever contre cette dérive, comme l’a fait la Fédération des entreprises publiques locales française. Si la directive devait comporter une telle disposition, il serait toujours possible de ne pas transposer celle-ci en France. Il appartiendra au Parlement d’en décider.

Le second cas d’exemption est celui des SEM ou des entreprises de statut équivalent dont 80 % de l’activité dépend d’un donneur d’ordre – on parle alors d’« entreprises liées ». Toutefois, ce critère ne peut être invoqué en France, le Conseil constitutionnel ne l’ayant pas retenu dans sa jurisprudence, selon nous à juste titre. Les Stadtwerke ont demandé que cette dérogation figure dans la directive. Si tel était le cas, il appartiendrait là encore au Parlement de se prononcer pour la France.

M. Antoine Frérot. Dans le secteur de l’eau, les entreprises françaises ont une carte à jouer en Europe. Elles l’ont déjà fait là où c’était possible. Nous regrettons que l’Union européenne n’ait pas légiféré sur les concessions dans ce secteur. Il serait pourtant nécessaire de clarifier les règles en la matière, s’agissant notamment de la compatibilité entre gestion déléguée et éligibilité aux aides européennes. C’est un point qui pose problème à Veolia, en particulier dans les pays d’Europe centrale. Le retrait du secteur de l’eau du champ de la directive s’est fait dans l’opacité. À ce stade, le Parlement européen ne s’est pas prononcé sur la question. Peut-être le fera-t-il lorsqu’il examinera la proposition de directive, ou plutôt ce qu’il en reste.

Je profite de cette audition pour faire une suggestion. Comme vous le savez, de nombreux jeunes Français – environ 20 % de chaque classe d’âge – sortent du système scolaire sans qualification. C’est un problème grave et difficile à traiter. Dans notre secteur d’activité et dans d’autres, notamment le BTP et les transports, les emplois ne sont pas délocalisables. Nos métiers sont, en outre, adaptés à l’apprentissage. Dès lors, la commande publique ne pourrait-elle pas jouer un rôle en matière de formation professionnelle diplômante ? Les entreprises bénéficiaires de commandes publiques pourraient être soumises à l’obligation de former un certain nombre de jeunes sortis du système scolaire sans qualification, en fonction du montant et de la durée des contrats. Les filières professionnelles sont prêtes à répondre à une telle demande. Le dispositif ne défavoriserait en rien les entreprises françaises face à la concurrence. Il coûterait simplement un peu plus d’argent aux collectivités publiques... et leur rapporterait beaucoup en proposant un métier et un emploi à ceux à ceux qui, sinon, n’en trouveront pas.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie, monsieur le président-directeur général.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 9 juillet 2013 à 16 h 30

Présents. - M. Alexis Bachelay, M. Philippe Bies, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, M. Arnaud Leroy, M. Jean-Luc Moudenc, M. Bertrand Pancher, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Florent Boudié, M. Vincent Burroni, M. Patrice Carvalho, M. Stéphane Demilly, M. Philippe Duron, M. Michel Heinrich, M. Christian Jacob, M. Napole Polutélé, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Gabriel Serville

Assistait également à la réunion. - M. Éric Alauzet