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Mercredi 11 mars 2015

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de Mme Catherine Quéré Vice-présidente

– Examen pour avis de la proposition de loi de M. Bruno Le Roux relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 2578) (M. Serge Bardy, rapporteur pour avis)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné pour avis, sur le rapport de M. Serge Bardy, la proposition de loi de M. Bruno Le Roux relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 2578).

Mme Catherine Quéré, présidente. Notre commission s’est saisie pour avis de la proposition de loi de M. Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Cette proposition de loi, déposée le 11 février 2015, fait suite aux quatre textes qui avaient été déposés sur le devoir de vigilance ; seule la proposition de loi du groupe écologiste avait été examinée en séance publique au cours de la niche du 29 janvier dernier. Le présent texte a été renvoyé à la commission des lois, qui a désigné M. Dominique Potier comme rapporteur et qui examinera le texte aujourd’hui même. La commission des affaires économiques s’est également saisie pour avis, désignant Mme Annick Le Loch comme rapporteure pour avis.

Les trente-neuf amendements déposés au secrétariat de notre commission ont tous été déclarés recevables au titre de l’article 40.

M. Serge Bardy, rapporteur pour avis. Notre temps est compté, car la commission des lois se réunit ce matin pour examiner au fond cette proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Je souhaite vivement pouvoir aller porter les amendements que notre commission adoptera devant elle.

Une première version, élaborée en étroite collaboration avec la société civile et déposée par les quatre groupes SRC, Écolo, RRDP et GDR, a été examinée par notre assemblée le jeudi 29 janvier dernier, dans le cadre de la niche réservée du groupe Écolo. Ces propositions de loi manifestaient la mobilisation de la société civile et du Parlement afin d’améliorer la prévention et la gestion des risques liés aux activités des grandes entreprises internationales. Des drames tels que celui du Rana Plaza au Bengladesh ne doivent plus se reproduire.

Les débats de janvier, en commission des lois puis dans l’hémicycle, ont fait apparaître les fragilités techniques et juridiques de ce premier texte. Le Gouvernement s’était alors engagé à travailler avec nos collègues Danielle Auroi, Dominique Potier et Philippe Noguès, pour résoudre ces difficultés. Je tiens à le remercier d’avoir tenu son engagement et d’avoir évité que ce texte « ne tombe dans les limbes et n’en sorte pas », comme Philippe Noguès en avait exprimé la crainte dans le journal Le Monde. L’objectif commun est bien d’aboutir à un texte qui favorise le renforcement de la vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre tout en dégageant des modalités opérationnelles efficaces pour les entreprises entrant dans le périmètre. Aujourd’hui, cette proposition de loi ira jusqu’au bout et sera débattue par l’Assemblée pour inscrire dans la loi cet objectif.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la droite ligne des travaux que notre commission mène depuis le début de la législature en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE), et en concertation avec l’ensemble des groupes et sensibilités politiques. J’en veux pour preuve l’excellent rapport de notre collègue Philippe Noguès sur la proposition de résolution européenne relative à la publication d’informations non financières par les entreprises, déposée voilà un peu plus d’un an, à la suite de la proposition de Danielle Auroi.

Quel est l’apport de cette proposition de loi ? L’obligation nouvelle faite aux grandes entreprises multinationales de dresser un plan de vigilance.

L’article 1er définit à la fois le périmètre de cette nouvelle obligation, le contenu du plan de vigilance et le dispositif de contrôle.

Le périmètre comprend les sociétés françaises de plus de 5 000 salariés, seuil retenu en droit pour distinguer une entreprise de taille intermédiaire d’une grande entreprise. Pour la filiale établie en France d’un groupe étranger, la loi prévoit un seuil complémentaire alternatif de 10 000 salariés employés dans les filiales, que celles-ci soient directes ou indirectes, françaises ou étrangères. Ce seuil peut donc élargir le nombre d’entreprises concernées.

Enfin, il restreint la portée du dispositif aux entreprises qui ont les moyens de mettre en œuvre cette obligation sans que leur compétitivité en soit affectée. Les PME françaises ne sont donc pas visées, j’insiste sur ce point. Ce devoir de vigilance s’appliquera aux sociétés multinationales, qui ont une part significative dans le commerce international.

D’aucuns observeront sans doute que les dispositions relatives au seuil présentent des imperfections et que des améliorations sont envisageables. J’en conviens, mais gardons en mémoire que l’esprit de ce texte est surtout de permettre un pas en avant plutôt qu’un blocage de part et d’autre. Faisons ce premier pas et ne doutons pas que nos débats permettront de faire émerger des perspectives intéressantes, à l’instar du dispositif en sifflet posé en matière de RSE.

Par contre, il est indispensable de préciser la relation entre la société donneuse d’ordre et les fournisseurs ou sous-traitants. La notion « d’influence déterminante » ne permet pas de couvrir le cas de groupes internationaux dont chacun, pris séparément, représente 5 ou 10 % du chiffre d’affaires d’un sous-traitant ou d’un fournisseur.

Le plan de vigilance doit contenir des « mesures de diligence raisonnables », propres à identifier et prévenir les sinistres au sein du groupe ainsi que ceux liés aux activités des sous-traitants ou fournisseurs, en matière d’atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels et environnementaux graves, et de risques sanitaires.

Ce plan doit également viser à prévenir les comportements de corruption active ou passive au sein de la société mère et des sociétés qu’elle contrôle.

Le caractère étendu de ce contenu est tempéré, d’une part, par la notion de mesures de « vigilance raisonnable », de nature à rassurer les entreprises, d’autre part, par l’expérience accumulée en matière de RSE, dont le corpus de soft law mentionné par l’exposé des motifs de la proposition de loi est aujourd’hui à la fois connu et pratiqué par les entreprises concernées. Je me réfère ici aux grands principes directeurs des Nations unies et de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), par exemple.

Si la proposition de loi, qui sera complétée par le décret d’application, révèle toute l’ambition qui s’attache à ce plan de vigilance, il va de soi que la détermination des mesures est laissée à l’appréciation, et donc à la liberté, des entreprises concernées, les plus à même de les définir. S’il est souhaitable qu’elles le fassent en coopération avec les parties prenantes, il est évident, à mes yeux, qu’elles sont responsables et adhèrent pleinement à cette démarche d’une recherche de profit « dans le respect des attentes et préoccupations de la société ». Le texte apporte simplement un degré de formalisation supplémentaire de la soft law, de la même manière qu’en matière de comptabilité, alors même qu’il est de l’intérêt bien compris de l’entreprise d’avoir des écritures en ordre pour conserver la confiance de ses clients et de ses créanciers, il a été jugé utile, voilà quelques siècles, de formaliser des exigences dans ce domaine au bénéfice des clients et des créanciers.

Enfin, pour garantir que cette obligation nouvelle sera mise en œuvre, le plan doit être communiqué au public et publié dans le rapport sur les informations extra-financières. En cas de carence, le juge compétent peut être saisi pour enjoindre la société d’établir ce plan, d’en assurer la communication et de justifier de sa mise en œuvre effective, autrement dit que ce plan ne soit pas totalement vide.

Une amende civile « symbole » est prévue pour les contrevenants aux dispositions de l’article 1er ; son montant, quant à lui, est loin d’être symbolique. Je proposerai sur cet alinéa un amendement de précision.

Dans un deuxième temps, la proposition de loi lève l’obstacle du principe d’autonomie de la personnalité juridique par l’effet du mécanisme de l’engagement de la responsabilité de la société pour manquement à l’obligation d’établir et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance. L’article 2 prévoit que cette responsabilité civile est engagée en cas de non-respect des obligations liées au plan de vigilance – défaut d’établissement, non-publication, mise en œuvre imparfaite. S’agissant d’une responsabilité de droit commun, elle exige que trois éléments soient constatés : une faute, un préjudice et un lien de cause à effet.

Je vous propose aujourd’hui d’acter un premier pas historique et décisif en vue de l’inscription de l’ensemble de ces préoccupations au sein de notre législation. À ceux qui n’y verraient qu’un « petit pas pour l’homme », je répondrai qu’il s’agira plutôt d’un « grand pas pour l’humanité » accompli, pas après pas, jusqu’à l’adoption du texte en séance plénière. (Sourires)

Cette proposition de loi constitue une avancée qui peut être entendue par nos entreprises. Celles-ci, notamment nos PME, ont tout à y gagner, elles qui sont confrontées quotidiennement au dumping social et environnemental pratiqué par les fournisseurs ou sous-traitants installés dans des pays peu exigeants en la matière. Pour nos grandes entreprises, la clé de la compétitivité n’est pas dans la recherche sans fin du moindre coût : elles seront inéluctablement perdantes face à leurs concurrents des pays émergents. Beaucoup d’entre elles l’ont compris, elles doivent préférer la recherche de l’innovation, donc de la qualité sociale et environnementale. Qui plus est, la société assujettie qui adoptera un plan de vigilance comprenant des mesures raisonnables et le mettra effectivement en œuvre, aura satisfait à son obligation de moyens et dégagera sa responsabilité.

Grâce à ce texte, nous portons une véritable innovation juridique. Si des exemples étrangers existent, aucun n’a cette ambition de vigilance sur un spectre aussi large. Nous devons nous en réjouir.

Ce choix d’une démarche progressive, nos prédécesseurs l’avaient fait s’agissant des informations extra-financières. C’était un bon choix. Chacun conviendra aussi que, sur le dossier des travailleurs détachés, après nos tâtonnements initiaux, nous sommes aujourd’hui arrivés à un résultat satisfaisant. Grâce à la démarche pas à pas que nous retenons aujourd’hui, nous « crantons » dans notre droit positif la mise en jeu de la responsabilité civile de droit commun en cas de manquement aux obligations du plan de vigilance. Je prends le pari que nous n’y reviendrons plus. Le temps accomplira son œuvre pourvu que les parties prenantes et la jurisprudence se saisissent de ce nouvel outil.

Je conclus mon propos en vous appelant, mes chers collègues, à adopter cette proposition modifiée par les amendements que je vous proposerai, en plein accord avec l’auteur principal de la proposition de loi, Dominique Potier, qui est également le rapporteur au fond.

Mme Catherine Beaubatie. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui responsabilise les grandes entreprises pour les atteintes que leur activité est susceptible de porter aux droits de l’homme, aux droits sociaux et à l’environnement. En introduisant un devoir de vigilance contraignant sans précédent en Europe, elle constitue un progrès majeur. Le travail conduit en amont par nos collègues Dominique Potier, Philippe Noguès et Danielle Auroi a amorcé un large mouvement de réflexion, suivi notamment par la plateforme nationale d’action globale pour la RSE qui réunit des organisations non gouvernementales (ONG), des syndicats et des juristes. La proposition de loi similaire déposée par le groupe écologiste, que je remercie, a également participé à ce mouvement, même si elle était juridiquement fragile et moins efficace que la rédaction qui nous est ici soumise.

Il s’agit d’obliger les entreprises à mettre en œuvre un plan de vigilance, pratique déjà encouragée par les codes de bonne conduite issus de la soft law et de textes internationaux. En cas de manquement à cette obligation, l’entreprise concernée sera sanctionnée ; elle le sera également si un lien de cause à effet est établi entre l’occurrence d’un dommage et ce manquement.

Certaines grandes entreprises affirment avoir déjà pris des engagements dans les domaines sociaux et environnementaux et soulignent que la responsabilisation juridique constituerait un frein à la compétitivité. Si elles sont si vertueuses, pourquoi craindre la vérification de la mise en œuvre de ces engagements ? Comment peut-on placer sur le même plan l’amélioration des conditions de vie de salariés réduits à un esclavage déguisé et l’attribution d’un marché à l’étranger ? Lorsque les droits de l’homme, les droits sociaux et environnementaux sont bafoués et que les coupables ne peuvent être recherchés, c’est l’humanité entière qui en souffre et la société qui en paie le prix. Cette situation, permise par une ingénierie juridique audacieuse et des droits nationaux défaillants, n’est pas acceptable. Pour autant, nous sommes défavorables aux amendements tendant à renverser la charge de la preuve : ils contreviennent au droit commun de la responsabilité et mettraient les entreprises en situation d’insécurité juridique.

La pratique du reporting extra-financier a été encouragée par le Grenelle de l’environnement 2 et l’Union européenne a fait adopter une directive en ce sens le 22 octobre dernier. Il est temps d’accélérer l’histoire en transformant le droit « mou » en droit contraignant. Avec cette proposition de loi, la France pionnière ouvre la porte à l’européanisation du devoir de vigilance.

M. Michel Heinrich. Encore un texte qui risque de nuire à la compétitivité et à l’investissement de nos entreprises ! En laissant le champ libre à leurs concurrents qui ne sont pas soumis à la même exigence, il crée une nouvelle iniquité de traitement. La majorité socialiste et écologiste ne veut croire qu’à la sanction et ne considère pas les entreprises autrement que comme des coupables permanents. La triple sanction prévue illustre parfaitement cette posture : responsabilité civile pour faute ; publicité sanction ; amende civile pouvant atteindre 10 millions d’euros.

C’est une mauvaise réponse nationale à un vrai défi international, et le groupe UMP déplore cette approche. Les entreprises s’impliquent de plus en plus volontairement dans le champ de la RSE, la considérant comme un élément stratégique de leur développement. Il est temps que la majorité réalise que celles-ci sont des acteurs responsables. C’est cet élan qu’il faut soutenir au lieu de continuer à les enfermer dans un carcan juridique.

M. Jean-Christophe Fromantin. L’inscription des droits de l’homme dans la chaîne des valeurs de l’économie mondiale ne peut qu’emporter l’adhésion. Cependant, ce projet se heurte à des limites, la moindre n’étant pas la notion de sphère d’influence. Dans l’économie mondialisée, un produit implique plus de cent intervenants, chacun soumis à des contraintes normatives locales particulières. Comment raisonnablement faire porter à une seule entreprise l’ensemble de ces contraintes ?

Le sujet relève de la responsabilité de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dans le cadre de laquelle les négociations multilatérales ont échoué à imposer des règles. Est-ce pour autant que la France doive, de façon isolée, se les imposer unilatéralement ? C’est vers l’OMC qu’il convient de se tourner pour introduire cette notion de responsabilité dans la réglementation internationale. Sans la réciprocité qu’elle seule serait à même d’imposer, nos entreprises risquent de souffrir d’une asymétrie de contraintes en matière de commerce international.

Lorsqu’il était directeur général de l’OMC, Pascal Lamy disait qu’à l’échelon international, mesurer des obligations et des contraintes à l’aune de seuils de chiffre d’affaires ou de niveaux d’effectifs n’a aucun sens ; désormais, le poids des acteurs s’apprécie par la notion de valeur ajoutée. Cette proposition de loi serait donc plus pertinente si elle corrélait la compétitivité à la valeur ajoutée et non pas à des critères d’effectifs, compte tenu des différences de traitements salariaux et sociaux. Ce qui est proposé renvoie aux critères de la vieille économie, pas à ceux de la nouvelle.

M. Dominique Potier, rapporteur au fond de la commission des Lois. Serge Bardy a parfaitement exposé l’esprit de cette deuxième version de la proposition de loi, présentée par le groupe socialiste. J’espère que ce texte saura rassembler, par-delà la majorité, tous ceux qui partagent ce combat humaniste. Le Lorrain que je suis garde en mémoire ce slogan extraordinaire, qui devrait nous inspirer tous, du fondateur de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) : « un jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde ». Ces fondamentaux doivent être pour nous une boussole, quelle que soit notre sensibilité.

Également, l’économiste François Perroux, dont j’ignore s’il était de droite ou de gauche et qui a inspiré nombre des politiques économiques modernes françaises au seuil des Trente Glorieuses, considérait qu’en économie certaines choses avaient un prix, d’autres n’en avaient pas. L’esprit même de cette proposition de loi est de fixer des limites. Oui à la compétitivité, oui à la mondialisation, oui à l’entreprise ; qui, au XXIsiècle, n’approuverait pas ces logiques ? Oui à l’emploi, oui à la valeur ajoutée mais dans les limites du respect des droits humains et des écosystèmes. Sans cela, nous irions à l’encontre des principes fondateurs de notre économie, de notre vie même.

Nombreux sont ceux qui l’ont souligné, beaucoup d’entreprises françaises sont déjà engagées dans le domaine social et environnemental ; à ce titre, notre pays est plutôt champion. Ce leadership dans la soft law, il s’agit aujourd’hui de le transformer, par effet d’entraînement, en une obligation résultant de l’adoption d’une directive européenne. Il n’est pas question d’isoler la France mais de faire d’elle une pionnière crédible. Le texte présenté est de la même famille que les dispositions législatives inspirées des travaux de Gilles Savary sur le travail détaché ou de ceux portant sur les harmonisations sociales et fiscales européennes. Nous sommes partisans d’une mondialisation de la régulation qui, en fixant des règles du jeu dignes et humaines, ouvrira à nos entreprises toutes les perspectives de développement. Sur de telles bases, notre économie trouvera un élan et nos entreprises bénéficieront d’éléments de compétitivité réels.

La proposition de loi s’appuie essentiellement sur un principe de précaution qui constitue une assurance réputationnelle au regard des risques et dommages pouvant résulter de l’activité des entreprises. De la même manière que les règles comptables avec lesquelles Serge Bardy a fait une comparaison audacieuse, il s’agit de faire exister un plan de prévention contre toute sorte de risques inhérents au jeu complexe de la mondialisation. Nous voulons délivrer au bout du monde une parole crédible, fiers de porter les valeurs de notre pays, celui de la Déclaration des droits de l’homme issue des Lumières.

Mme  Florence Delaunay. Je m’interroge sur la définition du périmètre des entreprises concernées par la proposition de loi lorsque le siège social est fixé à l’étranger. Plutôt que de fixer un seuil de salariés, et puisque l’article 1er s’inscrit dans le code de commerce, pourquoi ne pas introduire la notion d’accord de commerce ? Les entreprises visées pourraient être celles qui sont concernées par les accords de commerce avec la France ou l’Europe. L’objectif de cette proposition est de faciliter la mobilisation des États en faveur des droits de l’homme et de la femme et des libertés fondamentales.

M. Guillaume Chevrollier. Les entreprises françaises s’impliquent de plus en plus dans la RSE, dont le principe est encore inconnu de beaucoup de nos concitoyens, et prennent des engagements bien réels. Cette proposition de loi, dans sa deuxième version, illustre à nouveau la suspicion de la majorité vis-à-vis des entreprises, quelles que puissent être les bonnes intentions exprimées par le rapporteur. Le sujet devrait être traité à l’échelon international ou européen, or notre pays va encore se distinguer en imposant à ses entreprises de nouvelles contraintes, suspendant de nouveau une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

L’état de notre économie devrait pourtant inciter à la réflexion sur la façon d’améliorer l’attractivité de notre pays ; au lieu de quoi, votre majorité va frapper nos entreprises, particulièrement les plus grandes. À l’heure même où elles réclament de la simplification, vous leur imposez des contraintes supplémentaires avec cette obligation d’établir un plan de vigilance. Quant aux sanctions envisagées, elles sont triples et conséquentes puisque le montant de l’amende civile pourra s’élever à 10 millions d’euros.

A-t-on seulement mesuré l’impact économique de ces mesures ? Nos grandes entreprises, qui sont confrontées à une concurrence internationale toujours plus féroce, vont encore pâtir d’une insécurité juridique, d’un frein à la compétitivité et de la défiance, alors que la priorité devrait être le développement de l’emploi.

M. Yannick Favennec. Le texte a un objet louable puisqu’il s’agit de responsabiliser les sociétés transnationales afin d’éviter les drames en France et à l’étranger, et de permettre aux victimes d’obtenir réparation. Mais il est très répressif et pénalisant pour les entreprises : à la fois, il institue une présomption de responsabilité civile et pénale très lourde et impose une obligation de reporting assortie d’une amende civile pouvant atteindre un montant de 10 millions d’euros. Contraire aux efforts de simplification prônés par le Gouvernement, cette proposition de loi risque, en outre, de nuire à la compétitivité. Elle se situe aux antipodes des grands principes qui régissent notre système juridique en privatisant le contrôle de l’application de la loi. À cet égard, est-elle seulement en conformité avec la Constitution ? Quels bénéfices attendre de mesures qui condamneraient les entreprises à une invraisemblable bureaucratie, particulièrement les ETI et PME ?

Les entreprises françaises sont déjà engagées dans une action ambitieuse dans le domaine de la RSE ; il est temps de les considérer comme des acteurs responsables. Nul besoin d’ajouter une énième couche de législation et les enfermer à nouveau dans un carcan de règles ; de façon volontariste, elles développent des règles d’éthique pour qualifier et certifier les partenaires en amont et en aval de leurs activités. Ce texte gagnerait à être amélioré pour garantir que les entreprises étrangères opérant en France soient assujetties aux mêmes obligations. Faute de quoi, les entreprises françaises seront encore victimes d’une inégalité de traitement nuisible à leur compétitivité ainsi qu’à l’investissement en France.

M. Gilles Savary. L’initiative de Dominique Potier honore notre pays – parfois, certains se doivent d’être à l’avant-garde de la diffusion des grands principes. En matière de droit du travail et de droit des entreprises, nous n’arrivons pas à faire école par le biais des conditions de travail et de salaire, et la France est la seule à pratiquer les 35 heures. En revanche, nous y parvenons assez rapidement par les principes universels. Beaucoup de ceux-là, tels le développement durable et le principe de précaution, proviennent de Scandinavie, où des lois ont été votées de façon unilatérale sans que la compétitivité en souffre puisqu’elle y est aujourd’hui supérieure à la nôtre.

Lorsque j’entends dire que nous pénalisons la France, cela m’évoque les motions de la chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux en 1848 expliquant que l’abolition de l’esclavage pénaliserait gravement le pays. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Comme aujourd’hui, il était question de grands principes humanistes. Alors que la compétitivité devrait tenir à la qualité du produit, à l’organisation de l’entreprise et à l’innovation, elle ne s’accomplit de nos jours que par l’exploitation des travailleurs, la dégradation de leurs conditions de travail et la dictature du low cost. C’est bel et bien un retour à l’esclavagisme !

Le débat est bien le même, quoique moins intense puisque nous ne pratiquons plus l’esclavagisme et que la proposition de loi est très mesurée. C’est un texte précautionneux, qui ne cherche pas à stigmatiser les entreprises mais à les appeler à une vigilance dont je pense qu’elle aura un jour un effet marketing positif, notamment à travers la bonne image des entreprises. Lorsque je regarde ce que nous avons fait pour les travailleurs détachés, j’observe que c’est le patronat qui considère l’effort insuffisant. Dans le domaine des transports routiers, particulièrement, la France a été la première, la Belgique la deuxième, l’Allemagne la troisième et l’Europe ne manquera pas de suivre. (Diverses exclamations)

M. David Douillet. Avec ce texte, on se trompe de siècle. Vous avez ressorti des cartons une proposition de loi écologiste, trotskiste, devrais-je dire (Rires), déposée en 2013. La nouvelle mouture n’est qu’un acte politique visant à ressouder une majorité divisée depuis l’examen de la loi Macron, dont l’adoption a d’ailleurs nécessité de recourir à l’article 49-3 de la Constitution. Vous prenez en otage les entreprises et les travailleurs de France et laissez le champ libre aux entreprises concurrentes qui ne seront pas soumises aux mêmes obligations. Ce traitement nuit à la compétitivité des entreprises autant qu’à l’investissement en France ; allez-vous, un jour, y mettre un terme ?

M. Stéphane Demilly. Comme nous tous, j’ai été choqué lors de l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh, qui a provoqué la mort de près de onze cents personnes et blessé plusieurs centaines d’autres. L’opinion a découvert à cette occasion que les occupants de l’immeuble fabriquaient des articles de confection textile pour le compte de multinationales, dont certaines françaises, et que les conditions de sécurité y étaient particulièrement déplorables. Ce drame a mis en lumière la question du partage des responsabilités entre les multinationales et leurs sous-traitants à bas coûts dans les pays du Sud.

À titre personnel, je salue l’objectif de la proposition de loi de notre collègue Bruno Le Roux, qui est d’inciter les grands groupes à respecter les principes de la RSE. En revanche, je m’interroge sur la méthode employée pour l’atteindre.

Le texte rompt avec le droit français de la responsabilité civile, qui repose sur l’existence à la fois d’une faute prouvée, d’un dommage et d’un lien de causalité entre les deux, puisqu’il établit une responsabilité a priori de l’entreprise. Ne la place-t-il pas, de la sorte, dans une dangereuse insécurité juridique ?

Il confère également au droit français une portée extraterritoriale. Cela est-il compatible avec les principes des droits européen et international ?

Les mesures proposées impliquent que les grands groupes internationaux aient les moyens de contrôler, non seulement leurs filiales étrangères, ce qui est logique, mais aussi, leurs sous-traitants étrangers, ce qui l’est beaucoup moins. Est-il réaliste de penser qu’il leur est possible d’avoir le contrôle total de toute la chaîne de leurs sous-traitants ? En supposant que oui, cela ne reviendrait-il pas à faire de ces derniers des entités sans responsabilité ni personnalité morale autonome ?

Je demeure donc dubitatif sur les moyens mis en œuvre pour traiter un sujet qui, à l’évidence, relève de l’échelon européen.

M. Arnaud Leroy. Nous examinons le premier texte abordant la question de la mondialisation. Nous sommes confrontés à une concurrence déloyale qui s’appuie sur des pratiques d’esclavage moderne, tant au Bangladesh qu’en Éthiopie ou au Vietnam. Avec 500 millions de consommateurs, l’Europe est le premier client du monde et porte, à ce titre, une part de responsabilité. Je m’honore que la France prenne la tête de ce combat. Depuis le début du débat, j’entends évoquer les groupes multinationaux mais pas les PME. Ce sont pourtant celles que nous nous attachons à défendre dans les territoires, celles qui perdent des marchés parce que leurs donneurs d’ordre délocalisent leur production vers des pays à bas coûts où les réglementations sociales ne sont pas respectées. Dans ce contexte, on ne parle pas de droit français mais de conventions internationales dont les exigences sont bien moindres. Nous sommes moralement tenus d’agir.

S’agissant de l’effet d’entraînement dont vous avez parlé, monsieur le rapporteur, je rejoins M. Stéphane Demilly pour dire qu’il ne peut partir que de l’échelon européen. Pouvez-vous me dire quand le Gouvernement français compte saisir les instances européennes de ce sujet, car il n’est plus temps d’attendre ?

M. Jean-Marie Sermier. Le traitement des salariés de la sous-traitance des grands groupes dans les pays à bas coûts est un souci partagé par tous. Il n’y a pas, dans cette enceinte, ceux qui se préoccupent du bien-être de l’humanité et ceux qui voudrait la voir réduite en esclavage.

À propos de conditions de travail, je suis d’ailleurs surpris par les nôtres : on voudrait qu’en une heure et demie nous réfléchissions aux relations des entreprises avec leurs sous-traitants sur cette planète. Cela n’est pas sérieux ! La majorité exploite la misère du monde (Exclamations sur divers bancs) pour rebâtir, sur un champ de ruines politiques, une alliance entre groupes. Je partage l’opinion de nos collègues qui ont considéré que le problème doit être traité à l’échelon européen. La France doit faire pression sur l’Union européenne afin que celle-ci, à son tour, impose au monde entier une négociation qui, de toute façon, sera difficile. Au demeurant, lorsque l’on rencontre un chômeur français aujourd’hui, cela n’est pas sa préoccupation première.

M. Jean-Pierre Vigier. Cette proposition de loi impose aux entreprises d’une certaine taille d’établir un plan de vigilance et de le rendre public. Cette obligation de reporting est assortie d’une amende civile pouvant s’élever à 10 millions d’euros et remet en cause la notion de responsabilité civile pour faute des entreprises. Toutefois, le texte ne précise pas les règles que l’obligation doit concerner ; celle-ci est donc floue alors que la sanction est forte, tant du point de vue financier que de la compétitivité des entreprises. Cette contrainte nouvelle ne s’imposant, en effet, qu’aux entreprises françaises, elle induit une grave inégalité de traitement entre ces dernières et les entreprises étrangères installées en France, qui ne pourra que nuire à notre économie.

M. Luc Chatel. Je ne ferai pas à la majorité le procès de ses bonnes intentions. En revanche, j’ai été choqué par les propos de M. Savary qui illustrent bien l’archaïsme de votre pensée. Et l’enfer est pavé de bonnes intentions.

À la fois le texte et le débat mettent en lumière les contradictions de la majorité avec, d’un côté, un Premier ministre qui dit aimer l’entreprise et un ministre de l’économie qui se veut social libéral et se voit contraint de recourir à l’article 49-3 de la Constitution, et, de l’autre côté, un gouvernement qui nomme un secrétaire d’État à la simplification mais légifère à outrance et encourage une proposition de loi qui aura pour effet de complexifier la vie des entreprises. Comme notre collègue Vigier, je considère que pénaliser ainsi la compétitivité des entreprises françaises sur la scène internationale constitue une inégalité de traitement ; je serais d’ailleurs curieux d’avoir l’avis du Conseil constitutionnel à ce sujet.

Tout cela relève d’une vision bien réductrice de la mondialisation. Dans quel monde vivez-vous ? La mondialisation, c’est un espace ouvert, et ce n’est pas en légiférant en village gaulois qu’on l’appréhendera. C’est en influant sur le plan international, auprès de l’Union européenne, de l’OMC, en trouvant des alliés et des soutiens que nous gagnerons ce type de combat.

M. Alexis Bachelay. Ne tombons pas dans la caricature ! Une vraie question s’est posée au moment du sinistre du Rana Plaza qui a mis en lumière les conditions de sécurité déplorables de ces ateliers du bout du monde, mais aussi les conditions de salaire et de travail de ces employés dont tous les donneurs d’ordre sont occidentaux. Nous ne pouvons pas continuer à fermer les yeux sur une telle situation. Comme l’a dit Arnaud Leroy, la question relève de l’échelon européen, mais la France sera d’autant plus crédible et forte qu’elle se placera en tête de ce combat pour convaincre l’Union européenne d’appliquer ce type de législation. Je tiens à saluer l’initiative de Dominique Potier, dont j’ignorais les accointances trotskistes (Rires), mais il ne serait pas le premier à être dans ce cas.

M. le rapporteur pour avis. C’est bien dans le respect des hommes, qu’ils soient chômeurs victimes des délocalisations ou travailleurs misérables du monde, que nous inscrivons notre action. Contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là, cette proposition de loi protège les entreprises françaises, et particulièrement les PME.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (article L. 225-102-4 [nouveau] du code de commerce) : Obligation d’élaboration d’un plan de vigilance

Mme la vice-présidente Catherine Quéré. Les amendements signés par Mme Auroi et M. Carpentier ne sont pas soutenus.

La Commission est saisie de l’amendement CD21 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Cette proposition de loi, bien qu’en retrait par rapport à la première version proposée, accomplit une vraie avancée. Pour autant, telle que rédigée, elle n’aurait malheureusement pas pu empêcher le drame du Rana Plaza, car elle ne concerne pas les entreprises de moins de 5 000 salariés. C’est pourquoi mon amendement tend à aligner les seuils de cet article sur ceux applicables en matière de reporting extra-financier.

M. le rapporteur pour avis. L’affaire du Rana Plaza n’était pas une question de seuils mais de relations commerciales. J’ai déposé un amendement qui prend cet aspect en compte. Pour ce qui est des seuils, je souhaite, et les deux autres rapporteurs de ce texte sont d’accord avec moi, que nous puissions en débattre en séance. Je vous demande donc de retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. Jean-Marie Sermier. On voit combien ce texte n’est pas abouti puisque beaucoup de petites entreprises sous-traitantes peuvent travailler dans des conditions condamnables tandis que des grandes assument leurs responsabilités sociales. C’est ainsi que le seuil proposé en vue d’exclure du dispositif les petites entreprises de moins de 500 salariés ne résiste pas à l’analyse de collègues de votre groupe. Puisque nous partageons le même état d’esprit, attachons-nous à travailler sérieusement à obtenir un texte efficient qui ne soit pas d’affichage.

Mme la vice-présidente Catherine Quéré. M. Noguès, vous retirez cet amendement ?

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CD38 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement témoigne de la préoccupation d’élaborer un dispositif en phase avec la réalité économique des entreprises. Tenant compte du fait qu’il est relativement aisé, pour une firme multinationale, de déterminer la marche d’une autre entreprise sans contrôler plus de la moitié de son capital, il tend à préciser la notion de contrôle direct ou indirect.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CD39 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement a pour objet de préciser la relation entre société donneuse d’ordre et sous-traitant ou fournisseur, tout en conservant ces deux notions qui font référence à la chaîne de valeur. La proposition de loi fait obligation d’intégrer au plan de vigilance les sous-traitants et fournisseurs sur lesquels la société donneuse d’ordre « exerce une influence déterminante ». Or une telle notion est inopérante pour un fournisseur saisi d’une commande ne représentant qu’une part minime de son chiffre d’affaires. Tel était le cas pour le Rana Plaza, sollicité par plusieurs groupes internationaux. Il est donc proposé d’y substituer la notion de « relation commerciale établie », portée par le 5° du I de l’article L. 442-6 du code de commerce.

M. Jean-Marie Sermier. Si cet amendement était adopté, toute entreprise ayant une relation commerciale, et à partir du premier euro, entrerait dans le champ du texte.

M. le rapporteur pour avis. Ce qui est visé ici c’est une relation établie, qui est définie par la jurisprudence comme « une relation durable dont chaque partenaire peut raisonnablement anticiper la poursuite pour l’avenir ». Les contractants occasionnels ne seront donc pas concernés.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CD19 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Il ressort des rencontres que nous avons au sein de la plateforme RSE que le développement de la responsabilité sociétale des entreprises nécessite l’implication de toutes les parties prenantes, notamment des salariés. Aussi, pour s’assurer que les syndicats et représentants du personnel de l’entreprise soient dûment informés de l’existence et du contenu du plan de vigilance et qu’ils puissent en discuter, voire le modifier, le présent amendement tend à rendre obligatoire sa présentation devant le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’entreprise.

M. le rapporteur pour avis. Les institutions représentatives du personnel de la société mère ou donneuse d’ordre ont la possibilité d’exercer ce suivi par le comité d’entreprise. Une réflexion générale est engagée sur les institutions représentatives du personnel, et un projet de loi est annoncé par le ministre François Rebsamen. Dans l’attente de ce texte, je suis d’avis de ne pas fragmenter la réflexion sur le CHSCT.

Mme Barbara Romagnan. L’idée est de donner la possibilité à chacun d’être un acteur du dispositif, de rappeler qu’il s’agit d’une responsabilité collective. Cette disposition est symbolique, elle ne coûte rien, mais elle donne toute leur place aux salariés.

M. le rapporteur pour avis. Pour avoir travaillé au sein d’une entreprise internationale, je n’ignore pas l’existence d’un organe de représentation des syndicats à cet échelon. Le CHSCT constitue un élément supplémentaire intéressant qui pourra faire l’objet d’un débat en séance. Pour l’heure, ne risquons pas de voir nos décisions remises en cause par la loi en préparation.

Mme la vice-présidente Catherine Quéré. M. Noguès, retirez-vous l’amendement ?

M. Philippe Noguès. Je le maintiens.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CD22 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Le décret mentionné à l’alinéa 5 du présent article englobe la totalité du texte, ce qui me semble excessif. Les modalités d’application sont suffisamment détaillées puisque la loi se rapporte aux grands textes internationaux, à l’ISO 26000, aux principes directeurs de l’OCDE, de l’ONU et autres. Le décret risque surtout de retarder l’application de la loi.

M. le rapporteur pour avis. Si je ne partage pas votre analyse du caractère superflu du décret, je considère que sa portée doit être plus limitée, en particulier s’agissant du dispositif de contrôle qui fait intervenir le juge. Je vous invite à vous rallier à mon amendement CD40, qui réduit la portée du décret aux modalités d’application et de présentation du plan de vigilance.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte alors l’amendement CD40 du rapporteur pour avis.

Elle est saisie des amendements identiques CD31 du rapporteur pour avis et CD26 de Mme Barbara Romagnan.

M. le rapporteur pour avis. Il n’est pas utile d’alourdir le texte par une précision relative à la juridiction compétente

La Commission adopte les amendements.

Puis elle examine l’amendement CD23 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Le pouvoir du juge ne doit pas se limiter à la publicité et au reporting du plan de vigilance. Il doit également pouvoir s’assurer de sa bonne mise en œuvre effective.

M. le rapporteur pour avis. Votre amendement est satisfait : « rendre compte » ou « assurer et justifier » de la mise en œuvre effective du plan de vigilance, sont deux manières de dire la même chose. Je vous invite à retirer l’amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la vice-présidente Catherine Quéré. M. Noguès, retirez-vous cet amendement ?

M. Philippe Noguès. Non, il est maintenu.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CD25 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Entre les deux versions de cette proposition de loi, la charge de la preuve est revenue à ce qu’elle est dans le droit commun. Cet amendement vise à alléger cette charge qui pèse actuellement entièrement sur les victimes. Il est très difficile pour un employé bengali d’établir la preuve d’une faute commise en France.

M. le rapporteur pour avis. Je vous ai exposé, au début de notre séance, ma position quant à cette proposition de loi. Celle-ci est un premier pas et marque un saut qualitatif indéniable au regard de la situation qui existe aujourd’hui. C’est une première étape qui doit permettre de rendre le processus irréversible ; la jurisprudence comme la réglementation européenne, je l’espère, viendront en soutien pour en préciser les contours. Elle se concentre sur le seul aspect du plan de vigilance, et pose un principe de responsabilité de gestion, qui devra être affiné par la pression de l’opinion publique et grâce à la jurisprudence.

Je peux comprendre que vous souhaitiez renverser la charge de la preuve, mais ce renversement ne me paraît ni possible ni souhaitable aujourd’hui. Du reste, nous donnons la possibilité à des acteurs de la société civile, organisés et qui ont montré leur efficacité, de saisir le juge. Nul doute qu’ils s’investiront aux côtés des éventuelles victimes pour les accompagner dans leur action. Pour ces raisons, je suis défavorable à cet amendement.

Mme Barbara Romagnan. C’est très bien que des acteurs de la société civile puissent agir à la place des intéressés pour qui cela serait très difficile. Je ne suis cependant pas convaincue par l’argumentation du rapporteur pour avis. Pourquoi ne serait-il ni possible ni souhaitable de renverser la charge de la preuve ? C’est tout le contraire ! De toute façon, quand bien même nous le ferions, ce n’est pas pour autant que les victimes en verraient leur tâche facilitée.

M. Dominique Potier. Je me souviens fort bien de la discussion avec le Gouvernement qui a abouti à un compromis au sujet de cette rédaction. Celle-ci fait bien référence à la mise en œuvre effective du plan. C’est elle qui est visée lorsque nous évoquons le contrôle par le juge dans le cadre d’une amende civile, d’une astreinte et d’une obligation de publication. Et c’est la même mise en œuvre effective qui est rappelée lorsque nous établissons le lien de causalité entre le non-respect du plan et la prise en compte des victimes. Cette rédaction permet d’établir ce lien de façon très claire sans que l’on ait besoin d’évoquer le renversement de la charge de la preuve.

La Commission rejette l’amendement

Elle examine ensuite l’amendement CD27 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Le texte ne prend pas en compte le statut particulier de certains syndicats, qui pourrait donner à penser qu’ils ne sont pas concernés. Cet amendement vise à donner explicitement intérêt à agir aux syndicats.

M. le rapporteur pour avis. Votre amendement est satisfait par l’alinéa 6 de la proposition de loi. Aussi je vous invite à le retirer ; à défaut, j’y serai défavorable.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CD32 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Prononcer l’amende civile est une prérogative du juge, les parties ne peuvent le solliciter en ce sens. Cet amendement tend à éviter toute confusion et à harmoniser la rédaction de l’alinéa 9 de l’article 1er avec celle de l’alinéa 4 de l’article 2.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CD28 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Le montant de 10 millions d’euros pour l’amende civile ne semble pas pertinent. Il devrait être proportionnel au dommage causé ainsi qu’aux moyens de l’entreprise responsable, de sorte qu’il pourrait être inférieur ou supérieur à 10 millions d’euros.

M. le rapporteur pour avis. Nous parlons, à l’article 1er, du plan de vigilance. En cas d’absence de plan, outre l’amende, le juge pourra ordonner son établissement et sa publication, ce qui a un coût pour l’entreprise concernée. Par ailleurs, le législateur a pour obligation, quand il prévoit une sanction, d’en préciser le plafond. Avis défavorable.

M. Philippe Noguès. Je retire l’amendement, mais je vérifierai ce point avant la séance.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie des amendements identiques CD29 de Mme Barbara Romagnan et CD37 du rapporteur pour avis.

M. Philippe Noguès. Pour des raisons morales et dans un souci d’efficacité du dispositif, l’amende prononcée par le juge ne peut pas être considérée comme une charge déductible du résultat fiscal.

M. le rapporteur pour avis. Je ne peux qu’être favorable à cet amendement. (Sourires)

M. Jean-Marie Sermier. Il ne saurait y avoir de justice à deux vitesses. Si amende il y a, elle répond aux lois et règlements de la République. Cet amendement est donc inutile.

M. le rapporteur pour avis. L’article 39 du code général des impôts prévoit que « Les sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en déduction des bénéfices soumis à l’impôtIl en est de même du versement libératoire prévu à l'article L. 221-4 du code de l'énergie. » La précision a donc du sens.

M. Jean-Marie Sermier. On nous reproche souvent de faire des lois bavardes. En effet, des lois qui répètent des textes en vigueur ont tout lieu d’être considérées comme de l’affichage.

M. le rapporteur pour avis. Il ne s’agit pas d’une loi bavarde, elle ne fait que deux pages ! (Rires)

La Commission adopte les amendements.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 1er ainsi modifié.

Article 2 (article L. 225-102-5 [nouveau] du code de commerce) : Responsabilité en cas de non-respect des obligations légales relatives au plan de vigilance

La Commission est saisie de l’amendement CD24 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Il s’agit de préciser le champ d’application de la responsabilité civile en cas de survenance d’un dommage environnemental ou d’atteintes aux droits humains, malgré l’existence du plan de vigilance.

M. le rapporteur pour avis. Sur ce point de la coresponsabilité, les experts civilistes que nous avons auditionnés ont indiqué que le juge pouvait d’ores et déjà, en matière de dommages, partager la responsabilité entre plusieurs acteurs. C’est le droit commun de la responsabilité.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte alors l’amendement de conséquence CD33 du rapporteur pour avis.

Elle examine ensuite l’amendement CD35 également du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Il s’agit d’un amendement de précision : les associations, comme les syndicats, sont des personnes au sens juridique du terme.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CD36 du même auteur.

M. le rapporteur pour avis. C’est un amendement de cohérence avec l’amendement ayant le même objet déposé à l’article 1er.

La Commission adopte l’amendement.

Elle émet ensuite un avis favorable à l’adoption de l’article 2 ainsi modifié.

Après l’article 2

La Commission est saisie de l’amendement CD20 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Cet amendement tend à rendre applicable la proposition de loi aux sociétés par actions simplifiées (SAS) qui, curieusement, sont exclues du champ d’application de la loi.

M. le rapporteur pour avis. Je comprends votre préoccupation, mais je ne peux que rappeler que les obligations de publication d’informations extra-financières, qui constituent le fil rouge de cette proposition de mise en place d’un plan de vigilance, ne concernent pas encore les SAS.

La différence de traitement n’a pas la même portée. L’obligation d’établir et de mettre en œuvre de façon effective un plan de vigilance fait sens pour des sociétés opérationnelles, ce que ne sont pas, de façon générale, les SAS dont la forme est plus adaptée aux holdings, par exemple. À l’inverse, le statut de SAS n’empêchera pas le juge de remonter jusqu’à la holding de tête lorsque la responsabilité pour non-respect de l’obligation pourra être engagée.

Je suggère donc que nous en restions aujourd’hui à ce parallélisme des formes, étant entendu que les SAS ont, à mon sens, vocation, à se voir appliquer à terme la même exigence en matière de RSE. Je demande le retrait de l’amendement, faute de quoi j’y serai défavorable.

Mme la vice-présidente Catherine Quéré. M. Noguès, retirez-vous cet amendement ?

M. Philippe Noguès. Non, il est maintenu.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CD17 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Cet amendement reprend une proposition du rapport Attali, qui figurait d’ailleurs dans le projet de loi Macron avant d’en être retirée, et qui permettrait d’étendre le champ de la proposition de loi.

Les dispositions générales du code civil définissent les sociétés comme poursuivant des objectifs uniquement financiers. De ce fait, les relations entre les parties prenantes de la société sont déséquilibrées au profit des actionnaires et des associés, lesquels s’associent en vue de partager des bénéfices ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter.

Il s’agit de repenser l’économie du XXIsiècle en élargissant la finalité poursuivie par les sociétés : les entreprises doivent être gérées dans leur intérêt propre, ce dernier contribuant à l’intérêt général des parties prenantes, de même qu’à l’intérêt général économique, social et environnemental. Ainsi chacun pourra dire qu’il aime l’entreprise !

M. le rapporteur pour avis. J’entends le sens de votre proposition, et je dois dire que je n’y suis pas insensible. Néanmoins, les rapporteurs au fond et pour avis considèrent comme la meilleure stratégie pour aboutir de ne pas étendre le champ du texte et de le garder focalisé sur l’obligation nouvelle d’établir et de mettre en œuvre de manière effective le plan de vigilance, ainsi que sur la conséquence en termes de responsabilité découlant du non-respect de cette obligation.

C’est peu, me direz-vous, à quoi je répondrai que c’est beaucoup (Sourires), car c’est là une innovation qui va nous permettre de « cranter » dans le droit le concept de vigilance, sans retour en arrière possible. C’est un premier pas qui sera suivi de beaucoup d’autres, j’en suis persuadé. Aussi vous demanderai-je de retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Philippe Noguès. Ce serait dommage, car tous les acteurs de la RSE attendent cette nouvelle forme de gestion participative des entreprises. Tous attendent qu’elles servent l’intérêt général.

M. Jean-Yves Caullet. Dans nos institutions, le garant de l’intérêt général sous tous les aspects – économique, social, environnemental –, c’est la loi. Écrire dans la loi qu’une société doit être gérée en fonction de son intérêt dans le respect de l’intérêt général, autrement dit conformément à la loi, ne fait, selon moi, qu’affaiblir l’ensemble du corps législatif qui est chargé de cette garantie.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CD16 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Cet amendement tend à faire des syndicats des acteurs à part entière des dispositifs de vigilance mis en œuvre au sein de leurs entreprises, en complétant le code du travail par un alinéa leur permettant de s’assurer du suivi d’un accord relatif à la RSE.

M. le rapporteur pour avis. Votre proposition me semble satisfaite par le droit existant puisqu’une telle possibilité existe d’ores et déjà dans le cadre de l’examen annuel des comptes prévu aux articles L. 2323-8 et L. 2323-9 du code du travail.

Le 1° du I de l’article L. 2325-35 du code du travail, que vous voulez compléter, prévoit que le comité d’entreprise peut se faire assister d’un expert-comptable de son choix, payé par l’entreprise.

Quant à l’article L. 2323-8, il dispose : « Dans les sociétés commerciales, l’employeur communique au comité d’entreprise, avant leur présentation à l’assemblée générale des actionnaires ou à l’assemblée des associés, l’ensemble des documents transmis annuellement à ces assemblées ainsi que le rapport des commissaires aux comptes. ». Or le plan de vigilance est publié dans le rapport de gestion.

Avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’examen de l’amendement CD18 de Mme Barbara Romagnan.

M. Philippe Noguès. Cet amendement vise à inclure le suivi du plan de vigilance dans les missions du CHSCT de la société mère.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, la Commission rejette l’amendement.

Article 3 : Extension de l’obligation d’élaboration d’un plan de vigilance aux îles Wallis-et-Futuna

La Commission est saisie de l’amendement CD34 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. La proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre prévoit l’application de cette nouvelle obligation légale dans les îles Wallis-et-Futuna. Curieusement, elle ne prévoit pas d’y étendre l’application de la sanction du non-respect de cette obligation, puisque seul l’article L. 225-102-4 du code de commerce est visé par cet article 3. L’amendement a pour objet d’étendre aux îles Wallis-et-Futuna la possibilité de sanctionner dans les mêmes conditions le non-respect de l’obligation légale d’établir et de mettre en œuvre de façon effective un plan de vigilance.

La Commission adopte l’amendement.

Ce faisant, elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 3 ainsi rédigé.

*

Puis la commission émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 11 mars 2015 à 9 heures

Présents. - M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Jacques Alain Bénisti, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Gérard Menuel, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Barbara Romagnan, M. Gilbert Sauvan, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, Mme Suzanne Tallard, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Philippe Duron, Mme Sophie Errante, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Napole Polutélé, Mme Sophie Rohfritsch, M. Martial Saddier, M. Gabriel Serville, M. Thierry Solère

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Pierre Blazy, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Philippe Noguès, M. Dominique Potier