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Mercredi 19 novembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 15

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Réunion, ouverte à la presse, conjointe avec une délégation de la commission de l’environnement, de la protection de la nature, de la construction et de la sûreté nucléaire du Bundestag, conduite par sa présidente Mme Bärbel Höhn, afin d’évoquer les sujets liés à la lutte contre le changement climatique et à la transition énergétique

– Information relative à la Commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a reçu une délégation de la commission de l’environnement, de la protection de la nature, de la construction et de la sûreté nucléaire du Bundestag, conduite par sa présidente Mme Bärbel Höhn, afin d’évoquer les sujets liés à la lutte contre le changement climatique et à la transition énergétique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet, coprésident. Madame la présidente de la commission de l’environnement, de la protection de la nature, de la construction et de la sûreté nucléaire du Bundestag, nous accueillons aujourd’hui votre délégation pour évoquer les sujets liés à la lutte contre le changement climatique et à la transition énergétique. J’ai également le plaisir de saluer deux députées du groupe d’amitié Allemagne-France qui suivent le programme de séjour de contact : Mme Svenja Stadler, qui a été reçue par notre collègue Estelle Grelier, membre de la commission des affaires étrangères, et Mme Bettina Müller, reçue par M. Serge Bardy, membre de notre commission.

Hier, le Bureau de la commission a invité nos collègues du Bundestag à dîner, ce qui nous a permis de commencer à échanger sur les sujets d’actualité, liés notamment à la conférence Paris-Climat 2015 (COP21) – grand sommet sur le réchauffement climatique que la France accueillera au Bourget en décembre 2015.

Mme Bärbel Höhn, présidente de la commission de l’environnement, de la protection de la nature, de la construction et de la sûreté nucléaire du Bundestag, coprésidente. Monsieur le président, nous sommes enchantés d’être parmi vous aujourd’hui. Je vous remercie pour le dîner d’hier et me permets de vous remettre en cadeau un souvenir : une reproduction de la porte de Brandebourg, symbole de la chute du mur de Berlin dont nous avons récemment fêté le vingt-cinquième anniversaire.

L’Allemagne souhaite contribuer au succès du prochain sommet sur le climat. En effet, le cinquième rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) montre que la situation est catastrophique et qu’il nous faut fournir de gros efforts pour maintenir l’élévation de la température en deçà du seuil de 2 °C. Si l’on ne fait rien pour limiter nos émissions de CO2, le réchauffement se poursuivra et pourrait atteindre un point de basculement. Les modifications climatiques sont d’ores et déjà manifestes : la fonte des glaces du pôle Nord perturbe le courant-jet polaire, entraînant des hivers plus froids et des phénomènes naturels tels que l’ouragan Sandy qui a durement frappé New York. À l’avenir, le pôle Sud sera également touché et le niveau de la mer remontera de plusieurs mètres, menaçant d’inondation de nombreuses communes littorales. Nous connaissons dès à présent des conditions climatiques extrêmes, alors que nous ne les prévoyions que d’ici à dix ou quinze ans. En 2003, une canicule a provoqué des morts, notamment en France ; des inondations, des épisodes de sécheresse et de fortes tempêtes frappent la France et l’Allemagne. Les dommages infligés par le changement climatique ne cessent de s’aggraver, et les réparer coûte de plus en plus cher. Les enquêtes – notamment celle effectuée par Nicholas Stern à la demande du secrétaire général des Nations Unies – montrent que notre action peut nous permettre de limiter les dégâts.

Que peut-on faire au niveau national ? L’Allemagne souhaite, d’ici à 2020, réduire ses émissions de CO2 – actuellement plus fortes qu’en France – de 40 % par rapport à l’année de référence 1990. Les modalités d’exécution de ce projet – faut-il débrancher les centrales à charbon obsolètes ou privilégier d’autres moyens ? – font l’objet d’une discussion. En tout état de cause, nous souhaitons rendre cet objectif contraignant afin de nous assurer de sa réalisation, secteur par secteur. Là aussi, le débat porte sur les instruments : faut-il passer par la loi ou bien par un programme d’action pour la protection du climat ?

Il faut également réduire les émissions au niveau international, et la COP21 qui se déroulera l’année prochaine à Paris apparaît à cet égard extrêmement importante. L’Union européenne doit adopter une position plus vigoureuse et parler d’une seule voix. Les députés allemands souhaitent vous apporter leur soutien : nous avons l’intention d’entrer en contact avec nos collègues polonais afin de nous concerter sur une position commune.

Soulignons que, comme le montre le rapport du GIEC, le financement de la protection du climat est à notre portée. En effet, lutter contre le changement climatique coûte beaucoup moins cher que remédier à ses dégâts. La protection du climat constitue également un secteur économique créateur d’emplois. Ainsi, la loi sur les énergies renouvelables a permis à l’Allemagne de créer près de 4 000 emplois, contribuant à dynamiser l’économie. La création de valeur est particulièrement patente pour l’agriculture, puisque cette loi permet à nos exploitants agricoles de bénéficier de recettes supplémentaires qui viennent s’ajouter à celles qu’ils tirent de leur activité traditionnelle. La protection du climat recèle donc un potentiel de croissance et fait sens non seulement du point de vue écologique, mais également économique. Malgré les nuances dans les positions d’un groupe parlementaire du Bundestag à l’autre, nous sommes d’accord sur les objectifs à atteindre et prenons tous l’enjeu au sérieux. C’est le principal message que nous voulons faire passer.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Quelles que soient les différences de position entre les groupes parlementaires du Bundestag, ils soutiennent tous la déclaration commune que je vous proposerai de bien vouloir adopter à la fin de notre réunion, avant de la présenter à la presse.

Mme Françoise Dubois. Le groupe SRC souhaite la bienvenue à la délégation du Bundestag.

L’Allemagne et la France font partie des moteurs de la transition énergétique européenne. Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte – sur lequel notre commission a travaillé conjointement avec la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale – répond à une double ambition de notre pays : construire un nouvel équilibre énergétique fondé sur la complémentarité des énergies et œuvrer pour l’excellence environnementale. Ce texte relève de nombreux défis : la rénovation énergétique des bâtiments, le développement des énergies renouvelables, l’exemplarité des pouvoirs publics, des transports plus propres, le nucléaire plafonné, la lutte contre le gaspillage, la solidarité vis-à-vis des foyers les plus vulnérables, la réduction des déchets à la source et le développement de l’économie circulaire.

L’enjeu majeur est de concilier les objectifs de la transition énergétique avec celui de la sécurité de l’approvisionnement énergétique. Actuellement, l’Europe dépend de pays tiers pour 53 % de l’énergie qu’elle consomme. Au-delà des objectifs en matière d’énergies renouvelables et des règles communes aux vingt-huit, la France et l’Allemagne doivent pousser à l’adoption d’une politique européenne ambitieuse qui ferait de l’Union une économie à faible consommation d’énergie, à l’approvisionnement sûr et respectueuse de l’environnement. Leurs statuts d’exemple confèrent à nos deux pays une responsabilité particulière : les efforts qu’ils consentent doivent amener les autres États européens à contribuer à la mesure de leurs possibilités à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Je salue l’adoption par le Conseil européen du second paquet énergie-climat pour 2030. Les États les plus émetteurs doivent faire des efforts supplémentaires et éviter de repousser les décisions à prendre. Si rien n’est fait, si les gouvernements préfèrent l’isolement à la coopération, il faudra demain affronter des menaces considérables au plan international en matière de sécurité alimentaire et énergétique, d’accès aux ressources, d’approvisionnement en eau potable et de déplacement de populations. Notre pays a un rôle particulier à jouer pour qu’un accord mondial contraignant permettant de contenir le changement climatique soit conclu à Paris l’an prochain ; mais seuls le respect et la confiance entre les États, le partage équitable des efforts et le dépassement des intérêts propres au profit de l’intérêt général permettront d’atteindre cet objectif.

M. Andreas Jung, membre du groupe parlementaire CDU/CSU du Bundestag. C’est pour nous un honneur d’assister à cette séance commune à l’Assemblée nationale, haut lieu de démocratie vivante et d’histoire. L’année prochaine, en accueillant la COP21, Paris sera une fois de plus le théâtre d’un événement historique ; espérons qu’il deviendra synonyme de succès dans le combat contre le changement climatique. Pour atteindre cet objectif, les États qui s’y rassembleront devront considérer la protection du climat non seulement comme un devoir, mais aussi comme une affaire de cœur ; or quel meilleur endroit pour cela que Paris ?

L’Europe porte une responsabilité particulière dans le succès de cette conférence ; or elle n’est forte que si le moteur franco-allemand – en l’occurrence, un moteur écologique ! – fonctionne. Nous ferons tout notre possible pour soutenir la France et faire de la COP21 un succès tant au niveau gouvernemental qu’au niveau parlementaire. L’Allemagne souhaite réduire ses émissions de CO2 de 40 % d’ici à 2020 par rapport à 1990 ; des discussions sur les mesures supplémentaires à prendre dans le secteur de l’énergie ou du transport sont en cours à Berlin en ce moment même. L’objectif que nous poursuivons se présente comme une révolution d’efficacité : or, pour la révolution aussi, quel meilleur lieu que Paris ?

M. Martial Saddier. Madame la présidente, au nom du groupe UMP, je vous remercie d’honorer le Parlement français de votre venue.

La construction européenne se trouve au cœur de la République française et le couple franco-allemand en est le moteur. La lutte contre le réchauffement climatique est un devoir pour nos deux nations, pour l’Europe tout entière et pour l’ensemble du monde – en particulier pour les peuples qui souffrent déjà et qui souffriront encore plus des conséquences du réchauffement climatique. Nos deux nations étant confrontées à des défis similaires, cet échange devrait nous permettre de comprendre comment vous abordez les questions telles que la sortie du nucléaire et les incidences de cette décision sur les émissions de gaz à effet de serre et sur la qualité de l’air – notamment sur le taux de particules fines – et comment vous voyez la capacité de nos deux pays à inventer, à imaginer et à développer, en capacité et en quantité, de nouvelles solutions énergétiques. Nous pensons comme vous que la volonté ne suffit pas et qu’il faut maintenant écrire une nouvelle page de la politique européenne pour que l’ensemble des pays membres se mobilisent face à ces défis.

Madame la présidente, comment, à un moment où les arbitrages budgétaires sont particulièrement difficiles, êtes-vous parvenus à dégager des moyens pour financer la lutte contre le réchauffement climatique ? Quelles sont vos sources de financement ? Avez-vous de nouvelles pistes à nous suggérer ?

L’Allemagne est bien plus décentralisée que la France ; est-ce le niveau national ou local qui prend en charge la lutte contre le réchauffement climatique ? Avez-vous, dans votre pays, engagé sur cet enjeu une communication à l’intention du grand public plus importante qu’en France ? En effet, à l’heure où l’on se demande si l’objectif espéré d’un réchauffement de 2 °C n’est pas d’ores et déjà hors de notre portée, nous nous interrogeons sur l’intérêt d’expliquer plus clairement – et peut-être à l’aide d’images plus fortes – les incidences possibles du changement climatique.

M. Matthias Miersch, membre du groupe parlementaire SPD du Bundestag. Pour le SPD, la question centrale est celle de la justice : qui pourra puiser, à l’avenir, dans les ressources accessibles et à quel prix ? Ce problème, qui se posera tant au niveau national qu’au niveau international, sera chaque jour plus pressant : les énergies que notre gestion nous amène à utiliser actuellement étant amenées à s’épuiser, il nous faut investir dans les énergies renouvelables, par définition inépuisables. Plusieurs voies peuvent nous y amener ; l’amitié franco-allemande peut créer une dynamique en Europe qui se propagerait ensuite au reste du monde. Je reviens de Pékin avec l’assurance que, pour la première fois, le gouvernement chinois est prêt à discuter d’objectifs concrets, y compris lors de la COP21 à Paris ; reste à savoir si nous, pays économiquement les plus favorisés, sommes prêts à jouer le rôle de pionniers.

Cette conférence nous permettra de débattre des mécanismes à instaurer. En Allemagne, nous agissons à plusieurs niveaux : nous menons des campagnes d’information sur le terrain, finançons des consultants pour expliquer les programmes gouvernementaux, accordons des incitations aux particuliers. Ainsi, la loi sur les énergies renouvelables permet à ceux qui investissent dans les nouvelles technologies de production – y compris aux particuliers – d’obtenir un soutien financier. Ces différents mécanismes sont encore en chantier. Le nucléaire et le charbon n’ont jamais été bon marché, mais le pilotage gouvernemental a réussi à en réguler l’utilisation ; il faut faire de même pour les énergies renouvelables tout en évitant de creuser les déficits publics. Le système européen d’échange de quotas d’émission ne marche pas et le prix de l’électricité est trop bas. La coopération franco-allemande devra donner un nouvel élan à la discussion sur les manières de réduire notre consommation d’énergies fossiles.

M. François-Michel Lambert. Chers collègues européens, nous assistons à un événement historique : en cette année où nous commémorons le centenaire du début de la Première Guerre mondiale, quelques jours après la date symbolique du 11 novembre, voici des députés allemands et français réunis dans une même salle dans une volonté de délivrer un message commun à l’Europe et au monde. En vue de la COP21 qui se déroulera à Paris, nous devons travailler ensemble sur l’enjeu du réchauffement climatique. La culture européenne est inscrite dans les gènes de notre courant politique qui se situe depuis longtemps dans la perspective d’un parti européen et le groupe écologiste salue les réalisations impulsées en Allemagne, il y a plus de dix ans, par la coalition SPD-Les Verts. Reprises par les différents partis au pouvoir, jusqu’à la coalition actuelle, elles ont permis d’engager la transition énergétique pour sortir du risque nucléaire – en cette matière, l’Allemagne nous montre la voie à suivre – et repenser les fondements de notre développement.

Pourtant, la transition énergétique allemande, actuellement en cours, fait l’objet de critiques. Le recours au charbon, générateur de gaz à effet de serre, pose problème par rapport aux enjeux du réchauffement climatique ; les engagements excessifs en matière de méthaniseurs ont créé des cultures dédiées, détournant la production agricole normalement destinée à l’alimentation vers une utilisation en tant que source d’énergie. Alors que nous débattons en France de la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte, un échange constructif devrait nous permettre de tirer les meilleurs enseignements de vos avancées et nous éviter les ornières que vous avez pu rencontrer.

Comment pensez-vous élargir la dynamique franco-allemande à nos autres partenaires européens ?

Mme Annalena Baerbock, membre du groupe parlementaire Alliance 90/Les Verts du Bundestag. Dès le début de nos échanges hier, nous avons constaté que nous partagions les mêmes objectifs. En Allemagne, si les groupes parlementaires ou les Länder peuvent diverger sur tel ou tel point, tous s’accordent à reconnaître l’importance des mesures pour la protection du climat, qui doivent être expliquées et débattues. La question essentielle reste de savoir comment réduire la part des énergies fossiles – ou, pour la France, celle du nucléaire – dans le bouquet énergétique. Comment financer cette évolution ? Quel en est l’impact en termes d’emplois dans les régions ? L’échange franco-allemand sur ces questions serait mutuellement profitable et nous permettrait de nous soutenir dans nos efforts.

On reproche à l’Allemagne, peut-être à juste titre, d’avoir réalisé une transition énergétique à l’échelle essentiellement nationale, alors qu’il aurait fallu ouvrir davantage le débat sur l’Europe. Parvenir à construire l’union énergétique, sur le modèle de la Communauté européenne du charbon et de l’acier d’antan, pourrait faciliter la lutte commune contre le changement climatique. La COP21 devrait reprendre les objectifs essentiels en cette matière – notamment, celui du maintien de l’élévation de la température en deçà du seuil de 2° C – et tenter de répondre à une série de questions : quelles sont les implications du développement des énergies renouvelables et du renoncement progressif aux énergies fossiles ? Pouvons-nous financer cette reconversion ? Comme M. Ban Ki-moon, les Verts estiment que, compte tenu de la crise mondiale, il faudrait rediriger les flux financiers vers l’investissement dans les solutions énergétiques durables. Actuellement, à l’échelle de la planète, pour chaque dollar investi dans les énergies renouvelables, six le sont dans les énergies fossiles ; il faudrait essayer de modifier ce rapport.

M. Bertrand Pancher. Le groupe UDI salue à son tour la délégation du Bundestag.

La transition énergétique allemande repose sur quatre piliers : le développement intensif des énergies renouvelables – éolien et solaire –, le renforcement de l’efficacité énergétique, la large adhésion du public allemand à l’ensemble de ces stratégies – sans doute une différence entre nos deux pays ! – et l’implication des Länder en tant qu’investisseurs et porteurs de projets. Cependant, les critiques font rage. L’essor fulgurant des énergies renouvelables a affecté les grands producteurs d’électricité, dont la perte de chiffre d’affaires atteint des milliards d’euros. Faisant cavalier seul sur un sujet qui demande plus que jamais une grande cohésion européenne, l’Allemagne semble mettre ses voisins en difficulté. La part du solaire et de l’éolien dans la production électrique allemande, et les aides financières attribuées pour le développement d’énergies renouvelables, perturbent l’offre et la demande sur le marché européen. Enfin, les entreprises allemandes émettent plus de dioxyde de carbone qu’auparavant, à cause de la baisse du prix du charbon et du fonctionnement du marché européen des quotas.

Après la catastrophe de Fukushima, l’Allemagne fut le seul État européen à se lancer dans un changement radical de son dispositif énergétique, visant à mettre fin à la production électrique d’origine nucléaire à l’horizon 2022. Ce changement ne s’avère-t-il pas trop brutal ? Quels en sont les retours ? Fait-il l’objet d’un consensus en Allemagne ?

Le coût des infrastructures de transport d’électricité semble exorbitant. Pensez-vous que l’Allemagne pourra poursuivre le développement des énergies renouvelables tout en réalisant cet énorme investissement ?

Mme Anja Weisgerber, membre du groupe parlementaire CDU/CSU du Bundestag. Nos échanges apparaissent d’autant plus importants que l’Allemagne et la France portent une lourde responsabilité en matière de protection du climat et de politique environnementale européenne. Le Conseil européen a permis de réaliser des avancées substantielles : malgré la dureté des négociations, due à la diversité des positions au sein de l’Union européenne – certains pays, tels que la Pologne, se fixent des objectifs bien plus modestes que la France et l’Allemagne –, les vingt-huit États membres sont parvenus à se mettre d’accord sur les objectifs relatifs à la politique du climat. Cette réussite permet à l’Union européenne d’être la première à apporter une contribution concrète – et la plus ambitieuse à l’échelle mondiale – au débat, en amont des négociations internationales. D’autres États participent à la lutte contre le changement climatique ; les nouvelles des États-Unis et de la Chine semblent, à cet égard, encourageantes.

Quelle position la France défend-elle à propos du système d’échange de quotas d’émission, un des instruments clés de la politique européenne relative au climat ? Êtes-vous favorables à une réforme autre qu’une réserve de stabilité du marché ? Cette dernière devrait-elle être établie avant 2021 ? L’Allemagne se prononce pour un établissement dès 2017, afin de stabiliser les prix ; la France peut-elle nous soutenir à Bruxelles ?

Quelle est la contribution de la France au Green Climate Fund ? Celle de l’Allemagne s’élève à 750 millions d’euros.

L’année prochaine, la France accueillera la COP21, une conférence cruciale dont nous souhaitons tous le succès. Durant cette phase préparatoire, quelle sera votre tactique ? Avec quels États amorcez-vous des négociations ?

M. Jacques Krabal. Le groupe RRDP remercie nos collègues allemands d’être venus débattre avec nous de la préservation de la planète. La salle apparaît particulièrement bien adaptée à l’emploi, Lamartine ayant été fortement influencé par l’Allemagne. Je me réjouis également de notre volonté partagée de faire de la COP21 une réussite.

Après avoir voté la loi sur la transition énergétique, nous devons essayer de tirer profit de l’expérience allemande. Le tournant énergétique que votre pays a engagé depuis 2000 poursuivait un double objectif : la baisse des émissions de gaz à effet de serre et l’abandon du nucléaire – décision qui a provoqué le débat chez nous, dans le cadre de l’examen de la loi sur la transition énergétique. Comment se passe la sortie du nucléaire, censée être achevée en 2022 ? Comment avez-vous réussi ce qui paraît impossible en France ? Où en est le démantèlement des centrales ? Enfin, le site actuel de stockage des déchets radioactifs doit faire l’objet d’aménagements et il vous faut trouver un lieu de stockage définitif avant 2031 : où en est ce projet ?

Nous ne pouvons que vous suivre dans votre volonté d’impulser une politique européenne dans ce domaine. Pourtant l’industrie allemande, pilier de votre économie, apparaît comme le premier acteur, mais aussi – semblerait-il – le premier opposant à la transition, quand celle-ci met en péril ses intérêts et l’emploi. Comment conjuguer, à l’échelon de nos deux pays, notre politique énergétique et la préservation des intérêts économiques ?

Enfin, comment avez-vous réussi à travailler tous ensemble, de manière transpartisane ? C’est ce qui nous manque le plus pour réussir les grandes réformes dans lesquelles nous sommes engagés. Jean de La Fontaine disait : « Toute puissance est faible, à moins que d’être unie. » ; c’est un bel exemple que vous nous donnez.

M. Klaus Mindrup, membre du groupe parlementaire SPD du Bundestag. Notre commission est compétente non seulement en matière de climat et d’environnement, mais également de construction – enjeu important en Allemagne. Avec la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), regroupement de banques qui propose aux particuliers des crédits bon marché à des conditions préférentielles, nous souhaitons assainir le parc immobilier. Nous voulons également créer des avantages fiscaux pour les particuliers qui rénovent leurs biens, afin d’éviter que les propriétaires ne répercutent les coûts sur les locataires.

L’acceptation de la transition énergétique par la population allemande varie d’une commune à l’autre. Beaucoup d’entre elles souhaitent passer à 100 % aux énergies renouvelables, surtout dans les régions rurales où celles-ci peuvent devenir une source de revenus pour les habitants, très demandeurs de modèles de participation citoyenne. Dans les grandes villes, en revanche, la transition énergétique apparaît plus délicate à mener. Le problème doit y être abordé par secteurs : au lieu de rénover un bâtiment, puis un autre, il faut aménager des quartiers entiers, en organisant la cogénération et en installant des panneaux photovoltaïques. Aujourd’hui, le coût de l’énergie solaire ne représente plus que 20 % de ce qu’il était il y a dix ans ; les nouvelles possibilités de stockage de la chaleur et de l’électricité apportent également des réponses innovantes et modernes pour abaisser les coûts. La rénovation des quartiers doit combiner ces différentes technologies, mais elle passe aussi par de nouvelles solutions de transport et la création d’espaces verts.

Pour améliorer notre efficacité énergétique, nous avons besoin, au sein de l’Union européenne, d’un nouveau paquet conjoncturel dont les dispositions ne doivent pas nécessairement se limiter à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et au système des quotas. Mais, plus que tout, il faut arriver à faire comprendre aux citoyens que la transition énergétique améliore leur qualité de vie et, d’un point de vue économique, crée de la valeur.

Mme la présidente Bärbel Höhn. Au début, la transition énergétique nous a coûté très cher, notamment à cause du coût du photovoltaïque. Pour un même type d’installation, celui-ci est passé de soixante-cinq à douze ou treize centimes le kilowattheure, soit une réduction de 80 %. Si les nouvelles installations sont bien moins coûteuses, les investisseurs continuent durant vingt ans à être rémunérés pour les anciennes au prix de l’époque ; au total, ce type d’énergie reste cher. À cet égard, vous avez un avantage sur nous, puisque vous pouvez investir directement dans les nouvelles installations bon marché ; en payant le développement industriel, nous avons essuyé les plâtres pour tout le monde.

Par ailleurs, le prix de l’électricité à la bourse a baissé, passant de huit centimes le kilowattheure en 2008 à quatre centimes. Or, si un kilowattheure éolien coûte quatre ou cinq centimes, un kilowattheure photovoltaïque en coûte neuf. Les énergies renouvelables ne sont donc pas encore très rentables, mais nous reviennent néanmoins moitié moins cher que le plan de construction de nouvelles centrales nucléaires en Grande-Bretagne. En somme, la situation a considérablement évolué ces dernières années.

La transition énergétique a-t-elle été trop rapide ? Certes, à la suite de l’accident de Fukushima, nous avons tout de suite arrêté huit centrales, mais la coalition rouge-verte avait de toute façon prévu une sortie du nucléaire au plus tard en 2020. Nous avons réussi à remplacer les deux tiers des capacités de ces centrales par des énergies renouvelables. C’est l’augmentation des prix à la bourse de l’électricité en 2008 qui a conduit nombre d’acteurs à investir dans le charbon et le lignite. En conséquence, nous nous retrouvons aujourd’hui avec des capacités excédentaires qui induisent une baisse des prix à la bourse et nous amènent à exporter trente-sept térawattheures par an, soit la production de huit à dix grandes centrales à charbon. Il faut essayer de réduire ces excédents.

Les centrales à charbon font également l’objet de divergences politiques : si nous souhaitons les abandonner – à commencer par les plus anciennes d’entre elles –, d’autres partis attirent l’attention sur le coût d’une telle décision en termes d’emplois dans les régions concernées.

Les agriculteurs apparaissent comme les grands gagnants de la transition énergétique. Certes, le recours à la biomasse peut être critiqué – il entraîne l’apparition de monocultures et la pollution aux nitrates –, mais les exploitants agricoles sont rémunérés pour les éoliennes installées dans leurs champs et les installations photovoltaïques sur les toits de leurs granges. Aujourd’hui, les agriculteurs qui produisent de l’énergie bénéficient de revenus plus stables que s’ils se contentaient d’une production à usage alimentaire. C’est dans les zones rurales qu’est aujourd’hui créée la valeur. En ce qui me concerne, je souhaite développer les énergies renouvelables dans la Ruhr – dominée par les entreprises RWE et E.ON – afin d’ouvrir des perspectives pour la population.

L’aménagement d’un site de stockage de déchets nucléaires représente un défi majeur ; c’est pourquoi nous avons mis en place un groupe de travail transpartisan, ce qui permettra de réfléchir à la meilleure solution possible pour l’Allemagne.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La nécessité de fixer un prix du carbone semble aujourd’hui acquise. Récemment, des demandes concernant un prix plancher mondial ont été formulées à New York. Quant au système européen d’échange de quotas d’émission, ce marché ne fonctionne plus, voire dysfonctionne, le prix de la tonne de carbone avoisinant aujourd’hui 4 ou 5 euros. Des propositions ont été faites à propos de la réserve de stabilité – la procédure de backloading –, mais, à titre personnel, je pense qu’il faut plutôt s’orienter vers un système similaire au serpent monétaire européen (SME) en fixant un plancher et un plafond entre lesquels le prix du carbone pourrait évoluer.

Le Président de la République a indiqué que la France participerait au financement du Fonds vert pour le climat à hauteur de 1 milliard de dollars ; dans la loi de finances rectificative pour 2014, cette somme fait l’objet d’une garantie par l’État, avec l’intervention de l’Agence française de développement (AFD). Les États-Unis semblent s’engager pour 2,5 milliards, puis pour 4 milliards de dollars. Il s’agit d’avancées particulièrement importantes ; l’objectif des 10 milliards de dollars n’a pas encore été atteint, mais nous espérons qu’il le sera pour la COP21. Un message fort serait alors adressé en direction des pays les plus pauvres et en voie de développement.

M. Philippe Plisson. Le maintien des centrales à charbon s’explique par des raisons strictement économiques. Pourtant, si l’on veut rester dans la logique de défense de la planète, ne serait-il pas nécessaire de privilégier l’écologie plutôt que l’économie ?

Le prix du kilowattheure payé par les consommateurs allemands a été augmenté de 20 % entre 2007 et 2011 pour atteindre 26 euros, contre 14 en France. Ce choix est-il économique ou stratégique, le prix pouvant inciter à l’économie d’énergie ?

Enfin, les discours officiels – et le vôtre, madame la présidente, n’y a pas échappé – font de la relance de la croissance une priorité ; or la croissance productiviste telle qu’on la concevait dans les années 1970 s’inscrit dans le triptyque « produire, consommer, jeter ». Cette logique ne s’oppose-t-elle pas aux objectifs d’économie et de sobriété qu’exige l’état de la planète ?

M. Yannick Favennec. Selon le calcul réalisé par un think tank indépendant et une ONG de défense de l’environnement, publié dans un rapport rendu le mardi 11 novembre dernier, les pays du G20 allouent en moyenne 70 milliards d’euros par an (soit 88 milliards de dollars) à l’exploration des énergies fossiles. La France a, selon ce rapport, versé des subventions « limitées ». Pourtant, ces énergies – le pétrole, le gaz et le charbon – sont jugées en partie responsables du réchauffement de notre planète, et les subventions qui leur sont accordées inversent la logique de lutte contre le changement climatique. À la veille du G20, six économistes internationaux ont appelé les dirigeants à supprimer les aides publiques à la recherche et à l’exploration de nouveaux gisements d’énergies fossiles et à taxer le carbone. Ils considèrent en effet que la plus grande partie des investissements actuellement destinés à l’exploration des combustibles fossiles serait alors réorientée ; combinées à des mesures plus vastes, ces sommes contribueraient à créer les conditions pour une transition vers une énergie faible en carbone. De plus en plus d’experts estiment que l’instauration de régimes efficaces de tarification du carbone constitue la condition essentielle du succès d’un plan de protection du climat. Le GIEC juge pour sa part que, sans l’établissement rapide d’une tarification mondiale du carbone, il sera impossible de contenir le réchauffement planétaire dans la limite des 2 °C. Les objectifs de réduction des émissions, si ambitieux soient-ils, resteront inefficaces s’ils ne sont pas assortis d’instruments pour les atteindre : c’est bien là tout l’enjeu de la vingt et unième conférence « Climat » qui se tiendra à Paris en 2015. Je serai heureux d’entendre le point de vue de nos collègues allemands sur ce sujet.

M. Charles-Ange Ginesy. Madame la présidente, la présence de la délégation allemande nous permet de nous instruire de vos succès.

Étant donné l’importance de la sortie du nucléaire – transition que vous semblez capables d’accompagner d’une relance de l’économie créatrice d’emplois –, avez-vous prévu un dispositif de recherche et de développement qui vous permettrait d’innover en matière d’énergies renouvelables d’avenir ?

Quelle est votre position sur le gaz de schiste ? Êtes-vous confrontés à cette question ?

Si nous nous fixons pour objectif de ne pas laisser le réchauffement climatique dépasser les 2 °C, le GIEC va jusqu’à envisager une augmentation de la température de 4,5 °C pour 2100 – pronostic qui signe, pour l’heure, l’échec de notre politique. Partagez-vous son inquiétude ?

M. Serge Bardy. C’est avec plaisir que nous accueillons nos collègues allemands ; j’ai déjà eu l’occasion d’aborder certains sujets avec Mme Bettina Müller, que j’ai reçue en ma qualité de vice-président du groupe d’amitié France-Allemagne. Sans économie circulaire ou quasi circulaire – dont l’application au papier recyclé me tient particulièrement à cœur –, il semble difficile de réduire notre empreinte sur l’environnement.

Le rapport interne interministériel qui m’a été confié au premier semestre 2014 soulève plusieurs questions, notamment relatives aux difficultés d’approvisionnement en énergie. Quelle politique mène-t-on en Allemagne dans ce domaine vis-à-vis des industries électro-intensives ? Selon les données dont je dispose, le coût de l’énergie serait pour elles moins élevé qu’en France – ce qui serait la cause d’un différentiel de compétitivité entre nos deux pays.

Par ailleurs, le critère environnemental est-il pris en compte en Allemagne lors de la passation de marchés publics dans le cadre d’appels d’offres ? Si oui, selon quelles modalités et avec quelle reconnaissance ?

M. Jacques Kossowski. Dans le cadre de la coopération énergétique institutionnalisée entre nos deux pays, la France et l’Allemagne se sont engagées après le cinquantenaire du traité de l’Élysée à développer conjointement des réseaux intelligents ainsi que le stockage – élément indispensable au développement d’énergies intermittentes. Comment voyez-vous cette future coopération qui apparaît nécessaire au succès de la transition énergétique ? Nos deux pays étant les premiers producteurs et consommateurs d’énergie en Europe, devons-nous avancer sur ces questions de manière bilatérale pour donner ensuite une impulsion à une politique européenne de l’énergie ou faut-il œuvrer dès à présent à une collaboration élargie à de nombreux autres pays européens ?

M. Andreas Jung. Malgré les nuances d’un parti à l’autre, voire au sein des partis, l’Allemagne est globalement très réservée face à la fracturation hydraulique. En effet, ces technologies laissent des substances chimiques dangereuses s’infiltrer dans les sols ; or, en matière de protection des réserves d’eau potable, les préoccupations sanitaires doivent rester prioritaires. Le gouvernement est actuellement en train de mettre la touche finale à un ensemble de textes réglementaires qui interdiront la fracturation non conventionnelle avec des substances toxiques. Nous considérons qu’il faut proscrire la possibilité d’y recourir, sans pour autant arrêter la recherche dans ce domaine.

M. Matthias Miersch. La nature des questions témoigne de la complexité des sujets. Les réseaux intelligents (smart grids) représentent un point essentiel de la transition énergétique et je souhaite l’intensification de la coopération franco-allemande dans ce domaine. S’il faut bien entendu rallier à notre cause tous les pays qui le souhaitent, nous pouvons d’ores et déjà commencer à agir. Notre coopération peut être étendue à l’éolien et à la transformation d’énergie en gaz – domaines dans lesquels nous disposons déjà de plusieurs projets pilotes. Pour financer le développement des réseaux, nous recourons à un système de taxes similaire à la contribution au service public de l’électricité (CSPE) française. En effet, nous avons fermé beaucoup de centrales dans certaines régions du Sud, alors que c’est essentiellement au Nord que l’on produit l’énergie éolienne ; le transport de cette dernière du Nord vers le Sud représente l’un des gros problèmes qui se posent à notre pays.

Mme Annalena Baerbock. Je souhaite revenir sur la question des coûts de l’électricité. En Allemagne, le consommateur final (ménages) paie un prix de 26 centimes par kilowattheure, la différence par rapport au prix de la bourse de l’électricité, qui s’établit à 6 centimes et qui continue à baisser, s’expliquant par le montant des taxes. Nous estimons en effet – il s’agit là d’un choix politique – que le prix final de l’électricité ne doit pas être subventionné.

Le coût global des énergies fossiles, qui comprend celui du stockage et de la régénération des sites d’extraction, ne peut pas être couvert par le prix de l’électricité facturé au consommateur. Nous voulons assurer une transparence sur le véritable coût des énergies renouvelables et fossiles. Ces dernières étant financées par le budget fédéral, certains peuvent avoir l’impression qu’elles ne sont pas chères, mais il faut lutter contre cette illusion.

Quant aux centrales à charbon qui augmentent les émissions de CO2, leur maintien s’accorde mal avec la logique de la transition énergétique. Notre priorité est la sortie du nucléaire, mais dans une deuxième phase il faudra en effet réduire la part du charbon, de façon à diminuer les émissions. C’est un énorme défi à relever.

Il sera sans doute difficile de s’entendre avec tous les pays de l’Union européenne quant à la fixation d’un prix minimum du carbone – notamment adopté au Royaume-Uni. Menez-vous des discussions sur cette question ? Pensez-vous qu’elle puisse faire l’objet d’une coopération renforcée en Europe ?

Mme la présidente Bärbel Höhn. Actuellement, le bouquet énergétique allemand comprend 16 % de nucléaire, 28 % d’énergies renouvelables, 25 % de lignite, 18 % de charbon et de houille et 8 à 9 % de gaz, ce dernier étant peu à peu évincé, car il n’est plus compétitif par rapport au prix de l’électricité.

Si le particulier allemand doit payer l’électricité 26 centimes le kilowattheure, c’est pour permettre aux grosses entreprises électro-intensives de s’acquitter d’un prix réduit. L’allègement dont elles bénéficient en matière de taxe destinée à financer les énergies renouvelables apparaît cependant trop important. Il faudrait diminuer cette contribution, mais cette idée fait l’objet d’un grand débat politique en Allemagne.

Mme Martine Lignières-Cassou. Je tiens à saluer notre collègue Annalena Baerbock, que j’ai rencontrée à Shanghai il y a quelques mois.

Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a récemment annoncé un plan de relance européen de 300 milliards d’euros. Nos deux parlements ne devraient-ils pas profiter de l’occasion pour faire des propositions communes à la Commission sur la question de la transition énergétique ?

M. François-Michel Lambert. Comment mieux intégrer dans le processus de décision politique les externalités positives et négatives des différentes options ? Ainsi, il est difficile de chiffrer le coût de l’atteinte à la biodiversité, des émissions de gaz à effet de serre, mais également de la proximité, des liens sociaux, de l’ancrage des productions dans les territoires ou de leur appropriation par les citoyens. Comment l’Allemagne aborde-t-elle cette question ?

Comment votre pays souhaite-t-il réaliser la transition du modèle de développement actuel, gaspilleur de ressources, vers une économie circulaire, soucieuse de la préservation des matières premières, qui serait bénéfique non seulement par rapport au climat, mais également à bien d’autres enjeux environnementaux, sociaux et économiques ?

M. Michel Heinrich. Si nous effectuons tous le même constat et nous fixons les mêmes objectifs, nos choix diffèrent sensiblement. Désirant sortir rapidement du nucléaire, vous avez beaucoup investi dans les énergies renouvelables, devenant un pays à la fois exportateur et importateur d’énergie. Pourtant, en définitive, les considérations économiques vous ont amenés à faire le choix pragmatique de recourir massivement au lignite et au charbon. Vous indiquez vouloir en réduire la part, mais comment y parvenir à temps pour atteindre les objectifs que vous vous êtes donnés ?

M. Philippe Noguès. Je profite de la présence de nos collègues allemands pour aborder une question qui, sans concerner les solutions concrètes pour la transition énergétique, m’apparaît particulièrement importante pour pouvoir en atteindre les objectifs. Dès 2002, l’Allemagne a fait le choix de réduire fortement la part du nucléaire dans son bouquet énergétique – choix réaffirmé en 2011 lorsque vous avez mis à l’arrêt huit réacteurs et programmé la fermeture progressive de vos centrales nucléaires d’ici à 2022. Ce choix politique avait alors recueilli un large consensus dans votre pays. Cette décision est pourtant contestée par l’entreprise suédoise Vattenfall qui exploite deux de vos anciennes centrales et qui a déposé plainte auprès du Centre international de règlement des différends relatifs à l’investissement (CIRDI), tribunal arbitral dépendant de la Banque mondiale. Vattenfall réclame 3,7 milliards d’euros à l’État fédéral sur la base d’un accord de protection des investissements, conformément aux dispositions prévues par le traité sur la Charte de l’énergie. Cette entreprise avait d’ailleurs déjà poursuivi l’État allemand auprès du CIRDI et avait réussi à réduire les normes environnementales d’une centrale à charbon afin de rentabiliser les investissements. Est-il juste que les intérêts d’une société privée puissent s’opposer ainsi aux principes démocratiques ? À travers cet exemple, c’est la souveraineté même des États qui est remise en cause. Si nous voulons relever le défi climatique, n’est-il pas indispensable que les États conservent les pleins pouvoirs afin de légiférer contre des activités énergétiques qu’ils jugent polluantes ou potentiellement dangereuses ?

M. David Douillet. Au sein de l’Europe, la France et l’Allemagne sont alliées pour le meilleur et pour le pire. Comment nos deux pays peuvent-ils agir ensemble pour que l’Europe devienne la locomotive des négociations internationales sur le climat ? Quelle stratégie peuvent-ils mettre en œuvre pour que le G7 fasse de la protection du climat une de ses priorités ?

M. Jean-Louis Bricout. La présence de nos collègues allemands s’inscrit dans le cadre du dialogue qui a toujours existé entre nos deux pays.

La consigne, dont le principe permet à une bouteille collectée, lavée et remplie de nouveau de servir plusieurs fois, représente un sujet qui peut certes paraître marginal, mais qui a son importance pour le traitement des déchets et l’émergence d’une véritable économie circulaire dans une approche du développement durable. Généralisé dans toute l’Europe jusque dans les années 1960, ce système, qui subsiste en Allemagne, n’a pas résisté chez nous à l’automatisation de la production industrielle et à l’apparition du jetable. Le principe de la responsabilité élargie du producteur qui a émergé en France au début des années 1990 lui a porté le coup de grâce. La pratique revient malgré tout à la mode en Alsace, à la frontière allemande, où beaucoup tentent à nouveau l’expérience ; mais il faut désormais tout reprendre à zéro. Pouvez-vous citer des éléments statistiques relatifs aux avantages de la consigne en Allemagne ? Avez-vous mis en place des outils législatifs pour la consolider et la conforter ? En un mot, comment pouvez-vous nous inspirer sur ce sujet ?

Mme Sophie Rohfritsch. Dans un premier temps, la transition énergétique a coûté très cher aux citoyens allemands, même si les entreprises ont été davantage épargnées, mais la hausse des tarifs a fait l’objet d’une forte acceptation dans la mesure où chacun pouvait devenir producteur d’électricité. Les productions locales ont été encouragées, avec l’apparition de nombreuses coopératives. Cette dynamique se heurte pourtant au problème du transport de cette énergie produite localement dans tous les points du territoire allemand. En l’absence d’un réseau similaire à ERDF, la question de la diffusion reste à ce jour sans réponse. Comment comptez-vous traiter ce problème ? Le coût des investissements devant à son tour se répercuter sur les tarifs, ne s’agit-il pas d’un puits sans fond ?

M. Andreas Jung. Si l’augmentation des émissions de CO2 liée à l’utilisation du lignite constitue un véritable problème, ce n’est pas la sortie du nucléaire qui est responsable du recours accru à cette matière première. Au contraire, la diminution de la part de l’énergie nucléaire est compensée par le développement plus rapide que prévu des énergies renouvelables dont la part dans notre mix énergétique excède pour la première fois celle du lignite. L’essor de cette ressource et le ralentissement parallèle de la production de nos centrales à gaz, pourtant très performantes, sont dus au contexte européen et à la baisse du prix de l’électricité jusqu’à 4 ou 5 centimes. Notre souhait est de développer les énergies renouvelables et d’utiliser nos centrales à gaz, meilleures pour l’environnement que les centrales à lignite – mais pour le réaliser, nous avons besoin d’un signal « prix » clair dans le cadre du système européen d’échange de quotas d’émission. L’Union européenne ne pourra sans doute pas s’engager sur ce terrain avant 2017 ; entre-temps, il faut prendre des mesures transitoires et réfléchir à une organisation du marché de l’électricité susceptible d’inverser la tendance et de nous permettre de réduire progressivement la part du charbon dans notre mix énergétique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Si nous voulons réduire la production de l’électricité à partir du charbon et du lignite, il faut donner au carbone un prix plancher suffisamment élevé.

M. Klaus Mindrup. La France et l’Allemagne peuvent aujourd’hui contribuer à faire avancer la réforme du prix de l’électricité à l’échelle européenne. Il faut freiner la chute des prix et renforcer la coopération sur les grands réseaux.

Un mot sur le cas Vattenfall. Alors que le Parlement allemand débat en ce moment de la clause de protection de l’investissement qui figure dans l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, les grands groupes engagent des procédures devant des tribunaux d’arbitrage, d’une manière pas toujours transparente. Tolérerons-nous encore longtemps ces pratiques ? Cela dit, Vattenfall a peu de chance de gagner : en effet, la sortie du nucléaire n’a pas été décidée en 2011, mais bien plus tôt, sous la coalition rouge-verte ; l’entreprise a donc eu toute latitude pour prendre les bonnes décisions et, si elle ne l’a pas fait, elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même.

L’adaptation des réseaux électriques, tant des réseaux locaux de distribution que des grands réseaux de transport nécessaires pour acheminer l’électricité éolienne vers le sud de l’Allemagne, sera financée par le biais de la fameuse taxe EEG-Umlage destinée au soutien des énergies renouvelables. Jusqu’ici, ce coût était supporté par le budget général de l’État, mais il faut décider si, désormais, on en transfère le poids sur les particuliers à travers la facture d’électricité – question importante pour notre système fiscal. Quoi qu’il en soit, ayant toujours réussi à bien piloter les anciens modes de production d’énergie, nous devrions également arriver à gérer les nouvelles.

Mme la présidente Bärbel Höhn. Dans le cadre de la COP21, la France et l’Allemagne souhaitent jouer le rôle de moteurs. Nos deux pays devraient proposer d’orienter les investissements annoncés par Jean-Claude Juncker vers les énergies renouvelables, afin de créer des emplois tout en luttant contre le changement climatique. Il faut également débattre du prix minimum du CO2 dont le niveau trop bas empêche actuellement le système européen d’échange de quotas d’émission de fonctionner. Seul un prix plancher suffisamment élevé permettra de réduire le recours au lignite. Enfin, le développement des énergies renouvelables devrait assurer notre indépendance par rapport aux importations d’énergies primaires fossiles. En produisant de l’électricité à partir de l’éolien et du solaire, nous ne perdrons plus des milliards d’euros en Russie ou en Arabie saoudite, mais créerons de la valeur et des emplois dans nos pays. Nous devrions avancer ensemble sur cette voie.

Je remercie chaleureusement le président Jean-Paul Chanteguet pour son extrême patience et espère vous accueillir prochainement en Allemagne pour poursuivre ce débat.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je me réjouis du climat d’amitié qui règne entre nous.

S’agissant du prix du carbone, les responsables politiques français se battent depuis des années pour instaurer une « taxe carbone » ou une « contribution climat-énergie ». En 2009, le Conseil constitutionnel a annulé la mise en place de la taxe carbone, pourtant votée par l’Assemblée nationale. L’année dernière, dans le cadre de la loi de finances, nous avons introduit une base carbone dans la fiscalité relative aux énergies fossiles. Le prix de la tonne de carbone retenu pour 2014 était de 7 euros ; cette année, ce prix a doublé, et il devrait atteindre 21 euros en 2016. Cette évolution montre notre volonté d’adresser un signal « prix » fort aux acteurs économiques – industriels et consommateurs.

Dans le cadre de la préparation du sommet de 2015, nous avons créé un comité de pilotage regroupant des parlementaires de la commission des affaires européennes, de la commission des affaires étrangères et de la commission du développement durable. Ce comité prendra des initiatives dans le domaine de la diplomatie parlementaire en entrant en contact notamment avec l’Afrique du Sud, la Chine, l’Inde et peut-être également les États-Unis. Nous souhaitons également porter un message auprès du G77 qui regroupe les 133 pays les plus pauvres de la planète.

Enfin, en amont de la COP21, nous soutenons le grand débat citoyen planétaire sur l’énergie et le climat organisé par une fondation danoise et des ONG telles que la fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, avec le concours du Gouvernement français et de la Commission nationale du débat public. Cet événement se tiendra au mois de juin 2015, le même jour, dans cent pays du monde, et nous permettra demain de porter auprès des acteurs impliqués dans la lutte contre le réchauffement climatique – chefs d’État et de gouvernement, mais aussi entreprises et territoires – le message des citoyens. Nous sommes actuellement à la recherche de moyens financiers pour ce projet ; des contacts ont été notamment pris avec les responsables du Bundestag. Je me permettrai, madame la présidente, de vous remettre ce dossier.

Mesdames et messieurs les parlementaires, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Vous avez pu noter le climat de sérénité et d’amitié qui régnait entre nos deux commissions. Le couple franco-allemand est le moteur de l’Europe et il doit le rester, en particulier dans le domaine de l’environnement, de la lutte contre le réchauffement climatique et de l’énergie. Arriver demain à porter la création d’une Europe de l’énergie nous permettrait de franchir une étape formidable. En effet, malgré l’action forte de l’Union européenne en matière environnementale, des divergences fondamentales persistent entre pays membres, et il nous faudra arriver, demain, à uniformiser et à réguler les pratiques.

J’espère avoir prochainement l’occasion de conduire une délégation du Parlement français à Berlin pour continuer à évoquer ces sujets d’actualité. Au nom de tous mes collègues, je me permets de vous remettre, madame la présidente, la médaille de l’Assemblée nationale.

Je propose enfin que nous adoptions la déclaration commune.

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, et la délégation de la commission de l’environnement, de la protection de la nature, de la construction et de la sûreté nucléaire du Bundestag adoptent à l’unanimité la déclaration commune.

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Information relative à la Commission

La commission a nommé Mme Sabine Buis, rapporteur pour avis sur la proposition de loi constitutionnelle de MM. Éric Woerth et Damien Abad et plusieurs de leurs collègues visant à instaurer un principe d'innovation responsable (n° 2293).

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Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 19 novembre 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Robert Olive, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. Thierry Solère, Mme Suzanne Tallard, M. Thomas Thévenoud

Excusés. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Yves Albarello, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, Mme Geneviève Gaillard, M. Christian Jacob, M. Philippe Martin, M. Rémi Pauvros, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Gabriel Serville, M. Jean-Pierre Vigier

Assistait également à la réunion. - M. Philippe Noguès