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Mercredi 12 février 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 43

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président puis de Mme Catherine Quéré Vice-présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, sur l’impact des changements climatiques en France, avec la participation de M. Jean-Michel Soubeyroux, ingénieur à la direction de la climatologie à Météo-France, M. Guy Landmann, directeur- adjoint du GIP Ecofor, M. Jean-François Soussana, directeur scientifique Environnement à l’INRA, M. Éric Chaumillon, enseignant chercheur à l’Université de La Rochelle, directeur adjoint de l’unité mixte de recherche « LIttoral ENvironnement et Sociétés » CNRS/Université de La Rochelle, M. Frédéric Berger, responsable de l'équipe « dynamiques et fonction de protection des écosystèmes forestiers de montagnes » à l’Irstea

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur l’impact des changements climatiques en France, avec la avec la participation de M. Jean-Michel Soubeyroux, ingénieur à la direction de la climatologie à Météo-France, M. Guy Landmann, directeur-adjoint du GIP Ecofor, M. Jean-François Soussana, directeur scientifique Environnement à l’INRA, M. Éric Chaumillon, enseignant chercheur à l’Université de La Rochelle, directeur adjoint de l’unité mixte de recherche « LIttoral ENvironnement et Sociétés » CNRS/Université de La Rochelle, M. Frédéric Berger, responsable de l'équipe « dynamiques et fonction de protection des écosystèmes forestiers de montagnes » à l’Irstea.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a décidé de créer une mission d’information sur les conséquences géographiques, économiques et sociales des changements climatiques en France et sur la préparation de la 21e Conférence des parties à la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui se tiendra en 2015 au Bourget. Cette mission d’information est présidée par M. Martial Saddier et Mme Sophie Errante en est la rapporteure.

La présente table ronde est la troisième que nous organisons sur ce thème. La première, qui s’est tenue le 27 novembre 2013, a permis d’évoquer le 5e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). La seconde, organisée le 23 janvier dernier, sur l’impact des transitions écologique et agricole sur les territoires et les paysages, a réuni certains des co-auteurs de l’ouvrage Paysages de l’après-pétrole.

Nous souhaitons étudier de manière plus concrète les impacts des changements climatiques sur notre pays et nous accueillons à ce titre :

- M. Jean-Michel Soubeyroux, ingénieur à la direction de la climatologie à Météo-France ;

- M. Guy Landmann, directeur-adjoint du GIP Ecofor ;

- M. Jean-François Soussana, directeur scientifique Environnement à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ;

- M. Frédéric Berger, responsable de l’équipe « dynamiques et fonction de protection des écosystèmes forestiers de montagnes » à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) ;

- M. Éric Chaumillon, enseignant chercheur à l’Université de La Rochelle, directeur adjoint de l’unité mixte de recherche « Littoral Environnement et Sociétés (LIENSs) » CNRS/Université de La Rochelle.

Chacun interviendra sur un thème particulier. Nous nous intéresserons d’abord à l’impact du changement climatique sur les trois ressources cruciales que sont l’eau, la biodiversité et les sols. M. Soubeyroux traitera des ressources en eau des sols, M. Landmann de la biodiversité et de la forêt, et M. Soussana de l’agriculture.

Les deux derniers intervenants, MM. Berger et Chaumillon, consacreront quant à eux leur propos à deux zones de notre territoire particulièrement fragiles : les espaces de montagne pour le premier et les espaces littoraux pour le second.

Je vous indique enfin qu’une table ronde consacrée aux stratégies de lutte et d’adaptation aux différents impacts du changement climatique sera organisée en avril, à la reprise de nos travaux. Je vous rappelle à ce propos que la France dispose d’un plan d’adaptation aux conséquences du réchauffement climatique.

M. Jean-Michel Soubeyroux, ingénieur à la direction de la climatologie à Météo-France. Dans un mois, le GIEC publiera le deuxième volet de son 5e rapport sur les impacts du changement climatique. Il y a fort à parier que la question de l’eau y sera centrale. Il en était d’ailleurs déjà ainsi dans le rapport de 2007 qui prévoyait la hausse probable des risques de crues et de sécheresse en Europe, l’augmentation du pourcentage de populations vivant dans des bassins soumis à un stress hydrique, l’augmentation des inégalités entre les régions pour ce qui est de la ressource en eau, ainsi que des difficultés prévisibles d’adaptation de nombreux écosystèmes et activités.

Depuis 2007, de nombreuses études sur l’impact du changement climatique sur la ressource en eau ont été menées en métropole mais, dans le temps dont je dispose, je me bornerai à faire état des travaux menés à Météo-France, en particulier de ceux relatifs au suivi hydrologique conduits dans le cadre de la commission ad hoc du Comité national de l’eau, ainsi que des études d’impact effectuées en collaboration avec d’autres organismes, comme le projet ClimSec.

Parmi les différents paramètres à considérer, les évolutions des précipitations ne sont pas très significatives en France, même si nous notons une diminution pendant la période estivale. Quoi qu’il en soit, elles ne sont pas essentielles pour la compréhension des évolutions de la ressource en eau.

Concernant les débits des cours d’eau, les tendances sont difficiles à établir du fait des fortes influences anthropiques qu’ils subissent, sous forme de retenues comme de prélèvements. Toutefois, un consensus se fait jour au sein de la communauté scientifique pour reconnaître quelques évolutions comme une légère élévation des étiages hivernaux dans les Alpes, l’avancée du pic de fonte au printemps, l’augmentation des débits estivaux des cours d’eau alimentés par cette même fonte glaciaire, la baisse, en revanche, des débits estivaux dans le sud-ouest du pays, notamment pour les cours d’eau venant des Pyrénées, et peut-être une légère tendance à la hausse des débits de crue dans le nord-est.

Dans le cadre du projet ClimSec, nous nous sommes intéressés à la teneur en eau des sols, qui était jusqu’alors difficilement mesurable. Nous avons pour cela utilisé des modélisations physiques du bilan hydrique et valorisé des travaux de recherche réalisés dans le cadre du suivi hydrologique.

L’histogramme que vous voyez apparaître sur l’écran est un indicateur de la sécheresse des sols, accessible sur le site de l’Observatoire national des effets du réchauffement climatique (ONERC) et qui présente la surface de la France affectée annuellement par la sécheresse sur la période 1959-2012. On y retrouve les grandes années de sécheresse : 1976, 1989, 1990, 2003, 2005 et 2011. Vous pouvez constater la hausse progressive des surfaces touchées par le phénomène, marquée par une hausse de la moyenne glissante, et vous observerez que, sur les dix dernières années, neuf ont enregistré des sécheresses supérieures à la moyenne constatée entre les années 1961 et 1990.

Ce n’est pas l’évolution des précipitations, mais la hausse des températures qui a un effet sur le bilan hydrique, la « demande évaporative » étant satisfaite en fonction de la teneur en eau des sols. L’évaporation réelle augmente principalement au printemps mais, le reste de l’année, les sols tendent à devenir plus secs qu’auparavant.

Qu’indiquent les projections climatiques ? La référence pour ce qui est de l’évolution des débits est le projet Explore 2070, piloté par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et auquel Météo-France a participé ainsi que quelques autres laboratoires – ses résultats sont pris en compte dans le Plan national d’adaptation au changement climatique. Il en ressort que, vers le milieu du XXIe siècle, la ressource en eau en France aura diminué, selon les bassins, de 10 à 40 %, que la plupart des étiages estivaux seront plus sévères qu’aujourd’hui et que quelques bassins, notamment ceux du Sud-Ouest et du district Seine-Normandie, seront particulièrement affectés par la baisse du niveau des nappes phréatiques.

Dans le cadre du projet ClimSec, nous avons étudié l’humidité des sols. Le second tableau qui vous est présenté montre l’évolution de la superficie de la France concernée par des sécheresses par périodes de trente ans. Vous observez que l’augmentation de cette superficie deviendra significative en milieu de siècle et que les sécheresses, aujourd’hui exceptionnelles, deviendront un phénomène ordinaire à partir de 2050, et plus encore à partir de 2080.

En conclusion, j’appelle votre attention sur la nécessité, en matière de changement climatique, de considérer les extrêmes – et pas uniquement les moyennes – et donc de développer des capacités de suivi et d’anticipation de ces extrêmes, spécialement pour ce qui est des sécheresses.

M. Guy Landmann, directeur-adjoint du GIP Ecofor. J’évoquerai brièvement l’impact du changement climatique sur la forêt, sur sa biodiversité, sur son fonctionnement et sur les services qu’elle peut rendre. Pour commencer, je passerai en revue les questions qui se posent à nous.

Le changement climatique affecte-t-il déjà la forêt et sa biodiversité, et éventuellement sa gestion ? De quelle manière et à quel niveau ? Comment ces impacts évolueront-ils en fonction de l’importance du réchauffement climatique ?

Ces impacts peuvent être envisagés à plusieurs niveaux. Du point de vue génétique, tout d’abord : les espèces végétales – les arbres en particulier – vont-elles s’adapter à l’évolution du climat d’ici un siècle ? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Du point de vue de la composition des peuplements, ensuite : à cet égard, nous disposons de données plus précises, relatives au fonctionnement hydrique, aux cycles du carbone et des éléments minéraux.

Dans quelles régions les effets du réchauffement climatique se manifesteront-ils le plus ? Dans les plaines ou en montagne ? Il convient de nous intéresser particulièrement à la zone méditerranéenne, car les effets y seront sans doute plus importants que sur le reste du territoire.

Le réchauffement de l’atmosphère produit déjà des effets. En effet, depuis les années 1960, la saison de végétation de nombreux végétaux a augmenté de dix à quinze jours. La flore herbacée se modifie et les arbustes à feuilles persistantes, comme le houx, prospèrent.

À ce jour, la démonstration est moins évidente pour les arbres que pour les organismes de petite taille, qui s’adaptent plus vite, comme une partie des oiseaux, qui progressent vers le nord, moins toutefois que ce que l’on attendait en fonction du réchauffement. Par ailleurs, certains champignons, consommables ou toxiques, apparaissent dans des zones où ils étaient inconnus. Enfin, un certain nombre d’insectes et d’organismes ravageurs ont opéré des déplacements dans l’espace. C’est le cas de la chenille processionnaire du pin, dont l’INRA a reconstitué la migration depuis les années 1960. Cette étude montre que la chenille a progressé de la région d’Orléans jusqu’en région parisienne après avoir parcouru, au cours des vingt dernières années, une distance de l’ordre de six kilomètres par an.

Des changements de fond sont observés en forêt. Ainsi la productivité a été fortement améliorée par rapport aux années 1950, bien que nous ne sachions pas précisément quel rôle a joué le changement climatique dans cette évolution.

Tous ces effets vont certainement s’amplifier, à un degré difficile à quantifier mais certainement très important. Par exemple, la zone de répartition des principales essences sera modifiée de façon sensible, ce qui amène les forestiers, depuis une dizaine d’années, à s’interroger sur les décisions à prendre aujourd’hui pour aider la forêt à affronter ces changements et la rendre plus résiliente face aux situations climatiques extrêmes.

En résumé, les impacts du changement climatique sont nombreux. Je vous invite à consulter un document intitulé « Connaissance des impacts du changement climatique sur la biodiversité en France métropolitaine », publié il y a trois ans pour le compte du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, et disponible en ligne. De nombreux impacts sont d’ores et déjà détectables. S’ils sont pour l’instant peu pénalisants pour la gestion des forêts, ils risquent de le devenir demain. Nous sommes donc amenés, j’y insiste, à prendre des décisions dès maintenant, alors même que nous nous trouvons dans l’incertitude, tout en sachant qu’elles engageront l’avenir de la forêt pour de nombreuses années – les arbres que nous plantons aujourd’hui pousseront encore dans les années 2050 et au-delà.

Les effets du changement climatique exigent de notre part un effort soutenu en faveur de la recherche et d’une évaluation fine de ses résultats – ce à quoi contribue le GIEC, à son niveau –, mise en œuvre par Météo-France, l’Institut géographique national (IGN) et un certain nombre d’autres opérateurs, dont des organismes de recherche, mais nécessitent d’améliorer encore l’efficacité des outils de détection et de suivi.

Nous nous sommes engagés au sein d’Ecofor dans un certain nombre de chantiers, dont la constitution, en liaison avec l’ONERC, d’indicateurs du changement climatique, et un autre portant sur les services écosystémiques fournis par les forêts.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pouvez-vous nous dire un mot sur Ecofor ?

M. Guy Landmann. Ecofor est né il y a vingt ans de la volonté d’un certain nombre d’institutions, aujourd’hui au nombre de douze – les grands organismes de recherche engagés dans l’étude de la forêt, les organisations gestionnaires de la forêt, l’IGN et les deux ministères de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt –, soucieuses de mener des programmes de recherche, des évaluations et des expertises en rapport avec la forêt.

M. Jean-François Soussana, directeur scientifique Environnement à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). La parution, le 30 mars prochain, du rapport du groupe II du GIEC – j’ai contribué au chapitre consacré à l’Europe – permettra de mieux évaluer les impacts possibles du changement climatique sur l’agriculture, en particulier les risques pour la sécurité alimentaire.

Je voudrais tout d’abord insister sur le caractère incrémental du changement climatique : en France, nous connaissons depuis 1900 un réchauffement d’environ 1,5° qui se traduit dans l’agriculture par une avancée des dates de récoltes, de semis et de vendanges ; d’autre part, ce réchauffement s’accompagne d’une importante variabilité du climat, qui a de nombreux impacts sur l’agriculture.

Le continent européen a été confronté à une décennie d’extrêmes climatiques dont, en 2003, la sécheresse et la canicule qui ont frappé la France et les pays voisins jusqu’en Europe centrale, entraînant la perte de 20 à 30 % des récoltes et un déstockage de carbone de l’ordre de 0,5 gigatonne sur les écosystèmes, les forêts et les sols.

Ensuite, l’Europe du Sud a subi d’importantes sécheresses en 2004, 2005 et 2007, et en 2010 une terrible vague de chaleur s’est abattue sur l’ouest de la Russie, causant des dommages considérables à l’agriculture, à la forêt et, du fait de la multiplication de problèmes respiratoires dus aux feux, à la santé.

Dans le même temps, en 2007, l’Angleterre et le Pays de Galles ont été victimes d’inondations qui ont également provoqué des dommages considérables dans les cultures.

Enfin, en 2011, nous avons connu le printemps le plus chaud et le plus sec depuis 1880, avec des dégâts estimés entre 700 et 800 millions d’euros, soit une baisse de 23 % du revenu agricole au cours de la saison. Un tiers seulement des exploitants agricoles étant assurés, cet épisode a entraîné de graves problèmes économiques.

Au niveau mondial, par rapport à la production attendue si le climat n’avait pas changé, nous aurions perdu, de 1980 à 2010, 5,5 % de la production de blé et 3,8 % de la production de maïs. Nous enregistrons donc déjà un effet du changement climatique sur les rendements.

Qu’en est-il en France ? Le progrès génétique du blé se poursuit au même rythme, mais la stagnation de son rendement est attribuée pour partie au changement climatique. Cette part n’est pas connue avec précision, mais on a estimé qu’elle était comprise entre 30 et 70 %.

Dans ce contexte, l’INRA a engagé une série d’actions et de recherches. Nous avons en particulier organisé une veille agro-climatique qui permet de pronostiquer l’impact du climat sur les cultures en cours de saison. Nous avons également, avec le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt et Météo-France, mis en place le système ISOP – Information et suivi objectif des prairies – qui nous permet de diagnostiquer les impacts du changement climatique sur les prairies et qui fut particulièrement utile en 2003 et en 2011 ne serait-ce que pour estimer les calamités agricoles.

Nous appuyant sur un ensemble de modèles climatiques régionaux de qualité, nous avons acquis la conviction que, d’ici à la fin du siècle, nous connaîtrons une augmentation de la fréquence et de l’intensité des canicules et des sécheresses, essentiellement en Europe du Sud, ce qui englobe une grande partie de la France.

Quelles en seront les incidences sur les cultures ? Le Centre commun de recherche européen (Joint research centre – JRC) a réalisé des travaux détaillés de modélisation laissant prévoir pour une partie de l’Europe des pertes de production qui, en l’absence d’adaptation, pourraient atteindre 20 %. L’adaptation permettrait sans doute de remonter la pente, voire d’obtenir des augmentations de production, mais il convient d’en souligner les limites, du fait de l’impossibilité de semer en hiver sur des sols trop engorgés, de la faible productivité des variétés résistantes à la sécheresse et de la réduction de la quantité d’eau disponible pour l’irrigation, comme l’a rappelé M. Soubeyroux. Enfin, nous nous attendons à un développement accru des bioagresseurs, en particulier de ceux dont les vecteurs sont des arthropodes, c’est-à-dire les maladies à virus, les phytoplasmes et les infections fongiques hivernales.

Pour ce qui est de la viticulture, l’évolution climatique aura des effets sur la qualité du vin car les baies de raisin contiendront plus de sucre et moins d’acides organiques. En outre, du fait de l’extension du domaine de la vigne, de nouvelles zones viticoles risquent d’entrer en compétition avec nos vignobles. L’adaptation de la vigne requerra de nouvelles pratiques de taille, des recherches en œnologie, le recours à l’irrigation et des changements de cépage – mais l’exploitation de ces deux dernières ressources se heurtera aux dispositions régissant les appellations d’origine contrôlée. L’avenir du pinot noir en Bourgogne nous inquiète particulièrement car c’est un cépage adapté à un climat tempéré qu’il sera sans doute difficile de conserver dans la région.

S’agissant de l’élevage, nous observons que les animaux très productifs sont plus sensibles à la chaleur que les autres. Des mesures réalisées aux Pays-Bas montrent les effets négatifs d’une température supérieure à 18° sur la production laitière et des travaux français font de même pour les porcs à l’engraissement soumis à une température dépassant 21°.

En ce qui concerne les prairies, nous assisterons à une augmentation de la production en hiver et au début du printemps, mais à des risques accrus de pertes en été. Des changements de flore sont vraisemblables. Nous pouvons également craindre l’émergence de maladies comme la fièvre catarrhale ovine, véhiculée par un insecte, le culicoïde, et dont la propagation s’étend en Europe, ainsi que de la maladie de Lyme et des encéphalites véhiculées par les tiques.

La région méditerranéenne sera probablement la plus touchée, du fait de la conjonction de la réduction des ressources en eau, de celle des services rendus par les écosystèmes et, probablement, de celle de la production agricole, et, s’agissant des forêts, de la forte augmentation des risques d’incendie.

L’INRA a engagé sur tous ces sujets des travaux de recherche. Nous avons en particulier lancé un programme prioritaire sur l’adaptation au changement climatique de l’agriculture et de la forêt, portant sur l’ensemble des composantes – cultures, vigne et arbres fruitiers, élevage, forêts et écosystèmes. Nous étudions la résilience à moyen terme et les impacts à long terme et nous recherchons des pistes d’adaptation faisant intervenir à la fois la génétique et des changements de pratiques agricoles. Nous aimerions, en collaboration avec un ensemble d’institutions scientifiques et Météo-France, développer un portail de services sur tous les impacts du changement climatique et sur les adaptations nécessaires.

Enfin, en coordination avec le BBSRC (Biotechnology and Biological Sciences Research Council), l’INRA s’est engagé dans une programmation conjointe de la recherche regroupant 21 pays européens fortement engagés sur ces questions d’agriculture, de changement climatique et de sécurité alimentaire.

M. Frédéric Berger, responsable de l’équipe « dynamiques et fonction de protection des écosystèmes forestiers de montagnes » à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA). Le territoire alpin est couvert à 40 % par de la forêt, contre 30 % en moyenne nationale. Une production annuelle de 7,5 millions de m3 y est exploitée, dont 60 % de résineux – l’exploitation annuelle de 1 000 m3 de bois représente quatre emplois dans la filière bois, ce qui fait de la forêt un important pourvoyeur d’emplois.

La forêt rend de nombreux services écosystémiques. En zones de montagne, outre la production de bois, elle joue un rôle important de protection en réduisant les risques liés aux mouvements gravitaires rapides. Elle est également source de biodiversité, mais c’est aussi un espace d’accueil du public et de loisir et les forestiers contribuent à l’entretien des paysages.

Le réchauffement et la survenue de climats plus secs auront des conséquences considérables pour les territoires de montagne – où la température chute de 0,6° par tranche de 100 mètres d’altitude. Une élévation de la température de deux degrés ferait monter de trois cents mètres l’aspect actuel d’une zone de montagne. Or les scénarios les plus probables prévoient une élévation de deux à cinq degrés, de sorte que ce glissement vers le haut pourrait atteindre jusqu’à neuf cents mètres.

La végétation en zone de montagne est répartie en fonction de l’altitude (étagement de la végétation). Au-delà de l’étage subalpin, caractérisé par des forêts de résineux, se trouve une zone limite, dite de combat, à partir de laquelle la végétation forestière ne pousse pas. Une augmentation de 2° fera remonter cette limite de plusieurs centaines de mètres, ce qui aura d’énormes conséquences en matière de gestion des risques naturels. Nous trouverons de la forêt dans des secteurs où il n’y en avait pas jusqu’à présent. En revanche, cette élévation de la présence des arbres aura des conséquences positives en améliorant la stabilité du manteau neigeux et en limitant les départs d’avalanche.

Nous allons assister à une migration des essences, certes limitée par des barrières naturelles dues aux reliefs, par la géomorphologie et par la diversité des sols. Cette migration suivra un mouvement général nord-nord-est et nous trouverons des feuillus à une plus haute altitude, au détriment des résineux. Aujourd’hui, comme je l’ai dit, la production de bois utilise 60 % de résineux, mais le rapport risque de s’inverser, ce qui obligera la filière bois à privilégier l’exploitation du bois-énergie et à modifier ses pratiques pour celle du bois d’œuvre. D’autre part, le relief rendant difficile l’accès à la ressource, elle devra se doter des outils nécessaires pour aller chercher celle-ci de plus en plus haut. En résumé, la profession doit anticiper une adaptation de ses pratiques, et une réflexion sur l’aménagement du territoire devra être menée.

Certes, la forêt poussera mieux, plus haut, et elle sera plus productive, mais elle sera aussi confrontée à l’apparition de toute une série d’éléments indésirables : problèmes phytosanitaires, insectes ravageurs. La processionnaire du pin est désormais présente en altitude et le gui a remonté de deux cents mètres.

Cependant, les zones de montagne ont de larges facultés d’adaptation car le renouvellement des peuplements forestiers se fait essentiellement par régénération naturelle, ce qui permettra au patrimoine génétique de bien s’adapter.

Pour ce qui est des risques naturels, la communauté scientifique dans son ensemble prévoit l’augmentation, à court et moyen termes, des mouvements de terrain superficiels liés aux alternances de périodes de gel et de dégel, qui seront beaucoup plus marquées, et à la survenue, en moyenne tous les dix ans, d’une année catastrophique.

En revanche, mes collègues qui travaillent sur cette question n’ont pas produit de statistiques tendant à démontrer une augmentation ou une diminution des avalanches. Nous ne pouvons pas dire aujourd’hui quelles seront les conséquences du changement climatique sur ce phénomène.

Quant aux crues torrentielles, nous en enregistrerons davantage en période hivernale, mais elles ne causeront pas plus de dégâts.

Aujourd’hui, 30 % des forêts de montagne jouent un rôle de protection active contre les phénomènes naturels. Mais l’entretien des versants boisés coûte cher. Il ne s’agit plus de gérer un écosystème mais un ouvrage de protection naturelle, ce qui implique de se rendre sur le terrain, d’assurer la régénération des peuplements, de couper des arbres pour éventuellement les laisser sur place. Cette démarche est très efficace contre un certain type de phénomènes rocheux, contre les avalanches et contre les glissements superficiels. Si l’augmentation de la température de 2° se confirme, on estime que la surface des forêts ayant une fonction de protection passera de 30 à 38 %, voire à 40 %. La montée en altitude des feuillus rendra les forêts plus efficaces contre les chutes de pierres et celle des résineux diminuera le risque d’avalanche.

Nous sommes tous impliqués dans des programmes de recherche pour suivre ces évolutions. Nous avons effectivement besoin d’un observatoire. La montagne est un laboratoire à ciel ouvert. Nous disposons dans les Alpes du nord d’une Zone Atelier, que nous gérons avec la communauté scientifique française (CNRS, Universités...) et qui constitue une plateforme d’échanges avec nos collègues européens, et nous participons à différents projets européens, comme NEWFOR (NEW technologies for a better mountain FORest timber mobilization), dans le cadre du programme Espace alpin, ou ARANGE (Advanced multifunctional management of European mountain forests) et BACCARA (Biodiversity And Climate Change, A Risk Analysis) relevant du programme-cadre de recherche et développement (PCRD) et qui traitent spécifiquement de la gestion adaptative et des migrations des espèces forestières en zone de montagne.

M. Éric Chaumillon, enseignant chercheur à l’Université de La Rochelle, directeur adjoint de l’unité mixte de recherche « Littoral Environnement et Sociétés (LIENSs) » CNRS/Université de La Rochelle. Les littoraux sont des espaces extrêmement complexes en raison de l’interaction qui s’y fait entre hydrosphère, atmosphère, lithosphère et anthroposphère.

Il existe deux types de côtes : les côtes régressives et les côtes transgressives. Les premières gagnent sur les océans tandis que les secondes perdent du terrain. Il se trouve qu’en France, depuis des millénaires, nous avons des côtes essentiellement transgressives. Il est important de le savoir pour faire face à l’élévation prévue du niveau de la mer. Il faudra également prendre en compte le fait que le disponible sédimentaire, c’est-à-dire la quantité de sédiments sur nos côtes, est limité.

La variabilité des côtes en fonction des saisons étant très supérieure à l’érosion globale, il est difficile de faire émerger une tendance.

Selon une synthèse publiée par l’Institut français de l’environnement (IFEN) en 2007, 24 % du littoral métropolitain subit une érosion. Cette proportion est relativement peu importante parce que nous avons un fort pourcentage de côtes rocheuses et un grand nombre de systèmes estuariens ou lagunaires qui sont des lieux d’accumulation sédimentaire et, de ce fait, gagnent sur l’océan. Mais 23 % des terres urbanisées étant situées à moins de 250 mètres des côtes en recul, elles devront faire l’objet d’une attention accrue compte tenu des effets du changement climatique.

Le niveau de la mer s’élève globalement, depuis 6 000 ans, d’un millimètre par an, en France. S’il est peu connu, ce n’est pas un phénomène nouveau. Mais nous enregistrons depuis quelques décennies une accélération de cette élévation puisqu’elle est passée progressivement à 1,5, puis à 2 mm pour atteindre 3 mm par an.

D’autres facteurs agissent sur l’évolution des côtes : les vagues, qui transportent le plus de sédiments vers la côte ; les tempêtes, qui sont les agents morphogènes dominants puisqu’une seule tempête peut bouleverser la côte et provoquer une érosion spectaculaire pouvant aller jusqu’à 30 mètres, et enfin le débit fluviatile et la couverture végétale du bassin versant, qui sont aussi des pourvoyeurs de sédiments.

L’accélération de la hausse du niveau marin global est inquiétante et l’on prévoit pour la fin du siècle une élévation située entre 25 cm et un mètre. Cette élévation aura pour conséquence une transgression généralisée, c’est-à-dire un recul des côtes. Certains secteurs comme les fonds d’estuaire continueront à gagner sur la mer, mais les polders, qui sont coupés des apports sédimentaires par les digues, ne pourront pas s’adapter à l’élévation du niveau de la mer.

Il convient de prendre en compte la forte variabilité des réponses des côtes à ce phénomène, mais il est clair qu’elles vont reculer de plusieurs dizaines de mètres.

Les tempêtes sont assez mal connues parce qu’elles sont rares et que nous ne disposons pas d’instruments adaptés pour les étudier. Nous n’avons pas, en France, la preuve d’une augmentation de leur fréquence au cours des dernières décennies ou des derniers siècles. Nous savons en revanche qu’au petit âge glaciaire et au cours des derniers millénaires, des crises climatiques ont conduit à des érosions et à des transgressions responsables de reculs rapides et durables du littoral.

Le problème majeur que posent les tempêtes est celui de la surcote – il s’agit d’une élévation du plan d’eau non pas astronomique, à savoir liée à la lune et au soleil, mais due à des paramètres de pression, de vagues et de vent. Pour vous donner un ordre de grandeur, ces élévations quasiment instantanées peuvent atteindre 1,6 mètre, voire 2,4 mètres comme ce fut le cas lors de la tempête Martin, en 1999.

Quant à la conséquence des évolutions des paramètres des vagues sur les côtes, il faut retenir que les vagues sont à la fois capables d’engraisser les littoraux et de les éroder. Tout est affaire de seuil ; or ces seuils sont différents pour chaque côte, et qu'il est très difficile d'obtenir des mesures pendant ces événements Je voudrais insister sur ce phénomène très mal connu qu’est la circulation de retour induite par les vagues, c’est-à-dire sur la capacité qu’ont les fortes vagues de tempête à emporter des sédiments très loin en mer, jusqu’à rendre impossible leur retour à la côte.

L’augmentation de la taille des vagues devrait conduire à une érosion des côtes. Nous avons mis en évidence, comme un certain nombre de nos collègues étrangers, cette augmentation au cours du XXe siècle, mais les modèles de Météo-France et du GIEC ne la prévoient pas en France pour le siècle en cours.

Les stratégies d’adaptation des sociétés face aux changements climatiques sont au nombre de trois : le laisser-faire et le repli – la France possédant 7 000 km de côtes, il sera évidemment impossible de toutes les protéger –, le renforcement et le redimensionnement. Nous sortons d’une longue période au cours de laquelle nous nous sommes montrés conquérants face à la mer, comme en attestent de nombreux exemples de poldérisation. Désormais, il faudra probablement envisager d’abandonner certains territoires, de laisser inonder certaines régions côtières, ce qui empêchera l’eau de monter et d’atteindre des zones plus vulnérables ou qui représentent des enjeux plus importants.

Il existe deux types de défense face à l’érosion des côtes : les défenses dures et les défenses douces. Nous avons tendance à privilégier les premières en construisant des digues ou des épis, mais ces dispositifs font disparaître le sédiment, à savoir la plage, ce qui est un inconvénient majeur dans les zones touristiques. Quant aux défenses douces, c’est-à-dire le rechargement de la plage ou de l’avant-plage, très pratiqué aux Pays-Bas, des études ont montré que leur coût n’était pas forcément plus élevé que celui des défenses dures.

En conclusion, notre degré de connaissance de l’évolution des côtes et notre capacité à prévoir cette évolution sous l’effet du changement climatique sont assez limités. Il faut donc intensifier les recherches et les travaux. Créer un observatoire national des côtes permettrait de comparer les réponses des différentes côtes aux aléas climatiques. Nous avons attendu en France la tempête Xynthia pour établir un relevé précis des côtes grâce à un procédé laser de type LIDAR (Light Detection and Ranging). Alors que nous vivons cet hiver l’épisode le plus houleux des quinze dernières années, il serait intéressant d’enclencher un nouveau suivi du trait de côte pour comprendre ce qui s’est passé.

Mme Sophie Errante. Je vous remercie, messieurs, au nom du groupe SRC, pour tous les éléments, certes toujours plus inquiétants, que vous venez de nous communiquer à propos du réchauffement climatique.

Le 5 février dernier, l’Organisation météorologique mondiale annonçait que l’année 2013 avait été la sixième année la plus chaude depuis 1850, et les treize années qui viennent de s’écouler figurent parmi les plus chaudes jamais observées sur la planète. Le 5e rapport du GIEC sur l’évolution du climat présenté fin 2013 a clairement réaffirmé l’influence humaine sur le changement climatique puisque l’évolution du climat constatée au cours des 150 dernières années ne peut s’expliquer qu’en incluant les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine dans le calcul.

Je salue les déclarations communes de Barack Obama et de François Hollande en vue d’un accord mondial ambitieux sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, accord qui devrait se concrétiser lors de la Conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en 2015.

Les députés de la Commission du développement durable se sont mobilisés sur cette question, créant une mission d’information sur les conséquences géographiques, économiques et sociales du changement climatique en France qui, en sus du travail d’analyse qu’elle va mener, contribuera à la préparation de cette Conférence de 2015. Quelles suggestions pourriez-vous faire pour nous aider à mener à bien cette deuxième mission ?

Les citoyens sont de plus en plus sensibles à la question du réchauffement climatique et nombreux sont les consommateurs qui souhaitent avoir des informations sur l’impact des produits qu’ils achètent. Mais cette demande est encore rarement associée à un changement de comportement. Comment mieux associer les citoyens et les consommateurs à la lutte contre le réchauffement climatique ?

Ce réchauffement aura un impact sur les cultures puisqu’il favorisera le développement de nouvelles maladies et l’apparition de nouveaux ravageurs. Comment anticiper cet impact pour prévenir plutôt que d’avoir à guérir, en matière de choix des espèces, des investissements, etc.?

Puisque vous parlez d’adaptation, quelle chronologie proposez-vous au monde agricole, en particulier aux viticulteurs et aux sylviculteurs qui ne peuvent s’adapter du jour au lendemain ?

M. Martial Saddier. Je salue, messieurs, au nom du groupe UMP, la qualité de vos exposés.

Cette table ronde participe à la prise de conscience de l’enjeu que représente le réchauffement climatique. Je rappelle que Jacques Chirac fut le premier, avec sa formule « La maison brûle et nous regardons ailleurs » à s’engager dans cette voie. Ensuite l’ancienne majorité et Nicolas Sarkozy ont poursuivi son action en organisant le Grenelle de l’environnement. Et, aujourd’hui, nous saluons la candidature de la France, proposée par le Président Hollande, pour accueillir la Conférence sur le climat à Paris, en 2015.

Les députés du groupe UMP continueront d’apporter leur contribution active à cette cause. Nous avons souhaité la création de la mission d’information sur le réchauffement climatique et nous attendons avec impatience le projet de loi sur la transition énergétique en espérant que la surcharge du calendrier parlementaire n’en reculera pas trop l’examen.

Alors que nous traversons un hiver particulièrement éprouvant en raison des intempéries, nous exprimons notre profonde solidarité à l’égard de nos concitoyens touchés par les catastrophes naturelles survenues dans les Pyrénées, dans le sud-est et en Bretagne.

J’en viens à mes questions.

L’hydroélectricité est une énergie par nature propre, disponible de suite et donc précieuse pour les périodes de pointe de consommation. Quel est le lien entre l’évolution de la ressource en eau et celle du potentiel hydroélectrique ?

Pouvez-vous préciser quelles sont les zones où la forêt progresserait et celles où elle régresserait ? Quelles conséquences voyez-vous pour la filière bois-énergie, autre filière propre ?

En ce qui concerne l’agriculture, pouvez-vous nous dire dans quelles régions du monde elle disparaîtrait ? Quid en particulier de l’Afrique ?

Alors que les gouvernements successifs tentent, par voie réglementaire, d’imposer une disposition qui aurait pour conséquence d’augmenter les risques d’avalanche, je note avec satisfaction que vos propos rejoignent la position de l’Association nationale des élus de la montagne.

À propos du littoral, aucun membre de cette Commission ne souhaite abandonner les populations vivant sur le bord de mer, mais pourriez-vous préciser dans quelle proportion celles-ci pourraient être touchées par l’élévation du niveau des eaux ?

J’en terminerai avec la qualité de l’air. L’ozone contribue à la fois à une dégradation de la production végétale et au réchauffement climatique. Or nous voyons apparaître au niveau européen une augmentation de la pollution par l’ozone. Que pouvez-vous en dire ?

M. Bertrand Pancher. Je m’exprimerai au nom du groupe UDI. Face au réchauffement climatique, nous sommes engagés dans une course contre la montre. Il nous faut aller vite pour adapter notre modèle de production et de consommation au niveau national, européen et international, et mettre en place des systèmes de protection et de prévention. Pour cela, nous avons besoin de perspectives et d’informations et, à ce titre, je vous remercie pour vos exposés et pour la qualité de vos travaux.

Mais il faut aller plus loin et adapter vos réflexions aux niveaux régional et local et pour chaque secteur professionnel. Vos analyses sont intéressantes, il faut maintenant les agréger et les porter à la connaissance de tous les citoyens. Comment y parvenir ? Ce partage peut-il être entrepris par institutions respectives, de manière individuelle, ou relève-t-il davantage de la compétence des collectivités ? Pouvez-vous nous aider à être plus proches de nos concitoyens ?

Il y a deux ans, j’ai invité dans mon département Jean Jouzel à s’exprimer devant un public très large. Tout le monde dans l’assistance pensait savoir ce qu’était le réchauffement climatique mais, lorsqu’il en a présenté en détail les conséquences, les yeux ont commencé à s’ouvrir et chacun avait hâte qu’on agisse enfin !

M. François-Michel Lambert. Je salue tout d’abord, au nom du groupe écologiste, l’extraordinaire travail fourni par vos différents organismes. Vos analyses confirment qu’au-delà du réchauffement de la température, le changement climatique est un immense défi que l’humanité va devoir relever, d’autant qu’il se conjugue avec l’effet de la croissance démographique. Même s’il ne peut quant à lui invoquer l’action d’aucun Président de la République, le groupe écologiste a mis cet impératif au cœur de son projet politique, et cela depuis très longtemps.

À quels exécutifs avez-vous présenté vos connaissances – je pense en particulier aux régions ? Comment percevez-vous la capacité des médias à relayer vos travaux ?

Que pouvez-vous nous dire des enjeux du changement climatique pour les territoires proches du nôtre, Europe et pourtour méditerranéen, et comment notre expertise pourrait-elle les aider ? Comment s’effectue la coopération, et de quelle manière pourrions-nous la renforcer ?

La diversité de notre territoire métropolitain nous amène à privilégier une approche locale – à ce propos, je relève qu’aucun d’entre vous n’a traité de la question telle qu’elle se pose pour nos collectivités d’outre-mer. Comment prendre en compte de façon spécifique les problèmes propres à chaque territoire ?

Monsieur Soussana, pour adapter nos productions au changement climatique, vous préconisez le recours à la génétique. Nous préférons, nous, une autre approche, à savoir l’agro-écologie, adaptée à chaque territoire et à ses spécificités.

La ressource forestière pourrait-elle s’effondrer brusquement, sous l’effet de tempêtes ou de maladies qui s’abattraient sur des forêts entières ? Comment préserver les intérêts à long terme de la sylviculture et de la filière bois-énergie en dépit des mutations qui vont affecter nos forêts ?

Enfin, vous venez de nous démontrer que le soutien à la recherche doit rester une priorité. Quelle mobilisation de fonds publics attendez-vous ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous indique, cher collègue, que nous consacrerons prochainement une table ronde sur les conséquences des changements climatiques outre-mer.

M. Jacques Krabal. Au nom du groupe RRDP, je remercie moi aussi les intervenants pour la qualité de leurs exposés.

La question de l’impact du changement climatique sur notre pays est d’autant plus d’actualité que les médias, depuis plusieurs semaines, relaient des informations préoccupantes sur ce que d’aucuns qualifient de caprices de la nature mais que d’autres, peut-être plus réalistes, qualifient de dérèglement climatique. Ces phénomènes, inhabituels il y a peu, deviennent récurrents.

Monsieur Soubeyroux, vos travaux confirment que les sécheresses seront plus fréquentes et plus intenses au cours des prochaines années, ce qui affectera gravement des domaines d’excellence de l’économie française, comme l’industrie agroalimentaire, et mettra en péril des activités cruciales pour le développement de nos territoires, je pense en particulier au champagne, bien sûr. Dans l’état actuel de vos connaissances et de vos réflexions, pensez-vous qu’il sera plus facile de s’adapter aux changements climatiques que d’intervenir sur leurs causes pour empêcher la survenue des effets que vous prévoyez ?

Monsieur Landmann, le programme « Gestion et impacts du changement climatique » d’Ecofor vise à développer une approche interdisciplinaire. Quel regard vos collègues des sciences humaines et sociales portent-ils sur les propositions tendant à atténuer les effets des changements climatiques ou à s’y adapter ? Quelles protections devons-nous immédiatement mettre en œuvre ?

Monsieur Soussana, vous nous indiquez que là où il pleut beaucoup, il pleuvra encore davantage et que là où il ne pleut pas beaucoup, il pleuvra encore moins. Que proposez-vous aux agriculteurs, aux viticulteurs et aux pisciculteurs qui devront s’adapter à ces évolutions ?

Monsieur Chaumillon, les littoraux sont le lieu de tous les dangers. Cependant, je n’ai pas trouvé dans le document que vous nous avez transmis une carte faisant apparaître le recul des côtes dans les années à venir et les espaces destinés à être sacrifiés. Une telle carte existe-t-elle ?

Enfin, je ne puis que souscrire aux initiatives qui viseraient à vulgariser vos travaux afin de sensibiliser les élus et la population à toutes ces questions.

M. Philippe Plisson. Le changement climatique se heurte encore au scepticisme de nombre de nos concitoyens, qui font valoir qu’alors que le réchauffement devrait se traduire par une aggravation de la sécheresse, il n’a jamais autant plu depuis deux ans au point que les réserves débordent. Comment expliquez-vous cette contradiction ?

L’Aquitaine est l’un des territoires qui souffriront le plus du réchauffement climatique. Quels seront les impacts sur la vigne, qui est fortement dépendante des conditions pédoclimatiques ? Devons-nous envisager des changements de cépages ?

Les tempêtes de plus en plus fréquentes qui touchent nos côtes sont-elles liées au changement climatique ?

L’estuaire de la Gironde pourrait subir une montée des eaux d’un mètre à la fin du siècle. Comment évoluera-t-il si on ajoute à ce phénomène l’engraissement des vases ?

M. Jacques Kossowski. Malgré l’immense travail réalisé par vos laboratoires et par Météo-France, il demeure bien des interrogations sur la façon dont évoluera le climat en France dans les prochaines décennies, et le constat vaut a fortiori pour chacune de nos régions, où ce même exercice prédictif serait pourtant bien utile. Nous sommes par conséquent condamnés, tant en ce qui concerne l’amplitude du réchauffement qu’en ce qui concerne les événements climatiques extrêmes, à nous adapter à une marge d’incertitude, mais sans doute pourrions-nous la réduire grâce aux progrès que nous pourrions faire dans la science du climat, mais aussi dans plusieurs autres sciences comme les sciences de la vie. De ce point de vue, peut-on raisonnablement envisager de nouvelles avancées dans les prochaines années ? Notre pays sera-t-il capable d’affiner prévisions et simulations ? Consacre-t-il suffisamment de moyens budgétaires à ces recherches ?

M. Yannick Favennec. Je vous remercie, messieurs, pour ces présentations passionnantes.

Les dérèglements climatiques entraînent des bouleversements sur l’ensemble de la planète. La France n’y échappe pas, avec des tempêtes à répétition et des températures anormalement élevées pour un mois de janvier. Les graves intempéries qui touchent l’ouest, le sud-ouest et le sud de notre pays sont-elles, selon vous, réellement et uniquement dues au réchauffement ?

Que fait Météo-France pour améliorer les systèmes de surveillance, de prévision et d’alerte ? Comment ceux-ci évolueront-ils dans les dix prochaines années ?

Il paraît indispensable, pour définir et conduire une politique durable et efficace, tant dans le domaine environnemental que dans les domaines économique et social, de s’appuyer sur des analyses scientifiquement et techniquement argumentées. Aussi, que pensez-vous des récentes critiques sur la place insuffisante donnée aux scientifiques dans les débats sur la future politique énergétique ?

M. Olivier Falorni. Après le demi-échec de la Conférence de Varsovie sur le changement climatique, pensez-vous possible de parvenir à un accord destiné à contenir le réchauffement du globe lors de celle de Paris, en 2015 ?

Selon le rapport Global Risks 2014 publié à Davos le 22 janvier dernier, cinq risques environnementaux, en particulier celui d’un réchauffement et celui d’événements météorologiques extrêmes, auraient beaucoup crû depuis 2011. Les quatorze tempêtes successives qu’ont connues nos côtes cette année peuvent-elles être attribuées au réchauffement climatique ?

M. Christophe Priou. Comme plusieurs de mes collègues, je crois qu’il faudra faire preuve de pédagogie vis-à-vis de nos concitoyens : aujourd’hui, il arrive d’entendre mettre dans le même sac la tempête Xynthia et la catastrophe de l’Erika – les événements météorologiques extrêmes et les catastrophes d’origine humaine.

Il faudra réfléchir aux meilleurs moyens de protéger les personnes et les biens tout au long du littoral français et européen – et le problème est particulièrement aigu dans mon département de la Loire-Atlantique où ce littoral est urbanisé à 85 % et où nous devons à tout prix préserver les marais salants, dont l’intérêt économique est majeur. On cite en exemple les Pays-Bas, qui ont certes réalisé des travaux titanesques en ce sens depuis les catastrophes des années 1950, mais ils n’ont que quelques centaines de kilomètres de côtes : le problème se pose en France à une tout autre échelle !

L’observatoire que vous proposez, monsieur Chaumillon, me paraît une très bonne idée, car il faciliterait sans doute la mise au point de solutions techniques ; mais celles-ci nécessiteraient des décisions politiques, voire une véritable révolution culturelle : en effet, si on vous suit, on passerait, sur le littoral, de « l’aménagement » du territoire au « déménagement » du territoire ! Raison de plus pour travailler à un rapprochement entre scientifiques et décideurs.

Mme Geneviève Gaillard. Les changements climatiques sont une réalité à l’échelle mondiale : prenez-vous en considération ceux qui interviennent dans les autres pays, mais aussi les migrations qui pourraient résulter de ces bouleversements ? Travaillez-vous à la définition de mesures d’adaptation de nos productions animales ou végétales cohérentes avec celles qui sont adoptées ailleurs ?

M. Julien Aubert. Les changements climatiques ne risquent-ils pas de nous poser des problèmes de souveraineté ? En matière énergétique, d’abord : ne vont-ils pas réduire les potentialités de notre territoire ? Faut-il envisager, par exemple, de modifier l’implantation de certaines centrales nucléaires ? En matière agricole ensuite : certaines cultures ne vont-elles pas disparaître purement ? Comment adapter nos productions ?

D’autre part, ne faudra-t-il pas renoncer à certaines importations ou l’offre agricole mondiale restera-t-elle, mutatis mutandis, aussi diversifiée qu’elle l’est aujourd’hui ?

Enfin, notre pays est organisé autour de grandes agglomérations nourries par leur hinterland. Est-ce encore l’avenir ? Ne faut-il pas envisager une modification radicale de nos modes d’urbanisation ?

M. Franck Montaugé. Sur cette question des changements climatiques, les esprits évoluent, mais vos travaux scientifiques, messieurs, alimentent-ils aujourd’hui des travaux macroéconomiques prenant en compte les risques que vous avez décrits pour élaborer de nouveaux modèles ?

M. Guillaume Chevrollier. Le XXIe siècle a déjà enregistré treize des quatorze années les plus chaudes jamais observées, et ce phénomène devrait s’amplifier ; les fortes pluies devraient aussi, selon le GIEC, s’intensifier dans le nord de l’Europe et, de fait, le mois de janvier a connu des précipitations supérieures de 40 % à la normale. Nos concitoyens prennent toutefois conscience de la réalité des changements climatiques, même si la pédagogie demeure nécessaire.

Député de la Mayenne, département à fort potentiel agricole, je m’interroge sur les adaptations qui s’imposent dès maintenant à nos agriculteurs et à nos éleveurs. Quelles sont les innovations nécessaires ?

M. Jean-Louis Bricout. La fréquence accrue des extrêmes climatiques rend plus cruciales encore les prévisions météorologiques. Les intempéries exceptionnelles de ces dernières semaines vous conduisent-elles à revoir vos méthodes de prévision ?

M. Jean-Pierre Vigier. La diversification énergétique, qu’essaient de favoriser tous les gouvernements, est indissociable de la transition écologique. A-t-elle eu selon vous des effets positifs tangibles ?

Comment faire, d’autre part, pour que les efforts français et européens de limitation du réchauffement climatique ne soient pas, comme c’est le cas aujourd’hui, réduits à néant par l’industrialisation des pays émergents ?

M. Alain Leboeuf. Pour la Vendée, département d’élevage comptant 280 km de côtes, il est vital d’identifier les conséquences des changements climatiques : sans doute davantage de précipitations, mais aussi de sécheresses, etc. Certaines espèces animales et végétales ne seront plus adaptées à des températures un peu plus élevées qu’aujourd’hui. Comment faire face à ces évolutions ?

Certaines terres agricoles vendéennes, parmi les plus riches de notre pays, ont été gagnées sur la mer au cours des siècles passés ; elles sont aujourd’hui menacées d’engloutissement. Comment allons-nous choisir les territoires qui seront sacrifiés et ceux qu’il conviendra de préserver à tout prix ?

M. Patrick Vignal. Ma circonscription compte des stations balnéaires importantes, notamment La Grande-Motte. Tous les dix ans, on réensable : cela donne un peu l’impression que l’on arrête la mer avec des pâtés de sable… Est-ce la meilleure solution ?

Mme Catherine Quéré, vice-présidente de la Commission, remplace le Président Jean-Paul Chanteguet à la présidence.

M. Jean-Marie Sermier. Les évolutions climatiques posent, en France, le problème des appellations d’origine contrôlée (AOC), fondées sur le lien établi entre un climat, un sol et un savoir-faire. Or tout cela va s’écrouler, puisque la géographie des productions végétales et animales va changer ! Est-ce que l’INRA réfléchit à de nouveaux systèmes d’AOC ?

M. David Douillet. Dans vos modèles, prenez-vous en considération les effets d’un apport massif d’eau douce, lié à la fonte des pôles, et qui pourrait contribuer à dérouter les courants marins qui nous assurent un climat tempéré ? Bordeaux est après tout à la latitude de Montréal.

Gouverner, c’est anticiper, mais j’ai le sentiment que nous sommes souvent désarmés face à la rapidité et à l’ampleur des changements climatiques.

M. Claude de Ganay. La forêt française contribue beaucoup à atténuer le changement climatique, puisqu’elle capte chaque année de 10 à 15 % des émissions nationales de CO2, principal gaz à effet de serre. À cette fonction naturelle de puits de carbone s’ajoute la fourniture de bois pour la construction et pour la production d’énergie. Quelles sont les politiques à imaginer – ou à soutenir davantage – pour mieux adapter cette forêt aux changements climatiques ?

M. Éric Chaumillon. Faut-il déménager la population côtière ? Loin de moi l’idée d’abandonner des territoires habités, parfois densément, mais 45 % des terres situées à moins de 500 mètres de la côte sont des espaces naturels. Nous disposons donc de marges de manœuvre, et c’est bien sûr à ces espaces que je pensais lorsque j’évoquais la possibilité de laisser inonder certaines terres.

La densité de la population littorale est d’environ 2,5 fois supérieure à la moyenne nationale et cette tendance à la concentration de l’habitat près de nos côtes ne faiblit pas. Or nous attendons une transgression généralisée, c’est-à-dire un recul des côtes, plus ou moins important. En tant qu’élus, il vous faut donc vous montrer très vigilants dans l’attribution des permis de construire et limiter les constructions trop proches des côtes. Celles-ci sont très mobiles, et édifier aujourd’hui une villa à quelques dizaines de mètres d’une dune ou laisser se développer l’urbanisation en bordure de mer ne peut qu’exposer à des problèmes graves dans quelques années.

Nécessité de la pédagogie ? Enseignant à l’université, j’ai en effet constaté chez mes étudiants une grande méconnaissance du fonctionnement des littoraux. J’ai pour ma part une politique volontariste de communication et je suis toujours disposé à débattre avec les collectivités et avec les médias. La Rochelle est le chef-lieu du seul département côtier de la région Poitou-Charentes, mais je suis convaincu qu’il pourrait être intéressant de faire des conférences à Poitiers, par exemple.

Il n’est pas possible aujourd’hui d’établir une carte du recul prévisionnel des côtes. Il existe certes des programmes de recherche qui tendent, ponctuellement, vers ce but, mais nous ne disposons que de modèles morphodynamiques de faible extension pour appréhender des systèmes très compliqués d’interactions entre vagues, vents, courants et littoraux.

S’agissant de la Gironde, il faut savoir que les estuaires et les lagunes, qui sont des zones à fort taux de sédimentation, arrivent à suivre l’élévation du niveau de la mer si celle-ci n’est pas trop importante – on parle de quelques décimètres pour les prochaines décennies. Mais les polders, parce que protégés par les digues, sont soustraits à l’action de la sédimentation et ils ne peuvent pas s’adapter. De vastes territoires se retrouvent ainsi sous le niveau de la mer.

Je ne m’autoriserai pas à attribuer les tempêtes que nous avons connues cet hiver aux changements climatiques : pour constater une tendance, il faudrait disposer de plusieurs décennies de recul et il me semble de toute façon dangereux de lier un événement ponctuel à une tendance climatique.

La Vendée est effectivement un territoire très vulnérable. Comme en Charente-Maritime, plus de la moitié de la bande côtière de dix kilomètres de large se situe en dessous du niveau des plus hautes mers. Sans les digues, il y aurait une inondation tous les mois… Au cours des quatorze tempêtes qui ont été évoquées, nous avons connu par deux fois des surcotes d’un mètre qui auraient provoquées des inondations importantes, si elles s'étaient produite pendant des marées hautes de vive-eau, comme pendant la tempête Xynthia de 2010. Si ces surcotes étaient intervenues au moment de marées hautes de vive-eau, c’était l’assurance de catastrophes : tous les hivers, la nature joue à la roulette russe !

Comment choisir les zones à abandonner ? Ce sont forcément celles qui sont les plus proches de la mer, car c’est là que se fera la déverse. L’exemple de la Vendée est tout à fait pertinent même si je pensais plutôt aux terres agricoles de part et d’autre des estuaires de la Gironde et de la Charente : en interdisant à tout prix l’inondation de ces territoires, on laisse forcément la mer monter, éventuellement jusqu’à la ville. Il faut se doter d’une stratégie – modéliser, rehausser des digues, choisir les territoires à protéger et ceux qui resteront inondables, etc.

Le rechargement des plages est-il la meilleure solution possible à La Grande-Motte, et ailleurs ? Le choix est entre défense « en dur » – des digues – et défense « douce », c’est-à-dire le rechargement de plage. M. Van Rijn – l’une des sommités de ma discipline – a bien montré que les coûts de l’une et l’autre solution sont comparables. Dans une zone touristique, les défenses en dur appauvriraient les plages ; le rechargement paraît donc la solution la plus pertinente. Certains systèmes en dur comme les épis en T permettent de faire de petites plages « de poche » ; cela a été pratiqué par exemple à Sitges, près de Barcelone, mais l’effet sur le paysage est désastreux.

Les touristes finissent par tuer ce qu’ils viennent chercher : à force de se masser sur les côtes, ils dénaturent les paysages !

Mme Catherine Quéré, vice-présidente. La tempête Xynthia a été un exemple frappant des risques que vous évoquez, comme peuvent le confirmer ceux d’entre nous qui étaient membres de la commission d’enquête.

M. Jean-Michel Soubeyroux. Vous avez soulevé des questions très vastes qui excèdent souvent les compétences d’un scientifique ; je vais néanmoins essayer de les traiter du mieux possible.

Pour sensibiliser les citoyens et les associer à la réflexion en vue d’élaborer des politiques susceptibles de recueillir leur adhésion, il me semble effectivement que les scientifiques ont un rôle à jouer, mais sans doute pas un rôle d’organisateurs. Des observatoires, régionaux ou nationaux, ont été créés : ce sont des outils tout à fait intéressants à cet effet. Il existe ainsi un Observatoire pyrénéen du changement climatique qui couvre les régions espagnoles et françaises : ce caractère transfrontalier est essentiel, car les mêmes problèmes se posent bien sûr sur les deux versants du massif.

Avec une ressource en eau moindre et plus variable selon les saisons, il faut effectivement s’attendre à une réduction de notre potentiel hydroélectrique. Quant au refroidissement de nos centrales nucléaires, c’est bien sûr un sujet de préoccupation majeure. Météo-France contribue à la réflexion dans ces domaines.

Plus généralement, pour ce qui est de la ressource en eau et de l’adaptation nécessaire aux nouvelles conditions climatiques, il me semble qu’il faut réfléchir à l’échelle du bassin, du territoire. Cette ressource a ceci de particulier qu’elle est partagée entre différents usages et il faut donc une réflexion globale : on ne peut pas se contenter de laisser chaque profession chercher et faire prévaloir ses solutions. Tout le monde doit se mettre autour de la table pour gérer la ressource de façon cohérente, et c’est toute la difficulté de l’exercice. Il est d’autre part impossible de traiter des changements climatiques indépendamment des autres changements globaux, comme les évolutions démographiques qui commandent celles de la demande.

Beaucoup de projets, européens notamment, tendent à agréger les expertises de différents pays et à assurer une action cohérente de l’un à l’autre. L’expérience de l’Observatoire pyrénéen du changement climatique pourrait servir d’exemple à cet égard aussi.

J’ai surtout parlé des sols et des cours d’eau, mais les nappes phréatiques sont également affectées par le changement climatique. Plutôt que de sécheresse météorologique, je préfère parler de sécheresse des sols : l’évolution des précipitations n’est pas forcément bien établie, mais, quelles que soient les incertitudes sur le sujet, la sécheresse des sols, dont pâtissent l’agriculture et l’hydrologie, se développeront de toute façon sous l’effet des températures. Je ne voudrais pas que l’incertitude sur les précipitations soit comprise comme une incertitude sur d’autres composantes du cycle de l’eau.

Faut-il opter pour l’adaptation ou pour l’atténuation des impacts ? Il faut, je crois, faire les deux : les derniers modèles du GIEC montrent que même des politiques d’atténuation draconiennes ne sauraient suffire : l’évolution du climat est déjà en cours et nos sociétés seront donc de toute façon confrontées à des changements climatiques.

Sur le rapport entre événements extrêmes et changements climatiques, il faut, comme l’a dit M. Chaumillon, demeurer très prudent : il est difficile de démontrer vraiment l’existence d’un lien. Certains événements extrêmes sont annoncés par les projections climatiques et on peut penser qu’ils interviendront de plus en plus souvent : c’est notamment le cas pour les vagues de chaleur et pour les sécheresses, mais on n’a pas aujourd’hui prouvé qu’il en était de même pour les tempêtes, du moins en métropole. Le lien entre météorologie et climat est complexe. D’autre part, nous avons déjà connu des événements pluvieux intenses sur notre territoire : il faut peut-être aussi développer notre mémoire des événements passés.

L’amélioration des systèmes d’alerte est bien sûr une préoccupation constante de Météo-France et des pouvoirs publics. De grands progrès ont déjà été réalisés ; le système de vigilance prend ainsi en considération les crues, les submersions marines… C’est un travail long, mais nécessaire. Bien sûr, les intempéries que nous connaissons nous permettent d’améliorer nos prévisions et, surtout, nos dispositifs d’alerte.

La prise en considération dans les modèles climatiques de la fonte des glaciers du Groenland et donc de l’apport massif d’eau douce qui pourrait s’ensuivre est une question qui revient systématiquement dans tous les exercices du GIEC. Aujourd’hui, l’affaiblissement éventuel du Gulf Stream n’est pas de nature à remettre en cause les évolutions climatiques attendues : ce courant est lié à la circulation océanique, mais aussi à la dominance des vents d’ouest.

M. Guy Landmann. Nos concitoyens sont sensibles, je crois, à la question des changements climatiques et de leurs conséquences sur la forêt. Mais, vous l’avez constaté, ces conséquences sont très complexes et donc difficiles à traiter : à nous de trouver les moyens de le faire.

La forêt peut-elle disparaître ? Tout dépend de l’élévation de la température ; le scénario le plus probable n’est pas celui d’un effondrement massif de la ressource, mais plutôt d’une accélération des dépérissements qui, au lieu de concerner un à deux millions de mètres cubes, en feraient disparaître dix millions, puis cinquante… Certes, les tempêtes hors normes de 1999 ont mis à terre 170 millions de mètres cubes, mais des pertes de 20 ou 30 millions de mètres cubes qui ne seraient pas liées à des tempêtes n’en seraient pas moins très significatives. Plus qu’à une catastrophe soudaine, il faut donc plutôt s’attendre à une baisse de production d’une partie importante de la forêt française, notamment dans le sud : cela fera moins de bruit, mais n’en sera pas moins sensible. Le prochain rapport de l’ONERC, que vous recevrez bientôt puisqu’il est envoyé au Parlement et au Premier ministre, sera consacré à la forêt, et un chapitre y présentera ce que pourrait devenir la forêt française en 2100.

Quelles politiques forestières faut-il aider, et comment améliorer notre efficacité en matière d’atténuation ? Il a été opportunément rappelé que la forêt captait l’équivalent de 10 à 15 % de nos émissions annuelles de CO2, ce qui est considérable. Il existe aujourd’hui des politiques visant à favoriser la biodiversité, mais aussi la transition écologique, donc entre autres choses l’utilisation accrue de bois pour l’énergie. Une action efficace en faveur de la forêt, c’est aussi, nécessairement, un soutien à la filière et à l’emploi. Tous les plans que nous pouvons élaborer n’ont de chances de succès que s’ils s’appuient sur une politique de développement forestier économiquement et territorialement cohérente. Mais il sera à coup sûr difficile de conserver les performances actuelles de la forêt française dans tous les domaines – énergie, captation de carbone, biodiversité, emploi…

Nous disposons maintenant d’un arsenal de plans régionaux : du point de vue administratif, le travail est fait. En revanche, nous sommes moins bons – moins bons que nos collègues canadiens, par exemple – pour impliquer toutes les parties prenantes : nous tâtonnons. On réalise cependant de plus en plus de prospectives – le ministère de l’agriculture a par exemple publié un rapport sur ce que pourrait devenir la forêt française entre 2050 et 2100 – et ce type d’exercice permet de faire prendre conscience à tous les acteurs des évolutions possibles et, ainsi, de les motiver.

L’outre-mer est effectivement trop souvent oublié ; à Ecofor, nous essayons systématiquement soit de traiter cette question, soit d’expliquer pourquoi nous ne le faisons pas – dans le rapport « Connaissance des impacts du changement climatique dans la France métropolitaine », c’est parce que le marché ne nous avait pas été attribué… Mais nous travaillons aujourd’hui à une synthèse des indicateurs de gestion de la forêt – couvrant donc la question du changement climatique – dans tous les outre-mer – domaine extraordinairement vaste.

Ecofor anime en effet, pour le compte du ministère de l’écologie, le programme « Gestion et impacts du changement climatique » (GICC), dans lequel nous poussons l’interdisciplinarité très loin : les sciences sociales y interviennent au même niveau que les sciences dures, ce qui est assez remarquable.

En matière de recherche et développement comme en matière de traduction concrète des résultats de nos recherches, nous ne sommes pas au bout de nos peines, je le reconnais. Je veux toutefois mentionner le travail du réseau mixte technologique AFORCE, « Adaptation des forêts au changement climatique », qui rassemble forestiers et chercheurs. Il existe en tout cas une volonté forte chez les acteurs du secteur forestier de prendre cette question à bras-le-corps. Mais c’est aussi une affaire de moyens !

M. Jean-François Soussana. La question la plus vaste est sans doute celle de la stratégie à adopter : adaptation ou atténuation ?

L’INRA a conduit une étude sur le potentiel d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture en France – soit, je le rappelle, plus de 20 % des émissions nationales. Par une dizaine de mesures, il serait possible de réduire ces émissions, sans toucher à la production agricole elle-même, dans une proportion difficile à calculer précisément, mais dont on estime qu’elle pourrait être de l’ordre de 20 %.

Il est également important de garder à l’esprit les perspectives temporelles. Jusqu’en 2050, comme l’a rappelé Jean-Michel Soubeyroux, les trajectoires climatiques sont largement fixées, car elles sont fonction d’émissions qui ont déjà eu lieu. Ce n’est donc qu’au-delà qu’il existe encore des incertitudes. Tout dépendra des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Or, à l’échelle internationale, si le réchauffement atteignait 4 degrés, tout le système alimentaire serait menacé.

Pour la France, il convient donc d’examiner, pour la période qui court jusqu’à 2050, les enjeux de la variabilité climatique et de l’adaptation à cette variabilité. On peut appliquer des mesures locales et régionales en se guidant sur les enseignements de la veille agro-climatique. Les agriculteurs eux-mêmes peuvent, de façon autonome, s’adapter en modifiant les dates de semis ou de récolte – ainsi, en 2011, certaines céréales ont été récoltées en vert, car il était peu probable qu’elles puissent arriver à maturité. On peut aussi s’attacher à diversifier les systèmes agricoles : toute diversification permet de réduire les risques. Enfin, il faut bien sûr, quand cela est nécessaire, changer des variétés. Le rôle de la recherche et développement est d’informer et d’offrir de nouvelles options.

Au-delà de 2050, il faut songer à des adaptations planifiées. Vous avez raison, les dispositions régissant les AOC posent des problèmes particuliers du fait de leur caractère rigide ; il serait donc utile de débattre avec l’ensemble des acteurs concernés des conditions d’une certaine flexibilité, de manière à accompagner les changements plutôt que d’y résister – ce qui, en tout état de cause, ne serait pas possible très longtemps.

Cette réflexion sur des changements profonds, qui demanderont sans doute des infrastructures nouvelles, doit être engagée dès maintenant. Le temps nécessaire pour un cycle de sélection variétale est de dix à quinze ans : il ne nous reste donc que peu de temps pour agir.

Avec un réchauffement de 4 degrés à la fin du siècle, les risques deviendraient systémiques : toutes les interrelations entre l’eau, l’agriculture, la biodiversité, l’énergie… seraient alors à revoir. Nous avons déjà évoqué les relations entre l’eau et l’agriculture ; quant à l’énergie, vous savez que les barrages français sont très majoritairement gérés par EDF, qui a besoin aussi de refroidir ses centrales nucléaires. Mais, lorsqu’on se projette dans l’avenir comme cela a été fait dans l’étude Explore 2070 conduite par le ministère chargé de l’écologie, on constate que le taux de couverture des besoins agricoles va chuter : dans un scénario de réchauffement, les besoins d’irrigation ne seraient plus couverts. Il y a là un problème très sérieux.

On peut bien sûr passer du maïs au sorgho même si cela implique pour les filières de revoir quelque peu leurs technologies. On peut aussi adopter des méthodes avancées d’irrigation, beaucoup plus économes en eau, mais cela nécessite aussi des investissements. D’autre part, il nous faut absolument conserver nos ressources génétiques, car c’est le patrimoine dont nous dépendons pour nous adapter. Si ces ressources de biodiversité devaient elles aussi être menacées, nos marges de manœuvre s’amoindriraient. Il faut enfin diversifier nos systèmes agricoles – c’est, je crois, le sens de la question sur l’agro-écologie. Si nous y parvenons, nous résisterons mieux aux chocs climatiques.

Il faut donc informer, communiquer, mais aussi investir dans la recherche et le développement et développer des stratégies régionales qui impliquent fortement tous les acteurs des filières et des territoires.

Sur les risques particuliers encourus dans chaque région, il est difficile d’être péremptoire car les modèles utilisés peuvent beaucoup varier. Mais il semble que le nord de la France serait plutôt menacé par les inondations, comme l’ouest – Poitou-Charentes et Aquitaine notamment – qui le serait aussi par les sécheresses ; on peut aussi s’attendre à un renforcement de la sécheresse dans le sud de la France – mais peut-être sur tout notre territoire.

L’INRA mène des recherches importantes sur ces sujets ; plusieurs de ses projets en matière de bioressources sont financés par les programmes d’investissements d’avenir : cela nous permet par exemple de conduire les travaux de fond sur l’adaptation des grandes cultures – blé, maïs, tournesol…

L’investissement est moindre dans les filières d’élevage, dont la situation risque pourtant d’être inquiétante. Ces filières traversent déjà une mauvaise passe et le réchauffement, qui fera chuter la production laitière et retardera la croissance des animaux tout en provoquant des dégâts sur les prairies, aura une incidence économique forte. Nous devrions donc investir dans ce secteur, comme, Guy Landmann l’a dit, dans celui de la forêt.

Nous menons des travaux sur l’outre-mer, avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) notamment. Dans ces territoires, le réchauffement se situe d’ores et déjà au-delà de la variabilité climatique habituelle et des adaptations assez profondes devront donc être engagées.

La France devant accueillir la 21e Conférence sur le climat en 2015, nous réfléchissons à l’organisation d’un colloque scientifique international qui aiderait à préparer cet événement. Avec le CIRAD et avec l’Institut de recherche pour le développement (IRD), nous organiserons également à Montpellier, en 2015, un colloque sur les solutions d’adaptation de l’agriculture aux changements climatiques. Il existe aussi des programmes internationaux, consacrés par exemple à la télédétection – GEO-GLAM (GEO Global Agricultural Monitoring) – et à la modélisation des impacts du changement climatique – AgMIP (Agricultural Model Intercomparison and Improvement Project). Enfin, l’INRA a, avec d’autres instituts et plusieurs entreprises, lancé la Wheat Initiative – le blé étant l’une des cultures qui seraient les plus affectées par le changement climatique.

Dans le monde, ceux qui souffriront le plus seront les petits agriculteurs et les éleveurs des zones sèches : leur survie même sera menacée. Avec un niveau élevé de réchauffement, on risque d’enregistrer des impacts importants sur les prix, sur les marchés, et donc une aggravation de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire, ainsi qu’un accroissement des migrations…

L’ozone est effectivement un polluant atmosphérique qui touche les cultures, et nous constatons déjà les effets de cette pollution. C’est un problème non négligeable et qui peut avoir une incidence sur la production ; toutefois, les projections sont plus alarmantes pour l’Asie et pour l’Amérique du nord que pour l’Europe. Il est possible que l’augmentation du CO2 atmosphérique permette de réduire quelque peu les effets dus à ce gaz : d’après les estimations dont nous disposons, on resterait plutôt au même niveau de dommages à l’avenir. Mais l’incertitude est très grande : il faut donc y songer lorsqu’on établit des schémas de sélection et d’investissement.

M. Frédéric Berger. S’agissant de l’ozone, je peux ajouter que j’ai participé, avec des collègues italiens, à un programme de recherche qui a analysé, dans le Tyrol italien, la répartition de l’ozone et ses conséquences sur des peuplements forestiers, notamment de mélèzes : la démonstration a été faite qu’il existe un accroissement de mortalité lors de pics de pollution. C’est donc bien une question importante.

Il faut bien insister : il est très difficile d’apprécier les interactions entre les différentes conséquences des changements climatiques. Ainsi l’augmentation des températures en montagne provoque une fonte du permafrost et des glaciers ; il y a donc davantage d’eau, ce qui veut dire plus de ressources pour l’hydroélectricité par exemple, mais aussi une déstabilisation des sols, donc davantage de laves torrentielles et de crues torrentielles, et des sécheresses plus importantes, donc des feux de forêts plus fréquents. Si l’on en arrive à la disparition du couvert forestier, ce sera un véritable scénario catastrophe.

Il existe des tendances démontrées : élévation de 0,8 degré de la température dans les sols de type permafrost, donc fonte de ces sols ; recul des glaciers, que chacun constate malheureusement, comme, par exemple, dans la vallée de Chamonix. Mais nous restons très prudents, car l’étude des synergies est infiniment complexe, en particulier pour ce qui est de la forêt – elle piège du carbone mais, en l’absence de gestion adéquate, ses capacités de stockage risquent de s’épuiser. Il faut donc conserver une gestion forestière dynamique pour que les arbres puissent continuer à stocker du carbone : cela veut dire aller en forêt, couper du bois et, pourquoi pas, l’y laisser. Mais il n’est pas toujours facile d’aller dans les forêts de montagne… On risque donc, si l’on n’y prend pas garde, d’avoir à la fois une surexploitation des zones les plus faciles d’accès et une capitalisation, c’est-à-dire des arbres qu’on laisse grandir, dans les zones plus difficiles d’accès : dans ce cas, les capacités de stockage du carbone seront moindres et les peuplements vieilliront, ce qui veut dire que les arbres seront beaucoup plus sensibles aux tempêtes, aux ravageurs, au vent… On peut alors enregistrer, du jour au lendemain, des disparitions sur de vastes surfaces.

Pour remédier à ces phénomènes, il faut commencer par bien connaître la ressource, c’est-à-dire établir des cartes, identifier les fonctions de chaque zone de la forêt – protection, production… Sur ces fondements, on peut mettre en œuvre une sylviculture raisonnée et respectueuse des services rendus par ces écosystèmes. Il nous faut donc des données sur une très vaste échelle. La télédétection ouvre des perspectives intéressantes. La technologie LIDAR de scannérisation aéroportée, déjà mentionnée par M. Chaumillon, va constituer une véritable révolution : la résolution obtenue est sans commune mesure avec celle que permettaient les procédés utilisés jusqu’ici – de cinq à vingt-cinq points par mètre carré, au lieu d’un point tous les vingt-cinq mètres ! – et elle procure des informations non seulement sur le sol, mais aussi sur les obstacles – dont les arbres font partie. Plusieurs programmes de recherche, notamment le programme NEWFOR, visent à une meilleure connaissance de la ressource forestière grâce à ces nouvelles technologies : nous pouvons maintenant évaluer la ressource avec une précision de l’ordre de 80 %.

Nous avons besoin de représentations mathématiques de très vastes étendues forestières, mais le recours à la technologie LIDAR coûte cher et la France est malheureusement en retard par rapport à ses voisins alpins : la Suisse, l’Autriche, les provinces autonomes italiennes en sont à la deuxième campagne d’acquisition de ce genre de données. En France, la montagne ne couvre que 25 % du territoire et l’acquisition de données n’a pas été considérée comme prioritaire ; c’est pourtant dans les massifs qu’on rencontre des chutes de pierre, des avalanches, la fonte de glaces, des crues torrentielles… Des programmes d’acquisition à vaste échelle sont donc indispensables.

Nous faisons un effort de communication : nous transmettons nos travaux aux services déconcentrés de l’État, en particulier aux directions régionales de l’agriculture et de la forêt, mais aussi à nos collègues de l’Office national des forêts et aux centres régionaux de la propriété forestière. Nous intervenons dans les écoles et les universités comme auprès des conseils généraux et des autres collectivités, notamment auprès des communautés de communes. Beaucoup de ces dernières, surtout en Isère, commencent d’ailleurs à envisager de financer leurs propres acquisitions de données LIDAR et donc leur propre cartographie de la ressource forestière et des fonctions de la forêt.

J’ajoute que, dans le cadre du Plan d’adaptation au changement climatique, le ministère de l’agriculture nous a confié une cartographie des forêts à fonction de protection : nous travaillons aujourd’hui sur un département pilote, l’Isère, ainsi que sur les Pyrénées. Nous avons ainsi pu développer une méthode de cartographie des forêts à fonction de protection contre les avalanches et les chutes de pierre. Il est tout à fait essentiel de continuer ces travaux, qui tiennent à la fois de la recherche et du développement.

Pour apprécier les effets du changement climatique, il est nécessaire d’avoir du recul : le forestier y est habitué mais, pour cela, il a besoin d’observatoires – d’observations, d’observateurs, d’instruments de mesure. La Zone Atelier Alpes est un exemple de ce qu’il faut faire. Malheureusement, s’il est relativement facile de trouver des financements pour créer un observatoire, l’argent manque très souvent pour le faire fonctionner. Si je puis m’autoriser un souhait, ce serait celui-ci : donnez-nous les moyens de maintenir ces instruments de recherche !

Enfin, il faut avoir accès à la ressource : il faut aménager le territoire, planifier… Certains secteurs forestiers sont sous-exploités et la dynamique des peuplements y est catastrophique : il faut donc faire renaître des compétences que nous avons malheureusement perdues. Ainsi l’usage du câble pour l’exploitation de la forêt était une compétence assez forte en France dans l’entre-deux-guerres, mais elle s’est perdue à la fin de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, il n’y a plus sur le territoire alpin que trois câblistes… Il faut aider ces entreprises. Il faut une politique volontaire pour aller chercher la ressource, notamment le bois-énergie.

Mme Catherine Quéré, présidente. Merci, messieurs, pour la qualité et pour la précision de vos interventions. Je vous prie d’excuser le départ de nos collègues, notamment ceux membres de la mission d’information sur l’écotaxe poids-lourds.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 12 février 2014 à 9 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Alain Calmette, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Alain Gest, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Olivier Marleix, M. Franck Montaugé, M. Philippe Noguès, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, M. Thierry Solère, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier, M. Patrick Vignal

Excusés. - M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. Laurent Furst, M. Christian Jacob, M. Arnaud Leroy, M. Franck Marlin, M. Jean-Luc Moudenc, M. Napole Polutélé, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - Mme Michèle Bonneton, M. Dino Cinieri