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Mardi 25 novembre 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur les poissons migrateurs, avec la participation de M. Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de l’action territoriale de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema), M. Éric Rochard, directeur de l’unité de recherche EABX de l’Institut national de recherches en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA), Mme Aurore Baisez, directrice de l’association pour la gestion et la restauration des poissons migrateurs du bassin de la Loire (LOGRAMI), M. Patrick Martin, directeur du Conservatoire national du saumon sauvage, et M. Jean-Paul Doron, vice-président de la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection du milieu aquatique

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur les poissons migrateurs, avec la participation de M. Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de l’action territoriale de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema), M. Éric Rochard, directeur de l’unité de recherche EABX de l’Institut national de recherches en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA), Mme Aurore Baisez, directrice de l’association pour la gestion et la restauration des poissons migrateurs du bassin de la Loire (LOGRAMI), M. Patrick Martin, directeur du Conservatoire national du saumon sauvage, et M. Jean-Paul Doron, vice-président de la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection du milieu aquatique.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Madame, messieurs, nous allons commencer cette table ronde en vous demandant de bien vouloir nous excuser pour ce retard. Nos collègues nous rejoindront dans quelques minutes, car ils sont retenus, dans l’hémicycle, par un vote sur la nouvelle carte des régions.

Certains de nos collègues, en particulier Jean-Pierre Vigier, député de la Haute-Loire, ont appelé l’attention de la Commission sur les espèces migratrices de poissons dans les fleuves métropolitains et sur les questions relatives à la continuité écologique et à l’évolution de la biodiversité dans certains bassins.

Nous avons pris, dans un premier temps, la décision d’organiser cette table ronde. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de l’action territoriale de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA), M. Éric Rochard, directeur de l’unité de recherche(s) de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA), Mme Aurore Baisez, directrice de l’association pour la gestion et la restauration des poissons migrateurs du bassin de la Loire (LOGRAMI), M. Patrick Martin, directeur du Conservatoire national du saumon sauvage, et M. Jean-Paul Doron, vice-président de la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection du milieu aquatique.

En raison de l’examen, par notre commission, d’une proposition de loi présentée par M. Éric Woerth, nous devrons libérer cette salle vers dix-huit heures trente.

Je vais maintenant passer la parole aux différents intervenants, que je remercie d’avoir répondu favorablement à notre invitation.

M. Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de l’action territoriale de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA). Je vous remercie d’avoir invité l’ONEMA à participer à cette table ronde sur les poissons migrateurs et vous prie de bien vouloir excuser Mme Elisabeth Dupont-Kerlan, directrice générale, retenue au Salon des maires.

L’ONEMA se mobilise fortement pour les poissons migrateurs, depuis le niveau européen jusqu’au niveau local, que ce soit en matière de recherche, d’expertise, de connaissance ou d’appui à l’action territoriale. Ces poissons sont un symbole de la bonne qualité des eaux et de la biodiversité. Les saumons, truites de mer, aloses, lamproies, anguilles et esturgeons étaient autrefois abondants et représentaient une richesse économique et touristique importante.

Malheureusement, on assiste à un déclin progressif important. Un des deux documents que je vous ai transmis montre la baisse des arrivées de civelles depuis les années 1960 à 1980, puis, sa chute depuis lors, ce qui a conduit l’Europe à prendre un règlement pour la gestion de cette espèce. L’amélioration relevée ces deux dernières années doit être fortement relativisée par rapport au niveau des années 1960 et 1980.

Le deuxième document porte sur le saumon. Des cartes le montrent comme étant abondant au XVIIIe siècle dans le Massif central, dans les gaves pyrénéens, en Bretagne et en Normandie. Malheureusement, l’espèce a subi un fort déclin : en 1994, seuls l’axe Loire-Allier, l’Adour, la Nive et quelques fleuves bretons et bas-normands étaient encore parcourus par le saumon.

Pour assurer cette préservation, des mesures de gestion ont été prises au niveau international et communautaire. L’État français s’est engagé en adoptant de nombreuses conventions relatives à la protection de la faune – s’agissant notamment du commerce international des espèces – et à la protection du milieu marin. Il existe aussi les directives européennes : directive-cadre sur l’eau, directive « Habitats, Faune, Flore », règlement européen de 2007 sur l’anguille.

Il y a également des recommandations, au plan international, de l’Organisation pour la conservation du saumon de l’Atlantique Nord (OCSAN). Nous avons eu le plaisir d’accueillir à Saint-Malo, en juin dernier, l’assemblée générale de cette organisation. Des plans de gestion sont mis en œuvre pour les dix principaux poissons migrateurs : anguille, saumon, esturgeon. Depuis 2010, une stratégie nationale de gestion pour les poissons migrateurs assure la cohérence des politiques en ce domaine.

Au niveau local, la gestion des grands bassins fluviaux est décentralisée et assurée par des comités de gestion des poissons migrateurs, en cohérence avec les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), en cours d’élaboration par les comités de bassin pour les années 2016 à 2021. Ils seront prochainement mis à la disposition du public et des assemblées qui pourront les consulter pendant six mois, à compter du 19 décembre prochain.

Sont également concernés les départements d’outre-mer où la quasi-totalité des espèces aquatiques vivent alternativement en eau de mer et en eau douce. Le manque de connaissances y est encore plus criant qu’en métropole.

Concernant les mesures réglementaires, les classements pour la protection et la restauration des cours d’eau viennent d’être révisés en 2012-2013, suite à la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006. Certains existaient depuis les années 1900, mais n’avaient pas donné leur plein effet. Un encadrement réglementaire de la pêche a également été mis en place dès 1994, suite à la loi pêche, pour garantir une gestion raisonnée des stocks et limiter la surpêche, de façon à harmoniser la partie salée des estuaires en matière de pêche maritime et la partie pêche en eau douce.

S’agissant du suivi et de l’évaluation des poissons migrateurs, il y a les déclarations de captures de pêche et des suivis des populations, mais je n’entrerai pas dans le détail, car LOGRAMI notamment y reviendra.

Le financement de ces opérations est aujourd’hui une question cruciale. Dès 1993, Mme Ségolène Royal avait engagé, dans le cadre des contrats de projets État-régions, un programme « Contrat Retour aux Sources » pour fédérer les efforts des régions, des fonds européens et des agences de l’eau, afin de financer les actions indispensables de connaissance et de restauration des milieux. Des résultats significatifs ont été obtenus sur les rivières courtes, comme en Bretagne ou en Basse-Normandie, mais ils sont plus mitigés sur les axes de grande longueur. Il reste beaucoup à faire pour restaurer les habitats, limiter les retards de franchissement de chaque obstacle, améliorer la qualité de l’eau et les connaissances scientifiques.

L’objectif commun est d’atteindre les populations de poissons migrateurs à un niveau suffisant pour qu’elles puissent se reproduire naturellement. Pour ce faire, le nerf de la guerre, c’est le financement. Les régions sont désormais gestionnaires des fonds européens, qui ont un rôle important à jouer, notamment ceux dédiés à la biodiversité. Nous avons grand besoin de ces fonds européens. Les préfets de région ou, pour ce qui concerne les grands fleuves, les préfets de bassin, viennent de recevoir des mandats de négociation avec les régions, en lien avec les agences de l’eau. Les élus régionaux vont donc avoir un rôle crucial à jouer pour ce qui est d’assurer le financement des programmes d’actions en faveur des poissons migrateurs.

M. Éric Rochard, directeur de l’unité de recherche de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA). Dans mon unité, une équipe de recherche travaille spécifiquement sur les poissons migrateurs. Il y a quelques années, j’ai initié, à l’échelle européenne, un réseau de laboratoires de recherche travaillant sur les poissons migrateurs.

On dénombre vingt-huit espèces de poissons migrateurs à l’échelle européenne, et onze en France, de deux types : huit du type saumon, qui se reproduisent en rivière et vont grandir en mer avant de revenir, et trois du type anguille, qui naissent en mer et reviennent en rivière pour grandir. La spécificité des poissons migrateurs tient à ce passage nécessaire entre l’eau douce et l’eau de mer. Si l’on place un obstacle infranchissable entre les deux, tout s’arrête.

À l’échelle géographique, la situation est difficile à appréhender en termes de gestion, car il faut prendre en compte tout un bassin versant et une zone maritime plus ou moins vaste. Au niveau du bassin versant, cela implique qu’il y ait, entre l’amont et l’aval, dialogue et coordination en matière de gestion.

Si nous nous préoccupons de ces espèces, c’est qu’elles ont un intérêt économique pour la pêche commerciale et pour la pêche de loisir, et un intérêt symbolique pour des régions, des pratiques, des coutumes ou de la gastronomie. En outre, elles contribuent au fonctionnement de l’écosystème : c’est le seul flux de matière qui vienne de la mer pour aller vers les eaux douces, tous les autres flux allant dans le sens inverse. Les écosystèmes ne seraient pas les mêmes s’il n’y avait pas les poissons migrateurs.

S’agissant des priorités de la recherche associées à la conservation et à la restauration de ces espèces, des questions se posent, anciennes pour certaines, plus récentes pour d’autres.

La première, que l’on se pose depuis longtemps, porte sur la fragmentation, les obstacles qui empêchent les individus de passer et peuvent poser des problèmes de fonctionnement des populations, voir l’arrêter. Dans le cas d’un barrage infranchissable, les individus devant se reproduire en amont ne peuvent plus le faire et tout s’arrête. Nous avons beaucoup travaillé, en termes de génie écologique, sur l’installation de passes à poissons de plus en plus efficaces. Nous en voyons aussi les limites : lorsque plusieurs obstacles se succèdent, même avec le plus grand savoir-faire, les résultats restent médiocres. La meilleure solution consiste à enlever l’obstacle, mais ce n’est pas toujours faisable.

Autre vieille question, celle de la surexploitation. Nous pêchons trop de poissons, si bien qu’il n’en reste pas assez pour maintenir le système. C’est le cas, notamment, pour la civelle d’anguille. Les autres espèces sont touchées par les captures accidentelles ou accessoires. Pour les aloses, par exemple, que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord, les captures accidentelles liées aux pêcheries sont très importantes. Nous les avons mal prises en compte dans le fonctionnement des populations, alors qu’elles peuvent induire des effets importants.

Parmi les questions plus récentes, se pose celle de la contamination des milieux et, au-delà, de ses effets sur les espèces. Ils sont particulièrement visibles au stade des embryons. Jusqu’à présent, on avait mesuré le degré de contamination des individus. Aujourd’hui, on observe les effets de cette contamination, qui se traduisent par de la mortalité, des déformations ou des malformations. Nous ne parviendrons pas à résoudre le problème à court terme, car nous ne pouvons pas améliorer, d’un coup, l’état des sédiments ou la qualité de l’eau, mais il faut le prendre en compte.

La dernière question récente est celle du changement climatique. En ce qui concerne l’effet de la température, nous nous sommes demandés, en tenant compte de divers scénarios, jusqu’à quel point les différentes espèces étaient aptes à se maintenir dans un bassin versant donné. Nous commençons à avoir des réponses. Chaque espèce va s’adapter localement jusqu’à un certain point ; ensuite, l’espèce devra se repositionner, c’est-à-dire qu’elle fasse glisser son aire de répartition, en gros, plus au nord. À l’échelle de l’espèce, ce n’est pas forcément un problème. À l’échelle des acteurs du territoire, en revanche, cela peut en être un, parce qu’il ne sera peut-être pas toujours possible de restaurer les conditions de vie qui prévalaient au début du XXe siècle.

Nous nous interrogeons donc sur la façon d’accompagner ce changement, pour permettre aux espèces de se repositionner et maintenir une biodiversité à large échelle, avec des mesures dites « sans regrets », autrement dit qui, quel que soit le système, seront bénéfiques.

En matière de recherche, enfin, nous sommes relativement coordonnés au niveau national. Nous avons un groupement d’intérêt scientifique (GIS), le GRISAM, groupe d’intérêt scientifique pour les amphihalins, qui regroupe l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’IRSTEA, l’ONEMA, le Museum d’histoire naturelle et l’Institut de recherche pour le développement (IRD), dans le but de réaliser des expertises scientifiques collectives.

Enfin, dans les appels d’offres actuels pour la recherche, notamment de l’Agence nationale de la recherche (ANR), nous n’avons pas de clé d’entrée spécifique pour les poissons migrateurs. Ce qui fait que les équipes vont chercher des financements pour la recherche sur des clés d’entrée qui ne sont pas directement en appui à la gestion ou à la conservation des espèces migratrices.

Mme Aurore Baisez, directrice de l’association pour la gestion et la restauration des poissons migrateurs du bassin de la Loire (LOGRAMI). Il y existe sept autres associations comme la nôtre en France, chacune basée géographiquement sur un grand bassin versant.

S’agissant de la Loire, le but du travail de notre association est d’accompagner les décisions en connaissance de cause, avec des recueils de données sur l’ensemble des poissons migrateurs, pour cibler les priorités de gestion et de restauration, connaître les enjeux, les territoires sur lesquels il faut agir et sur lesquels nous avons le plus de chance d’obtenir les gains attendus de restauration des espèces.

Sur notre bassin versant, nous avons quelques exemples. En ce qui concerne le saumon, à la fin du XIXe siècle, il ne restait plus que l’axe Loire-Allier. Aujourd’hui, le saumon est revenu un peu partout : dans l’Alagnon, la Sioule, la Dore, la Gartempe, aux portes de la Vienne, aux portes de la Creuse.

Cette reconquête des territoires passe aujourd’hui, pour la communauté des poissons migrateurs, par la possibilité de franchir les ouvrages. Il faut également que le cumul de ces ouvrages ne soit pas trop important afin que les poissons puissent accéder à leurs zones de reproduction, qui sont, pour ces espèces se reproduisant en rivière, situées globalement en amont de chacun des axes.

Notre travail consiste à recueillir des données sur les phases de vie qui peuvent éventuellement poser problème, pour pouvoir y répondre par des actes de gestion. Les données sont directement accessibles sur un site web dédié, et donc, à la portée de tous. Nous essayons de participer à tous les groupes de travail, que ce soit au sein des SAGE ou des comités plus restreints ciblés sur les poissons, et d’apporter cette connaissance pour que les décisions soient prises en ayant le maximum d’éléments à disposition.

M. Patrick Martin, directeur du Conservatoire national du saumon sauvage. Vous me donnez aujourd’hui l’opportunité de pouvoir m’exprimer sur les poissons migrateurs, et en particulier sur le saumon.

Les populations d’espèces migratrices subissent, depuis de nombreuses décennies, un déclin constant, lié en grande partie à la dégradation de leur habitat. De nombreux programmes de sauvegarde ont été mis en œuvre. Dans le cas du saumon, un premier plan a été élaboré en 1976, suivi en moyenne tous les cinq ans par différents plans qui ont ensuite été élargis à l’ensemble des migrateurs.

Ces plans ont été évalués, d’abord en 1987, puis, à la demande de la ministre de l’environnement Mme Ségolène Royal, en 1992, avec le rapport parlementaire du député Louis Eyraud, qui a conduit à la construction du Conservatoire national du saumon, et plus récemment, en 2006, avec le rapport de l’Inspection générale de l’environnement, confié à Pierre Balland, ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts, et André Manfrédi, inspecteur général de la santé publique vétérinaire.

Quarante ans plus tard, la situation des migrateurs reste, pour un grand nombre d’espèces, des plus préoccupantes et, comme l’a dit M. Rochard, les problèmes liés à l’aspect migrateur de ces poissons sont extrêmement complexes.

Bien entendu, la survie en mer reste une préoccupation et nécessite encore des actions à l’échelle internationale, comme celles menées par le North Atlantic salmon fund (NASF) et l’Organisation de conservation du saumon de l'Atlantique Nord (OCSAN). Mais si l’évolution de l’environnement marin reste incertaine du fait du changement climatique, il est d’autant plus vital de poursuivre les efforts dans les secteurs sur lesquels nous pouvons avoir une emprise directe, et notamment sur la qualité de l’habitat en eau douce.

Pour ce faire, il existe des stratégies nationales : un plan français de mise en œuvre des recommandations de l’OCSAN dans le cas du saumon, la stratégie nationale de gestion des poissons migrateurs et les plans de gestion des poissons migrateurs (PlaGePoMi), qui sont déclinés en orientations, mais très rarement traduits par des mesures concrètes. Car tous ces programmes ne peuvent être mis en œuvre que par la volonté de maîtres d’ouvrage et par des financements appropriés.

Voilà la question majeure : qui souhaite réellement voir se maintenir les poissons migrateurs ? Quelle valeur attache-t-on à ces poissons ? Quelle valeur souhaite-t-on leur attacher dans le futur ? Une valeur patrimoniale et culturelle, certes, mais aussi et surtout économique : la reconquête des habitats des poissons migrateurs est une opération longue et coûteuse. Pour information, une opération locale, le simple aménagement par Électricité de France d’un petit barrage de dix-sept mètres de haut coûtera à l’entreprise quelque 20 millions d’euros.

Comme l’a précisé le rapport Balland et Manfrédi, je regrette qu’il soit quasiment impossible, aujourd’hui, de chiffrer le coût de ces opérations « migrateurs » - chiffrage que la mission n’a pas été en mesure de faire.

Sans une expression claire de cette volonté collective, notamment des riverains, on assiste à un désintérêt politique, qui a été souligné dans le même rapport. Ses rapporteurs parlent même d’une grande immobilité et d’une insuffisance d’expression. Cet état s’est amplifié depuis les quinze dernières années, avec la raréfaction des migrateurs. Je salue toutefois la volonté du député Jean-Pierre Vigier de réaliser un bilan des politiques de sauvegarde et de restauration des poissons migrateurs.

Cette insuffisance d’expression politique conduit naturellement à une absence de ligne directrice claire et à des problèmes de gouvernance, et donc d’articulation entre les acteurs, les actions et leur financement. Cela conduit aussi à des difficultés pour mobiliser les financements nécessaires, fiables, pérennes et à la hauteur des enjeux, ce qui consiste à utiliser les bonnes ressources et à les valoriser au mieux. On sollicite de façon récurrente les fonds européens pour pallier ou compléter certains financements, alors que ces fonds sont, dans certains cas, dédiés uniquement à des opérations innovantes. Cette dérive a d’ailleurs été signalée par la Direction générale des finances publiques, qui alerte non seulement sur la bonne utilisation des fonds européens, mais aussi sur le respect des procédures mises en œuvre, notamment sur les appels à projets et leur compatibilité avec le respect du code des marchés publics, concernant des opérations réalisées dans un secteur concurrentiel.

Je veux conclure en insistant sur la très grande déception et la frustration de nombreux acteurs lorsqu’ils voient la presse faire régulièrement état d’interrogations sur le réalisme des programmes migrateurs. Il me semble nécessaire que cette mission reste centrée sur les aspects méthodologiques, l’équilibre entre les acteurs, la gouvernance et le financement.

M. Jean-Paul Doron, vice-président de la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection du milieu aquatique. Je vous prie d’excuser l’absence du président de la Fédération nationale, retenu au Conseil économique, social et environnemental (CESE). J’ai la chance, pour ce qui me concerne, d’animer la commission Eau Protection des Milieux Aquatiques Biodiversité au sein de cette fédération. C’est à ce titre que je le représente.

Le sujet qui nous occupe peut sembler anodin, mais il est à la croisée de nombre de questionnements, notamment en matière de questions environnementales. Les migrateurs ont la chance, ou plutôt la malchance d’être le réceptacle de différentes problématiques auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés.

Notre fédération nationale est une jeune fédération, créée en 2006, à l’issue du vote de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, qui nourrissait une ambition forte, notamment, sur l’organisation de la pêche associative en France. Cette fédération regroupe d’une façon pyramidale, du plan local au plan national, 1 400 000 pêcheurs, fédérés autour de 3 900 associations et regroupés au sein de 93 fédérations départementales.

Aujourd’hui, la Fédération nationale est particulièrement impliquée dans deux volets de sa mission, qui portent sur la pêche de loisir, son développement, sa promotion, mais aussi sur tout ce qui est lié aux politiques d’éducation et de sensibilisation à l’environnement. Nombre de structures appartiennent en effet à des centres permanents d’initiatives pour l’environnement (CPIE) et portent même des CPIE, ce qui est le cas dans mon département.

Le deuxième volet porte sur la protection des milieux aquatiques, la restauration des zones humides, l’eau et la biodiversité. La Fédération y est également particulièrement impliquée au niveau local, en passant par les commissions locales de l’eau et du SAGE, ainsi que par les instances de bassin puisque nous sommes particulièrement présents, autour d’autres usagers, au sein des comités de bassin. Et c’est tout naturellement que nos missions s’expriment sur les aspects locaux, économiques et environnementaux. Je profite du fait que nous sommes devant votre commission du développement durable pour insister sur ces aspects, car la pêche de loisir, aussi anodine qu’elle paraisse, est véritablement impliquée au quotidien, qu’il s’agisse de ses élus ou de son réseau.

L’implication de la FNPF ne se résumant pas aux seules questions techniques, j’en viens à son engagement politique. Aujourd’hui, les migrateurs concentrent un certain nombre de stratégies nationales et de plans nationaux, comme le plan de gestion de l’anguille, le plan national saumon ou le plan national de restauration de la continuité écologique. Tout cela s’inscrit pleinement dans les préoccupations exprimées par M. Jean-Pierre Vigier, à savoir les poissons migrateurs, la continuité écologique et la biodiversité dans les bassins.

La Fédération nationale partage ces préoccupations, avec une implication financière puisque la Fédération nationale, aujourd’hui, consacre plus de 5 % de son budget, soit 1,4 million d’euros par an, aux actions en faveur des seuls migrateurs. La Fédération porte l’action des associations sur les territoires et participe, en matière d’investissements, à la restauration de la continuité écologique.

C’est dire à quel point la pêche de loisir est particulièrement sensible à tout ce qui a trait aux actions de restauration de la continuité écologique. La question fait débat sur le plan national parce que d’autres acteurs socio-économiques, pour des raisons qui leur sont propres – souvent d’ordre spéculatif –, sont réfractaires aux opérations qui visent à la restauration de la continuité écologique et des habitats. Aujourd’hui, le principal facteur limitant pour les poissons migrateurs, ce ne sont pas tant les plans qui s'essoufflent ou, dans certains cas, le manque de financements. La difficulté tient tout à la fois à l’émergence des maîtrises d’ouvrages et aux freins à la maîtrise d’ouvrage, voire tout simplement aux freins humains, autrement dit à l’acceptabilité sociale de la restauration des habitats et de son bien-fondé.

Or les migrateurs souffrent cruellement parce que les programmes datent d’un certain nombre d’années – le premier contrat « retour aux sources » au niveau national remonte aux années quatre-vingt, ce qui prouve que ces questions se posaient déjà avant – et les efforts humains, financiers et politiques, ainsi que les résultats, ne sont peut-être pas à la hauteur de ce que l’on espérait. Aujourd’hui, la question de fond qui se pose à nous, acteurs associatifs, qui sommes particulièrement impliqués, porte sur la résonance politique que les acteurs de nos territoires sont capables de porter. L’hydro-électricité, particulièrement sur les faibles hauteurs de chute d’eau de faible hauteur, n’a d’intérêt que pour ceux qui souhaitent investir en tablant sur l’obligation de rachat du courant produit ; sinon, elle n’en aurait aucun sur le plan économique, et encore moins sur le plan énergétique.

En conclusion, la question des poissons migrateurs est fondamentale en ce qu’elle apparaît comme le point de concentration, la résultante de l’ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés sur les territoires. On ne peut pas avoir l’ambition de restaurer la qualité de l’eau et reconstituer les populations de migrateurs en les présentant comme un facteur de développement économique local, qu’il s’agisse de la pêche de loisir récréative, de la pêche commerciale ou des activités liées, si l’on ne manifeste pas une volonté forte de s’impliquer sur les questions de restauration de l’habitat et de la continuité écologique.

Aujourd’hui, le véritable frein n’est pas essentiellement d’ordre financier, il relève plutôt de l’acceptabilité sociale. Nous avons les outils, mais nous nous heurtons à un manque de volonté pour mettre en œuvre des actions et les décliner au plan local.

Mme Geneviève Gaillard. La biodiversité est en déclin au niveau des espèces faunistiques et floristiques, et les poissons migrateurs, qui font partie de cette biodiversité, sont, eux aussi, en déclin. Malgré de nombreux plans, conventions, stratégies et lois, les poissons migrateurs sont en difficulté. Si cela va un peu mieux pour le saumon, l’esturgeon d’Europe et l’anguille sont en voie d’extinction.

Quelles sont les causes de ce phénomène ? La pollution des eaux ; on essaie d’y remédier, mais cela ne marche pas toujours très bien et on se heurte à des réticences énormes. Il y a aussi la destruction des habitats : tout le monde ne se rend pas compte de l’importance que représentent ces espèces sur le plan économique, symbolique et patrimonial. Il y a aussi la surexploitation de la ressource par la pêche. Sans oublier, on l’a dit, la difficulté d’une gestion aux confins d’un milieu maritime et d’un milieu fluvial. Il est temps de prendre ce problème à bras-le-corps et notre commission aurait raison de continuer à s’y intéresser.

M. Jean-Paul Doron a déploré la faible prise de conscience de ces problématiques. L’argument vaut pour l’ensemble de la biodiversité. La biodiversité sur les territoires n’est pas un sujet qui mobilise les élus et nos concitoyens. Certes, les associations sont mobilisées, mais dès qu’on parle de préservation de la biodiversité, qu’il s’agisse de poissons ou d’espèces terrestres, on répond toujours qu’il y a des choses beaucoup plus importantes. C’est pourtant une question fondamentale pour la survie de l’humanité, mais il est très difficile de le faire comprendre. Il y a sans doute quelque chose à faire en la matière et vous pourrez peut-être nous dire ce qui vous paraît indispensable.

J’en viens aux continuités écologiques. Pour ma part, j’estime que la biodiversité peut, elle aussi, bénéficier d’investissements d’avenir qui, en finançant certains aménagements, pourraient contribuer à lever les obstacles que les migrateurs doivent franchir. Si vous considérez qu’il s’agit d’une piste intéressante, nous serons très heureux de vous aider.

Je m’intéresse beaucoup à l’anguille, qui disparaît progressivement sur mon territoire, le Marais poitevin. Les civelles sont pêchées et revendues à des prix défiant toute concurrence, nous enlevant ainsi toute possibilité d’avoir, un jour, des anguilles adultes. Malgré le lobbying de certains pêcheurs, je serais plutôt favorable à une interdiction de la pêche à la civelle. Qu’en pensez-vous ? Enfin, je pense qu’il ne faudrait pas fixer les quotas de pêche d’anguilles en fonction de la population de l’année précédente, mais en fixant comme référence les années où elle était plus importante. Car s’il y a parfois de bonnes années, l’anguille est globalement en voie d’extinction, et si l’on ne fait rien, elle disparaîtra totalement.

M. Jean-Pierre Vigier. Je vous remercie très sincèrement, monsieur le président, pour l’organisation de cette table ronde.

Les poissons migrateurs, saumons, anguilles, esturgeons, aloses, lamproies, font partie de notre histoire, de notre culture et de notre patrimoine. Ces poissons et l’activité qu’ils génèrent permettaient autrefois une importante activité économique.

Sur mon territoire, la Haute-Loire, coule la belle rivière Allier. À l’époque, lorsque la pêche au saumon était ouverte, chaque poisson pêché sur le territoire entraînait la redistribution de 7 000 francs. Je vous laisse imaginer le nombre de saumons pris, et donc, les retombées économiques sur des territoires ruraux tels que le nôtre ! D’importants intérêts économiques sont liés à cette pêche et au retour des poissons migrateurs.

Or dans les années soixante-dix, et même bien avant, on s’est aperçu d’une baisse progressive du retour des poissons migrateurs, à tel point que l’activité économique était en forte chute et que l’existence même de ces poissons était remise en cause. Pour lutter contre cette baisse, les pouvoirs publics ont engagé un grand nombre de programmes et de plans d’action. Mais aujourd’hui, on se rend compte que s’ils ont, en partie, aidé au retour des poissons migrateurs, ils restent insuffisants pour assurer la sauvegarde de certaines espèces.

Ne serait-il pas intéressant de dresser un état des lieux précis et concret des différents plans d’action menés depuis de nombreuses années, au niveau de la qualité de l’eau, de la continuité écologique et de la biodiversité ? Ne faudrait-il pas faire des propositions en faveur d’une gouvernance plus efficace, plus proche du terrain, et surtout plus équilibrée au niveau technique et politique ? Car les politiques aussi doivent pouvoir aider fortement en la matière.

Il conviendrait aussi d’obtenir des financements ou d’utiliser les financements que l’on a déjà, de façon plus ciblée, sur des opérations très concrètes, afin de renforcer leur efficacité.

Enfin, il faudrait arrêter des objectifs, une stratégie et une méthodologie plus précis, plus clairs, plus concrets sur le retour des poissons migrateurs.

Mme Laurence Abeille. Monsieur le président, je souhaiterais que l’on puisse aussi organiser une table ronde sur la question de la pêche en mer, sur l’impact de certaines pêcheries, sur la biodiversité et l’équilibre des écosystèmes.

Je voudrais revenir sur la question de la directive-cadre sur l’eau, qui nous impose d’atteindre un bon état des masses d’eau d’ici à 2015. Or nous savons que cet objectif ne sera pas atteint, qu’il s’agisse du bon état écologique et morphologique des cours d’eau ou de leur bon état « chimique ».

S’agissant des continuités écologiques, c’est un réel problème pour les poissons migrateurs. Si l’on essaie, dans certains cas, de restaurer les continuités écologiques, dans d’autres cas, on les rompt sans aucun problème.

Vous me permettrez d’évoquer la question du barrage de Sivens. Dans le cas de retenues d’eau situées dans des zones humides, on va à l’encontre de nos obligations européennes et du retour au bon état des masses d’eau. L’Europe devrait prochainement rendre un avis sur cette question. Nous sommes tous conscients de la nécessité de protéger la biodiversité de nos rivières, mais lorsqu’il s’agit de construire un barrage, que l’on peut finalement considérer comme inutile, très peu sont ceux qui s’indignent. J’aimerais connaître votre avis, madame et messieurs, sur la construction de ces ouvrages, souvent néfastes à la biodiversité et aux rivières, même si certains sont équipés d’ascenseurs ou d’autres dispositifs pour faire passer les poissons migrateurs.

Pour ce qui concerne les saumons et les anguilles, c’est une perte de biodiversité très symbolique et, au fond, exemplaire de ce qu’il se passe depuis des années. Il y a un choix à faire, soit celui d’une agriculture intensive et des polluants qui vont dans les eaux, et donc, dans les rivières, constituant ainsi des milieux parfaitement hostiles pour les poissons ; soit celui d’une agriculture durable et d’une exploitation des milieux soutenable dans la durée, qui permettraient le retour des équilibres écologiques, et donc la sauvegarde des individus présents et le retour des poissons migrateurs.

S’agissant de l’état chimique des eaux, la pollution aux métaux lourds – PCB, nitrates etc. – touche une très grande partie des rivières. En 2013, l’ANSES a rendu un avis recommandant de limiter la consommation de nombreux poissons. Selon l’Agence, les poissons d’eau douce, les anguilles, les carpes, les silures et autres étant fortement bio-accumulateurs, leur consommation devrait être limitée à deux fois par mois pour la population générale et à une fois tous les deux mois pour les populations à risques, comme les femmes enceintes ou allaitantes et les enfants. La situation est extrêmement inquiétante, car tous les écosystèmes étant liés, la pollution des rivières signifie aussi la pollution des estuaires, des littoraux et de la haute mer. À ce rythme, on se demande quel sera l’avenir de la pêche de loisir, mais aussi celui de la pêche en mer. Devra-t-il se réduire à la pisciculture et aux poissons dans des aquariums ?

J’aimerais avoir votre avis sur la mise en place d’un vrai système pollueur-payeur avec, par exemple, une redevance incitative sur la pollution azotée, de façon à protéger les milieux.

Enfin, il y a quelques années, le saumon se portait un peu mieux en Irlande qu’en France. Quelle est aujourd’hui de la situation des poissons migrateurs en Europe ? Y a-t-il des pays dans lesquels cela se passe mieux et pour quelles raisons ?

M. Patrice Carvalho. Les pêcheurs, dont je fais partie, sont de moins en moins nombreux et ils ne dévastent pas nos rivières et nos cours d’eau quand ils pêchent au coup, contrairement à la pêche au filet.

Mme Geneviève Gaillard. Je n’ai jamais dit cela !

M. Patrice Carvalho. Je sais ce que c’est que gérer les rivières avec du poisson, car dans les fédérations et les syndicats locaux, on rempoissonne régulièrement.

Je voudrais poser une question sur l’application de la loi sur l’eau. L’ONEMA en a-t-elle mesuré précisément les conséquences ? Si la restauration du cours naturel des rivières dans leur cours naturel, on va, dans de nombreux cas, fonctionner à l’envers et faire disparaître la biodiversité. Car les rivières, avec de petites digues qui mesurent cinquante centimètres, voire un mètre, permettent de maintenir un niveau d’eau suffisant pour que les poissons puissent circuler et remonter.

Dans le document que vous nous avez distribué, il n’y a plus de poissons. Permettez-moi de vous dire qu’il y a deux ans, dans le Lot, j’ai vu des saumons et des lamproies remonter la Cère. Autrement dit, les poissons continuent à passer, même si j’ignore dans quelle quantité. Mais si on enlève la digue, on va se retrouver avec un filet d’eau de cinquante centimètres ; je ne suis pas sûr que les saumons et les lamproies trouvent cela formidable pour remonter un peu plus haut dans les affluents.

Vous devriez nous expliquer comment, à l’ONEMA, vous formez vos gens dans le domaine de la communication. On se demande à qui on a affaire, si c’est la gendarmerie qui vient sermonner ou distribuer des amendes, ou si l’on discute de l’application de la loi.

J’en viens aux turbines électriques sur les cours d’eau, souvent financées par le privé et qui ne coûtent rien à l’État, contrairement aux éoliennes. Les gens revendent simplement l’électricité à EDF. Combien de turbines électriques seront fermées ?

Pourquoi les centrales hydrauliques EDF qui, elles, atteignent six, sept ou huit mètres, ne sont-elles pas concernées par les passes à poissons, contrairement au petit riverain qui, lui, a investi de sa poche ?

Pourquoi sur des cours d’eau où existe un droit d’eau, veut-on démonter une petite digue qui est là depuis deux siècles et demi ? Depuis plus de deux siècles, les lamproies et les saumons sont toujours passés !

L’anguille, elle, pose un vrai problème, car elle a d’abord été victime des pollutions. Pour ce qui est de la civelle, je suis d’accord avec ma collègue, il serait temps d’agir : si l’on tue les enfants, il n’y aura plus d’adultes. Mais dans ma région de l’Oise, l’anguille a été victime des pollutions industrielles, notamment chimiques. C’est de moins en moins vrai aujourd’hui, même si cela arrive encore lors d’accidents industriels.

L’anguille est également victime des inondations. Retenir l’eau un peu partout et à tous les niveaux n’est pas une mauvaise chose. Les peupleraies ont démontré leur utilité, ainsi que les bassins de surverse. Tout cela est important pour préserver la biodiversité. Lors des inondations, les poissons vont se réfugier dans les trous, et particulièrement dans les grévières.

J’en viens aux financements. Un de mes administrés, dont on menace de fermer la turbine électrique, s’est vu proposer un financement pour installer une passe à poissons. Vous dites que ce n’est pas un problème de financement, mais pour une passe à poissons de 400 000 euros, on lui en donne la moitié. 50 %, c’est bien, mais il faut tout de même en sortir 200 000 ! Si vous n’avez pas d’argent, vous ne pouvez rien faire. Si l’État, en appliquant la loi sur l’eau, veut restaurer la vie des rivières, il doit assumer entièrement le coût financier de ce qui existe depuis très longtemps.

M. Philippe Plisson. Je préside le SAGE Estuaire de la Gironde, laborieusement mis en place contre les lobbies de l’agriculture et du béton. J’ai connu cet estuaire prolifique en esturgeons, en aloses et en anguilles, qui ont progressivement disparu. Les dispositions d’interdiction de collecte des granulats et d’amélioration de l’épuration de la communauté urbaine de Bordeaux ont été prises. Pensez-vous que l’on puisse espérer reconstituer tout ou partie de ce cheptel, et dans quels délais ?

Pensez-vous que les lâchers annuels d’esturgeons, au fil des années, sont efficaces dans cette reconquête ? Et comme l’a dit Geneviève Gaillard, ne faudrait-il pas prendre des mesures drastiques avant que l’on ne pêche la dernière civelle ?

Enfin, pensez-vous que le réchauffement climatique soit un phénomène aggravant pour la diminution des poissons migrateurs ?

M. Claude de Ganay. Je voudrais parler des effectifs de saumons comptabilisés sur l’axe Loire-Allier, qui subissent de fortes variations d’une année sur l’autre. 2003 et 2006 sont des années record avec, respectivement, 1 238 et 950 saumons dénombrés à Vichy. En dehors de ces années exceptionnelles, le nombre moyen de saumons comptabilisés annuellement à la station de Vichy, qui fait référence, atteint en moyenne 568 individus au cours de la période 1996-2013, ce qui reste loin de l’objectif de 2 400 saumons, initialement fixé pour l’année 2007.

Selon vous, quelles sont les principales raisons de ces importantes variations, malgré les plans de gestion conduits avec sérieux depuis les années quatre-vingt-dix ? Quelles politiques pourraient être conduites pour atteindre cet objectif susceptible de pérenniser naturellement les populations de salmonidés sur l’axe Loire-Allier ?

M. Jean-Louis Bricout. Y a-t-il encore du saumon ? Question apparemment provocatrice, mais c’est pourtant bien dans ces termes qu’elle se pose. Les stocks ont atteint un niveau particulièrement bas, voire critique dans certains endroits : ils ont chuté de 75 % dans l’Atlantique nord au cours des trente dernières années. Le saumon est, il est vrai, un des poissons les plus consommés, de la cantine de nos enfants jusqu’aux plus grands restaurants. Sous l’égide de l’Organisation pour la conservation du saumon de l’Atlantique nord, chaque territoire signataire de la convention développe un plan quinquennal destiné à mettre en œuvre des actions adaptées. La France joue son rôle. Pouvez-vous nous rappeler la nature de nos engagements ? Où en sommes-nous de la mise en place de notre plan d’action ?

M. Christophe Priou. Monsieur le président, je commencerai par un vœu pieux – même si vous êtes, je le sais bien, le premier à regretter cette situation : il serait bon qu’un vote important ne se déroule pas dans l’hémicycle pendant qu’une table ronde très intéressante se tient en commission.

Je veux aussi remercier Jean-Pierre Vigier, qui est à l’origine de cette table ronde.

Le monde littoral, comme le monde rural, a connu des mutations profondes : n’accusons pas les pêcheurs d’être responsables de tous les maux. Soyez persuadé, cher collègue Philippe Plisson, que le dernier pêcheur disparaîtra avant la dernière civelle… Au Croisic, dont je suis l’élu, on est passé en vingt ans de quatre-vingt-deux à douze bateaux. Certes, les techniques de pêche ont évolué, mais ce n’est pas le seul paramètre !

S’agissant de l’anguille, je serai moins affirmatif que Mme Gaillard : dans certains marais, elle disparaît, mais dans d’autres, elle revient. Est-ce lié à la qualité des eaux, à la mutation du milieu, et notamment à l’urbanisation ? De gros efforts ont été faits dans les pôles urbains, par exemple pour assainir les eaux. Dans la Brière, depuis que les communes disposent du tout-à-l’égout, c’est-à-dire de l’assainissement collectif, la forte amélioration de la qualité des eaux semble avoir favorisé le retour de certaines espèces.

Les pêcheurs professionnels – que l’on met souvent au pilori, mais qui sont très encadrés, très contrôlés, contrairement aux pêcheurs sauvages qui vendent ensuite leurs prises au marché noir – ont l’impression que le recrutement des civelles est plus important depuis deux ans. Ce constat est-il avéré ? Est-ce conjoncturel, sachant que nous avons eu beaucoup de crues ?

M. Michel Lesage. En 2006, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques a introduit le principe de continuité écologique, défini comme la « libre circulation des espèces et des sédiments dans les cours d’eau ». De nombreuses questions demeurent. Certaines – sur l’hydroélectricité, les petits barrages, les moulins… – ont déjà été posées. Je note que le Conseil d’État a reconnu, en 2010, que la directive-cadre européenne n’exige pas le maintien ou le rétablissement des continuités écologiques dans les cours d’eau : elle impose une obligation de résultats pour la restauration de la qualité d’eau, mais en laissant aux États membres le choix des moyens.

Or la continuité écologique est pertinente quand le débit des cours d’eau est normal ; mais, en cas d’étiage sévère, son intérêt fait débat : certains cours d’eau pourraient alors devenir des pièges mortels pour les espèces qui y vivent.

La continuité écologique est en outre parfois considérée comme inopérante pour améliorer la qualité chimique des eaux de surface, essentielle pour la faune comme pour les humains. On est donc amené à privilégier l’obtention de l’eau potable en puisant dans les nappes phréatiques, au risque de les épuiser. Quel est votre point de vue sur ces problèmes ?

L’hydromorphologie des cours d’eau et l’étude des transports sédimentaires sont des sciences nouvelles, balbutiantes. Les modèles des chercheurs nous permettent-ils aujourd’hui de comprendre le comportement des cours d’eau ?

Mme Françoise Dubois. Je regrette moi aussi de ne pas avoir pu entendre les premières interventions. 

La continuité écologique constitue pour les élus locaux un problème extrêmement concret. S’il y a consensus sur l’objectif d’obtenir rapidement un bon état des milieux aquatiques, les interrogations et la confusion sont grandes sur le terrain, peut-être en raison de la multitude des acteurs et du caractère foisonnant de la réglementation – directives, règlements, schémas directeurs de gestion des eaux, etc. Si les choix varient d’un département à l’autre, les montants financiers en jeu sont toujours très élevés et chacun gagnerait à y voir plus clair. Que préconisez-vous pour améliorer la transparence ?

Quels sont les problèmes posés par l’entretien des ouvrages de franchissement ? Avez-vous des recommandations particulières à ce sujet ?

L’ONEMA a dénombré 60 000 obstacles sur nos cours d’eau, dont 90 % n’auraient pas d’usage économique avéré, et dont moins de 4 % seraient équipés d’un ouvrage de franchissement piscicole. Quelles sont les actions efficaces et durables, mais d’un coût raisonnable, qui permettraient d’améliorer la continuité écologique ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur Christophe Priou, cette table ronde était prévue depuis longtemps, et, par correction envers les participants que nous avions invités, nous avons décidé d’en maintenir l’horaire. Le dysfonctionnement que vous signalez n’est pas de notre fait : il est lié au fait que les votes solennels sont souvent demandés par les groupes politiques au dernier moment.

Le sujet que nous abordons aujourd’hui est difficile, les élus de territoires ruraux que nous sommes souvent en ont bien conscience ; mais je crois que toutes ses dimensions – problèmes financiers, gouvernance, réglementation,... – ont été abordées.

Monsieur Jean-Pierre Vigier, votre idée de dresser un bilan des actions en cours me paraît très judicieuse. Nous pourrions la poursuivre dans le cadre d’un rapport d’information.

M. Alexis Delaunay. Mesdames et messieurs les députés, plusieurs d’entre vous nous ont interpellés sur la mise en œuvre de la continuité écologique.

L’ONEMA vient de produire un film intitulé Continuité écologique et hydroélectricité : exemple d’amélioration des ouvrages sur le bassin de l’Adour. Il permet de montrer les différentes solutions qui peuvent être mises en œuvre. Si ces aménagements de la continuité nécessitent des investissements importants, il est possible de trouver des financements sous forme de subventions, notamment grâce aux agences de l’eau, mais parfois aussi par le biais de contrats d’achat d’électricité particuliers. Ce film montre notamment que nous avons ainsi pu convaincre peu à peu les différents acteurs, souvent sceptiques au départ. Les producteurs autonomes se sont aperçus que certaines solutions techniques à la dévalaison comme la mise en place de plans de grilles fines, notamment sur le plan de l’entretien, fonctionnaient beaucoup mieux que prévu. À coup sûr, une large concertation est nécessaire, car cela conditionne l’avenir de la production hydro-électrique.

La loi de 2006 a renforcé des obligations, c’est vrai. Mais rappelons que certaines de ces obligations existaient depuis 1865… Le décret de classement des cours d’eau du bassin de la Loire date de 1905. Les classements successifs n’ont pas toujours été mis en œuvre. Ces dates permettent de relativiser le délai de cinq ans accordé par la loi de 2006.

Un gros effort d’information doit bien sûr être consenti, et pour cela, nous avons besoin des élus locaux. Il faut aussi savoir faire preuve de pragmatisme : certaines solutions, à coup sûr idéales pour les poissons migrateurs, sont vraiment trop coûteuses et doivent être écartées.

Il faut souligner l’importance – et le coût – de l’entretien des ouvrages, qui ont tendance à s’obstruer, notamment en cas de crue. On l’a vu sur l’Allier et sur nombre d’ouvrages de navigation.

Le maintien des barrages dépend des financements trouvés. Certains propriétaires préfèrent finalement l’effacement, mais beaucoup d’ouvrages – par intérêt économique, mais aussi patrimonial – doivent être maintenus, et des solutions appropriées trouvées. Les discussions sont souvent plus difficiles avec les propriétaires privés. Nous essayons sur le terrain d’aider tous les acteurs à trouver les financements nécessaires, mais nous n’arriverons pas à financer 100 % du coût – surtout quand il y a une production d’hydroélectricité, donc une activité économique.

Les populations d’anguilles ont fortement chuté depuis les années 1960 et surtout 1980. Certes, nous observons un très léger mieux depuis deux ans, mais ces variations nous semblent surtout liées à des facteurs hydrologiques qui ont facilité la dévalaison des anguilles. Nous connaissons moins bien le rôle des courants marins, notamment du Gulf Stream, dans l’arrivée des civelles, mais il est sans doute important. Je doute que nous puissions déjà voir là les premiers bénéfices du plan d’action décidé en 2009 : les civelles devenues anguilles grossissent en eau douce pendant dix ans, et il ne faut donc pas attendre de résultats significatifs avant 2019 ou 2020. Du côté de dévalaison en revanche, nous avons pu démanteler des pièges à anguilles et rendre effective l’interdiction de cette pêche : cela a pu améliorer les choses. En tout état de cause, nous devons redoubler d’efforts avant d’espérer une remontée significative des populations de civelles et d’anguilles.

M. Éric Rochard. Les poissons migrateurs présentent un grand intérêt économique : leur raréfaction provoque des dommages réels.

Il n’existe, à l’échelle européenne, qu’une seule population d’anguilles. Il faut donc la considérer globalement. Elle s’était effondrée, cela a été dit, et ce que l’on observe aujourd’hui ne sont que de petites fluctuations. Certaines années sont meilleures que d’autres, mais il n’y a aucune raison de croire à une amélioration réelle : ces oscillations sont inévitables. Certes, cela peut être perçu différemment sur le plan local : on peut en voir plus ou moins selon les endroits, mais c’est bien l’échelle large qui est pertinente.

Il en va différemment pour les autres espèces, où l’on a généralement une population par bassin versant. Globalement, les populations diminuent, mais pas dans toutes les espèces : ainsi, nous avons plus de mulets qu’auparavant, au point qu’ils peuvent gêner le comptage des autres espèces dans les passes à poissons… C’est bien sûr une espèce moins noble, mais elle présente un intérêt alimentaire et économique, et pourrait aujourd’hui supporter une pêche durable. Pour le reste, la situation varie d’un bassin à l’autre. Certains bassins sont très anthropisés, avec une occupation humaine forte, des barrages, des industries ; d’autres, pour des raisons historiques, sont demeurés très naturels. Les comparaisons ne sont donc pas faciles.

Les effets des changements climatiques en revanche concernent toutes les espèces : grosso modo, elles se déplacent vers le nord. Mais, comme nous sommes sur un globe, la surface est moins importante au nord que près de l’équateur ; des études précises confirment qu’il existe moins d’habitats favorables pour les poissons migrateurs quand on glisse vers le nord. Les espèces rencontreront donc des difficultés plus grandes et les populations seront moins nombreuses, ne serait-ce que pour de simples raisons géographiques. Par ailleurs, ce glissement peut poser des problèmes de culture : une espèce pourrait ainsi disparaître d’un endroit où elle présentait un intérêt économique et historique bien établi et être se réinstaller dans des régions plus septentrionales où elle n’était pas connue et où elle sera donc beaucoup moins exploitée. Ce qui pourra, en termes de biens et de services associés, créer un décalage entre les endroits où on la recherche, mais où elle n’existe plus, et les endroits où elle s’installe, mais où l’on ne sait pas quoi en faire…

S’agissant des obstacles, ils étaient historiquement nombreux depuis le Moyen Âge sur les petits cours d’eau ; mais on barrait peu les grands fleuves, faute de moyens techniques. De plus, ces obstacles historiques étaient petits, faits avec les moyens du bord, sans béton ni surplomb. Un seuil d’un mètre avec des moellons tout simples peut être franchi par beaucoup d’espèces ; un barrage en béton bien lisse et en surplomb interdit tout passage. Il faut donc fabriquer un peu moins lisse, un peu moins joli, pour que les obstacles puissent être franchis facilement sans dispositif particulier.

Dans cette même perspective de l’aménagement des obstacles, nous avons beaucoup travaillé sur la remontée des axes principaux, mais nous nous sommes moins intéressés aux affluents. Or ceux-ci sont essentiels, et la qualité des eaux peut y être bien différente de ce qu’elle est sur l’axe principal. Je plaide donc pour qu’on leur accorde plus d’importance : nous aurions plus de diversité, ce qui rendrait plus facile de favoriser la viabilité des populations.

L’hydromorphologie, c’est-à-dire l’étude de l’évolution des rivières en fonction des contraintes hydrauliques, est effectivement une science récente. Nous commençons à disposer d’éléments solides, tant sur le fonctionnement naturel que sur l’effet de la suppression des obstacles par exemple. En Amérique du nord, beaucoup de grands barrages ont été supprimés : nous avons donc une idée beaucoup plus précise de la façon dont la nature se réapproprie les lieux et des problèmes qui se posent, ou ne se posent pas.

Mme Aurore Baisez. L’anguille et le saumon ont des cycles de vie très longs : respectivement dix et cinq ans. Les fluctuations que l’on constate dépendent donc de la dynamique de la population, mais aussi de l’histoire ou de phénomènes ponctuels, par exemple du moment où ces phénomènes se produisent dans leur cycle de vie. Les effets des crues peuvent être très importants, comme vous l’avez montré pour Vichy : effectivement, on a recensé 1 200 saumons cette année là où il n’y en avait que 200 en 2010, mais c’est simplement lié au fait que ces poissons ont profité d’un phénomène naturel à un moment précis de leur cycle de vie. Sans oublier que la dynamique d’une population dépend du nombre de géniteurs : on ne peut pas s’attendre à un accroissement spectaculaire avec un petit nombre de reproducteurs.

Je partage également les analyses sur le retour des civelles ; les mouvements observés depuis deux ans ne sont que des micro-phénomènes, loin des chiffres historiques, puisque nous restons à moins de 1 % de ce que l’on pouvait trouver dans les années 1970… Reste que ces remontées de civelles sont constatées par les pêcheries estuariennes, mais aussi par nos réseaux de suivi ; le front de colonisation a remonté d’environ trente kilomètres sur la Loire. Le recrutement a donc été bon, sauf que ce front n’en est encore qu’à Saumur quand historiquement il se situait bien au-delà d’Orléans. Nous sommes donc loin d’un recrutement normal.

Il n’est pas possible d’équiper systématiquement les ouvrages pour faciliter le passage des poissons migrateurs : cela revient à mettre en place une course d’obstacles ; ils en sauteront dix, vingt, mais au trentième ils seront épuisés et ils n’arriveront pas au quarantième. Des stratégies d’axe sont donc nécessaires : certains ouvrages doivent être maintenus parce qu’ils correspondent à un besoin, à un usage, mais d’autres – très nombreux – n’ont plus d’usage, et sont même souvent très dégradés. Leur intérêt est très réduit et leur destruction permettrait d’améliorer fortement la transparence migratoire.

Quand les ouvrages sont aménagés, c’est souvent par une passe à poissons. Il en existe de tous ordres. Il faut souligner que c’est pour les propriétaires une charge à vie : la construction de la passe à poissons n’est pas la fin des problèmes, mais plutôt leur début. Il faut l’entretenir, ce qui coûte cher, et les contraintes sont fortes, car c’est un dispositif conçu selon des exigences scientifiques, calé sur le débit, afin d’être toujours attractif pour le poisson : pour qu’il soit fonctionnel, il faut une attention quasi-quotidienne. Si une seule passe à poissons est inopérante, tout l’axe est condamné, puisque les zones de frayère du saumon, de l’alose ou de la lamproie sont en général très en amont. La responsabilité des propriétaires d’ouvrages est donc immense. Notre association aide et accompagne les propriétaires, en réalisant notamment des guides d’entretien.

S’agissant des sédiments, beaucoup d’études sont lancées, notamment dans la perspective de la modification de l’ouvrage de Poutès-Monistrol sur le haut-Allier, qui de dix-huit mètres de haut serait abaissé à quatre mètres. C’est une expérience importante. Le saumon se verra ainsi ouvrir des zones de frayère très favorables. La remobilisation des sédiments présente toutefois un risque pour les zones de frayère situées en aval ; il faudra y être particulièrement attentif.

Pour établir des stratégies d’aménagement, l’ONEMA a établi une grille d’évaluation de la difficulté de franchissement de chaque ouvrage. On peut donc, sur un axe, définir des priorités et les ouvrages les plus pénalisants. Notre association travaille dans le cadre du plan Loire et du SDAGE (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) Loire-Bretagne : des priorités ont été affirmées, et notamment l’obligation de s’interroger systématiquement sur la possibilité d’effacer un ouvrage pour restaurer la continuité écologique, plutôt que de chercher une solution d’équipement comme on a spontanément tendance à le faire.

M. Patrick Martin. Le saumon va globalement mal. En 1974, on en capturait environ 12 000 tonnes sur l’ensemble de l’Atlantique nord ; aujourd’hui, c’est 1 300 tonnes. Le déficit est particulièrement fort dans la zone sud-est, et nous sommes en dessous des seuils de conservation pour les grands saumons. En France, on prend chaque année une dizaine de tonnes de saumon à l’intérieur des terres : environ 3 000 poissons, dont 1 800 pris à la ligne et 1 200 au filet. On pêche le saumon dans quarante et un cours d’eau déclarés comme tels, et qui font l’objet d’un suivi ; mais dans 75 % de ces rivières, on pêche moins de cinquante par an, et dans 10 % moins de dix.

S’agissant du bassin de l’Allier, des élus de toutes sensibilités se sont mobilisés pour s’opposer à la stratégie mise en place. Sur l’enjeu, la reconquête des habitats, nous sommes tous d’accord ; c’est sur la façon d’y parvenir que les avis divergent alors que nous avons besoin d’une mobilisation de tous les acteurs, et cela prend du temps. Dans le haut-Allier, par exemple, le parc régional aura pour emblème un poisson d’eau douce : cela a pris plus d’une quinzaine d’années. Mais cela révèle l’acceptation par ce territoire des contraintes nécessaires pour sauver cette espèce. Sans cette appropriation, nous ne pourrons pas mobiliser les acteurs pour agir sur le franchissement des ouvrages, sur l’entretien des passes à poissons, etc., et nous ne parviendrons pas à maintenir les populations de poissons et à valoriser leur présence.

Quel est l’élément fort qui valorise la présence d’une espèce ? Son retour. Les questions posées sont toujours les mêmes : combien y a-t-il de poissons ? Y en a-t-il plus, y en a-t-il moins ? Heureusement pour le bassin de l’Allier, la tendance depuis le démarrage des programmes est à la hausse : les opérations de soutien contribuent, directement ou indirectement, pour plus de 80 % au taux de retour de ces poissons. Je ne vous cache pas néanmoins la surprise, sinon le désarroi que nous éprouvons par moments : les années précédentes, on nous disait que nos actions ne fonctionnaient pas puisque nous n’arrivions pas au taux de retour attendu ; voilà maintenant qu’on reproche à notre projet de faire revenir trop de saumons au risque d’impacter les autres poissons sauvages et d’arrêter tout cela ! Il ne faut pas mésestimer le risque de démobilisation des acteurs et donc de rechute. Et allez expliquer qu’il faut investir 20 millions d’euros sur un barrage pour y faire monter cinq poissons dans les années futures !

Le saumon est l’une des premières espèces qui ait fait l’objet d’un plan, et c’est un exemple révélateur de l’attention qu’il faut porter aux problèmes de gouvernance, d’acceptation par tous les partenaires, de mobilisation des financements adéquats. Pour les autres espèces, les problèmes, et donc les méthodes, sont à peu près les mêmes. Si nous avons du mal à atteindre les objectifs pour cause d’avis divergents, c’est parce que nous avons, me semble-t-il, perdu l’équilibre entre le politique et le technique. Les premiers projets étaient très politiques, mais pâtissaient souvent d’une méconnaissance technique ; heureusement, la recherche est venue ensuite apporter de nombreux enseignements. Aujourd’hui, le phénomène est inverse : la technique est prépondérante, mais la voix politique ne se fait plus entendre pour fixer clairement les objectifs et les enjeux. Ce serait pourtant le seul moyen de réussir, d’autant que nous ne pourrons de toute façon totalement sauver ces espèces avant un horizon lointain.

M. Jean-Paul Doron. Je m’efforcerai pour ma part de répondre de façon beaucoup large, transversale et globale. La question des poissons migrateurs nous oblige, individuellement et collectivement, à prendre nos responsabilités. Une cohérence politique forte est nécessaire, et peut-être est-il utile, dans certaines instances de gouvernance, de rééquilibrer piliers politique et technique. Je ne suis pas un scientifique ; j’ai ici la prétention de parler comme un politique. Originaire de l’ouest de la France, je m’intéresse à ces questions depuis plus de vingt-cinq ans, et particulièrement à la problématique des fleuves côtiers bretons, avec un enjeu majeur, la baie du Mont-Saint-Michel, où la restauration de la continuité écologique fait grand débat actuellement avec l’effacement de deux barrages EDF sur la Sélune.

Le Grenelle de l’environnement a permis d’avancer, par exemple dans l’Allier, mais nous sommes encore loin de ce qu’il faudrait faire pour restaurer la continuité écologique. Au barrage de Poutès, on aura fait un pas, mais un petit pas pour l’homme, certainement pas pour les poissons migrateurs, puisqu’il sera maintenu à quatre mètres de hauteur et demeurera le point noir de l’axe Loire-Allier ! Or le potentiel de recrutement majeur est en effet situé sur l’Allier, en amont de Poutès : y maintenir un ouvrage « transitoire » ne règlera pas les problèmes de fond. Sans oublier les questions, qui restent posées, des quantités de saumons déversées, du stade de leur développement – alevins, tacons ou smolts – et des lieux de déversement.

La continuité écologique a été introduite par la loi de 2006, mais n’était pas un concept nouveau : elle figurait déjà dans le code de l’environnement, mais ne concernait que les poissons et l’obligation de faciliter leurs déplacements et les migrations des populations – autrement dit leur montaison comme leur dévalaison.

L’effacement, contrairement à ce que les gesticulations de certains acteurs socio-économiques voudraient laisser croire, ne doit pas rester l’ultime solution. Nous devons désormais nous interroger – et je le sais bien, comme administrateur d’une agence de l’eau – sur l’efficacité de chaque euro investi dans la restauration de la biodiversité et des populations de poissons migrateurs, mais plus généralement dans la réalisation des objectifs de la directive cadre « eau » (DCE), dont le non-respect expose la France à de lourdes amendes. Ce n’est pas seulement une question de moyens ; nous sommes également soumis à une obligation de résultats. Or, de ce point de vue, l’effacement d’un ouvrage doit être apprécié au niveau transversal, pour ce que la restauration de la continuité écologique apporte à la biodiversité et aux poissons migrateurs évidemment, mais également pour ces effets en termes de gestion qualitative et quantitative de la ressource en eau.

Je parle ici en homme de terrain, qui mouille la chemise avec ses collaborateurs : nous essayons systématiquement de dialoguer avec tous les acteurs. Nous pouvons comprendre le désarroi de certains petits propriétaires d’ouvrages : les conséquences financières peuvent être lourdes. Mais ces obligations d’effacement ou d’aménagement découlent d’obligations réglementaires liées à une autorisation délivrée à un moment donné. Contrairement à ce que l’on veut laisser croire, l’effacement n’est pas systématiquement la réponse privilégiée ; la loi elle-même prévoit des dispositions de diverses natures pour restaurer la continuité écologique. Un effort de pédagogie, local et national, est indispensable.

Pour ce qui est de l’anguille, une civelle ne fait pas le printemps. Certes, le taux de recrutement des civelles s’améliore depuis trois ans. Mais le rapport du comité scientifique, technique et économique de la pêche rappelle que ce taux peut rapidement chuter à nouveau, et le niveau de remontée des civelles est « largement inférieur à l’optimum de recrutement de référence des années quatre-vingt ». Si l’on examine les populations d’anguilles de manière globale, dans les eaux douces et sur le plateau continental, la situation n’est pas brillante. Un rapport de la Commission européenne daté du 21 octobre dernier rappelle, reprenant les constatations du CIEM (Comité international pour l’exploration de la mer), que « le statut du stock d’anguilles se trouve toujours dans un état critique » et que « des mesures urgentes s’imposent ». Il ajoute que l’on a constaté « une augmentation du taux de recrutement annuel de civelles, passant de moins de 1 % à 1,5 % en mer du Nord et de 5 % à 10 % dans les autres zones au cours des deux dernières années. Cette hausse doit toutefois être mise en perspective historique et n’a pas d’incidence sur les taux d’échappement des anguilles adultes à court terme ». Le plan de gestion de l’anguille, adopté en 2010, a défini des ouvrages prioritaires, notamment hydroélectriques. Dans certains bassins, on a agi, mais dans d’autres, on n’a encore rien fait, et particulièrement dans le bassin de la Loire ! On peut, comme simple citoyen, comme citoyen engagé et militant comme je le suis, se poser des questions face à la multiplication des recours, et à l’absence d’intervention locale des pouvoirs publics.

La meilleure des passes à poissons, c’est celle qui n’existe pas ! Il faut savoir qu’en Basse Normandie, où des investissements importants ont été réalisés, à peine 30 % des presque 900 ouvrages installés sont entretenus et efficaces. Il existe d’autres possibilités ; tout doit se faire au cas par cas.

M. Martin demandait un meilleur équilibre entre technique et politique. Mais qu’entend-on par politique ? Comme élu associatif, je me place résolument du côté du politique. Nous sommes présents dans de nombreuses instances : Commission de gestion locale de l’eau, Comité de gestion des poissons migrateurs, Comité de bassin, conseil d’administration des agences de l’eau… Nous y siégeons aux côtés des acteurs économiques, mais aussi des responsables politiques, d’ailleurs largement majoritaires dans ces instances. Beaucoup d’actions en faveur des poissons migrateurs ont été intégrées dans les SDAGE, ce qui a d’ailleurs provoqué des discussions si virulentes que certains projets de SDAGE n’ont pas été adoptés. C’est d’autant plus regrettable – et de ce point de vue, la responsabilité est partagée – qu’il est plus que jamais nécessaire de parler à l’opinion publique de ces sujets difficiles que sont la qualité de l’eau et les poissons migrateurs.

La loi fixe une nouvelle composition des commissions relatives au milieu naturel aquatique de bassin, qui ont un rôle consultatif sur les orientations des SDAGE : le rééquilibrage a été effectué. Mais comment faire venir les élus dans ces instances, qu’ils ne jugent sans doute non prioritaires ? Nous souffrons de leur absence, alors que les représentants associatifs, les scientifiques, les techniciens sont très mobilisés. Il en va de même pour les comités de gestion des poissons migrateurs. Avant d’imaginer une nouvelle gouvernance, commençons donc par dresser un état des lieux et par identifier les problèmes.

Sur la reconstruction d’ouvrages, les associations que je représente sont empêtrées au quotidien dans le débat sur la pertinence du maintien, voire de la reconstruction, de certains ouvrages. Le barrage des Plats, dans la Loire, était censé servir à l’alimentation en eau potable des populations. Les travaux de reconstruction avaient été arrêtés par la justice, mais les élus s’évertuent à vouloir passer en force. Bel exemple de reconstruction qui ne se justifie absolument pas !

La France a fait le choix politique de la continuité écologique, sur des bases scientifiques et techniques. Mais il y a aujourd’hui un problème de cohérence des politiques publiques – cohérence des contrôles mais aussi de la réglementation. Aujourd’hui, on achète la paix sociale en autorisant des engins de pêche de plaisance en mer qui sont détournés de leur usage pour cibler les migrateurs, remettant ainsi en cause la conservation des espèces : c’est le cas dans la baie du Mont-Saint-Michel, que je connais bien. On peut donc se poser des questions.

Je ne peux oublier de mentionner l’axe Allier. L’enjeu principal, c’est la restauration des habitats. La pêche n’est pas le pire danger pour les poissons migrateurs, elle ne doit surtout pas devenir la variable d’ajustement. La pêche fait partie de notre culture et de notre patrimoine ; elle contribue à entretenir notre environnement. Il faut la défendre.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mesdames, messieurs, nous vous remercions pour ces interventions passionnantes et ces échanges de qualité.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 25 novembre 2014 à 16 h 45

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Alexis Bachelay, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Michel Heinrich, M. Jacques Krabal, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou

Excusés. - Mme Sylviane Alaux, Mme Chantal Berthelot, M. Guillaume Chevrollier, M. Christian Jacob, M. Franck Marlin, M. Bertrand Pancher, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville