Accueil > Travaux en commission > Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mercredi 10 juillet 2013

Séance de 16 heures

Compte rendu n° 82

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président et de M. Gilles Carrez Président de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

– Audition, ouverte à la presse, conjointe avec la commission des finances, de M. Jacques Rapoport, président de RFF

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu, conjointement avec la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, M. Jacques Rapoport, président de RFF.

M. le président Gilles Carrez. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jacques Rapoport, président de RFF, que je remercie d’avoir répondu à notre invitation.

Monsieur le président, nous avons souhaité vous recevoir pour évoquer non seulement le projet de loi sur les transports ferroviaires qui sera discuté à l’automne prochain, mais aussi les différents projets d’infrastructures sous maîtrise d’ouvrage de RFF. Nous avions prévu, dans un premier temps, de vous recevoir avec le président de la SNCF. Cela n’a finalement pas été possible ; néanmoins, nous avons maintenu votre audition. Nous envisageons d’entendre le président de la SNCF à la rentrée de septembre.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je remercie le président de la Commission des finances d’avoir pris l’initiative d’organiser cette réunion commune. La Commission du développement durable, dont la compétence s’étend au secteur des transports, a déjà eu l’occasion d’entendre M. Jacques Rapoport, et se joindra donc à la Commission des finances en septembre pour entendre M. Guillaume Pepy, président de la SNCF.

La réforme ferroviaire qui se profile est importante et très attendue. Je vous cède donc sans plus attendre la parole, monsieur le président.

M. Jacques Rapoport, président de Réseau ferré de France (RFF). Voilà maintenant six mois que je préside RFF ; j’ai le privilège d’exercer un métier passionnant, où les sujets à traiter sont inépuisables.

Mon propos consistera d’abord à expliquer à quel point le statu quo est inacceptable, et pourquoi le projet de loi que M. Frédéric Cuvillier, ministre des transports, a annoncé le 29 mai dernier est indispensable.

La situation actuelle est inacceptable pour deux grandes raisons. La première est que notre réseau ferroviaire n’est pas conforme aux besoins du service public du XXIème siècle, et cela pour des raisons structurelles, sur lesquelles nous ne pouvons rien, et pour des raisons plus pratiques, sur lesquelles nous pouvons beaucoup. La première spécificité de ce réseau tient à sa construction en étoile, à partir de Paris, au XIXème siècle. Il serait certes préférable d’avoir un réseau maillé, mais il faut faire avec ce que nous avons, et trouver les solutions qui permettent de contourner l’obstacle. La seconde difficulté est plus facile à résoudre : pendant trente ans, de la fin des années 70 à la fin des années 2000, ce réseau n’a pas bénéficié des travaux de maintenance, de renouvellement, de rénovation et de modernisation qu’il aurait mérités. Des efforts de modernisation très importants ayant été consentis durant les années 60 et 70, il n’était pas anormal de marquer une pause durant les années 80. Ce qui est moins normal, c’est que cette pause se soit étendue sur plusieurs décennies.

Durant cette période, la France a considérablement investi dans le TGV, au détriment donc de la maintenance et de la modernisation du réseau existant. Vous en connaissez les conséquences : nous peinons à accroître l’offre dans les zones saturées, avec toutes les difficultés que cela implique en termes de régularité. Par ailleurs, notre offre n’est pas adaptée au fret ferroviaire, dont nous souhaitons tous le développement. Malgré les plans mis en œuvre par les pouvoirs publics, les parts de marché du fret continuent donc de décliner. La raison en est simple : compte tenu des travaux auxquels nous procédons sur le réseau et des caractéristiques et de l’ancienneté de celui-ci, nous nous heurtons à des difficultés pour assurer un service de transport ferroviaire de marchandises à la hauteur des besoins des chargeurs et du transfert modal que nous souhaitons.

Gardons-nous cependant de noircir le tableau : nous avons l’un des plus beaux réseaux du monde. Simplement, celui-ci n’est plus à la hauteur de ce qu’il devrait être.

Une seconde raison rend le statu quo inacceptable : la situation financière de RFF est profondément dégradée. La dette du système ferroviaire s’élève aujourd’hui à 40 milliards d’euros, dont 32 milliards pour RFF et 8 milliards pour la SNCF. Cette dette s’accroît de 3 milliards par an. En effet, nous investissons 5 milliards par an, et nous avons 2 milliards de ressources d’investissements ; 3 milliards d’investissements sont donc financés par de la dette nouvelle, sachant que compte tenu du refinancement, nous avons besoin de lever 5 milliards tous les ans, soit près de 400 millions par mois. Ce sont des sommes considérables.

Ces 5 milliards d’investissements par an se répartissent à parts égales entre deux catégories d’investissements : d’abord 2,5 milliards d’euros d’investissements sur le réseau existant, qui sont bien des investissements au plan comptable, mais pourraient être considérés sur le plan économique comme des dépenses de fonctionnement. Pour les 1 000 kilomètres de voies qui sont régénérés chaque année, il s’agit bien d’un investissement, mais pour l’ensemble du réseau, on pourrait quasiment parler de dépenses de fonctionnement. C’est là que surgit la difficulté : financer des dépenses courantes par de la dette, c’est en effet accumuler de la « mauvaise dette ».

La seconde moitié des 5 milliards d’investissements correspond à la contribution que nous apportons à la création de lignes nouvelles. Arithmétiquement, elle peut être qualifiée de « bonne dette », puisqu’elle est réglementairement limitée à la capitalisation des péages futurs, diminuée des dépenses de fonctionnement futures. Les textes en vigueur – qui ont été bien pensés – prévoient donc que RFF ne peut investir qu’à la hauteur du retour attendu de ces investissements. C’est ce que nous faisons. J’entends parfois dire que nous « tordons » cette règle en rendant le calcul plus favorable. Ce n’est pas exact : le calcul est bien fait ; mes prédécesseurs et moi-même avons toujours été vigilants ; le ministre des transports nous a toujours aidés à définir une contribution pertinente. Il est vrai que les dépenses d’investissement peuvent se révéler un peu plus élevées que prévu ; dans la limite de 5 % à 10 %, cela n’est pas nécessairement choquant. C’est aussi le cas des dépenses de maintenance, surtout au-delà de 300 kilomètres heure. Le résultat ex post sera alors moins favorable que le calcul ex ante, même si cette dette peut être qualifiée de « bonne ».

La montée de cette dette – 32 milliards aujourd’hui – paraît inéluctable, compte tenu à la fois des quatre lignes nouvelles en cours et du volume d’investissements que nous consentons sur le réseau, qui est deux fois et demi plus élevé qu’il y a cinq ans – nous sommes passés de 1 milliard à 2,5 milliards – mais reste inférieur de 20 % à ce que recommandent les audits techniques. L’institution la plus reconnue en la matière, l’École polytechnique fédérale de Lausanne, qui a conduit deux audits, l’un en 2005 et l’autre en 2012, a constaté que l’augmentation des investissements avait permis de ralentir considérablement la dégradation du réseau, mais que nous n’étions pas encore au niveau sur le plan technique, et que l’effort doit donc être poursuivi.

Cette augmentation de la dette crée une vraie menace financière. Dans les comptes de RFF, la valeur du réseau – et donc le niveau de la dette qu’il peut supporter – est calculée non seulement sur le plan comptable, mais aussi économiquement, avec des tests de dépréciation des actifs. Ce sont les recettes futures, diminuées des charges futures, qui permettent, dans un calcul de capitalisation, d’apprécier la valeur du réseau. Notre dette s’établit aujourd’hui à 32 milliards d’euros, tandis que notre réseau économiquement utile a été estimé à 35 milliards. La valeur économique du réseau reste donc légèrement supérieure à sa valeur comptable. Mais compte tenu des perspectives, notamment de la montée des amortissements liée aux travaux que nous réalisons, et du plafonnement des capacités d’augmentation des péages, il est à peu près établi que nous devrons passer une provision pour dépréciation dans les années qui viennent. La dette est en effet telle que la valeur du réseau risque d’être insuffisante pour assurer l’équilibre de l’ensemble. Les conséquences de la constitution de cette provision seraient au nombre de deux. Tout d’abord, nos conditions d’emprunt pourraient être moins favorables qu’aujourd’hui. Ce risque est cependant assez faible : ce ne sont pas nos comptes qui déterminent le niveau du spread que nous payons ; c’est notre proximité avec l’État. En revanche, si nous sommes conduits à déprécier la valeur du réseau, la question du caractère non « maastrichtien » de cette dette viendrait sans doute à se poser – en partie seulement, puisque l’essentiel de nos recettes restent des recettes commerciales.

J’attire par ailleurs votre attention sur un point qui est peu évoqué. Entre 2008 et 2012, les péages acquittés par les opérateurs ferroviaires ont augmenté de 40 %. M. Guillaume Pepy vous expliquera – et je suis d’accord avec lui – que le TGV est en difficulté, et que cette hausse considérable des péages ne lui permet pas de dégager la capacité d’autofinancement nécessaire pour financer le renouvellement des matériels roulants. L’augmentation des péages concerne essentiellement le TGV et les TER, c’est-à-dire les régions. Sachant que cette hausse de 40 % correspond à 1 milliard d’euros, cela signifie que RFF a prélevé 1 milliard d’euros de plus sur ses clients pour financer le système ferroviaire. En parallèle, les subventions de l’État ont diminué de 20 %. En euros constants, la masse des péages – qui était la même que celle des subventions, à savoir 2,5 milliards d’euros en 2007-2008 – a augmenté de 25 %, tandis que les subventions de l’État diminuaient dans la même proportion. Autrement dit, nous avons mobilisé au cours de ces cinq années un gisement de hausse des péages – qui est désormais épuisé – non pas pour financer le système ferroviaire, mais pour permettre une baisse des subventions de l’État. Bref, nous avions là une marge de manœuvre qui n’existe plus et n’a pas profité au système de transports. Environ 750 millions d’euros constants ont ainsi été transférés de l’État aux péages. Je souligne qu’entre 2012 et 2014, les subventions de l’État sont stables. Le processus de réduction des subventions au profit d’une augmentation des péages semble donc interrompu.

Un dernier élément de dysfonctionnement vient entraîner des conséquences financières. RFF a été constitué – en 1997 – et s’est développé dans une logique de maîtrise d’ouvrage : il est responsable du réseau, de la politique d’investissement et de modernisation. Mais la maîtrise d’œuvre relève de la SNCF, plus exactement de la direction des infrastructures et de la direction de la circulation ferroviaire (DCF). La relation entre la direction des infrastructures et RFF est une relation de client à fournisseur, dans laquelle les intérêts sont désalignés. L’intérêt de RFF est de payer le moins possible, celui de SNCF Infrastructure de percevoir le plus possible. SNCF Infra dégage d’ailleurs une marge qui concourt à celle de la SNCF, ce qui est normal – un fournisseur se doit d’assurer une activité rentable. Ce système de désalignement des intérêts entre le gestionnaire d’infrastructure et le gestionnaire d’infrastructure délégué est source de conflits, de gestion juridique, de conventions et de contractualisation. Beaucoup d’énergie s’épuise ainsi pour gérer les relations entre deux entreprises publiques qui devraient logiquement travailler ensemble. De surcroît, cela ne permet pas pour autant de mettre en œuvre une véritable politique pluriannuelle, indispensable s’agissant d’infrastructures lourdes, puisque nous sommes soumis aux conventions annuelles et aux « guerres de tranchées ».

Voilà donc les raisons pour lesquelles le statu quo est inacceptable. Ce point fait d’ailleurs l’objet d’un large consensus depuis les Assises du ferroviaire, en 2011, d’où le projet de réforme institutionnelle que le Conseil des ministres a adopté et que le ministre des transports a présenté le 29 mai dernier.

Si la nécessité de réformer le système fait l’objet d’un consensus, deux positions contradictoires s’opposent sur les solutions à mettre en œuvre. Le corps social des cheminots exprime le souhait d’une réintégration complète, avec la suppression de RFF et l’intégration de l’ensemble des fonctions ferroviaires dans une seule entreprise. Cette solution mérite d’être examinée, mais elle présente à mes yeux des difficultés insurmontables. Tout d’abord, elle exige – au regard de la réglementation européenne – d’externaliser les allocations de capacité, c’est-à-dire la définition des sillons. Le cœur du réacteur serait ainsi sorti de la centrale. En ce sens, il ne peut s’agir d’une réforme intégratrice. L’un des enjeux essentiels du système ferroviaire, à savoir la gestion de la circulation ferroviaire et les allocations de sillons, devrait en effet être externalisé. Or compte tenu du volume de travaux à gérer sur le réseau, l’équilibre entre les plages de travaux et la circulation des trains est un sujet de débat permanent. Il est donc préférable que nous ayons ce débat « en famille ». Vous vous souvenez tous de la crise des sillons de 2011 ; un système séparant à nouveau les activités conduirait nécessairement à de nouveaux conflits. Or ce volume de travaux devra se maintenir durant au moins dix ou quinze ans. Le dernier inconvénient de cette solution concerne l’extension des facilités essentielles – c’est-à-dire les activités qui, au sens de la réglementation communautaire, doivent être complètement séparées des opérateurs ferroviaires, et sont aujourd’hui limitées à la tarification et à l’allocation des capacités – à la maintenance et aux investissements. Dans la mesure où cette extension apparaît inéluctable, l’intégration de l’ensemble des fonctions ferroviaires dans un seul établissement public ne pourrait constituer qu’une réforme transitoire.

L’autre position, qui est celle préconisée par la Commission européenne, encore que celle-ci ait sensiblement évolué dans les derniers mois, consiste à séparer complètement l’infrastructure et le transport. Vingt entreprises ferroviaires font aujourd’hui circuler des trains sur le réseau. Si chacune détenait 5 % du marché, il faudrait bien sûr un gestionnaire d’infrastructure complètement séparé des entreprises ferroviaires. Or ce n’est pas le cas : dix-neuf de ces entreprises détiennent ensemble 5 % du marché, tandis que la vingtième en détient 95 %. Nous rejoignons ici le débat sur l’ouverture à la concurrence, dans lequel je n’entrerai pas – il concerne les pouvoirs publics. Il est évident que les besoins des entreprises ferroviaires qui détiennent 0,2 % ou 0,3 % du marché et ceux de l’entreprise ferroviaire qui en détient 95 % ne sont pas les mêmes. La toute petite entreprise ferroviaire a besoin d’avoir son sillon, son quai de chargement et son quai de déchargement ; elle ne se préoccupe pas directement du fonctionnement global du système ferroviaire. En revanche, l’entreprise qui détient 95 % du marché est, évidemment, totalement concernée par le bon fonctionnement d’ensemble du réseau. Pour prendre un exemple concret, nous devons renouveler l’ensemble des systèmes d’exploitation de la gare de Lyon : tout incident dans ce renouvellement affectera la SNCF, mais beaucoup moins l’entreprise de fret Euro Cargo Rail (ECR). La relation entre le gestionnaire d’infrastructure et l’entreprise ferroviaire ne peut donc être complètement coupée – et ne doit pas l’être – dès lors que cette entreprise est concernée au premier chef par la logique systémique.

Le Conseil des ministres a arrêté, le 29 mai dernier, à la lumière des rapports de MM. Jean-Louis Bianco et Jacques Auxiette, et des propositions que Guillaume Pepy et moi-même avons faites au ministre des transports, des orientations qui répondent exactement à ces enjeux.

Il s’agit de mettre en œuvre une double intégration. Il y a d’abord l’intégration globale du système : RFF et la SNCF sont intégrés dans un groupe public industriel unifié, afin d’assurer à la fois l’unité stratégique, indispensable compte tenu du rôle de l’opérateur historique et du gestionnaire d’infrastructure, l’unité économique, sachant que RFF perd aujourd’hui 1,5 milliard d’euros par an, quand la SNCF en gagne 500 millions, et qu’il y a donc une vraie logique à avoir un système financier intégré, et enfin l’unité sociale. Sur ce dernier point, chacun s’est prononcé en faveur du maintien du statut de cheminot et de son applicabilité sur l’ensemble du système. Nous avons là une intégration de niveau stratégique de l’ensemble du secteur public ferroviaire, qui garantit cette unité et assure l’harmonisation des positions, en logique système, de l’opérateur historique et du gestionnaire d’infrastructure.

Au sein de ce groupe intégré, nous aurons une entreprise de plein exercice en charge de l’infrastructure, qui assurera les activités de maîtrise d’ouvrage aujourd’hui assurées par RFF et les activités de maîtrise d’œuvre opérationnelle de SNCF Infra et de la DCF : c’est le gestionnaire d’infrastructure unifié (GIU), qui répond pleinement aux exigences communautaires d’indépendance à l’égard non pas du groupe ferroviaire, mais de l’opérateur historique, les deux « filles » du groupe « mère » continuant à être liées par des relations commerciales, puisque l’opérateur historique continuera de payer des péages au gestionnaire d’infrastructure.

Ce projet de réforme répond donc aux enjeux qui sont ceux du système ferroviaire.

Il permettra d’abord un redressement financier effectif. Les analyses approfondies auxquelles nous avons procédé nous ont permis d’estimer le coût des dysfonctionnements entre gestionnaire d’infrastructure et gestionnaire d’infrastructure délégué à environ 10 %. Nous nous engageons à les rattraper en cinq ans, ce qui correspond à un gain de productivité de 2 % par an, lié à un meilleur mécanisme institutionnel. Il s’agit non pas de modifier les conditions de travail, mais d’améliorer le système d’organisation au sein de la « sous-famille » infrastructure. Ces 10 % représentent 500 à 600 millions d’euros, soit un bon tiers du déficit actuel de RFF.

Par ailleurs, la SNCF vise une augmentation de 1 milliard de sa marge opérationnelle, qu’elle se propose d’affecter aux investissements, à raison de la moitié pour les investissements propres du transporteur, notamment le matériel roulant, et son développement hors de France, et la moitié pour la modernisation du réseau.

Enfin, nous proposons que les dividendes et l’impôt sur les sociétés payés par la SNCF restent dans le système ferroviaire. Cela ne doit pas être regardé comme une subvention supplémentaire de l’État. Simplement, prélever 500 millions dans un système qui est globalement déficitaire peut paraître étrange.

Nous avons donc les moyens de rééquilibrer le système en cinq ans, de telle sorte que la dette cesse d’augmenter. Nous avons volontairement proposé des objectifs qui sont à notre portée ; nous n’avons notamment pas demandé que l’État reprenne les 32 milliards de dette de RFF.

Nous avons une « fenêtre » pour conduire cette réforme, et nous avons tout intérêt à l’utiliser. Je veux parler des échéances électorales de 2014, et surtout des discussions sur le quatrième « paquet ferroviaire » européen, qui vont s’accélérer à partir de l’automne. La Commission européenne vise en effet une première lecture avant l’échéance de son mandat, de telle sorte que la deuxième puisse ensuite intervenir rapidement. Or la France sera mieux à même de faire valoir son point de vue à Bruxelles si elle se présente avec un système ferroviaire modernisé et pertinent, plutôt qu’avec le dispositif actuel, qu’elle est la seule à avoir mis en œuvre en Europe et dont les dysfonctionnements sont notoires.

Le Gouvernement a déjà tiré les conséquences du rapport de la commission Mobilité 21. Je m’exprimerai pour ma part en tant que responsable d’un opérateur public, et non d’une autorité publique. Voilà longtemps que les opérateurs – RFF et la SNCF – ont fait valoir la nécessité de se pencher en priorité sur la modernisation du réseau existant. RFF est juridiquement propriétaire du réseau ferré. En réalité, il est dépositaire d’un bien national. La responsabilité de son président est donc de garantir à la nation un réseau en état normal de fonctionnement. Pour cela, il est nécessaire de mobiliser des ressources et des moyens afin de traiter les difficultés que connaît ce réseau, qui sont de deux ordres.

D’une part, notre réseau a vieilli ; la politique de renouvellement et de gros entretien qui a été engagée en 2007-2008 doit donc être poursuivie. Nous ne demandons pas que la somme de 2,5 milliards qui y est consacrée chaque année augmente ; nous souhaitons simplement qu’elle ne baisse pas, et cela sur une période assez longue. Il s’agit tout de même de 30 000 kilomètres de lignes.

D’autre part, un certain nombre – voire un nombre certain – de zones sont saturées. Je veux bien sûr parler des grandes métropoles, à commencer par l’Île-de-France – mais pas seulement. Il ne s’agit pas tant de créer des lignes nouvelles dans les zones urbaines – c’est un travail titanesque – que d’améliorer la performance du réseau existant, autrement dit la productivité du capital, c’est-à-dire de mettre en place des systèmes modernes, notamment les technologies numériques, sur lesquelles nous sommes très en retard, afin d’avoir des intervalles plus réduits entre les trains et de traiter tous ces nœuds et ces saturations, avec les investissements de développement nécessaires le cas échéant. Je pense non seulement à la gare souterraine de Marseille ou à la ligne Éole, qui sont absolument indispensables, mais aussi au déploiement des technologies numériques qui permettent d’être beaucoup plus efficace. Cela signifie non pas que nous sommes hostiles aux lignes nouvelles, comme je l’entends parfois, mais que la priorité doit aller à l’entretien et à la modernisation du réseau existant là où le besoin s’en fait sentir. Nous nous félicitons donc des conclusions de la commission Mobilité 21 et des décisions qui ont été prises par le Gouvernement.

M. Gilles Savary. Nous vous remercions pour le panorama que vous avez brossé de la situation de notre système ferroviaire. Chacun a compris qu’il est absolument nécessaire de s’intéresser, comme l’ont fait d’autres pays, à ce que nous avons de plus précieux, à savoir notre réseau classique, qui est en voie d’obsolescence – la circulation serait ralentie sur près de 3 000 kilomètres de lignes. Je précise que je ne parle pas seulement du sous-équipement en technologies nouvelles. Cette situation a un impact direct sur la vie quotidienne de nombre de nos concitoyens. Je me félicite donc que vous ayez rappelé qu’il convenait de traiter les goulets d’étranglement et les nœuds urbains avant de construire de nouvelles lignes, afin de pouvoir arbitrer entre les différents types de trafics qui y convergent – lignes à grande vitesse, trains d’équilibre du territoire, TER, dont le trafic a sensiblement augmenté, ou fret pour ceux – dont je suis – qui pensent qu’il peut encore être développé.

Mais cette réforme ne doit pas seulement être une réforme de la gouvernance : elle doit aussi servir une politique ferroviaire.

En ce qui concerne la question financière, les propositions se situent dans la droite ligne des Assises du ferroviaire. Après avoir différé toute prise de décision durant la période pré-électorale, il s’agit aujourd’hui de trancher. Les Assises ont révélé que nous étions dans une trajectoire financière insoutenable, sans pour autant disposer des moyens qui nous permettraient d’empêcher la dégradation du réseau et des services publics ferroviaires essentiels. La situation peut se résumer en quelques chiffres : 32 milliards d’euros de dette pour RFF, 7,2 milliards pour la SNCF, et 1,5 milliard d’hémorragie annuelle, c’est-à-dire de déficit, là où DB Netz, le réseau allemand, fait des profits.

Vous avez évoqué les conclusions de la commission Mobilité 21, et je salue à nouveau le travail courageux de notre collègue Philippe Duron. Force est cependant de reconnaître que les quatre « coups partis » conduisent mécaniquement à une dette de 61 milliards d’euros en 2025. Dans ces conditions, on peut douter de la validité du scénario retenu par le Premier ministre, à savoir le scénario 2, qui ne retient qu’une seule ligne à grande vitesse en 2030. Sa réalisation suppose en effet un triplement des capacités d’investissement et le maintien de la subvention de l’État à l’Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF), dont la suppression était pourtant prévue, tout cela abstraction faite des projets Seine-Escaut et Lyon-Turin. Cela fait tout de même beaucoup de conditions… Avec 61 milliards d’euros de dette en 2025, pourrez-vous vraiment relancer la machine pour la réalisation des lignes à grande vitesse ?

Par ailleurs, je n’ai pas bien compris comment vous entendez venir à bout du déficit structurel du système ferroviaire. Vous nous dites que 500 à 600 millions d’euros pourraient être obtenus grâce aux économies sur les frais de transaction, que la SNCF devrait participer à hauteur de 500 millions, ce qui la conduirait – toutes choses égales par ailleurs – à afficher une perte, puisqu’elle n’a pas 500 millions d’excédents. Enfin, vous envisagez que les dividendes de la SNCF soient reportés sur RFF, mais comme vous n’aurez plus de contrat avec la SNCF et qu’une partie de ces dividendes est liée à ce qu’elle vous facture aujourd’hui, ceux-ci s’évaporeront mécaniquement lorsque le GIU sera mis en place. Je ne suis donc pas convaincu que ce déficit de 1,5 milliard puisse être comblé rapidement.

M. Alain Gest. Vous venez de nous expliquer qu’une « double intégration » est envisagée au sein d’un groupe industriel unifié. En quoi cette solution permettra-t-elle de faire les économies d’échelle qui n’ont pu être réalisées jusqu’à présent ?

J’aimerais par ailleurs avoir votre regard personnel sur la compatibilité entre la réforme envisagée et le « paquet ferroviaire » européen.

Nous comprenons les besoins d’investissement qui sont les vôtres, et avons pris connaissance des propositions formulées par M. Philippe Duron, que le Premier ministre a reprises à son compte hier. Nous ne pouvons qu’être favorables à la priorité qu’il donne à l’entretien et à l’amélioration des réseaux existants. Mais sur les tracés des ex-trains Corail, les crédits prévus dans le plan concernent l’achat de matériels, et non les voies elles-mêmes. N’est-ce pas inquiétant ?

M. Bertrand Pancher. Je n’avais pas réalisé que la dépréciation du réseau pouvait entraîner une réintégration de la dette dans la dette publique prise en compte au titre des critères de Maastricht. Cela pourrait d’ailleurs être une « arme fatale » dans la discussion entre le système ferroviaire et l’État.

La réforme ferroviaire que le Gouvernement nous présente ne saurait résoudre à elle seule l’ensemble des questions qui se posent. Il ne faudrait donc pas que l’arbre cache la forêt. Vous vous engagez à faire des économies d’échelle. Peu nombreux sont ceux qui pensent que vous y parviendrez – en tout cas à ce niveau. Bref, nous avons du mal à concevoir comment cela se réalisera.

Vous nous dites que le niveau de la participation de l’État doit augmenter. La réduction des prélèvements – car il est vrai que le résultat de la SNCF a été artificiellement grossi – sera-t-elle suffisante ? Ne faut-il pas envisager d’autres moyens de financement ?

Par ailleurs, il est temps de parler clairement des conditions d’augmentation de la productivité de l’ensemble du système ferroviaire français. Quelles que puissent être les craintes quant à de possibles mouvements sociaux, la comparaison du fonctionnement de ce système avec celui de nos voisins, en particulier allemands, montre qu’il existe des gains de productivité potentiels. Le cas des transports de marchandises est assez emblématique à cet égard.

Nous avons sans doute intérêt à travailler sur l’ensemble de ces domaines pour éviter que la dette n’augmente dans des proportions insoutenables vis-à-vis de Bruxelles.

Mme Eva Sas. Vous dressez deux constats inquiétants. D’une part, le vieillissement du réseau se poursuivrait – selon l’École polytechnique de Lausanne – malgré les investissements consentis ces derniers temps. D’autre part, l’État s’est désengagé du système ferroviaire jusqu’en 2012. La commission Mobilité 21, dont je faisais partie, ainsi que Bertrand Pancher et Philippe Duron ici présents, a préconisé des augmentations d’enveloppe, à hauteur de 35 millions d’euros pour le fret ferroviaire et 70 millions d’euros pour les contrats de projet État-région (CPER) chaque année, mais pas pour la subvention allouée à RFF pour la modernisation des réseaux, ce qui m’a étonnée. Les services compétents nous ont en effet opposé que le réseau ne pourrait pas supporter de travaux supplémentaires. C’est assez inquiétant, puisque cela reviendrait à dire qu’il est impossible de freiner le vieillissement du réseau.

Sur quelle période la baisse de 750 millions d’euros de la subvention d’équilibre s’entend-elle ?

Comment expliquez-vous qu’il ne soit pas recommandé d’augmenter la subvention d’équilibre allouée à RFF pour la modernisation des réseaux, alors même que vous partagez cette préoccupation de la commission Mobilité 21 et que celle-ci préconise une augmentation de 110 millions d’euros par an pour les programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) ? Est-ce dû à l’importance des travaux, ou au caractère non « maastrichtien » de la dette de RFF par rapport à celle de l’État ?

M. Olivier Faure. Je vous remercie, monsieur le président, de la précision et de la franchise de votre exposé.

La perte sèche des dividendes de la SNCF qui ne seraient plus reversés à RFF sera-t-elle compensée par l’augmentation des péages – vous avez-vous même souligné que le niveau atteint rendait impossible une telle solution –, par des subventions supplémentaires ou par d’autres ressources et, si oui, lesquelles ?

Vous avez évalué à 10 % le coût des dysfonctionnements et à 2 % les gains de productivité sur cinq ans : dans quels domaines ces gains seraient-ils réalisables ?

Votre prédécesseur a justifié le maintien du système ferroviaire français actuel par le fait que l’apparition de RFF a permis de mieux maîtriser les coûts de fonctionnement. Si c’est vrai, avez-vous évalué l’apport de RFF en la matière ? Comment peut-on s’assurer que l’intégration ne se traduira par une augmentation de ces coûts ?

M. Philippe Duron. Je tiens à vous remercier, monsieur le président, pour vos propos clairs et réalistes, ainsi que pour ceux que vous avez tenus à l’adresse des dix membres de la commission Mobilité 21.

Le fait que l’article 4 de ses statuts permette à RFF d’investir à hauteur des péages escomptés vous pose-t-il problème ? Cet article ne vous met-il pas en danger en vous obligeant à réinvestir, voire à surinvestir ?

Le ministre des transports vous a demandé d’établir un grand projet de modernisation du réseau. Quant à la commission Mobilité 21, elle vous recommande de privilégier l’entretien du réseau existant et de traiter les nœuds ferroviaires – Lyon-Part-Dieu, la gare Saint-Charles de Marseille, les grandes gares parisiennes. Quel sera le modus operandi ? La gestion du trafic de ces gares importantes se révélant très difficile, RFF dispose-t-elle de l’ingénierie nécessaire ?

Vous avez évoqué la modernisation du réseau. Le recours au système européen de surveillance du trafic ferroviaire – en anglais, European Rail Traffic Management System (ERTMS) – est nécessaire pour disposer d’une signalisation digitalisée et efficace, seule à même d’augmenter le trafic. Réfléchissez-vous également à une centralisation et à une digitalisation des aiguillages susceptibles, comme au Japon, d’intensifier le trafic sur le réseau ?

M. Jacques Rapoport. Je confirme qu’aujourd’hui nous sommes face à une poursuite très lente du vieillissement – la situation s’est nettement améliorée par rapport à celle qui prévalait entre 1980 et 2010 –, alors que le volume des travaux a quasiment atteint la saturation. Il est toujours possible d’améliorer l’organisation de nos chantiers, mais il n’est pas raisonnable d’escompter une augmentation significative des travaux. Les débats sont souvent vifs avec les conseils régionaux.

Le vieillissement n’est pas inéluctable pour autant. Il convient d’orienter nos travaux vers les lignes qui le méritent le plus. Depuis 2007 et 2008, nos moyens ont ainsi été concentrés sur les petites lignes, car, si nous n’avions rien fait, nous aurions dû les fermer. Une fois que ces lignes auront été traitées – soit par les investissements qu’elles méritent, soit dans certains cas par un transfert à la route –, il deviendra possible de réorienter nos moyens vers les grandes lignes, non sans provoquer des difficultés d’arbitrage encore plus importantes entre les travaux et la circulation. Si l’enveloppe de 2,5 milliards perdure encore quinze ans, nous réussirons à remettre notre réseau à niveau.

L’article 4 des statuts de RFF n’est rien d’autre qu’une règle normale de retour sur investissement : une entreprise investit à la hauteur du retour attendu de ses investissements. Cet article protège RFF qui, autrement, subirait des pressions très fortes. De plus, je le confirme, il est appliqué efficacement. Le taux d’intérêt actuariel de 8 % comprend 3 % de prime de risque.

Toutefois, avec 32 milliards d’euros de dettes et une perspective de 40 milliards, voire davantage, dans trois ou quatre ans, le calcul actuariel doit peut-être, à un moment ou un autre, céder la place à l’analyse du bilan, mais les décisions appartiendront aux pouvoirs publics. Le souci de l’entreprise RFF est d’investir à bon escient : le conseil d’administration y veille et les discussions avec les ministères se déroulent dans de bonnes conditions.

S’agissant des 1,5 milliard d’euros de productivité, dont vous doutez, je rappellerai qu’un gain de 10 % de productivité sur l’infrastructure en cinq ans – cela fait 2 % par an – est à la portée de toute entreprise. Je prends un exemple : la séparation entre RFF et SNCF Infra a pour conséquence de dédoubler la maîtrise d’ouvrage. Par ailleurs, lorsque nous réalisons des travaux qui sont, sur le plan comptable, des investissements, mais, sur le plan économique, des frais de fonctionnement puisqu’ils se renouvellent tous les ans, l’absence de visibilité de nos ressources sur plus de deux ans se répercute à la hausse sur les marges réclamées par les entreprises, alors que, dans le cadre d’un système intégré, nous pourrons programmer nos investissements sur cinq à dix ans, ce qui permettra d’obtenir de meilleurs prix. Nous entrerons alors dans une logique de coopération avec la filière industrielle, en maintenance comme en ingénierie ou en travaux. Ces remarques concernent le GIU.

S’agissant du groupe public, je prendrai un autre exemple. En matière de bruit ferroviaire, RFF raisonne en termes de murs anti-bruit et de traitement de la voie, et la SNCF en termes de bruit des roues et de traitement des moteurs. Si nous travaillions ensemble, nous pourrions trouver des solutions à la fois meilleures et moins coûteuses. L’éclatement du système, qui répondait à des objectifs de meilleures performances, a donc eu des effets contraires. Voilà pourquoi les gains de productivité que j’ai évoqués sont réalisables. Sur le milliard et demi, nous demandons 500 millions à l’État via le non-prélèvement de ses dividendes et de l’impôt sur les sociétés : l’effort réel de productivité s’élèvera donc à un milliard, qui correspond à 5 % de productivité globale à échéance de cinq ans – le système ferroviaire coûte 20 milliards par an. Je rappelle aussi que sur ses 38 milliards de chiffre d’affaires, la SNCF pourra dégager 500 millions d’euros pour améliorer le réseau. C’est pourquoi je ne partage pas votre scepticisme : un système intégré nous permettra de travailler plus efficacement.

La réforme annoncée par le ministre le 29 mai dernier est compatible avec le droit européen en vigueur. Celui-ci prévoit en effet l’indépendance des fonctions essentielles, qui seraient logées dans le gestionnaire d’infrastructure, lequel serait rattaché à sa maison mère sans l’être à l’entreprise ferroviaire. Pour garantir que l’entreprise ferroviaire n’aura pas d’autorité sur le gestionnaire d’infrastructure via la maison mère, le Gouvernement a prévu la création d’un conseil de surveillance composé des parties prenantes et celle d’un directoire composé des deux présidents des filiales, sans voix prépondérante. La maison mère ne pourra donc pas imposer ses volontés au gestionnaire d’infrastructure. En revanche, la réforme n’est pas compatible avec la proposition de quatrième paquet de la Commission européenne, qui tend soit à la séparation totale, soit à l’édification de véritables « murailles de Chine » – les présidents des filiales ne pourraient alors plus faire partie du directoire de la maison mère. Il n’est pas raisonnable, toutefois, d’anticiper un droit communautaire qui n’est pas encore défini : la discussion sur la partie institutionnelle du quatrième paquet n’a pas encore débuté. La France pourra faire valoir son point de vue le moment venu.

Monsieur Philippe Duron, oui, nous avons l’ingénierie nécessaire. RFF – et je rends hommage à mon prédécesseur – a assuré le développement d’une ingénierie ferroviaire française en dehors même de SNCF-RFF. La France dispose de quatre grandes ingénieries : Systra – filiale SNCF-RATP – ; SETEC, qui est possédé par ses membres ; Egis, qui est une filiale de la Caisse des dépôts et consignations ; et Ingérop. J’ai bien l’intention de poursuivre dans cette voie pour une raison bien simple : la diversité des savoirs et des équipes permet de renforcer la France à l’international.

L’intégration risque-t-elle de nous faire perdre cet apport important ? Le système tel qu’il a été conçu en 1997 ayant, comme on dit, épuisé sa force propulsive, il est temps de passer à une autre étape. RFF, qui détient la totalité des compétences du gestionnaire d’infrastructure, n’a malheureusement pas les moyens de ses compétences, lesquels sont au sein de SNCF Infra et de la DCF. C’est la logique même de l’évolution de l’acquisition des savoirs et des compétences qui nous conduit à disposer des moyens de nos compétences. Cette nouvelle étape permettra à RFF de valoriser son apport.

Enfin, entre 2008 et 2012, les subventions de l’État ont baissé de 500 millions en euros courants et de 750 millions en euros constants. Parallèlement, les péages ont augmenté de 1 milliard, soit 750 millions en euros constants. Je ne peux que regretter l’assèchement de la réserve de hausse des péages, qui augmenteront désormais comme l’inflation. Si les péages augmentaient d’un point au-delà de celle-ci, le financement du réseau serait stabilisé, mais ce n’est qu’une hypothèse.

Mme Martine Lignières-Cassou. L’acte III de la décentralisation prévoyait le transfert aux régions des trains d’équilibre du territoire – TET. Or hier, le Premier ministre a longuement évoqué les Intercités et les contrats de projets État-région – CPER. Les collectivités territoriales, notamment les régions, ne risquent-elles pas d’être appelées plus qu’elles le sont actuellement à participer à la modernisation du réseau ferroviaire ?

M. Jean-Luc Moudenc. La réforme ferroviaire permettra, selon vous, de stabiliser la dette. Une réflexion est-elle actuellement menée sur la résorption à plus ou moins long terme de la dette existante ?

Comment situez-vous RFF par rapport aux perspectives ouvertes par le Premier ministre à la suite des préconisations de la commission Mobilité 21 ? Quel rôle voyez-vous pour RFF dans le chapitre transports des investissements d’avenir ? Pour partie, les annonces reprennent des projets en cours dont RFF est co-financeur – je pense à quatre LGV, notamment celle reliant Bordeaux à Toulouse –, mais le scénario 2, préconisé par la commission Mobilité 21 et repris par le Premier ministre, implique de tripler l’effort financier pour soutenir les investissements d’ici à 2020. RFF pourra-t-il assurer une part de l’effort supplémentaire ?

Mme Laurence Abeille. Nous manquons de visibilité sur ce que sera le réseau ferroviaire dans quinze ou vingt ans, alors que c’est une question indispensable en termes de développement durable et d’aménagement du territoire. Il est du reste très difficile d’obtenir une carte du réseau ferroviaire français – une seule, difficilement accessible, se trouve sur le site de RFF, la SNCF n’en proposant aucune. Peut-être la fusion des deux entreprises permettra-t-elle aux usagers des transports ferroviaires de disposer d’une visibilité de l’ensemble du réseau.

Un remaillage du territoire est-il envisageable, compte tenu des contraintes financières ? Vous avez évoqué un réseau originairement conçu en étoile : ce n’est pas tout à fait exact. Le réseau ancien comprenait également de petites lignes qui permettaient de relier les territoires de manière transversale : or ces lignes ont aujourd’hui disparu. Est-il envisageable de reconstituer ce maillage, par voie ferroviaire ou par d’autres moyens ?

M. Jean-Marie Sermier. Vous nous avez sensibilisés de manière efficace aux comptes de RFF et à l’avenir de cette structure en évoquant les réductions de charges et l’augmentation de productivité : croyez-vous réellement au transport ferroviaire français ? Ne peut-on pas envisager une augmentation des recettes des sillons grâce à l’ouverture à la concurrence, dont l’objectif était notamment d’offrir des sillons supplémentaires à des entreprises privées dont la part de marché est à l’heure actuelle très faible ?

Thello utilise un sillon entre Paris et l’Italie : celui-ci lui est-il cédé au même prix qu’à la SNCF ?

M. Jacques Kossowski. RFF, qui supporte 32 milliards d’euros de dettes, est très dépendant des marchés financiers : vous levez chaque année quelque 5 milliards d’euros. Jusqu’à présent RFF, considéré par les marchés comme un organisme d’État, bénéficiait de la même note que la dette française. Or Standard and Poor’s a récemment placé votre note sous surveillance, craignant que la nouvelle entité ne bénéficie d’une garantie moindre de l’État. Cette réforme structurelle risque donc de créer des incertitudes, ce que les investisseurs n’apprécient guère. Toute baisse de votre note engendrant une hausse du coût de l’emprunt, quelles mesures RFF pourrait-il prendre pour l’éviter ?

Je crois savoir par ailleurs que le poids des charges sociales est supérieur de 30 % chez RFF par rapport à ses concurrents. Comment pensez-vous combler cette différence ?

M. Guillaume Chevrollier. L’état des lieux du système ferroviaire français ne laisse pas d’inquiéter. Le ministère du développement durable a reconnu à la fin de l’année dernière que seules des réformes structurelles étaient susceptibles d’ouvrir des perspectives de retour à l’équilibre – le réseau classique vieillit faute d’avoir été entretenu et la dette se creuse chaque année. La réforme envisagée permettra-t-elle réellement de relever les défis que sont notamment la rénovation du réseau, la réduction de la fracture territoriale et la stabilisation de la dette ? Quelles seront les incidences sociales de la réforme pour les deux structures ? En serions-nous là si RFF et SNCF Infra n’avaient pas été scindés ?

M. Éric Alauzet. Le déficit annuel de RFF s’élève-t-il à 1,5 milliard ou à 3 milliards d’euros ? Les deux chiffres circulent.

S’agissant du 1,5 milliard d’économies attendu de la réforme, seulement la moitié sera liée à la nouvelle organisation puisque 500 millions proviendront de l’abandon par l’État de ses dividendes. Quant à l’augmentation de la productivité, puisque vous avez souligné que toute entreprise était susceptible de réaliser des gains de 2 %, RFF serait capable d’atteindre cet objectif indépendamment de la réforme.

Où en seraient, d’après vous, le réseau ferroviaire et la dette s’il n’y avait pas eu de scission de la société historique ? Aborderait-on différemment aujourd’hui l’avenir du système ferroviaire français, au regard notamment du droit européen ?

Vous avez rappelé les contraintes en termes de concurrence imposées par l’Europe : comment les acteurs sociaux réagissent-ils à vos arguments en la matière ? Quelle est la nature du dialogue au sein de l’entreprise ?

Enfin, la nouvelle organisation changera-t-elle quoi que ce soit à l’actuelle logique de développement du fret ?

M. Yannick Favennec. De nombreux acteurs économiques des territoires – chefs d’entreprise, associations représentatives des clients fret et voyageurs – craignent que la réforme ferroviaire ne soit pas à la hauteur des enjeux économiques, écologiques et européens. Ils s’inquiètent du coût pour les régions non seulement du TER, mais également des Intercités, dont ils jugent l’offre médiocre. Quant au TGV, il donne des signes d’essoufflement économique. Une réorientation, coordonnée par les territoires, de la stratégie du fret comme du maillage territorial du transport des voyageurs, est-elle envisageable ? L’objectif serait de donner un second souffle aux TER, de moderniser les Intercités en les rendant plus compétitifs à moyenne distance et, ainsi, d’ouvrir à l’industrie ferroviaire la perspective d’une nouvelle génération de matériels roulants.

S’agissant de la LGV Bretagne-Pays-de-la-Loire, que pensez-vous de l’instauration d’une redevance forfaitaire annuelle et pérenne, dès la mise en service de la ligne en 2017, au bénéfice des cinquante-sept communes traversées entre Le Mans et Rennes ? Cette redevance permettrait de compenser leurs pertes de base fiscale sur le bâti et le non-bâti. Une telle redevance existe déjà pour les traversées d’autoroutes et de lignes à très haute tension. La Mayenne est concernée à la fois par la LGV et la ligne à très haute tension Cotentin-Maine, pour laquelle les communes touchent une redevance annuelle de 4 200 euros par pylône.

M. Jean-Pierre Vigier. La situation financière de RFF est très préoccupante : une dette de 32 milliards d’euros, qui passera à 40 milliards après le « mariage » avec la SNCF, 5 milliards de travaux par an, qui ne répondent aux besoins ni de l’investissement ni de l’entretien et génèrent 3 milliards de dettes. Vous aurez également à régler le problème social.

L’entité unique permettra-t-elle vraiment d’engager un redressement financier suffisant pour assumer à la fois les besoins en investissement et l’entretien du réseau ? Quel est à vos yeux l’avenir des lignes qui irriguent les territoires ruraux – je pense notamment aux trains d’équilibre du territoire ? Quid du transfert aux régions ?

M. Alain Leboeuf. Quel est le calendrier de la rénovation nationale du réseau ? Quels sont vos critères de priorité : le vieillissement de la ligne ou sa fréquentation ?

Le Premier ministre a évoqué hier la négociation des contrats de projets État-région 2014-2020 : les chantiers sur lesquels RFF s’est déjà engagé devront-ils attendre la signature à l’automne 2014 de ces contrats, ce qui se traduirait par une année entière sans travaux, ou pourront-ils se dérouler indépendamment de la signature de ces contrats ?

M. Laurent Furst. Une partie des économies de RFF proviendra d’une baisse des recettes de l’État : est-il imaginable que l’État accepte longtemps un tel sacrifice dans le contexte actuel de contrainte budgétaire ?

Vous avez également évoqué, monsieur le président, l’amélioration de la productivité, propos qui ne pourront qu’être urticants dans certains milieux. Il n’en est pas moins vrai que la raison principale pour laquelle le système ferroviaire français est en situation de sous-investissement structurel depuis de trop nombreuses années, c’est qu’il consacre une part importante de ses recettes au paiement de dépenses structurelles excessives si on les compare à celles d’autres systèmes ferroviaires. Telle est la réalité, que l’on n’ose pas exprimer de crainte de provoquer des réactions lourdes de conséquences – une crainte que le député de base que je suis ne saurait partager.

Le statut des salariés de RFF rejoindra-t-il celui des cheminots de la SNCF ? Si tel était le cas, le surcoût engendré contredirait la volonté affichée de faire des économies.

M. Jacques Rapoport. Le système ferroviaire ne pourra sortir que par le haut de la situation de déséquilibre dans laquelle il se trouve actuellement. On ne l’en sortira pas en réduisant les projets, l’entretien, la rénovation ou la modernisation. Le système ne recouvrera son équilibre qu’en se modernisant.

Je prendrai un exemple : tous les gouvernements souhaitent relancer le fret en y injectant régulièrement de l’argent public. Or les plans fret demeurent sans effet sur le transfert modal : le ferroviaire ne prend pas de parts de marchés au transport routier. Alors qu’un train de fret coûte 15 euros du kilomètre, l’entreprise ferroviaire ne paie que 1,70 euro. L’usage du réseau est donc financé à hauteur de 85 % soit par des subventions, soit par la dette de RFF qui, de toute façon, retombera un jour ou l’autre dans l’escarcelle de l’État. Ce n’est donc pas en augmentant encore les subventions publiques qu’on résoudra cet incontestable problème d’intérêt général. Il faut garantir aux entreprises un service de qualité, notamment en termes de ponctualité, sur un catalogue de sillons sur mesure ou en prêt-à-porter. Le fret ne sera compétitif par rapport au transport routier, qui a l’avantage de faire du porte à porte, que si le réseau est modernisé.

Il faut distinguer la productivité de l’organisation de celle des conditions de travail. Le système RFF-SNCF – gestionnaire d’infrastructure-gestionnaire d’infrastructure délégué –, qui a beaucoup apporté au système ferroviaire français au cours des dix-sept années écoulées, a épuisé tous ses effets. C’est pourquoi une organisation plus intégrée engendrera 10 % de gain de productivité dans l’infrastructure.

Quant au débat sur les conditions de travail et le coût salarial, dans la perspective de l’ouverture à la concurrence, il est d’une tout autre nature. Le Gouvernement a ouvert le chantier du cadre social harmonisé : les négociations débutent à peine. Elles demanderont du temps, l’objectif étant d’assurer non pas une uniformisation, mais une harmonisation sociale compatible avec la concurrence.

Il existe aujourd’hui deux documents différents, mais parfaitement cohérents : d’une part, le rapport de la commission Mobilité 21 et, d’autre part, le grand plan de modernisation du réseau, que M. Philippe Duron a évoqué mais qui n’a pas encore été publié – il a été commandé par le ministre chargé des transports au mois d’octobre 2011 et nous le lui avons remis il y a quelques jours à peine. Les équipes de RFF ont apporté leur expertise à la réalisation de ces deux documents, qui mettent en avant la nécessité d’un État stratège : on peut même ajouter, sans craindre de se tromper, que ces deux documents constituent la part ferroviaire de l’État stratège.

Guillaume Pepy et moi-même ne venons pas « tendre la sébile » : étant raisonnables, nous nous situons largement dans le cadre des enveloppes existantes – nous ne souhaitons évidemment pas leur réduction. (Sourires) Et si nous proposons que les dividendes et l’impôt sur les sociétés payés par la SNCF restent dans le système ferroviaire, ce qui générerait 500 millions d’économies, c’est parce qu’en cas d’intégration complète entre RFF et la SNCF, il y aurait encore au départ 1 milliard d’euros de déficit annuel.

Le système actuel des péages ne permet de financer ni le fret ni la rénovation des lignes à faible trafic. Les circulations fret ne rapportent que 4 euros sur un coût de 15 euros du kilomètre : comme je l’ai dit, les entreprises ferroviaires paient 1,70 euro et l’État un péage de 2,40 euros. Le déficit s’élève donc à 11 euros.

Quant à la rénovation des lignes à faible trafic, si les péages couvrent la maintenance courante et l’exploitation, ils ne peuvent pas financer les travaux importants de rénovation. RFF n’a donc pas les moyens d’assurer le financement de la rénovation des lignes à faible trafic ni, généralement, celui de la réouverture éventuelle des lignes qui ont été fermées : ces financements entrent donc dans le cadre des CPER. Nous avons toutefois rouvert une ligne dans la région Centre, nous rouvrirons bientôt la ligne Avignon-Carpentras, et travaillons à la réouverture de la ligne Pau-Canfranc.

Je rappellerai enfin que les salariés de RFF sont 1 500, à mettre en regard des 150 000 salariés de la SNCF. La maîtrise d’ouvrage, c’est normal, ne pèse que 1 % : ces 1 500 salariés ont un statut classique de droit commun assorti d’accords d’entreprises, qui est moins favorable que le statut de cheminot, auquel on ne peut plus accéder si on est âgé de plus de trente ans, mais plus favorable que celui des contractuels de la SNCF. Or il y a plusieurs milliers de contractuels à la SNCF. L’enjeu économique du statut des 1 500 salariés de RFF est donc inexistant. Quant à l’enjeu social, il porte sur les 150 000 salariés de la SNCF.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Réunion du mercredi 10 juillet 2013 à 16 h 15

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Philippe Duron, M. Yannick Favennec, M. Laurent Furst, M. Alain Gest, M. Jacques Kossowski, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Jean-Luc Moudenc, M. Bertrand Pancher, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Vincent Burroni, M. Patrice Carvalho, M. Michel Heinrich, M. Christian Jacob, M. Arnaud Leroy, M. Napole Polutélé, Mme Catherine Quéré, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville