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Mercredi 11 septembre 2013

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 90

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Laurence Tubiana, directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), sur le débat sur la transition énergétique et écologique.

– Information relative à la commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu Mme Laurence Tubiana, directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), sur le débat sur la transition énergétique et écologique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à Mme Laurence Tubiana, directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), qui a animé le comité de pilotage du grand débat national sur la transition énergétique et qui remettra prochainement au Gouvernement la synthèse de ce débat, adoptée par le Conseil national du débat, le 18 juillet dernier.

Mme Laurence Tubiana, directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). Je vous remercie de me recevoir au sein de votre Commission. À l’issue du débat national sur la transition énergétique, qui s’est clos le 18 juillet, votre Assemblée examinera un projet de loi dont M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l'énergie, a annoncé le dépôt au printemps 2014.

À la différence d’autres débats sur l’énergie, menés généralement par des groupes d’experts et consacrés principalement à la production de l’énergie, celui qui vient d’avoir lieu a eu une ampleur particulière, abordant aussi bien l’avenir probable ou souhaitable de la demande d’énergie que le mix énergétique.

Le débat s’est déroulé à plusieurs niveaux. Au sein du comité de pilotage, j’étais chargée de la facilitation du débat du Conseil national, qui réunissait des collèges hérités du Grenelle de l’environnement et des parlementaires, dont le président Chanteguet et d’autres membres de votre Commission, ainsi que des représentants traditionnels du dialogue social, comme le MEDEF et les syndicats de salariés, des représentants des collectivités locales à différents niveaux et des associations environnementales ou généralistes – comme les associations de défense des consommateurs ou des familles –, des associations de développement et des associations qui travaillent auprès des ménages pauvres. Ce conseil de 612 membres, qui se réunissait chaque mois, était assorti de huit groupes de travail examinant à un rythme assez intense quelques grandes questions.

Le débat était décliné sous plusieurs formes, notamment dans les régions et les territoires, où certains d’entre vous y ont participé. Sans doute l’échange mené à ces niveaux a-t-il été plus dynamique et innovant qu’au niveau national, où il était plus traditionnel.

Il s’est déroulé de novembre à juillet au niveau national et de janvier à la fin juin dans les régions. Au total, plus de 1 000 réunions publiques ont été tenues, auxquelles ont participé près de 200 000 personnes. Un moment fort du débat dans les territoires a été la journée citoyenne du 25 mai, dont la mise en place a été surveillée par l’Office danois des technologies, organisme précédemment lié au Parlement danois et spécialisé dans l’observation des méthodes participatives. Ce débat citoyen réunissait 100 citoyens par région, choisis selon une méthode d’échantillon et sans lien avec le débat principal – ni militants, ni représentants professionnels, par exemple –, qui ont été informés et ont débattu durant une journée sur de grandes questions telles que la demande énergétique, les modes de vie, le mix énergétique ou les énergies renouvelables.

Le débat, présenté par un site Internet remarquable, a été très riche et a donné lieu à de nombreux travaux, dont témoignent des cahiers d’acteurs précis et nourris, et a bénéficié de nombreuses contributions d’experts, qui constituent un matériel très intéressant pour les chercheurs – parmi lesquels je me place. Je suis notamment persuadée que Sciences Po, ma maison-mère, lancera un travail de recherche sur cet extraordinaire matériel.

Parallèlement au débat centralisé qui s’est tenu à Paris et où la direction des grandes entreprises et les représentations traditionnelles du dialogue social ont exposé leurs orientations, celui tenu au niveau local a présenté des déclinaisons différentes et décalées. La réunion, le 8 juillet, de ces deux débats, a mis au jour des perspectives intéressantes quant à la vision de l’avenir, certaines régions présentant une vision plus dynamique et positive de la transition énergétique que celle qui ressortait du débat national, marquée par des craintes pour la croissance économique et l’emploi.

Il s’agit d’une première, car le travail a été mené à différents niveaux et a porté sur l’horizon à long terme de 2050. La feuille de route était celle qu’avait donnée le Président de la République en septembre dernier : respecter les engagements français, internationaux et européens, diversifier le mix énergétique pour réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité, dynamiser les énergies renouvelables et, surtout, reprendre l’énorme effort d’efficacité énergétique qui avait été engagé en France dans les années 1970, entre le premier et le deuxième chocs pétroliers, notamment dans les bâtiments et les véhicules. Il s’agit donc de rallumer cet effort de transformation technologique et de raison dans les comportements, afin de nous libérer d’une facture énergétique toujours plus lourde.

J’en viens aux résultats du débat, et tout d’abord aux points consensuels.

Un consensus s’est dégagé pour respecter les objectifs français pour 2020 et décarboner profondément l’économie française d’ici 2050, notamment en éliminant complètement les produits fossiles – charbon ou pétrole – de la production d’électricité ou en parvenant à capturer et à stocker le carbone, ce qui est du reste une perspective encore lointaine en termes de faisabilité économique et technique.

Un autre consensus s’est exprimé pour faire porter l’effort sur les secteurs du bâtiment et des transports.

Autre point de consensus : bien que l’électricité soit appelée à jouer un rôle croissant dans l’ensemble de l’économie pour permettre un développement plus sobre en carbone, une grande modération s’impose pour parvenir à réduire très fortement les émissions de gaz à effet de serre.

Sur la base de ce constat, le secteur du bâtiment joue le rôle d’un test de vérité. Qu’ils optent pour la sortie du nucléaire ou pour l’augmentation du parc nucléaire, tous les scénarios que nous avons envisagés, produits par des groupes de recherche, des entreprises comme ERDF ou des agences publiques comme l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), partagent la même vision de l’effort à produire, notamment dans les quinze premières années, pour engager cette transition. Cet effort porte essentiellement sur la rénovation thermique des bâtiments. Dans ce domaine, le chiffre de 500 000 logements à rénover par an, bien que difficile à atteindre, est cohérent avec l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les énergies renouvelables ont donné lieu à un débat plus mûr que voici quelques années : j’étais alors conseillère pour l’environnement de Lionel Jospin et l’on s’opposait alors autour de leur principe même. La discussion, désormais rationnelle, a porté sur le coût supportable de ces énergies, sur la vitesse de leur déploiement et sur le partage entre ce qui relève de l’autoconsommation et des énergies réparties. Ce débat a donc connu une maturation, comme cela a été également le cas pour le débat sur le nucléaire.

Si l’importance de la rénovation thermique fait consensus, il reste néanmoins à décider comment mobiliser à cette fin les différents niveaux de financement et à quels taux les grands travaux d’économie d’énergie à réaliser dans l’habitat tant collectif qu’individuel pourront être rentables. Au-delà de l’accord qui s’est fait jour sur le volume à engager jusqu’à 2050 dans ce domaine, le travail doit donc être achevé pour ce qui concerne les modalités de financement.

S’agissant des transports, des orientations intéressantes ont été évoquées, concernant des usages assez différents de la voiture. Les grands constructeurs automobiles français ont déjà une vision très moderne de l’évolution de leur métier. Le parc de voitures devrait désormais s’adapter aux nouveaux usages et des progrès devraient intervenir en matière de consommation d’essence, sous l’effet notamment de l’émergence du véhicule électrique, du développement de l’autopartage et de l’apparition d’une conception nouvelle du transport collectif.

Quant au mix énergétique et au nucléaire, la diversification répond à un objectif de sûreté dans un contexte de vieillissement du parc des centrales nucléaires. La discussion a donc porté sur la sécurité énergétique, qui suppose à la fois la montée en puissance des énergies renouvelables et la modération de la consommation.

La précarité énergétique a été abordée, d’une manière classique, en termes de prix de l’énergie pour les ménages pauvres, mais il est apparu qu’il s’agissait là d’une course-poursuite sans fin. Les tarifs sociaux jouent certes un rôle, mais ils ne sont pas un outil durable et cette demande doit être traitée d’un point de vue structurel, notamment en donnant la priorité à la rénovation thermique des habitations les moins bien isolées. Il s’agit donc moins d’abaisser le prix de l’énergie pour les ménages pauvres que de rendre ces ménages beaucoup plus indépendants de l’usage de celle-ci, avec des maisons plus efficaces et moins de transports contraints, ou tout au moins des transports plus économes. Les associations qui s’occupent des précaires ont indiqué que la précarité énergétique, souvent conçue comme concernant les ménages les plus pauvres, pouvait désormais toucher des couches moyennes qui s’appauvrissent. La modération de la consommation par l’efficacité doit donc permettre d’assurer un reste-à-vivre aux ménages les plus pauvres comme à ceux qui sont gagnés par la précarité.

Il y a dans la transition énergétique française à la fois une politique nationale à construire, voire à reconstruire, et à développer, une mobilisation des acteurs économiques, qui devraient y voir des opportunités d’investissement et de marché, et une dynamique locale – la gouvernance locale de l’énergie. Malgré la décentralisation de certains éléments, le modèle français est plus centralisé que celui prévalant en Suède, en Allemagne, au Danemark, en Espagne ou au Royaume-Uni. Certaines ressources, par exemple certaines énergies fatales ou l’énergie répartie – comme le gaz produit à partir de déchets ou le biogaz – sont perdues, faute des compétences locales pour les utiliser.

La maîtrise de la consommation est par ailleurs très liée à des facteurs structurels, comme l’urbanisation, l’étendue des territoires et la prise en charge des travaux au niveau local. Tout cela plaide pour une approche localisée de la question de l’énergie, surtout quand on l’aborde du point de vue de la demande. Les collectivités locales, comme les régions Nord-Pas-de-Calais, Pays de la Loire et Provence-Alpes-Côte d’Azur, la ville de Grenoble ou le Grand Lyon pensent à leurs scénarios pour 2050 et ont engagé des actions souvent assez complètes en termes de prospective et de modes de financement. Une conférence sur le financement de la transition énergétique est ainsi sur le point de se tenir – ou vient de se tenir – en région Pays de la Loire, avec la participation des acteurs financiers. Cette dynamique locale est très nouvelle et répond à une demande des citoyens, comme nous avons pu le constater lors de la journée citoyenne. Le projet de loi devra donc aborder la décentralisation de la gestion de l’énergie.

Les points de conflit sont de deux types. Les premiers sont liés à l’incertitude, car tous les paramètres ne sauraient être maîtrisés, a fortiori à l’horizon 2050. Ainsi, on évaluera différemment la quantité d’énergies fossiles qu’on pourra conserver dans l’économie française selon qu’on sera pessimiste ou optimiste quant aux perspectives de capture ou de stockage du carbone. Dans le premier cas, la solution réside dans la sobriété de la consommation énergétique et dans la part importante des énergies décarbonées – nucléaire, renouvelables ou biogaz. Dans le second, on peut conserver une partie significative d’énergie fossile, car on pourra en faire une utilisation propre. Cette incertitude économique et technologique a introduit un dissensus face au scénario que le Gouvernement devrait adopter pour proposer une vision aux acteurs économiques. Il a ainsi été clairement proposé de faire progresser les mesures qui paraissent indispensables et de réviser le scénario au fur et à mesure que certaines incertitudes seront levées par les évolutions technologiques ou l’absence de solutions.

Certaines positions demeurent par ailleurs inconciliables – les partisans de la sortie du nucléaire, par exemple, ne sont pas disposés aujourd’hui à accepter l’idée que le mix énergétique conserverait 50 % de cette énergie. En outre, le consensus qui s’est formé sur la nécessité de la diversification ne dispense pas le Gouvernement de trancher sur la rapidité de cette dernière. Cela dit, le dissensus est sain et souhaitable dans une démocratie. De fait, le débat a permis de faire apparaître les points constituant une base commune et ceux qui se révèlent contradictoires et irréconciliables.

Le Gouvernement devra également trancher pour enclencher l’indispensable mouvement de rénovation des bâtiments, en définissant ce qui doit relever de la subvention, de crédits adaptés ou de pratiques différentes de la part des banques. L’obligation de travaux n’a pas fait l’objet d’un consensus, car les collectivités locales et certaines associations souhaitaient son instauration, conditionnée par l’existence de financements permettant d’éviter d’en faire supporter la charge aux ménages en étalant la dépense dans le temps, tandis que d’autres acteurs étaient hostiles à cette idée.

Il se pose un problème de cohérence des politiques au niveau national et au niveau local. En effet, les grands déterminants de la consommation et de la production d’énergie sont pour une bonne part structurels – il s’agit notamment des réseaux de distribution d’énergie, des politiques d’urbanisme et des plans de déplacement, qui correspondent à des politiques de très long terme et exigent de la cohérence. De bonnes pistes existent pour atteindre celle-ci sur le fond, non par une redistribution des compétences, mais pas la création d’un cadre de concertation, notamment au moyen des contrats de plan État-région, qui obligent les différents niveaux à adopter une vision structurelle et organisée de l’évolution de la consommation et de la production d’énergie à moyen et à long terme. La rénovation des schémas régionaux sur l’énergie et le climat offre précisément un tel cadre, que tous les acteurs sont prêts à revisiter et à développer.

Le débat, plutôt que de porter sur la nature de l’énergie nécessaire, a mis au jour un point de consensus sur la flexibilité et la capacité à hybrider différents vecteurs – le vecteur gaz et le vecteur électrique, par exemple. L’important est de disposer d’un système énergétique dont les réseaux de production et de distribution permettent le passage d’une énergie à l’autre et des usages différents, comme le stockage de l’électricité via l’eau ou le gaz, ou la combinaison de formes complémentaires telles que la voiture électrique et la production d’électricité domestique. Il convient donc d’adopter une vision beaucoup plus souple, qui permette cette hybridation des différentes énergies. C’est là une direction très intéressante sur les plans économique et technologique, ainsi que pour la déclinaison la plus adaptée possible au territoire de la production et de la distribution d’énergie.

Quant aux « conclusions » du débat – car le MEDEF s’est opposé à l’emploi du terme de « recommandations » –, elles seront remises en plusieurs étapes.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Il ressort du débat que, pour atteindre le « facteur 4 », c’est-à-dire la division par 4 des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050, la consommation d’énergie finale devrait être divisée par 2 d’ici là. Cette question devra être abordée dans le projet de loi et sera du reste un point fort des orientations que retiendra le Gouvernement.

M. Jean-Yves Caullet. Je vous remercie, madame la directrice, au nom du groupe SRC, pour votre exposé qui montre bien que le débat donc vous venez de nous rendre compte n’est pas un aboutissement, mais qu’il s’inscrit dans une démarche continue qui ne fait que commencer.

Je souligne – permettez-moi ce clin d’œil – que le niveau local n’est pas le niveau régional, même si l’on perçoit moins cet échelon depuis Paris. Le débat régional est d’ailleurs loin de toucher tout le monde, car il existe aussi un centralisme régional, qui n’est pas meilleur que le centralisme national.

A-t-il été envisagé, notamment à propos du nucléaire, de réserver l’énergie issue de certaines sources à des usages particuliers, afin de compenser, dans le cas par exemple des industries électrodépendantes, les inconvénients d’une ressource par son intérêt pour un secteur donné ? Une telle réflexion est-elle engagée à propos du mix énergétique ?

Vous avez indiqué à propos de la précarité énergétique qu’il fallait rendre économes en priorité les modes de vie de nos concitoyens les moins fortunés. Or, pour faire des économies, il faut d’abord pouvoir investir : la loi devrait veiller à remédier à ce problème. Que pensez-vous des normes d’excellence s’appliquant à la consommation énergétique dans les bâtiments et dont le coût peut dissuader certains propriétaires de faire de travaux ?

Au-delà de l’aménagement du territoire, l’aménagement de notre fonctionnement institutionnel pourrait faire baisser considérablement la consommation d’énergie, en particulier grâce aux technologies numériques. Y a-t-il des perspectives d’économies dans ce domaine ?

La mobilisation des compétences locales en fonction des potentiels locaux est très importante et les échelons de décision en matière d’affectation des moyens devraient s’intéresser moins à l’importance démographique des zones où ils agissent qu’à l’efficience de leurs actions et de leurs investissements.

Les questions de logistique doivent être revues : après avoir appris, durant cinquante ans, à diffuser des produits manufacturés dans tous les foyers, nous n’avons pas encore réussi à récupérer symétriquement par le même circuit ce qui peut être valorisé.

En matière de stockage, qu’en est-il de l’hydrogène, qui pourrait permettre de recréer les conditions de la photosynthèse pour ce qui est de la réduction du gaz carbonique et fournir un carburant non producteur de gaz à effet de serre ?

Enfin, vos travaux ont-ils été jusqu’à interroger le modèle de propriété, fondé sur l’usus et l’abusus ? Qu’en est-il de la liberté de choix d’un mode de vie liée à une égalité d’accès à certains biens, dont l’énergie ? Faut-il subordonner la possibilité de s’installer à certains endroits à l’autonomie énergétique ? Comment l’égalité et la liberté s’articulent-elles dans un contexte de rareté ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je rappelle qu’un groupe automobile allemand conduit actuellement, avec le soutien de deux groupes français – Schneider et Alsthom – une expérimentation sur l’hydrogène : l’électricité permet de produire de l’hydrogène qui, mélangée au CO2, produit du méthane.

M. Jean-Marie Sermier. On sent que la réflexion n’en est encore qu’à son début et que beaucoup de travail reste à faire sur le texte de loi qui nous sera présenté au début de 2014. Vous avez précisé que certains objectifs faisaient l’objet d’un consensus et que les mentalités avaient changé. Sans doute le Grenelle de l’environnement n’y est-il pas pour rien, au-delà des avancées technologiques évidentes qui ont permis à la part des énergies nouvelles de passer de 6 % à 13 % : chacun comprend désormais que l’environnement et l’énergie sont des éléments essentiels du devenir de notre planète.

Il faut également évoquer les moyens d’atteindre ces objectifs, notamment la fiscalité écologique. Celle-ci ne doit pas être punitive, mais incitative, et la France doit travailler avec les autres pays membres de l’Union européenne pour éviter des distorsions de concurrence et une perte de compétitivité de nos entreprises. Le produit d’une éventuelle fiscalité écologique doit en outre être affecté intégralement à la transition écologique, et non au budget de l’État : l’affectation de ces recettes au financement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, évoquée par le Président de la République, n’est pas le meilleur signe à donner. Cette fiscalité doit en outre être compensée par une baisse des charges pesant sur le coût du travail, afin de ne pas pénaliser les entreprises, et ne doit pas entraîner de perte de pouvoir d’achat des classes moyennes.

Le groupe UMP est par ailleurs défavorable à l’augmentation du taux de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) sur le diesel, qui a bénéficié d’efforts très importants de la part des constructeurs français, auxquels il ne faut pas accrocher un boulet qui leur serait fatal.

Il convient d’avoir une réflexion plus large sur la contribution climat-énergie, portant notamment sur la taxe carbone. Une approche globale est nécessaire, mais nous redoutons que certains gouvernements ne se contentent d’ajouter une nouvelle taxe sans s’interroger sur les progrès de cette contribution. Le but n’est pas, en effet, de créer des impôts, mais d’amener nos concitoyens à changer leurs mentalités.

Nous souhaitons enfin que la mise en place de la fiscalité sur la biodiversité, qui est une réalité depuis l’application du Grenelle de l’environnement, puisse elle aussi s’articuler en cohérence avec les dispositifs existants en matière de protection, sans préjudice des dispositifs de compensation et d’évaluation déjà en vigueur.

M. Bertrand Pancher. Contrairement à mes craintes, le débat sur la transition énergétique a été de qualité, car les débats territoriaux ont permis de toucher le grand public, qui était le grand absent du Grenelle de l’environnement. Cependant, je rappelle, au nom du groupe UDI, que certaines personnalités qui ont participé à ces travaux déplorent, à l’instar d’un responsable d’organisation environnementale que je recevais hier, qu’« … une montagne ait accouché d’une souris... ». Vos interlocuteurs étaient les mêmes que ceux du Grenelle de l’environnement, qui a donné lieu, au terme de consensus parfois difficiles et de certains dissensus, à des décisions claires. Pourquoi n’êtes-vous pas parvenus à formuler des recommandations précises ? Souvent, en effet, votre débat s’est traduit par des constats de désaccord. Il revient maintenant au Gouvernement d’aller puiser dans ses synthèses pour prendre des décisions.

Le bâtiment, par exemple, était par excellence le domaine où l’on attendait des progrès. Pourquoi aucun accord n’a-t-il été trouvé pour créer, comme partout en Europe, un financement à taux très réduit ? Quelle date butoir allez-vous fixer à l’obligation de rénovation thermique ?

Dans d’autres domaines, un souhait de progresser s’est parfois exprimé mais, souvent la messe était déjà dite, comme dans le domaine du transport, où les arbitrages de l’État ont été rendus au titre du schéma national des infrastructures de transport, lequel aurait pourtant pu faire l’objet d’une discussion dans la perspective de la transition énergétique. Comment la question du transport a-t-elle été raccrochée au débat ? Assistant l’an dernier à la Conférence environnementale, je m’interrogeais déjà sur l’absence de ce secteur, qui est pourtant le deuxième pilier de l’économie verte.

Pour ce qui est enfin des énergies renouvelables et de la baisse de la consommation énergétique, EDF se comporte comme un État dans l’État et tout le monde a intérêt à ce que perdure la consommation d’électricité – EDF, les collectivités et même les syndicats, car le comité d’entreprise d’EDF reçoit 1 % du budget.

M. Gabriel Serville. Au nom du groupe GDR, je compte, madame la directrice, sur la position que vous occupez au sein de certaines organisations internationales telles que l’IDDRI et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) pour soutenir la Guyane, où le débat s’est tenu et d’où les conclusions de celui-ci nous parviendront prochainement.

La forêt amazonienne, qui joue un grand rôle dans la capture et le stockage du gaz carbonique, est menacée par le fléau de la déforestation sauvage pratiquée par les orpailleurs clandestins venus du Brésil et contre lesquels le Gouvernement a engagé l’opération Harpie, menée par la gendarmerie et l’armée pour rétablir l’ordre républicain et faire respecter la souveraineté nationale. Cependant, aussitôt les opérations terminées, les orpailleurs reviennent.

Au Brésil, où je me suis rendu du 13 au 20 juin, j’ai rencontré des parlementaires et des gouverneurs dont certains m’ont assuré qu’ils mettraient tout en œuvre pour remplacer le député chargé d’introduire à la Chambre des députés le texte du traité de coopération de 2008, déjà ratifié par la France et en attente de ratification par le gouvernement brésilien. Avant d’être examiné par les deux chambres du Parlement brésilien, le texte doit être validé par la Commission des affaires extérieures et la Commission d’intégration du bassin amazonien. Si cela a été fait au mois d’août, le texte se heurte à la réticence de certains parlementaires de l’État de l’Amapá, qui retarderont autant qu’ils le pourront cette ratification.

En marge du débat sur la transition énergétique et sachant que tous ces phénomènes sont intimement liés, pourriez-vous peser auprès de la communauté internationale pour faire entendre l’idée qu’il est nécessaire de rétablir l’ordre sur le territoire de la Guyane afin d’épargner la forêt guyanaise ? Ce n’est pas simple, car la diplomatie s’efforce d’avancer avec ses propres armes. Votre concours serait donc un poids supplémentaire permettant de progresser dans le processus mis en place.

M. Jacques Krabal. J’estime, au nom du groupe RRDP, que ce débat sur la transition énergétique a été un premier succès. Il a mobilisé beaucoup de monde dans les régions : plus de 2 000 personnes y ont ainsi participé en Picardie, ce qui est une première sur un tel sujet. D’ailleurs, les organisateurs ont fait part de leur volonté de tout mettre en œuvre pour que les citoyens et tous les acteurs locaux – syndicalistes, chefs d’entreprise, élus – soient associés.

Mais la gestation du processus n’est pas terminée et il faudra attendre la Conférence nationale sur l’environnement, qui aura lieu dans dix jours, et le projet de loi annoncé pour pouvoir juger des résultats.

Cela dit, une idée importante a déjà émergé : la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas, sachant que la fiscalité énergétique ne doit pas être additionnelle.

S’agissant de la réduction de l’effet de serre d’ici 2050, est-il cohérent d’intégrer dans le mix énergétique les gaz et huiles de schiste ?

Enfin, comment conjuguer la transition énergétique au niveau européen ?

M. François-Michel Lambert. La dimension européenne est en effet essentielle.

Je pense, au nom du groupe écologiste, que ce débat a atteint son premier objectif, qui est de démontrer que l’énergie peu chère est une chimère, surtout si elle est d’origine nucléaire. Les Français prennent conscience que l’engagement dans cette transition énergétique est indispensable et l’idée que la France est protégée de l’augmentation de l’énergie grâce au nucléaire n’est plus d’actualité.

Mais cette transition suppose une politique de long terme. Les éléments structurels en sont les infrastructures de transport de l’énergie, notamment du gaz, ainsi que de transport des personnes, qui sont parfois négligées. À cet égard, l’urbanisme français, fait de mitage et de dispersion urbaine, est une contrainte. Comment ces infrastructures ont-elles été précisément prises en compte ?

Par ailleurs, il existe de mauvais choix : les gaz de schiste ou le diesel – qui ne fait que repousser à plus tard la réalité à laquelle nous sommes confrontés en provoquant 15 000 à 30 000 morts par an.

D’autre part, la répartition des flux financiers de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) au profit des énergies renouvelables a permis la confiscation de plusieurs millions ou centaines de millions d’euros par quelques-uns sans, finalement, atteindre les objectifs recherchés. Une personne a pu ainsi bénéficier d’un chèque de 500 millions d’euros. M. Jacques Bucki, maire de Lambesc et représentant de l’Association des maires de France (AMF) dans vos débats, a proposé à cet égard un autre modèle avec des boucles redistributives de flux financiers pour améliorer les performances et replacer les collectivités locales et les citoyens au cœur de l’action et de la décision. Comment avez-vous pris en compte cette proposition ?

En outre, il faut sortir du modèle de l’économie linéaire surconsommatrice de matière, mais aussi d’énergie, et entrer dans un nouveau modèle de prospérité, reposant sur une économie circulaire, s’appuyant sur l’écoconception, l’économie de la fonctionnalité – c’est-à-dire fondée sur l’usage plutôt que l’acquisition du bien –, l’écologie industrielle, la réparation, le réemploi et le recyclage, qui sont moins consommateurs d’énergie. Comment avez-vous pris en considération cette approche, qui peut apporter des réponses structurelles, importantes en termes de performance énergétique ?

Malgré ce que peuvent dire les médias, nombre d’entreprises s’engagent déjà dans la transition énergétique. C’est le cas par exemple de GRDF, qui a annoncé qu’en 2050, la totalité du gaz qui circulera dans ses 30 000 kilomètres de tuyaux sera renouvelable ou de synthèse. De même, GDF-Suez s’est engagé pour 2030 à distribuer 30 % de biométhane, au lieu des 20 % prévus par l’État, et EDF Optimale Solutions est également très active.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les entreprises s’engagent et les territoires aussi !

M. Christophe Bouillon. Merci, madame la directrice, pour votre présentation, qui traduit la densité des débats auxquels vous avez participé. Je suis heureux que la question du nucléaire ait été abordée, ce qui n’avait pas été le cas au cours du Grenelle de l’environnement.

La transition énergétique doit relever trois défis : un défi économique, qui est celui de la compétitivité ; un défi social, vis-à-vis de la précarité énergétique ; et un défi écologique, qui est la lutte contre le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité. Y a-t-il un équilibre entre ceux-ci dans les différents scénarios que vous avez envisagés ?

Par ailleurs, toutes vos recommandations sont-elles de nature normative ? Y a-t-il eu d’autres débats en Europe sur le sujet ? Avez-vous examiné la question des interconnexions ?

Enfin, quelle est la hauteur de la marche entre la transition énergétique et la transition écologique ?

M. Claude de Ganay. Je vous remercie également, madame la directrice, pour la clarté de votre exposé.

Mais j’ai le sentiment que ce débat sur la transition énergétique se solde par un échec, ce que nous ne pouvons que regretter, car ce sujet est déterminant pour notre croissance dans les cinquante prochaines années. Il a été dès le départ sacrifié sur l’autel des promesses électorales, alors qu’il aurait dû reposer sur l’idée qu’aucun pays ne peut connaître de croissance économique sans augmentation de sa consommation énergétique, même si celle-ci doit tendre vers plus de sobriété et faire appel progressivement aux énergies renouvelables.

L’un des éléments essentiels voulus par le Président de la République se résume à la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production énergétique, ce qui engendrera inévitablement une perte de notre compétitivité sur la scène internationale. Le cadre politique préalable aux discussions a conduit plusieurs acteurs à refuser certaines recommandations issues de celles-ci.

Pensez-vous également que ce débat a été abordé de façon biaisée ? Et que la condition nécessaire à l’acceptation d’une véritable transition énergétique ne pouvait passer que par une phase de réflexion approfondie, indépendante et objective sur la place du nucléaire dans notre économie ?

M. Jean-Pierre Vigier. Le rapport de 2012 de votre institut souligne la nécessité d’une réflexion et d’une coopération européennes et internationales pour lutter contre le réchauffement climatique et les pollutions atmosphériques. Si la France avance bien dans ce domaine, les pays émergents, comme la Chine ou l’Inde, qui connaissent un fort développement industriel, remettent en cause les efforts des pays développés. De nombreux experts se réunissent pour élaborer des textes et des normes, mais ceux-ci ne sont pas respectés par ces pays. Quelles mesures suggérez-vous pour concilier à la fois le respect de l’écologie et le développement économique mondial, notamment dans ce type de pays ?

M. Guillaume Chevrollier. La Chine est le premier pays émetteur de gaz à effet de serre et le leader mondial de la production éolienne et de panneaux solaires – avec des pratiques commerciales contestées. Cette position dominante n’est pas sans soulever des inquiétudes. Pensez-vous que l’on puisse trouver un meilleur équilibre dans les échanges commerciaux en la matière dans les années à venir ? Ce pays évolue-t-il vers une politique de développement durable ?

S’agissant de la rénovation thermique des bâtiments et de la nécessité de rendre les ménages indépendants par rapport à l’énergie, quelles mesures proposez-vous pour les acteurs du bâtiment ? Y aura-t-il un consensus sur les moyens à mettre en œuvre ?

M. Jean-Luc Moudenc. On ne peut parler de transition énergétique sans aborder le problème de la filière photovoltaïque, qui a connu un retournement de situation très négatif depuis quelques années, que ce soit en France avec les décisions de 2010 sur les tarifs de rachat et leurs conséquences considérables en termes de disparitions d’emplois, mais aussi en Europe, puisque le subventionnement de cette filière par l’Union européenne a été plusieurs fois réduit. D’autant qu’à ces difficultés s’ajoute le dumping pratiqué par la Chine. Si un accord a été conclu par l’Union européenne avec ce pays au mois de juillet dernier, on peut être dubitatif sur les suites concrètes qui y seront données.

Mme Laurence Tubiana. J’ai souhaité, dans ma présentation, vous exposer les grandes lignes du travail issu du débat sur la transition énergétique. 225 mesures précises ont fait l’objet d’un consensus.

Nous avons à l’évidence bénéficié de l’acquis du Grenelle de l’environnement, qu’il convient de saluer : il y a eu l’apprentissage d’une démocratie délibérative, qui reste d’ailleurs encore balbutiante.

Nous avons besoin de cette méthode délibérative, qui permet de clarifier les choix et de faire émerger une vision sociale commune. Les syndicats de salariés et patronaux sont à des degrés différents de maturation sur la transition énergétique, qui est à un moment de basculement. Nous sommes en train de sortir d’une République d’ingénieurs, qui avait conçu le système énergétique français avec beaucoup de talent, pour entrer dans un monde plus compliqué, marqué par une révolution technologique. Celle-ci suscite parfois des peurs, notamment s’agissant de ses conséquences en termes de redistribution ou sur les métiers. Concernant la rénovation thermique, j’ai été étonnée de voir que l’obligation de travaux suscitait un rejet de la part des fédérations d’artisans ou de la Fédération française du bâtiment (FFB). Cela dit, on peut en comprendre les raisons : elles ont été déçues dans le passé, craignent que les nouveaux marchés soient monopolisés par de grands groupes capables de faire des offres intégrées – reléguant les autres au rôle de sous-traitant – et redoutent la concurrence internationale, avec des produits moins chers venant d’ailleurs, ainsi que la redistribution du travail au sein de la profession. La manière dont est constitué le débat délibératif dépend étroitement de la capacité de ces corps constitués à incarner le changement.

Concernant le prix de l’énergie, nous avons évidemment besoin d’avoir une industrie compétitive. À l'égard des concurrents européens, on peut remédier aux écarts existants, notamment au sujet des prix du gaz. Les énergo-intensifs ou électro-intensifs doivent faire l’objet d’un traitement particulier. J’ai vu d’ailleurs des associations écologistes qui étaient d’accord pour dire que l’industrie ne doit pas être pénalisée et doit pouvoir prévoir le prix de l’énergie. Quant à l’écart existant avec les États-Unis, il s’agit d’une autre question.

Le modèle allemand est intéressant, même s’il trouve ses limites : on ne peut établir un équilibre entre industriels, prix de l’énergie relativement bas – des prix très bas étant selon moi illusoires – et ménages pouvant supporter des prix supérieurs que si les ménages sont très économes dans l’usage de l’énergie.

En Californie, le prix du kilowhattheure est le plus élevé des États-Unis mais la facture électrique est la deuxième plus basse du pays, en raison de la grande efficacité énergétique des ménages. On pourrait aussi évoquer le modèle suédois, qui est assez proche.

Nous avons donc un compromis social nouveau à construire. Mais nous avons aussi de grands changements technologiques en perspective, comme la voiture à 2 litres aux cent kilomètres ou le véhicule électrique – dont on sait qu’il sera urbain et probablement partagé dans la plupart des cas. Il est donc normal qu’il y ait encore des incertitudes et, d’ici cinq ou dix ans, beaucoup de questions pourront être éclaircies, notamment s’agissant des transports.

Il est vrai que ce dernier sujet a été abordé avec difficulté : les acteurs du secteur étaient là mais n’ont pu apporter suffisamment de contributions à temps. Quand on a interrogé les constructeurs, on n’était pas informé des innovations de telle ou telle entreprise et ce n’est que grâce au groupe de contact des entreprises qu’on a pu les connaître. Il y a donc un décalage entre le débat tel qu’il est organisé et cette période de révolution technologique mais aussi organisationnelle, grâce aux technologies de l’information.

EDF voit, par exemple, ce que peuvent être les énergies réparties et comment offrir des services énergétiques et se faire rémunérer sur les économies d’énergie, à l’encontre de l’Union française de l’électricité (UFE), qui défend qu’il faut dépenser davantage d’électricité – ce que l’on peut comprendre. Par ailleurs, des entreprises comme Mercedes ou Renault ont une approche très différente de l’usage et de la consommation d’énergie.

Je ne suis pas convaincue que la croissance impose nécessairement un accroissement de la consommation d’énergie. Les exemples de la Californie, de l’Allemagne ou de la Suède le montrent. Il existe en effet un découplage possible entre la croissance et la consommation d’énergie. Notre histoire l’atteste : après le premier choc pétrolier, la France a continué à avoir une croissance économique forte et a enregistré un extraordinaire succès en matière d’économie d’énergie, grâce au progrès technique. D’autant qu’on peut gagner en rationalité en fonction des incitations économiques.

On ne peut avoir des scénarios ambitieux de sobriété énergétique, voire de réduction de 50 % de la consommation, que si l’on pense que ce découplage est possible. Celui-ci est au cœur de la révolution technologique. D’ailleurs, la Chine est obsédée par ce découplage et n’hésite pas parfois à recourir à des mesures brutales, comme fermer des usines en octobre pour tenir les objectifs du plan qu’elle s’est fixé pour l’année.

La planète n’est pas infinie : nous avons des capacités limitées d’absorption des gaz à effet de serre et des ressources halieutiques, minérales et forestières réduites. Mais le progrès technique rend ces limites complexes. D’autant que, selon les données publiées par les Nations Unies cet été, la population mondiale pourrait passer à 11 milliards d’habitants, plutôt que se stabiliser à 9 milliards, à horizon 2050.

Il est donc essentiel de réussir ce découplage, même si l’on peut discuter du rythme et des moyens pour y parvenir, sachant qu’il faut le faire de manière rationnelle et scientifique. Faute de quoi, nous nous lancerions dans une course effrénée dans l’accès au pétrole, au charbon, au gaz ou à l’uranium.

Parmi les mesures précises qui ont fait consensus, je citerais notamment le fait d’arriver à un taux de crédit identique à celui du crédit immobilier pour les travaux, le parcours de rénovation ou le guichet unique. Certaines, d’ailleurs, n’imposent pas de recourir à la loi.

Quant à la fiscalité écologique, elle est très difficile à mettre en place sans réforme fiscale d’ensemble. Tous les pays qui ont réussi à l’instaurer n’ont pu faire l’économie de celle-ci. Cela a été le cas en Suède, où la taxe carbone atteint 112 euros la tonne, sans mettre en cause la compétitivité de l’industrie. Nous devons examiner le système prévalant dans les autres pays européens et construire à cet égard une ligne cohérente.

Ce sera le cas dans le cadre du paquet européen de 2030, sachant que les politiques énergétiques sont différentes d’un pays à l’autre, ainsi que dans celui de la négociation internationale de 2015 en vue d’un grand accord sur le climat.

Quant à la Chine, elle a le même débat que nous sur le fait de savoir si l’on peut aller vers une économie moderne faiblement carbonée. Le gouvernement actuel pense que oui. Il faut construire avec ce pays un rapport à la fois de force et de coopération.

Le photovoltaïque est un véritable échec, car il y a eu une crise des industries de fabrication de panneaux solaires dans ce pays et en Europe, que ce soit en France, en Espagne ou en Allemagne. Mais de cet échec peut naître une coopération.

Sur la question de la contribution carbone, il faut manier la carotte et le bâton. D’une part, la Chine a terriblement peur de mesures de rétorsion commerciale. D’autre part, elle réfléchit aux impacts du changement climatique sur elle et, en tant que premier émetteur de gaz à effet de serre, est motivée pour avancer.

Malheureusement, nous avons agi a posteriori dans l’affaire de la taxe antidumping, pour arriver à une discussion qui pourra finalement être positive. On aurait pu traiter le problème en amont et réfléchir à l’avenir de la filière photovoltaïque de manière à éviter les erreurs du passé. J’en suis d’autant plus consciente que j’ai participé à la préparation des tarifs de rachat de l’électricité solaire, mais à l’époque, le secteur paraissait très petit et on n’a pas élaboré de politique industrielle en même temps que les mesures incitatives – ce qu’on ne peut plus se permettre aujourd’hui.

Si l’on développe les nouvelles phases d’industrie photovoltaïque, notamment des couches minces, il faut donc définir une politique industrielle en maniant, là encore, la carotte et le bâton vis-à-vis des compétiteurs.

J’espère que la presse couvrira nos débats de façon plus positive. Nous avons fait, je le répète, de nombreuses propositions concrètes, dont beaucoup sont d’ordre organisationnel ou tiennent au fait de donner de bonnes instructions à la Caisse des dépôts et consignations et de créer des associations entre petites et grandes entreprises pour que les parcours de rénovation existent. Cela dit, le débat doit encore mûrir et se poursuivre au sein du Parlement. Encore une fois, beaucoup de désaccords tiennent aux incertitudes que j’évoquais : il faut profiter du délai nous séparant de l’examen du projet de loi prévu pour approfondir la réflexion, en faisant venir des experts devant les commissions parlementaires et en commandant des études, notamment sur la question des transports ou du financement.

On sait notamment que l’on doit obtenir des taux de crédit pour les travaux de 2 à 3 % : nous avons plusieurs idées à cette fin, mais il faut aussi favoriser une synergie entre les banques privées, la Caisse des dépôts et la Banque européenne d’investissement (BEI). De même, il conviendra, dans le cadre du projet de loi, de favoriser la décentralisation et faciliter la vie des tiers financeurs – qui relèvent de l’habitude en Californie, plutôt que de l’expérimentation, comme chez nous.

Monsieur Gabriel Serville, je me ferai volontiers votre porte-parole pour protéger l’Amazonie et la forêt guyanaise. La gestion collective du bassin amazonien est une vraie question. Je pense que le gouvernement français peut avancer avec le Brésil dans ce domaine d’ici 2015 : cela ferait mauvais effet qu’on ne noue pas d’accord sur ce point. Je rappelle que la déforestation est à l’origine de 20 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales.

Enfin, certaines institutions françaises peuvent prendre en charge la suite du débat sur la transition énergétique, comme le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Il faut élaborer un scénario national où les parties prenantes convergent sur la vision à 2050. Il convient à cet égard de trancher certaines questions comme le découplage et faire le lien entre le débat national et le débat parlementaire.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci madame la directrice.

Le débat engagé doit en effet déboucher le plus rapidement possible : derrière le scénario, il y a le projet de loi sur la transition énergétique. Nous avons d’ailleurs, dans le droit fil de votre suggestion, déjà commencé à auditionner de nouveaux experts, à l’occasion des tables rondes que nous avons organisées et qui ont donné lieu à la publication d’un premier rapport d’étape.

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Information relative à la commission

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à la désignation d’un rapporteur pour avis sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises (n° 1341).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La commission s’est saisie pour avis du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances des mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises (n° 1341). En effet, plusieurs mesures traduisent les propositions des états généraux de la modernisation du droit de l’environnement, et notamment des articles 8, 9, 13, 14, 16, 18 et 19. Le calendrier est serré car nous examinerons ce texte en commission, mercredi 18 septembre au matin, vers 11h30, après l’audition de M. Guillaume PEPY.

La commission an nommé M. Philippe Noguès rapporteur pour avis sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises.

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 11 septembre 2013 à 16 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Olivier Falorni, M. Claude de Ganay, M. Jacques Krabal, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, M. Gabriel Serville, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Julien Aubert, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Vincent Burroni, M. Patrice Carvalho, M. Christian Jacob, M. Arnaud Leroy, M. Franck Marlin, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, Mme Suzanne Tallard