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Mercredi 3 décembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 19

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition, ouverte à la presse, de MM. Bernard Deflesselles, Jérôme Lambert et Arnaud Leroy, rapporteurs au nom de la commission des affaires européennes de la mission d’information sur les négociations internationales relatives au changement climatique

– Information relative à la Commission

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu MM. Bernard Deflesselles et Jérôme Lambert, rapporteurs au nom de la commission des affaires européennes de la mission d’information sur les négociations internationales relatives au changement climatique

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Aujourd’hui, nous auditionnons nos collègues, MM. Bernard Deflesselles et Jérôme Lambert, rapporteurs, au nom de la commission des affaires européennes, de la mission d’information sur les négociations internationales relatives au changement climatique. Je vous prie d’excuser l’absence de M. Arnaud Leroy, retenu à Saint-Nazaire par les Assises de l’économie de la mer.

C’est la première fois que, sous la XIVe législature, nous auditionnons Bernard Deflesselles et Jérôme Lambert, leur dernière audition remontant au 22 novembre 2011.

Votre rapport, messieurs les rapporteurs, a été présenté mardi 25 novembre devant la commission des affaires européennes. Rappelant que le cinquième rapport du Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC) nous condamne à agir contre le réchauffement climatique, vous faites le bilan des négociations actuelles et présentez les enjeux des prochaines conférences des parties (COP) sur le climat qui se tiendront à Lima cette année (COP 20) et à Paris en décembre 2015 (COP 21).

Nous serons également attentifs à votre appréciation du rôle de l’Union européenne et à sa mobilisation : c’est en effet l’Union européenne qui négocie pour la France dans le cadre de ces négociations internationales.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Monsieur le président, c’est effectivement la deuxième fois que vous nous auditionnez, mais Jérôme Lambert et moi-même en sommes à notre sixième rapport sur le sujet… Nous avons également participé à de nombreuses COP.

Le GIEC est un réseau international de 800 scientifiques qui travaillent depuis vingt ans sur la question du réchauffement climatique, sur laquelle ils ont publié quelque 20 000 notes. Le GIEC comprend des économistes, des biologistes, des glaciologues et un grand nombre de scientifiques de toutes spécialités. Son président est M. Pachauri, un Indien, que M. Lambert et moi-même avons rencontré il y a quelques années et qui continue de porter la bonne parole sur le sujet.

C’est le cinquième rapport du GIEC. Je le commenterai en mettant en valeur différents chiffres.

Premier chiffre : 95 %. C’est le taux de certitude que le réchauffement climatique a pour origine l’activité humaine. Dans l’avant-dernier rapport du GIEC, publié en 2007, ce taux n’était que de 66 % : au fil des rapports, le GIEC conforte donc sa certitude en la matière, ce qui permet de tordre le cou aux arguments des climato-sceptiques. Nous en avons rencontré bon nombre, notamment aux États-Unis, où les représentants du lobby pétrolier du Texas s’évertuent à nous expliquer que le réchauffement climatique n’est évidemment pas dû à l’activité humaine – autrement dit, que nous sommes à côté de la plaque.

Deuxième chiffre : 4,8 degrés. C’est la perspective du GIEC d’élévation de la température à la fin du siècle. Une telle élévation serait considérable car elle bouleverserait les problématiques liées à la sécurité sanitaire, aux cultures ou aux déplacements de population, s’agissant notamment des îliens. Il suffit de regarder le trait de côte de la France : il recule. L’équilibre planétaire et l’activité humaine seraient totalement chamboulés par une telle augmentation. Je rappelle qu’en 1990 le GIEC avait avancé le chiffre de trois degrés et en 2007, celui de quatre degrés : progressivement, la prévision s’aggrave et finit par osciller entre quatre et cinq degrés d’élévation, à comparer avec l’augmentation de la température au XXsiècle : 0,85°. La tendance est lourde.

Troisième chiffre : un mètre. C’est la montée possible des océans à la fin du siècle. Elle a été très précisément mesurée au XXsiècle : dix-neuf centimètres. Autrement dit, c’est une augmentation facteur cinq ! Tous ceux qui habitent dans des îles ou près des côtes sont dans une mauvaise passe et doivent s’attendre à des conséquences dramatiques.

Quatrième chiffre : 70 %. C’est la réduction des gaz à effet de serre à laquelle il faut parvenir pour tenir l’objectif de la communauté internationale de maintenir l’élévation de la température à deux degrés, ce qui permettrait de contenir dans les limites supportables les bouleversements dus au réchauffement climatique en matière de cultures, de sécurité sanitaire et de santé publique ou de déplacement des populations.

Je tiens à vous rappeler que les COP se tiennent sous l’égide des Nations unies : il appartient à 195 pays de prendre les décisions nécessaires. Ces conférences ont du reste déjà permis d’engranger quelques résultats plutôt satisfaisants. Une réduction de 70 % est considérable. La décision de l’Union européenne du 24 octobre dernier, qui se substitue à la règle des « 3 fois 20 » de 2009 – baisse de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, 20 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique et 20 % d’efficacité énergétique –, prévoit une baisse de 40 % des émissions, 27 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique et 27 % d’efficacité énergétique. Une fois de plus l’Europe montre la voie et éclaire le chemin, comme elle l’a toujours fait : son accord du 24 octobre n’est pas sans avoir inspiré celui que la Chine et les États-Unis ont récemment signé. La communauté internationale semble s’être décidée à entrer dans un cercle vertueux, même si nous pouvons légitimement nous interroger sur la sincérité des engagements des uns et des autres.

Cinquième et dernier chiffre : 0,06 %. C’est l’impact sur la croissance mondiale des décisions que les Nations unies devront prendre pour remplir l’objectif d’une élévation de la température de deux degrés. Ce chiffre permet de répondre aux propagateurs de mauvaises ondes qui soutiennent qu’un changement du paradigme énergétique contraindrait une croissance déjà bien faible. L’analyse des économistes du GIEC montre que l’effet serait au final négligeable.

Tels sont les cinq chiffres qui résument le rapport du GIEC.

La COP de Varsovie, en 2013, était une COP de transition – il est vrai qu’on le dit de toutes les COP ou presque, comme de celle de Lima qui s’est ouverte lundi, voire de celle de Paris de décembre 2015, qui, souhaitons-le, débouchera sur la signature d’un accord international. La COP de Varsovie a eu le mérite d’établir un calendrier, de donner des perspectives et de réfléchir aux types d’accords juridiquement contraignants auxquels il serait possible d’aboutir – les fameuses règles MRV en termes de mesure, rapportage et vérification. Varsovie a permis de fixer un programme et un calendrier particulièrement serré. Il faut savoir que, pour réussir la COP de Paris de décembre 2015, les feuilles de route de tous les États devront avoir été collectées au plus tard au mois de mai. Il conviendra alors de les traduire puis d’établir à partir d’elles un outil juridique adapté : il faudra en effet définir la nature de l’OVNI juridique qui pourrait être signé à Paris. Pour réaliser ce calendrier, la COP de Lima et la session de négociations de Bonn devront prendre des décisions qui permettent de tracer la route.

M. Jérôme Lambert, rapporteur. Bernard Deflesselles a déjà presque tout dit, comme à son habitude… Mais nous travaillons ensemble depuis longtemps en excellente harmonie. On ne peut malheureusement pas en dire autant des négociations sur le climat, qui ont toujours été difficiles. Toutefois, la communauté internationale a pour objectif de parvenir à Paris, en décembre 2015, à un accord universel crédible, engageant tous les pays du monde, alors que le protocole de Kyoto n’engageait que certains pays développés.

La conférence de Lima prépare le futur accord de Paris en se penchant sur ses diverses composantes. Il est convenu que cet accord devra définir des règles et fixer des points de rendez-vous pour réévaluer et corriger les trajectoires. À cette fin, les États présenteront pour la période qui débutera à compter de 2015 leur contribution nationale à la lutte contre le réchauffement climatique. L’objectif est de rassembler ces contributions avant la fin du premier semestre 2015 pour préparer dans de bonnes conditions la conférence de Paris.

Celle-ci devra établir un plan pour revenir à une élévation de la température de deux degrés Celsius. La trajectoire de ce plan, qui sera partagé par les gouvernements, les collectivités et les entreprises, fera l’objet de rendez-vous quinquennaux visant à s’assurer de son respect.

Sur le plan juridique, l’accord pourra prendre des formes très diverses, qui ne sont pas encore arrêtées. Il pourrait n’être contraignant que sur le plan des procédures, en imposant une obligation de présenter des résultats et de se plier à des mesures de vérification. Il marquerait ainsi une première étape vers la définition de nouveaux objectifs à l’horizon de 2050. Certaines idées émergent : les Brésiliens proposent de classer les pays en cercles concentriques correspondant à l’ampleur de leurs engagements. Dans le cercle intérieur seraient réunis les pays qui s’engagent clairement à réduire leurs émissions – c’est le cas des États membres de l’Union européenne. Le cercle le plus éloigné du centre comprendrait les États qui n’adoptent aucune mesure particulière contre le changement climatique. Au terme de l’accord, chaque pays devrait être incité à se rapprocher du centre : cette idée permet de concevoir la distinction binaire entre pays riches et pays pauvres dans une perspective qui tienne compte des réalités actuelles, qui sont appelées à évoluer.

Parallèlement, l’accord sino-américain semble ouvrir de nouvelles perspectives. La Chine et les États-Unis, qui sont les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, sont parvenus le 12 novembre dernier à un accord visant à réduire leurs émissions – ils totalisent à eux deux 42 % de ces émissions. La Chine, qui est le plus gros émetteur du monde, s’est fixée pour objectif d’atteindre le pic de ses émissions autour de 2030, avec l’intention d’essayer d’y arriver plus tôt. C’est la première fois que ce pays prend un tel engagement. De leur côté, les États-Unis promettent une réduction de 26 % à 28 % de leurs émissions d’ici à 2025, mais en prenant pour référence l’année 2005 et non 1990 comme l’Union européenne. Les promesses des États-Unis sont donc beaucoup moins contraignantes qu’il y paraît : ramené à l’année 1990, l’effort de réduction ne dépassera pas 8 % à 10 %, contre 40 % pour l’Europe.

Le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, a cependant salué cet accord comme une importante contribution au nouvel accord sur le climat qui doit être signé l’an prochain à Paris et a appelé toutes les grandes économies à suivre l’exemple de la Chine et des États-Unis.

Se pose enfin la question du contrôle et de la vérification des engagements pris. Lors de la conférence de Paris, il ne suffira pas de parvenir à un premier accord climatique mondial : encore faudra-t-il s’assurer du respect de leurs objectifs par les États. Je tiens en effet à rappeler que les seuls pays, ou presque, qui aient tenu les engagements qu’ils avaient signés à Kyoto sont les pays européens. Le Japon, le Canada ou l’Australie ont explosé les plafonds sur lesquels ils s’étaient engagés. C’est dire si la question du contrôle et de la vérification est essentielle.

Si le premier objectif est la conclusion d’un accord, le deuxième réside dans l’engagement des États à proposer un plan en faveur du climat pour 2025-2030 qui se décline en différentes politiques : politique climatique, fiscalité pour les États qui recourront à la taxe carbone, marché du carbone, transports publics, innovations technologiques. Pour chaque État seront pris en considération, d’une part, les engagements pris au regard de leurs pairs en matière de réduction des émissions, d’autre part, le corps des politiques déployées.

La conférence de Varsovie est parvenue à baliser le chemin vers la conférence de Paris : la route sera longue et difficile. De nombreuses questions restent encore sans réponse et appellent à un niveau élevé d’engagement politique. Les États sont tous convenus d’un calendrier pour élaborer et soumettre de nouveaux engagements de réduction des émissions, bien en amont de la conférence de Paris, à savoir dès le premier trimestre 2015 pour les parties qui seront prêtes.

Bien que vague, ce calendrier est important, car il envoie un signal fort. Les pays doivent commencer à préparer leur offre pour Paris. Le plus important est que les engagements arrivent suffisamment tôt pour pouvoir être évalués avant la conférence de Paris.

Après la conférence de Lima, se tiendra, en juin 2015, comme c’est l’habitude, une session de négociations à Bonn. De son côté l’ONU organisera en 2015 un sommet visant à déterminer les prochains objectifs du millénaire pour le développement (OMD).

Autre question cruciale, celle du financement de ces politiques. À Copenhague, puis à Cancun, les pays développés s’étaient engagés à verser une aide publique immédiate, dite fast start, de 30 milliards de dollars, de 2010 à 2012, puis à augmenter progressivement ce montant à 100 milliards annuels d’ici à 2020. La crise économique et ses effets ont conduit les pays développés, compte tenu de leurs contraintes budgétaires, à oublier cette promesse. Or les négociations de Varsovie ont montré à quel point le financement était une question essentielle : la première capitalisation du Fonds vert pour le climat devra « atteindre un niveau très significatif », a précisé le texte final adopté à Varsovie, toutefois sans préciser lequel. La réponse précise à cette question devrait être donnée à la conférence de Lima, où cette nouvelle institution décidée en 2009 à Copenhague remettra son premier rapport annuel.

La France a annoncé son intention de contribuer au Fonds vert à hauteur de 1 milliard de dollars sur quatre ans. Il en est de même de l’Allemagne. Plusieurs annonces de pays européens, notamment la Suisse, la Suède, la Norvège, la République tchèque ou encore la Corée du Sud, ont porté le montant global des engagements à quelque 3 milliards de dollars. Le 15 novembre dernier, le président des États-Unis a promis en marge du G20 de Brisbane une contribution de 3 milliards de dollars. De son côté le Japon en a annoncé une de 1,5 milliard. Le Royaume-Uni devrait faire de même. Le Canada en a également annoncé une, sans toutefois avancer de chiffre.

L’objectif annoncé d’obtenir 10 milliards de dollars avant la fin de l’année semble donc en passe d’être atteint. Reste qu’il faudra en trouver dix fois plus dans quelques années, et pas seulement du côté des seuls États ; les entreprises notamment devront contribuer au Fonds vert.

La protection du climat et la croissance économique peuvent aller de pair, comme l’a rappelé Bernard Deflesselles. La tentation est récurrente en effet de réduire les financements destinés à lutter contre le changement climatique en raison de la crise économique. Le dernier rapport de la Commission mondiale pour l’économie et le climat, intitulé « Une meilleure croissance, un meilleur climat », démontre qu’il est dès à présent possible de réduire les émissions de carbone tout en améliorant les performances économiques.

Bernard Deflesselles et moi-même suivons depuis six ans les différentes étapes des négociations sur le climat. Nous avons établi de nombreux contacts et rencontré des parlementaires et des membres de gouvernements du monde entier, de façon à comprendre autant les mécanismes qui permettent de réaliser des progrès que ceux qui bloquent les négociations. Notre rapport a pour but de vous informer de l’état d’avancement des enjeux. Nous nous rendrons à Lima la semaine prochaine.

Mme Sophie Errante. Nous vous remercions pour cette excellente présentation. Nous partageons l’urgence climatique pour un avenir durable de la planète au bénéfice des citoyens d’aujourd’hui et des générations futures. Plusieurs d’entre nous partiront également à Lima la semaine prochaine.

Pensez-vous que nous pouvons encore maintenir auprès des populations l’espoir d’un réchauffement climatique limité à deux degrés ?

La conférence sur le climat de Lima s’est ouverte lundi dernier : 195 délégations du monde entier ont deux semaines pour fixer un cadre pour l’accord mondial de 2015. Quels sont à vos yeux les éléments qui permettront de juger du succès ou de l’échec de la conférence ? Ne trouvez-vous pas inquiétant que le Pérou ait récemment remis en question plusieurs de ses engagements visant à réduire ses émissions, parce que ce pays oppose cette réduction à son développement économique ? Quels leviers pouvons-nous mettre en valeur pour convaincre que la croissance économique peut être durable ?

Nous nous sommes récemment réjouis de l’accord inattendu entre la Chine et les États-Unis sur le climat : que vous inspire-t-il ? Pouvons-nous espérer qu’il aura un impact positif sur les négociations de Lima et qu’il poussera les grands pays émergents à afficher des objectifs plus ambitieux ?

Ne pensez-vous pas que les délais annoncés par la Chine pour la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre sont trop tardifs, compte tenu notamment de leurs répercussions en matière de santé publique et d’effets météorologiques majeurs ? Comme les conférences de l’ONU l’ont souvent rappelé, plus particulièrement à Mexico, ne rien faire et continuer notre développement mondial sur le même modèle qu’aujourd’hui coûtera finalement plus cher que le financement d’un verdissement de l’économie mondiale. Pensez-vous que les enjeux sanitaires et économiques tels que la qualité de l’air, les problèmes liés à l’eau, l’acidification des océans ou la production alimentaire soient assez présents dans les négociations internationales ?

S’agissant des promesses récentes en matière de financement, le Japon a évoqué des aides à la carte : les contributeurs pourraient choisir le pays ou la zone géographique auxquels seraient reversées leurs contributions. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, les négociations sur le climat ne s’arrêteront pas à la conférence de Paris en 2015. Il faudra mettre en œuvre les engagements pris et contrôler que chaque État respecte ses promesses. Sous quelle forme un tel contrôle pourrait-il s’exercer ? Plus généralement, que pouvez-vous nous dire sur les négociations et les discussions sur l’après 2015 ?

M. Jean-Marie Sermier. Je salue l’excellent travail de nos rapporteurs, et la qualité de cette présentation. Il ne s’agit pas de faire un catalogue à la Prévert des questions qui se posent à l’avenir de la planète, mais de s’en tenir à quelques réflexions.

Le temps des climato-sceptiques est peut-être fini. Je me souviens de cet ancien ministre de l’éducation nationale qui remettait en cause, sinon le changement climatique, du moins l’origine humaine du changement climatique… Un taux de certitude de 95 % ne peut que marquer les esprits. Peut-être reste-t-il une part à imputer à l’activité solaire, mais quoi qu’il en soit, l’anthropisme est de mise !

Un réchauffement de 4,8 degrés à l’horizon 2100 a de quoi faire peur. Tous les enfants qui naissent aujourd’hui connaîtront cette élévation maximale si nous ne faisons rien. Chacun d’entre nous peut observer la traduction du dérèglement climatique dans les catastrophes climatiques que subit la France notamment. Certes, on ne saurait faire de lien aussi précis, mais force est de reconnaître que le nombre et la gravité des catastrophes climatiques sont croissants. L’élévation d’un mètre du niveau des mers modifiera le littoral et provoquera la disparition d’îles, qui seront les premières touchées.

Nous savons tous que l’énergie est nécessaire et que les émissions de gaz à effet de serre vont croissant : plus 2,3 % en 2013 par rapport à 2012. On a souvent dit que si la Chine était un gros émetteur de gaz à effet de serre, c’est parce que sa population était nombreuse ; mais il est désormais établi que chaque Chinois, pris individuellement, émet plus de CO2 qu’un Européen, parce qu’on n’a pas pris à temps les mesures nécessaires.

Le pragmatisme est nécessaire. S’il faut recourir aux énergies nouvelles, ne doit-on pas également rouvrir tranquillement le dossier du nucléaire, même si l’on en sait la difficulté ? Ne convient-il pas non plus d’améliorer le stockage du CO2 émis par les centrales à charbon ? Il y a un mois s’est ouverte au Canada une des toutes premières centrales dans l’État du Saskatchewan qui récupère 90 % du CO2 émis, soit l’équivalent d’un million de tonnes par an. C’est une vraie réussite technologique. En France, la centrale thermique du Havre réfléchit au même procédé : qu’en pensez-vous ? Ne devrions-nous pas adopter sur le sujet de l’énergie une position consensuelle pragmatique ?

M. Bertrand Pancher. Sur le plan mondial, il faut effectivement souligner les engagements des grands blocs émetteurs de gaz à effet de serre : Chine, États-Unis et Union européenne, même s’il faut s’interroger sur leur matérialité. En effet, si l’Union européenne respecte plutôt bien les siens, quid de la réalité des engagements des États-Unis et de la Chine ?

Jérôme Lambert a rappelé les objectifs de Lima : la fixation du contenu des contributions dans le courant de l’année 2015 ; l’adoption d’une première version du texte des négociations de la conférence de Paris ; la montée en puissance des 100 milliards du Fonds vert. Formons le vœu que la conférence de Lima permette d’avancer dans cette voie ; reste que la question de la gestion des contraintes continuera de se poser.

On n’évoque jamais celle de la régulation des échanges : avez-vous le sentiment qu’elle avance, alors que la gestion du système d’échange de quotas d’émission de CO2 – appelé système ETS – a perdu de sa puissance en Europe ? Je note que si la Corée y est encore présente, l’Australie s’en est d’ores et déjà retirée.

Sur le plan européen, l’Union a consenti des efforts très sensibles. M. Herman van Rompuy a souligné, avant de quitter son poste de président du Conseil européen, qu’il existait encore des marges de manœuvre en termes de négociations. Qu’en pensez-vous ?

Suer le plan national, notre pays s’est toujours distingué en incarnant des modèles : la classe politique pourrait-elle au moins s’entendre sur la nécessité de poursuivre les efforts dans le domaine de la fiscalité du carbone, ne serait-ce que pour mieux réguler nos propres échanges ? Peut-être serait-il utile, monsieur le président, de créer une mission parlementaire sur le sujet.

Mme Laurence Abeille. Une seule question très simple : la question de l’élevage industriel fait-elle partie des priorités des négociations sur le climat ? Je ne le pense pas. C’est d’autant plus dommage qu’on estime à 18 % la part de l’élevage industriel dans les activités humaines responsables du réchauffement climatique. Qu’en pensez-vous ?

M. Jacques Kossowski. Nous avons appris le 20 novembre dernier à Berlin que le Fonds vert pour le climat, piloté par l’ONU, a levé 9,3 milliards auprès d’une trentaine de pays considérés comme riches – on peut se demander s’ils le sont toujours. Rappelons que ce fonds est chargé de financer la lutte contre le réchauffement climatique dans les pays du sud. Même si nous sommes encore loin des 100 milliards de dollars prévus à compter de 2020, l’abondement de ce fonds fera-t-il l’objet de nouvelles discussions à Paris en 2015 ? N’est-il pas regrettable que ce ne soit pas l’Union européenne qui contribue directement à ce fonds, plutôt que quelques États membres en ordre dispersé ?

M. Jean-Yves Caullet. Le rapport à plusieurs reprises aborde la question du modèle forestier – dont on sait l’influence incontestable sur le cycle du carbone – sous ses différents angles, particulièrement ceux de la déforestation et de l’utilisation de la ressource.

Quel espoir raisonnable peut-on mettre dans l’évolution des différents modèles forestiers dans le monde en vue de parvenir à un cycle de carbone vertueux, au regard notamment des fonctions de fixation et de substitution ? La France sait exploiter la forêt sans déforester. D’autres pays au contraire déforestent à tout va, mais l’utilisent mal. Il est important de ne pas se tromper de combat. Il faudrait faire progresser, par exemple, l’exploitation du bois dans le bassin du Congo – je vous signale sur le sujet le dernier numéro de la revue de l’IGN, particulièrement intéressant à cet égard. Comment investir pour faire évoluer les modèles insuffisamment performants et pour maintenir au regard de l’adaptation climatique ceux qui le sont aujourd’hui mais qui pourraient l’être moins demain compte tenu de l’élévation de la température ?

L’investissement doit-il venir du Fonds vert et dans quelle proportion, ou du marché du carbone et selon quel retour ?

S’agissant de la France, la forêt demande peu, elle donne beaucoup : aura-t-elle sa part dans les propositions qui seront faites ?

M. Yannick Favennec. L’accord européen du 24 octobre dernier a fixé des engagements chiffrés ambitieux dans la perspective de la conférence de Paris de 2015. Toutefois, ces objectifs non contraignants seront-ils tenus ? Quel système de sanctions est-il prévu pour les pays qui ne respecteraient pas leurs engagements ?

M. Guillaume Chevrollier. La presse a qualifié d’historique l’accord entre les États-Unis et la Chine. Or ces deux pays ont fortement augmenté leurs émissions de CO2 depuis 1990, année de référence des autres pays. En prenant 2005 pour référence, les États-Unis et la Chine faussent sciemment les comparaisons. Qui plus est, ils sont par principe hostiles à tout contrôle. Dès lors, quel crédit accorder à leurs engagements ?

Les pays en voie de développement attendent un engagement financier considérable des autres pays en vue de financer leurs investissements en faveur du climat : or l’espoir de réunir 100 milliards de dollars, à l’heure où ces pays, dont le nôtre, connaissent des difficultés budgétaires, semble menacé. Quid du financement des ambitions affichées en matière de changement climatique ? N’y aura-t-il pas, une fois de plus, un décalage entre les paroles et les actes ?

Mme Geneviève Gaillard. Je remercie nos rapporteurs pour leur présentation et je rejoins les questions de mes collègues. Mais quid de la lutte de la pauvreté dans ces négociations particulièrement importantes ?

Chacun sait que les pays en voie de développement, notamment africains, ne pourront pas répondre aux objectifs fixés s’ils ne bénéficient pas d’une aide au développement digne de ce nom. La forêt primaire indonésienne a disparu, la forêt primaire africaine est largement entamée, la forêt amazonienne fait l’objet de convoitises, à la fois pour des raisons économiques et pour des raisons vitales. Tant que ces questions ne seront pas pris en compte dans les négociations, les problèmes posés, COP après COP, par la lutte contre le changement climatique resteront sans solution – on le voit depuis le protocole de Kyoto.

M. Jean-Pierre Vigier. La France et l’Europe, qui réalisent des efforts importants pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ne représentent qu’une petite partie du monde. La Chine et les États-Unis ont signé un accord historique sur le climat : quelle sera son efficacité et surtout comment sera-t-il appliqué ? Quels seront les moyens de contrôle ?

Alors que les financements se raréfient, le Fonds vert pour le climat aura-t-il les moyens suffisants pour lutter efficacement contre les émissions de gaz à effet de serre ?

M. Robert Olive. Je remercie nos trois rapporteurs pour ce travail particulièrement instructif. Mon département des Pyrénées-Orientales a vécu à la fin de la semaine dernière un désastre sans nom, qui a fait grandir l’inquiétude de la population à l’égard du changement climatique. Les intempéries que nous avons subies ne sont pas nécessairement dues au seul dérèglement climatique, et nous n’avons pas attendu de voir s’abattre ces trombes d’eau pour nous inquiéter pour l’avenir d’un territoire comme le pays catalan, qui mêle zones urbaines, périurbaines, rurales et montagneuses. Les citoyens se sentent désormais directement concernés : ils attendent une action forte, non seulement au plan mondial mais également au plan national. Ils veulent des solutions concrètes.

Le Président de la République et la ministre de l’écologie ont annoncé pour la France une grande ambition pour le climat : c’est pourquoi nous attendons beaucoup de la COP de 2015 qui se tiendra à Paris. Pensez-vous que la voix de la France sera entendue dans les négociations, notamment dans sa volonté novatrice d’accorder une plus grande place à la société civile et d’inclure toutes les parties prenantes dans la montée en puissance des énergies positives – collectivités, associations, entreprises et citoyens ?

M. Gilles Savary. Je veux remercier nos trois collègues pour leur excellent travail, qui nous permet d’actualiser notre connaissance d’un dossier particulièrement compliqué. Nous devons constater les progrès réalisés en matière de lutte contre le changement climatique, y compris dans les esprits. Chacun a désormais conscience de l’existence d’un problème climatique. C’est pourquoi nous pouvons nous montrer optimistes, s’agissant de la mobilisation de la communauté internationale. Quand on sait d’où ils viennent, l’accord entre les États-Unis et la Chine est encourageant.

J’observe toutefois que nous sommes entrés dans un cycle de désalignement des objectifs fixés : le prix des énergies fossiles diminue et tout montre que les prédictions apocalyptiques sur le peak oil et leur raréfaction à court terme étaient à l’évidence largement prématurées. L’accès à l’énergie fossile continuera d’être aisé pendant de très nombreuses années, d’autant que les pôles ne sont pas encore exploités. Les Russes, qui ne cessent d’y mettre leurs petits drapeaux, devinent les réserves qu’ils renferment. Comment dès lors amener les motoristes à concevoir des moteurs propres à coup d’investissements massifs alors qu’ils peuvent se contenter de vendre à bas coût des voitures qui consomment moins, assurément, mais qui roulent toujours avec des moteurs thermiques ?

La transition énergétique sera d’autant plus difficile à négocier en raison de ce désalignement des objectifs. Lutter aujourd’hui contre les émissions de gaz à effet de serre revient à nous pénaliser au plan énergétique si nous ne développons pas des options très fortes en matière d’énergies ou de technologies alternatives. Qu’en pensez-vous ?

Vous avez parlé des efforts à consentir pour réduire à deux degrés l’élévation de la température : ces efforts prennent-il en compte l’augmentation de la population mondiale ? Sait-on faire la part de l’activité humaine, développement compris, et celle des grands cycles cosmiques – la nature a toujours connu de grandes périodes de réchauffement et de refroidissement ?

Mme Sophie Rohfritsch. Que pensez-vous de l’organisation des pays par blocs ? En effet, certains pays, qui faisaient partie du groupe des pays en voie de développement, comme les Philippines, ont été évincés de ce groupe en raison de la position qu’ils avaient prise au cours de la dernière COP. Celle-ci visait à faire admettre que la responsabilité du changement climatique devait essentiellement peser sur l’Europe et l’Amérique du Nord, dans l’objectif de leur faire payer les dommages les plus importants. L’Europe et l’Amérique du Nord auraient fait pression pour obtenir l’exclusion des Philippines du bloc des pays en voie de développement, ce qui émeut une grande partie de ces États et pourrait compromettre leur adhésion aux négociations à venir. Or celle-ci est nécessaire pour garantir l’efficacité des décisions que les COP prendront. Quels éclaircissements pouvez-vous nous apporter sur le sujet ?

M. Laurent Furst. Alors que la Terre va assez rapidement passer de 7 milliards d’habitants à 9 milliards, seuls 1,5 milliard d’hommes vivent à l’occidentale. Or l’aspiration de tous est de parvenir à un meilleur niveau de vie, ce qui entraînera inévitablement une augmentation de la consommation d’énergie, et singulièrement des énergies fossiles. On ne freinera pas l’évolution démographique, et pas davantage le désir de vivre mieux sur quelque continent que ce soit. Dans ces conditions, la seule solution reste de faire progresser et de généraliser la technologie, ce qui suppose l’utilisation massive de capitaux dans l’ensemble de la planète.

Il est donc essentiel de réfléchir à la question de la mobilisation des moyens, notamment au profit de ceux qui n’en ont pas, sachant que même les pays les plus développés sont aujourd’hui confrontés à un problème de ressources pour financer leur transition énergétique. Il nous faut donc, pour pouvoir résoudre un problème de nature écologique, préalablement résoudre un problème de nature économique. A-t-on une vision générale de cette problématique ?

M. Julien Aubert. La baisse des prix du pétrole et la révolution du gaz de schiste modifient assurément le coût des efforts à fournir pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il existe toutefois un autre coût, celui des grandes transactions internationales : dix années pour arriver, peut-être, à un accord, c’est long. C’est pourquoi il est nécessaire de songer à la flexibilité de l’accord qui pourrait être signé, afin qu’il puisse s’adapter aux évolutions économiques.

Chacun sait en effet que non seulement les émissions de CO2, mais également l’ordre des puissances peuvent évoluer considérablement. Plusieurs pays dont le poids économique est pour l’heure négligeable deviendront peut-être des géants ou des dragons dans vingt ou vingt-cinq ans. C’est pourquoi l’accord devra être suffisamment flexible pour lui permettre de s’adapter à de telles évolutions afin de ne pas avoir à se lancer de nouveau dans cet effort gigantesque de concertation, qui exige beaucoup de temps. Quelle marge de flexibilité l’accord pourrait contenir ?

Par ailleurs, la question des réfugiés climatiques est-elle incluse dans les négociations ? Elle ne peut que s’aggraver, plusieurs îles étant déjà menacées ; on s’en inquiète même sur notre territoire national. Elle aura de surcroît un impact économique non négligeable.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Chacun le reconnaît : pour lutter contre le réchauffement climatique, l’objectif est bien de décarboner nos économies, ce qui implique d’émettre un signal-prix, qui concerne en particulier les énergies fossiles. Or la baisse du prix du baril de pétrole va exactement dans le sens inverse ; il est d’autant plus urgent aujourd’hui de donner un prix au carbone.

Cette question fait partie des négociations internationales : lors du sommet organisé par M. Ban Ki-moon aux Nations unies, la nécessité de donner un prix au carbone s’est imposée. Dans ce domaine également, il va falloir progresser.

M. Jérôme Lambert, rapporteur. Vos questions montrent que vous connaissez bien le sujet et que vous mesurez les grands problèmes qui se posent au monde. M. Deflesselles et moi ne pouvons pas nous substituer aux dirigeants de cette planète ; aussi nous contentons-nous de vous rappeler les mesures qu’il faudrait prendre et que, du reste, vous connaissez déjà.

Notre objectif commun est de ne pas laisser à nos enfants une planète sur laquelle il sera plus compliqué de vivre qu’aujourd’hui. Il faut prendre conscience que l’élévation de 4,8 degrés à la fin du XXIsiècle ne sera qu’un maximum provisoire : cinquante ans après, la température aura encore grimpé !

Un chercheur du GIEC nous avait un jour confié que, lors de la dernière grande période de glaciation, au temps des mammouths, lorsque la calotte glaciaire descendait jusqu’au Danemark et les neiges éternelles en dessous de huit cent mètres en France, la température moyenne du globe n’était inférieure que de quatre degrés à ce qu’elle est aujourd’hui. On imagine dès lors les effets dévastateurs sur l’équilibre du monde d’une élévation de quatre degrés.

Je me rappelle un parlementaire américain, membre du parti républicain, que nous avons rencontré en 2007, un an avant l’élection d’Obama. Le réchauffement climatique, nous expliquait-il dans son bureau du Congrès, n’était pas un problème : quand il avait trop chaud, il augmentait la climatisation !

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Il avait même ajouté à notre adresse : « Et puisque vous, les Français, vous croyez au réchauffement climatique, quand vous aurez un problème, venez dans mon ranch du Texas, vous serez à l’abri des eaux ». C’était le climato-sceptique par excellence, évidemment lié au lobby pétrolier texan.

Vos questions étaient extraordinairement variées. Je commencerai à y répondre en reprenant quelques chiffres.

Depuis la révolution industrielle de 1850, autrement depuis plus de cent cinquante ans, tout le progrès économique a reposé sur l’énergie. Or l’énergie dont on dispose est carbonée, qu’il s’agisse du charbon, du pétrole ou du gaz et 80 % à 85 % de cette énergie nous sert à faire tourner l’économie mondiale.

Les chiffres sont têtus. En 1940, la Terre abritait 2 milliards d’habitants. Elle en compte aujourd’hui plus de 7 milliards. En soixante-dix ans, la population mondiale a été multipliée par 3,5, et tous les chercheurs prévoient 9 milliards d’habitants en 2050. La préemption humaine sur les ressources de la planète, qu’on le veuille ou non, est indéniable. Si vous ajoutez au poids de l’énergie carbonée dans le développement économique celui de l’évolution démographique, vous avez les termes principaux de l’équation à résoudre.

Certes, l’accord de l’Union européenne du 24 octobre est, assurément, un bon accord, puisqu’il se substitue à la règle dites des « trois fois vingt ». J’apporterai toutefois un bémol : il fixe peu de contraintes. La seule qui pèse à la fois sur les États membres et sur l’Union européenne dans son ensemble concerne la baisse de 40 % des émissions de CO2. En revanche, pour ce qui est des 27 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique, la contrainte ne concerne que l’Union. Enfin, s’agissant des 27 % d’efficacité énergétique, aucune contrainte n’a été prévue, ni au niveau des États, ni au niveau de l’Union européenne.

L’Union européenne n’en a pas moins toujours été en pointe, durant les dix ou quinze dernières années, pour négocier des accords de lutte contre le changement climatique. C’est la raison pour laquelle l’accord du 24 octobre est important : il donne un signal.

Et pour ce qui est de l’accord entre la Chine et les États-Unis, « accord historique » comme le titre Le Monde, l’emballement est un peu rapide !

M. Jérôme Lambert, rapporteur. L’accord est historique, soit, mais son contenu beaucoup moins…

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Les États-Unis s’engagent à réduire de 26 % à 28 % leurs émissions de CO2 d’ici à 2025, un engagement qui pourrait sembler comparable à celui de l’Union européenne. Ce serait oublier que les États-Unis prennent pour référence leurs émissions en 2005 et non en 1990 comme l’Union européenne. Or entre 1990 et 2005, à savoir en quinze ans, les émissions de CO2 ont très fortement augmenté. Ramené à 1990, l’effort réalisé par les États-Unis ne sera que de 8 % à 10 %, alors que, dans le même temps, ou presque, celui de l’Union européenne aura été de 40 %. L’ambition des États-Unis est donc relativement « petit bras ».

M. Jérôme Lambert, rapporteur. D’autant que les États-Unis représentent 20 % du total des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, et l’Europe seulement 12 %.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. De son côté, la Chine a annoncé qu’elle ne réduirait pas ses émissions avant 2030, mais seulement que son pic d’émission se situerait en 2030. Autrement dit, entre 2015 à 2030, les émissions chinoises de CO2 continueront d’augmenter.

M. Jérôme Lambert, rapporteur. Sans compter qu’elle n’a pas précisé à quel rythme elles augmenteraient : or celui-ci pourrait se révéler très important.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. C’est pourquoi évoquer un « accord historique » peut sembler quelque peu précipité.

Je tiens à rappeler que 20 millions de voitures se sont vendues en Chine en 2013 contre moins de 2 millions en France. Les Chinois aspirent évidemment au même développement que celui des pays industrialisés ; on ne saurait les en empêcher. Mais, alors que seul le transfert technologique permettrait de répondre à leur aspiration, à laquelle personne ne peut s’opposer, il demeure le grand absent des différents accords et protocoles signés depuis Kyoto. C’est d’autant plus dommage que le transfert technologique pourrait compenser une partie des désagréments dus à l’augmentation des émissions de CO2.

Le Fonds vert est un outil de financement désormais opérationnel. Comme Jérôme Lambert l’a rappelé, son lancement avait été accompagné d’une capitalisation fast start, un « départ rapide », à hauteur de 30 milliards de dollars. L’opération s’était plutôt bien passée, les États l’avaient abondée sans trop de difficulté. Avec l’extinction de ces financements fast start, la situation est devenue beaucoup plus compliquée Le Fonds vert, basé en Corée, est désormais à disposition des États ; il a un conseil d’administration, une présidente ; bref, l’outil est là. Malheureusement se pose la question de ses moyens. Il était prévu qu’il repose, en vue de provoquer un effet de levier, à la fois sur des fonds publics et des fonds privés. Il n’a réuni à l’heure actuelle que 9 milliards de dollars de fonds publics, contre les 100 milliards prévus d’ici à 2020, à savoir 10 % de l’objectif fixé. Il reste certes encore un peu de temps, mais tous les acteurs doivent se mobiliser. Il est prévu que des appels à cotisation soient lancés au second semestre de 2015. Mais c’est comme dans toutes les associations : les adhérents mettent toujours un certain temps à répondre. N’oublions pas que l’argent reste le nerf de la guerre.

M. Jérôme Lambert, rapporteur. Et la question reste posée de savoir où ira l’argent du Fonds vert. Il appartiendra au conseil d’administration d’arrêter les priorités.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Cela étant, pourquoi l’accord entre la Chine et les États-Unis, même s’il n’est qu’une première marche, est-il très important ? Parce que, à eux deux, ces deux pays émettent 42 % des gaz à effet de serre – 28 % pour la Chine et 14 % pour les États-Unis, contre 12 % pour l’Union européenne. La Chine émet sept tonnes de CO2 par habitant, à multiplier par 1,5 milliard ! La France en émet cinq tonnes, à multiplier par 65 millions. Quant aux Américains, ils émettent plus de seize tonnes par habitant, à multiplier par 300 millions. Il ne saurait donc y avoir d’accord international digne de ce nom si la Chine et les États-Unis ne le signent pas. Le protocole de Kyoto avait été un premier pas, mais ils ne l’avaient pas signé. L’objectif de la COP de Paris est de réunir le maximum d’États, les 195 si possible, pour arriver à un accord robuste et qui couvre une très grande partie de la planète. Ce sera la seule façon de le rendre solide. L’enjeu est considérable : 88 % des émissions ne sont pas dues à l’Union européenne ! Si nous n’embarquons, pas tout le monde derrière nous, nous ne réussirons pas.

M. Jérôme Lambert, rapporteur. Mme Gaillard a parlé de la lutte contre la pauvreté : cette question sera évoquée, non pas au sommet de Lima mais, en 2015, dans le cadre du sommet sur l’objectif du millénaire pour le développement. C’est vrai que les populations les plus fragiles paient toujours le plus lourd tribut en matière de bouleversements liés au changement climatique.

Mme Abeille a évoqué la question de l’élevage industriel : celui-ci ne fait pas partie des négociations.

Du reste, si une part significative des émissions de gaz à effet de serre est liée à l’élevage, cela n’a rien à voir avec le caractère industriel ou non de celui-ci. Une vache élevée au champ consomme autant qu’une vache élevée industriellement : elle émet donc la même quantité de gaz à effet de serre. La remise en cause de l’élevage industriel ne saurait s’appuyer sur la lutte contre le changement climatique.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. M. Savary a évoqué l’abondance des énergies fossiles. Je me rappelle avoir remis il y a trente ans un rapport sur la fin de l’ère du pétrole que je prévoyais quarante ans plus tard – c’est-à-dire dans dix ans à compter d’aujourd’hui. C’est dire comme on peut se tromper ! Le potentiel des énergies fossiles, qui est toujours très important, ne facilite évidemment pas la transition énergétique. Il faut faire avec !

Mme Rohfritsch a évoqué l’opposition entre pays développés et pays en voie de développement, qui fait débat depuis quinze ans à chaque COP. La césure était très forte entre les pays qui avaient bénéficié de la révolution industrielle depuis 1850 et avaient donc contribué au réchauffement – l’Europe et les États-Unis essentiellement – et les pays en voie de développement qui aspiraient à une élévation de leur niveau de vie et refusaient d’être taxés. Or cette distinction s’estompe progressivement : le G77, qui regroupait les pays en voie de développement, a eu la Chine à sa tête. Or la Chine est devenue un pays à fort développement. Certaines ambiguïtés demeurent, mais les vieux distinguos s’effacent petit à petit. Cela étant, les COP sont confrontées à des récriminations légitimes : on sent toujours une tension lorsqu’un îlien monte à la tribune, explique que son territoire est appelé à disparaître et demande des comptes à la communauté internationale sur son action. C’est à chaque fois un moment de forte tension. Du reste, les pays îliens commencent à s’organiser.

M. Jérôme Lambert, rapporteur. Rappelons que l’objectif de l’accord de Paris est d’embarquer tous les pays du monde, par-delà leurs contraintes qui peuvent être très différentes. Certains pays ont assurément besoin d’augmenter leurs émissions pour assurer leur développement : toutefois, chaque pays devra prendre des engagements, contrairement à ce qui s’est produit au protocole de Kyoto.

Il est normal que certains pays se regroupent pour peser sur les négociations. L’accord devra néanmoins être général et chaque pays devra prendre, en tant que tel, des engagements qu’il devra respecter. Ce qui pose, évidemment, la question des mécanismes de contrôle et celle des sanctions. Nous ne pouvons vous donner aucune réponse sur le sujet, même si nous avons des idées là-dessus. Faudra-il aller jusqu’à imposer des blocus ? Ce serait difficile. L’enjeu n’en est pas moins essentiel : quelle serait en effet l’efficacité d’un accord qui ne prévoirait ni contrôle ni sanction ?

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Il suffit de rappeler le protocole de Kyoto signé en 1997 pour une mise en application en 2005 : ces huit années devaient être consacrées à sa ratification par les parlements. Or le président Clinton a été désavoué par le Congrès après avoir signé le protocole. C’est la raison pour laquelle M. Obama hésite à s’engager. Nous avions rencontré ses conseillers environnementaux avant sa première élection, car il avait fait des déclarations prometteuses sur l’engagement des Etats-Unis. Le bilan de ses deux mandats sera très faible en la matière. En fait, dans ce domaine, ce sont les États qui « font le job », notamment la Californie ; au niveau du pouvoir fédéral, il n’y a pratiquement rien.

Mme Sophie Errante. Certes, les États pourraient s’imposer des taquets, des dispositifs contraignants. Mais ne pensez-vous pas que les populations, en se révoltant, pourraient faire bouger les lignes ? Si la Chine a signé un accord, n’est-ce pas en raison de la mobilisation de sa population, qui réagit de plus en plus vivement aux conséquences de la pollution en termes de santé publique, de mortalité infantile ou de qualité de l’eau et de l’air ?

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Tout à fait, nous le vivons au quotidien. Nous constatons, depuis quinze ans, la progression de la prise de conscience internationale. Dans tous les pays où nous nous sommes rendus – Chine, Inde, États-Unis, Japon –, tous les ministres de l’environnement ou tous les parlementaires nous présentent une feuille de route. Le problème, c’est que l’addition de toutes ces feuilles de route ne permet pas de maintenir à deux degrés l’élévation de la température. Tout l’enjeu de l’accord de Paris sera d’y parvenir. C’est pourquoi il devra être juridiquement contraignant. Si c’est un traité qui est signé, chaque parlement devra le ratifier. Or il a fallu huit ans pour mettre en œuvre le protocole de Kyoto, pour les résultats que l’on sait : alors que son objectif était une réduction, en 2012, de 5 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, celles-ci ont augmenté de 34 % ! Je tiens à noter toutefois que, sur la période, l’Europe, qui montre toujours l’exemple, a réduit les siennes de 18 %. La vraie difficulté est de trouver la nature de l’outil juridique permettant de rendre l’accord à la fois universel et contraignant. Il faudra également déterminer l’instance organisatrice du contrôle. Si nous avions la réponse, le problème ne serait pas loin d’être résolu…

M. Jérôme Lambert, rapporteur. Il est vrai que la mobilisation des citoyens, y compris en Chine, peut aider. Toutefois, de nombreux pays, notamment africains, sont dans un état de développement bien inférieur. Pensons également à l’Inde, dont la population dépassera bientôt la Chine : or chaque Indien émet moins de deux tonnes contre sept tonnes pour un Chinois. Ce pays a besoin de se développer : la moitié de sa population n’a pas accès à l’électricité. C’est pourquoi lorsque l’Inde se réveillera, le monde entier aura intérêt à ce que son développement repose sur des énergies majoritairement non carbonées, ce dont elle est loin : à l’heure actuelle, son énergie provient pour l’essentiel du charbon, du reste importé.

Notre rapport a pour objectif de fixer les enjeux. Il appartient aux dirigeants du monde de prendre leurs responsabilités sous le contrôle de leurs parlements.

M. Bernard Deflesselles, rapporteur. Notre idée, en effet, est de recourir davantage sur ces questions à l’outil que sont les parlements, jusqu’à présent peu utilisé.

Nous avons, à cette fin, soumis l’idée au Président Bartolone de réunir les parlements avant la COP de Paris. La diplomatie parlementaire peut aider à résoudre les problèmes pendants. Il doit être possible de faire bouger les lignes en utilisant les réseaux parlementaires que les missi dominici que nous sommes sur ces questions ont progressivement constitués. Il ne faut pas négliger, à côté de la mobilisation des populations, l’outil parlementaire pour faire pression sur les décideurs que sont les gouvernements.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. La prise de conscience, qui est réelle aujourd’hui, touche en effet jusqu’aux parlementaires – la forte présence à la réunion de ce matin en est l’illustration. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

La COP de 2015 est un projet enthousiasmant pour les responsables économiques et politiques français. Il nous paraît effectivement important que le Parlement soit un acteur majeur de la préparation de cette vingt et unième COP. C’est pourquoi nous avons mis en place un comité de pilotage qui réunit des membres des commissions des affaires européennes, des affaires étrangères et du développement durable. Nous avons commencé à réfléchir et à travailler ensemble.

Un accord de principe ayant été obtenu, une rencontre interparlementaire, qui précédera la COP, devrait se tenir les 6 et 7 décembre 2015 : elle accueillera près de 300 députés. Nous réfléchissons à la mise en place d’un grand débat citoyen planétaire, projet qui est défendu non seulement par la France mais également par une fondation danoise. Nous mettrons en œuvre des actions dans le cadre de la diplomatie parlementaire, ce qui nous donnera l’occasion d’effectuer quelques déplacements à l’étranger, dont un avec le président de l’Assemblée nationale. Nous nous efforçons de nous saisir du sujet ; le rôle des parlements me paraît à cet égard fondamental, alors que les grandes négociations sont généralement préemptées par la diplomatie internationale et singulièrement onusienne. Essayons d’ouvrir les portes ou les fenêtres : tel est l’objectif que nous nous sommes fixé.

Je tiens à remercier très sincèrement nos rapporteurs pour leur travail. Le fait de suivre cette question depuis longtemps leur a permis d’acquérir une connaissance précise des négociations des précédentes COP.

C’est vrai qu’il serait hautement souhaitable que la COP de Paris aboutisse à la signature d’un traité juridiquement contraignant. Un élément peut y aider : son entrée en application n’interviendra pas avant 2020, fins de la seconde période du protocole de Kyoto. Autrement dit, entre 2015 et 2020, il resterait cinq ans pour le faire ratifier par les parlements nationaux, ce qui devrait suffire.

Je vous remercie encore une fois, messieurs, au nom de tous nos collègues, particulièrement nombreux ce matin.

*

* *

Information relative à la Commission

M. le président Jean-Paul Chanteguet. L’Assemblée nationale a décidé de créer une mission d’information sur la mise en place de la banque publique d’investissement. Cette mission est commune à trois commissions : celle des finances, celle des affaires économiques et celle du développement durable qui s’étaient saisies pour avis du projet de loi relative à la création de la banque publique d’investissement ayant abouti à la loi du 31 décembre 2012. La mission sera composée de 10 membres reflétant la composition politique de notre assemblée. Notre commission doit désigner trois de ses membres, deux du groupe SRC et un du groupe UDI.

La Commission a alors nommé membres de la mission d’information commune : Mme Sabine Buis, MM. Jean-Christophe Fromantin et Arnaud Leroy.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Réunion du mercredi 3 décembre 2014 à 9 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Gérald Darmanin, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Claude de Ganay, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, M. Yves Nicolin, M. Robert Olive, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Thierry Solère, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Serge Bardy, Mme Chantal Berthelot, M. Patrice Carvalho, M. Philippe Duron, M. Charles-Ange Ginesy, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, M. Arnaud Leroy, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Yves Foulon, M. Michel Ménard, M. Philippe Noguès, M. Christophe Premat