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Mercredi 24 juillet 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 87

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Cardo, président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Pierre Cardo, président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, je vous rappelle que sous la treizième législature, nous avions déjà auditionné M. Pierre Cardo. C’était le 7 juillet 2010, avant sa nomination à la présidence de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires. Voilà donc trois ans qu’il n’est pas venu s’exprimer devant notre commission.

Une double occasion nous est donnée de l’entendre aujourd’hui : la présentation du rapport d’activité 2012 de l’ARAF ; la préparation de la réforme du système ferroviaire. Notre collègue Gilles Savary a d’ailleurs été désigné la semaine dernière par notre commission, compétente en matière de transports, comme rapporteur de ce projet – projet que nous attendons encore.

M. Pierre Cardo, président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF). Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, mon propos comportera trois parties : le rôle de l’ARAF ; ce qu’elle a pu en trois ans observer sur le fonctionnement du système ferroviaire ; enfin, la réforme de ce système, sachant que le texte n’est encore définitif et que le Parlement sera consulté à son sujet.

L’Autorité de régulation des activités ferroviaires est une autorité indépendante. Les sept membres de son collège sont nommés pour six ans de façon irrévocable et non renouvelable. Ils ne doivent pas avoir eu de relations particulières ou de responsabilités dans le secteur ferroviaire depuis un certain temps. L’ARAF a la personnalité morale. Elle n’est donc pas une autorité administrative indépendante. C’est une autorité publique indépendante, financièrement autonome. Ses ressources viennent d’un prélèvement opéré sur les péages, à hauteur de 3,7 ‰ – la loi ayant prévu à l’origine 5 ‰.

Nous sommes là pour appliquer la loi et notre fonctionnement dépend donc des directives, lois et règlements. Nous devons vérifier l’application correcte du droit. Nous ne sommes pas des politiques. Nous ne décidons des moyens à donner, ni de l’aménagement du territoire. Nos actions dépendent totalement du Parlement, de la Cour des comptes et des juges : la Cour d’appel de Paris et le Conseil d’État. Parmi toutes les décisions que nous avons prises jusqu’à présent, une seule a été contestée. Elle est passée en Cour d’appel, qui nous a d’ailleurs donné raison. Il s’agissait d’un différend qui opposait des opérateurs entre eux.

Nous ne sommes pas au-dessus de la réalité du secteur ferroviaire. Nous travaillons bien évidemment avec les différents acteurs de ce secteur, et nous sommes à leur écoute – c’est d’autant plus important que le système est d’une complexité redoutable. Ainsi, notre collège organise l’audition de tous ceux qui participent au fonctionnement du ferroviaire : entreprises, syndicats, associations d’usagers et associations de défense de l’environnement. Par ailleurs, nous lançons régulièrement des consultations publiques sur des sujets précis. Les quatre consultations lancées en 2012 concernaient : le problème très concret de la facturation d’électricité ; le coût d’immobilisation du capital en gare ; le cabotage, pour savoir si un service de voyageurs organisé par une compagnie entre deux pays européens est bien un service international ; enfin, nous avons des relations avec les régions, avec lesquelles nous avons un enjeu commun qui est une meilleure connaissance de la comptabilité de la SNCF.

Bien évidemment, nous sommes concernés par le fret, qui est ouvert à la concurrence depuis plusieurs années, et par le service international de voyageurs, qui l’a été plus récemment. Mais nous sommes aussi concernés par le service public ferroviaire, ce qu’on oublie souvent. La loi dispose en effet clairement que l’Autorité doit « contribuer au bon fonctionnement des activités concurrentielles et du service public au bénéfice des voyageurs et des chargeurs ».

Dans la pratique, notre travail consiste à réguler les monopoles de fait – RFF, Gares et Connexions, les cours de marchandises, la fourniture de gasoil, la fourniture d’électricité, etc. 90 % des différends que nous avons à régler portent là-dessus.

Lorsque l’on fait le bilan des règlements de différends, on constate que ce sont les gestionnaires d’infrastructures qui se sont retrouvés au banc des accusés. L’accès au réseau est donc le cœur de la mission du régulateur, sous deux aspects. D’abord l’accès au réseau doit être transparent et sans discrimination, pour toutes les entreprises. L’ARAF joue en l’occurrence un rôle de gendarme et de juge. Ensuite, l’accès au réseau doit se faire dans des conditions d’efficacité suffisante, afin de maintenir les parts de marché du ferroviaire par rapport aux autres modes de transport, notamment le transport routier. L’ARAF a donc là une fonction de régulation économique, que l’on a tendance à oublier. Et dans un système qui connaît aujourd’hui une dérive de 1 à 1,5 milliard d’euros par an, la régulation économique constitue le cœur de notre travail. Cela passe, a priori, par une mise en tension du système, pour plus d’efficacité, grâce à des incitations à davantage de performance, à une meilleure qualité du réseau et à une meilleure maîtrise des coûts.

Au bout de trois ans de fonctionnement, quel bilan pouvons-nous tirer ? D’abord, et ce n’est un secret pour personne, notre réseau est malade, et il est en phase urgente de rénovation. Ensuite, au rattrapage du manque d’entretien du réseau, qui est en cours, il faut ajouter les travaux de raccordement des lignes à grande vitesse, ce qui constitue un deuxième problème. Tout cela génère un encombrement et perturbe l’attribution des sillons.

Comment se fait l’allocation des sillons ? Quand vous voulez aller d’un point à un autre, vous devez demander que l’on vous attribue des sillons. On vous les attribue ou non, à moins qu’on ne vous en attribue à titre précaire. Mais l’outil qui sert à allouer les sillons, le système informatique TOR, qui a été conçu en 1982 par et pour la SNCF, est complètement dépassé. Il faut dire qu’à l’époque, il n’y avait un seul utilisateur, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Le système actuel est devenu très complexe, et le travail confié à RFF et à la Direction des circulations ferroviaires extrêmement délicat, dans la mesure où cet outil n’a pas été prévu pour de telles conditions. Il faut faire de nombreuses opérations manuellement. D’où les problèmes rencontrés dans l’attribution des sillons, et bien évidemment, par voie de conséquence, dans l’utilisation même du réseau ferroviaire.

Quand on vous attribue un sillon précaire, vous ne savez pas si vous aurez un sillon sur la période et l’itinéraire que vous avez demandés. L’attribution de sillons précaires est un palliatif qui ne satisfait personne, mais pour l’instant, on n’a pas trouvé mieux. Depuis notre création, nous avons déjà traité réglé quatre différends entre des entreprises et RFF, qui portaient sur l’attribution des sillons ; quatre autres sont en cours. Nous allons bientôt lancer une étude avec RFF pour essayer de trouver une réponse plus adaptée. Mais pour le moment, la situation est insatisfaisante, et la certitude onéreuse de la route est préférée à l’incertitude patente du ferroviaire. D’où le transfert modal, en tout cas pour le fret.

Enfin, le fait que l’on n’arrive pas à optimiser l’utilisation du réseau ferroviaire et qu’on ait pris du retard dans différents domaines a abouti au déséquilibre financier actuel.

La réforme de 1997, qui a été marquée par la création de RFF, a eu du bon et du mauvais.

Jusque-là, il n’y avait qu’une seule expertise : celle de la SNCF, qui était à la fois la société qui entretenait le réseau, qui l’étendait, et qui l’utilisait. Maintenant, la situation a changé et les expertises se sont diversifiées.

RFF a eu l’avantage de jouer un rôle d’aiguillon par rapport à SNCF Infrastructure. Cela m’amène à vous rappeler l’organisation actuelle, qui est un peu complexe, et qui aurait dû changer depuis longtemps. De fait, les tensions entre RFF et la SNCF sont énormes.

RFF regroupe 1 200 personnes qui sont chargées de la définition de la politique d’entretien et de rénovation du réseau. Mais l’attribution des sillons est confiée à la Direction des circulations ferroviaire, la DCF, qui compte 14 000 personnes. La DCF est rattachée à la SNCF mais l’ARAF peut donner son avis sur la nomination de son patron, qui est censé être indépendant par rapport à la hiérarchie de la SNCF.

Ensuite, 35 000 personnes appartiennent à SNCF Infra, la direction qui, au sein de la SNCF, est chargée, pour RFF, d’entretenir et de rénover le réseau. À la suite de la convention qui a été passée, RFF reçoit la facture de SNCF Infra pour le travail réalisé.

L’avantage de cette réforme est que nous disposons enfin de deux avis sur l’état du réseau. L’inconvénient est que c’est un échec industriel. La mauvaise coordination entre SNCF Infra qui mène les travaux, et la DCF qui attribue les sillons – même quand ils étaient regroupés - , conduit à s’interroger sur l’opportunité de la création du gestionnaire d’infrastructure unifié qui est censé regrouper SNCF Infra, DCF et RFF. Cela suffira-t-il à les amener à communiquer entre eux et à assurer leur coordination ?

Je vais essayer de vous expliquer ce qui se passe. Vous avez demandé des sillons, mais la rénovation du réseau oblige à lancer des travaux. Les travaux sont plutôt effectués la nuit. SNCF Infra définit des plages de travaux qui concernent certains des sillons qui ont été demandés. On vous attribue donc des sillons précaires. Sauf que, de temps en temps, ces plages de travaux peuvent se déplacer et venir percuter des sillons qui ont fait l’objet d’une attribution ferme. Et à l’inverse, il arrive que des plages de travaux qui ont été demandées ne soient pas utilisées, sans pour autant que les sillons concernés soient attribués à des entreprises.

Il faut espérer que la création du GIU avec un patron qui aura la volonté de générer un outil industriel efficace permettra de lutter contre ces dysfonctionnements qui handicapent fortement aujourd’hui le ferroviaire.

M. Martial Saddier. Ce n’est pas sûr du tout !

M. Pierre Cardo. Cela dépendra aussi des hommes.

Passons à l’échec financier. La dérive générale des coûts n’a pas été maîtrisée. Certes, une convention lie SNCF Infra et RFF. Mais en cas d’arbitrage sur les coûts, l’État donne systématiquement raison à la SNCF. C’est un vrai problème.

Cela m’amène à évoquer le problème du renoncement qui avait été soulevé, dans un rapport que le Sénat lui avait demandé, par la Cour des comptes. Il arrive en effet assez régulièrement que SNCF Infra considère qu’elle n’a pas les moyens financiers de réaliser la totalité des opérations qui font pourtant l’objet d’une convention spécifiant clairement ce qui doit être fait. Donc elle ne le fait pas. Depuis l’année dernière, RFF exerce un certain contrôle. Mais ce contrôle est un peu ténu. Ce qui est surprenant, c’est qu’on ne connaît ni les raisons de ces renoncements, ni leur montant.

Comme je l’ai dit, en cas de différend entre la SNCF et RFF, l’arbitrage se fait la plupart du temps en faveur de la SNCF. Il faut dire qu’à la SNCF, il y a plus de 100 000 salariés, contre 1 200 à RFF. Bien sûr, ce n’est qu’un constat et on ne peut pas accuser systématiquement qui que ce soit. Reste que, dans le cadre de la réforme, il faudrait faire en sorte que l’État retrouve son rôle de stratège

En outre, RFF qui, à l’origine, devait seulement gérer la dette de la SNCF, a dû assurer l’entretien, plus l’extension du réseau, soit toutes les lignes à grande vitesse. Ce n’était pas prévu. On peut donc comprendre pourquoi la dette de RFF a crû et dépasse aujourd’hui 32 milliards. Et si on y rajoute celle de la SNCF, on tourne autour de 40 milliards.

J’en arrive maintenant au projet de réforme ferroviaire.

Nous souhaitons que cette réforme refonde de façon pérenne le système ferroviaire, et qu’elle respecte les équilibres et les rôles des acteurs. Ce ne sera pas facile et il faudra du temps, mais c’est envisageable. Pour cela, l’État doit retrouver son rôle de stratège. Ce n’est pas parce qu’il existe une autorité indépendante que l’État, en tant que tel, perd son pouvoir. Nous-mêmes, nous ne sommes là que pour exécuter ce que demande le législateur et ce que veut l’État.

Il nous paraît important de donner aux régions une réelle dimension d’AOT – autorité organisatrice de transports. Elles doivent pouvoir connaître les coûts. Ainsi, elles seront éclairées sur les choix de desserte et de fréquence à opérer sur leur territoire. Il faut qu’elles soient totalement responsables.

Il nous paraît évident que le GIU doit être un gestionnaire d’infrastructures de plein exercice, disposant d’un pouvoir réel, parce qu’il doit à tout prix réussir son intégration industrielle.

Pour terminer, j’insisterai sur deux nécessités. En premier lieu, il faut optimiser l’utilisation du réseau avec l’arbitrage des redevances, des incitations par la tarification. En second lieu, il faut que la réforme soit eurocompatible. Sinon, demain, vous serez obligés de revoter.

J’en viens à l’aspect organisationnel de la réforme, qui fait apparaître trois EPIC – établissements publics industriels et commerciaux – au lieu de deux.

Le premier est le GIU, c’est-à-dire l’ancien RFF regroupé avec SNCF Infra et la DCF, c’est-à-dire tout ce qui concerne le réseau. RFF étant propriétaire du réseau, le GIU serait donc le propriétaire, chargé de l’entretien, de la rénovation et de l’attribution des sillons. On peut espérer, s’ils se parlent enfin entre eux, que cette coordination permettra d’optimiser l’utilisation du système. Lors des Assises du ferroviaire, tout le monde, ou presque, était d’accord pour la constitution d’un gestionnaire d’infrastructures unifié. Mais ce rapprochement physique n’est pas une garantie en soi de réussite. Il faudra suivre, sur le terrain, les échanges d’information entre les structures.

Le deuxième EPIC est l’EPIC transporteur, qui est aujourd’hui la SNCF et qui pourrait s’appeler « SNCF Mobilité ». Reste à savoir si l’opérateur historique pourra conserver son statut d’EPIC. En effet, l’Union européenne ne conteste pas le recours à des EPIC, mais elle peut contester le fait que ce transporteur, qui est soumis à la concurrence, possède un tel statut – problème qui ne se pose pas pour le GIU, puisqu’il s’agira d’un monopole. Le fait que la dette de la SNCF soit adossée à l’État peut amener l’Europe à y voir un avantage susceptible de fausser la concurrence.

Le troisième est l’EPIC de tête – ou l’EPIC mère – dont la mission et les pouvoirs nous semblent définis de façon relativement imprécise. De nombreuses questions se posent. Mais qui va y répondre ? Le législateur ou le pouvoir réglementaire, par le biais des décrets, ou les présidents des différents EPIC ? Cela mérite pour le moins réflexion de la part du Parlement.

La stratégie globale du système ferroviaire serait définie par l’EPIC de tête. Dans ce cas, si on veut un État stratège, l’EPIC ne prendra-t-il pas la place de l’État ? Par ailleurs, comment la stratégie définie par l’EPIC de tête s’appliquera-t-elle au GIU, sachant que l’opérateur historique fera partie de son directoire ?

Ensuite, l’EPIC de tête pourrait se voir confier la gestion des ressources humaines. Dans ce domaine, chaque EPIC doit avoir son propre personnel et le gérer lui-même. D’où cette interrogation : qu’est-ce qui revient à l’EPIC de tête, qu’est-ce qui revient au GIU et qu’est-ce qui revient au transporteur ? Comment se fera la répartition ?

Enfin, il est envisagé de retrouver, au sein de l’EPIC de tête, des fonctions dites communes. Mais communes entre qui et qui ? Logiquement, entre le GIU et l’EPIC transporteur, qui est l’opérateur historique. Mais ces fonctions seront-elles ouvertes aux autres opérateurs et si oui, dans quelles conditions ?

Toutes ces questions devront être approfondies, ne serait-ce que pour éviter des recours par rapport à ce que la Commission européenne appelle des « murailles de Chine ». Pour l’instant, dans le cadre de cette réforme, nous serions chargés de nous occuper essentiellement du GIU et des flux le concernant. Mais si l’EPIC de tête regroupe des fonctions concernant, notamment, le transporteur, cela posera un problème de flux. En effet, il y a un sens dans lequel les éléments financiers ne peuvent pas aller. Par ailleurs, la prise en charge par l’EPIC de tête de certaines fonctions concernant l’opérateur historique peut entraîner des difficultés. Cela mérite pour le moins qu’on y regarde de près. Je pense notamment à la police ferroviaire. Sera-t-elle prise en charge par l’EPIC de tête ? Et pour qui assurera-t-elle la sécurité ?

Ensuite, se posera la question de la relation entre les trois EPIC. Il est en tout cas indispensable que la dette soit maintenue dans le GIU. A priori, il n’y a pas de problème, sauf si une relation avec l’EPIC de tête était discutée.

J’en reviens à la question de la séparation des fonctions essentielles et aux « murailles de Chine » dont la mise en place est suggérée par la Commission européenne. Peut considérer que les murailles de Chine sont toujours efficaces ? Il faudrait en parler aux Chinois ! (Sourires) À mon avis non. Il se trouve qu’on m’a demandé d’en dresser une entre Gares et Connexions et la SNCF : nous avons mis plus de deux ans pour arriver à nous mettre d’accord sur les principes de séparation, et nous n’avons toujours pas abouti sur un certain nombre d’aspects plus concrets comme, par exemple, le taux de rémunération du capital.

Dans le futur système, les liaisons exactes entre les EPIC devront être précisées. Je rappelle qu’à loi constante, un EPIC ne peut être filiale d’un autre EPIC. Cela relève de la loi, et donc du Parlement. Une modification législative est possible, mais il faudra y penser. Par ailleurs, tel qu’il apparaît, ce système verticalement intégré a une faible eurocompatibilité. Cela signifie que l’Europe, si elle l’accepte, demandera des garanties.

Au-delà du problème des murailles de Chine, il semble qu’aussi bien l’Europe, le président de la SNCF et les différents acteurs du ferroviaire considèrent que, dans un tel système, le pouvoir du régulateur doit être à tout prix être renforcé.

M. Martial Saddier. C’est évident !

M. Pierre Cardo. Le renforcement de son pouvoir contribuerait donc à l’eurocompatibilité du dispositif.

Mais revenons au projet de loi. Nous ne sommes pas des politiques et nous n’avons pas à nous prononcer pour ou contre tel ou tel système. Je vous mets simplement en garde sur les conséquences qu’aurait, au sein du directoire, une double gouvernance. En effet, il est prévu que l’EPIC de tête soit doté et d’un conseil de surveillance et d’un directoire. Ce directoire serait bicéphale : le président du GIU et le président de l’opérateur historique. À deux, je ne sais pas très bien comment il pourra y avoir une majorité, sauf quand les deux seront d’accord. Le président du conseil de surveillance ne pourrait-il pas jouer le rôle d’arbitre, dans le cas contraire ? Est-ce réaliste ? Est-ce eurocompatible ?

Même si le président de la SNCF m’a garanti qu’a priori le sujet ne sera pas abordé, je m’interroge à propos de la tarification. Il n’est pas irréaliste de penser que l’État voudra à la fois que le GIU réduise sa dette, et que la tarification n’augmente pas trop. Dans la pratique, le président du GIU demandera une augmentation de la tarification pour équilibrer ses comptes et réduire sa dette, mais le président de l’opérateur historique ne sera pas forcément d’accord. Dans ces conditions, on peut se demander comment arbitrer le différend.

S’agissant du rôle de l’ARAF, je note un glissement de sémantique entre ce qui m’a été dit il y a deux ans, qui a été confirmé il y a quelques mois encore, et ce que qui ressort des textes qui m’ont été fournis. De fait, on a parlé de renforcement du rôle du régulateur jusqu’à il y a deux ou trois mois et aujourd’hui, on parle de rénovation du rôle du régulateur, ce qui me semble très différent.

D’abord, nous risquons de ne plus avoir à rendre d’avis conforme sur la tarification, qui est le seul pouvoir « dur » que nous ayons. Les autres avis sont des avis motivés, des avis simples qui n’engagent pas. L’avis conforme est différent, puisque l’on doit s’y conformer. Je vous ai expliqué tout à l’heure que la régulation économique était importante aujourd’hui pour résoudre le problème du déficit, voire pour revoir l’optimisation du système ferroviaire. L’abandon de l’avis conforme sur la tarification ne va donc pas du tout dans le sens d’une augmentation des pouvoirs du régulateur.

En revanche, on nous demandera beaucoup plus d’avis simples. Ainsi, nous allons nous prononcer sur de nombreux sujets, sur lesquels nous n’étions pas obligés de nous prononcer auparavant. Cela dit, il est inutile de nous donner ce pouvoir, dans la mesure où rien n’interdit, dans la loi actuelle, que nous donnions notre avis sur tel ou tel sujet, dès lors qu’on nous le demande. Je vous rappelle que nous sommes à la disposition du Parlement et du Gouvernement. Nous sommes là pour faire part de nos observations sur un système qui besoin d’être rénové.

Mais revenons à l’avis conforme. Cette année nous avons donné un avis négatif sur la tarification de RFF, puis nous avons négocié pendant deux mois, et nous avons fini par l’approuver. À partir de ce moment-là, cette tarification ne pouvait plus être contestée par les opérateurs, que ce soit SNCF ou la concurrence.

Imaginons que demain, nous n’ayons plus d’avis conforme à donner. Nous donnerons donc un avis motivé. Peut-être le collège sera-t-il amené à formuler des remarques négatives à propos de cette tarification, laquelle se trouvera immédiatement fragilisée. En effet, n’importe lequel opérateur pourra la contester. Sa mise en œuvre prendra donc un certain temps.

Cela ne signifie pas pour autant que l’ARAF perdra toute possibilité d’action. Effectivement, a posteriori, elle aura sans doute à se prononcer sur le différend qui opposera l’opérateur à RFF. Mais son intervention, au lieu d’être préventive, sera curative. Je ne sais pas si c’est l’objectif recherché.

En conclusion, si on nous demande mon avis sur de très nombreux sujets, mais qu’on nous ôte tout pouvoir sur la tarification, notre rôle relèvera davantage de la prestation de services que d’un véritable pouvoir.

Autre aspect de cette réforme : le recentrage du rôle de l’ARAF sur les fonctions de gendarme et de juge de la concurrence, aux dépens de sa fonction de régulation économique. On envisage en effet de modifier la composition du collège de l’Autorité, dont la fonction juridique sera accentuée par l’intégration en son sein d’un membre du Conseil d’État et d’un conseiller de la Cour de cassation. Le collège de l’ARAF comprend déjà un membre de la Cour des comptes. En fin de compte, le domaine économique y serait ainsi beaucoup moins représenté, pour ne pas dire absent.

Il y a à peine trois ans que l’ARAF a été créée. Est-il absolument nécessaire de modifier la composition de son collège ? L’État dispose déjà de la possibilité de nommer quatre des sept membres, l’Assemblée un membre, le Sénat un membre et le Conseil économique, social et environnemental, un membre. Les membres de ce collège ont des origines et des formations différentes : des économistes, des juristes, des inspecteurs de finances. Il n’est pas toujours facile de les coordonner, mais on y arrive.

Je ne vois pas l’intérêt d’accentuer l’aspect juridique du collège. Nous disposons d’ailleurs de trois services – un service juridique, un service comptable et un service s’occupant de l’accès au réseau – qui sont indispensables si l’on veut maîtriser la connaissance du système ferroviaire.

Cela ne nous paraît pas conforme avec l’intérêt du régulateur, qui doit également jouer un rôle économique. En outre, notre rôle de gendarme et de juge de la concurrence est lui-même menacé par le fait qu’il y aurait, dans le nouvel ensemble généré dans le cadre de la réforme, un Haut comité qui viendrait concurrencer la compétence que nous avons dans le règlement des différends.

En résumé, je remarque qu’on va regrouper au sein du GIU trois entités, mais qu’on va en créer deux autres : un Haut comité et un EPIC de tête. Je ne sais pas si cela va dans le sens de la simplification. Je peux certes comprendre l’intérêt de mettre en place un Haut comité destiné à réunir, dans la concertation, les différents partenaires du ferroviaire – usagers, associations de défense de l’environnement, politiques, etc. qui ont tendance à se plaindre de la complexité du système – autour de différents sujets comme l’organisation du ferroviaire ou l’attribution des sillons. Mais que ce comité puisse intervenir avant l’ARAF, en première instance, comme médiateur, pour tenter de régler les différends, me cause un vrai problème. Pourquoi l’Agence interviendrait-elle en deuxième instance ? Cette nouvelle structure, dont la composition me semble elle-même bien complexe, va-t-elle vraiment nous simplifier la vie ?

J’observe en outre qu’on envisage, dans ce cadre de cette réforme, l’instauration d’un code du réseau. En France, nous disposons d’un document de référence du réseau, ou DRR, qui renseigne sur l’accès au réseau – nous donnons un avis motivé sur les points qui peuvent paraître un peu complexes – et sur la tarification – sur laquelle nous donnons un avis conforme. Aujourd’hui, les Britanniques, qui ne disposent d’un DRR que depuis que l’Europe l’a imposé à l’ensemble des pays de l’Union, sont les seuls à être dotés, pour des raisons historiques, d’un code du réseau.

Pour l’instant, nous avons un DRR conforme à ce que demande l’Europe. Que mettra-t-on donc dans le code du réseau ? Si le code du réseau n’est qu’un élément de chapitre du DRR, cela ne devrait pas poser trop de problème, d’autant que nous pourrons continuer à donner notre avis dessus. Si c’est un élément extérieur au DRR et s’il en retire des éléments, cela ne risque-t-il pas de nous causer des difficultés par rapport à la refonte du premier paquet ferroviaire de décembre 2012 ?

Nous nous demandons si nous n’allons pas perdre notre pouvoir sur une partie de ce contenait le DRR. Ce qui serait alors dans ce code du réseau pourrait être contesté par tel ou tel opérateur, et ne pourrait plus être dénoncé devant nous. En effet, ce qui serait sorti du DRR ne nous concernerait plus.

Enfin, il est question de nommer un commissaire du Gouvernement auprès de l’Autorité. J’espère que cela signifie que l’État entend conforter son rôle de stratège et expliquer sa stratégie.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci pour cette présentation. Je vais maintenant passer la parole aux représentants des différents groupes.

M. Gilles Savary. Je remercie le président Cardo pour la clarté, l’exhaustivité et la franchise de son exposé. Vous êtes le premier, depuis que nous menons ces auditions, à rentrer dans le vif d’une réforme qu’on ne connaît pas, si ce n’est au travers de bruits et de chuchotements, qui correspondent d’ailleurs à votre description : un groupe public, verticalement intégré, constitué de trois EPIC qui restent à inventer au plan juridique et qu’il faudra rendre eurocompatibles – bien qu’on ne connaisse pas le destin de l’eurocompatibilité. En effet, le quatrième paquet ferroviaire, qui est sur la table du législateur européen, est aujourd’hui majoritairement contesté au sein du Conseil, comme j’ai pu le vérifier par moi-même. En premier lieu, une sorte d’alliance – provisoire, avant la grande bagarre concurrentielle – s’est constituée entre la Deutsche Bahn et la SNCF, et entre les gouvernements français et allemand. En deuxième lieu, et surtout, la majorité des réseaux soutient l’idée d’une organisation intégrée, éloignée du schéma idéal prôné par la Commission européenne : éclatement complet des vieux systèmes ferroviaires entre, d’un côté une entreprise contrôlée par l’État et gérant le réseau, et de l’autre des compagnies ferroviaires. Dans un tel schéma, la compagnie historique serait banalisée parmi toutes celles qui veulent rentrer sur le réseau. Il faut tout de même préciser que ces résistances sont liées au fait qu’il n’y a pas de corrélation entre l’organisation des systèmes ferroviaires et leur efficacité. Il y a des systèmes ferroviaires intégrés très efficaces – la Suisse, le Japon, l’Allemagne – et des systèmes libéralisés très efficaces – la Suède et la Grande-Bretagne.

Mais j’en viens à mes questions.

Monsieur le président, je partage votre point de vue selon lequel plus le système est intégré, plus il faut prévoir de contre-pouvoirs et d’arbitres susceptibles de réagir face à ceux qui tentent des biais pour entrer sur le réseau, ou face à une bureaucratisation du système – comme celle que nous avons vécue au cours de ces dernières années.

Je pense que parmi les trois acteurs de notre système ferroviaire, l’État, RFF et la SNCF, le plus carentiel n’est pas forcément celui qu’on croit. Pour moi, l’État a d’énormes responsabilités dans ce qui s’est passé. On ne peut pas reprocher aux entreprises de prendre chez elles les consignes que l’État ne leur a pas données, ni de mettre en œuvre des programmes – il y a quelques mois, les lignes TGV, et aujourd’hui, la rénovation du réseau – qui sont la conséquence de décisions prises par l’État.

Ce qui m’inquiète dans cette réforme, même si je pense qu’on finira par la faire, c’est qu’elle est inaudible. Certes, il s’agit d’une réforme de gouvernance. Mais sa finalité est tout de même l’amélioration de notre système ferroviaire, laquelle passe par l’assainissement de sa situation financière. Et le mécanisme que l’on mettra en place – quel qu’il soit – devra être suffisamment performant pour que RFF n’ait plus 1,5 milliard de pertes par an, et une dette cumulée qui lui coûte 1,2 milliard d’intérêts par an, ce qui n’est évidemment pas soutenable. J’observe que les Allemands ont également procédé à une réforme. Mais celle-ci a d’abord été essentiellement financière : ils ont escompté la dette et récupéré le système de retraite au niveau de l’État.

Il ne s’agit pas seulement de savoir ce que l’on fait de l’ARAF, de M. Pepy ou de RFF, mais de savoir où l’on trouve l’argent pour que le système fonctionne mieux. (Exclamations) Car évidemment, les hommes qui sont en place sont compétents. D’où ma première question : qu’en pensez-vous, et où trouver de l’argent ?

Ensuite, je pense comme vous qu’il faut faire des régions de véritables AOT. Mais là encore, et c’est ma deuxième question : avec quels moyens ?

Enfin, ma troisième question concernera l’Europe. Des comités regroupant des régulateurs ont été mis en place.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Veuillez conclure.

M. Martial Saddier. Mais non, monsieur le président, laissez-le parler, il « se lâche ». (Sourires)

M. Gilles Savary. … Quelle est la position du régulateur français, qui est encore à son époque néonatale (Sourires) par rapport à d’autres régulateurs, qui jouissent du plein exercice de leurs fonctions ? À mon avis, la mission du régulateur sera un des grands sujets de débat au Parlement.

M. Martial Saddier. Au nom de mes collègues du groupe UMP, je remercie le président Cardo pour la clarté de ses propos et je profite de mon intervention pour souhaiter un bon été à l’ensemble de mes collègues et à vous-même, monsieur le président, qui assurez la présidence de notre commission depuis un an dans un esprit que je tiens à saluer. (Applaudissements).

Nous discutons d’un texte que nous n’avons pas sous les yeux. Le ministre chargé des transports, Frédéric Cuvillier, avait annoncé qu’il présenterait son projet de loi en Conseil des ministres à la fin du mois de juillet afin qu’il soit débattu par le Parlement dans le courant de l’automne, mais depuis aucune information ne nous a été transmise quant au calendrier qui sera suivi. Par ailleurs, tandis que le ministre nous donnait des engagements concernant le statut social des personnels des opérateurs historiques, le Gouvernement annonçait une réforme du régime des retraites. Il s’agit donc d’une affaire complexe sur le plan national, surtout à l’approche du débat européen sur le « quatrième paquet ferroviaire ». Si le débat européen a lieu avant le débat national, la réforme telle que vous nous la présentez aujourd’hui sera-t-elle toujours « eurocompatible » ?

L’ancienne majorité était elle aussi convaincue de la nécessité d’une réforme puisque Nathalie Kosciusko-Morizet avait organisé les assises ferroviaires. Mais les discussions en cours nous inquiètent, surtout en ce qui concerne l’avenir du fret et des trains du réseau Intercités. Elles semblent justifiées puisque nous venons d’apprendre que le Haut comité ferait de la médiation en amont, ce qui reviendrait priver l’ARAF de son indépendance et de la possibilité de jouer son rôle de gendarme et de juge. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette question ?

Il n’appartient pas aux autres pays européens de dicter au Parlement français ce qu’il doit voter, mais il ne nous est pas interdit de tenir compte des commentaires d’acteurs européens. Ainsi Tony Berkeley, président du Rail Freight Group, estime que « les annonces du Gouvernement français sur le projet de restructuration du secteur ferroviaire tournent en dérision la législation européenne », que « ce nouvel arrangement annihilera toute concurrence et assurera à la SNCF une position de monopole jusqu’à ce qu’elle éradique complètement le fret ferroviaire » ; il indique également que « les autres opérateurs souffrent déjà énormément de l’attribution non équitable de sillons et de l’obstruction dont fait preuve la SNCF pour freiner le développement de nouveaux services et l’amélioration des existants », et que « cette réforme va probablement nuire aux perspectives de croissance des liaisons ferroviaires entre le Royaume-Uni et la France, et plus largement en Europe ». Quant au président de l’Association européenne du fret ferroviaire, il s’inquiète de la survie des nouveaux opérateurs dans un système totalement contrôlé par la SNCF »…

M. Bertrand Pancher. En l’absence totale de transparence du système ferroviaire français, l’indépendance de l’autorité de régulation est un acquis qu’il convient de préserver. Or il semble que l’ARAF perdrait son droit d’arbitrer en matière de tarification du réseau. Si cette information se confirmait, cela constituerait une entrave à la concurrence que je juge inacceptable.

Nous ne contestons pas, au groupe UDI, la nécessité de regrouper la SNCF Infra, la Direction de la circulation ferroviaire et RFF, mais ce regroupement ne va-t-il pas générer un énorme conflit d’intérêts entre l’utilisateur de réseau et le propriétaire de l’infrastructure ?

De quelle manière pouvons-nous sauver le système ferroviaire français ?

Croyez-vous aux engagements de la SNCF et de RFF de réaliser des économies à hauteur de 500 millions d’euros par an ?

La SNCF dispose de près de 600 filiales. Ne sont-elles pas trop nombreuses ?

Nous est-il possible d’enrayer le déclin du fret ferroviaire ?

Les nouveaux opérateurs, qui représentent désormais 25 % du trafic, ont réalisé 176 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010 et 532 millions en 2012. Où est la productivité d’un agent de la SNCF conducteur de machines par rapport à un conducteur privé quand on sait que le premier bénéficie de 125 jours de repos par an, contre 104 pour le second, et qu’il travaille 40 jours de moins par an ? Le passage aux 35 heures à la SNCF a accordé 10 jours supplémentaires de RTT à des salariés qui travaillent en moyenne 28 heures par semaine. Cela explique pourquoi nous perdons tous les marchés.

Les grèves ont-elles un impact sur les finances de la SNCF ? Il paraît que les grèves engagées en 2010 dans le fret ferroviaire ont coûté 7 % de croissance à l’entreprise. Après la grève au Pertuis, par exemple, Volkswagen a abandonné le transport ferroviaire du fret vers l’Allemagne au profit du camion.

Enfin, quelles sont les perspectives du transport de voyageurs après l’ouverture à la concurrence prévue en 2019 ? En Allemagne, 25 % du trafic de voyageurs est assuré par le secteur privé, mais il semble que nous ne soyons pas prêts. Qu’en pensez-vous ?

Selon vous, le Parlement doit-il créer une commission d’enquête sur la question du déficit abyssal de la SNCF et de RFF ?

M. Olivier Falorni. J’ai lu avec attention, monsieur le président Cardo, le rapport que vous avez présenté en mai dernier et qui reflète la qualité de votre travail, fruit d’une année d’auditions et d’expertises.

Le projet de loi portant réforme du système ferroviaire a pour objectif d’améliorer la performance économique de la SNCF et de RFF et de mettre fin à la spirale d’endettement du rail français en réunissant, au sein du gestionnaire d’infrastructure unifié (GIU) qui représentera au total 50 000 personnes, trois EPIC que sont RFF, la Direction des circulations ferroviaires et SNCF Infrastructure. Le ministre s’est inspiré du rapport de M. Jean-Louis Bianco qui recommande de réunifier la famille des chemins de fer qui était divisée depuis 1997 en deux entités, RFF et la SNCF. La réforme devrait permettre de réaliser les travaux nécessaires sur le réseau ferré vieillissant, répondant en cela aux objectifs du rapport Mobilité 21 « Pour un schéma national de mobilité durable » mais également d’endiguer la dérive financière du gestionnaire d’infrastructure, dont la dette gonfle de 1,5 milliard d’euros chaque année.

Le projet de loi prévoit que le président du GIU sera nommé par l’État sur avis de l’ARAF. Quels critères retiendrez-vous pour rédiger cet avis ?

Le « quatrième paquet ferroviaire » présenté début 2013 par la Commission européenne réaffirme l’obligation d’étanchéité totale entre le gestionnaire d’infrastructure et les opérateurs en vue de l’ouverture du marché à la concurrence. Or le rôle de l’établissement mère n’est pas clairement défini. Quelles relations entretiendra-t-il avec le GIU et la SNCF ? Nous savons que le directoire, coprésidé par MM. Guillaume Pepy et Jacques Rapoport, respectivement présidents de la SNCF et du GIU, serait aux commandes du groupe public. Quid en cas de désaccord qui surviendrait entre eux ?

Le projet de loi prévoit la création d’un Haut comité qui regrouperait tous les acteurs du rail, dont la SNCF et ses concurrents, et aurait le pouvoir d’arbitrer les litiges entre le gestionnaire des infrastructures ferroviaires et les transporteurs. Ce rôle n’est-il pas dévolu à l’ARAF, seule capable de garantir la parfaite étanchéité des comptabilités de la SNCF et du futur GIU ?

La bonne gestion budgétaire de votre autorité devrait permettre à la SNCF d’économiser 13 millions d’euros en 2014. Vos dépenses étant bien inférieures au montant de la redevance versée par les opérateurs, il semblerait normal que ces sommes ne gonflent pas les caisses de l’ARAF mais alimentent celles du futur GIU. Qu’en pensez-vous ?

M. François-Michel Lambert. Je vous remercie, monsieur le président Cardo, pour la franchise de vos propos.

Nous approuvons la création de trois EPIC et du réseau intégré, mais cette solution est-elle "eurocompatible" ?

Il existe un modèle français qu’il convient, selon moi, de préserver. La catastrophe de Brétigny nous a paradoxalement rappelé que la dernière catastrophe s’était produite il y a 25 ans, ce qui montre que la sécurité du rail est bien assurée dans notre pays, beaucoup plus que dans d’autres pays européens. Mais cet accident a montré également les limites de notre système ferroviaire. Quels que soient les enjeux financiers, nos décisions ne doivent pas impacter la sécurité de notre réseau. Telle doit être la base de notre réflexion.

Nous ne disposons pas du texte de la réforme, mais nous avons bien compris l’engagement du Gouvernement. Ainsi les investissements d’avenir feront la part belle aux transports interrégionaux, au détriment du « tout TGV » qui a conduit le système ferroviaire dans les difficultés financières qu’il connaît aujourd’hui.

Quel que soit le schéma qui sera mis en œuvre, tant pour le transport de voyageurs que pour le fret, ne doit-il pas reposer sur les régions, qui sont les collectivités les plus à même d’accompagner cette dynamique ? Je rappelle que le réseau ferré français a été construit au XIXe siècle à partir de dynamiques régionales. Pourquoi ne pas nous inspirer de ce modèle ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Dans leurs rapports, MM. Jacques Auxiette et Jean-Louis Bianco souhaitent renforcer les pouvoirs de l’ARAF dans un souci de transparence et d’équité. Vous venez d’indiquer que les avis émis par l’ARAF sur la tarification des sillons ne seront plus des avis conformes, mais des avis simples. Qu’est-ce qui justifie un tel changement ?

Et qu’est-ce qui justifie, par ailleurs, la mise en place d’un Haut comité ?

Enfin, est-il préférable que la réforme ferroviaire soit votée avant le « quatrième paquet ferroviaire » ou après celui-ci ?

Mme Sophie Rohfritsch. Je salue à mon tour sur la qualité de l’intervention du président Cardo.

L’abandon par l’ARAF de la somme de 13 millions ne compensera pas en totalité les projets qui ont été abandonnés ou le seront probablement dans le cadre du rapport Mobilité 21 et du rapport de Philippe Duron, mais il incitera peut-être le Gouvernement à flécher cette somme vers des projets indispensables.

Il semble que la perspective de l’ouverture à la concurrence du trafic local soit repoussée en 2019. Ce report est regrettable car certaines lignes privées, en particulier la ligne Milan-Nice, ont déjà obtenu de très bons résultats. Qu’en pensez-vous ?

M. Yannick Favennec. Confirmez-vous que vous renoncerez à la redevance en 2014 ?

Vous deviez vous entourer au Mans de 56 experts, or ils ne sont pas encore recrutés. Quand aura lieu leur recrutement et quel sera leur rôle ?

Mme Valérie Lacroute. De nombreux opérateurs, dont la compagnie étrangère Thello, gestionnaire de deux lignes internationales Paris-Venise et Paris-Rome, sont confrontés à de nombreux retards dans l’allocation des sillons, ce qui les oblige à procéder à des ajustements d’horaires et à des modifications d’itinéraires qui leur sont préjudiciables.

Députée du sud de la Seine-et-Marne, ma circonscription est située aux franges de l’Île-de-France. Notre réseau de trains Intercités et Transilien est saturé. Les voyageurs se plaignent quotidiennement de retards et d’annulations de trains. L’attribution des sillons est un problème complexe, surtout en Île-de-France. La libéralisation totale du transport ferroviaire de voyageurs, prévue pour 2019, va renforcer la mission de contrôle accordée à l’ARAF. C’est, je l’espère, le gage de son indépendance. Toutefois, que comptez-vous faire pour résoudre les problèmes liés à l’attribution des sillons ? Comment, à court terme, allez-vous accroître la production quotidienne de sillons de qualité sur l’ensemble du réseau ?

Enfin, le rapprochement des « horairistes » de la SNCF et de RFF permettra-t-il de lever les blocages actuels ?

M. Laurent Furst. Je commencerai mon propos par un dicton alsacien : « Faire, défaire, refaire, c’est aussi travailler »… J’ai le sentiment que nous allons réorganiser le système ferroviaire français et ce changement est nécessaire.

Il semble que la sécurité soit assurée sur notre réseau et je m’en félicite. Reste que les infrastructures vieillissent à cause d’un manque d’investissements et que la productivité de l’entreprise ne lui permet pas de dégager suffisamment de fonds pour les financer.

Nous savons pertinemment qu’il existe des systèmes qui fonctionnent, qu’ils soient ou non intégrés. Notre véritable préoccupation doit être d’assurer l’équilibre financier de l’ensemble du dispositif afin d’assurer les investissements nécessaires à la modernisation du système, ce qui exige que nous nous posions la question des moyens.

L’EPIC de tête a-t-il une réelle utilité ou sert-il à donner l’illusion de la cohérence et de l’unité du système ferroviaire afin d’empêcher la bulle sociale d’exploser ?

M. Jean-Pierre Vigier. Avez-vous contacté M. Guillaume Pepy en vue d’affecter la somme de 13 millions d’euros à une opération particulière ?

M. Guillaume Chevrollier. Au cours des dix dernières années, la part du fret a progressé de 50 % en Allemagne tandis qu’elle diminuait en France dans la même proportion. La réforme du système ferroviaire peut-elle renverser cette situation inacceptable ?

La réforme doit permettre au rail français de faire face à la concurrence européenne et de renforcer sa compétitivité. À ce titre, ne faudrait-il pas moderniser les statuts propres à la SNCF, notamment le statut social des cheminots ?

Enfin, nous sommes souvent interpellés dans nos territoires par les usagers du train qui se plaignent du prix des billets. L’ARAF a-t-elle un rôle à jouer en matière de régulation des prix des billets ?

M. David Douillet. L’accident survenu en gare de Brétigny ne montre-t-il pas la nécessité de renforcer l’autorité et le pouvoir de régulation de l’ARAF ?

Dans le cadre de l’évolution des pratiques du réseau et de l’ouverture à la concurrence, la sécurité pourra-t-elle rester une véritable priorité ?

M. Bertrand Pancher. Avec toutes ces questions, le président de l’ARAF ne s’est pas déplacé pour rien ! (Rires)

M. Pierre Cardo. Le grand nombre de vos questions ne me surprend pas car nous nous les posons également à l’ARAF.

Nous discutons en effet d’un projet de loi dont nous ne connaissons que quelques ébauches et qui, de toute façon, ne cesse d’évoluer.

Vous évoquez l’assainissement de la situation financière de la SNCF : pratiquer la tarification incitative est l’un des moyens pour y parvenir puisqu’elle permet une meilleure utilisation du système ferroviaire.

Je tiens à dire que le regroupement des établissements publics au sein d’un gestionnaire d’infrastructure unifié, même s’il ne suffit pas, est indispensable. Il restera à faire de l’infrastructure un véritable outil industriel. Je rappelle que celle-ci est la propriété de la collectivité, qui seule est en droit de maîtriser son usage, son entretien et sa destination.

Quant à la réalisation de 1,5 milliard d’économies par an, elle ne sera pas possible avant quatre à cinq ans.

Certains suggèrent que le GIU pourrait réaliser une économie de 500 millions d’euros grâce à la suppression des doublons créés par la réforme qui a mis en place RFF et par la possibilité pour RFF et SNCF Infra de réaliser des achats en commun. Je vous fais remarquer que la masse salariale de RFF représente à peine la moitié de ces 500 millions d’euros. Quant aux achats en commun, RFF et SNCF Infra n’achètent pas systématiquement les mêmes produits – en outre, cela laisse supposer que nous ne savons pas acheter. Nous ne pouvons donc pas compter uniquement sur les économies que nous pourrions réaliser de ces deux façons.

Il a été fait allusion au fait que la SNCF pourrait rendre l’impôt sur les sociétés et les dividendes qu’elle verse à l’État chaque année pour les verser à l’EPIC de tête qui lui-même en ferait bénéficier l’infrastructure. Soit, mais encore faut-il avoir des dividendes à verser. La réduction des dépenses serait alors répartie en trois parties – 500 millions d’euros pour le GIU, 500 millions pour l’impôt sur les sociétés et les dividendes, et 500 millions d’économies réalisées par la SNCF grâce au déplacement du siège et aux évolutions technologiques. Si la SNCF doit réaliser 500 millions d’économies, il lui sera difficile de générer 500 millions d’euros sur l’impôt sur les sociétés et les dividendes. En outre, ce qui a fait progresser les résultats de la SNCF l’année dernière, ce sont la facture que SNCF Infra adresse à RFF et l’utilisation des TER et des TET, qui implique l’État et la région. Ne nous trompons pas : les économies sont possibles, mais pas dans les proportions annoncées.

Il convient de redonner confiance aux opérateurs qui souhaitent utiliser notre réseau ferroviaire, et pour cela ils doivent pouvoir compter sur sa fiabilité. Car actuellement ils ne sont jamais certains que les sillons qui leur ont été attribués leur seront effectivement accordés. C’est d’autant plus préjudiciable que depuis quelques décennies, les industries françaises travaillent en flux tendu et n’ont donc pas de stock. Faute de certitude sur les délais, les industriels qui ont à effectuer une livraison choisissent la route, ce qui explique l’insuffisante utilisation du réseau.

Dès lors que le réseau sera plus fiable, la sécurité améliorée et l’attribution des sillons organisée, sa rémunération sera assurée. Il convient d’optimiser l’usage de la partie du réseau qui est la plus demandée et d’encourager les industriels à utiliser le ferroviaire parce qu’il est moins cher et beaucoup plus fiable que la route.

Le fret ferroviaire est l’un des moyens les plus sûrs mais aussi l’un des plus incertains. Il y a là une contradiction. Je confirme d’ailleurs qu’en dépit de l’accident de Brétigny, la France est le troisième pays d’Europe en matière de sécurité du réseau ferroviaire. Certes, le manque de financement a entraîné une forte détérioration du réseau qui entraîne soit le ralentissement de la vitesse, soit la limitation des tonnages de fret transportés. Si nous accélérons le rythme de rénovation du réseau, nous optimiserons son utilisation et les recettes augmenteront. Mais il faut garder à l’esprit que même si nous investissons dans la rénovation depuis plusieurs années, les dépenses d’entretien ne diminuent pas.

Nous nous posons beaucoup de questions en France pour améliorer la part du fret ferroviaire, mais les Allemands ont réussi à la faire progresser. Cette part diminue depuis vingt ans et il semble qu’elle n’ait pas de lien avec l’ouverture du marché, mais nous observons depuis deux ans un léger infléchissement positif.

L’incertitude qui plane sur l’attribution des sillons est responsable en partie du manque de recettes lié à la sous-utilisation du réseau. C’est pourquoi le président de RFF et moi-même engagerons dès le mois de septembre une étude conjointe en vue de limiter la génération de sillons précaires qui représente un gros handicap pour le fret ferroviaire, tout comme la rénovation intense du réseau et le raccordement des lignes à grande vitesse avec le réseau grandes lignes car ils occasionnent des travaux qui se déroulent la nuit, aux heures de circulation du fret.

Le rapport Duron a été très clair quant à la nécessité d’investir prioritairement pour améliorer les nœuds ferroviaires, ce qui mettra fin aux blocages et facilitera la circulation des trains. L’amélioration ne sera pas sensible avant plusieurs années, toutefois il est indispensable de poursuivre l’effort de rénovation, de traiter les problèmes des nœuds ferroviaires et d’arrêter la construction des lignes à grande vitesse dont la rentabilité, j’en suis désolé pour ceux qui sont concernés, est devenue beaucoup moins évidente. En effet, les grandes métropoles ont été reliées et il n’est pas concevable de relier une grande métropole à une zone peu peuplée car alors la ligne ne peut être amortie, sauf à augmenter les péages de telle sorte que personne ne voudra les utiliser. Un TGV qui roule à 320 km/h exige un tracé très droit, ce qui multiplie les ouvrages d’art. Les trains allemands ne roulent qu’à 250 km/h, et se faisant ils usent beaucoup moins les voies et le matériel, sans oublier que le coût de la construction de la ligne est inférieur de plusieurs milliards d’euros. Compte tenu de la taille de notre territoire, il ne serait pas anormal que les TGV roulent à 220 km/h. J’ajoute que nous n’avons pas fait le choix industriel du train pendulaire, mais il aurait peut-être été intéressant pour de nombreuses régions. Sans doute aurions-nous pu y réfléchir davantage.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je suis heureux de vous l’entendre dire !

M. Pierre Cardo. Toutes ces considérations doivent nous amener à revisiter nos politiques industrielles.

S’agissant de la tarification, l’ARAF n’a pas de compétence en matière de tarification destinée aux usagers : elle ne se préoccupe que de la tarification des péages versés par les opérateurs.

J’en viens aux 13 millions d’euros de redevance auxquels l’ARAF va renoncer. Dès la première année de fonctionnement, nous nous sommes aperçus que nous n’avions pas consommé l’essentiel du péage que nous avions prélevé. Je tenais pour ma part à rendre l’argent aux opérateurs, considérant que je prélevais une somme qui leur appartenait en échange d’une prestation qui n’existait pas, mais la Cour des comptes, jugeant que cela revenait à les subventionner, m’a interdit de procéder ainsi. Nous avons donc cherché une autre solution.

Entre-temps, l’État avait décidé de plafonner nos recettes à 11 millions d’euros et de limiter nos effectifs à 52 et à 56 équivalents temps pleins au lieu des 60 prévus par la loi, ce que nous avons considéré comme une légère entaille à notre autonomie. Nous avons fait valoir que puisque nous ne pouvions pas rendre l’argent en l’état, il convenait de ne pas le prélever. Les opérateurs conserveront donc cette somme, au moins l’année prochaine.

La loi a créé des autorités publiques indépendantes, mais où est leur indépendance si l’État passe son temps à essayer de les encadrer ? Je pense qu’il faut partir du principe que les présidents des autorités publiques ont le sens des responsabilités et pratiquent une gestion saine. Après tout, ces autorités doivent leur existence à la volonté du Parlement et du Gouvernement.

L’État avait une autre possibilité, celle de plafonner nos recettes à zéro, faisant ainsi de l’argent prélevé sur les opérateurs une taxe prélevée directement par Bercy, ce qui permettrait d’attribuer ces sommes à des projets particuliers. Sauf que l’affectation des recettes nous échappe totalement. Je serais très heureux que l’on me donne la possibilité d’attribuer les suppléments de recettes à tel ou tel fonds.

Si mon équipe compte 38 experts sur les 56 prévus, c’est que le siège de l’ARAF a été installé au Mans. On peut s’en étonner quand on sait que les acteurs du rail se trouvent à Paris, à Bruxelles et dans toute l’Europe. Nous avons donc des bureaux au Mans et un local à Paris. Mais cela pose problème. Dans mon équipe, 12 personnes font chaque jour l’aller-retour entre Paris et Le Mans, ce qui représente 2 heures 30 de trajet, et 4 heures pour ceux qui habitent en grande banlieue. Or en dehors du personnel administratif, nous recrutons des ingénieurs des Ponts, des polytechniciens, des experts comptables, des spécialistes du droit de la concurrence ou du droit européen. Ces personnes devant nécessairement bénéficier d’une expertise, cela exclut les juniors. Nous nous sommes efforcés de recruter des seniors, mais ceux-ci sont le plus souvent installés en région parisienne, leur conjoint a des responsabilités, leurs enfants vont à l’université : très peu d’entre eux acceptent de venir travailler au Mans.

Cela dit, nous réussissons à fonctionner et nous avons démontré notre expertise, même si nos services juridiques et financiers ne pèsent pas lourd face aux services de la SNCF. Pour autant, je ne souhaite pas recruter plus de 40 collaborateurs tant que je ne connais pas exactement le contenu de la réforme. Ce n’est sans doute pas confortable pour les services, mais il ne serait pas raisonnable d’utiliser les fonds qui sont mis à ma disposition simplement pour atteindre l’effectif qui m’a été alloué.

J’en reviens au fret : contrairement au transport de passagers, le fret ne bénéficie pas d’un service minimum en cas de grève, ce qui peut poser des problèmes aux opérateurs.

L’ouverture à la concurrence accordera nécessairement aux régions une plus grande autonomie de décision. Je considère qu’elles seules sont en mesure d’apprécier exactement les lignes qui sont rentables et celles qui ne le sont pas et nécessitent d’autres types de transport.

Dans un grand élan euphorique, nous avons mis en place des TER sur tout le territoire. Il convient aujourd’hui de revoir leur implantation et de faire des régions des AOT de plein exercice, notamment en vue de préparer l’ouverture à la concurrence en 2019 – ou plutôt en 2024, vu la durée des conventions passées avec la SNCF. Il serait intéressant de donner aux régions les moyens de décider du maintien de certaines lignes et d’organiser la comptabilité par ligne qu’elles attendent. Elles nous en font la demande, mais le législateur ne nous en a pas donné les moyens.

La SNCF aurait intérêt à se préparer à l’ouverture à la concurrence, car nous avons l’impression qu’elle est inquiète et fait le dos rond. J’aimerais que la France dispose d’un groupe efficace et compétitif, d’autant que l’alliance objective qui nous lie aux Allemands à propos du « quatrième paquet ferroviaire » pourrait bien ne pas durer longtemps si, dès l’ouverture à la concurrence, la Deutsch Bahn décide d’attaquer une partie du marché français.

J’en viens au statut des personnels, sur lequel, je le rappelle, l’ARAF n’est pas compétente. Pour améliorer la compétitivité du groupe, ce n’est pas le statut qu’il faut revoir mais l’organisation du travail. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur cette question, mais je reconnais qu’elle doit être posée. L’ouverture à la concurrence nous placera dans une mauvaise posture par rapport aux Allemands car lorsque nous avons réformé la SNCF, nous avons maintenu sa dette en la transférant sur RFF, tandis que les Allemands l’ont tout simplement supprimée. Ils ont également réglé la question du statut des personnels, ce qui n’est pas notre cas. Nous partons donc avec un boulet au pied. Ce ne sera évident ni pour la SNCF ni pour le système ferroviaire. Nous devons impérativement nous interroger sur la façon dont nous allons résoudre la quadrature du cercle qui s’imposera à nous dans les années qui viennent.

Si nous nous préoccupions des problèmes de compétitivité, nous serions amenés à revoir un certain nombre d’éléments de notre organisation du travail. L’augmentation annuelle de la dette de 1,5 milliard d’euros prouve que l’organisation du travail ne correspond pas à la façon dont il faudrait intervenir sur le réseau ferroviaire, tant pour faire circuler les trains que pour organiser le réseau.

SNCF Infra emploie 35 000 personnes. Il est surprenant d’attendre qu’elle intègre le GIU pour lui demander de faire des économies. Ne peut-elle faire des économies dès maintenant ?

La sécurité n’entre pas dans le champ d’action de l’ARAF, mais dans celui de l’établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) sur lequel l’ARAF n’agit que par le biais de la réglementation en s’assurant que la sécurité ne va pas à l’encontre de l’ouverture à la concurrence.

Nous rencontrons nos homologues européens de deux manières : d’une part, la Commission européenne réunit chaque année tous les régulateurs autour d’un ordre du jour qu’elle a elle-même fixé, et d’autre part l’IRG-Rail – Independent Regulators’ Group – réunit tous les régulateurs dits indépendants – même ceux ne le sont pas, comme les Italiens par exemple.

Nos homologues britanniques sont réellement indépendants et disposent d’un important pouvoir de sanction, mais je ne suis pas certain que ce soit une bonne solution. Le rôle limité de l’ARAF s’agissant de l’activité de l’EPSF est une bonne chose dans la mesure où il nous permet de ne pas être à la fois juge et partie.

En Allemagne, l’autorité de la concurrence possède plusieurs branches, dont l’une est constituée par le régulateur ferroviaire. Je suis quelque peu réservé quant à son indépendance réelle dans la mesure où j’observe dans les débats au sein de l’IRG-Rail que les Allemands défendent avec force le système verticalement intégré. La Commission européenne a traduit certains pays devant la Cour de justice, notamment l’Allemagne au motif que la DB utilise les subventions des Länder pour acheter ses concurrents européens. Je m’étonne que cette situation n’ait pas été traitée par le régulateur.

Discuter avec nos homologues est un benchmarking très intéressant, même si nos optiques sont très différentes. Nous avons notamment du mal à leur expliquer que la concurrence n’est pas un but mais un moyen, qu’elle peut être utile mais ne règle pas tous les problèmes et qu’elle doit être encadrée. Pour cette raison, j’affirme la nécessité absolue pour notre pays de pouvoir compter sur un régulateur indépendant et fort qui rassure l’Europe et les acteurs du ferroviaire sur le fait que le système ferroviaire français n’est pas contrôlé par l’opérateur historique mais par le Parlement, la Cour des comptes, la Cour d’appel et le Conseil d’État.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous aurons l’occasion de vous revoir, monsieur Cardo, dans le cadre de l’examen par notre commission du projet de loi portant réforme du système ferroviaire. Je vous remercie pour la précision et la clarté de vos propos.

Je vous souhaite de bonnes vacances ainsi qu’à vos services et à l’ensemble des parlementaires ici présents.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 24 juillet 2013 à 9 h 30

Présents. - M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, M. Philippe Bies, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, Mme Fanny Dombre Coste, M. David Douillet, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Michel Heinrich, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Michel Lesage, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Christian Assaf, M. Julien Aubert, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, M. Patrice Carvalho, M. Philippe Duron, Mme Geneviève Gaillard, M. Christian Jacob, M. Jean-Luc Moudenc, M. Napole Polutélé, M. Jean-Marie Sermier, M. Gabriel Serville