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Mercredi 30 octobre 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Lapouge, ambassadeur chargé des négociations sur le climat, sur l’état des négociations en cours pour la COP 19 à Varsovie (2013) et la préparation de la COP 21 à Paris (2015)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Jacques Lapouge, ambassadeur chargé des négociations sur le climat.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Jacques Lapouge, ambassadeur chargé des négociations internationales sur le changement climatique, dans le cadre de la préparation de la 19ème conférence des parties (COP 19) qui aura lieu à Varsovie du 11 au 22 novembre prochain et de la 21ème conférence (COP 21) que la France devrait accueillir en 2015 à Paris. La 20ème conférence aura lieu entre temps à Lima, au Pérou.

Monsieur Lapouge, vous êtes en poste depuis le 23 janvier 2013. Au cours de la précédente législature, nous avions auditionné vos prédécesseurs, M. Brice Lalonde, le 24 novembre 2010, dans la perspective de la conférence de Cancun, puis M. Serge Lepeltier, le 2 novembre 2011, avant la conférence de Durban. Vous êtes aujourd’hui accompagné de Mme Sophie Vieillefont, coordinatrice de l’action diplomatique dans les négociations sur le climat au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

M. Jacques Lapouge, ambassadeur chargé des négociations internationales sur le changement climatique. Merci, en m’accueillant au sein de votre commission, de me donner l’occasion de faire un point sur la préparation de la COP 19 de Varsovie et de la COP 21 qui doit se tenir à Paris en 2015. Il n’y a certes pas de conférences plus importantes que d’autres, mais le mandat donné à Durban en 2011 fixait clairement l’horizon de 2015. La COP de Varsovie puis celle de Lima l’an prochain doivent ouvrir à la conclusion d’un accord à Paris en 2015.

Les conclusions du cinquième rapport du groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) sont sans appel. Les changements observés dans le climat depuis 1950 sont sans précédent : chacune des trois dernières décennies a été plus chaude que toutes les décennies précédentes depuis 1850. Depuis 1971, les océans se réchauffent et s’acidifient, les glaciers reculent et le niveau des mers et océans ne cesse de s’élever. Dans le même temps, les événements climatiques extrêmes se multiplient. Si aucune mesure n’était prise et si devait perdurer le scénario dit du business as usual, la hausse de la température moyenne à la fin du siècle pourrait approcher les 5°C, hypothèse cohérente avec les conclusions des récents rapports de la Banque mondiale et de l’Association internationale de l’énergie. Dans son scénario le plus optimiste, le GIEC estime toutefois possible de limiter le réchauffement à 2°C, hausse qui, même si elle pose déjà des problèmes, est considérée comme encore gérable par l’humanité. Ce scénario suppose néanmoins une mobilisation collective, massive et immédiate.

Les réponses apportées jusqu’à présent par la communauté internationale n’ont pas été à la hauteur du défi. Plusieurs pays ont quitté le protocole de Kyoto, refusant d’entrer dans la deuxième phase d’engagements décidée à Durban. Alors qu’à l’origine, le protocole couvrait 33 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, pour sa deuxième phase d’application 2012-2020, il n’en couvre plus que 15 %, dont 11 % émanant de l’Union européenne. Des engagements ont certes été pris à Copenhague puis confirmés à Cancun, qui couvrent près de 75 % des émissions mondiales. Mais ces engagements, d’ailleurs de nature différente selon les États, n’ont aucun caractère contraignant et demeurent insuffisants.

C’est dans ce contexte que le Président de la République a annoncé l’année dernière la candidature de la France à l’organisation de la COP 21 en 2015. Notre pays, dont chacun connaît l’engagement sur le sujet, dispose donc de trois ans pour préparer cette conférence. À l’exception du Danemark qui avait engagé la préparation de celle de Copenhague très en amont, la plupart du temps, les pays ne présentent leur candidature à l’organisation de la prochaine conférence que lors de la conférence précédente.

Le groupe régional au sein duquel siège la France aux Nations unies soutient sa candidature et, même si notre pays ne sera formellement désigné qu’à la COP de Varsovie, nous sommes sûrs qu’il le sera – il n’y a d’ailleurs pas d’autre candidat. La conférence aura lieu au Bourget et son secrétaire général a été choisi, en la personne de l’ambassadeur Pierre-Henri Guignard. L’administration et tout le réseau diplomatique sont déjà mobilisés. Depuis avril-mai, un comité ministériel de pilotage, placé sous la présidence du ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, et auquel sont associés le ministre de l’environnement, du développement durable et de l’énergie, M. Philippe Martin, et le ministre délégué chargé du développement, M. Pascal Canfin, se réunit tous les mois. Le ministère de l’économie et des finances et le ministère chargé de l’agriculture sont également mobilisés. Ma propre lettre de mission est signée des trois ministres précités et je travaille avec toutes les administrations concernées.

Nous avons commencé de sensibiliser l’ensemble de nos partenaires. Lors de tous leurs entretiens bilatéraux, les ministres des affaires étrangères, de l’environnement et du développement évoquent la future conférence sur le climat. Ainsi, lors de chacune de leurs rencontres, M. Laurent Fabius et le secrétaire d’État américain, M. John Kerry, dont chacun sait l’importance qu’il accorde au sujet, abordent le dossier climatique.

L’objectif de la COP 21 a été fixé à Durban. Il s’agit de parvenir à un accord applicable à tous les pays, juridiquement contraignant et assez ambitieux pour permettre de contenir le réchauffement en-dessous de 2°C d’ici à la fin du siècle. Cet accord devra donc fixer des objectifs quantifiés de réduction des émissions, différenciés selon les pays, chacun devant contribuer à l’effort selon son niveau de développement et ses capacités. Pour emporter l’adhésion de tous, il conviendra qu’à la différence du protocole de Kyoto qui comportait des engagements généraux dits economy wide, cet accord accepte d’autres types d’engagements : dates de pic d’émission, baisse d’intensité énergétique… Cela fera partie de la négociation. Il faudra également trouver une formule permettant de relever dans le futur les engagements pris, sans qu’il soit nécessaire de renégocier périodiquement l’accord.

Celui-ci ne portera pas seulement sur l’atténuation, mais aussi sur l’adaptation et les moyens de mise en œuvre, avec notamment pour les pays en développement, l’accès aux technologies, le renforcement des capacités et les financements. La question du financement sera l’un des enjeux essentiels, mais aussi les plus délicats, de la conférence de Paris. L’engagement a été pris à Copenhague et à Cancun de créer un Fonds vert et de mobiliser dans les pays du Nord 100 milliards de dollars par an de financements publics et privés au profit des pays du Sud à l’horizon 2020.

Au-delà de l’accord stricto sensu, nous souhaitons que la COP 21 ouvre à des solutions concrètes. Il faudra donc y insister sur les opportunités de croissance et de développement qu’offrent la transition écologique et la lutte contre le changement climatique, car celle-ci ne doit plus être présentée seulement comme « le partage d’un fardeau » (burden share). Cet « agenda positif » regroupe toutes les initiatives, et elles sont nombreuses, des gouvernements, des organisations internationales, du secteur privé ou des collectivités, ayant un effet, direct ou indirect, sur la réduction des émissions, sur l’adaptation au changement climatique ou contribuant au financement des actions. À côté de la logique des engagements contraignants visés dans la négociation internationale, il y a la logique de moyens et de résultats sur le terrain. Il faudra mettre toutes les initiatives en valeur lors de la conférence, d’autant qu’elles peuvent aider au processus de négociation.

La tâche est difficile. Tout d’abord, le contexte économique actuel conduit à privilégier le court terme au long terme, à répondre aux problèmes d’aujourd’hui plutôt qu’à relever les défis de demain. Ensuite, l’essor des classes moyennes dans les pays émergents s’accompagne inévitablement d’une augmentation de la consommation d’énergie de ces pays. Enfin, la situation budgétaire actuelle des États du Nord ne facilite pas la recherche des solutions de financement.

Pour autant, il existe des signes politiques encourageants. Jamais l’administration américaine n’a été aussi ouverte sur le sujet du changement climatique ; Pékin également adresse des signaux positifs. En juin dernier, la Chine et les États-Unis ont jugé possible un accord visant à l’élimination progressive des hydrofluorocarbures (HFC). Enfin, l’opinion mondiale est désormais pleinement consciente des conséquences du réchauffement climatique, et les discussions dans le cadre des forums de négociation de la plate-forme de Durban ont été plutôt constructives cette année.

Nous avons engagé le dialogue avec tous les États parties à la convention. Nous avons bien l’intention de jouer collectif, comme il est du devoir d’une présidence : nous travaillerons étroitement avec les présidences polonaise et péruvienne. Sur le plan juridique, un pays ne prend la présidence de la COP que le premier jour de celle-ci, mais en pratique, dès la fin de la COP précédente, la future présidence commence de se mobiliser. Je me suis déjà rendu à Lima, d’autres responsables suivront en janvier, de façon à mettre au point une stratégie commune. L’une des clés de la réussite d’une COP est la capacité de la présidence à écouter tous les pays et à obtenir leur confiance. Le Mexique, qui a organisé à Cancun la COP qui passe pour la plus réussie de ces dernières années, a parfaitement joué ce rôle.

Nous nous appuierons également sur des enceintes hors convention cadre des Nations-unies sur les changements climatiques (CCNUCC) pour donner une impulsion politique à la négociation. Je pense bien sûr au G 8, dont la Russie prendra la présidence tournante en 2014 avant l’Allemagne en 2015, et au G 20 qui, encore présidé par la Russie jusqu’en novembre, le sera ensuite par l’Australie en 2014 puis la Turquie en 2015. Je pense surtout à la prochaine Assemblée générale des Nations unies en septembre 2014, dont nous espérons qu’elle sera l’occasion pour les chefs d’État et de gouvernement de marquer leur ambition en matière de climat et d’indiquer des lignes directrices à leurs négociateurs. Nous saisirons également toutes les occasions de rencontres régionales, comme le sommet de l’Elysée, organisé entre la France et les États africains début 2014, dont l’un des thèmes sera l’évolution du climat. Nous aurons bien sûr un dialogue étroit avec les plus gros émetteurs – les États-Unis, la Chine, l’Inde et le Brésil, pour ne citer qu’eux –, dont il est essentiel qu’ils prennent des engagements en 2015, mais aussi avec les pays les plus vulnérables comme les petites îles du Pacifique et de la Caraïbe et les pays africains les moins avancés, qui militent en faveur d’un accord ambitieux afin d’enrayer les dérèglements climatiques, dont ils seront et sont déjà les premières victimes.

Enfin, il est essentiel que l’Union européenne conserve un rôle moteur dans ces négociations et continue de montrer la voie de l’ambition. Il faut donc engager rapidement la ratification de la deuxième phase d’engagements du protocole de Kyoto – cette étape est un symbole très attendu des pays du Sud – et relever de 20 % à 30 % l’objectif de baisse des émissions d’ici à 2020 : il est possible de l’atteindre si chacun s’engage. Il faut qu’à la mi-2014, l’Union européenne soit en mesure de présenter une position politique commune à ce sujet et de prendre des engagements pour la période postérieure à 2020. Dans son livre vert, la Commission envisage une diminution de 40 % des émissions à l’horizon 2030. Les discussions ont commencé et une proposition sera présentée à la fin de l’année. Rendez-vous a été pris pour le Conseil européen de mars. Il est important pour la présidence française que l’Union européenne, qui a toujours par le passé tiré vers le haut les négociations sur le climat, continue de défendre un objectif ambitieux pour parvenir à un compromis satisfaisant.

Il nous faudra aussi bien entendu associer la société civile – ONG, secteur privé, collectivités territoriales – à la préparation de la conférence de Paris  Dans le rapport sur le rôle des collectivités dans la mise en œuvre d’une politique de lutte contre le réchauffement climatique qu’ils ont remis en septembre, les sénateurs Ronan Dantec et Michel Delebarre ont montré combien les collectivités étaient déjà mobilisées et souhaitaient être associées. Par leur expérience et leurs réseaux internationaux, les parlementaires ont aussi tout leur rôle à jouer. Nous serons heureux de voir avec vous comment avancer ensemble.

La conférence de Varsovie, où nous nous réjouissons d’avance de retrouver une délégation de votre Assemblée, sera une étape importante pour qu’un accord puisse intervenir deux ans plus tard à Paris. Nous en attendons quatre résultats principaux. Tout d’abord, des avancées sur le volet financier : on a eu l’impression à Doha que les pays développés ne s’engageaient pas assez. Il faut qu’à Varsovie, ils envoient un signal clair sur leur volonté d’accompagner financièrement la transition écologique des pays en développement. La présidence polonaise organisera une session ministérielle sur le volet financier. Après la réunion du conseil d’administration du Fonds vert qui s’est tenue à Paris il y a deux semaines, on espère que la première opération de capitalisation de ce Fonds pourra être lancée avant fin 2014. La France mobilise déjà plus de deux milliards d’euros par an pour des projets liés au climat, au travers notamment de l’Agence française de développement (AFD) qui, dans le cadre de sa nouvelle stratégie, consacre la moitié de ses engagements aux projets climatiques. Une partie du produit de la nouvelle taxe sur les transactions financières sera consacrée à la lutte contre le changement climatique.

La conférence de Varsovie devra en deuxième lieu établir une feuille de route pour aboutir à un accord global en 2015. Au temps des échanges succédera celui de la négociation effective du texte de l’accord lui-même. Il faut fixer les étapes qui permettront de soumettre un projet d’accord lors de la conférence de Lima.

Troisième objectif de la conférence de Varsovie : lancer le processus de définition des engagements de réduction des émissions, qui pourront être de nature différente selon les pays. Il faut que chaque pays puisse en 2015 s’engager à un objectif quantifié. La présidence polonaise demandera à tous les pays de préparer leurs engagements – nous souhaiterions qu’elle les invite à le faire le plus rapidement possible. Il faudra ensuite évaluer si ceux-ci sont d’une part assez ambitieux, d’autre part équitables.

Dernier objectif : avancer dans la mise en œuvre des décisions précédentes, en particulier pour ce qui concerne l’adaptation et les pertes et dommages. Les pays du Sud y tiennent.

Le processus de ratification de l’amendement au protocole de Kyoto adopté à Doha est engagé : espérons qu’il sera le prélude à la ratification du futur accord de 2015.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les parlementaires souhaitent bien sûr être étroitement associés à la préparation de la COP 21 à Paris. Dans les prochains mois, nous organiserons plusieurs tables rondes sur le réchauffement climatique : l’une sera consacrée au dernier rapport du GIEC – avec Denis Baupin, nous avons assisté il y a quelques jours à une réunion au ministère des affaires étrangères consacrée à ce rapport.

Les sénateurs Ronan Dantec et Michel Delebarre ont remis le rapport sur le rôle des collectivités qui leur avait été confié par le ministre chargé du développement. Nous ne voudrions pas, nous parlementaires, être tenus à l’écart : le risque existe, alors même que nous avons une responsabilité importante concernant la ratification de l’amendement au protocole de Kyoto, adopté à Doha. Afin d’éviter d’être marginalisés, nous prendrons plusieurs initiatives : nous créerons très prochainement une mission d’information sur le réchauffement climatique et ses conséquences – géographiques, économiques et sociales – pour notre pays. Je rappelle par ailleurs que nous avons créé un chapitre France de Globe International, forum interparlementaire consacré aux sujets d’environnement. Par conséquent, nous souhaitons être des partenaires actifs dans la préparation de la COP 21.

M. Michel Lesage. Les conclusions du dernier rapport du GIEC sont à la fois limpides et inquiétantes : la température moyenne de la Terre pourrait augmenter de 5°C d’ici à la fin du siècle et le niveau moyen des mers s’élever de 82 cm. C’est dire combien il est urgent de passer à l’acte pour limiter le réchauffement climatique. Un sursaut s’impose : les échecs répétés des conférences internationales sur le climat sont largement dus au refus des États de consentir les efforts nécessaires. Oui à un pacte mondial, à l’intérieur duquel chaque pays devra agir concrètement.

Pour les pays en développement, les enjeux financiers sont essentiels. Pouvez-vous, monsieur l’ambassadeur, nous en dire davantage sur le Fonds vert ? Comment pense-t-on parvenir à une première capitalisation fin 2014 ? Quels montants peut-on escompter ? Un accompagnement technique et des transferts de technologies sont également indispensables pour les pays du Sud.

La réussite au niveau mondial de la lutte contre le réchauffement climatique passe par les pays en développement mais aussi par les pays émergents, dont le dynamisme de la croissance n’est pas sans conséquences sur l’environnement. Dans la perspective de la conférence de Paris en 2015, la France se doit d’être exemplaire. Votre mission, monsieur l’ambassadeur, porte-t-elle aussi là-dessus ?

Alors que la crise actuelle risque de faire passer le sujet du réchauffement climatique à l’arrière-plan, il faudrait au contraire utiliser le levier environnemental pour relancer l’économie tout en réduisant les pollutions. L’adaptation au réchauffement climatique doit désormais être intégrée dans toutes les politiques sectorielles au niveau national, européen et international, qu’il s’agisse du domaine de l’énergie, des transports, de l’industrie, de l’agriculture, du bâtiment, de l’eau et des milieux aquatiques, de l’utilisation des sols, et même de la cohésion sociale. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

M. Martial Saddier. Au nom des députés UMP, je souhaite tout d’abord, monsieur l’ambassadeur, saluer le travail de votre prédécesseur, Serge Lepeltier, et vous dire, monsieur le président, que nous partageons votre avis sur la nécessité d’associer le Parlement aux négociations préparatoires à la conférence de Paris. Nous sommes prêts à y prendre toute notre part. Nous saluons évidemment la création d’une mission d’information, puisque nous nous en étions entretenus de manière informelle il y a déjà un mois, monsieur le président.

Monsieur l’ambassadeur, pourriez-vous faire un zoom plus précis sur les évolutions du climat dans notre pays ? Nous savons en effet qu’elles diffèrent selon les zones géographiques.

Devant le volume des émissions de gaz à effet de serre de pays comme la Chine, est-il encore raisonnable d’espérer contenir la hausse des températures en-dessous de 2°C ?

L’attitude des grandes puissances mondiales les plus réticentes par le passé à signer tout accord ou à s’engager de manière concrète en matière climatique a-t-elle aujourd’hui vraiment changé ?

Quel objectif précis conviendrait-il de fixer ? Avec quels financements et à quelle hauteur ? Par quels moyens raisonnables parvenir à rassembler les sommes nécessaires ?

M. Bertrand Pancher. Merci, monsieur l’ambassadeur, de votre présence parmi nous aujourd’hui, mais aussi de nous avoir aussi bien accueillis lors de la conférence de Durban, alors que vous étiez ambassadeur de France en Afrique du Sud.

La COP 21 de 2015 est celle de la dernière chance pour l’humanité. Si j’avais une seule question à vous poser, je vous demanderais que faire sur le plan national pour que l’ensemble de la classe politique mais aussi les acteurs économiques – entreprises aussi bien que syndicats – en prennent conscience, eux qui restent obnubilés par la croissance et le pouvoir d’achat. Si nous parvenons à les mobiliser sur l’enjeu, nous trouverons des solutions.

Pour avoir assisté récemment à l’audition du ministre polonais de l’écologie par la commission Environnement, santé publique et sécurité alimentaire du Parlement européen, j’ai été frappé par sa « langue de bois ». La Pologne ne montre pas l’exemple. Tous les députés européens présents se sont inquiétés du peu d’allant avec laquelle ce pays s’empare du sujet du réchauffement climatique. Comment percevez-vous la future présidence polonaise, monsieur l’ambassadeur ?

Vous avez rappelé les objectifs que l’Union européenne s’est fixée pour la COP de Varsovie : déterminer un calendrier international, mettre en place des règles d’application du principe de responsabilité commune mais différenciée, concevoir le dispositif d’évaluation des engagements qui seront pris lors de la COP de 2015.

L’Union européenne s’est engagée plus fortement que les autres à réduire ses émissions. Pour tenir l’objectif d’une « décarbonisation » quasi-totale à l’horizon 2050, beaucoup d’experts pensent qu’il faudrait viser à l’horizon 2040 l’objectif non pas de 40 % mais de 50 % de « décarbonisation ». Qu’en pensez-vous ?

L’Allemagne a adressé un mauvais signal en demandant, sous la pression du lobby des constructeurs, que le seuil maximal de 95 grammes de CO2 par kilomètre pour les émissions des voitures neuves soit reporté de 2020 à 2024.

Vous avez dit, monsieur l’ambassadeur, percevoir des signaux positifs encourageants de la part de la Chine et des États-Unis. Pourriez-vous nous en dire davantage ? Comment les États-Unis notamment, dont l’attitude sur le changement climatique est encore plus nouvelle que celle de la Chine, pourraient-ils tirer vers le haut les résultats des prochaines conférences ?

Enfin, la France se dotera-t-elle des moyens d’être exemplaire ? Rien ne servira d’accueillir la COP de 2015 si tous nos dispositifs environnementaux sont sabordés, comme c’est actuellement le cas.

M. Denis Baupin. À notre collègue Martial Saddier qui demande s’il est encore raisonnable de continuer de s’assigner l’objectif de contenir le réchauffement en-dessous de 2°C, je demande, pour ma part, s’il serait raisonnable de l’abandonner, au risque de laisser notre destin et celui des générations futures nous échapper totalement, puisque tous les experts s’accordent à considérer que l’évolution du climat deviendra incontrôlée si la hausse de la température moyenne dépasse 2°C. Comme le disait Bertrand Pancher, il en va de l’avenir de l’humanité. Les générations futures nous jugeraient avec sévérité si, sachant ce que nous savons, nous n’étions pas aujourd’hui à la hauteur du défi à relever.

S’il est vrai que par le passé, l’Union européenne a tiré les conférences internationales sur le climat, j’ai le sentiment qu’elle est aujourd’hui à la traîne. Sera-t-elle en mesure à Varsovie de prendre des initiatives significatives pour relancer la négociation ? Est-elle disposée à conclure des alliances avec les États les plus moteurs, notamment ceux qui sont déjà les premières victimes du réchauffement climatique ? Acceptera-t-elle enfin de réduire ses émissions de 30 % ? L’objectif de 20 %, qui a été atteint, n’a pas suffi à inverser la tendance. Il est donc temps de se fixer un objectif plus ambitieux. Pour espérer tenir le facteur quatre à l’horizon 2050, c’est-à-dire avoir divisé par quatre les émissions, il serait cohérent de viser une réduction de 50 % en 2030.

Je vous rejoins, monsieur l’ambassadeur, sur l’intérêt de « l’agenda positif ». Il est important de faire comprendre que, dans le contexte actuel de crise, la lutte contre le réchauffement climatique représente également une opportunité de créer des emplois, d’améliorer le pouvoir d’achat – l’efficacité énergétique permettra que les ménages dépensent moins en énergie –, et de retrouver de la compétitivité pour les économies qui seront les premières à devenir les moins énergivores. Accueillant la conférence de 2015, la France se doit d’être exemplaire. Or, je n’ai pas l’impression que notre pays ait été en pointe lors des négociations européennes sur les nouvelles normes d’émissions des véhicules neufs : le report à 2024 de leur entrée en vigueur constitue un très mauvais signal.

La diplomatie française mobilisera l’ensemble de ses réseaux pour que la conférence de Paris soit un succès. Il faut s’en féliciter, de même que de la mobilisation des collectivités territoriales. Et, comme vous l’avez dit, monsieur le président, les parlementaires et leurs réseaux pourront être utilement mis à contribution. Certains chefs d’État s’abritent derrière la position, réelle ou supposée, de leur Parlement pour refuser toute concession, au motif que celui-ci ne suivrait pas : les Présidents américains se sont ainsi maintes fois abrités derrière le Congrès.

M. Jacques Krabal. Je ne reviens pas sur les conclusions du dernier rapport du GIEC. Le pessimisme du climatologue Hervé Le Treut nous avait déjà fait froid dans le dos lorsque nous l’avions auditionné.

La COP 19 de Varsovie a un double objectif : elle doit à la fois consolider les progrès réalisés à Doha et définir les prochaines étapes, en posant les prémisses du futur accord ; elle doit notamment décider des grands équilibres de l’accord de 2015. Qu’attendez-vous précisément de cette conférence ? Il me paraîtrait dangereux de se concentrer exclusivement sur la conférence de Paris, en négligeant les conférences préalables de Varsovie et de Lima, car il serait utopique de penser pouvoir faire adopter à Paris ce qui n’aurait pas été préparé à Varsovie et à Lima. D’autant qu’aujourd’hui l’ambition n’est pas au rendez-vous dans l’Union européenne et que le contexte économique rend encore plus difficile l’adoption de règles contraignantes. Les trois conférences de Varsovie, Lima et Paris forment un triptyque ; elles doivent être considérées en tant que telles : c’est l’une des clés pour espérer y obtenir des succès.

Le groupe RRDP juge satisfaisante la position de la France exposée par les ministres Laurent Fabius et Pascal Canfin. Il nous paraît en effet pertinent de proposer un « agenda des solutions » plutôt que de laisser la négociation s’enliser sur des objectifs d’émissions, d’associer les collectivités territoriales et de faire de la lutte contre le changement climatique une perspective de sortie de crise et de développement pour tous.

Partagez-vous l’avis de Nicolas Hulot, mais aussi de Pascal Canfin, selon lequel si la conférence avait lieu aujourd’hui, elle se solderait par un échec ? Peut-on espérer que la négociation, aujourd’hui en panne, permette d’aboutir à un accord d’ici à deux ans ?

Qu’en est-il de la mobilisation de 100 milliards de dollars par an au profit des pays du Sud promise à Copenhague ? Des solutions concrètes de compensation pour les pays en développement les plus vulnérables pourront-elles être proposées à Varsovie ?

Mme Catherine Beaubatie. La Chine est l’un des plus gros émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre. Depuis la conférence de Copenhague et les négociations de l’après-Kyoto en 2009, elle a montré des signes clairs d’engagement en matière de lutte contre le réchauffement climatique, tout en faisant preuve d’un manque d’ambition puisqu’elle a systématiquement refusé tout objectif de réduction contraignant, pour elle-même comme pour l’ensemble des pays développés. Cette attitude est très critiquée par l’Union européenne, mais aussi par les pays en développement, dont les objectifs économiques sont de moins en moins compatibles avec les siens. L’attitude chinoise est demeurée ambiguë, le pays étant confronté à deux problématiques contradictoires : d’un côté sa sécurité énergétique avec l’augmentation massive de la consommation d’énergie, liée à son développement industriel et économique, à son urbanisation massive et à l’amélioration des conditions de vie d’une partie de sa population ; de l’autre côté, les atteintes à l’environnement. Sa croissance spectaculaire a en effet entraîné de graves problèmes environnementaux : pluies acides, pollution de l’air et de l’eau, dégradation des sols, déforestation, aridité et même désertification dans le Nord du pays. Le changement climatique risque d’accentuer encore ces problèmes, ce qui entraînera à terme un sérieux problème de sécurité sanitaire ; le gouvernement chinois en est de plus en plus conscient.

En dépit de ce constat, la Chine peut-elle, selon vous, monsieur l’ambassadeur, continuer de faire preuve d’irresponsabilité ? Que peut-on attendre d’elle lors des deux prochaines conférences ?

M. David Douillet. Dans le contexte de crise économique qui relègue les préoccupations environnementales au second plan et face à l’attitude des pays émergents qui refusent d’hypothéquer leur avenir par les freins qui seraient posés à leur développement, quelles sont les chances réelles d’aboutir à un accord global lors de la conférence de Paris ? Pourrait-il y avoir d’autres obstacles à un tel accord, qui constituerait pour la France une victoire considérable, ô combien bienvenue après ce qui s’est passé ces dernières semaines ?

M. Yannick Favennec. La France figure parmi les meilleurs élèves au monde dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

M. Bertrand Pancher. C’est vrai ! (Murmures)

M. Yannick Favennec. Elle les a réduites de 6 %, notamment grâce aux efforts consentis à l’issue du Grenelle de l’environnement. Elle doit encore améliorer cette performance et prendre le leadership au sein de l’Union européenne dans la lutte contre le réchauffement climatique. Quel rôle pourra-t-elle jouer lors des prochaines conférences internationales sur le sujet ?

Le climatologue Jean-Claude Jancovici, que nous avons auditionné le 6 février dernier, dénonce certaines fausses bonnes idées, à commencer, selon lui, par la croyance selon laquelle les énergies renouvelables contribuent à la lutte contre le réchauffement climatique…

M. Denis Baupin. C’est normal, il n’est pas climatologue, c’est un « énergéticien » ! (Murmures sur divers bancs)

M. Yannick Favennec. … Que pensez-vous de cette prise de position ?

M. Jacques Lapouge. Pouvez-vous répéter votre question ? Je ne l’ai pas entendue.

M. Yannick Favennec. Ma question est pourtant claire : que pensez-vous de la prise de position qui vise à affirmer que les énergies renouvelables ne contribuent pas à la lutte contre le réchauffement climatique ?

M. Bertrand Pancher. Il n’y a que Denis Baupin qui comprend ! (Rires)

Mme Sophie Errante. La lutte contre la pollution atmosphérique vise à lutter contre le réchauffement climatique mais aussi contre les maladies liées à cette pollution. Dans son rapport sur la santé en Europe en 2012, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) indique que la pollution de l’air y raccourcit l’espérance de vie de huit mois en moyenne, et jusqu’à deux ans dans certains États. Plus récemment, le commissariat général au développement durable a considéré que les maladies imputables à la pollution atmosphérique – asthme, bronchite chronique et cancers – coûtent entre 0,7 et 1,7 milliard d’euros par an au système de soins français. La réduction de la pollution atmosphérique est donc un enjeu majeur, dont le bénéfice pour les États sera environnemental mais aussi sanitaire et économique. Mettre en lumière ces deux derniers bénéfices pourrait encourager les États dans cette lutte. Ces questions de santé publique et leur impact économique pour les États sont-elles prises en compte dans les négociations internationales sur le climat ?

M. Jacques Kossowski. Monsieur Denis Baupin, ce n’est pas parce qu’on se demande s’il est encore réaliste d’espérer contenir à 2°C la hausse de la température moyenne d’ici à la fin du siècle, que l’on est opposé à cet objectif, ni même qu’on y renonce !

En juin dernier, le président Obama a présenté un ambitieux plan fédéral pour le climat, comportant notamment l’objectif des faire des États-Unis le leader mondial des énergies renouvelables avec leur doublement d’ici à 2020. Le président américain a également indiqué que son pays prendrait le leadership dans les futurs cycles de négociations sur le changement climatique. Quelle sera, à votre avis, monsieur l’ambassadeur, la position des États-Unis lors de la COP 19 ? Peut-on s’attendre à une rupture avec l’attentisme antérieur ? Pensez-vous que la France et les États-Unis pourront défendre certains objectifs en commun et lesquels ?

M. Philippe Noguès. Malgré les échecs relatifs des dernières conférences sur le climat, elles sont tous les ans de grands moments d’attente et d’espoir, puisque ce n’est que par le processus diplomatique que nous pouvons espérer sortir de la crise écologique actuelle.

En dépit de l’urgence de la situation, on entend surtout, hélas, des déclarations de principe. On parle beaucoup des conséquences environnementales, économiques et sociales du changement climatique, de la multiplication de certaines maladies, de l’apparition de réfugiés climatiques mais qu’a-t-on fait concrètement depuis la première conférence des parties à Berlin il y a près de vingt ans, si ce n’est ratifier le protocole de Kyoto – et encore par une minorité d’États ? Face à l’urgence, les déclarations de principe ne suffisent plus. La conférence de Paris sera, je l’espère, une occasion historique puisque l’objectif est de parvenir à un accord juridiquement contraignant et applicable à tous les États. Le défi est ambitieux.

J’espère que la France saura se montrer à la hauteur du défi. Pour qu’elle s’affirme comme chef de file des négociations, elle doit prendre une position claire sur les objectifs à atteindre et dire les moyens qu’elle se donnera. La feuille de route paraît encore à l’état d’ébauche, comme cela est sans doute normal à trois ans de l’échéance. Pour autant, des signaux positifs apparaissent et le Gouvernement a pris conscience des enjeux. Quel pourra être le degré maximal de contrainte juridique d’un accord susceptible d’être signé par toutes les parties ? Des sanctions seront-elles prévues en cas de non-respect? Lesquelles ? Qui sera chargé de les appliquer ?

M. Yves Albarello. La conjoncture économique actuelle rend plus difficilement acceptables certains projets tendant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme nous l’a encore rappelé l’actualité récente.

Où en est-on de la première expérience dans notre pays de captage et de stockage du CO2 ? Sait-on déjà si l’obligation nouvelle faite depuis le 1er octobre aux transporteurs d’afficher leurs émissions de CO2 est bien respectée ? Comment la réglementation en ce domaine pourrait-elle évoluer ?

M. Guillaume Chevrollier. Réduire la consommation d’énergie grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique ou augmenter la part des énergies renouvelables constituent autant de bonnes orientations. Mais ces mesures ont un coût important qu’il sera difficile de supporter, vu l’état des finances publiques en France et en Europe.

Selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie, 75 % de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 proviendront des pays en développement, l’Inde et la Chine représentant à elles seules plus de la moitié de cet accroissement. Pensez-vous que l’on puisse réellement influer sur les politiques énergétiques de ces pays à court terme ?

Mme Sophie Rohfritsch. Monsieur l’ambassadeur, de quels moyens exacts disposez-vous pour remplir votre mission dont l’enjeu est fondamental ?

Ma seconde question est de savoir pourquoi on continue de travailler pays par pays, au lieu de réfléchir par grandes zones du monde et par grands secteurs – agricole, marin, forestier par exemple. Cela faciliterait sans doute la mobilisation des acteurs puisque les propositions des différents groupes de travail seraient alors plus parlantes pour eux.

M. Jacques Lapouge. Diplomate chargé des négociations internationales sur le climat, je sais combien il est important que la France soit exemplaire mais je ne suis pas nécessairement le plus compétent pour répondre à vos questions sur la politique française en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Sans vouloir me dérober, je pense que le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie serait mieux à même que moi de vous répondre sur ce sujet.

Les performances de la France en matière de lutte contre le réchauffement climatique sont bonnes, et reconnues au niveau international. En dépit d’un taux déjà faible d’émissions, lié à son mix énergétique, la France s’est engagée au titre du paquet énergie-climat à les réduire encore de 14 % d’ici à 2020, hors entreprises soumises à quotas. Elle s’est également engagée à porter à 23 % la part des énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie contre 13 % aujourd’hui ; à réduire de 20 % sa consommation d’énergie primaire grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique, ; à lancer la rénovation thermique de 500 000 logements d’ici à 2017 dans la perspective de réduire en 2020 la consommation énergétique de 38 % par rapport à son niveau de 2005. L’objectif d’une réduction de 40 % puis de 60 % ; ainsi que celui dit du facteur quatre, demeurent. Aucun pays n’a jamais remis en question dans les négociations internationales l’engagement de la France ni les résultats qu’elle a obtenus en ce domaine.

Dès lors que la Chine représente à elle seule quelque 23 % des émissions mondiales, et même si le niveau d’émissions de pays comme l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du sud est nettement moindre, les pays émergents constituent bien évidemment, avec les pays développés, l’une des clés de la négociation. Tous les pays ont approuvé à Durban le principe d’un accord applicable à tous, y compris aux émergents, et se sont dit prêts à s’engager. À quel niveau ? C’est tout l’enjeu de la négociation future. Les pays en développement soulignent tous la responsabilité historique des pays développés et sont attachés au principe d’une « responsabilité commune et différenciée ». Ils estiment que les pays développés ont utilisé une grande partie de « l’espace carbone disponible » au cours de leur développement et qu’il serait illégitime de leur interdire à eux de suivre la même voie. Mais les pays émergents, qui commencent aussi d’être victimes du changement climatique, ont intérêt à ce qu’on parvienne à un accord global. Ils doivent donc y contribuer. Tout en tenant compte de leurs besoins de développement, il faut obtenir qu’ils s’engagent à réduire significativement leurs émissions.

On ne peut néanmoins pas s’attendre à ce qu’un pays comme l’Inde, dont une grande partie de la population n’a pas encore accès à l’électricité, commence dès maintenant à réduire ses émissions. On essaie plutôt d’obtenir d’elle des engagements sur l’intensité énergétique de son économie et le moment du pic de ses émissions. La plupart de ces pays adressent d’ailleurs des signaux positifs. Mme Catherine Beaubatie, c’est le cas de la Chine où la pollution, de sujet environnemental est devenue un sujet social. Les contacts que nous avons avec les think tanks chinois laissent vraiment à penser que le gouvernement chinois, qui travaille sur le 12ème plan quinquennal, a pris le sujet à-bras-le-corps. Un dialogue s’est également engagé entre la Chine et les États-Unis sur le sujet. Que les deux plus gros émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre s’engagent ne peut qu’être une bonne nouvelle.

J’en viens aux enjeux financiers. Le financement de l’adaptation passera essentiellement par des financements publics : en effet, les investissements nécessaires dans ce cadre ne sont pas nécessairement rentables. Les pays du Nord devront consentir un effort supplémentaire d’aide publique au développement. Étant donné la situation budgétaire sur laquelle je ne m’appesantis pas, on peut envisager de réorienter des projets de développement vers des actions en faveur du climat. Beaucoup de projets de l’AFD y sont déjà affectés : l’Agence s’est engagée à consacrer sur la période 2012-2016 au moins 50 % de ses engagements financiers à des actions dans le domaine du climat. On peut également envisager que certains pays augmentent leur aide publique au développement et que les montants de cette aide additionnelle soient consacrés à la sauvegarde du climat. On peut aussi s’appuyer sur les financements innovants, comme la taxe sur les transactions financières : la France est motrice sur le sujet. On peut enfin compter avec des financements privés pour la transformation de l’économie. Lorsqu’il est question de mobiliser 100 milliards de dollars par an, cela inclut financements publics et privés. Les flux financiers des pays du Nord au profit des pays du Sud dépassent déjà très largement 100 milliards de dollars. L’enjeu n’est donc pas de trouver de nouveaux financements mais de réorienter les financements privés de l’émissif vers le non-émissif. Les agences publiques de développement comme l’AFD ou son homologue allemande, la KfW, les institutions financières internationales comme la Banque mondiale, les banques régionales, les agences de crédit export doivent elles aussi réorienter leur aide vers des technologies non émissives. Les grands opérateurs financiers, les fonds de pension, les entreprises et les banques doivent également travailler dans cette perspective. Si on s’organise bien, on devrait pouvoir y arriver.

Quant au Fonds vert, c’est un instrument parmi d’autres qui a vocation, à terme, à rassembler la plupart des financements internationaux en faveur du climat. Sa mise en place avance lentement, sans doute trop lentement par rapport aux défis à relever. Il n’en est pas moins doté maintenant doté d’un siège et d’un directeur exécutif. Espérons que les deux réunions de son conseil d’administration qui se tiendront au début de l’année prochaine permettront de boucler son business model, de façon à pouvoir lancer la première capitalisation en 2014, avant la conférence de Lima et peut-être même avant l’Assemblée générale des Nations unies. Je ne connais pas à ce stade les intentions de contribution des États à ce Fonds. La France a annoncé qu’elle y consacrerait une partie du produit de la nouvelle taxe sur les transactions financières.

Monsieur Martial Saddier, l’objectif de contenir le réchauffement à 2°C est-il encore crédible ? Je suis obligé de vous répondre oui (Sourires), sinon, tout ce que nous faisons n’aurait aucun sens. Il existe un scénario du GIEC dans lequel il est encore possible de rester en deçà de ce seuil. Nous ferons tout sur un plan politique pour pousser les États à relever leurs engagements d’ici à 2015. « L’agenda positif », qui peut donner assez vite des résultats tangibles, par exemple en matière de lutte contre la déforestation ou d’élimination du méthane et des gaz HFC, nous y aidera. Si on parvient, dans le cadre d’une approche sectorielle, à convaincre des secteurs fortement émissifs comme le secteur agricole ou certains secteurs industriels de coopérer, on devrait pouvoir obtenir assez vite des résultats concrets. Si on devait s’apercevoir en 2015 que la somme des engagements ne permet pas de contenir la hausse de la température moyenne à 2°C, il conviendrait d’élaborer un accord durable et dynamique permettant de relever les engagements de chaque pays afin de revenir sur la trajectoire de ces 2°C.

Je ne vous cacherai pas que les négociations seront difficiles, comme il est prévisible lorsque quelque 200 pays doivent s’accorder sur des décisions ayant des incidences en matière de compétitivité, de pouvoir ou de place dans la gouvernance mondiale. Pour autant, nous ne nous engagerions pas à ce point si nous n’étions pas convaincus de pouvoir à Paris parvenir à un accord applicable à tous les États, les engageant tous et permettant que les objectifs puissent être relevés autant que nécessaire.

Monsieur Denis Baupin, je n’ai pas l’impression, pour ma part, que l’Union européenne soit à la traîne. Il y a deux ans à Durban, elle a été motrice dans la négociation de la deuxième phase d’engagements du protocole de Kyoto. C’est elle qui, avec les pays africains et les petites îles, a accouché de l’accord de Durban, nul ne le conteste. Elle ne m’est pas apparue non plus en retrait à Doha et aujourd’hui, elle est la première à avoir mis sur la table, avec le livre vert de la Commission, un objectif de réduction de 40 % des émissions et des projets précis pour l’atteindre. Il est important qu’elle continue d’être en première ligne.

Chaque État membre doit contribuer en fonction de ses capacités et de ses contraintes. La Pologne, qui partait certes de haut, est l’un des pays qui a le plus réduit ses émissions depuis 1990. Après la conférence de Varsovie, elle aura présidé à trois reprises les négociations onusiennes. Nous avons beaucoup d’échanges avec les représentants polonais. Notre ministre chargé de l’écologie s’entretient souvent avec son homologue polonais. Nous essayons de convaincre la Pologne que la transition écologique présente aussi pour elle un intérêt en matière de compétitivité et d’emploi, et lui offre des opportunités de développement. Nous continuons de compter sur elle, de même que sur les autres pays de l’Union tenus pour réticents.

Pour ce qui est des États-Unis, jamais l’administration américaine n’a été aussi ouverte sur le sujet du changement climatique. J’en veux pour preuve le discours de Georgetown du Président Barack Obama. Si la position du Congrès est une autre affaire, le Président Obama donne vraiment le sentiment d’être disposé à aller le plus loin possible : il le montre avec les outils réglementaires dont il dispose, notamment pour durcir les normes applicables aux centrales à charbon existantes. Nous ne savons pas sur quels types d’engagements cela peut déboucher. Nous travaillons en tout cas étroitement avec les États-Unis et pensons que leur attitude sera un facteur positif dans les discussions à Paris. Comme vous le savez, le secrétaire d’État, John Kerry, est très motivé sur le sujet du changement climatique et s’en entretient souvent avec M. Laurent Fabius.

Oui, la France pourra compter avec les AOSIS (Alliance of small island states). A Durban, s’était fait jour une véritable alliance entre l’Union européenne et d’autres pays développés pour en appeler à un accord ambitieux et juridiquement contraignant. Il est vrai en revanche qu’à Doha, les États africains et les AOSIS, qui avaient des attentes fortes sur le sujet du financement, ont regretté que les pays du Nord ne s’engagent pas pour la période 2013-2020, au-delà du fonds d’amorçage, dit fast start, qui prévoyait dix milliards de dollars par an jusqu’en 2013. Les pays du Nord, pour des raisons à la fois d’annualité budgétaire et de contraintes financières, ont des difficultés à s’engager sur des objectifs à moyen terme. Notre stratégie consiste, en tenant un discours crédible sur les moyens financiers tout en soulignant la nécessité d’une action forte, à obtenir le soutien des pays africains et des AOSIS. Cela nous donnerait une légitimité morale et politique forte, vis-à-vis des pays émergents notamment.

Lors de la dernière Assemblée générale des Nations unies, la commissaire européenne chargée de l’action pour le climat, Mme Connie Hedegaard, et le ministre de l’environnement norvégien ont organisé une réunion des représentants des pays considérés comme progressistes – M. Laurent Fabius a participé à cette réunion avec des représentants des AOSIS et des pays africains. Le Dialogue de Carthagène, mis en place après la conférence de Copenhague et qui rassemble de manière informelle une quarantaine de pays développés et de pays en développement soucieux d’avancer dans les négociations onusiennes, se réunit trois fois par an.

Je n’ai pas le moindre doute, monsieur le président, sur la volonté du Gouvernement d’associer autant que possible le Parlement à la préparation de la conférence de Paris. Peut-être pourrions-nous profiter de la présence d’une délégation parlementaire à Varsovie pour envisager les modalités concrètes les plus satisfaisantes de cette association. Nous sommes à votre disposition ; nous allons y réfléchir de notre côté mais nous attendons également vos propositions.

Nous réfléchissons également au moyen d’associer les collectivités et les diverses composantes de la société civile française, notamment les ONG et les entreprises, comme nous l’avions fait avant la conférence de Rio + 20 avec le Comité 21. Au niveau mondial, il existe pour les entreprises le Pacte mondial, créé à l’initiative d’entreprises citoyennes, le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable, le Forum de Davos. Les ONG ont leurs propres structures internationales.

Notre conviction est qu’il faut cesser d’évoquer le « partage du fardeau », mais au contraire mettre en lumière les opportunités formidables que représente la réduction de la consommation d’énergie en matière de compétitivité et, de manière plus large, celles que représente la transition écologique pour des entreprises comme Alstom, EDF, Veolia, Areva, Saint-Gobain, Schneider ou Total qui poursuit sa diversification dans le domaine des énergies renouvelables. Pour avoir été ambassadeur en Afrique du Sud, je sais que ce sont des sociétés comme Soiltech ou Tenesol qui y sont en pointe en matière d’énergies renouvelables.

En réponse à Bertrand Pancher, contrairement donc au climatologue Jean-Marc Jancovici, nous n’avons, pour notre part, aucun doute sur le fait que les énergies renouvelables contribuent à la lutte contre le changement climatique.

La conférence de Paris peut-elle échouer ? Nous travaillons en tout cas à son succès et je pense que l’on parviendra à un accord. Reste à savoir quel en sera le contenu. Sera-t-il applicable à tous ? Comportera-t-il des engagements suffisants ? Sera-t-il juridiquement contraignant ? Au-delà, nous souhaitons que l’on avance aussi à Paris sur « l’agenda positif » et qu’on y valorise la multitude d’initiatives qui existent à tous les niveaux – entreprises, collectivités, ONG… – et qui donnent d’ores et déjà des résultats concrets.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La présence d’une délégation parlementaire à Varsovie sera effectivement l’occasion d’échanger avec le ministre et vous, monsieur l’ambassadeur, sur les initiatives susceptibles d’être prises. Notre commission va très rapidement mettre en place une mission d’information sur le changement climatique et ses conséquences pour la France. Nous constituerons également un groupe de travail composé d’une dizaine de parlementaires, chargé de suivre la préparation de la conférence de Paris. Ces parlementaires devront échanger le plus possible avec le ministère car nous aurons besoin d’informations sur l’évolution de la préparation de cette conférence, afin d’être plus pertinents et plus efficaces. Il nous faudra trouver la manière de travailler ensemble la plus judicieuse possible. Nous nous appuierons aussi, je l’ai dit, sur le forum interparlementaire Globe International.

Il me reste, monsieur l’ambassadeur, à vous remercier chaleureusement d’avoir accepté notre invitation et d’avoir échangé très librement avec nous sur les enjeux climatiques, si essentiels.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 30 octobre 2013 à 9 h 30

Présents. - M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, M. Denis Baupin, Mme Catherine Beaubatie, M. Florent Boudié, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Claude de Ganay, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, M. Olivier Marleix, M. Franck Montaugé, M. Jean-Luc Moudenc, M. Yves Nicolin, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, M. Thierry Solère, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Vignal

Excusés. - M. Julien Aubert, M. Serge Bardy, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Patrice Carvalho, Mme Florence Delaunay, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Philippe Plisson, M. Napole Polutélé, M. Gilles Savary, M. Gabriel Serville

Assistait également à la réunion. - M. Michel Ménard