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Mercredi 28 janvier 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition de M. Jacques Moineville, directeur général adjoint, suppléant Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française de développement (AFD)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Jacques Moineville, directeur général adjoint, suppléant Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française de développement (AFD).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, Mme Anne Paugam vous prie de bien vouloir excuser son absence ce matin, pour des raisons de santé.

Nous n’avons pas jugé opportun de reporter cette audition car la Commission du développement durable ne connaît pas bien les missions et les moyens de l’AFD. Mme Anne Paugam est donc remplacée ce matin par M. Jacques Moineville, directeur général adjoint de l’Agence française de développement. Il est accompagné de MM. Jean-Luc François, chef de la division « agriculture, développement rural, biodiversité », et Pierre Forestier, responsable de la division « changement climatique » de l’AFD.

Monsieur le directeur général adjoint, au sommet de Nagoya, la France a promis de s’engager fermement en faveur de la préservation de la biodiversité, et de mobiliser des moyens importants. Quelles actions l’AFD mène-t-elle en ce domaine ?

La France aura l’honneur, à la fin de cette année, d’accueillir la vingt et unième Conférence des parties (COP21). Le Fonds vert serait, à ce jour, doté de 10 milliards de dollars. Quel rôle l’AFD joue-t-elle dans la mise en œuvre de ce Fonds ?

M. Jacques Moineville, directeur général adjoint de l’Agence française de développement. Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, de nous donner l’occasion de nous exprimer devant vous. Mme Anne Paugam, souffrante, vous prie par ma voix de l’excuser ; elle regrette d’autant plus de ne pouvoir être là qu’elle considère comme très important que l’Assemblée nationale soit exactement informée de nos actions.

Je commencerai par présenter très succinctement l’Agence française de développement, qui fut créée par le général de Gaulle à Londres ; elle devait alors servir de banque centrale de la France libre. Elle a beaucoup évolué depuis : après la décolonisation, ses missions se sont étendues, et elle est aujourd’hui l’opérateur principal de la politique française du développement.

Alors que nos actions étaient au départ centrées sur l’Afrique francophone, nous intervenons dans plus de soixante-dix pays africains, mais aussi asiatiques et latino-américains. Notre rôle n’est plus seulement, comme dans le passé, de soutenir le développement économique : notre mandat a été étendu à la préservation des biens publics mondiaux, donc à la sauvegarde de la biodiversité et à la lutte contre les dérèglements climatiques, ainsi qu’au soutien à l’influence française dans le monde, et en particulier à l’influence économique.

L’AFD est un outil financier : nous finançons des projets et des politiques – nous ne sommes pas maîtres d’ouvrage. Nos engagements se montent aujourd’hui à plus de 8 milliards d’euros par an, avec une forte priorité à l’Afrique subsaharienne à laquelle nous consacrons plus de 2 milliards d’euros ; ensuite viennent l’espace méditerranéen, l’Amérique latine et l’Asie, pour chacun un milliard d’euros environ. Nous avons également une activité très considérable dans les territoires ultramarins, pour plus d’un milliard d’euros. Notre filiale PROPARCO se consacre, quant à elle, au financement du secteur privé.

Les 8 milliards que nous investissons proviennent pour l’essentiel – pour 6 à 7 milliards – d’emprunts émis sur les marchés financiers. Les subventions de l’État apportent un complément, ainsi que différents budgets dont la gestion nous est déléguée, par exemple par la Commission européenne ou par le DFID (United Kingdom Department for International Development), notre équivalent britannique.

L’État nous aide également à bonifier certains de nos prêts, c’est-à-dire à adoucir leurs conditions financières pour certains pays jugés prioritaires. L’effort financier est très concentré sur l’Afrique, puisque 85 % de nos ressources budgétaires – dons et bonifications de prêts – sont consacrées à ce continent.

La lutte contre les changements climatiques représente pour l’AFD une priorité. En effet, le lien entre climat et développement est double. D’abord, les pays les plus pauvres sont aussi les plus vulnérables : ils sont menacés par la désertification, mais aussi par la hausse du niveau des mers, qui représente un danger pressant pour les villes littorales, notamment en Afrique de l’Ouest, comme pour la production agricole côtière, par exemple au Vietnam – l’existence même de certains États insulaires est menacée. D’autre part, les modèles de développement doivent nécessairement, pour être soutenables, tenir compte des enjeux du changement climatique. Ce point a pu poser problème dans les négociations climatiques, certains pays du sud estimant avoir le droit de se développer, fût-ce au prix de dégâts environnementaux ; à nous de mettre au point des modèles de développement qui soient compatibles avec la lutte contre le changement climatique.

Très concrètement, comment finançons-nous des projets de développement qui ont aussi un effet positif pour le climat ? Les exemples sont multiples.

L’électricité est, par exemple, nécessaire au développement – plusieurs études établissent une forte corrélation entre disponibilité de l’énergie et croissance du PIB. Nous finançons donc de nombreux projets dans le domaine des énergies renouvelables – outremer, au Maroc, au Burkina Faso, en Amérique latine… Ainsi, nous soutenons le développement tout en luttant contre le dérèglement climatique. De la même façon, nous finançons des projets urbains en veillant à ce que l’aménagement des villes consomme aussi peu d’énergie que possible. Le financement du transport en commun sert à la fois le développement et le climat.

Nous soutenons aussi des politiques climatiques à l’échelle d’un État, dans différents pays africains mais aussi au Mexique, en Indonésie, au Vietnam… Nous finançons également des projets qui permettent à différents pays de s’adapter à l’évolution du climat.

Depuis plusieurs années l’AFD a défini, en matière de lutte contre les dérèglements climatiques, une stratégie que je peux qualifier, en toute modestie, d’unique en son genre chez les bailleurs de fonds internationaux. Le Gouvernement a encouragé et validé ce processus.

Tout d’abord, l’empreinte carbone de chaque projet est évaluée, par des méthodes opposables, donc très solides, et si possible partagées avec d’autres financeurs.

D’autre part, depuis plusieurs années, la moitié de nos financements dans les États étrangers doivent avoir un co-bénéfice climatique, c’est-à-dire faire diminuer les émissions de CO2 par rapport à la situation où le projet n’aurait pas été mené à bien. Cet engagement est tenu, puisque c’est le cas de 52 % des projets financés en 2014.

Nous pouvons nous permettre d’être sélectifs, c’est-à-dire de refuser des projets s’ils sont trop émetteurs de gaz à effet de serre, tout au moins dans les pays qui ne font pas partie des seize pays prioritaires. Ainsi, nous ne nous interdisons pas de financer des cimenteries – installations très émissives – au Bénin ou au Sénégal, car ce sont des pays très pauvres et où les besoins sont immenses ; mais dans des pays un peu plus riches, nous refusons tout projet qui émettrait plus d’un million de tonnes équivalent CO2 par an.

L’AFD consacre ainsi plus de 2,5 milliards d’euros par an à la lutte contre le changement climatique : nous atteignons une taille critique qui nous permet d’avoir un effet d’entraînement sur d’autres financeurs, mais aussi plus généralement sur les marchés financiers. Nous avons ainsi récemment réalisé une émission obligataire d’un milliard d’euros spécifiquement pour des projets liés au climat – nous garantissons que les projets financés seront certainement favorables au climat. C’est une façon d’attirer des capitaux privés vers ces sujets.

Vous m’interrogez, monsieur le président, sur le rôle que jouera l’AFD dans la préparation de la COP21. Tout d’abord, nous soutenons l’équipe française de négociation, notamment par une réflexion sur le Fonds vert, que vous citez. Nous avons beaucoup contribué, depuis plusieurs années, et avec d’autres, à la mise au point de son principe de fonctionnement. Le Fonds vert ne doit pas, nous semble-t-il, être une entité autonome qui financerait des projets directement, en solitaire ; au contraire, nous avons poussé l’idée qu’il faut s’appuyer sur les acteurs locaux, déjà actifs dans la lutte contre le changement climatique. Beaucoup de gouvernements ont engagé des politiques climatiques ; les collectivités territoriales seront décisives pour faire évoluer les modèles de développement. Le système financier local doit être partie prenante, afin que chacun prenne conscience de l’importance de ces projets, mais aussi de leur caractère rentable. Entreprises privées et secteur public ne doivent pas rester à l’écart.

Nous estimons donc que le Fonds vert doit s’appuyer sur ces différents acteurs et utiliser ses ressources financières en les « mixant » avec des prêts bancaires. L’idée est que le Fonds vert travaille avec des organismes financiers locaux, ou bilatéraux comme l’AFD : il agréerait des projets qui lui seraient présentés et contribuerait à leur financement, aux côtés d’autres organismes. Nous n’interviendrons donc pas directement dans la dotation du Fonds vert, sinon peut-être comme outil de financement du Gouvernement français : l’AFD croit plutôt utile d’apporter son savoir-faire à la mise en œuvre concrète du Fonds vert.

Nous appuyons également les autres acteurs des négociations, notamment les ambassades de France. Nous aiderons ceux des pays qui le souhaiteront à définir leur contribution, ce qui est un processus assez complexe – la COP20 à Lima a, vous le savez, décidé que chaque pays doit proposer une contribution. Nous pouvons bien sûr montrer toutes les actions concrètes qui peuvent et pourront être menées en matière de lutte contre le changement climatique : nombre d’entre elles figurent dans l’Agenda des solutions, présenté par la France.

Nous soutenons également des initiatives internationales. En particulier, nous avons contribué à créer un « club » de financeurs, l’International Development Finance Club (IDFC). Il réunit des banques de développement du sud – indienne, indonésienne, sud-américaines… – et des financeurs du nord – la KfW allemande, la Japan International Cooperation Agency (JICA), nous-mêmes… Nous nous mettons d’accord sur une stratégie en matière de climat et contribuons ainsi à montrer qu’il est possible de financer des projets à la fois rentables et efficaces dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Ce club organise, en coordination avec les négociateurs français, au mois de mars prochain, un forum auquel participeront les acteurs multilatéraux. Il s’agit notamment de nous mettre d’accord sur les méthodes utilisées pour mesurer l’empreinte carbone de chaque projet, et ainsi d’amener d’autres financeurs à adopter une stratégie plus volontariste en matière de climat – à l’image de la nôtre, si j’ose dire.

Les villes, les territoires prennent des initiatives nombreuses : nous les soutenons, et nous participons à une coalition de financeurs spécifique.

Nous participons également à l’initiative Sustainable Energy for All (se4all) des Nations Unies, que vous connaissez.

Nous mènerons enfin d’ici à la tenue de la COP21 des opérations de communication, notamment à destination du grand public, que nous souhaitons sensibiliser aux enjeux de la lutte contre le réchauffement de climat. Chacun doit être convaincu de l’intérêt d’initiatives concrètes qui peuvent être prises par les maires, les chefs d’entreprise, ou les simples citoyens.

Nous sommes très engagés en faveur de la biodiversité, et nos objectifs sont ambitieux. Ils portent sur la protection, la restauration et la gestion des écosystèmes, sur l’intégration de la question de la conservation des écosystèmes dans les politiques sectorielles et enfin sur les partenariats entre les acteurs français de la biodiversité et les acteurs locaux. Les montants en jeu sont bien plus modestes : nos engagements s’élevaient en 2012 à 140 millions d’euros, et en 2014 à 170 millions. Ces sujets nécessitent d’importantes ressources budgétaires, qui sont assez rares : les volumes financiers ne sont donc pas très importants, mais l’AFD veille à intégrer constamment ces enjeux dans son travail.

Mme Geneviève Gaillard. Merci de cette présentation. L’AFD a su s’adapter aux changements provoqués par la mondialisation, qui a permis à beaucoup de sortir de la misère tout en provoquant d’autres déséquilibres, économiques, sociaux et environnementaux.

Les pays prioritaires que vous évoquez sont extrêmement pauvres et ne sont pas exempts de corruption. Or il est très important que l’argent aille bien là où il a été décidé qu’il devait aller. Comment l’AFD évalue-t-elle et contrôle-t-elle les résultats de ses investissements ? Imaginez-vous que l’on puisse un jour guérir de cette maladie grave qu’est la corruption ?

Comment prenez-vous en considération les spécificités de chaque territoire afin que l’on n’en arrive pas à appliquer partout le modèle économique américain ou européen, qui apporte son lot de désagréments, notamment environnementaux ?

Le Président de la République avait annoncé, en 2013 puis en 2014, que la France supprimerait les crédits à l’exportation « accordés aux pays en développement dès lors qu’il y a utilisation du charbon ». Malgré ces annonces, notre pays continue de soutenir cette filière, notamment par l’intermédiaire de la Coface : ces incohérences ne vous mettent-elles pas en difficulté, alors que vous avez mis en place des règles précises en ce domaine ?

En décembre 2014, vous avez rendu publique une étude sur l’exploitation des gaz de schiste. Vous a-t-elle été demandée par certains pays, qui espéreraient des subventions pour exploiter ces ressources fossiles, ou bien a-t-elle été réalisée à votre propre initiative ?

Enfin, l’AFD est, vous l’avez montré, très présente dans la lutte contre le changement climatique ; ne serait-il pas temps que le ministère de l’écologie devienne l’une de vos tutelles ? (Sourires).

M. Jacques Kossowski. Au mois de septembre dernier, l’AFD a émis des obligations « climat » pour 1 milliard d’euros. C’était une première pour une agence française, et c’est un succès, puisque 73 % des investisseurs sont internationaux. Vous pourrez ainsi financer des projets ayant des conséquences directes sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour cela, vous mesurez de façon systématique et rigoureuse l’empreinte carbone de chaque projet.

Au-delà de l’attrait financier suscité par la rémunération de cette obligation, comment intéressez-vous les investisseurs à ce type de projets ? Quels sont précisément ces projets ? Le recours à ces climate bonds va-t-il se développer dans notre pays ?

Quels contrôles mettez-vous en place pour surveiller la réalisation des projets que vous financez ?

Vous bénéficiez de revenus issus de la taxe sur les transactions financières : pensez-vous que celle-ci soit amenée à augmenter ?

En Afrique, certains pays vendent leurs terres à d’autres pays, les enlevant ainsi à leur propre peuple. Ne pourriez-vous acheter ces terres pour, en quelque sorte, les mettre à l’abri ?

M. Stéphane Demilly. Merci de cette présentation.

L’AFD fait de la lutte contre le dérèglement climatique l’une des priorités de son action, vous nous l’avez montré, et, au nom du groupe UDI, je m’en réjouis. Quel est l’investissement dont l’AFD est le plus fière ?

Vous étudiez également l’éventuel impact négatif que certains projets pourraient avoir pour l’environnement. Comment procédez-vous ? Êtes-vous amenés à refuser de financer certains programmes pour cette raison ?

Comment évaluez-vous les projets a posteriori, tant dans un souci de bonne gestion de fonds publics que pour corriger d’éventuelles dérives et pour tirer des leçons pour l’avenir ?

La COP21 sera une échéance majeure : que fait l’AFD pour susciter des initiatives et pour mobiliser de nouveaux financements, comme les obligations « climat » ?

M. Patrice Carvalho. J’ai interrogé, jeudi dernier, M. Harlem Désir sur la situation du Fonds vert pour le climat, créé au sommet de Copenhague en 2009. Cette question est un vecteur essentiel de la réussite ou de l’échec du sommet de Paris en décembre prochain. Vingt et un pays se sont engagés, dont les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France. Mais il y a de grands absents, à commencer par la Commission européenne – qui prétexte qu’elle n’est pas membre du conseil d’administration du Fonds – et des nations aussi importantes que la Chine, l’Inde, le Canada, l’Australie, l’Irlande et la Belgique.

M. le secrétaire d’État aux affaires européennes m’a assuré que la France était très mobilisée ; en revanche, je n’ai obtenu aucune réponse sur l’origine du milliard de dollars que la France s’est engagée à verser. En savez-vous plus ?

M. Jacques Krabal. L’AFD est en quelque sorte le bras armé de l’aide française au développement. Les chiffres peuvent apparaître insuffisants, car les besoins sont très supérieurs aux possibilités, mais, dans la période de crise que nous traversons, ils sont très significatifs. La diversité de vos actions est un point fort. Votre modèle doit-il néanmoins évoluer ?

Vous intervenez fortement dans le domaine du développement durable. De nouveaux objectifs, destinés à remplacer les objectifs du millénaire, seront adoptés par les Nations unies à New York en septembre prochain. L’adaptation au dérèglement climatique en fait partie. Comment vous adaptez-vous à ces nouveaux enjeux ? Comment intégrez-vous la lutte contre le changement climatique à vos stratégies ?

L’AFD a été critiquée pour la place importante qu’elle donne au volet bancaire de son activité : elle octroierait trop de prêts aux pays émergents, alors qu’elle devrait plutôt accompagner les pays les plus fragiles, ce qui est plus difficile mais ô combien indispensable pour stabiliser des régions menacées, et menaçantes. Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment allez-vous mieux répondre aux besoins des pays prioritaires, et de l’Afrique en général ?

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, attache une grande importance à la « diplomatie économique ». Quel rôle joue l’AFD en ce domaine ? Comment conciliez-vous ces enjeux avec les objectifs qui vous sont fixés par la loi du 7 juillet 2014, défendue par Mme Annick Girardin ? La loi insiste notamment sur la nécessité de privilégier les seize pays les plus pauvres. N’y a-t-il pas là des contradictions insolubles ?

Accordez-vous une importance particulière aux pays francophones ?

Expertise France regroupe, depuis le 1er janvier 2015, différents opérateurs publics de coopération technique internationale. Comment travaillez-vous avec cette nouvelle agence ? Allez-vous abandonner la mise à disposition d’experts techniques, essentiels dans de nombreux pays ?

Si je vous pose toutes ces questions, c’est parce que nous sommes aujourd’hui, je n’en doute pas, à un tournant historique pour notre aide au développement, sujet auquel je suis très sensible. Pour conclure, je citerai – pour la première fois de l’année (Sourires) – Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry. Dans sa fable L’Âne et le chien, il écrit : « Il se faut entraider, c’est la loi de nature. »

Mme Brigitte Allain. J’ai suivi de près les débats de la loi sur le développement défendue par M. Pascal Canfin, et je suis très attentive à sa mise en œuvre. Quels changements a-t-elle entraîné pour l’AFD ?

J’ai notamment contribué à l’introduction dans la loi, pour la première fois, de la notion de « souveraineté alimentaire ». En effet, les politiques agricoles internationales ont, pendant de nombreuses décennies, aggravé le réchauffement climatique ; elles ont contribué à ouvrir les marchés agricoles et favorisé l’exportation des produits, ce qui a provoqué une ultra-spécialisation de certains pays, et donc une grande dépendance vis-à-vis des cours des bourses. Les famines se sont multipliées. Peu à peu, les États changent de perspective, et la loi française sur le développement en témoigne. Mais certaines multinationales prennent le relais et rachètent des terres : les paysans deviennent plus que jamais dépendants des machines et des produits.

L’AFD a fait le choix de s’appuyer, vous l’avez dit, sur les acteurs locaux. Le Conseil économique, social et environnemental a voté, au mois de décembre dernier, un avis sur l’agriculture familiale. Le rapport dresse des constats et montre que l’agriculture familiale offre de nombreuses solutions pour lutter contre la sous-nutrition et la pauvreté dans le monde, pour valoriser et protéger les ressources naturelles et les paysages, mais aussi pour contribuer au développement économique des territoires et lutter contre le réchauffement climatique. Quelles actions menez-vous dans les pays en développement pour favoriser l’agriculture familiale et les politiques publiques de souveraineté alimentaire ?

Dans le rapport annexé à la loi, on lit que « l’AFD ne finance pas l’achat, la promotion ou la multiplication de semences génétiquement modifiées. Elle ne soutient pas de projets ayant pour finalité ou conséquence la déforestation de forêts primaires, l’accaparement des terres incompatible avec un développement local équitable ou la privation des ressources naturelles des populations autochtones. » Ces engagements sont-ils tenus, ou bien revenez-vous sur ces promesses comme le Gouvernement sur les siennes à propos de la filière charbon ?

M. Christophe Bouillon. Vous avez évoqué l’Agenda des solutions. Quel est l’ordre de grandeur des engagements qui peuvent être pris hors États dans le cadre de la COP21 ? Pouvez-vous dresser un rapide bilan du fonctionnement du mécanisme de réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts, dit REDD+ ?

Votre rapport d’activité décrit la répartition géographique des projets que vous soutenez. Avez-vous des objectifs auxquels vous essayez de vous tenir, ou bien cette répartition est-elle le résultat d’un choix au sein des projets qui vous sont soumis ?

Évaluez-vous les projets ex post ?

Vous avez signé récemment un accord-cadre avec Bpifrance. Quelle boîte à outils proposez-vous aux entreprises françaises qui souhaitent étendre à l’étranger leur action dans le domaine du développement durable ?

M. Guillaume Chevrollier. La politique de l’actuelle majorité est marquée par deux mouvements : l’aide publique au développement a régressé de 9,8 % en 2013, ce qui entre en contradiction avec la promesse électorale de porter cette aide à 0,7 % du PIB, contre 0,4 % aujourd’hui ; d’autre part, les aides changent de nature, puisque les prêts prennent de plus en plus le pas sur les dons. Or les prêts vont plutôt aux pays moins pauvres, qui sont capables de les rembourser, ce qui tarit de facto les fonds consacrés à l’Afrique.

Ces tendances lourdes vont-elles perdurer ? Les pays africains, notamment francophones, attendent beaucoup de la France, en particulier sur des sujets comme le développement durable et la lutte contre la pauvreté. Les conséquences de nos choix peuvent être importantes, tant sur le développement économique que sur les flux migratoires.

M. Yannick Favennec. La ville durable est un thème majeur. Face à la croissance urbaine, quelles peuvent être les caractéristiques d’une ville durable ? Comment concilier celle-ci avec les aspirations sociales et les défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés ?

Mme Catherine Beaubatie. Transmettez, s’il vous plaît, tous nos vœux de rétablissement à votre directrice générale.

Dans le cadre des financements dédiés à la réduction des gaz à effet de serre, vous avez signé un prêt de 206 millions d’euros à la Banque nationale brésilienne de développement économique et social (BNDES) pour financer plusieurs projets ayant un impact positif sur le climat. Parmi eux figurent des projets de cogénération utilisant la biomasse. Or nous avons tous ici entendu parler des conflits d’usage que peuvent provoquer de tels projets. Au Brésil, la déforestation de l’Amazonie aurait certes reculé de 18 % entre 2013 et 2014, mais elle demeure un sujet majeur, au moment où le pays s’industrialise. Nous devons rester vigilants.

Comment ces enjeux sont-ils pris en considération dans ce partenariat, afin d’allier développement économique et développement durable ?

M. Charles-Ange Ginesy. Les projets qui limitent les émissions de gaz à effet de serre coûtent beaucoup plus cher que les autres. Vos efforts peuvent être rapidement plus que compensés par des investissements très polluants : demandez-vous aux pays avec lesquels vous travaillez des engagements pour éviter que cela ne se produise ?

L’AFD a-t-elle des échanges en amont, c’est-à-dire avant même la conception des projets, avec ses différents partenaires ?

M. Bertrand Pancher. La loi Oudin-Santini est montée en puissance péniblement ces dernières années grâce à l’engagement des agences de l’eau ; un travail de qualité est maintenant mené, mais la ponction de 30 % du budget des agences de l’eau risque d’amener nombre d’entre elles à renoncer au financement du développement, ce qui serait un drame.

Comment travaillez-vous avec les agences de l’eau et avec les collectivités, notamment pour les convaincre de continuer ces actions ?

Mme Françoise Dubois. Comment s’articulent les objectifs propres de l’AFD avec ceux, plus généraux, du développement de l’influence française à l’étranger ? Concrètement, comment contribuez-vous au rayonnement de notre pays, et quels résultats avez-vous observés – si vous en avez observés ?

Je salue l’accord-cadre signé par l’AFD avec Bpifrance. Quelle place le micro-crédit occupe-t-il dans vos activités ?

M. Michel Heinrich. Je m’interroge également sur les modalités d’évaluation et de contrôle de vos actions.

Quelle est la chaîne de décision de l’AFD ? Quels sont les critères de choix des projets ?

M. Philippe Plisson. Au mois d’octobre dernier s’est tenue, en Corée du sud, la douzième session de la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique. Nous nous dirigeons à grands pas, semble-t-il, vers une sixième crise d’extinction massive, mais les objectifs que s’était fixés la communauté internationale pour enrayer l’érosion de la biodiversité ne seront pas atteints, malgré les appels lancés par la communauté scientifique. Pouvez-vous nous donner des raisons d’espérer ?

Au sommet de Nagoya, la France avait présenté trois engagements forts et s’était dite prête à doubler ses financements pour la biodiversité, dans le cadre de l’aide publique au développement : elle aurait ainsi consacré plus de 4 milliards d’euros, entre 2011 et 2020, à la biodiversité. Ces engagements ont-ils été tenus ? Sinon, le retard peut-il être rattrapé et comment ?

L’année 2015 portera la France au-devant de la scène du développement durable. Quelle place tiendra l’AFD dans le processus de préparation de la COP21 ?

Les aides publiques au développement ont baissé en 2013 de 9,8 %. Quels ont été les effets de cette fulgurante diminution ?

M. Christophe Priou. Pourriez-vous évoquer quelques-uns de vos projets, par exemple l’investissement de 600 millions d’euros prévu au Maroc ?

Quel est le bilan du dispositif « prêt aidé à l’investissement » (PAI), destiné à soutenir les petites entreprises ?

Les crises alimentaires se multiplient, et les pays donateurs ont accru, au fil des années, leur aide d’urgence. Qu’en est-il pour 2014 ? Quelle part de ses ressources l’AFD consacre-t-elle aux aides d’urgence ?

Mme Martine Lignières-Cassou. Le succès de la COP21 reposera en grande partie sur notre capacité à rendre crédible le Fonds vert, qui atteint péniblement 10 milliards de dollars – pour un objectif de 100 milliards de dollars d’ici à 2020. Comment atteindre ce but ? Que pensez-vous de la proposition du Président de la République d’affecter la taxe sur les transactions financières à ce fonds ?

M. Jean-Pierre Vigier. Ma question vous paraîtra sans doute décalée. L’AFD a pour mission d’accompagner les pays du sud et de les aider en particulier à lutter contre la pauvreté. Parmi ces pays, certains sont impliqués, de manière humaine ou de manière financière, dans les actes et menaces terroristes dont nous avons été victimes : l’AFD, qui dispose d’une division « éducation, formation, emploi » et qui est surtout en contact avec les populations, peut-elle aider à réduire cette menace ?

M. Gérard Menuel. Je salue pour ma part le travail de synthèse réalisé par votre agence sur le gaz de schiste : c’est un document de référence récent qui mériterait une large diffusion, car il cerne très bien les enjeux. Avez-vous des projets dans ce secteur ? Si oui, où ?

L’AFD accroît au fil des ans, je crois, son soutien aux ONG, peut-être au détriment de ses propres actions. Pouvez-vous me rassurer sur ce point ?

Mme Florence Delaunay. Je salue les actions de l’AFD en Palestine. Elles visent à renforcer le cadre institutionnel, ainsi qu’à promouvoir la cohésion et la paix sociale. Vous avez notamment contribué à améliorer le service public de l’eau et de l’assainissement, en aidant par exemple à la construction d’une station d’épuration – que j’ai pu visiter avant qu’elle ne subisse des dégradations.

Je souhaite vous interroger sur les conséquences des conflits sur les politiques de développement. En Palestine, le Président de la République a souhaité que la reconstruction de Gaza soit durable ; des actions de longue durée existent, comme le Programme de développement municipal palestinien ou le Programme national de mise à niveau et modernisation industrielle. Dans ces programmes, quelle part accordez-vous à l’adaptation au changement climatique ?

M. Laurent Furst. La France rencontrera mécaniquement, un jour ou l’autre, de profondes difficultés : aujourd’hui, notre précaire équilibre financier n’est dû qu’à des taux d’intérêt exceptionnellement bas. Je pose la question à tous les représentants d’organismes publics : combien coûtez-vous annuellement au contribuable ? Un jour, inévitablement, les dotations d’État baisseront.

Les Américains, comme les Allemands, ciblent leur aide au développement en fonction de leurs intérêts stratégiques propres, ou bien en fonction du retour sur investissement attendu. Vos projets revêtent-ils une dimension économique et stratégique ?

M. Yves Nicolin. Faites-vous des efforts pour privilégier, dans vos investissements, les entreprises françaises ? Sont-elles informées en priorité, mettez-vous en place des partenariats ? Nous sommes en droit d’attendre que les fonds publics français aillent en priorité à nos entreprises nationales, par exemple lorsque vous investissez dans la construction d’une route.

M. Jean-Marie Sermier. La démographie est l’un des problèmes majeurs de notre planète. Comment nourrir demain 8 à 11 milliards de personnes, selon les différentes estimations ? Les nouvelles technologies permettront-elles d’augmenter notre production agricole sans augmenter nos émissions de gaz à effet de serre ? Je pense notamment aux organismes génétiquement modifiés (OGM).

M. Alain Leboeuf. L’AFD porte une attention particulière aux pays dévastés par la guerre. L’année 2014 a été particulièrement dramatique, notamment en Irak et en Syrie, où les victimes ont souvent été persécutées en raison de leur appartenance religieuse. Souvent, ce sont des associations qui viennent en aide aux populations sur place, à l’aide de capitaux privés. Qu’a entrepris l’AFD pour aider les chrétiens et les yézidis ? Que ferez-vous en 2015 ?

M. Jacques Moineville. Merci beaucoup de ces nombreuses questions, qui montrent votre intérêt pour l’Agence française de développement.

Je commencerai par répondre aux questions portant sur la diplomatie économique, l’influence française et nos relations avec les entreprises françaises.

L’AFD est un instrument bilatéral : instrument français d’aide au développement, elle a vocation à financer des projets, mais aussi, par ses implantations sur le terrain comme par le dialogue avec les acteurs locaux, à contribuer à l’élaboration de politiques et d’actions de recherche. Elle est donc par nature un vecteur de l’influence française. Au-delà, et dans la droite ligne de la politique de renforcement de notre diplomatie économique menée par Laurent Fabius, nous avons fait valider par notre conseil d’administration, et mis en œuvre, un plan d’action qui vise à créer, dans les pays où nous intervenons, un écosystème favorable aux entreprises françaises.

Nos aides – comme celles des autres bailleurs de fonds – sont par nature déliées : nous n’imposons pas que les entreprises choisies pour réaliser les projets que nous finançons soient françaises. C’est d’ailleurs une façon pour nous de lutter contre la corruption, car cela accroît la concurrence et ramène les prix à de justes niveaux.

Si nous favorisons les entreprises françaises, c’est en établissant un dialogue très étroit avec celles qui sont susceptibles d’intervenir dans les pays où nous travaillons : nous rencontrons leurs états-majors, nos équipes sectorielles rencontrent les leurs, et nous organisons des forums pour débattre des outils, des stratégies internationales… Nous le faisons pour le secteur de la ville, pour le secteur agro-alimentaire ; nous allons le faire pour la santé. Ce dialogue s’établit aussi localement, avec nos quelque soixante-dix bureaux d’intervention comme avec les services économiques des ambassades. Nous apprenons ainsi à nous connaître, ce qui est très fructueux. Par la suite, le cas échéant, dans certains pays, nous choisissons des secteurs d’intervention en gardant en tête les entreprises qui pourraient être concernées. Inversement, les entreprises françaises connaissent nos projets et peuvent se positionner pour répondre aux appels d’offres.

Cette façon de faire correspond d’ailleurs à la demande de nos clients : souvent, les maîtres d’ouvrage locaux attendent de nous une mise en relations avec les entreprises, mais aussi avec les collectivités françaises. Ils veulent savoir comment celles-ci s’y prennent. Ce flux d’informations est capital pour tous.

Nous avons également prévu des dispositions destinées à éviter que les entreprises françaises ne soient défavorisées : nous introduisons notamment dans les cahiers des charges des clauses de responsabilité sociale et environnementale (RSE). Cela permet de rétablir l’équité avec les entreprises qui ne sont pas soumises aux mêmes règles que les nôtres.

Ces mesures, en place depuis un an et demi environ, produisent leurs premiers effets : les entreprises françaises soumissionnent plus souvent et emportent plus souvent des marchés, y compris dans le domaine routier, que vous citiez, monsieur Yves Nicolin – cela dans le respect de la concurrence internationale qui s’impose à nous.

Plusieurs questions portaient sur notre action en matière de développement durable et notamment sur les conséquences de la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

Cette dernière a eu un impact considérable. Dès l’arrivée au ministère de M. Pascal Canfin, nous avons refondu notre plan d’orientation stratégique. En particulier, nous avons relu toute notre stratégie au prisme du développement durable. Cela se traduit concrètement dans notre contrat d’objectifs et de moyens – soumis à la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale : il comporte des indicateurs destinés à mesurer notre action en faveur du développement durable. Nous sommes aussi le seul bailleur de fonds, je crois, à recueillir systématiquement un avis indépendant sur les conséquences en matière de développement durable de nos projets.

S’agissant de la question spécifique du charbon, je vous confirme que nous ne finançons aucun projet de centrale à charbon. Nous pouvons, je le disais, nous permettre d’être exigeants en matière de développement durable, et ces centrales sont bien trop émettrices. Même dans les pays prioritaires, où nous n’appliquons pas les mêmes règles, nous respectons l’engagement du Président de la République et nous ne finançons pas de centrales à charbon. Notre conseil d’administration a voté une résolution en ce sens.

Votre question sur le terrorisme, monsieur Jean-Pierre Vigier, n’est certainement pas décalée : bien au contraire, elle est au cœur de nos réflexions. Comme tous nos compatriotes, nous avons été très marqués par les attentats du mois de janvier. Notre conviction collective, encore renforcée par ces événements, est que l’aide au développement est porteuse des valeurs de démocratie et de respect de l’autre. L’éducation et la lutte contre la pauvreté, comme l’accès au monde en quelque sorte, font partie de nos missions essentielles : nos actions au Mali, au Tchad, au Niger… participent, à leur niveau, de la lutte contre le terrorisme.

Cela doit nous amener à approfondir nos réflexions sur des questions complexes : comment imaginer des projets de développement dans des zones désertiques, inaccessibles, et qui sont des zones « rouges » au sens du ministère des affaires étrangères, c’est-à-dire dangereuses ? Ce sont des zones où il est pourtant essentiel d’agir. Nous espérons aboutir très rapidement à des solutions, en redéployant des moyens, en réfléchissant sur des projets nouveaux.

Monsieur Laurent Furst, nous ne coûtons rien au contribuable ! Le modèle financier de l’AFD nous permet de vivre du produit de nos actions : nos ressources paient nos charges – salaires, agences, missions, consultants, études… En revanche, la politique de développement a un coût pour le contribuable. Globalement, on peut l’estimer à 1 milliard d’euros : cela comprend notamment 200 millions d’euros de subventions et 50 à 60 millions qui sont versés à des ONG. À cela il faut ajouter le financement des contrats de désendettement et de développement (C2D), qui fonctionnent comme des subventions, ainsi que les ressources budgétaires utilisées pour bonifier les prêts.

S’agissant de l’évolution de nos ressources, en particulier de celles issues de la taxe sur les transactions financières, je ne peux évidemment pas répondre.

Quant aux ONG, la gestion du dispositif d’appui aux ONG nous a été confiée, depuis plusieurs années, par le ministère des affaires étrangères. Ce budget devrait continuer d’augmenter. Le Président de la République s’est en effet engagé à doubler les sommes consacrées au financement des ONG.

Il a été question plusieurs fois du Fonds vert. L’objectif de 100 milliards de dollars annoncé à Copenhague ne représente pas une dotation de 100 milliards de dollars : ce montant correspond à des flux annuels du Nord vers le Sud. Les composantes de ce flux n’ont pas été déterminées : s’agit-il seulement de fonds publics, ou bien de fonds publics et privés ? S’agit-il de prêts, de subventions ? Le Fonds vert doit donc être compris comme un moyen de catalyser, de soutenir les autres financements : il vient s’adjoindre à d’autres outils de financement.

Je n’ai pas connaissance de l’étude que vous citez sur le gaz de schiste…

Mme Geneviève Gaillard et M. Gérard Menuel. Elle figure sur le site internet de l’AFD.

M. Laurent Furst. Publier sur un site internet fait partie du monde moderne !

M. Jacques Moineville. Je me renseignerai et nous reviendrons vers vous. Mais je peux vous assurer qu’aucune étude n’a été demandée par un pays étranger. Je suis également certain que nous ne finançons aucun projet dans le domaine du gaz de schiste.

S’agissant de la corruption et du contrôle de l’usage de nos fonds, je ne chercherai pas à prétendre que nous ne sommes pas parfois en butte à la corruption. Mais il est vrai et raisonnable de dire que nous mettons en œuvre des contrôles sérieux. Nous utilisons notamment la procédure de l’avis de non-objection (ANO) ; nous vérifions ainsi la justesse des prix, par comparaison avec d’autres marchés internationaux, puisque nos appels d’offres sont internationaux. Au moment du décaissement, nous vérifions si les travaux ont bien été réalisés et nous nous assurons que les versements vont bien aux entreprises. Nos conventions de prêt comprennent en outre des clauses destinées à lutter contre la corruption – certaines sont imposées par la loi bancaire, par exemple la vérification des listes d’exclusion des individus. Nous disposons ainsi d’un garde-fou supplémentaire.

Avec les fonds récoltés grâce à l’émission d’obligations « climat », nous devions convaincre que nos projets servaient effectivement le climat, qu’il ne s’agissait pas de nous lancer dans l’écoblanchiment : cette émission a été rendue possible grâce à l’audit très strict d’un organisme extérieur qui a vérifié différents points en matière de RSE, et à qui nous avons présenté dans le détail nos méthodes de mesure de l’empreinte carbone et de caractérisation d’un projet comme positif pour le climat. Nous avons ainsi convaincu que nos prétentions n’étaient pas usurpées.

Le développement de ce marché est l’un des objectifs du forum « Finance climat » que j’évoquais, et que nous organisons au mois de mars avec d’autres banques de développement. L’un des intérêts de cette émission a été de faire la démonstration que ces projets sont rentables. L’investissement dans la lutte contre les pertes énergétiques, par exemple, est très rentable à relativement court terme.

Les réactions à cette émission nous ont confirmé l’avenir de cette démarche. Les compagnies d’assurances, par exemple, sont très intéressées, puisqu’elles sont elles-mêmes très concernées par les dégâts que peut causer le changement climatique.

J’aurais bien du mal à vous citer l’investissement dont nous sommes le plus fiers ! Ils sont extrêmement nombreux. Le métrocâble que nous avons financé à Medellín, par exemple, est un transport urbain construit par une entreprise française qui permet d’allier lutte contre le changement climatique et développement économique. Il facilite le transport, bien sûr, mais il a aussi permis de restructurer des quartiers pauvres, donc de lutter contre la pauvreté et la criminalité. Je pourrais également vous citer des projets d’énergie solaire au Burkina Faso, très novateurs, de projets d’agriculture familiale, d’agriculture sous couvert végétal très économes en eau, ou encore de projets d’adaptation au changement climatique dans le domaine de la gestion de l’eau…

Nous travaillons d’ailleurs régulièrement avec les agences de l’eau, et nous connaissons bien les avantages de la loi Oudin-Santini. Le modèle français de gestion de l’eau est considéré comme exemplaire par nos partenaires, et ces partenariats nous sont demandés.

Certains de nos projets peuvent effectivement avoir un impact négatif : nous en sommes bien conscients, puisque nous calculons l’empreinte carbone de chacun de nos projets. Nous avons, sur cette base, refusé de financer la construction de cimenteries en Asie, par exemple, c’est-à-dire dans des pays où notre mandat comprend clairement la préservation des biens publics mondiaux.

Nous accordons une grande importance à l’évaluation, en interne, mais aussi avec des consultants extérieurs… Une évaluation a posteriori est réalisée systématiquement.

La question du modèle financier de l’AFD et de son évolution est évidemment décisive. Le Gouvernement a choisi de renforcer les fonds propres de l’AFD – cette décision prise par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) en 2013 a été discutée, je crois, au sein de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale ; elle nous permet de respecter les ratios de solvabilité imposés par la nouvelle réglementation Bâle III. Ce renforcement des fonds propres, auquel s’ajoute l’intégration aux fonds propres de l’AFD de 80 % de son résultat, nous permettra d’intervenir au niveau de 8 à 8,5 milliards d’euros par an de façon durable, sans faire appel à nouveau aux ressources de l’État. Il faut souligner l’importance de ces décisions, qui n’étaient pas gagnées d’avance.

Le modèle financier de l’AFD repose effectivement sur un volume important de prêts. Ceux-ci sont indispensables pour assurer des revenus à l’AFD. Mais ils sont utiles pour le développement : c’est souvent, dans les pays avec lesquels nous travaillons, le seul moyen de répondre à leurs besoins. C’est le cas même dans les pays les plus pauvres : nous prêtons au Sénégal, au Burkina Faso – après avoir vérifié que ces dettes sont soutenables.

La question de l’équilibre des prêts et des subventions dans les pays les plus pauvres se pose. Si Anne Paugam était là, elle dirait que l’AFD fonctionne avec les subventions votées en loi de finances, et qu’elle serait tout à fait heureuse d’en recevoir plus ! Mais il faut souligner que, si nous pouvions accorder plus de subventions, nous ne prêterions pas forcément moins, car les prêts peuvent financer certains investissements, et qu’ils ont un réel effet de levier.

Nous travaillons étroitement avec Expertise France, comme nous travaillions avec les différents opérateurs qu’elle regroupe. C’est une réforme qui fera certainement émerger de nouvelles synergies.

M. Jean-Luc François, chef de la division « agriculture, développement rural, biodiversité ». Toutes les opérations financées par l’AFD dans le domaine agricole bénéficient à des exploitations agricoles familiales. C’est maintenant écrit dans la loi, mais c’était déjà le cas auparavant : même quand nous finançons des opérations économiques à l’aval de la filière agricole, les produits – destinés à une usine qui traite du cacao ou de l’hévéa, par exemple – ont pour origine de petites exploitations familiales.

Un nouvel indicateur figure dans la loi : il nous oblige à calculer le nombre d’exploitations agricoles bénéficiant directement chaque année de notre concours. Ce chiffre est très impressionnant, puisqu’il s’élève à 800 000 exploitations, c’est-à-dire 2,5 fois le nombre d’exploitations françaises. Bien sûr, le niveau de soutien varie énormément suivant la nature des projets.

La loi nous interdit de soutenir la production de semences génétiquement modifiées. C’est une bonne chose à nos yeux, mais je souligne que l’AFD n’a jamais financé d’OGM : indépendamment du débat sur les OGM, les marges de progrès sont si importantes dans les pays où nous travaillons que nous n’avons pas besoin de nous poser la question… Il faut déjà commencer par traiter notamment de la gestion de la fertilité organique des sols, ou de l’accès à des intrants classiques à des niveaux très modestes.

S’agissant de la sécurisation du foncier des exploitations agricoles familiales, qui rejoint celle des acquisitions de terres à grande échelle par des investisseurs étrangers – souvent venus d’Asie ou du Moyen-Orient –, il existe un corpus de doctrine international, validé par les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers, dans le cadre du Comité de la sécurité alimentaire mondiale de la FAO, et très soutenu par la France et l’Europe. L’AFD met en œuvre des programmes d’appui à la réforme des systèmes de sécurisation foncière des petits exploitants agricoles, dans nombre de pays où nous intervenons. Nous avons des programmes dédiés lorsque la loi nationale est bonne – à Madagascar, au Burkina Faso. Nous abordons aussi ces sujets par différents biais, par le sujet de la petite irrigation par exemple. Cet engagement de l’AFD va sans doute se renforcer. Cela va de pair avec le renforcement des compétences des collectivités territoriales rurales : la demande sociale est forte, au Cameroun par exemple, pays confronté à des projets d’investissement à très grande échelle.

Cela rejoint la question de la déforestation, et de la responsabilité de l’agriculture en matière de climat : des sujets comme l’utilisation des sols en zone rurale, comme l’allocation des terres entre cultures et forêts, comme, en zone cultivée, la forme du paysage agricole… renvoient à la sécurisation du foncier et à l’administration de l’espace par les collectivités territoriales. Nous sommes présents sur ces questions notamment par l’appui que nous apportons à ces dernières.

Il faut donc réfléchir à des campagnes durables comme on réfléchit à des villes durables, en saisissant l’ensemble des conséquences du développement agricole – développement absolument nécessaire dans les pays où nous travaillons, tant pour créer des emplois que pour assurer la sécurité alimentaire.

M. Jacques Moineville. Information prise, notre département de la recherche a effectivement financé une étude sur les gaz de schiste. Elle conclut que leur exploitation est très néfaste sur le plan environnemental. Pardonnez-moi de ne pas l’avoir eu en tête tout à l’heure.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Compte tenu de l’auteur de cette étude, une telle conclusion ne m’étonne pas. (Sourires)

M. Jacques Moineville. J’ai été interrogé sur les critères de choix des projets et des pays d’intervention.

La loi prévoit des partenariats différenciés. En Afrique, il s’agit plutôt de lutter contre la pauvreté et de soutenir le développement économique ; dans d’autres zones géographiques comme l’Asie ou l’Amérique latine, il s’agit plus souvent de participer à la préservation des biens publics mondiaux et d’appuyer un développement durable. Le CICID intervient, pays par pays, pour préciser tous ces aspects.

La loi définit également l’affectation des ressources budgétaires en fonction de la géographie : 85 % d’entre elles – dons et bonifications des prêts – vont au continent africain. Il existe également des règles de concentration de subventions : le Gouvernement a défini seize pays prioritaires, qui reçoivent les deux tiers des subventions. Ce sont principalement des pays d’Afrique francophone. Le solde des ressources budgétaires va pour l’essentiel à des pays « fragiles ». Quant aux pays définis comme de « très grands émergents » – Chine, Mexique, Inde, Indonésie, Turquie, Afrique du sud –, ils ne reçoivent aucune ressource budgétaire. Vous le voyez, les priorités géographiques sont définies par le Gouvernement et non par l’AFD.

M. Charles-Ange Ginesy. N’avez-vous pas la possibilité de peser sur ces choix ?

M. Jacques Moineville. Nous dialoguons bien sûr en permanence avec le Gouvernement, la Représentation nationale, la société civile. Mais la décision revient au Gouvernement.

Nous établissons ensuite des stratégies géographiques par grandes zones – Afrique subsaharienne, Méditerranée… – et nous proposons à notre conseil d’administration de grandes orientations sectorielles ou thématiques, puis ces stratégies sont déclinées pays par pays : dans un pays donné, nous proposons par exemple de nous intéresser à la santé, à la formation et à l’eau. Ces cadres d’intervention stratégiques sont validés par notre conseil d’administration, mais ils font d’abord l’objet d’un débat contradictoire avec la société civile, les ONG, les bureaux d’études, les parlementaires…

Une fois la stratégie établie pour un pays, nous choisissons des projets, là encore en dialoguant avec les pouvoirs publics locaux et nos bureaux sur place. Évidemment, cela se passe différemment dans des pays où nous sommes présents depuis très longtemps et dans les pays où nous arrivons.

S’agissant des engagements qui seront pris lors de la COP21 ou même avant, ils sont en cours d’élaboration. Le forum « Finance et climat » déjà cité devrait nous y aider.

Je peux vous donner des chiffres qui décrivent la situation actuelle : en 2013, les financeurs publics du nord comparables à l’AFD ont financé environ 16 milliards de projets « climat ». Les projets financés par les membres de l’IDFC – certains du nord, d’autres du sud – se montent à 88 milliards de dollars. Ce montant inclut des financements sud-sud. Pour le groupe des bailleurs multilatéraux – Banque mondiale, banque interaméricaine, banque africaine –, le chiffre est de l’ordre de 22 milliards de dollars.

Nous avons signé, cela a été évoqué, un accord-cadre avec Bpifrance, qui a vocation à financer les activités internationales d’entreprises françaises. Nous apportons notre connaissance approfondie des marchés et des projets. Les entreprises financées par Bpifrance répondent parfois à des appels d’offres que nous finançons. Cet échange d’informations est important. Nous pouvons également co-investir dans des fonds d’investissement.

Vous me demandez, monsieur le député, si nous pouvons interdire aux différents pays de financer des projets très polluants quand nous avons financé un projet qui réduit les émissions de gaz à effet de serre. Les pays sont libres de leurs choix, et nous n’avons guère de légitimité à leur imposer les nôtres. Nous ne pouvons donc pas exiger qu’ils ne financent pas de projet émissif parce que nous finançons un projet non émissif.

En revanche, nous établissons un dialogue, notamment dans les pays à revenus intermédiaires, sur la politique du climat : nombre de ce pays élaborent de telles politiques, parce qu’ils sont convaincus que c’est nécessaire et parce que ce sera important dans le cadre de la COP21, et nous pouvons les y aider. Ce sera de plus en plus vrai.

Nous finançons aussi des politiques du climat, par exemple en Indonésie, sous la forme d’une aide au budget de ce pays ; cela se traduit ensuite par le suivi d’une matrice d’indicateurs, qui permet de suivre la mise en œuvre effective de cette politique selon différents critères – efficacité énergétique, production d’électricité, état de la forêt… Nous avons donc une influence réelle.

S’agissant de la question démographique, ce fut longtemps un sujet tabou dans nos relations avec de nombreux pays, notamment africains. Ce n’est plus le cas : aujourd’hui, le dialogue est nourri et des actions sont menées pour limiter la croissance de la population. Au Niger, par exemple, notre action en matière de santé, d’éducation… est un vecteur fondamental d’éducation des femmes, des jeunes filles, à des comportements qui permettent de limiter la croissance démographique. Évidemment, c’est une politique qui portera ses fruits sur le long terme.

S’agissant enfin des conflits au Moyen-Orient, nous avons financé différentes actions, souvent par l’intermédiaire d’ONG, pour aider en particulier les réfugiés syriens au Liban. Ces actions ne sont pas d’une grande envergure, car cela ne correspond ni à notre mandat, ni à nos capacités, mais nous sommes présents. Nous avons aussi contribué à doter un trust fund géré par les Allemands et destiné à soutenir, dans le futur, la reconstruction de la Syrie.

Notre réflexion sur la reconstruction de pays en guerre se traduit concrètement aujourd’hui par la mise en place du fonds « Bêkou », pour aider la République centrafricaine. C’est une initiative française, qui a été reprise par la Commission européenne et différents pays européens. Il permettra de financer des projets à haute intensité de main-d’œuvre, ce qui aura des conséquences positives et immédiates pour la population. Nous en dresserons un premier bilan dans quelques mois. Nous espérons que ce mode d’intervention permettra de fédérer des énergies et pourra être reproduit ailleurs.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Merci beaucoup, messieurs, pour vos interventions.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 28 janvier 2015 à 9 h 30

Présents. - M. Yves Albarello, Mme Brigitte Allain, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. Jacques Krabal, Mme Valérie Lacroute, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Robert Olive, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Napole Polutélé, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Barbara Romagnan, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Philippe Bies, M. Jean-Jacques Cottel, M. Christian Jacob, M. Philippe Martin, Mme Sophie Rohfritsch, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville

Assistait également à la réunion. - M. Dino Cinieri