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Mercredi 6 mai 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 45

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Table ronde sur l’apiculture et les néonicotinoïdes, avec la participation du docteur Jean-Marc Bonmatin, membre de la task force internationale sur les pesticides systémiques, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; M. Denis Sapène, apiculteur, membre de la Fédération française des apiculteurs professionnels ; M. Frank Aletru, apiculteur, vice-président de l’organisation non gouvernementale « Terre d’Abeilles », membre du groupe Méthodes–Pesticides–Abeilles ; le docteur Michel Nicolle, de l’association « Alerte des Médecins sur les Pesticides» (ALMP) ; M. Joël Limouzin, vice-président de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA) et de sa commission apiculture

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé une table ronde sur l’apiculture et les néonicotinoïdes, avec la participation du docteur Jean-Marc Bonmatin, membre de la task force internationale sur les pesticides systémiques, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; M. Denis Sapène, apiculteur, membre de la Fédération française des apiculteurs professionnels ; M. Frank Aletru, apiculteur, vice-président de l’organisation non gouvernementale « Terre d’Abeilles », membre du groupe Méthodes-Pesticides-Abeilles ; le docteur Michel Nicolle de l’association « Alerte des Médecins sur les Pesticides» (ALMP) ; M. Joël Limouzin, vice-président de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA) et de sa commission apiculture.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mesdames, messieurs, chers collègues, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire suit, avec un intérêt particulier, la question de l’usage des produits phytosanitaires et de leurs conséquences sanitaires et environnementales.

Nous avons ainsi entendu le 17 juillet 2013 le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, sur l’agro-écologie. En janvier 2014, nous avons examiné la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national – notre rapporteure était alors Mme Brigitte Allain. Enfin, nous avons également auditionné, le 10 février dernier, notre collègue Dominique Potier sur le rapport qu’il avait remis au ministre de l’agriculture sur le thème « Pesticides et agro-écologie : les champs du possible », et nous avons organisé en mars dernier une table ronde sur les produits phytosanitaires.

La commission poursuit ses travaux sur le sujet en organisant aujourd’hui cette table ronde intitulée « Abeilles et néonicotinoïdes », mais qui traitera plus généralement des hyménoptères, ainsi que des enjeux sanitaires et environnementaux de ces produits.

Je vous propose de donner d’abord la parole à nos invités pour un propos liminaire, avant de passer aux questions des représentants des groupes politiques et des députés.

Dr Jean-Marc Bonmatin, membre de la task force internationale sur les pesticides systémiques, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Monsieur le président, mesdames, messieurs, je vous remercie de me donner l’opportunité de porter à votre connaissance quelques éléments scientifiques sur le thème des néonicotinoïdes. Je m’exprime ici en tant que spécialiste des neurotoxiques, dont les néonicotinoïdes sont l’une des déclinaisons en matière de pesticides, mais aussi en tant que chercheur au CNRS – qui est mon employeur – et vice-président de la task force sur les pesticides systémiques, qui est un groupement de chercheurs indépendants, volontaires et sans conflit d’intérêts. Pour des raisons statutaires, je ne m’exprime pas au nom de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), ni en celui de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), pour lesquelles je suis expert.

Les néonicotinoïdes sont une petite famille d’une dizaine de matières actives qui agissent sur le système nerveux central au niveau post-synaptique. Ils se lient aux récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine, à la place de l’acétylcholine. De ce fait, l’insecte ravageur meurt par crampe généralisée, en quelques secondes ou quelques minutes. L’archétype des néonicotinoïdes est l’imidaclopride.

Les néonicotinoïdes sont principalement utilisés en agriculture, pour une centaine d’usages et dans plus de cent pays, plus précisément pour les fruits, les céréales, les légumes, ainsi qu’en foresterie et pour le traitement du bétail et des animaux domestiques. La progression des ventes depuis le milieu des années 1990 fait qu’ils représentent aujourd’hui un tiers des insecticides vendus dans le monde. En France, quatre néonicotinoïdes sont en usage : le thiaméthoxam, le thiaclopride, l’imidaclopride et l’acétamipride. Les ventes continuent de progresser, notamment pour l’imidaclopride, en dépit des restrictions prononcées en 1999, 2004 et 2013.

La toxicité aiguë des néonicotinoïdes pour les abeilles peut être comparée à celle du DDT par rapport à la « dose létale 50 % » (DL50), c’est-à-dire la dose individuelle de produit entraînant la mort d’un individu sur deux, exprimée en nanogrammes par abeille. Par exemple, l’imidaclopride est 7 300 fois plus toxique pour les abeilles que ne l’était le DDT, alors que les quantités à l’hectare sont seulement de deux à six fois inférieures.

C’est la découverte des effets létaux et sublétaux, par intoxication chronique, qui a pu être reliée directement aux surmortalités d’abeilles. Pour illustrer ces effets, nous pouvons utiliser le modèle drosophile. La concentration DL50 est diminuée par un facteur 170 en passant d’une exposition aiguë à une exposition chronique pendant huit jours. De plus, la survie de l’espèce est compromise par des effets sublétaux sur la reproduction, jusqu’à des concentrations encore 50 000 fois inférieures à la précédente, c’est-à-dire 0,1 milliardième de gramme d’imidaclopride par gramme de nourriture.

La communauté des scientifiques – sans conflit d’intérêts – s’accorde à lier le phénomène de surmortalité des abeilles à des causes parfois seules, parfois combinées. À côté des quatre causes pouvant agir directement que sont le manque de fleurs – en quantité ou en variété –, les pyréthrinoïdes, les néonicotinoïdes, ainsi que les parasites et les agents infectieux, on trouve également les fongicides, qui constituent un facteur synergique aggravant – ils ne peuvent tuer les abeilles que s’ils sont associés à d’autres facteurs, qui sont d’ailleurs tous en interaction. Par exemple, les néonicotinoïdes rendent les abeilles plus sensibles aux infections et aux parasites.

Le dernier rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le plus grand rassemblement scientifique international sur la biodiversité, qui publie la liste rouge des espèces en voie de disparition, fait état de l’extinction en cours de 9 % des espèces d’abeilles – étant précisé que, pour l’immense majorité d’entre elles, aucune étude n’est disponible. Ce rapport appelle expressément à de meilleures pratiques agricoles en matière d’insecticides.

Au niveau de l’écosystème, les néonicotinoïdes contaminent principalement les sols, dans lesquels leur durée de vie peut atteindre une dizaine de mois, voire, dans certains cas, plusieurs années. Par transfert, ils vont contaminer significativement les eaux de surface et les eaux profondes. Seuls 2 % à 20 % des néonicotinoïdes pénètrent les plantes, puis contaminent les pollens et les nectars. Tous les compartiments de la nature sont atteints, exposant un très grand nombre d’espèces non-cibles dans tout l’écosystème.

Depuis 2010, une cinquantaine de scientifiques de diverses disciplines se sont rassemblés devant l’importance des problèmes environnementaux engendrés par les néonicotinoïdes et le fipronil. Après cinq ans d’analyse de toutes les données disponibles, nous avons publié la première méta-analyse complète sur le sujet, sous la forme d’un numéro spécial de la revue Environmental Science and Pollution Research – revue à comité de lecture et à évaluation par les pairs –, disponible dès 2014 et actuellement en libre accès sur Internet.

Les invertébrés terrestres – les abeilles et les vers de terre, par exemple – sont fortement exposés via les plantes et les sols. Les effets écotoxicologiques apparaissent à de très faibles doses pour les individus et les populations, aucune donnée n’étant cependant disponible pour les communautés.

La situation est plus alarmante encore pour les invertébrés aquatiques, fortement exposés via l’eau. Non seulement les effets apparaissent aux plus faibles doses pour les individus et pour les populations, mais l’impact sur les communautés a été mis en évidence pour des doses modérées. Tout ceci est d’une importance capitale pour les activités liées à la pêche et, plus généralement, pour la chaîne alimentaire dans l’écosystème aquatique.

Chez les vertébrés – par exemple les poissons ou les oiseaux –, les effets directs sont généralement observés à des doses plus élevées ou lors d’une exposition de plus longue durée. Toutefois, le cas des oiseaux montre que les effets sur les individus interviennent à des doses modérées, tandis que les effets sur les populations sont probables. En fait, de tels effets ont été démontrés aux Pays-Bas pour une quinzaine d’espèces d’oiseaux communs, dont les hirondelles, passereaux et grives, dès que la contamination des eaux de surface dépasse 20 nanogrammes par litre, ce qui est courant et provoque un déclin rapide des oiseaux communs.

Le tout récent rapport de l’European Academies Science Advisory Council (EASAC), un organisme regroupant les vingt-sept académies scientifiques européennes, confirme nos conclusions sur les effets des néonicotinoïdes pour la biodiversité et les services écosystémiques nécessaires à l’agriculture. Comme nous, il appelle à l’arrêt des traitements prophylactiques, c’est-à-dire préventifs, et à la restauration de la biodiversité.

Les néonicotinoïdes cumulent cinq caractéristiques particulières. Ils sont utilisés préventivement et massivement ; ils ont une très haute toxicité pour les invertébrés et une haute toxicité pour les vertébrés ; ils persistent très longtemps dans les sols et contaminent les eaux de surface comme les eaux profondes. Pour ces raisons, ils constituent une cause majeure de la perte des pollinisateurs et ils compromettent la stabilité de l’écosystème. Ils constituent aussi une menace pour la sécurité alimentaire, en termes de quantités à produire comme de contamination de la nourriture.

L’utilisation qui est faite actuellement des néonicotinoïdes n’est pas durable. Pas plus que celle des antibiotiques, elle ne saurait être automatique. Si vous voulez sauver les abeilles, il va falloir arrêter d’empoisonner nos campagnes !

M. Denis Sapène, apiculteur, membre de la Fédération française des apiculteurs professionnels. Je suis apiculteur en Haute-Garonne depuis 1979 et membre de la Fédération française des apiculteurs professionnels, qui regroupe des éleveurs d’abeilles vivant exclusivement des produits de la ruche et souhaitant continuer à exercer leur activité sur l’ensemble du territoire, comme M. Le Foll le leur a promis.

Il n’y a plus aujourd’hui de zones du territoire qui échappent à la problématique apicole. En 1995-1996 pour l’ouest et le centre, puis en 1997-1998 pour le sud-ouest, ont été dressés les premiers constats de dysfonctionnements des ruches : comportements anormaux des abeilles et des colonies, affaiblissements rapides et dépopulations. Ces phénomènes, auxquels nous n’avions pas été confrontés jusqu’alors, ont eu pour conséquence immédiate une baisse très importante des récoltes, puis une forte augmentation du taux de mortalité en automne et en hiver, les colonies survivantes étant très faibles en sortie d’hivernage.

Ces dysfonctionnements ont été observés à grande échelle, dans des exploitations aux pratiques très diverses. Nous avons mené des investigations en étudiant différents paramètres, notamment les conditions météorologiques et climatiques, ainsi que les végétaux cultivés. Le premier point commun qui en est ressorti est qu’il s’agissait toujours de zones de grandes cultures, essentiellement le tournesol et le maïs.

Dans ce contexte, nous avons également cherché du côté des traitements phytosanitaires. Le seul changement significatif dans les zones concernées résidait dans l’introduction et le développement de l’utilisation d’un nouveau traitement insecticide en enrobage de semence, le célèbre Gaucho, principalement sur le maïs et le tournesol. À l’époque, le traitement de semences affichait une image positive : une faible dose de matière active, appliquée exclusivement sur la graine en remplacement de l’épandage en plein, ou des microgranulés dans le rang de semis, se voulait moins nocive et était donc plus acceptable socialement.

Très rapidement, les apiculteurs ont fait part de leurs observations et de leurs soupçons aux administrations concernées, qui sont d’abord restées dubitatives et n’ont rien fait. Au bout d’un certain temps, la recherche s’est, elle, saisie du sujet. Deux caractéristiques de l’enrobage de semences ont été mises en évidence : d’une part, la systémie, c’est-à-dire la migration du produit dans toutes les parties de la plante – notamment le pollen et le nectar, ce qui nous concernait – d’autre part la rémanence, c’est-à-dire la persistance dans le sol – ce qui fait qu’une plante cultivée sur un sol où s’étaient trouvées des semences enrobées les années précédentes pouvait se trouver entièrement contaminée, y compris si elle n’avait pas été traitée elle-même.

Ces éléments ont conduit au retrait du Gaucho pour le tournesol en 1999 et pour le maïs en 2004. En 2013, un moratoire a été mis en œuvre, interdisant l’utilisation en traitement de semences de trois néonicotinoïdes – l’imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxam – pour le tournesol, le maïs et le colza. Cependant, depuis l’introduction du Gaucho en 1994, l’utilisation des néonicotinoïdes s’est très largement répandue, s’étendant aux cultures à paille – notamment les blés et les orges – ainsi qu’au maraîchage, à la viticulture, la sylviculture, l’arboriculture, et même au traitement des bâtiments d’élevage et des charpentes.

Si l’on peut penser que les procédures étaient inadaptées, il y a vingt ans, pour évaluer la toxicité de telles molécules, on doit s’étonner de voir que certaines préparations obtiennent encore une homologation de nos jours : je pense notamment à un produit associant le Gaucho à un fongicide, homologué la semaine dernière.

Aujourd’hui, la situation de l’apiculture est dramatique. Premièrement, les négociants ont constaté un effondrement de la production de miel : nous avons perdu 70 % de notre capacité de production, passée de 40 000 tonnes avant 1995 à 12 000 tonnes – hypothèse optimiste – en 2014.

Deuxièmement, s’il y a toujours eu un certain taux de mortalité chez les abeilles, on assiste désormais à une surmortalité – apparue en même temps que les néonicotinoïdes – au sein de toutes les exploitations. Ainsi, les pertes hivernales, qui étaient comprises entre 5 % et 8 %, sont-elles passées à 25 % à 30 %, voire à 50 % dans certaines régions ; on constate par ailleurs un nombre important de ruches de non-valeur, c’est-à-dire improductives, tout au long de la saison, ce qui donne un surcroît de travail considérable aux apiculteurs – notamment en termes de nourrissage ou de remplacement des reines, pour remettre la colonie en état – sans rémunération en compensation.

Au fil des années, les apiculteurs ont épuisé toutes les solutions techniques pour compenser l’effondrement des colonies d’abeilles qui ne peuvent plus survivre sans eux, et considèrent se trouver désormais dans l’impasse : il leur paraît impossible de maintenir un cheptel en état de production.

La problématique s’est mondialisée : il est clair qu’il ne s’agit pas, comme on nous l’a dit en 1994 lorsque nous étions les premiers à le constater, d’un problème franco-français. Nous avons fait notre travail de lanceurs d’alerte très tôt et la science a démontré que nous avions vu juste, au travers d’études confirmant semaine après semaine nos observations et nos hypothèses.

Nous ne comprenons pas pourquoi les autorités ont continué à autoriser de tels produits en sachant que les procédures d’homologation étaient inadaptées, ni pourquoi elles permettent des pratiques, notamment celle du traitement préventif, en totale contradiction avec les principes de l’agro-écologie pourtant promus par le ministère de l’agriculture. Il y a eu une petite avancée avec le moratoire partiel de 2013, mais il vous revient désormais, mesdames et messieurs les députés, de prendre les décisions qui s’imposent. De notre point de vue, il faudrait beaucoup d’imagination pour plaider en faveur du maintien des néonicotinoïdes.

M. Frank Aletru, apiculteur, vice-président de l’organisation non gouvernementale « Terre d’Abeilles », membre du groupe Méthodes-Pesticides-Abeilles. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir aujourd’hui pour ce qui constitue une étape extrêmement importante après les derniers événements ayant eu lieu au Sénat et à l’Assemblée nationale en matière de néonicotinoïdes.

Vice-président de l’organisation non gouvernementale « Terre d’Abeilles », je suis également apiculteur professionnel depuis plus de trente ans en Vendée, dans une zone de grande culture – j’ai donc une certaine expérience en la matière. Mon exploitation compte 1 500 ruches et emploie cinq salariés.

La question des néonicotinoïdes constitue un dossier toxicologique accablant, allant du terrain au laboratoire. Alors que l’on peut avoir l’impression de piétiner, il se passe en réalité beaucoup de choses, en matière de justice comme de politique, au niveau national comme au niveau international.

De 1991 à 1994, des autorisations de mises sur le marché (AMM) ont été accordées à différents produits à base de néonicotinoïdes, dont le fameux Gaucho. En 1995 et 1996, les apiculteurs ont commencé à s’inquiéter en constatant des phénomènes tout à fait anormaux sur le terrain, en particulier des taux de mortalité élevés parmi les colonies d’abeilles. De 1997 à 2000, les hécatombes se sont multipliées, ce qui a conduit les apiculteurs à saisir les autorités et à alerter les politiques, éprouvant toutefois des difficultés à se faire entendre.

Nous avons donc dû engager des procédures judiciaires, ce qui constituait une démarche excessivement onéreuse pour une filière déjà économiquement affaiblie – c’était le pot de miel contre le pot de fer… (Sourires). Cependant, même si le combat semblait perdu d’avance, il nous paraissait indispensable de le livrer, car nous étions dans l’impasse. Les politiques ayant souhaité disposer de preuves scientifiques, nous nous sommes adressés aux chercheurs, notamment ceux du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA).

En 2003 et 2004, le ministre de l’agriculture de l’époque, Hervé Gaymard, a mis en place un comité scientifique et technique sous l’égide de la direction générale de l’alimentation (DGAL), ayant pour mission de mener une enquête multifactorielle et d’étudier tout particulièrement le dossier des néonicotinoïdes alors en usage, à savoir le Gaucho et le Régent. Les conclusions de cette enquête étaient accablantes, les experts constatant une insuffisance et des carences graves au niveau de l’évaluation de la toxicité du fipronil – la molécule du Régent –, en particulier sur les insectes pollinisateurs.

En 2004 et 2005, le Conseil d’État, que nous avions saisi, a confirmé les graves carences d’évaluation du risque concernant le Gaucho et prononcé successivement l’interdiction du Gaucho et celle du Régent, sur la base de cet argument. À l’époque, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et la DGAL autorisaient donc la mise sur le marché de produits insuffisamment évalués : ce qui avait déjà fait l’objet de scandales dans le domaine médical se reproduisait dans le secteur de l’agrochimie.

Comme l’a dit le docteur Jean-Marc Bonmatin, ces produits persistent dans les sols et sont rémanents dans les cultures suivantes, même lorsque celles-ci ne sont pas traitées. Nous avons donc commencé à constater une pollution généralisée des sols, à des niveaux très différents car le degré de pollution varie en fonction de la rotation des cultures et de la nature des sols – certains retiennent plus les polluants que d’autres –, ainsi que des dépopulations exactement proportionnées au degré de pollution de chaque zone, à la façon d’un patchwork. En effet, je rappelle que les produits incriminés n’étaient pas interdits sur tous les types de culture : ainsi étaient-ils autorisés – comme ils le sont encore aujourd’hui – sur tous les types de céréales. Je ne jette donc pas la pierre au monde agricole, car c’est bien au niveau de la loi et de l’homologation des produits que se situent les responsabilités.

Pour venir à bout de la difficulté qui se pose à nous, il faut faire en sorte que les néonicotinoïdes ne soient plus utilisés du tout. En effet, en raison de la persistance – c’est une véritable colle –, de la rémanence et de la haute toxicité de ce produit systémique, son utilisation, même limitée à quelques parcelles, a pour conséquence de contaminer toutes les cultures – ce qui fait que les efforts accomplis à tel ou tel endroit se trouvent forcément réduits à néant.

En 2006 a été fait le constat d’une nouvelle carence d’évaluation pour d’autres familles de produits, ce qui conduit Hervé Gaymard à faire de nouveau appel à un groupe de travail qui avait été désactivé. Ce qui était autrefois le groupe Abeilles est devenu le groupe de travail Méthodes-Pesticides-Abeilles, avec pour mission de mettre au point des méthodes d’évaluation pertinentes, compte tenu des nouvelles performances de ces familles d’insecticides qui sont de véritables Ferrari : des doses infimes produisent des effets maximaux. On parle très peu de ce groupe, unique au monde, qui regroupe des personnes du monde agricole, des représentants des firmes de l’agrochimie, des laboratoires publics et indépendants, ainsi que des testeurs professionnels de produits phytosanitaires. Ce groupe de travail, dont je fais partie, rédige de nouveaux tests – nous en avons présenté à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority, EFSA), qui les a validés.

Cela dit, des autorisations continuent d’être délivrées pour des néonicotinoïdes. Ainsi, en 2008, une autorisation de mise sur le marché a été accordée au Cruiser, qui contient un nouveau néonicotinoïde, le thiaméthoxam – il sera retiré en 2012, mais j’y reviendrai.

L’Italie a prononcé la suspension de quatre néonicotinoïdes dès 2008. Immédiatement, les apiculteurs y ont constaté une diminution des surmortalités chez les butineuses, premières touchées par les pesticides. Une grande étude appelée APENET, consultable sur Internet, a démontré que le retrait des néonicotinoïdes n’avait diminué en rien les capacités de production agricole, tandis que les résultats d’une autre étude, lancée en 2000, faisaient apparaître que les ravageurs devenaient rapidement très résistants aux néonicotinoïdes.

Toujours en 2008, l’Allemagne a suspendu la commercialisation de la clothianidine, un autre néonicotinoïde, ainsi que du thiaméthoxam – qui, dans le même temps, était autorisé en France – et de l’imidaclopride. J’insiste sur le fait que notre groupe de travail était pionnier dans son domaine d’action, et à l’origine de la découverte, effectuée en collaboration avec les laboratoires publics et indépendants, de la problématique dont l’Europe tout entière allait prendre conscience. Ainsi, les États membres ont interdit les néonicotinoïdes en s’appuyant sur des connaissances acquises dans le cadre de recherches financées par la France, tandis que notre pays continue, à ce jour, à les autoriser : c’est absolument inconcevable et inadmissible ! Pendant ce temps, les apiculteurs font des manifestations, soutenus dans leurs régions par certains députés et sénateurs, sans jamais obtenir l’interdiction générale qui leur permettrait de retrouver l’équilibre – ce qui fait qu’ils meurent à petit feu.

La contamination change de nom régulièrement – Gaucho, Régent, Cruiser –, mais le cauchemar ne s’arrête jamais. Pendant ce temps, les abeilles ne cessent de s’affaiblir car, comme l’a dit le docteur Jean-Marc Bonmatin, plus les quantités de produit sont importantes, plus les défenses immunitaires sont atteintes. Nos opposants ont beau jeu de dire que nos abeilles sont malades : bien sûr, puisqu’on les rend malades !

En novembre 2011, le Parlement européen a voté une résolution en faveur de l’apiculture européenne, pour l’interdiction des néonicotinoïdes – ce n’est toutefois qu’une résolution. En 2012, les chercheurs du centre avignonnais de l’INRA ont démontré par des tests que les abeilles perdent le sens de l’orientation. En 2013, la Commission européenne a voté un moratoire instaurant l’interdiction pour deux ans de trois néonicotinoïdes – ce qui ne mettra rien en évidence, compte tenu de la rémanence des produits et du fait que les autres néonicotinoïdes demeurent autorisés.

Fin 2013, les experts de l’EFSA ont reconnu qu’ils devaient revoir tous leurs protocoles d’évaluation. À la même période, la province canadienne de l’Ontario a réduit à 80 % l’utilisation des néonicotinoïdes. En juillet 2014, les États-Unis ont décidé de ne plus accorder de nouvelles homologations et de procéder à de nouvelles évaluations de tous les produits.

C’est également en 2014 qu’a été mise en place la task force, constituée de trente experts internationaux. Elle a étudié 1 221 études scientifiques, y compris celles effectuées par les firmes. Ses conclusions sont accablantes, et apportent aux décideurs que vous êtes la preuve irréfutable de la nécessité de procéder au retrait immédiat des néonicotinoïdes.

En avril 2015, la revue Nature – revue scientifique à comité de lecture, constituant une grande référence mondiale – confirme que les abeilles et les bourdons ne sont pas repoussés par les néonicotinoïdes présents dans le nectar des fleurs, mais au contraire attirés par ces poisons. Enfin, en mai, une étude réalisée au Brésil vient de montrer que l’explosion démographique d’une punaise brune classée parmi les ravageurs de culture dans ce pays est directement associée aux effets sur la reproduction d’un néonicotinoïde utilisé depuis très longtemps.

Vingt ans après les premières alertes dont la France a été le porte-drapeau, tous les arguments sont réunis pour que l’on interdise les néonicotinoïdes. On ne peut continuer à aller à contresens des données scientifiques, et à rester à la traîne des États qui, eux, ont pris les décisions qui s’imposent et savent se passer des néonicotinoïdes. Alors que la France était l’un des premiers producteurs de miel d’Europe, elle est passée au dernier rang. L’État doit réagir rapidement et concrètement pour mettre fin à cette situation en créant un nouveau modèle agricole allant dans le sens de la défense des consommateurs, de la santé et de la protection de l’environnement, respectant les générations futures et permettant aux jeunes de s’installer de façon durable.

La décision à prendre, qui engage notre proche avenir, relève de la responsabilité des politiques. Cette décision qui concerne l’humanité tout entière – chacun connaît la citation d’Einstein selon laquelle, si l’abeille disparaît, l’humanité n’en a plus que pour quatre ans à vivre – se trouve aujourd’hui entre vos mains. Cela fait vingt ans que je me bats au côté de mes collègues. Je salue ceux d’entre vous qui ont épousé notre cause, je les remercie et je leur souhaite bon courage. Surtout, j’espère que la prochaine fois que je viendrai m’exprimer devant vous, j’aurai de bonnes nouvelles à vous annoncer.

Dr Michel Nicolle, de l’association « Alerte des Médecins sur les Pesticides ». Monsieur le président, mesdames, messieurs, je vous remercie de m’avoir invité. Je suis médecin généraliste et n’ai absolument pas la prétention d’avoir la compétence des toxicologues et des entomologistes, mais je parle au nom de mes confrères généralistes, pour qui la santé environnementale est l’un des déterminants, et non des moindres, de la santé de chacun d’entre nous.

Que dire de l’impact des néonicotinoïdes sur la santé humaine ? Bien qu’ils soient présents sur le marché depuis plus de vingt ans, ils sont beaucoup moins documentés que tous les autres pesticides. Leur impact sur la santé humaine est aussi beaucoup moins documenté que leur impact sur la santé des insectes ; cela provient sans doute du fait qu’ils ont la réputation d’être très toxiques pour les insectes et beaucoup moins pour l’homme qui, en tant qu’espèce à sang chaud, présente moins de récepteurs sensibles à ces molécules, lesquelles, par ailleurs, ne sont pas bio-accumulables dans son organisme.

Pourtant, les premières alertes datent d’une dizaine d’années. Ont ainsi été décrits des effets de perturbation endocrinienne chez l’animal sur la thyroïde et le testicule, si bien que trois de ces molécules, au Canada, ont été classées perturbateurs endocriniens potentiels par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA), respectivement en 2001, 2004 et 2007. La cytotoxicité de ces molécules, ainsi que leur génotoxicité, ont aussi été précisées.

En 2002, aux États-Unis, l’Environmental Protection Agency (EPA) classait le thiaclopride comme cancérigène probable pour l’homme, suivie en cela par la Direction générale de la santé et des consommateurs (DG SANCO), rattachée à la Commission européenne, et par l’ANSES en France.

La plus inquiétante des études, qui date de 2012, relate des effets semblables à ceux de la nicotine sur le cerveau, les molécules en question agissant au niveau des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine qui est l’un des principaux neurotransmetteurs. Cela a conduit l’EFSA à reconnaître, malgré les limites de l’étude, ce danger neurodéveloppemental en 2013.

Tous ces troubles sont décrits comme faibles ou probables ; aussi cela a-t-il débouché sur des mesures de gestion des risques ayant conduit l’ANSES à estimer en 2011 que le risque était acceptable pour le consommateur ou pour les opérateurs moyennant certaines précautions. Pourtant, comme l’a très justement souligné dans cette enceinte, le 8 avril dernier, l’un des auteurs de l’expertise de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), le professeur Geneviève Van Maele : « En matière de néonicotinoïdes, les seules données actuellement disponibles chez l’homme concernent des intoxications aiguës, c’est-à-dire des empoisonnements. »

Qu’en est-il des études les plus récentes ? J’en citerai quelques-unes datant de deux ou trois ans, qui s’intéressent à des aspects beaucoup plus subtils que ces simples intoxications aiguës, en l’occurrence le biomonitoring, les effets cytotoxiques, les effets de perturbation endocrinienne, les effets « cocktail » et l’épidémiologie.

Pour ce qui est du biomonitoring, alors que les dosages étaient jusqu’alors plutôt orientés vers les milieux – l’eau et le sol – et l’alimentation, trois études japonaises viennent de décrire des méthodes qui permettent, sur des matrices humaines, de déceler des traces de néonicotinoïdes dans 90 % des urines, prouvant ainsi que cette méthode fiable et simple pourrait être, d’après les auteurs des études, étendue à un biomonitoring des populations à risques.

Une autre étude japonaise, et visant toujours l’homme, concerne l’élimination urinaire de trois néonicotinoïdes et de leurs métabolites en ne retenant qu’un seul métabolite significatif par substance active comme biomarqueur, pour rendre la méthode de dépistage plus rapide et plus simple.

Enfin, une dernière étude japonaise vient de mettre en évidence que les néonicotinoïdes n’agissent pas seulement sur les récepteurs de l’acétylcholine, mais également sur des récepteurs d’autres neurotransmetteurs très présents dans le système nerveux central, les récepteurs glutamatergiques.

Les effets cytotoxiques et génotoxiques ont, eux, été mis en évidence par une nouvelle étude, toujours sur des cellules humaines in vitro. Il a aussi été démontré chez l’animal que les néonicotinoïdes inhibaient une enzyme hépatique, ce qui entraînait l’accumulation intracorporelle d’une substance dont la neurotoxicité est démontrée : la delta-ALA.

J’en viens aux effets perturbateurs endocriniens. Deux études ont mis en évidence, sur modèle animal, l’impact des néonicotinoïdes sur le fonctionnement de la thyroïde ; une troisième précise que c’est le groupement imidazole des néonicotinoïdes qui se fixe sur les récepteurs thyroïdiens : on a bien constaté le mécanisme d’un effet endocrinien direct – ce qui ne signifie pas forcément qu’il soit nocif. L’action de l’imidaclopride sur la thyroïde est à nouveau soulignée.

Quant aux effets « cocktail », la publication du chercheur Robin Mesnage en 2014 a démontré que l’activité du mélange entre substance active et adjuvants était de très loin supérieure à celle de la substance active seule. Cette étude présentait deux caractéristiques : elle avait été réalisée sur des cellules humaines, et il y avait deux néonicotinoïdes parmi les molécules étudiées. Deux autres études de 2014 ont montré les effets synergiques d’un néonicotinoïde et d’un pesticide d’une autre catégorie : dans un cas un pyréthrinoïde et dans l’autre un carbamate.

Enfin, en ce qui concerne l’épidémiologie, une publication – encore japonaise – de 2014 présente la première étude épidémiologique de troubles apparus chez l’homme en lien avec une exposition aux néonicotinoïdes : 150 sujets présentant des troubles suite à des épandages aériens et 102 suite à la consommation de denrées contaminées. Les signes disparaissent dans les quinze jours qui suivent l’exposition, ou par modification alimentaire – pour leur étude, les auteurs ont défini un biomarqueur urinaire, l’acide 6 chloronicotinique. Je précise que le Japon présente la particularité de consommer de très grandes quantités de néonicotinoïdes, notamment en raison des épandages aériens qui y sont pratiqués ; les limites maximales de résidus (LMR) admises dans les végétaux y sont plus élevées que dans le reste du monde ; enfin, les Japonais boivent beaucoup de thé, une boisson obtenue par infusion de feuilles, ce qui fait qu’ils absorbent beaucoup de néonicotinoïdes. Cela explique qu’une grande partie des études réalisées sur les néonicotinoïdes soit effectuée au Japon, où cette question constitue une préoccupation particulière.

En conclusion, tolérer l’usage agronomique des molécules de néonicotinoïdes au prétexte qu’elles n’auraient qu’un impact modéré sur l’homme ne serait qu’un contresens, quand on sait les dégâts massifs qu’elles occasionnent dans un environnement dont l’homme n’est qu’un des éléments interdépendants.

Pour rester dans le registre de la santé, je reprendrai les propos du professeur Lasfargues, de l’ANSES, qui a souligné ici même, le 31 mars, que ce qui manquait le plus pour l’évaluation des risques, c’étaient « des données d’exposition représentatives des populations les plus exposées ». Aussi, face à l’absence de données sur la santé humaine, demandons-nous la réalisation d’études d’expologie à travers des techniques de biomonitoring. En effet, il n’existe actuellement aucune trace des néonicotinoïdes dans les études de biosurveillance, que ce soient l’étude « agriculture et cancer » (AGRICAN) de l’ANSES, le projet GLOBOCAN de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les études de l’Institut de veille sanitaire (InVS) – étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (ESTEBAN), étude longitudinale française depuis l’enfance (ELFE) – ou encore celles de l’INSERM. Ce biomonitoring devra mesurer l’exposition réelle chez l’homme, et non une exposition calculée, extrapolée à partir de questionnaires sur les consommations alimentaires comme le fait l’ANSES. Un tel travail est d’autant plus attendu que la notion d’exposome est consacrée dès l’article 1er de la loi de santé actuellement en discussion au Parlement.

Deuxièmement, nous demandons que des études d’exposition faible sur des durées plus importantes soient réalisées.

Troisièmement, nous demandons que les évaluations avant autorisation de mise sur le marché prennent en compte les cocktails de substances, y compris les adjuvants.

Quatrièmement, nous demandons qu’au regard de nouvelles publications, le thiaclopride classé C2 – cancérigène probable – fasse l’objet d’une évaluation poussée, du fait de son caractère perturbateur endocrinien et de sa neurotoxicité associés ; il en est de même pour l’imidaclopride, dont les effets cytotoxiques et perturbateurs endocriniens sont en soi des facteurs de risques supplémentaires.

Chaque mois nous réserve des découvertes, parfois importantes, comme l’existence de nouveaux récepteurs, autres que nicotiniques, les effets démultipliés des cocktails, mais aussi de nouveaux cas de résistance aux néonicotinoïdes. À l’heure actuelle, après les constats de leur extrême nocivité pour les insectes pollinisateurs et pour la biodiversité, d’autres constats du même type sont faits au sujet de l’homme, et tous vont dans le même sens.

M. Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA et de sa commission apiculture. Monsieur le président, mesdames, messieurs, M. Julien Delaunay, président de la commission apiculture de la FNSEA, m’a chargé de vous transmettre ses excuses : retenu par un impératif de dernière minute sur son exploitation, il a dû renoncer à venir s’exprimer devant vous ce matin.

En tant que vice-président de la commission apiculture de la FNSEA, je vais procéder à un tour d’horizon de la situation de l’apiculture en France, en faisant parfois le lien avec l’agriculture. Je commencerai par observer que les chiffres relatifs à la baisse de la production de miel sont à envisager de façon large. Il faut tenir compte, comme dans tout le secteur agricole, de la problématique de la formation professionnelle et de celle du renouvellement des apiculteurs. D’autres problématiques, d’ordre sanitaire, ne doivent pas non plus être négligées. Ainsi le varroa, un acarien parasite des abeilles, constitue-t-il un véritable fléau contre lequel nous devons continuer à chercher des solutions afin d’éviter la décimation des colonies.

De même, la perte de la richesse florale actuellement constatée doit nous interpeller : cette perte porte atteinte de manière significative aux apports en nourriture sur lesquels les abeilles doivent pouvoir compter tout au long de la saison pour assurer la production de miel, mais aussi, tout simplement, pour que les colonies soient en bonne forme à la sortie de l’hiver. Au-delà de l’agriculture, les collectivités locales doivent être impliquées dans la recherche de moyens destinés à assurer une masse florale suffisante, notamment par la mise en œuvre de fleurissements – en privilégiant évidemment les espèces végétales mellifères –, ainsi que par l’adoption de pratiques raisonnées de fauche des herbes en bordure de chemin, par exemple.

Pour ce qui est du dossier phytosanitaire, il est important de maintenir et de renforcer le dialogue qui a fini par s’engager entre le monde apicole et le monde agricole – après des années marquées par une certaine étanchéité entre les deux. Aujourd’hui, les informations pratiques circulent de manière satisfaisante, comme vous pouvez le voir avec cette douzaine de fiches de bonnes pratiques que je tiens à votre disposition. Récemment diffusées par la presse agricole départementale auprès des agriculteurs de toutes les filières – céréales à paille, légumes d’industrie, tournesol, etc. –, ces fiches indiquent les bonnes méthodes pour protéger les plantes tout en satisfaisant aux exigences des apiculteurs. Je souligne que les agriculteurs sont demandeurs d’informations de nature à leur permettre de progresser dans leurs pratiques. Certes, les choses pourraient aller plus vite, mais nous avons commencé à avancer dans la bonne direction.

Si les produits phytosanitaires sont soumis à une homologation de l’EFSA, c’est qu’ils ont forcément des effets sur leurs utilisateurs et sur les milieux. Les homologations et préconisations doivent évoluer en même temps que les connaissances scientifiques, et l’EFSA doit veiller à être beaucoup plus en pointe qu’elle ne l’est dans ce domaine, afin d’évaluer de façon réaliste les risques chroniques pour le comportement des colonies d’abeilles et surtout les dysfonctionnements pouvant les affecter.

Les lignes directrices de l’EFSA en matière d’évaluation des risques présentés par les produits de protection des plantes sur les pollinisateurs sont en train d’évoluer. Les apiculteurs estiment que le changement doit s’opérer plus rapidement, et nous avons tous à cœur qu’il se fasse en cohérence avec l’ensemble des États membres. Lorsque l’EFSA donne des orientations, nous pouvons nous féliciter que la France soit parmi les premières à les appliquer, mais nous ne pouvons faire abstraction de la dimension européenne et mondiale du commerce des produits agricoles. En septembre 2015, l’EFSA rendra de nouvelles conclusions, très attendues, qui devraient permettre à la Commission européenne de prendre des mesures plus adaptées aux risques. Le monde agricole est à l’écoute, et tout à fait disposé à prendre en compte les résultats scientifiques qui seront validés par l’Agence européenne, comme il l’a montré en 2013 en mettant en œuvre le moratoire décidé suite aux recommandations de l’EFSA.

Nous devons procéder à une évaluation réaliste des risques d’impact écologique. Même s’il est constaté que certains pays font une utilisation trop prophylactique des néonicotinoïdes, je rappelle que ce n’est pas le cas en France, où une vraie prise de conscience a eu lieu, aboutissant à une plus grande transparence des pratiques. Les traitements de semences effectués aujourd’hui dans notre pays représentent 30 % des surfaces en céréales d’automne, dont 70 % pour les orges, et un tiers des surfaces en maïs, que les semences soient fermières ou non – je précise que ces chiffres proviennent d’Arvalis-Institut du Végétal et du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS). Certes, on peut toujours faire mieux ; j’insiste cependant sur le fait que ces traitements ne sont pas systématiques, mais appliqués de façon raisonnée en fonction des risques.

Je reprendrai l’expression évoquée tout à l’heure par le docteur Jean-Marc Bonmatin, « les antibiotiques, c’est pas automatique », pour souligner que le secteur agricole a fait une large application de ce slogan en diminuant très fortement la quantité d’antibiotiques administrée aux animaux depuis quelques années, tandis que la consommation humaine, elle, peine à diminuer. Cela dit, on peut espérer que le dialogue engagé avec les agriculteurs au sujet de l’utilisation des produits phytosanitaires, qu’il faut continuer à renforcer, aboutira à ce que nous trouvions des solutions en vue de diminuer encore les traitements.

Le monde agricole est bien conscient de la nécessité de préserver les abeilles, non seulement pour la production de miel, mais aussi en raison de leur rôle de pollinisateurs, essentiel à l’agriculture, notamment dans le cadre des schémas de sélection mis en œuvre pour la production de semences certifiées, réutilisables par les agriculteurs d’une année sur l’autre. Dans certaines régions de France, il n’est pas simple d’obtenir l’autorisation de mettre en œuvre des produits phytosanitaires en plein champ, que ce soit en raison des pluies, des vents, ou de la portance des sols. C’est ce qui avait conduit à mener les recherches ayant abouti à la technique des semences enrobées, qui ont effectivement eu des conséquences sanitaires, y compris des cas de mortalité, qui nous ont tous choqués.

Cela dit, je rappelle que le monde agricole n’utilise que des produits homologués. Il faut donc que chacun prenne ses responsabilités : si les homologations doivent évoluer, le monde agricole tiendra compte des nouvelles recommandations de l’EFSA – mais il faudra bien trouver des alternatives aux produits dont l’utilisation pourrait être proscrite. Ainsi, dans le secteur de la viticulture, il n’existe à ce jour aucun autre produit que le Diametoxan pour combattre la cicadelle, vecteur de la flavescence dorée – contre laquelle un plan de lutte obligatoire et collectif a été mis en œuvre. J’insiste sur ce point : si la décision politique consistant à retirer un produit est prise, le monde agricole en prend acte, mais il est en droit d’exiger qu’on lui fournisse une solution de rechange pour protéger les plantes. À défaut, il ne faudrait pas s’étonner que les agriculteurs soient contraints de mettre fin à telle ou telle production, ce qui nécessiterait ensuite de l’importer pour pouvoir continuer à fournir les consommateurs français.

Pour ce qui est des pistes de travail, j’estime qu’il faut aller plus loin dans le domaine de la recherche scientifique afin de permettre à l’EFSA de développer de nouvelles recommandations si nécessaire. Par ailleurs, le dialogue entre les apiculteurs et les agriculteurs doit être amplifié, afin que chacun prenne conscience des bénéfices mutuels procurés par la préservation des abeilles. Il faut poursuivre la diffusion à l’intention des agriculteurs des outils de conseil et d’aide à la décision portant sur l’opportunité de mettre en œuvre des semences traitées à la parcelle, notamment sous la forme des fiches de bonnes pratiques que j’ai évoquées tout à l’heure.

Chacun doit prendre ses responsabilités, et il ne saurait être question de chercher des boucs émissaires au sein du monde agricole, qui n’utilise que des produits autorisés et pour qui la santé humaine – celle des consommateurs comme celle des exploitants – est une priorité.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous remercie, messieurs, pour la qualité et la sérénité de vos interventions.

Je vais maintenant donner la parole aux représentants des différents groupes, puis aux parlementaires souhaitant poser des questions.

Mme Geneviève Gaillard. Je remercie notre président d’avoir organisé cette table ronde sur un sujet qui nous préoccupe beaucoup, celui de l’effondrement du nombre de colonies d’abeilles et, plus largement, de la diminution de la population d’insectes pollinisateurs. C’est en 2008 que nous avons commencé à prendre la mesure de ce problème qui remet en cause la production française de miel, mais aussi le travail des apiculteurs, qu’ils soient professionnels ou amateurs. Deux rapports publiés cette année-là ont en effet retenu notre attention : d’une part, celui de l’ANSES sur la mortalité des abeilles, d’autre part, celui rendu par notre collègue Martial Saddier, qui émettait déjà des préconisations visant à enrayer ce fléau.

Depuis, on ne peut pas dire que les choses aient évolué dans le bon sens : bien au contraire, la situation est aujourd’hui dramatique. Certes, quelques mesures ont été prises, notamment le moratoire décidé au sujet des substances néonicotinoïdes, mais elles n’ont pas suffi à ralentir le processus de disparition des abeilles. Aujourd’hui, on sait que les néonicotinoïdes ont, en plus de leur action létale directe, des effets aggravants rendant les abeilles plus fragiles, notamment face aux parasites tels que le varroa.

En février 2015, le Sénat a débattu, à l’initiative de Joël Labbé, d’une proposition de résolution visant à obtenir un moratoire européen sur les pesticides néonicotinoïdes, mais a repoussé cette proposition. À l’Assemblée nationale, dans le cadre de la loi biodiversité, nos collègues Delphine Batho, Gérard Bapt et Laurence Abeille ont présenté, avec mon soutien, un amendement visant à interdire les néonicotinoïdes, qui a été adopté.

Aujourd’hui, on se demande comment aller plus loin, et je m’étonne de l’impossibilité apparente d’avancer sur le sujet, alors qu’il est établi que ces produits sont de nature à fragiliser les abeilles et à entraîner des pertes considérables. Faut-il y voir l’action de certains lobbys, notamment ceux des laboratoires produisant les néonicotinoïdes ? Il faut bien se poser la question.

Je m’interroge également sur les évaluations. Actuellement, on estime la toxicité des pesticides sur les abeilles en fonction de leur DL50. Ce critère est-il vraiment pertinent, et ne devrions-nous pas rechercher d’autres moyens de mesurer l’impact des néonicotinoïdes sur les pollinisateurs ? Cela pose une autre question, celle des moyens alloués à la recherche dans ce domaine. Le plan qui avait été mis en place par Stéphane Le Foll en 2013 prévoyait, me semble-t-il, d’y affecter 40 millions d’euros. Cette somme vous paraît-elle suffisante ?

Je trouve incompréhensible que l’Europe continue à autoriser l’utilisation du glyphosate alors que l’OMS a affirmé que ce pesticide était cancérigène. Sans doute la solution que nous recherchons passe-t-elle par un engagement des agriculteurs à modifier leurs pratiques afin d’utiliser moins de pesticides, dans des conditions peut-être plus encadrées. La profession est-elle disposée à avancer dans ce sens, et sous quelle échéance ? Si l’on n’agit pas rapidement, demain nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer.

M. Martial Saddier. Au nom des députés du groupe UMP, je remercie les personnes qui viennent de s’exprimer et je salue les 40 000 apiculteurs qui entretiennent 1,3 million de ruches dans notre pays. Comme cela a été dit, notamment par Mme Gaillard, c’est bien la France qui, par l’intermédiaire de son Gouvernement et de son Parlement, a été la première, au sein des grandes démocraties européennes, à relever le défi de la mortalité des abeilles et, plus largement, des apoïdes sauvages, à la demande du monde apicole et de la société civile.

En 2008, j’ai remis à Michel Barnier et Nathalie Kosciusko-Morizet un rapport qui a débouché sur le premier plan quinquennal de développement visant à limiter la mortalité des abeilles et des apoïdes sauvages, sur la création de l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation (ITSAP), sur la mise en place d’un réseau de surveillance renforcée, implanté dans six départements pilotes avant son extension sur toute la France, sur une étude plus approfondie des médicaments pour améliorer le suivi sanitaire du cheptel, sur la création du laboratoire de Sophia Antipolis de l’ANSES, devenu depuis pilote européen, sur la mise en place d’un comité apicole destiné à organiser la filière et à améliorer le dialogue entre les pouvoirs publics, la société civile et le monde agricole, premier partenaire de l’apiculture, et enfin sur la reconnaissance –condition nécessaire mais non suffisante – de la nécessité pour l’Europe d’engager des moyens financiers.

Nous nous félicitons que le Gouvernement ait lancé en 2013 un nouveau plan quinquennal comprenant seize mesures s’inscrivant dans la continuité des mesures déjà prises – ce qui montre que, fort heureusement, l’alternance démocratique ne remet pas en cause les travaux de fond sur la filière apicole.

Le feuilleton des néonicotinoïdes n’a que trop duré. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la biodiversité, les députés ont voté l’amendement de Delphine Batho et de Gérard Bapt interdisant les produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes – en dépit de l’avis défavorable du Gouvernement.

Au-delà de l’interdiction des néonicotinoïdes, nous devons réfléchir aux alternatives pouvant être proposées aux agriculteurs pour lutter contre les maladies des végétaux.

Enfin, sur la question du frelon asiatique, je trouve incompréhensible que cet insecte ne se trouve pas classé dans la catégorie des espèces nuisibles.

M. Bertrand Pancher. Mon père, qui a maintenant quatre-vingt-trois ans, était agriculteur – et apiculteur depuis l’âge de vingt ans. J’ai constaté avec lui la corrélation très nette, depuis une trentaine d’années, entre l’épandage d’insecticides et la disparition des abeilles dans ses ruchers – et tous les apiculteurs de mon département, la Meuse, ont constaté la même chose. Certes, une simple corrélation ne suffit pas à établir une relation de cause à effet, mais le phénomène est troublant.

Lors de chacun de mes voyages à l’étranger, je rapporte du miel acheté à des producteurs locaux, et j’en profite pour discuter apiculture avec eux. Ils me disent tous que là où il n’y a pas de pollution, il n’y a pas de mortalité des abeilles. Ainsi, je me rends chaque année en Tunisie – où la production de miel est limitée en raison de la sécheresse – pour y rencontrer un ami qui pose des ruches sur l’ensemble du territoire : selon lui, aucune mortalité des abeilles n’est à déplorer dans ce pays. Toutes les études corroborent mon constat, ce qui fait que je n’ai, à titre personnel, aucun doute sur l’existence d’une vraie relation de cause à effet entre certains insecticides, notamment les néonicotinoïdes, et la disparition des abeilles.

J’aimerais vous poser plusieurs questions, et tout d’abord savoir si certaines catégories de néonicotinoïdes sont plus dangereuses que d’autres – ce qui pourrait expliquer que l’Union européenne ait interdit, en 2013, quatre des neuf sortes de néonicotinoïdes.

Je vous remercie de nous avoir éclairés au sujet des maladies en nous précisant que les pesticides rendaient les abeilles plus fragiles à certains autres risques.

Il existe en France plusieurs organismes d’expertise disposant de peu de moyens et rendant des expertises souvent contestées. Quel jugement portez-vous sur l’EFSA et ses protocoles d’évaluation, et que proposez-vous pour améliorer les choses ?

Par ailleurs, si les agriculteurs affirment épandre de moins en moins de pesticides, on entend dire également que les produits utilisés sont de plus en plus concentrés. Que pouvez-vous nous dire sur ce point ?

Enfin, je remercie M. Limouzin d’avoir eu le courage de venir exposer le point de vue du monde agricole, qui n’est pas majoritaire autour de cette table. Si, au plan national, la profession agricole reconnaît qu’il existe un problème dont il faut parler, au sein des assemblées générales, les apiculteurs se font plutôt malmener. Pour ma part, je m’entends très bien avec les représentants agricoles, mais je regrette que, sur le plan local, tout le monde s’emploie à jeter de l’huile sur le feu. Or, si nous voulons avancer, nous devons réussir à établir un vrai dialogue à l’échelon local, afin que des solutions puissent être trouvées et acceptées par chacun.

Mme Laurence Abeille. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé cette table ronde. Il ressort des interventions très éclairantes que nous avons entendues que l’empoisonnement des abeilles est un fait avéré, qui ne se limite pas seulement aux occupantes des ruches : l’empoisonnement touche également les sols, l’eau, l’ensemble de l’environnement et l’homme lui-même. La démonstration sans appel qui nous a été faite soulève une question : pourquoi n’a-t-on rien, ou quasiment rien fait depuis des années ? Les « mesurettes » qui ont été prises ne prennent absolument pas en compte la toxicité extrême des néonicotinoïdes.

Combien de temps encore allons-nous laisser les études s’accumuler ? Une étape importante a eu lieu avec l’adoption de l’amendement de Delphine Batho et Gérard Bapt dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la biodiversité, et je veux y voir le signe que les parlementaires ont la volonté d’avancer enfin sur le plan politique – j’en profite pour remercier Martial Saddier d’avoir soutenu cet amendement, que j’avais également déposé.

Cela dit, avancer signifie interdire : à un moment donné, on ne peut plus se contenter de transiger. Le représentant de la FNSEA a commencé son intervention en parlant du varroa. Or, chacun sait aujourd’hui que si les abeilles sont devenues si sensibles à ce parasite, c’est en raison de leur affaiblissement provoqué par les néonicotinoïdes : pour sauver les abeilles, il faut donc bien commencer par interdire l’utilisation des pesticides qui les fragilisent.

Sur le plan économique, je veux rappeler que l’utilisation des néonicotinoïdes n’a procuré aucune amélioration des rendements, comme l’a démontré l’Agence européenne pour l’environnement sur les rendements du tournesol et du maïs entre 1995 et 2007 – il n’a pas été noté de modification des rendements entre la période où le Gaucho était autorisé et celle où il a été interdit. Dès lors, je me demande qui a intérêt à ce que les néonicotinoïdes continuent à être utilisés. Les agriculteurs sont les premiers à s’empoisonner avec ces produits, mais ils ne sont pas les seuls à être touchés, car ils contaminent également les eaux et les sols, et tout le monde finira par être malade – sans parler de la gravité du problème posé par la perte des insectes pollinisateurs.

Disons-le, ce sont les firmes de l’agrochimie qui, depuis des années, imposent à l’agriculture d’être chimique plutôt que naturelle. Selon moi, il faut faire en sorte que l’agriculture se fasse sans chimie, ce qui ne l’empêchera pas de continuer à produire et d’obtenir de bons rendements. Pour cela, les méthodes alternatives doivent être encouragées, et nous disposons d’ores et déjà de techniques de cultures non chimiques, mais efficaces, qui ne sont pas suffisamment mises en valeur, notamment dans le cadre des formations dispensées aux agriculteurs. Tout est fait pour que ceux-ci n’aient pas vraiment le choix de leurs modes de culture, et ne soient pratiquement jamais encouragés à pratiquer une agriculture propre. Au-delà d’une interdiction des néonicotinoïdes, nous aurons donc également à relever le défi consistant à répandre dans les esprits l’idée qu’il est possible de pratiquer une agriculture sans chimie.

M. Patrice Carvalho. Messieurs, je vous remercie pour votre constat réaliste et pour avoir évité la langue de bois.

À travers les pollinisateurs, c’est de la vie sur notre planète qu’il s’agit. Si nous ne faisons rien, nous assisterons à un suicide organisé avec l’aval de tout le monde. On note aussi la disparition beaucoup plus massive des insectes, qui jouent également un rôle dans la pollinisation, de même que les oiseaux.

D’un côté, on organise la disparition des espèces par milliers, tandis que de l’autre on nous dit qu’il faut maintenir la biodiversité sur notre planète. Tout cela me semble bien compliqué !

Monsieur Frank Aletru, vous dites que votre combat dure depuis vingt ans. Cela m’amène à me demander à quoi nous servons... Un simple délégué au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) d’une entreprise est capable de faire arrêter une machine parce qu’elle présente un risque pour une personne, tandis qu’à notre niveau nous sommes incapables d’agir, d’empêcher que des produits ne soient utilisés ! Quelle est la responsabilité des différents gouvernements et des différents ministres qui ont été aux affaires ? Ils ont été incapables d’agir et d’appliquer le principe de précaution, alors qu’on sait le faire pour d’autres domaines.

M. Bertrand Pancher. Bonne remarque !

M. Patrice Carvalho. Derrière tout cela, il y a les grands groupes qui fabriquent ces produits. Ils ont intérêt à nous expliquer qu’ils sont bons pour la nature pour pouvoir continuer à les vendre. De son côté, le monde agricole essaie de faire quelque chose mais il ne le peut pas parce qu’on ne lui propose pas de produits de substitution. Que se passerait-il si l’on vendait un jour dans notre pays un produit qui ferait mourir les gens ? Le laisserait-on sur le marché tant que l’on n’aurait pas trouvé un produit de remplacement ?

Nos concitoyens qui regardent actuellement notre débat doivent se dire que nous sommes incapables de faire bouger les choses alors qu’il s’agit d’une question essentielle : la vie sur notre planète.

Mme Catherine Beaubatie. Messieurs, je vous remercie pour vos interventions. Votre expertise confirme ce que nous voyons dans nos territoires, c’est-à-dire une augmentation croissante de la mortalité des abeilles qui se vérifie encore en ce début d’année 2015.

Dans mon département, la Haute-Vienne, la production de miel a été divisée par trois en vingt ans. Ce sont pourtant quelque 12 000 ruches qui sont la source d’une production locale très appréciée. Plus importante encore, la production agricole va être affectée, faute de pollinisation suffisante par les abeilles et les bourdons. Désormais, le doute n’est plus possible, les épandages de néonicotinoïdes apparaissent comme une cause majeure de fléau pour les acteurs de la filière apicole.

Malgré des avancées, cinq molécules de cette famille restent autorisées. C’est pourquoi, en responsabilité, nous avons introduit en première lecture du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité une interdiction de l’usage de ces substances dangereuses, à partir du 1er janvier 2016, sur toutes les plantations. Nous espérons vivement que nos collègues sénateurs adopteront cette disposition. En tout cas, nous resterons vigilants en ce qui concerne la navette parlementaire. Le Gouvernement, la rapporteure du projet de loi, ma collègue Geneviève Gaillard, et de nombreux collègues ont émis des doutes sur l’eurocompatibilité de cette mesure. Si tel était le cas, un moratoire de trois ans pourrait être proposé. Quel est votre avis sur la question ?

M. Christophe Priou. Les apiculteurs sont actuellement confrontés à un autre fléau, le frelon asiatique, qui est agressif et qui connaît une progression territoriale fulgurante et difficile à endiguer. Bien souvent, les sapeurs-pompiers n’interviennent plus pour les détruire. Aussi, nos concitoyens doivent-ils se retourner vers des sociétés ou des associations. Pour faire face à cette invasion fulgurante, il serait bon de les classer dans la liste des espèces nuisibles, comme l’avait préconisé Martial Saddier. J’ose espérer, comme l’a dit M. Patrice Carvalho, que cela ne prendra pas autant de temps que certaines démarches…

M. Yannick Favennec. Docteur Bonmatin, à la tête d’une équipe de cinquante-trois scientifiques, vous avez démontré dans une étude parue l’année dernière le lien entre l’usage de néonicotinoïdes et la perte des abeilles. Vos conclusions sont alarmantes et édifiantes.

Les recommandations faites par votre groupe de travail sont-elles suffisamment prises en compte par les pouvoirs publics, et en particulier par la Commission européenne ? Quels sont, selon vous, les points de blocage et où se situent-ils ? La recherche est-elle suffisamment développée sur ce sujet ? Quelle est la marge d’action pour nos agriculteurs ?

Que pensez-vous du plan triennal annoncé par le ministre de l’agriculture pour dynamiser l’apiculture et tenter de lutter contre la surmortalité des abeilles ? Ce plan est-il suffisant ?

Pourquoi le frelon asiatique ne figure-t-il pas sur la liste des espèces nuisibles ?

Mme Brigitte Allain. Je veux rappeler une petite anecdote. En 2004, j’ai vécu ma première garde à vue pour avoir occupé les locaux de la DGAL. Nous y avions trouvé une lettre accablante de son directeur, qui indiquait clairement que le coût économique du retrait des néonicotinoïdes serait moins élevé que celui de la perte des abeilles. Dix ans après, nous en sommes toujours au même point. Aujourd’hui, la recherche devrait plutôt porter sur les méthodes alternatives.

Monsieur Joël Limouzin, vous avez dit que 30 % seulement des semences sont traitées, ce qui veut dire que 70 % ne le sont pas. Pour quelle raison ne peut-on pas franchir le pas ? C’est bien parce que certains intérêts majeurs sont très protégés dans notre pays. Nous devons tout faire pour que l’amendement adopté en première lecture dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité le soit définitivement, et que la recherche ne se tourne pas vers les organismes génétiquement modifiés (OGM) qui sont à 99 % des insecticides ou des herbicides. Certes, il y a moins de traitements, mais la pollution du sol, de l’air et des eaux profondes demeure.

Enfin, pourquoi ne développe-t-on pas l’agriculture biologique ?

J’observe au passage qu’un grand nombre de chambres d’agriculture sont dirigées par la FNSEA…

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je précise à nos invités que le monde agricole parle au monde agricole, puisque Mme Allain est agricultrice. (Sourires).

Mme Françoise Dubois. Je remercie tous les intervenants, que j’ai écoutés avec attention.

Ma première question s’adresse aux apiculteurs. J’ai eu l’occasion de rencontrer, avec Stéphane Le Foll, certains de vos collègues sarthois. La question de l’organisation de votre filière m’interpelle quelque peu. Est-elle, selon vous, suffisante ?

Au-delà des mesures prises contre les néonicotinoïdes, quelles recommandations pouvez-vous formuler pour augmenter ou plus simplement reconstituer le cheptel ? Comment percevez-vous les pratiques à venir des agriculteurs en remplacement des néonicotinoïdes ? Sont-ils prêts, selon vous, à s’orienter rapidement vers plus d’agroécologie ?

Je m’interroge sur les risques d’utilisation de substances encore plus nocives que les néonicotinoïdes. Comment parer à cette éventualité ?

M. Guillaume Chevrollier. Je veux me faire l’écho de l’inquiétude des apiculteurs de mon département de la Mayenne face à l’importante mortalité constatée l’hiver dernier. Le taux de mortalité moyen atteint près de 30 %, avec de fortes disparités selon les communes, dont certaines connaîtraient un taux de 100 %. Les comptages effectués par nos apiculteurs sont très précis. Ces mortalités importantes pourraient être consécutives à une pression très forte du varroa en 2014, même après un traitement conventionnel.

L’autre raison invoquée est que les colonies seraient trop faibles pour hiverner, parce que trop jeunes ou bien affaiblies par les nombreuses attaques des frelons asiatiques.

M. Philippe Plisson. Personne, en tout cas pas moi, ne conteste la nuisance que représentent les néonicotinoïdes pour la population des abeilles – je le précise parce que les questions iconoclastes que je vais vous poser pourraient vous troubler. J’ajoute que j’apporte mon soutien inconditionnel au combat contre ces produits.

Depuis quelques années, la prise de conscience de la menace qui pèse sur l’espèce a conduit à prendre des mesures pour éliminer un certain nombre de produits de traitement – Cruiser, Gaucho, etc. – dont la nocivité était avérée. Or, à ce jour, comme l’a fait justement remarquer hier le ministre de l’agriculture, ces mesures n’ont malheureusement que très peu d’effets sur la diminution des cheptels. À ce stade, une question se pose concernant le seul volet de la filière qui n’a pas été expertisé, celui de la production.

Ma question est simple : les producteurs sont-ils prêts, de leur côté, à un audit complet des méthodes, à une vérification des pratiques, en particulier sanitaires, à une labellisation du miel – dont il se dit qu’une bonne part des quantités vendues en France arriverait de l’étranger par barils entiers sans contrôles, y compris sanitaires ?

Pour tordre définitivement le cou à ces rumeurs, l’ensemble de nos interlocuteurs sont-ils d’accord pour exiger des normes et des contrôles chez les producteurs, afin de débusquer éventuellement les « abeilles galeuses » s’il y en a ? (Sourires.)

M. Jean-Pierre Vigier. Je remercie les intervenants pour leurs exposés.

La problématique des pesticides est prégnante depuis de nombreuses années, dans le but de préserver notre écosystème, les abeilles notamment. Des mesures sont régulièrement prises par les pouvoirs publics européens et nationaux afin de maîtriser l’utilisation de ces substances. Un arrêté de 2003, auquel s’ajoute un amendement voté dans le cadre du texte pour la reconquête de la biodiversité, interdit l’utilisation d’insecticides. Ainsi, en France et en Europe, certaines molécules ont été interdites ou leur usage restreint.

La tolérance zéro vis-à-vis des pesticides est-elle réaliste et réalisable aujourd’hui en l’absence de méthodes alternatives adaptées ?

Mme Delphine Batho. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir organisé cette table ronde.

M. Gérard Bapt et moi-même avons été pointés du doigt hier dans une autre réunion. On a dit que nous étions partis en croisade contre les néonicotinoïdes, ce que je revendique. Ce n’est d’ailleurs pas un combat nouveau puisque j’avais fait partie des premiers députés à avoir interpellé le Gouvernement à l’époque sur l’autorisation de mise sur le marché du Cruiser. C’est un combat collectif qui, comme l’a dit Martial Saddier, dépasse les clivages politiques.

Nous avons été deux – Gérard Bapt et moi-même – à signer cet amendement. Si nous avions entrepris une campagne de signature, je suis certaine que beaucoup de collègues l’auraient signé avant qu’il soit voté.

Vous avez présenté des connaissances scientifiques accablantes. Je vous remercie d’avoir parlé des autres impacts sur la biodiversité – sur les oiseaux, sur les invertébrés, sur les milieux aquatiques – et d’avoir dit que deux des quatre problèmes que rencontrent les abeilles et les apiculteurs sont liés à des substances pesticides, car cela fait très exactement vingt-quatre ans que l’on invoque des causes « multifactorielles », comme si c’était un argument pour ne rien faire.

Vous avez indiqué également que les restrictions d’usage et les restrictions par types de cultures étaient inopérantes par rapport à un processus de contamination généralisée. M. Limouzin a eu raison de préciser que la responsabilité n’est pas celle des agriculteurs, mais celle des pouvoirs publics qui délivrent les autorisations. Il reste encore beaucoup de travail à faire, puisque le Gouvernement a confirmé, hier, son opposition à notre amendement.

J’en viens à la question de l’Europe. En réalité, il s’agit d’une question de souveraineté. Que ce soit en 1999, en 2001, en 2003, en 2006, en 2012 ou en 2013, c’est-à-dire chaque fois que la France a, par arrêté, retiré des autorisations de mise sur le marché pour certaines de ses substances, il n’y a pas eu de problème de conformité avec le droit européen. Toute une série de substances sont interdites en France, comme le fluquinconazole, le fenbutatin oxyde, le diuron, le méthomyl, alors qu’elles sont autorisées au niveau européen. Je le dis parce que je sais que cela préoccupe un certain nombre de nos collègues. On peut parfaitement interdire les néonicotinoïdes en France sans rencontrer de problème de conformité européenne.

M. Jean-Marie Sermier. Monsieur le président, je vous remercie pour cette belle table ronde, tout en regrettant l’absence de certains opérateurs, notamment les pouvoirs publics en charge des autorisations de mise sur le marché. Ils auraient pu nous expliquer quelle est leur position et comment ils en sont arrivés à autoriser la mise sur le marché d’un certain nombre de produits. Je regrette aussi l’absence des sociétés chimiques qui travaillent dans un cadre légal dans chacun des États de l’Union européenne. Il est impératif de ne pas réduire notre débat de ce matin à une simple question de lobbying de grosses entreprises auprès des pouvoirs publics. Ce serait faire injure à tous les gouvernements qui se sont succédé depuis une vingtaine d’années et qui ne partagent pas forcément la même philosophie en la matière.

Comme pour tout produit chimique, l’utilisation des néonicotinoïdes pose le problème du rapport entre les avantages et les risques, et pose aussi la question des substituts possibles. Tout à l’heure a été évoquée la flavescence dorée, dont on sait qu’il n’existe qu’un seul produit pour la combattre. Si l’on ne trouve pas de substitut, comment utiliser au mieux les néonicotinoïdes ? En ne les utilisant qu’à dose très faible, et sur des périodes où les nuisances sont les plus limitées pour les abeilles ou les autres espèces ?

Mme Suzanne Tallard. Je tiens à remercier tous les intervenants pour la clarté de leurs propos. Je ne reviendrai pas sur le constat car il est évident pour tout le monde.

La Food and Agriculture Organization (FAO) des Nations unies souligne que, sur les cent cultures qui produisent 90 % de l’alimentation mondiale, 71 dépendent du travail des abeilles. Cela montre l’importance que revêt l’effondrement des populations d’abeilles.

Je voudrais m’adresser au représentant de la FNSEA et dire ma satisfaction de constater la bonne volonté qu’il a exprimée. Il a indiqué que le monde agricole est à l’écoute, qu’il y a une vraie prise de conscience, que l’on peut faire mieux – mais il a ajouté qu’il fallait, selon lui, « limiter » l’utilisation des néonicotinoïdes, formule minimale qui m’inquiète un peu au vu des constats qui ont été faits par les autres intervenants.

Quelles actions volontaristes sont conduites par la profession agricole ? Dans les contacts que j’ai eus avec elle dans mon département, je n’ai pas senti la même bonne volonté. Étant donné l’ancienneté des constats et la gravité des conséquences, il est temps de passer de la bonne volonté à la volonté tout court. Ce que je dis là ne concerne pas seulement la profession agricole, mais aussi le monde politique, comme d’autres l’ont souligné.

M. Gérard Menuel. Monsieur le président, je tiens à vous remercier d’avoir organisé une table ronde sur ce problème très important compte tenu du rôle des abeilles dans notre environnement et dans notre écosystème.

Je tiens à saluer les apiculteurs de ma région, la Champagne, qui ont été primés lors du dernier salon de l’agriculture pour la qualité de leur miel. Ils m’ont fait part de leurs inquiétudes concernant le besoin de recherches supplémentaires en ce qui concerne le varroa. Il existe en effet très peu de substances bénéficiant d’une AMM pour le combattre.

Concernant les néonicotinoïdes, les recherches qui ont été réalisées aboutissent-elles aux certitudes que l’on a entendues ce matin en ce qui concerne la mortalité des abeilles ? Les conséquences sont certainement différentes selon l’usage de ces produits – traitement de semences, traitement par le sol, traitement foliaire – et selon les plantes traitées. Par exemple, une plante bisannuelle comme la betterave ne fleurit pas l’année de la production de sucre, mais le traitement contre la jaunisse virale est absolument nécessaire.

En fait, il est nécessaire de clarifier et d’intensifier les expertises. Il faut aussi, et cela a été rappelé par le représentant de la FNSEA, trouver des méthodes alternatives afin de résoudre les problèmes sanitaires rencontrés par les agriculteurs.

M. Philippe Martin. Existe-t-il des chiffres prévisionnels nationaux sur les pertes de population d’abeilles ?

Existe-t-il des cartes montrant les zones de mortalité et de disparition des colonies d’abeilles que l’on pourrait croiser avec les cartes des grandes cultures céréalières et maraîchères ?

Enfin, face au phénomène d’installation massive d’apiculteurs en milieu urbain, la question de la ressource, de la nourriture et donc d’un encadrement qui permettrait de mieux utiliser les plantes mellifères préoccupe-t-elle la profession ?

Mme Sophie Rohfritsch. À mon tour, je me félicite du large consensus qui se dégage sur nos bancs en ce qui concerne la préservation des abeilles. Le focus exclusif sur les néonicotinoïdes est-il suffisant ? Ne devrait-on pas envisager un plan global ? De nombreuses initiatives publiques sont prises, notamment par les communes, comme l’installation de ruches, la population étant tout à fait sensibilisée à la question et prête à faire beaucoup plus. Ne peut-on envisager d’autres cultures, la remise en place de fleurs plus mellifères pour fortifier la population des abeilles qui, certes, souffre des pesticides, mais qui globalement a été mal entourée ces dernières années. La mise en place d’un tel plan serait certainement susceptible de recueillir beaucoup de voix et permettrait de convaincre l’exécutif actuel qu’il y a nécessité. Je ne voudrais pas voir, comme c’est le cas en Chine, des gens polliniser à la main, avec des cotons-tiges ! Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un métier d’avenir dans notre pays, en tout cas je ne le souhaite pas… (Sourires).

M. Gérard Bapt. Monsieur Limouzin, vous nous mettez face à nos responsabilités, et je crois que nous sommes ici en train de manifester notre volonté les prendre. Nous sommes tout à fait légitimés dans cette action puisque, lors de l’ouverture solennelle de la récente conférence environnementale, le Président de la République a cité nommément, lors une table ronde sur la santé environnementale, la question des néonicotinoïdes comme faisant partie des préoccupations au plus haut niveau de l’État.

Ma première question concerne la réglementation. Vous dites qu’elle est respectée. Or j’ai lu des chiffres qui montrent que, dans des régions frontalières comme PACA et Languedoc-Roussillon, entre le quart et le tiers des pesticides seraient utilisés en infraction à la réglementation française, et importés de manière illégale de pays voisins où ils sont encore en usage. Il est donc nécessaire que la profession agricole soit consciente de la nécessité de respecter les prescriptions réglementaires nationales.

Ma seconde question concerne le coût économique. Des études montrent que la mise en place du moratoire à l’échelon européen n’avait altéré en rien les rendements des productions, bien au contraire. Quelle est votre appréciation ?

J’ai mené d’autres actions qui concernaient notamment des médicaments ou des substances chimiques. Je ne regrette pas que les producteurs ne soient pas là, car on sait d’avance ce qu’ils vont dire et quels sont leurs arguments : ils cherchent à maintenir leur production sur le marché et à accroître leurs ventes.

Il ne faut pas se focaliser sur tel ou tel produit, car chaque fois que l’on en interdit un, un petit cousin de celui-ci apparaît sur le marché. Au vu de mon expérience avec le bisphénol ou avec le Mediator, qui fait partie de la famille des amphétaminiques, je plaide pour que l’on raisonne par famille de produits, car les effets sanitaires sur la biodiversité sont les mêmes.

Mme Valérie Lacroute. Messieurs, je vous remercie pour la clarté de vos propos.

Je souhaite vous faire part de l’inquiétude des apiculteurs du sud de la Seine-et-Marne. Deux facteurs majeurs ruinent leur production : l’utilisation des pesticides et le manque de fleurs mellifères. On le sait : dès la fin du mois de juillet, les abeilles n’ont plus de fleurs à butiner et les apiculteurs doivent les nourrir régulièrement pour leur permettre de survivre.

Des recherches sur l’utilisation d’autres moyens de désherbage non sélectif peuvent-elles être envisagées ? Qu’en est-il du traitement de fin de journée et de la charte de bonne conduite élaborée par la FNSEA ? Ne serait-il pas envisageable de proposer aux agriculteurs et aux coopératives de cultiver des plantes qui ont une floraison en été, comme le tournesol, la luzerne ou le lupin ?

M. Yves Albarello. Existe-t-il une étude par zones, qui nous permettrait de savoir où la mortalité est la plus importante ?

Les maires de France ont-ils un rôle à jouer dans la prévention ? Je pense notamment au « zéro phytosanitaire » dans l’entretien des espaces verts.

Enfin, au-delà de la mortalité des abeilles, peut-il y avoir, à terme, des dégâts collatéraux pour l’homme si des mesures efficaces ne sont pas prises ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Messieurs, je vais vous redonner la parole, dans le même ordre que tout à l’heure, pour répondre aux nombreuses questions qui vous ont été posées.

Dr Jean-Marc Bonmatin. Je ne vous étonnerai pas si je vous dis que je suis favorable à l’augmentation des financements destinés à la recherche. Mais de quelle recherche parle-t-on ? Des alternatives aux pesticides existent déjà, et elles sont efficaces. On a démontré, à de nombreuses reprises, sur différentes cultures que seulement 5 % des usages des néonicotinoïdes étaient utiles, c’est-à-dire que les rendements ne sont pas plus faibles en l’absence de néonicotinoïdes ou de pesticides. Ayant compris cela, on peut augmenter la part du financement de la recherche sur les alternatives adaptées à la France, car celles qui fonctionnent très bien en Italie seront plus difficiles à appliquer sur notre territoire en raison de ses spécificités.

Vous nous avez demandé si c’était bien la masse de pesticides appliquée qui était le paramètre pertinent, ou leur toxicité. Vous avez raison : il vaut mieux mettre un peu plus d’un pesticide peu toxique plutôt que quelques nanogrammes d’un pesticide qui serait, comme dans l’exemple des néonicotinoïdes, 8 000 fois plus toxique que le DDT.

Le plan triennal a le mérite d’exister. Cela dit, il faut aller plus loin dans la réduction des intrants, c’est-à-dire des produits chimiques, car c’est le sens de l’histoire et la condition d’une agriculture durable.

On a dit que le Japon était le mauvais élève de la planète en matière de pesticides, mais il faut savoir que nous sommes à la troisième place derrière ce pays et les États-Unis ! C’est sans doute une question culturelle, car nous sommes aussi sur le podium mondial pour la consommation de psychotropes. Il semble qu’on ait tendance, dans notre pays, à recourir à la chimie pour tout résoudre, quand bien même il existe des alternatives. (Rires).

Il est faux de dire que si l’on interdisait les néonicotinoïdes, les substances qui arriveraient sur le marché risqueraient d’être encore plus toxiques. L’histoire montre en effet que l’on a commencé par utiliser des pesticides extrêmement toxiques pour la santé humaine et que, à cause des catastrophes que cela a provoqué, ils le sont maintenant de moins en moins. Le problème, c’est qu’on les utilise de plus en plus ! Pour peu que l’on ait un peu de mémoire, on ne devrait plus commettre les erreurs du passé avec les nouveaux pesticides qui pourraient être proposés sur le marché. Je suis même persuadé que, que si l’on interdisait aux firmes qui les produisent de les vendre, elles en proposeraient d’autres, bien meilleurs pour l’environnement, car elles tiennent à gagner de l’argent.

Il existe un certain nombre de méthodes alternatives connues et éprouvées. Il suffit de les développer et de les appliquer chez nous. J’ai sous les yeux un article qui montre qu’une méthode alternative a très bien marché pour le maïs en Italie et pour l’agroforesterie au Canada. Or ce sont deux cas extrêmement différents.

Nous considérons que, dans l’immense majorité des cas, l’utilisation des néonicotinoïdes n’est pas utile et ne se justifie que dans des cas extrêmes, c’est-à-dire lorsque les autres méthodes alternatives n’ont pas porté leurs fruits.

M. Denis Sapène. Je répondrai aux questions qui ont été posées de manière globale, et je m’adresserai plus particulièrement à M. Limouzin.

En 1975, là où j’habite, le remembrement était terminé. Depuis, on n’a pas arraché de haies ni fauché les fossés plus ou moins qu’avant. Depuis mon installation en 1979, et jusqu’en 1998, ma production de miel, qui reposait à 90 % sur les fleurs de tournesol, n’a pas été affectée. Ce n’est donc pas le remembrement qui a eu un effet sur la production.

Bien sûr, nous sommes d’accord pour que l’on introduise des cultures comme la luzerne ou le sainfoin.

Dans le sud, le varroa est arrivé en 1983. Jusqu’en 1998, il a fallu lutter contre ce fléau. Mais pourquoi a-t-il fallu attendre 1998 pour qu’on nous le présente comme la cause majeure qui a empêché la production, ce qui n’avait pas été le cas pendant une quinzaine d’années ? Dire qu’il serait devenu pathogène du jour au lendemain est inacceptable. C’est pourtant l’argumentaire développé par Bayer.

Mme Laurence Abeille et M. Gérard Bapt. Eh oui !

M. Denis Sapène. Le frelon asiatique est apparu chez nous en 2008, alors que l’apiculture connaissait déjà des difficultés. C’est un parasite qui affecte les ruches. D’une façon générale, les ruchers d’amateurs sont très concernés. En effet, s’il n’y a que deux ou trois ruches et que des milliers de frelons viennent se servir tous les jours, il est certain que cela entraîne un affaiblissement massif. En revanche, l’appréhension est moindre pour les apiculteurs professionnels qui comptent quarante ou cinquante ruches au même endroit. On a constaté, au cours de ces années, une recrudescence de frelons, puis une stabilisation. Il faut certes lutter contre ce fléau à proximité des habitations et des ruchers, mais ce n’est pas la principale cause de la mortalité des abeilles. Je serais heureux de continuer à faire de l’apiculture si je n’étais confronté qu’au frelon asiatique !

Il est clair que les apiculteurs doivent être de plus en plus formés. L’avenir de l’apiculture passe nécessairement par des transformations au vu des changements environnementaux. Nous avons beaucoup produit pendant des dizaines d’années ; on ne peut pas nous accuser d’incompétence parce que la production de miel baisse. Nous ne sommes pas tous devenus tout à coup des fainéants qui veulent quitter la profession pour toucher des primes ! Au contraire, nous voulons continuer à exercer notre métier et le transmettre à des jeunes. J’ai participé à la mise en place de toutes les formations apicoles. Il y a des gens qui ont besoin d’être formés, comme dans tous les domaines et dans toutes les professions.

Quant à la transparence de nos exploitations, je suis tout à fait favorable à ce que l’on regarde nos produits de la ruche, que l’on vérifie ce qu’ils contiennent, s’ils sont aux normes, mais il faut le faire de façon globale. Nous n’utilisons pas de produits illicites, contrairement à ce que l’on peut dire à tout bout de champ, mais il faut en effet clarifier la situation en ce qui concerne le miel d’importation. Nous sommes ouverts à la discussion. Nous disposons d’éléments comptables. Et pourtant, lors d’un problème dû à un épandage aérien, le président de la chambre d’agriculture m’avait dit : « De toute façon, vous, les apiculteurs, vous n’êtes pas clairs… »

Nous espérons que les procédures d’homologation évolueront de façon à ce que des produits tels que les néonicotinoïdes ne soient plus autorisés. Il serait inadmissible d’avoir à continuer à lutter trente ans encore pour cela !

M. Franck Aletru. Pour ma part, j’ai commencé en 1982, alors que le varroa apparaissait et que nous n’avions qu’un seul produit pour le combattre. Je l’ai dit tout à l’heure : les régions Pays de la Loire et Poitou-Charentes étaient alors le premier bassin de production de miel d’Europe. De façon concomitante et progressive, à mesure de l’implantation des cultures à base de semences traitées au Gaucho, on a vu l’effondrement des populations l’été et au moment de la floraison, puisque les abeilles ne revenaient plus à la ruche, et le phénomène est allé croissant avec le développement de cette production.

La table ronde d’aujourd’hui porte sur les néonicotinoïdes. Nous n’avons donc parlé que de cela. Mais il existe d’autres problèmes avec d’autres produits, et c’est pourquoi la mortalité continue. Reste que retirer du marché les néonicotinoïdes sera déjà un premier pas indispensable.

On ne peut pas jeter la pierre aux agriculteurs : ils utilisent les produits qui sont autorisés. C’est l’évaluateur de ces produits qui a une grande responsabilité. Comment fait-il pour évaluer ? Il le fait à partir des documents qui lui sont remis par les firmes, ce qui veut dire qu’il y a une forme de pré-tri. Des biais inacceptables sont apparus lorsque l’on a fait relire des dossiers d’évaluation par des scientifiques issus des structures publiques et indépendantes. Il faut que les comités d’évaluation, qu’il s’agisse de ceux de l’ANSES ou d’autres organismes, soient composés d’experts ayant de réelles compétences. Lorsque j’ai été invité dans différents comités d’expertise, j’ai demandé le CV des intervenants : il n’y avait aucun apidologue ! Certes il y avait bien des spécialistes des fleurs, mais on peut être spécialiste des fleurs et nul en abeille. Pour ma part, je connais les fleurs puisque c’est la principale nourriture des abeilles, mais je ne me permettrai jamais de dire que je suis botaniste ! C’est la même chose à l’EFSA : il y a des écotoxicologues, mais pas d’apidologues. Les écotoxicologues sont de grands spécialistes du poisson, mais pas de l’abeille...

En 2003, il a fallu faire un énorme travail de présélection pour créer un nouveau groupe d’experts, qui a conclu qu’il ne pouvait plus travailler sur le schéma d’évaluation actuel et a proposé un nouveau schéma d’évaluation. Ce schéma existe donc. Ce qu’il reste à construire, ce sont les tests eux-mêmes. Dire qu’il n’y a pas de tests est faux. Je vous ai parlé du groupe Méthodes-Pesticides-Abeilles, qui est unique en Europe si ce n’est dans le monde. Nous avons déjà développé des protocoles de tests qui répondent justement à la problématique des néonicotinoïdes – tout ce qui concerne les troubles du comportement, du butinage, des glandes hypopharyngiennes, des glandes cirières, la réduction de la longévité, etc. Ce travail existe ; il faut l’imposer aux firmes. À sein de ce groupe de travail, les firmes sont tout à fait au courant des avancées et des progrès qui ont été réalisés en matière d’évaluation et de nouveaux tests. Lors d’un déjeuner, leurs représentants nous ont dit que la « chimie verte durable » était une très belle philosophie et qu’ils y adhéraient. Ils ont même ajouté qu’ils avaient eux-mêmes des spécialistes en la matière, mais qu’ils ne les faisaient pas travailler là-dessus tant qu’on ne les y obligeait pas ! Pour qu’ils s’y résolvent, il n’y a donc pas d’autre alternative que l’interdiction des produits.

L’Allemagne, qui a retiré trois néonicotinoïdes du marché, n’a pas eu de problèmes avec Bruxelles. L’Italie non plus. Pourquoi la France en aurait-elle ? Y aurait-il deux poids, deux mesures ? Je considère qu’aucun élément ne peut entraver l’interdiction de familles de néonicotinoïdes.

Je souhaiterais que la recherche sur les solutions alternatives soit développée, notamment en matière de chimie verte durable. Il en existe déjà, et c’est une fausse excuse que de prétendre le contraire. Il suffit que le monde agricole, qui sait aller de l’avant, se les approprie.

L’arrêté sur les produits bénéficiant de la « mention abeilles » doit évoluer afin d’imposer une utilisation en fin de journée. Certes, ce ne serait pas la panacée, mais ce serait un progrès, car beaucoup de produits ont un effet seulement passager sur l’abeille. Si l’on traite le soir, les fleurs sont fermées, le produit passe plus vite à l’intérieur de la plante, et il y a donc moins d’exposition. Je précise que cela doit concerner aussi les fongicides, et pas seulement les insecticides.

Ce n’est pas l’organisation ou l’inorganisation de la profession qui joue sur la production. Lorsque nous étions leaders européens, nous étions bien moins organisés qu’aujourd’hui, et le nombre de centres de formations était moins élevé.

Il y a encore seulement quelques années, il y avait 1,4 million de ruches, contre 980 000 aujourd’hui. Comment, dans ces conditions, inciter des jeunes à s’engager dans la profession si rien ne change ?

La ressource est de plus en plus élevée. Depuis le remembrement, en Vendée, ce sont 400 kilomètres de haies qui ont été plantées. En haute montagne, la ressource a diminué, alors que c’est justement là qu’il ne le faudrait pas. On voit en effet des prairies remplacées par des zones de ray-grass, ce qui fait que nos collègues installés là-bas ont des pertes.

Aujourd’hui, les cultures intermédiaires dites « pièges à nitrates » (CIPAN) offrent des ressources en fin d’été ; si elles pouvaient être plus précoces, ce serait encore mieux, mais ne demandons pas l’impossible. Les cultures semencières se développent également. On constate donc un progrès au niveau de la ressource. De plus, les villes sont de plus en plus fleuries, et elles réduisent l’utilisation des produits phytosanitaires. Bref, des progrès, il y en a partout. Les apiculteurs et les scientifiques ont fait leur travail au maximum. C’est au niveau politique que des décisions fermes n’ont pas été prises, contrairement à ce qu’ont fait les États voisins. La balle est maintenant dans le camp du monde politique.

Dr Michel Nicolle. Madame Laurence Abeille, vous avez raison : le temps n’est plus aux études mais aux décisions en ce qui concerne les abeilles. Il existe très peu d’études portant sur les effets des néonicotinoïdes sur l’homme. Dans l’avis de l’EFSA sur la neurotoxicité de l’imidaclopride et de l’acétamipride, il y a 109 références bibliographiques. Douze concernent des mammifères et trois seulement concernent l’homme ; encore s’agit-il d’accidents d’intoxication aiguë, ce qui nous est d’une faible utilité. J’ai repris toute la bibliographie depuis dix ans. Il y a eu quarante-deux publications sur les mammifères, quatorze sur des modèles humains, dont sept depuis trois ans. La majorité sont des études japonaises. Nous n’avons sans doute pas besoin de plus d’études sur les insectes, mais il y a encore beaucoup d’inconnues quant aux effets de ces produits sur l’homme.

J’en viens à la question de M. Yves Albarello sur les dégâts collatéraux pour l’homme. La publication de Mme Kumiko Taira, qui date de l’année dernière, est intéressante parce qu’elle montre des signes d’intoxication par les néonicotinoïdes, mais ce sont des signes très polymorphes, très peu spécifiques et peu durables. En effet, les néonicotinoïdes ne sont pas bio-accumulables, c’est-à-dire que les signes disparaissent au bout de quinze jours d’éloignement de la source ou de quinze jours de changement d’alimentation. Les signes sont les suivants : céphalées, tremblements, difficultés de concentration, troubles de la mémoire, douleurs musculaires, difficultés d’accommodation oculaire, troubles du rythme cardiaque, palpitations. Il serait très important que les médecins et les patients puissent repérer ces petits signaux, car nous manquons de données, et je pense que l’ANSES serait très preneuse d’informations que pourraient leur fournir les médecins.

Une étude indique ceci : « On a repéré que c’était la fixation du groupement imidazole sur les récepteurs de la thyroïde qui entraîne un problème. » Il serait nécessaire d’effectuer un travail de recherche beaucoup plus important en matière de perturbation endocrinienne, sujet qui est d’ailleurs d’une extrême actualité. L’imidaclopride est vraiment en première ligne sur ce sujet. Pour notre part, nous ferons remonter tout ce que nous venons de dire au directeur général de la santé pour qu’il prenne les décisions nécessaires en matière de recherche, mais je crois que des décisions politiques peuvent déjà être prises eu égard à toutes les études qui ont été conduites sur les insectes.

M. Joël Limouzin. Il est indispensable d’avancer très rapidement sur la question du frelon asiatique. Il s’agit de le classer en tant qu’espèce nuisible pour pouvoir s’en débarrasser.

De façon globale, les rendements n’ont pas été affectés. Lorsqu’ils sont confrontés à des décisions de retrait de produits, les agriculteurs s’adaptent, car leur priorité est de trouver des solutions pour que leurs productions soient rentables. Si nous voulons conserver des agriculteurs dans nos territoires, il faut qu’ils s’en sortent d’un point de vue économique. Nous prenons acte des produits qui sont sur le marché. Nous avons confiance en des personnes dont le métier est d’agréer des produits en vue de les mettre sur le marché. Nous devons tous prendre nos responsabilités. Au fil des années, la recherche privée a pris le pas sur la recherche publique, affaiblissant par là même la notion d’indépendance, y compris pour trouver des alternatives comme l’a évoqué le docteur Bonmatin.

Mme Laurence Abeille. Très bien !

M. Joël Limouzin. Telle est la posture de la FNSEA. Nous défendons la continuité de la recherche, non pour aller toujours plus loin en matière de rendements, mais pour que les agriculteurs puissent produire en quantité et en qualité et répondre aux enjeux de la biodiversité. Nous sommes d’ailleurs, vous le savez, totalement impliqués dans la discussion qui a lieu actuellement au Parlement sur la biodiversité.

La production de semences en France ne cesse de régresser depuis vingt ans parce que nous ne disposons pas des protections nécessaires pour produire ces plantes, et c’est dramatique. Pourquoi cela est-il autorisé ailleurs ?

Monsieur Gérard Bapt, on peut regretter que des produits phytosanitaires interdits en France soient importés, mais je vous renvoie à des décisions européennes. Actuellement, chaque État membre peut prendre la décision de retirer un produit du marché. Ce qui est incohérent, c’est qu’un pays européen retire un produit du marché alors qu’il reste autorisé dans un autre. La FNSEA attend que l’EFSA prenne des décisions et nous en prendrons acte à condition que ces décisions soient appliquées dans tous les pays européens. Si un produit est interdit en Allemagne par exemple, il doit l’être partout.

Nous sommes favorables à un suivi très précis, dans chaque région, de la mortalité des abeilles, permettant de savoir si elle est liée aux pratiques culturales, aux ressources mellifères. Je ne veux pas tomber dans un débat qui opposerait les pratiques des uns et des autres : si j’ai cité le varroa, c’est parce que c’est une réalité. Je dis seulement que de la même manière qu’il y a, dans le monde animal ruminant ou ailleurs, des situations de vigilance sanitaire, il doit y en avoir aussi dans le secteur du végétal. Il est impératif de savoir s’il faut établir un parallèle avec des systèmes de traitement, des systèmes de culture. M. Frank Aletru a indiqué qu’en Poitou-Charentes et dans les Pays de la Loire le choix a été fait d’augmenter la ressource mellifère. L’enjeu « verdissement » contenu dans la nouvelle politique agricole commune (PAC) a fait l’objet de contestations quant à la méthodologie, mais sachez que des avancées avaient déjà été obtenues, notamment dans des zones très fragiles. J’en veux pour preuve que la mise en place de bandes enherbées sur le bord des cours d’eau pour la protection de l’eau porte ses fruits aujourd’hui. Nous avons le devoir de regarder s’il y a aussi des résidus de produits phytosanitaires dans l’eau, ce qui est sans doute beaucoup plus grave que les nitrates. En la matière, nous avons une vraie responsabilité dans nos pratiques.

Le choix des horaires de traitement a fait l’objet d’un débat. Il y a ces fiches dont je vous ai parlé tout à l’heure, mais nous n’allons évidemment pas les généraliser à l’ensemble des agriculteurs. C’est lorsqu’il y a des relations directes et étroites entre apiculteurs et agriculteurs que cela marche le mieux. Cela nous paraît préférable à des systèmes de réglementation reposant sur une « mention abeilles » très restrictive, source de blocages du côté des agriculteurs.

Dans un premier temps, les agriculteurs ont refusé la formation Certiphyto, au motif qu’ils « savaient faire ». Nous avons pris nos responsabilités en rendant obligatoires les formations organisées par Vivea, le Fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant, et les agriculteurs ont reconnu après coup avoir modifié leurs pratiques en matière de traitements. Par exemple, lorsqu’un agriculteur sait qu’il y a des ruches à proximité de chez lui, il peut attendre le plus tard possible le soir pour traiter. Bien sûr, certains agriculteurs vous répondront que cela va les obliger à travailler le jour et la nuit. Nous sommes tout à fait favorables à la recherche de solutions alternatives, qui permettent d’avancer, et je suis preneur de toutes les recommandations que le docteur Bonmatin pourra nous adresser : nous essaierons d’en faire bon usage. Mais ce n’est pas à coup de ruptures systématiques que l’on y parviendra. Il faut avancer progressivement.

L’EFSA a demandé d’analyser la rémanence sur six années de rotation de cultures de l’imidaclopride. Si l’EFSA prend une décision d’interdiction, nous en prendrons acte. Mais sachez qu’il faudra que cette décision s’applique dans d’autres pays.

Le débat sur les OGM est très compliqué. Ce qui a été décidé récemment ne satisfait pas notre fédération. Chaque pays va en effet pouvoir faire ce qu’il veut, et cela complique la vie aux agriculteurs, qui ont pour mission de produire des cultures et des semences. Si, demain, on arrive à trouver les moyens de produire sans utiliser de produits phytosanitaires, nous sommes preneurs. M. Philippe Chalmin, qui préside l’Observatoire des prix et des marges, indique dans un rapport que le secteur le plus touché par la baisse des revenus est celui de l’amont - mais c’est un autre débat.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. M. Abec et M. Jester avaient été invités, mais ils nous ont indiqué au dernier moment ne pas pouvoir être présents.

Nous avons organisé récemment une table ronde sur les pesticides, à laquelle les représentants des grands groupes ont participé. Nous avons toujours des difficultés à organiser des grandes tables rondes avec plus de cinq intervenants, car elles dureraient trop longtemps.

Je me félicite de la sérénité de nos débats, et je constate que tous les éléments ont été présentés. Bien sûr, chacun peut avoir sa propre appréciation de la situation, mais on voit bien que nous ne sommes pas loin d’aboutir à des décisions importantes.

Le dialogue entre le monde agricole et le monde apicole, évoqué par M. Limouzin, est fondamental. Il doit y avoir une vraie complémentarité entre les activités apicoles et agricoles.

J’ai entendu ce qui a été dit par les uns et par les autres. Les causes de la baisse du potentiel des abeilles sont multifactorielles, comme l’a indiqué Delphine Batho. Elles sont dues au varroa, aux néonicotinoïdes, etc.

L’homologation des produits relève, cela a été dit plusieurs fois, d’une responsabilité collective. Si demain certains produits sont interdits tandis que d’autres, proposés par les grands groupes, sont homologués, nous risquons de nous retrouver face à de nouvelles difficultés. On me dit que des alternatives existent, et je crois que c’est vrai, mais si l’on veut qu’elles se développent, il faudra en passer par la phase d’interdiction, seule façon d’amener les grands groupes à mettre sur le marché ces produits alternatifs.

J’ai bien reçu le message : la décision doit être prise au plan européen, et les conclusions qui seront rendues par l’EFSA au mois de septembre 2015 sont donc très attendues. Comme l’a rappelé Gérard Bapt, le Président de la République a indiqué, dans le cadre de la conférence environnementale, qu’il était nécessaire de conduire une action beaucoup plus volontariste s’agissant des néonicotinoïdes, en particulier auprès de nos partenaires européens.

Enfin, je ne peux que me féliciter du rôle que joue le Parlement. À l’occasion de l’examen du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, nous avons pris nos responsabilités, et je veux remercier nos collègues qui ont eu l’initiative de proposer l’interdiction des néonicotinoïdes – amendement que M. Martial Saddier a voté. Nous sommes pleinement, ce faisant, dans notre rôle et dans notre responsabilité, qui est d’ouvrir la voie. J’ajoute que nous avons lancé l’organisation de cette table ronde avant même le vote de l’amendement en séance publique, et je suis particulièrement heureux de cette concomitance.

Je remercie enfin tous les intervenants pour leurs exposés de qualité, ainsi que tous nos collègues qui sont sensibilisés à ce sujet.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 6 mai 2015 à 9 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Yann Capet, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. Stéphane Demilly, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, Mme Viviane Le Dissez, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Robert Olive, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Barbara Romagnan, M. Martial Saddier, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Thierry Solère, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Sylviane Alaux, M. Jacques Alain Bénisti, Mme Chantal Berthelot, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Charles-Ange Ginesy, M. Christian Jacob, M. Jacques Krabal, M. Alain Leboeuf, M. Napole Polutélé, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - Mme Brigitte Allain, M. Gérard Bapt, Mme Delphine Batho, Mme Virginie Duby-Muller, M. Philippe Noguès