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Mardi 6 mai 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 53

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Leyrit, président de la Commission nationale du débat public (CNDP), sur le bilan du débat sur Cigéo et les 21 chantiers pour une réforme de la CNDP

– Informations relatives à la Commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Christian Leyrit, président de la Commission nationale du débat public (CNDP), sur le bilan du débat sur Cigéo et les 21 chantiers pour une réforme de la CNDP.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je donne d’emblée la parole à M. Martial Saddier pour un rappel au règlement.

M. Martial Saddier. Permettez-moi tout d’abord de saluer le retour parmi nous de notre collègue Philippe Martin et de lui dire que nous avons apprécié la manière dont il a su travailler avec toutes les composantes de l’Assemblée en sa qualité de ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Le Président de la République a annoncé ce matin un énième bouleversement territorial, qui rend plus urgente que jamais l’audition de la ministre chargée de l’aménagement du territoire par notre commission. Monsieur le Président, je vous l’avais demandé lors de notre dernière réunion ; je réitère aujourd’hui cette demande au nom des députés UMP. Il est temps que nous y voyions plus clair !

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’ai bien enregistré cette demande. Nous avons bien prévu d’auditionner Mme la ministre du Logement et de l’Égalité des territoires, mais nous n’avons pas encore trouvé de date. Nous organiserons également une table-ronde sur l’organisation territoriale, pour laquelle nous sommes en train de chercher des intervenants. Ces sujets d’actualité sont d’une grande importance, non seulement pour les élus locaux, mais aussi pour l’aménagement du territoire. Soyez donc assuré que cette audition et cette table-ronde auront lieu dans les meilleurs délais.

Je souhaite à mon tour un bon retour parmi nous à M. Philippe Martin. (Applaudissement sur tous les bancs)

Nous accueillons cet après-midi M. Christian Leyrit, président de la Commission nationale du débat public (CNDP), que nous avions auditionné le 12 mars 2013, en vue de sa nomination. Il est accompagné de Mme Laurence Monnoyer-Smith, vice-présidente de la CNDP.

M. Christian Leyrit abordera deux sujets : tout d’abord, la réforme de la CNDP – et, plus largement, du débat public en France – pour laquelle il présente 21 chantiers ; ensuite, le bilan du débat public sur le projet de centre de stockage réversible profond de déchets radioactifs à Bure, dit projet Cigéo.

M. Christian Leyrit, président de la Commission nationale du débat public (CNDP). Je suis heureux de me trouver de nouveau devant la Commission du développement durable, un peu plus d’un an après avoir été auditionné en vue de ma nomination à la présidence de la CNDP. Je profite de cette occasion pour vous remercier de votre confiance.

Le premier thème à l’ordre du jour est le débat public sur le projet Cigéo. La loi de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs du 28 juin 2006 a imposé que la demande d’autorisation de création du centre de stockage de Bure – dont le maître d’ouvrage est l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) – soit précédée d’un débat public. Celui-ci a été organisé du 15 mai au 31 juillet 2013.

Le projet de centre Cigéo a pour objet de stocker les déchets radioactifs français de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL), qui ne représentent que 3 % du volume des déchets radioactifs existants, mais concentrent plus de 99 % de la radioactivité totale.

Comme vous le savez, il y a eu un désaccord sur le calendrier. Quarante-quatre associations, rejointes par le parti Europe Écologie-Les Verts, ont écrit au Président de la République pour demander le report du débat public après la loi de programmation sur la transition énergétique. Le débat a démarré en dépit de l’opposition de ces quarante-quatre associations, qui n’y ont donc pas participé. Ce dernier s’est déroulé dans des conditions difficiles : les réunions publiques de Bure et de Bar-le-Duc ont été perturbées par quelques dizaines d’opposants, qui ont empêché la vice-présidente d’Europe Écologie-Les Verts du conseil régional de Champagne-Ardenne de s’exprimer, alors même qu’elle souhaitait manifester son opposition au projet.

On peut regretter que les réunions publiques n’aient pu se tenir. Pour que le débat puisse tout de même avoir lieu, la CNDP a redéployé le mode d’expression des citoyens. Elle a organisé neuf débats contradictoires interactifs sur internet, sur les différents thèmes concernant le projet. Elle a également mis en œuvre un partenariat avec la presse régionale, qui s’est traduit par une édition de neuf pages dans le Journal de la Haute-Marne et L’Est Républicain. Enfin, elle a organisé une conférence de citoyens. Ce dispositif très pratiqué dans les pays nordiques, en particulier au Danemark, est assez peu utilisé en France – c’est la seconde fois, depuis sa création, que la CNDP y avait recours. Dix-sept citoyens, dont une quasi-majorité était issue des départements de la Meuse et de la Haute-Marne, ont suivi durant deux week-ends une formation reflétant la diversité des positions. Ils ont consacré un troisième week-end à l’audition de vingt-six personnalités, dont M. Denis Baupin, Mme Corinne Lepage et M. Jean-Louis Dumont, député de la Meuse et favorable au projet, ainsi que de médias et d’experts de la sûreté nucléaire.

Fait notable, la conférence de citoyens a rédigé une note de dix pages, adoptée à l’unanimité, qui a « bluffé » les experts de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ce document est disponible sur le site internet de la CNDP, www.debatpublic.fr. L’expérience a donc montré que sur ce sujet complexe, qui engage notre pays pour des générations, des citoyens « naïfs » – c’est-à-dire n’ayant aucune compétence sur le sujet – sont capables, pour peu qu’ils soient bien formés, d’exprimer un point de vue tout à fait digne d’intérêt, y compris aux yeux des experts. L’avis de ces citoyens est d’ailleurs assez proche du bilan que j’ai moi-même rédigé à l’issue du débat public. Cela ne signifie pas que les conférences de citoyens doivent remplacer celui-ci, mais c’est un élément encourageant sur la capacité des citoyens à s’exprimer sur les sujets les plus complexes – pour peu qu’ils soient correctement informés et formés.

Les vidéos des formations sont disponibles sur notre site, de même que le rapport du comité d’évaluation de la conférence de citoyens, composé de trois scientifiques – deux Français et un Italien –, qui a assisté à l’ensemble du processus d’échange et s’est exprimé sur la manière dont celui-ci avait conduit la conférence de citoyens à formuler un avis adopté à l’unanimité. Bien entendu, cette démarche implique une grande rigueur non seulement dans la constitution du panel, mais également dans la formation de ses membres. Malgré l’absence de réunions publiques, le débat public a été extrêmement riche.

Faut-il s’engager dans le projet d’un stockage profond ? Le clivage entre les tenants de cette solution – l’ensemble des responsables politiques et associatifs, à l’exception des groupes Europe Écologie-Les Verts des conseils régionaux de Champagne-Ardenne et de Lorraine, du parti communiste de la Meuse et des élus de gauche du conseil général – et ceux qui s’y opposent est très marqué.

Quels types de déchets seraient pris en charge par Cigéo ? Le public a exprimé des préoccupations quant au plutonium et au MOX qui pourraient y être stockés. L’éventualité du stockage des combustibles MOX dépendra évidemment de la politique énergétique mise en œuvre par la France dans le futur.

L’éthique a traversé l’ensemble du débat. Quel héritage laisserons-nous aux générations futures ? Entre des participants que tout oppose quant au devenir du projet, il ressort un consensus unique sur l’exigence éthique : les générations actuelles ont bénéficié, grâce au nucléaire, d’une électricité peu chère ; elles n’ont pas le droit de laisser aux générations futures la charge de gérer les déchets résultant de cette production. Mais ce consensus vole en éclats sur les conséquences à en tirer selon que l’on est ou non favorable au projet. Certains estiment que ce qui serait éthique dans la gestion des déchets radioactifs serait de ne plus en produire. Le débat est finalement le suivant : pour les centaines de générations à venir, est-il préférable de faire confiance à l’homme ou bien à la géologie ?

Un autre thème de réflexion – que je ne développerai pas – concerne l’entretien de la mémoire du site.

L’éthique et l’accompagnement financier du territoire sont des points importants. Les responsables politiques et économiques des deux départements considèrent que l’acceptation de cet ouvrage utile à notre pays appelle légitimement des contreparties pour les territoires concernés. Inversement, de nombreux participants au débat stigmatisent cet accompagnement financier comme un moyen « d’acheter » l’acceptation des élus et des populations.

Certains formulent aussi des doutes sur l’indépendance de la recherche et des organismes de contrôle. Il me semble donc nécessaire de retrouver une confiance mutuelle – qui fait aujourd’hui largement défaut – entre la population, les experts scientifiques et les décideurs.

De nombreuses questions portent sur la maîtrise des risques. Je dois dire que dans le cas de Cigéo, la polarisation entre « pro » et « anti » empêche la mise à plat des analyses de risque et une approche raisonnable et pluraliste.

De nombreuses questions évoquent le passage d’un laboratoire de modélisation à une activité industrielle, avec la nécessité de réaliser un prototype ou un démonstrateur. Cette étape comprendrait deux phases : une première avec réception de faux colis, destinée à tester la manutention, le comportement de la roche ou la ventilation, et une seconde avec de vrais colis, permettant de tester leur mise en place et leur récupérabilité. Je rappelle que le Parlement a insisté sur la notion de réversibilité, qui implique la récupérabilité des colis. Cette question est donc centrale.

La sécurité des transports est un autre enjeu important.

Les coûts et les financements restent de grandes inconnues. Au moment du lancement du débat, la CNDP avait demandé à disposer d’éléments sur les coûts du projet. La Cour des comptes a également souhaité que les coûts soient arrêtés par l’État avant le débat public. Force est de constater que celui-ci s’est déroulé sans que nous disposions de la moindre information sur les coûts. Comme de nombreux citoyens et experts, la CNDP ne peut que le regretter.

Quels impacts pour le territoire ? Le choix du site de Bure résulte d’un long processus, que certains d’entre vous connaissent bien. Les mesures pour le développement et l’aménagement du territoire ont fait l’objet d’un grand nombre de cahiers d’acteur et ont nourri le débat contradictoire du 30 octobre 2013. Les perspectives de créations d’emplois pour la construction et l’exploitation des installations ont été largement évoquées par les participants, comme les effets sur l’agriculture et l’image du territoire.

Des questions se posent aussi sur la réforme de la gouvernance. Nombre de citoyens expriment leur méfiance à l’égard du processus de décision. Le débat a illustré la perte de confiance entre, d’une part, la population, et, de l’autre, la maîtrise d’ouvrage, les acteurs du projet, les scientifiques et les organisateurs du débat. Cela trahit une inquiétude quant au contrôle de l’ANDRA, une incrédulité face aux données et études scientifiques et une désillusion dans le processus démocratique.

Au terme de ce débat, je souhaite faire part de mes conclusions et formuler quelques propositions.

Le débat a été difficile, mais très riche. De nombreux avis ont été exprimés : 154 cahiers d’acteur ont été reçus ; une dizaine de milliers de personnes ont suivi les débats interactifs sur Internet ; le site Internet a enregistré près de 1 500 questions. On peut bien sûr regretter que les réunions publiques n’aient pu se tenir ; mais le sentiment d’être impuissant, voire méprisé, va bien au-delà des poignées d’opposants qui ont empêché le débat. L’attribution des marchés par l’ANDRA en plein débat public, comme si tout était déjà décidé, a été particulièrement dommageable. J’ai exprimé ce point de vue à plusieurs reprises à la directrice de l’ANDRA. Cela a renforcé le sentiment – déjà fort répandu dans la population – que les opinions exprimées par le citoyen étaient de peu d’importance et que tout allait se poursuivre dans la hâte et la précipitation – hypothèse aujourd’hui rejetée par la quasi-totalité des citoyens et même par des responsables de l’IRSN et de l’ASN, y compris les plus favorables au projet. Les opposants au projet ont considéré que le débat public était un débat « bidon » et que les décisions étaient déjà prises.

Pour que le projet se réalise, il est urgent de restaurer un climat de plus grande confiance entre les citoyens, les experts, la maîtrise d’ouvrage et les pouvoirs publics, faute de quoi nous aboutirons aux mêmes blocages que sur des sujets autrement moins sensibles.

Il est primordial que le maître d’ouvrage et les pouvoirs publics entendent les nombreuses interpellations des citoyens exprimées au cours de ce débat. La mise en œuvre du projet – ou de tout autre projet alternatif – implique un impératif de vérité, un impératif de responsabilité et un impératif de précaution.

De nombreuses personnes, ainsi d’ailleurs que l’IRSN – qui l’a reconnu sans ambiguïté devant les citoyens – considèrent que le calendrier de déploiement du projet prévu par la loi de 2006 est beaucoup trop tendu, et que des preuves supplémentaires doivent être apportées sur la sécurité du projet. Il convient donc d’allonger les délais prévus à l’origine.

L’idée d’un nouveau jalonnement du projet, intégrant une étape de stockage « pilote », constituerait une avancée significative. Cette étape permettrait notamment de garantir la capacité à maîtriser les risques, étant entendu que si la démonstration ne pouvait être apportée, un retour en arrière devrait être possible. Ce n’est qu’à l’issue de cette étape que la décision de poursuivre la construction du centre de stockage et de procéder à son exploitation courante pourrait être prise – et non au stade de la demande d’autorisation de création. Un dispositif législatif et réglementaire spécifique devrait donc accompagner ce nouveau jalonnement.

Par ailleurs, le projet du ministère de l’écologie d’intégrer la question de la réversibilité du stockage dans le projet de loi de programmation sur la transition énergétique a pu donner le sentiment d’une accélération du processus en contradiction avec l’objectif largement partagé de desserrer le calendrier.

L’inventaire des déchets pouvant être accueillis dans Cigéo a fait l’objet de nombreux commentaires au cours du débat. C’est en particulier vrai pour les combustibles usés, qui se trouvent aujourd’hui exclus du périmètre du fait de leur statut de matière valorisable. Ce choix pourrait être remis en cause demain en fonction de l’évolution de la politique énergétique de notre pays. Il est donc important que la démonstration complémentaire de la faisabilité du stockage de nouveaux combustibles accompagne, le moment venu, la demande d’autorisation de création de Cigéo.

Dans l’examen des déchets pouvant être stockés, une attention particulière doit être apportée au risque incendie. La probabilité qu’en cent ans plusieurs risques, dysfonctionnements ou erreurs humaines interviennent simultanément ne doit pas être négligée. Je rappellerai ici l’exemple de la catastrophe du tunnel du Mont Blanc, qui a été provoquée par des phénomènes simultanés – et imprévisibles – sur une route considérée à l’époque comme l’une des plus sûres de France.

Un autre point me paraît fondamental. Sans remettre en cause la probité des différents acteurs dans l’exercice de leurs missions, il faut noter que la demande de la société reste forte envers les preuves d’indépendance de l’expertise vis-à-vis du maître d’ouvrage. Les propositions émises sur ce point, à l’issue du débat public de 2005, en faveur de la construction d’une expertise plurielle ayant les moyens de jouer son rôle restent pleinement d’actualité. Des efforts ont été engagés, notamment par l’IRSN, pour rendre accessible à la compréhension du public l’ensemble des travaux de recherche et d’expertise, par nature complexes ; ils doivent être poursuivis, et même amplifiés. Les sujets qui apparaissent essentiels pour la sécurité du projet, qu’ils soient soulevés par les experts publics, privés ou issus de la société civile, doivent être débattus avec l’ensemble des acteurs concernés et en toute transparence.

Au-delà du dispositif institutionnel, qui est impressionnant – ASN, IRSN, comités locaux d’information et de suivi (CLIS), Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI), Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE), Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) – , il est nécessaire de renouveler la gouvernance et de faire appel à des experts indépendants, français ou étrangers, pour conduire des études approfondies. Cela pourrait se faire dans le cadre du CLIS et de l’ANCCLI, à condition d’accroître leurs moyens financiers. Sans une expertise plus pluraliste, il sera difficile de retrouver la confiance.

Un autre progrès consisterait à ce que les instances de contrôle et de décision auditionnent les associations locales. Le président de l’ASN est ouvert à cette idée. Ces auditions pourraient d’ailleurs être publiques.

Enfin, il est indispensable d’apporter au public des informations sur les financements et les coûts, en intégrant les coûts relatifs à la réversibilité. Si quelques esquisses ont été ébauchées, elles datent des années 2005-2006, avant que le législateur n’affirme le principe de réversibilité, qui est un élément fondamental pour la poursuite du projet.

Voilà donc pour le bilan du débat public sur le projet Cigéo.

J’en viens à la réforme de la CNDP. Il est nécessaire de faire évoluer le débat public pour faire en sorte que le citoyen retrouve confiance dans les institutions et la parole publique. À l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, toutes les pratiques d’information et d’expression sont bouleversées. Dans ce contexte, les citoyens souhaitent de plus en plus participer directement aux décisions publiques. Mieux associer le citoyen, démocratiser et légitimer ces décisions sont désormais de véritables enjeux.

Avec l’approbation de la CNDP, j’ai donc proposé vingt-et-un chantiers pour rénover le débat public.

Le premier objectif est d’affirmer l’indépendance de la CNDP vis-à-vis des maîtres d’ouvrage et de réduire les coûts. Actuellement et à la différence d’autres pays, ce sont les maîtres d’ouvrage qui saisissent la CNDP. Les personnes qu’elle désigne pour conduire le débat sont indemnisées par la CNDP, mais le secrétaire général du débat est un salarié du maître d’ouvrage. Pour le débat sur Cigéo, il s’agissait donc d’un employé de l’ANDRA, ce qui, dans le contexte polémique de ce débat, n’était guère crédible aux yeux des opposants. De même, les garants nommés par la CNDP sont rémunérés non par celle-ci, mais par le maître d’ouvrage. C’est à tout le moins une anomalie. Je propose donc que les maîtres d’ouvrage financent un fonds de concours, et que la CNDP lance elle-même les appels d’offres – ce qui serait aussi un facteur de réduction des coûts. Il me semble également souhaitable de développer la contre-expertise. Il est bien sûr légitime que les maîtres d’ouvrage présentent leur projet, mais il est aussi nécessaire qu’un autre regard soit porté sur celui-ci. Pour prendre un exemple, l’évaluation des perspectives de trafic est un sujet récurrent dans les projets autoroutiers ou ferroviaires. Le citoyen se demande sur quelle base l’État ou RFF ont établi leurs prévisions et si elles ne sont pas surestimées. Il importe donc qu’un regard différent puisse être porté sur les projets.

Deuxième objectif : garantir la neutralité et l’impartialité des commissions particulières du débat public (CPDP) et diversifier et former les équipes. La CNDP doit être à équidistance des citoyens et du maître d’ouvrage. Pour cela, il convient d’améliorer le mode de sélection des membres des CPDP, en constituant un vivier de recrutement suffisamment large, et de les former. Nous avons eu quelques déboires à ce sujet, notamment sur le projet Cigéo. Je rappelle qu’à l’inverse de ce qui se passe par exemple au Canada, la CNDP ne donne pas d’avis sur les projets : son rôle se borne à garantir que les citoyens puissent s’exprimer et être entendus. Un président de commission avait laissé entendre dans la presse, avant le lancement d’un débat public, qu’il avait un point de vue sur le projet. Je n’ai pas voulu qu’il mène le débat. Pour redonner du crédit aux CPDP, nous devons être intransigeants sur cette neutralité et cette impartialité. Le débat public se distingue de la concertation organisée par le maître d’ouvrage. Celle-ci est légitime, et les citoyens savent que le maître d’ouvrage va défendre son projet. Mais le débat public doit être confié à un tiers qui n’est pas partie prenante au projet.

Par ailleurs, l’indemnisation des membres des CPDP est très faible. Pour un travail – à mi-temps ou tiers-temps – d’environ un an sur le projet, elle est plafonnée à 6 800 euros bruts et à 9 000 euros pour le président. Ces montants sont difficilement compatibles avec la nécessité de rajeunir et de dynamiser ces commissions.

Troisième objectif : diversifier les modes d’expression du public. Le débat public ne se limite pas aux réunions publiques, dont les participants sont souvent âgés, en majorité masculins et issus des catégories socioprofessionnelles supérieures. Avec Mme Monnoyer-Smith, universitaire spécialiste de ce domaine, nous entendons développer Internet et les réseaux sociaux et aller chercher les citoyens là où ils sont, en organisant des débats mobiles dans les gares, les lycées ou encore les universités.

Il convient aussi de mettre en œuvre des méthodes d’évaluation du débat public, afin de s’assurer que celui-ci permette de connaître le point de vue de tous.

Quatrième objectif : développer les échanges et les partenariats avec les collectivités, les syndicats, le patronat et les organisations non gouvernementales (ONG) pour renforcer la culture du débat public. Cela passe par une coopération approfondie avec les grandes collectivités – régions, départements, communautés d’agglomération, grandes villes. Nous proposons aussi de recruter des « ambassadeurs » du débat public, c’est-à-dire des personnalités d’horizons différents, leaders d’opinion dans leur domaine, qui pourraient « vendre » l’idée que le point de vue des citoyens doit être entendu plus qu’il ne l’est aujourd’hui.

Cinquième objectif : développer les échanges et les coopérations à l’international, en créant un « club Aarhus » – nous rencontrons le président de la Convention d’Aarhus dans quelques jours.

Sixième objectif : développer une action de sensibilisation à la participation du public dans les grandes écoles, en direction des futurs managers du public et du privé, qui seront de plus en plus confrontés au dialogue direct avec le public et à la gestion de crise. La directrice de l’École nationale d’administration (ENA) est d’ailleurs déjà sensibilisée à ce thème.

Septième objectif : renforcer la visibilité et l’image de la CNDP. Nous organisons les 16 et 17 juin prochains, sous le patronage du Président de la République, un colloque international, parrainé par les présidents des deux assemblées et le président de la Convention d’Aarhus, sur le thème : « Le citoyen et la décision publique : enjeux de légitimité et d’efficacité ». Nous y attendons de nombreux responsables français et étrangers, qui dialogueront avec des citoyens. Pour préparer ce colloque, nous avons lancé une enquête d’opinion qualitative et quantitative, de manière à pouvoir éclairer l’ensemble des acteurs, notamment les décideurs politiques, sur les évolutions nécessaires.

Huitième et dernier objectif : proposer des évolutions relatives aux missions et au champ d’action de la CNDP. Nous souhaitons élargir la capacité d’intervention de celle-ci après un débat public jusqu’à l’enquête publique. La concertation est un continuum. Prenons l’exemple de Notre-Dame-des-Landes : le projet a fait l’objet d’un débat public en 2003, d’une enquête publique en 2008, d’une procédure d’enquête européenne en 2013. L’idée serait donc que la CNDP puisse intervenir tout au long du processus. Même si chaque étape se déroule bien, cela peut poser problème s’il ne se passe rien entre plusieurs d’entre elles qui sont espacées de cinq ou dix ans. Nous proposons aussi d’étendre le champ d’action de la CNDP aux grands projets d’aménagement : c’est un point capital à nos yeux. Aujourd’hui, la CNDP est saisie par les maîtres d’ouvrage. Nous avons organisé il y a peu un débat sur le grand stade de rugby de Ris-Orangis, dans l’Essonne ; nous allons en organiser un autre sur un projet du groupe Auchan, d’un montant de 2 milliards d’euros, à Gonesse, dans le Val d’Oise. Ces grands projets d’aménagement suscitent des questions des citoyens sur les transports, par exemple. Le débat public doit donc porter sur les projets d’aménagement de manière globale – cela permettrait de mieux coordonner leurs différents éléments. L’aménagement du plateau de Saclay n’a jamais été soumis à un débat public ; mais pour transférer l’École centrale à Saclay, le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur doit saisir la CNDP. Comment envisager un débat public sur ce transfert alors que l’aménagement du plateau de Saclay n’a jamais fait l’objet d’un débat ?

Vous connaissez tous le schéma national des infrastructures de transport (SNIT). En Allemagne, les grands schémas de transports sont soumis aux citoyens. Rien de tel en France. Le schéma directeur de la région Ile-de-France (SDRIF) est, certes, soumis à une concertation et à des enquêtes publiques ; mais il ne donne pas lieu à débat public sur les grands choix et les grandes options en amont. Je fais le pari que si les citoyens pouvaient s’exprimer sur les schémas de desserte des TGV, qui sont décidés par le Gouvernement en liaison avec les grands acteurs régionaux, les décisions prises seraient différentes de celles auxquelles nous assistons.

Les conférences de citoyens sont un outil très pertinent, à condition de suivre une méthodologie et d’être d’une extrême rigueur – sans quoi, c’est la porte ouverte à toutes les dérives. Nous évoquerons, lors du colloque de juin, une proposition formulée par un universitaire il y a quelques années, consistant à confier à une instance nationale le soin d’organiser l’ensemble des conférences de citoyens.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous vous remercions pour les propositions que vous venez de nous présenter. Il est étonnant que ces vingt-et-un chantiers n’aient pas encore été mis en œuvre. Espérons que des initiatives, en particulier législatives, pourront être prises à la suite du colloque de juin.

Je me permets de préciser, à l’attention notamment de notre collègue Martial Saddier, que les plafonds d’indemnisation des membres et présidents de CPDP auquel vous avez fait allusion est un plafond annuel.

M. Christophe Bouillon. Au nom du groupe SRC, je voudrais remercier le président de la CNDP d’avoir tenu à tirer toutes les leçons du débat sur le projet Cigéo, et cela tant sur la forme que sur le fond.

Deux sujets préoccupent les Français lorsqu’on les interroge sur le nucléaire : la sûreté et le devenir des déchets. Nous nous réjouissons donc que la discussion ait pu avoir lieu. Nos concitoyens souhaitent que le sujet soit débattu. Il peut l’être par le biais de la représentation nationale : cela a été le cas avec les lois de 1991, puis de 2006, et cela le sera en 2016 ou en 2017, lorsque le Parlement aura à préciser les conditions de la réversibilité. Il peut l’être aussi à l’occasion d’un débat public, comme pour le projet Cigéo ; vous avez tenu à tirer les leçons de ce débat, que vous avez vécu, dans le bilan que vous venez de nous présenter.

Vous faites également des propositions de réforme. Souhaitons que ces vingt-et-un chantiers ne s’apparentent pas aux douze travaux d’Hercule et qu’ils trouvent un débouché législatif.

Les conditions du débat ont leur importance. Certains d’entre nous ont en mémoire celui sur les nanotechnologies : le moins que l’on puisse dire est que les conditions d’un débat serein sur ce sujet essentiel n’étaient pas réunies. Vous avez donc eu raison de rappeler qu’il faut faire évoluer le débat public. Il y a une différence entre écouter et entendre. Beaucoup considèrent que les jeux sont déjà faits lorsque le débat public a lieu. Non seulement celui-ci doit exister, mais il doit aussi être organisé dans la durée, avec des « clauses de revoyure » et une évaluation. Même s’il faut donner toute sa force à la démocratie représentative, la démocratie participative doit pouvoir jouer – et ce débat y contribue.

Vous avez posé des questions de fond sur la sécurité, la gouvernance, le calendrier et le coût du projet, rejoignant celles qui ont été posées par la Cour des comptes sur le coût de Cigéo, les transports et la réversibilité. Les arguments entendus sur tous ces sujets seront utiles à la représentation nationale lorsque viendra le temps du débat.

Quelles suites donner à vos propositions ? Faut-il les considérer comme des contributions destinées à servir notre sagacité, ou bien ont-elles vocation à déboucher sur des dispositions réglementaires ou législatives ? La question des déchets nucléaires sera bien sûr abordée lors du débat sur la transition énergétique. Quelles propositions pourrions-nous porter dans ce cadre ?

M. Luc Chatel. Je remercie M. Leyrit pour sa présentation et pour le débat public qu’il a organisé. Le dossier Cigéo offre un exemple unique du rôle d’encadrement que peut être amené à jouer le Parlement à un moment où il est critiqué, voire contesté. Ce rôle mérite d’être valorisé.

Depuis vingt ans, nous naviguons entre deux écueils. Le premier consiste à « gober » sans résistance les arguments du maître d’ouvrage, si compétent soit-il – car nous avons besoin de contre-expertises, de jugements critiques et d’analyses. Le second écueil serait de rejoindre le front du refus. Ce serait irresponsable, car c’est bien d’un projet de responsabilité qu’il s’agit. Responsabilité vis-à-vis des générations futures, d’abord, que n’a pas eue la génération qui nous a précédés, puisqu’elle a lancé un programme nucléaire sans investir dans la recherche sur le traitement des déchets. (Approbations sur divers bancs)

Pour notre part, nous avons la volonté de résoudre ce problème, qui concerne les générations présente et à venir. Responsabilité en matière d’investissements industriels ensuite, au moment où nous lançons de grands emprunts sur les investissements d’avenir. Nous avons là un secteur majeur d’investissements industriels d’avenir, dans lequel nous disposons d’acteurs à la compétence mondialement reconnue. Nous le savons, nos grandes entreprises seront consultées sur des projets de ce type. Il appartient donc au Gouvernement de fixer un cap. On ne peut tergiverser sur un tel projet.

Ma dernière observation porte sur l’adhésion des populations. En vingt ans, les choses ont beaucoup changé. À l’origine, on a fait passer ce projet au forceps, en mettant en place des outils d’accompagnement économique. Aujourd’hui, les populations ne sont plus dans le même état d’esprit et attendent des réponses à leurs interrogations ; c’était tout l’enjeu du débat public : or elles ont restées sur leur faim. Comme vous l’avez dit, c’est le dispositif même du débat public qui doit évoluer. Celui-ci ne peut plus se résumer à de grandes réunions publiques devenues archaïques, a fortiori lorsqu’elles sont noyautées par des opposants farouches qui empêchent le débat public et laissent croire que c’est le pays qui remettrait le projet en cause.

Vos propositions sont les bienvenues. Elles nous invitent à revoir en profondeur notre façon de débattre des projets de société. Certes, le Parlement encadre ces derniers ; mais à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, il faut que les populations s’en saisissent dans une logique interactive permanente et déconnectée des excès.

M. Bertrand Pancher. En tant que porte-parole du groupe UDI, je concentrerai mon propos sur le projet Cigéo. Je vous adresserai une liste de questions et de remarques sur les vingt-et-un chantiers que vous avez évoqués pour la CNDP ; votre réflexion est passionnante.

En ce qui concerne Cigéo, les échanges – lorsqu’ils ont pu avoir lieu – ont été de qualité. Vous avez rappelé le nombre de questions, d’avis et de cahiers d’acteur que vous avez reçus. Vous avez également évoqué l’organisation de la conférence de citoyens, qui marque un réel progrès dans un débat sociétal fort. Il est indispensable de tenir compte de l’ensemble de ces réflexions. L’ANDRA l’a d’ailleurs fait dans une communication récente, qui concerne notamment la réversibilité et la progressivité dans les actions mises en œuvre – qui figuraient parmi les principales préoccupations de ceux qui ont été consultés. Il appartient maintenant au législateur de faire en sorte que ces réflexions contribuent à améliorer le dispositif actuel.

Ne soyons cependant pas naïfs. Le débat public a été chaotique, ce qui nous invite à réfléchir sur le contenu et sur les méthodes. Quelles que puissent être ses qualités, le président de la CPDP s’est laissé déborder. J’étais présent aux réunions publiques de Bure et de Bar-le-Duc : la sécurité des salles n’était pas assurée et, à un moment donné, la CNDP s’est même demandé si elle n’allait pas renoncer à ce type de concertation. Heureusement, vous êtes passé à un nouveau mode de concertation ; sans cela, nous courions à la catastrophe.

Certaines tergiversations auraient pu être évitées si la CNDP avait su tenir compte de quatre réflexions. Il y a tout d’abord l’historique du projet. L’ANDRA a engagé depuis de nombreuses années un travail de communication et de concertation avec le public, à l’image de celui conduit en 2009 lors de la définition de la zone d’intérêt pour la reconnaissance approfondie (ZIRA), travail reconnu par le sondage réalisé pour la CNDP par TNS-Sofres pendant le débat. Certes, ce travail est celui du maître d’ouvrage, mais il y aurait eu beaucoup à en retenir dans le cadre du débat public.

Les acteurs locaux, en particulier les élus, avaient par ailleurs exprimé leur intérêt pour des modalités nouvelles de concertation. J’ai moi-même plaidé pour la multiplication de réunions à domicile dans l’ensemble des communes concernées. On a préféré privilégier les grandes réunions publiques, qui ont été prises d’assaut par quelques militants hostiles au projet. Sans doute aurait-on dû envisager un mode de concertation différent.

Le CLIS, organisme indépendant doté d’un budget non négligeable, a organisé de nombreuses concertations et développé une réelle expertise sur le sujet. Il est dommage que ses réflexions n’aient pas été reprises dans le cadre du débat public.

Enfin, le nucléaire a fait l’objet de près d’un millier de contributions sur une quinzaine de sites Internet – 47 sur le site Newsring, 92 sur celui de Libération, 12 sur celui de L’Express, 52 sur celui d’Arte, 141 sur le site de Mme Corinne Lepage, 546 sur celui de La Tribune… Cela m’amène à me demander si les débats publics ont encore lieu d’être sous la forme prévue par les textes de loi. Dans le cas de Cigéo, privilégier la synthèse des informations disponibles nous aurait sans doute permis de sortir de la confrontation directe.

M. Denis Baupin. Je voudrais d’abord, au nom du groupe écologiste, saluer le travail de la CNDP. Nous nous félicitons que ce débat se soit tenu. J’ai regretté à de nombreuses reprises les incidents qui ont eu lieu ; vous avez vous-même rappelé le rôle que nos élus ont voulu tenir, quel que puisse être leur avis sur le projet, pour que le débat puisse se dérouler.

Je salue également la conférence de citoyens. J’en ai moi-même organisé une, en tant qu’adjoint au maire de Paris, sur les antennes relais ; une autre avait été organisée par l’OPECST sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Il est toujours intéressant de permettre à des citoyens qui ne maîtrisent pas ces questions complexes d’entendre différents points de vue et d’émettre des préconisations qui éclaireront utilement les décideurs. A la suite du débat public, l’ANDRA a fait connaître ce matin même ses propositions. De fait, elle reconnaît que son projet n’est pas mûr, puisqu’elle explique qu’il lui faudra encore cinq à dix ans de recherches pour pouvoir en présenter un. Au moins le débat public aura-t-il permis de le mettre en évidence.

Je rejoins notre collègue Luc Chatel pour dénoncer l’irresponsabilité de ceux qui ont lancé le programme nucléaire sans proposer la moindre solution pour les déchets radioactifs. Aujourd’hui, cette solution n’existe toujours pas. On nous propose de creuser un grand trou pour enfouir les déchets le plus loin possible ; mais nous ne connaissons pas le coût de ce projet. EDF et l’ANDRA ont parlé de 16 milliards d’euros, la Cour des comptes de 35 milliards. En tant que rapporteur de la commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, je peux dire que nous n’avons toujours pas de réponse sur le coût du stockage des déchets. Nous auditionnons l’ANDRA demain, mais je ne suis pas certain que nous en saurons plus sur le coût de Cigéo.

Les questions de sûreté sont pour le moins problématiques. L’ASN nous a dit clairement qu’aucun projet ne lui avait été soumis pour l’instant. Or il s’agit tout de même de créer – pour un siècle – deux installations nucléaires de base (INB), l’une à 1 500 mètres de profondeur et l’autre en surface, cela pour une très grande quantité de déchets radioactifs. Je rappelle que le hangar prévu en surface mesurera 300 mètres sur 300, et que sa hauteur devrait atteindre 30 mètres ! Des centaines de transports devront avoir lieu, dont les riverains ignorent encore s’ils se feront par la route ou par le rail.

Quant aux risques d’incendie, la CNE a reconnu devant l’OPECST qu’il serait préférable de ne pas mélanger certains types de déchets avec d’autres, car, en cas d’incendie, une fumée noire sortirait du site et pourrait faire peur aux riverains !

Enfin, on ignore quels déchets seront stockés. Si l’ASN souhaite un inventaire de ce qui sera enfoui, c’est bien parce qu’elle estime que tout n’est pas clair à cet égard. La réponse dépend évidemment des décisions qui doivent être prises dans le cadre de la transition énergétique, notamment sur la poursuite – ou non – du retraitement des déchets.

Au vu du débat public et de ce que vient de dire l’ANDRA, il est urgent de poursuivre les recherches, c’est-à-dire d’utiliser le laboratoire de Bure, sans renoncer aux autres pistes envisagées à l’origine – notamment, dans le cadre de la loi « Bataille » – pour traiter le problème des déchets radioactifs. Si l’enfouissement en grande profondeur n’est pas validé, il nous faut un « plan B ». D’autres hypothèses avaient été envisagées, notamment le stockage en subsurface. Tant qu’à prévoir une période pilote pour l’enfouissement, prévoyons-en aussi une pour le stockage en subsurface, afin d’être réellement éclairés au moment où nous aurons à prendre la décision.

M. Olivier Falorni. Monsieur le président, je vous dis : « Bravo ! ». Le moins que l’on puisse dire est que vous avez dû faire face à de nombreux obstacles pour organiser le débat public sur le projet Cigéo. Votre mission s’est révélée plus compliquée que prévue, mais vous êtes parvenu à l’achever en choisissant de réorienter le débat et de recourir à Internet.

On ne peut que regretter l’impossibilité d’organiser la discussion selon les modalités traditionnelles, car rien ne pourra remplacer l’échange physique ayant lieu dans une salle de réunion. Cela étant, votre expérience montre la puissance d’Internet en tant qu’outil complémentaire de débat, un outil désormais incontournable.

Il est vrai que le cas de Cigéo est très particulier : le sujet est extrêmement sensible et le coût du chantier, exceptionnel. Pour autant, il nous procure des pistes de réflexion intéressantes pour l’organisation des futurs débats publics.

Quels enseignements tirez-vous de l’utilisation d’Internet ? D’une manière générale, quelle place comptez-vous donner aux technologies numériques pour optimiser le débat public ? Quels sont les risques et les écueils qu’il faut éviter ?

S’agissant de Cigéo, les incertitudes qui demeurent sur le coût du projet – son évaluation implique de résoudre une équation comprenant de nombreuses inconnues – ainsi que sur son financement n’ont pas été de nature à faciliter le débat.

L’un des enjeux majeurs reste le financement par le contribuable et le consommateur. Les producteurs de déchets – aujourd’hui EDF, Areva et le CEA ; demain, probablement, d’autres géants de l’énergie – doivent provisionner dans leurs comptes les montants nécessaires en fonction d’une estimation qui sera effectuée par l’ANDRA avant l’été prochain. Et, bien entendu, ils ont intérêt à ce que le résultat soit le moins élevé possible : la question est d’ailleurs à l’origine de fortes tensions. À quelles difficultés avez-vous été exposé en raison de ce chiffrage incertain ? Disposez-vous d’éléments complémentaires à ce sujet ? Quelles garanties pouvons-nous avoir que les pressions exercées par les producteurs de déchets n’altéreront pas la sincérité du travail d’estimation effectué par l’ANDRA ?

M. Philippe Bies. Je suis élu dans une région, l’Alsace, qui, peut-être plus que d’autres, est concernée à court terme par la transition énergétique, en raison de la fermeture programmée – et d’ailleurs souhaitée par de nombreux Alsaciens, élus et citoyens – de la centrale nucléaire de Fessenheim.

En matière de nucléaire, le débat est souvent difficile, voire irrationnel. Votre témoignage montre qu’il est urgent de restaurer un climat de confiance entre les citoyens, les experts, les maîtres d’ouvrage et les pouvoirs publics, faute de quoi nous nous heurterons à des blocages.

Sans me prononcer sur l’opportunité du stockage géologique, il me semble qu’une certaine opacité est de tradition dans le secteur de l’industrie nucléaire, ce qui peut aussi expliquer les difficultés rencontrées pour débattre sereinement de ce sujet. Le projet Cigéo souffre en outre d’incertitudes spécifiques : garanties insuffisantes en matière de sûreté ; coût difficile à évaluer, variant selon les estimations entre 13,5 milliards et 36 milliards d’euros ; et surtout, nécessité de rendre l’installation adaptable aux différents scénarios que pourrait suivre la politique énergétique de la France, laquelle n’est aujourd’hui pas encore définie.

C’est pourquoi je vous poserai deux questions relativement simples. Tout d’abord, jugez-vous opportun de revoir le calendrier du projet ? Aujourd’hui, il est prévu une mise en service en 2025, pour des travaux débutant en 2019 après quatre années d’études : le lancement est donc presque imminent. Ensuite, êtes-vous prêt à relancer un nouveau débat à l’issue du vote de la loi sur la transition énergétique, afin que ses dispositions soient prises en compte dans le projet Cigéo ?

M. Yannick Favennec. Dans mon département de la Mayenne, le débat sur la ligne à très haute tension Cotentin-Maine a connu des difficultés identiques à celles qui ont marqué le débat Cigéo, notamment la perturbation de réunions par des minorités partisanes.

Vous nous avez présenté les vingt-et-un chantiers de la CNDP, ces propositions destinées à améliorer le bon déroulement des débats publics et à construire une véritable démocratie de proximité, offrant au plus grand nombre possible de citoyens la possibilité de s’informer et de s’exprimer. Nous ne pouvons que les approuver.

Dans ce domaine, Internet et les réseaux sociaux ont bouleversé les pratiques. Les Français n’hésitent pas à donner leur avis et, grâce à la diversification des moyens d’expression, les citoyens peuvent être associés en plus grand nombre aux décisions et participer au débat public dans de meilleures conditions. Mais concrètement, comment comptez-vous recourir à ces nouveaux moyens de communication ?

M. Guillaume Chevrollier. Le travail de la Commission nationale du débat public offre un bel exemple de démocratie participative. Mais celle-ci est un idéal dont le projet Cigéo a montré les limites. On a en effet assisté à la professionnalisation de certaines associations de protection de l’environnement, dont l’activisme a gagné en virulence au point de pouvoir être qualifié de radical, comme le montre le boycott des réunions organisées au sujet du stockage profond des déchets radioactifs.

D’une façon générale, le débat public est souvent phagocyté par des partisans de l’un ou l’autre camp. Comment, dès lors, considérer comme représentatives les opinions exprimées dans un tel cadre ? Pourquoi estimer qu’elles méritent d’être retenues ?

Une autre limite est l’effet de ces débats sur le processus de décision. Si certains peuvent exercer une influence sur la décision finale, d’autres ne relèvent que d’une simple consultation. Ils sont, certes, l’occasion pour les citoyens de s’informer et de s’exprimer, mais leur faible portée est aussi source de déception.

Le débat public est nécessaire, bien entendu, mais il faut mesurer et admettre ses limites. Il faut donc évaluer les pratiques et revoir la forme prise par les débats.

Il faut également en évaluer le coût. Les chantiers proposés pour améliorer le débat public ne vont pas dans le sens d’une réduction du nombre de réunions. Or chacun connaît la situation budgétaire dans laquelle se trouve notre pays.

Mme Catherine Quéré. Je m’interroge sur l’implication des citoyens dans le débat public. Il est important de connaître leur point de vue, mais comment les intéresser, les éveiller, les éduquer au débat ? Connaissent-ils la CNDP ?

En effet, une enquête publique, ce n’est pas un débat public. Ce dernier relève de la démocratie participative, laquelle nécessite un apprentissage et une organisation spécifiques.

S’agissant de Cigéo, vous avez parlé de « débats interactifs ». Dans ce cadre, les citoyens pouvaient regarder le débat, mais pouvaient-ils intervenir ?

Comment les dix-sept membres de la conférence de citoyens ont-ils été sélectionnés ? Vous avez souligné le caractère équilibré du document de synthèse qu’ils ont remis : la conférence était-elle composée à parts égales de gens favorables et de gens défavorables au projet ? Sur un sujet aussi grave, dix-sept personnes suffisent-elles à représenter l’ensemble des citoyens ?

Les conclusions d’un débat public peuvent-elles avoir pour effet de remettre en cause un projet ?

Enfin, pour que l’indépendance la CNDP soit totale – ce qui fera sa force –, l’organisation des débats ne doit pas être financée par les maîtres d’ouvrage, car ces derniers sont alors juge et partie.

M. Martial Saddier. Le débat public a mis en évidence le fait que le calendrier de déploiement du projet de Cigéo était « beaucoup trop tendu ». A-t-il permis de proposer des délais plus réalistes ?

M. Jean-Yves Caullet. La virulence des échanges sur le projet de centre de stockage n’est-elle pas à la mesure de la frustration causée par l’absence de tout débat, il y a quarante ans, lorsque l’on a opté pour le développement d’une filière industrielle nucléaire ? Comme le disait feu mon père : « Quand on est fou le matin, on s’en ressent le soir. ». (Sourires)

Les moyens modernes auxquels on peut recourir pour faire participer le public aux décisions me semblent pouvoir s’appliquer à l’élaboration de toute norme. Nous sommes certes des représentants du peuple, mais nous serions parfois bien inspirés de préparer nos travaux parlementaires en consultant largement nos concitoyens sur les options envisageables, quitte à réserver au Parlement la possibilité de trancher. Pensez-vous qu’à l’avenir, l’évolution des mentalités permettra de généraliser ce partage en amont de la connaissance et de l’appliquer à l’élaboration des normes réglementaires ou législatives – et non pas seulement à des projets ?

Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture et la forêt prévoit que les orientations nationales et régionales en matière de gestion forestière soient fixées après l’organisation d’un débat public. Comment peut-on gérer la montée en puissance de ce type de procédure ? En effet, non seulement le débat public devra être renouvelé tous les dix ans si la loi est adoptée, mais il devra être organisé aussi bien au niveau national que dans chacune des onze régions qui devraient subsister en France à l’issue de la réforme territoriale.

M. Michel Heinrich. On ne peut qu’adhérer à vos vint-et-une propositions, notamment en ce qui concerne l’indépendance, la neutralité et l’impartialité de la CNDP.

Vous avez noté que de grands dossiers n’avaient pas fait l’objet d’un débat public, en citant le schéma national des infrastructures de transport ou l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mais on peut aussi se demander si cette procédure ne devrait pas s’appliquer à des projets d’intérêt régional ou local. Je pense notamment à la construction de centres d’enfouissement des déchets : je suis surpris, en effet, par le manque d’objectivité des dossiers soumis par les maîtres d’ouvrage. Peut-on imaginer une déclinaison régionale de la Commission nationale du débat public ?

M. Christian Leyrit. On peut peut-être se poser la question de l’opportunité d’un débat public sur le projet de centre de stockage de déchets radioactifs, mais il faut rappeler que son organisation était prévue par la loi de 2006. D’habitude, la CNDP est saisie par le maître d’ouvrage du projet, mais, dans ce cas précis, la loi faisait du débat public une étape préalable au dépôt, par l’ANDRA, d’un dossier de demande d’autorisation.

Je souhaite insister sur un point fondamental : l’organisation d’un débat public sur un projet, au sens où l’entend la CNDP, implique en principe que la décision de lancement du projet ne soit pas encore prise. Toutes les options doivent demeurer ouvertes : réaliser le projet, ne pas le réaliser, choisir un projet alternatif. Or, dans le cas de Cigéo, le public avait, à tort ou à raison, le sentiment que la décision était déjà prise. Il avait le sentiment que les jeux étaient déjà faits, d’autant plus que le processus ayant conduit au choix du site de Bure, à la construction du laboratoire et au vote de la loi de 2006 s’est étalé sur une durée extrêmement longue, à partir du début des années 90.

Il en est de même pour les quatre projets de parcs éoliens en mer : avant même la conclusion des débats publics, l’État avait arrêté le choix des sites propices – Fécamp, Courseulles-sur-Mer, Saint-Nazaire et Saint-Brieuc –, lancé les appels d’offre et sélectionné des consortiums.

Si nous voulons redonner confiance aux citoyens, je recommande donc de n’organiser des débats publics que lorsque l’on a encore le choix de faire ou de ne pas faire.

J’ai passé plusieurs heures à discuter avec les opposants au débat public, car je voulais entendre ce qu’ils avaient à dire. Selon eux, l’impact sur l’opinion de leurs actions est plus fort que s’ils s’étaient contentés d’exposer leurs arguments. De fait, tant que la presse continuera, sur des sujets aussi importants, à donner plus de poids aux gens qui empêchent la tenue de réunions publiques qu’au contenu de ces dernières, le débat public restera difficile à organiser.

De tels actes sont pourtant passibles de sanctions pénales, mais la loi, dans cette situation, n’est pas facile à faire respecter. J’en avais d’ailleurs parlé à l’époque avec le directeur des libertés publiques du ministère de l’intérieur, avec le ministre lui-même et avec le préfet. Certains juristes estiment paradoxalement que les sanctions seraient plus efficaces si elles étaient de nature civile et non pénale. En tout état de cause, il s’agit d’une question grave, qui a d’ailleurs conduit quatre personnalités éminentes – dont deux anciens premiers ministres – à signer une tribune sur ce sujet dans Libération. Notre démocratie peut-elle accepter que quelques dizaines de personnes empêchent un débat de cette importance, dont les enjeux portent sur des centaines de milliers d’années ?

M. Bertrand Pancher a évoqué la possibilité d’organiser des réunions de type « Tupperware », au retentissement médiatique plus faible. Nous l’avions envisagé, mais les premières rencontres n’ont pas pu avoir lieu : même dans les plus petites communes, il s’est trouvé des gens pour les empêcher. De même, des réunions prévues dans des lycées ont été annulées au dernier moment, car le personnel enseignant les jugeait soudain inopportunes.

Je le répète, si les choses semblent décidées à l’avance, il ne faut pas organiser un débat public, au risque de dévaluer ce type de débat et de décrédibiliser la Commission nationale.

Hier, l’ANDRA a réuni son conseil d’administration afin de décider des suites qu’elle donne au projet de stockage géologique profond. Je me réjouis de voir que l’Agence a tenu largement compte de nos préconisations, qu’il s’agisse du nouveau jalonnement du projet, de l’association de la société civile à son élaboration ou de l’insertion d’une phase pilote entre le travail en laboratoire et la phase industrielle.

Plusieurs d’entre vous ont insisté sur l’incertitude pesant sur les coûts du projet. L’ANDRA s’est engagée à en proposer une estimation en 2014.

S’agissant des réseaux sociaux, nous souhaitons bien évidemment en développer fortement l’usage. Ils peuvent aussi permettre à des citoyens « leaders d’opinion » d’inciter d’autres citoyens à intervenir. Mais nous voulons également aller au-devant des gens, sur les marchés, dans les universités, les lycées, les gares.

La CNDP ouvre le 15 mai un nouveau site, qui servira de portail pour la Commission nationale et pour l’ensemble des commissions particulières. Cela favorisera l’interactivité. D’une manière générale, le débat sur Cigéo a donné lieu à des réunions de debriefing afin de tirer de cette expérience tous les enseignements possibles. Il reste sans doute nécessaire d’élaborer de nouvelles méthodes.

Pour autant, on ne peut pas dire que les réunions publiques sont complètement obsolètes. C’est tout de même un lieu de confrontation utile entre le public, le maître d’ouvrage, les associations et les pouvoirs publics. L’idée est plutôt de multiplier les formes différentes d’intervention du public.

Bien entendu, madame Catherine Quéré, l’interactivité a caractérisé les débats sur Cigéo.

S’agissant de la conférence de citoyens, l’objectif n’est évidemment pas d’en faire un organe de décision, car il ne serait pas légitime. Dans le cas du débat sur le projet Cigéo, les dix-sept membres de la conférence ont été choisis par des instituts de sondage en veillant à respecter un équilibre des points de vue à l’égard du nucléaire. Mais le document de dix pages qu’ils ont élaboré au bout de trois week-ends est beaucoup plus riche que le résultat de n’importe quel sondage.

L’intérêt de cet outil est d’apporter un autre éclairage sur de grands sujets de société. Des conférences du même type ont d’ailleurs été organisées au sujet de la fin de vie. L’objectif est d’aider les décideurs à trancher, mais pas d’octroyer une quelconque responsabilité aux citoyens concernés.

Monsieur Martiel Saddier, le calendrier du projet, sur lequel l’Autorité de sûreté nucléaire a exprimé à plusieurs reprises des réserves, fera l’objet d’un aménagement par l’ANDRA.

Aujourd’hui, la CNDP organise des débats publics sur des projets ponctuels. Si on lui demande d’intervenir sur la préparation de projets de loi, monsieur Caullet, elle ne devra pas nécessairement employer les mêmes méthodes.

M. Guillaume Chevrollier a souligné la nécessité de réduire les coûts. Mais le renforcement de l’indépendance de la CNDP va de pair avec cet objectif. Si la Commission passait elle-même les appels d’offre, je suis sûr qu’elle parviendrait à des économies d’au moins 15 %. Dans la situation actuelle, en effet, le responsable de l’organisation change en permanence – un jour RFF, le lendemain la Fédération de rugby, l’ANDRA ou Auchan –, ce qui implique la participation de nombreux consultants ou intermédiaires. L’adoption d’une vision unique en matière d’appels d’offre permettrait de réduire les coûts.

Cette réduction est une priorité, car le coût du débat public demeure trop élevé. Certes, il ne représente qu’un pourcentage infime du coût total du projet, mais là n’est pas la question. Le débat sur le projet Cigéo a dû coûter 1,2 million d’euros, celui sur les projets de ligne à grande vitesse, un million d’euros : cela représente tout de même beaucoup d’argent, surtout dans le contexte actuel. La réduction du nombre de réunions publiques, qui mobilisent beaucoup de moyens, permettrait également de faire des économies.

J’en viens à l’organisation de débats publics à l’échelon local. Nous sommes prêts à aider toutes les collectivités souhaitant se donner les moyens de mieux associer les citoyens à leur politique. Mais si elles sont maîtres d’ouvrage du projet concerné, ce souci relève de la concertation, non du débat public au sens où je l’entends. Il est important pour le citoyen de bien faire la distinction. La CNDP n’est en effet pas partie prenante des projets à propos desquels elle organise des débats publics, alors que les instances de dialogue créées par les régions, les départements ou les communautés d’agglomération restent sous l’autorité de l’exécutif.

Le Parlement lui-même, dans le cadre de la loi du 27 décembre 2012, a souhaité mettre à la disposition du public tous les projets de texte concernant l’environnement et confier, à titre expérimental, à la Commission nationale du débat public le soin de désigner des personnes qualifiées et de réaliser la synthèse des observations formulées. Cependant, le décret d’application n’a été signé que le 27 décembre 2013, alors qu’il devait paraître avant le 1er avril. L’expérimentation n’a donc commencé que le 1er janvier 2014. En outre, les textes soumis à la concertation sont tellement abscons – le mot n’est pas trop fort – que le nombre de contributions a varié entre zéro et cinq ! On peut d’ailleurs s’interroger sur l’opportunité de soumettre au public des dispositions d’une telle technicité.

Dans ces conditions, le bilan que nous allons rendre public le 1er octobre risque d’être succinct, à moins qu’un projet de loi sur la chasse soit proposé d’ici là…

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Ce n’est pas prévu… (Sourires)

M. Christian Leyrit. Je dis cela parce que le ministère chargé de l’écologie avait choisi trois thèmes susceptibles d’être retenus pour cette expérimentation : la chasse, la biodiversité et les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Cela signifie-t-il que le projet de loi sur la biodiversité, que nous allons examiner prochainement, sera soumis à l’avis du public ?

M. Christian Leyrit. Non.

Mme Catherine Quéré. Comment le public a-t-il été informé de l’organisation d’un débat public sur ces sujets ? Plus généralement, comment peut-on appeler l’attention du citoyen sur le travail effectué par la CNDP ?

M. Christian Leyrit. Dans ce cas particulier, notre rôle se borne à désigner des personnalités qualifiées et à faire la synthèse des contributions. Il appartient donc à l’administration centrale qui publie les textes concernés – en l’occurrence, le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie – d’assurer la publicité qu’il convient à ces consultations.

De fait, on peut s’étonner que le projet de loi sur la biodiversité n’entre pas dans le cadre de l’expérimentation. Dans certains pays, tous les textes font l’objet d’une telle consultation des citoyens. Aux États-Unis, ce serait le cas depuis 1945 ; en France, nous en sommes encore loin.

M. Serge Bardy. En tant que membre de la CNDP, je tiens à remercier M. Leyrit pour le travail effectué depuis sa nomination comme président. Depuis le début de mon mandat, je participe activement aux réunions de la Commission et je peux donc témoigner que la situation était totalement différente du temps de la précédente équipe. L’arrivée de M. Leyrit a vraiment changé la donne, comme le prouvent les « Vingt-et-un chantiers » – une initiative que j’apprécie particulièrement – ainsi que l’organisation d’un colloque international, qui donnera une plus grande visibilité à nos travaux.

Vous avez souligné à juste titre la nécessité de n’organiser un débat public que lorsque les choix restaient à faire. En effet, une des causes du désintérêt profond des parlementaires pour les travaux de la CNDP – avant moi, aucun député n’assistait aux réunions, et je n’y ai encore jamais vu de sénateur – tient au fait que la plupart des projets soumis au débat avaient déjà fait l’objet d’une décision. Je l’ai constaté à propos du grand stade de rugby comme du réseau ferré du Grand ouest.

Vous avez, par ailleurs, regretté le caractère impénétrable de certains textes de loi, mais sachez qu’il n’est pas non plus toujours facile, pour un parlementaire, de participer d’une façon active aux commissions de débat public, d’autant que l’on ne reçoit les dossiers que quelques jours à l’avance. À cet égard, je suis particulièrement intéressé par le projet, inclus dans les « Vingt-et-un chantiers », de mettre en place une formation des membres de la CNDP.

M. Laurent Furst. Régulièrement, en France, le débat sur l’opportunité de construire telle ou telle infrastructure donne une grande liberté à des opposants peu nombreux, mais qui savent se faire entendre, au point parfois d’obtenir le report du projet concerné.

Mais je souhaite aborder en particulier un sujet d’une dimension considérable, d’autant qu’il concerne toutes les générations : celui de l’évolution des collectivités locales. Dans ce domaine, la vision de l’UMP et du centre a été balayée lorsque la nouvelle majorité est arrivée aux affaires. Cette dernière a elle-même sa propre vision, qu’elle parviendra probablement à mettre en œuvre. Demain ou après-demain – cela dépend des électeurs –, le centre et la droite reviendront au pouvoir et, à leur tour, peut-être, balaieront les dispositions prises par leurs prédécesseurs. Sur ce sujet, en effet, nous n’avons pas le bon sens de vouloir rechercher un consensus. Les collectivités sont pourtant l’âme de la nation : tout le monde est attaché à sa commune, à sa région, parfois à son département.

Selon vous, un sujet aussi important que la réorganisation territoriale pourrait-il faire l’objet d’une concertation nationale de façon à ce que l’on puisse trouver, au-delà des clivages partisans et des différences de culture, une solution faisant consensus ?

M. Christian Leyrit. Sur de tels sujets, il est en effet souhaitable de parvenir à élaborer des propositions consensuelles. Car face à la prise de décision politique, l’état d’esprit des citoyens est devenu très problématique. Le débat Cigéo représente à cet égard un exemple caricatural, mais même des projets de plus faible ampleur sont touchés par le phénomène. Si nous voulons obtenir la confiance des citoyens, il faut, je le répète, leur garantir que toutes les options restent ouvertes lorsque commence le débat.

La CNDP a adopté une nouvelle identité visuelle ainsi qu’un slogan qui résume bien sa démarche : « Vous donner la parole et la faire entendre ». Les deux aspects sont en effet importants. Dans le cas de Cigéo, il paraissait difficile, par exemple, de ne pas tenir compte du bilan que j’ai rédigé à l’issue du débat public ni de ses conclusions.

Après la première opération de blocage du débat, nous avons consulté un échantillon représentatif des habitants de la Meuse et de la Haute-Marne. Entre 70 et 80 % des personnes interrogées jugeaient le débat public utile, mais 70 % d’entre elles estimaient qu’il n’aurait aucune influence sur la décision. L’enjeu est donc bien de faire en sorte que, lorsque les citoyens s’expriment sur un projet, la décision finale prenne en compte, au moins de manière pondérée, le point de vue majoritaire. Aujourd’hui, la perception des citoyens est que les grandes machines, une fois lancées – par exemple, la construction d’autoroutes ou de lignes à grande vitesse – sont difficiles à arrêter. C’est pourquoi le débat doit avoir lieu suffisamment en amont.

Sur les évolutions législatives que vous évoquez, il serait nécessaire que les personnes les plus engagées acceptent de travailler ensemble, au-delà des préférences partisanes. Le but, en effet, est de faire vivre la démocratie de manière plus sereine. Pour notre part, nous avons quelques pistes d’amélioration à proposer. J’en ai d’ailleurs parlé avec la nouvelle ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, qui s’intéresse beaucoup à ces questions.

La connaissance des expériences étrangères est, à cet égard, un atout. Ainsi, à Montréal – une ville presque aussi importante que Paris –, toutes les séances du conseil municipal sont précédées d’une heure consacrée aux questions posées par les citoyens. Cet exemple montre que des idées simples et facilement applicables à la situation française peuvent être trouvées ailleurs – même si notre culture n’est pas celle de l’Europe du Nord et des pays anglo-saxons, qui laisse plus de place au dialogue. Le colloque organisé en juin sera aussi l’occasion, pour les participants – responsables sociaux, leaders syndicaux ou associatifs, hommes politiques – de prendre conscience de la nécessité de construire un consensus sur un certain nombre de questions.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je rappelle à Laurent Furst que le débat sur la transition énergétique a constitué une initiative novatrice : c’est la première fois qu’un grand débat sur un tel sujet était organisé en France. À l’époque, j’avais d’ailleurs demandé que l’on désigne des garants, mais ma proposition n’avait pas été retenue. En tout état de cause, on pourrait en effet imaginer qu’un débat similaire soit organisé sur la question de l’organisation territoriale.

D’une manière générale, nous progressons en matière de débat public, comme le montre l’adoption de la loi relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement – même si l’expérimentation en cours ne donne pas, à vous entendre, des résultats satisfaisants.

Faut-il, dans le sens évoqué par notre collègue Jean-Yves Caullet, poursuivre la décentralisation en donnant aux régions la possibilité d’organiser de grands débats publics ou doit-on laisser à la CNDP une certaine prééminence ? La question reste posée.

Je vous remercie, monsieur Leyrit, d’avoir accepté notre invitation. J’espère que les parlementaires s’empareront de vos vingt-et-une propositions et prendront l’initiative d’en traduire la plus grande partie dans une proposition de loi.

M. Christian Leyrit. Pour ma part, j’appelle les parlementaires à participer en nombre au colloque international des 16 et 17 juin prochains.

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Informations relatives à la Commission

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire est saisie au fond de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d'art de rétablissement des voies. Le groupe GDR a demandé son inscription dans la journée réservée du jeudi 22 mai. J’ai reçu la candidature de M. Patrice Carvalho (groupe GDR).

La commission examinera cette proposition de loi mardi 13 mai à 17 heures.

Par ailleurs, le gouvernement a déposé le projet de loi autorisant la ratification de l'amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997 (n° 1880) qui a été renvoyé au fond à la commission des affaires étrangères. Je propose que notre commission se saisisse pour avis de ce texte. J’ai reçu la candidature de M. Arnaud Leroy (groupe SRC).

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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a nommé :

– M. Patrice Carvalho, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d'art de rétablissement des voies (n° 60) ;

– M. Arnaud Leroy, rapporteur pour avis sur le projet de loi autorisant la ratification de l'amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997 (n° 1880).

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 6 mai 2014 à 17 heures

Présents. - M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, M. Denis Baupin, Mme Catherine Beaubatie, M. Philippe Bies, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Laurent Furst, M. Alain Gest, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. Philippe Martin, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, Mme Suzanne Tallard, M. Patrick Vignal

Excusés. - Mme Chantal Berthelot, M. David Douillet, M. Christian Jacob, M. Napole Polutélé, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Gabriel Serville, M. Jean-Pierre Vigier