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Mercredi 3 juin 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 52

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition de M. Rémi Pauvros sur son rapport au Premier Ministre et au Secrétaire d’État chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche (5 mai 2015) relatif au Réseau Seine Escaut canal Seine Nord Europe

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu M. Rémi Pauvros sur son rapport au Premier Ministre et au Secrétaire d’État chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche (5 mai 2015) relatif au Réseau Seine Escaut canal Seine Nord Europe.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mesdames, messieurs, nous auditionnons ce matin notre collègue Rémi Pauvros, qui a remis au Premier ministre et au secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, son second rapport sur le canal Seine Nord Europe.

Nous l’avions déjà auditionné le 18 décembre 2013, à l’occasion de son premier rapport.

Il m’est apparu intéressant d’organiser cette audition, compte tenu de l’intérêt que l’ensemble des commissaires portent à ce sujet et suite à l’audition des responsables de Voies navigables de France, le 13 mai dernier.

M. Rémi Pauvros. Je précise que la première mission dont j’ai été chargé n’était pas une mission parlementaire. Ce rapport m’avait été demandé à l’époque par le secrétaire d’État chargé des transports, Frédéric Cuvillier. La première question posée par Frédéric Cuvillier visait à savoir si nous devions réaliser ce canal ou pas. J’ai eu l’occasion de vous présenter un premier travail de « reconfiguration » du projet pour le rendre soutenable. Le Premier ministre a annoncé, le 26 septembre, à Arras, la décision du Gouvernement de déposer le dossier de demande de participation de la Commission européenne – ce qui a été fait le 28 février dernier – pour obtenir cette participation dans le cadre du mécanisme d’interconnexion en Europe (MIE).

La procédure est en cours. Nous devrions connaître cet été la hauteur exacte de sa participation, mais surtout son échelonnement, sachant que l’engagement à hauteur de 40 %, pris à Tallinn, sera certainement confirmé à Riga dès ce mois de juin à l’occasion de la réunion sur la problématique des transports en Europe.

Le canal Seine Nord Europe, rappelons-le, ne se limite pas au transport en tant que tel : c’est un projet à caractère éminemment économique. C’est un chantier important, même s’il n’a pas l’ampleur du Grand Paris ou de certaines lignes à grande vitesse. Le travail qui m’a été confié visait à savoir comment nous allions le réaliser.

Il s’agit de construire un nouveau modèle conduisant à une politique de transport plus attentive à l’évolution de l’environnement. Le développement, la logistique des entrepôts, le « tout-camion » est une des caractéristiques de ces dernières années. Dans le cas du Nord-Pas-de-Calais, 13 millions de mètres carrés d’entrepôts de plus de 5 000 mètres carrés, c’est-à-dire 4 % par an malgré la crise, sont construits chaque année. La plupart de ces zones ne sont branchées sur le système de transport que par la route. C’est donc une véritable interrogation que nous devons avoir quant à l’avenir du multimodal et à la capacité à faire en sorte que ces zones d’activité aient une autre dimension.

C’est le cas, par exemple, d’Amazon, à Douai, qui vient de réaliser 90 000 mètres carrés pour 200 poids lourds par jour, sans avoir prévu aucune autre perspective logistique. C’est le projet Narval, à Cambrai, sur la zone militaire, où 600 000 mètres carrés d’entrepôts sont prévus, sans autre connexion que la route ou, éventuellement, le ferroviaire.

Se pose également le problème des pics de pollution. Nous pouvons, certes, prendre des mesures d’urgence, comme les pastilles ou la circulation alternée. Mais il est de notre responsabilité de prévoir l’avenir et d’envisager d’autres projets de transports capables de modifier les comportements, s’agissant notamment du fret.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, les poids lourds constituent 20 % du trafic autoroutier, et le transit représente 50 % du trafic poids lourds des autoroutes lilloises. La fin du modèle d’approvisionnement des centres urbains doit aussi être développée. Nous ne pouvons pas imaginer que Paris continue à être desservi par de grands poids lourds semi-remorques à proximité. La démarche de Franprix, à Paris, est un bon exemple de recherche d’un mode de distribution différent ; on peut également évoquer le cas de Majencia, ou le Centre multimodal de distribution urbaine (CMDU), récemment inauguré à Lille, qui sont autant de projets de connexion entre le fluvial, la route et le ferroviaire, pour permettre la distribution dans les grands centres urbains. Autant d’éléments qui peuvent contribuer à diminuer les pics de pollution. Je rappelle que 18 % des pollutions sont liées aux transports, qui ont donc un impact direct sur la vie de nos concitoyens.

Enfin, il s’agit de redonner une compétitivité au fluvial et de reconnaître la nécessité du grand gabarit, avec un effet de seuil entre 600 et 800 tonnes – le transport sur 200 kilomètres revient alors de 10 à 15 euros la tonne – et au-dessus de 1 500 tonnes, c’est-à-dire sur un bateau de cent dix mètres 110 mètres, où le coût tombe à moins de 7 euros la tonne.

Si je prends un exemple concret, aujourd’hui, à Nesle, 75 % de la production d’un céréalier est transportée par camion, avec un coût de 11 euros la tonne. Avec une péniche de 800 tonnes, le coût monte à 15 euros la tonne. Par contre, dès que l’on passe à une péniche de 4 000 tonnes, on arrive à un coût de 9 euros la tonne, ce qui veut dire que le transport fluvial devient compétitif. C’est un gain de 4 euros par tonne sur le canal à grand gabarit. Ce céréalier dont la production est de 4 millions de tonnes par an s’est dit déterminé, si le canal à grand gabarit est construit, à faire passer la quasi-totalité de sa production vers Rouen ou Dunkerque du poids lourd au fluvial.

Il s’agit de donner de la compétitivité à nos ports. Nous y reviendrons certainement à propos de l’avenir du Havre.

Il faut savoir que lorsqu’un porte-conteneurs de 18 000 équivalents vingt pieds (EVP) arrive à quai, au Havre notamment, la moitié des conteneurs déchargés part en camion, ce qui fait 4 000 camions, qui forment une file de soixante-dix kilomètres… Il faut donc développer des infrastructures ferroviaires, mais aussi fluviales, pour évacuer rapidement, aménager un hinterland plus efficace et connecter nos ports à ce grand réseau.

Je propose également de faire de ce canal un exemple de conduite de projet partenariale et participative. Les difficultés de nos procédures actuelles ont été soulignées au regard des événements souvent dramatiques que nous avons connus ces derniers temps, les délais trop longs des enquêtes : sept ans se sont écoulés entre la première enquête publique et le démarrage des travaux pour la LGV Tours-Bordeaux, par exemple. Qui plus est, cette organisation du temps ne permet pas de poser des questions sur le déroulement du chantier. Le Président de la République a demandé, en novembre 2014 d’imaginer, à travers la Conférence environnementale, d’autres procédures pour mener à bien ces projets.

Je propose une procédure extrêmement participative pour faire en sorte que la population soit directement liée à cette réalisation. J’ai, pour ma part, organisé bon nombre de réunions et de rencontres sur les points les plus sensibles du futur chantier. Je propose dans mes conclusions la création de maisons du canal, d’ateliers du canal, d’un observatoire des engagements, et surtout un engagement total sur la transparence qui prévaudra dans la réalisation de ce projet.

Je propose un projet respectueux du développement durable, avec une certification et des objectifs partagés. Si VNF a fait un travail remarquable en la matière, je pense que nous pouvons grandement améliorer les choses. Je soumets des propositions concrètes en ce qui concerne la gestion de l’eau, mais aussi le partenariat avec la profession agricole, notamment pour le terrain des dépôts, la certification pour assurer l’atteinte des objectifs, afin de faire de ce projet un exemple de réalisation d’un projet durable, d’un canal durable, comme j’avais pu le faire dans mon département pour les routes.

Je voudrais ensuite que ce canal soit l’occasion de porter un projet économique pour inciter au report modal.

Je propose de mettre en place une société de projet. Elle pourra être créée rapidement, par ordonnance, dès la promulgation de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques où cette possibilité a été introduite par amendement. L’objectif est de faire participer l’ensemble des partenaires à la réalisation du projet. Il ne s’agit pas de laisser les collectivités territoriales en dehors de la maîtrise d’ouvrage. On ne peut pas leur demander une participation de 1 milliard d’euros sans les associer pleinement au projet.

Cette société n’est pas seulement un élément technique et politique : c’est aussi pour les collectivités une garantie puisqu’elle aura forcément un objectif en matière de résultat, avec la participation de l’ensemble des acteurs. J’ai proposé que soient associés à la maîtrise d’ouvrage la région Normandie et le Val-d’Oise, afin que l’ensemble du projet de canal soit intégré dans les préoccupations de la société.

J’ai également proposé que cette société ait une compétence en matière de développement économique pour gérer au mieux la commercialisation des plateformes et, suivant l’exemple d’HAROPA ou de Medlink sur le Rhône, faire en sorte que l’ensemble du réseau soit géré d’une façon partagée. Il est très important que nous ayons un suivi direct des bateaux et d’être assurés de leur utilisation maximale.

Je propose aussi une contribution au report modal des entrepôts logistiques. Pour les entrepôts qui utilisent exclusivement des camions, je propose que la taxe sur les entrepôts, déjà utilisée en Ile-de-France pour payer le réseau du Grand Paris, soit mobilisée. Le camion est plus souple et moins cher que les autres modes de transport ; si nous ne prenons pas de mesures pour faire réfléchir les porteurs de projets, nous aurons dans l’avenir des projets faisant exclusivement appel aux camions. Un entrepôt de 100 000 mètres carrés en e-commerce représente, je le répète, 200 camions de plus par jour. Il faut donc inciter à utiliser le canal et le ferroviaire. La location d’immobilier en Nord-Pas-de-Calais, c’est 30 à 60 euros le mètre carré par an, les taxes foncières 3 à 8 euros par mètre carré et par an. Quant à la taxe Grand Paris, c’est 1 euro par mètre carré et par an. On pourrait imaginer une taxe de l’ordre de 50 centimes d’euro par mètre carré et par an, et la gratuité si la zone est connectée au ferroviaire et au fluvial. Cela pourrait être une incitation intéressante pour amener au report modal.

Je propose également une étude sur l’utilisation de l’eurovignette sur les autoroutes concédées. Il ne s’agit pas de financer le canal par l’eurovignette, comme le laissait entendre un journal local. Aujourd’hui, chaque consommateur paie une contribution environnementale sur tous les appareils qu’il achète : pour une imprimante, par exemple, de 150 euros l’éco-participation est de 1 euro. On peut imaginer que les poids lourds participent de la même façon, mais à des niveaux extrêmement faibles. Aujourd’hui, 13 000 poids lourds par jour empruntent l’autoroute A1, ce qui fait un camion toutes les dix secondes, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. On peut imaginer que ces camions étrangers qui traversent nos autoroutes à péage et qui polluent le plus contribuent un peu. Un péage Paris-Lille – 150 kilomètres environ – coûte 46,70 euros pour un 40-44 tonnes. Pour un camion de norme Euro 4, la directive propose, pour l’eurovignette, un coût de 0,03 centime du kilomètre, ce qui représenterait 4,50 euros pour l’ensemble du parcours. Ce qui est important pour le transporteur, c’est le coût à la tonne. Un camion, c’est 25 à 28 tonnes de charge utile. Cela fait 15 centimes d’euros à la tonne entre Paris et Lille quand une voiture d’une tonne paie 16 euros… Ce sont quelques éléments pour dédramatiser cette histoire d’eurovignette. Je ne veux pas réengager le débat sur l’écotaxe, mais simplement dire que si l’on peut récolter 40 à 50 millions d’euros de recettes par an, c’est autant de capacité de remboursement d’emprunt pour la société de projet. C’est peu, mais cela suffira pour boucler un budget ou faire face à d’éventuels surcoûts. Telle est la proposition qui peut être faite actuellement. Nous sommes en contact avec les services européens de la Commission européenne ; le ministre fera, ou non, bon usage de mes préconisations.

Il s’agit, non pas d’imaginer un projet qui concerne le fluvial, mais un projet qui concerne la multimodalité, une évolution, une modernité du transport. Ce qui va vite n’est pas forcément moderne. Je pense à l’engouement pour le TGV : c’est effectivement une belle réussite en matière technologique, mais nous en connaissons aussi le coût et les impacts. Ce que je propose est un projet moderne parce qu’il est sûr et que son impact écologique est extrêmement limité. C’est un projet qui relève avant tout du développement durable et je le présente comme tel. L’ensemble des auditions que j’ai menées me conforte dans l’idée qu’il faut, sur ce plan, être d’une exigence absolue.

C’est aussi un projet indispensable sur le plan économique. Dans mon premier travail, j’avais avancé le chiffre de 50 000 emplois à terme créés tout au long du canal. Je crois mes estimations extrêmement raisonnables au regard de ce que j’ai pu avoir comme sollicitations de la part d’un certain nombre d’investisseurs potentiels. C’est enfin pour nos ports un enjeu essentiel, car leur hinterland reste à mon avis un des éléments majeurs de leur compétitivité et leur permettra de résister à la concurrence d’Anvers et de Rotterdam.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vais maintenant donner la parole aux représentants des groupes.

M. Jean-Jacques Cottel (groupe Socialiste, républicain et citoyen). Je tiens à féliciter au nom de mon groupe notre collègue Rémi Pauvros pour la qualité de son travail, ainsi que pour la pugnacité dont il a fait preuve dans ce dossier aux multiples facettes : je pense à la question du tracé, des équipements, du financement, des différents partenaires institutionnels, de l’impact environnemental et des retombées économiques, à commencer par les milliers d’emplois nécessaires à la conception du canal. Bref, ce sont là toutes les caractéristiques intrinsèquement liées à la nature même d’un grand chantier.

Ce rapport intervient après l’annonce faite par le Premier ministre le 26 septembre, à Arras, pour officialiser l’engagement du Gouvernement français en faveur de ce projet, suivi depuis par celui des instances européennes. Mais nous n’en sommes pas arrivés là par hasard. Si nous sommes ici présents pour examiner ce rapport et si le Gouvernement s’est officiellement engagé, c’est en partie grâce au travail réalisé par Rémi Pauvros, qui a permis de lever les principaux doutes et les principaux casus belli.

Ce fut tout l’objet du premier rapport de reconfiguration du canal, qui a permis de le rendre financièrement soutenable et crédible. C’est en rappelant ce cheminement que nous pouvons aborder l’examen de ce second rapport, qui constitue une étape supplémentaire et non moins décisive puisqu’il traite, selon l’esprit de la lettre de mission, de la réussite de ce projet et, en quelque sorte, lui donne son sens.

Il lui donne du sens en tant qu’outil de la croissance, cela a été dit, pour conforter largement nos ports maritimes via leur hinterland, booster la filière logistique ou encore engager une baisse des coûts de transport pour nos entreprises. Il lui donne du sens aussi et surtout en tant qu’outil contributeur à la transition énergétique. D’abord, il est évident que le report modal du routier vers le fluvial aura pour effet de décongestionner l’autoroute A1, aujourd’hui saturée, d’améliorer la qualité de vie des habitants, sans doute aussi la qualité de l’air, et d’émettre infiniment moins de CO2 dans l’atmosphère.

Enfin, il lui donne du sens dans son lancement opérationnel, car nous disposons là d’un véritable mode d’emploi dont certaines dispositions sont d’effet immédiat : je pense notamment à la consultation, qui a déjà été réalisée et qui le sera encore dans les communes impactées par la reconfiguration. En effet, cela a été largement évoqué, s’agissant de la méthode de travail partenariale dans la concertation, à la fois sur la gouvernance du projet, sur son calendrier et sur les missions incombant à la future société de projet qui en assurera à la fois la construction et l’exploitation, à l’exception des plateformes.

S’agissant du chantier en lui-même, le volet emploi local et celui de la formation ont été évoqués. A-t-on une idée plus précise du nombre d’emplois induits ? Y aura-t-il, autant que faire se peut, adéquation entre les différents sites du chantier et la proximité des bassins d’emploi, au regard, notamment, de la problématique de la mobilité des salariés ?

Puisque le modèle économique du canal suppose une incitation au report modal vers le fluvial, il convient effectivement d’envisager la possibilité de mettre en place l’eurovignette pour les poids lourds et une taxe pour les surfaces d’entrepôts. Concernant l’eurovignette, à quel moment pourrait-elle être applicable ?

Qui piloterait l’observatoire des objectifs du projet ?

Comment mettre en place une participation au niveau local de tous les élus, qu’ils soient dans les EPCI, dans les communes, ou qu’ils soient parlementaires, au sein notamment du comité stratégique et des différentes instances ?

Enfin, il convient de porter une attention toute particulière au monde agricole au sujet des futures conventions sur le devenir des terres prélevées, sur les dépôts et sur leur traitement éventuel. L’accompagnement du monde agricole a déjà été mis en place, mais il convient de le conforter.

M. Jean-Marie Sermier (groupe Les Républicains). Je vous prie d’excuser notre collègue Alain Gest, retardé. Je voudrais également saluer, au nom de mon groupe, le travail de Rémi Pauvros. C’est un dossier extrêmement compliqué, mais il a réussi à en tirer l’essentiel pour que ce futur grand canal voie le jour. Je le dis d’autant plus volontiers que je suis député du Jura où nous avons entendu pendant plus de quarante ans parler d’un projet de grand canal Rhin-Rhône qui finalement a été abandonné…

Le Canal Seine Nord Europe participe d’une volonté commune. Il est probablement issu des réflexions du Grenelle de l’environnement. Notre collège Jean-Jacques Cottel évoquait tout à l’heure les rejets de CO2 dans l’atmosphère, la transition énergétique et le report modal, autant de sujets examinés dans le cadre du Grenelle de l’environnement.

Bien évidemment, les précédents gouvernements ont réfléchi à ce canal et un projet a été mis au point. La différence fondamentale avec ce que nous connaissons aujourd’hui, c’est le mode d’organisation pour la création du canal. La formule du partenariat public privé (PPP) a finalement été abandonnée, mais n’oublions pas que c’est finalement grâce au dialogue compétitif mené dans le cadre du PPP entre, d’un côté, l’État et VNF, de l’autre, les entreprises qui avaient postulé, qu’un certain nombre de solutions techniques ont été trouvées, qui ont permis d’améliorer le projet tout en restant globalement dans le cadre des enveloppes initialement prévues.

Ma première question concerne le financement. À l’origine, il était question que l’Union européenne finance le projet à hauteur de 7 %, contre près de 40 % aujourd’hui. Pourtant, l’engagement de l’Union n’est pas totalement définitif. Quelles assurances avons-nous de sa part ?

Ma deuxième question concerne la région Ile-de-France, qui a toujours dit qu’elle financerait le projet et avait même avancé le chiffre de 230 millions. Force est de constater que cette participation n’a jamais été votée. Le sera-t-elle avant le mois de décembre ?

Comment envisagez-vous de mobiliser les financements de l’État au travers du budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), dont chacun connaît les difficultés actuelles ?

Vous avez évoqué la société de projet qui sera mise en place. Pourriez-vous préciser les dates de constitution de cette société qui fera, en fait, le tour de table des futurs opérateurs ?

Les travaux devant commencer dès 2017, comme l’a annoncé le Premier ministre, ils généreront immédiatement des emplois. Toutefois, je rappelle qu’une cellule spécifique avait été ouverte à Pôle emploi, mais comme le canal ne voyant pas le jour, elle a été fermée. On a parlé tout à l’heure du nombre d’emplois, mais aura-t-on des employés suffisamment formés pour pouvoir assurer la construction du canal ? Ce serait dommage de devoir aller chercher des gens qualifiés à l’extérieur…

Il faudra enfin aborder rapidement la question du financement de la maintenance : si VNF doit en assurer une partie, il faudra nécessairement que cette société ait plus de moyens qu’elle n’en a aujourd’hui. Au-delà du problème spécifique de ce canal, c’est toute la filière fluviale qui est en jeu. Si nous avons de bons résultats dans le domaine du tourisme fluvial
– plus 15 % l’an dernier –, force est de constater que le fret reste aux abonnés absents.

Il y a des décennies, on transportait du pondéreux. Aujourd’hui, on peut transporter du pondéreux, mais on transporte aussi des conteneurs. Cette mutation technologique va nous permettre de mieux utiliser les canaux. Nous devons être également en capacité de trouver les moyens d’éviter les ruptures de charges entre les différents modes de transport.

M. Bertrand Pancher (groupe de l’Union des démocrates et indépendants). Je remercie également, au nom de mon groupe, Rémi Pauvros pour cette présentation.

Le Canal Seine Nord fait partie, avec le TGV Lyon-Turin, des deux énormes chantiers d’infrastructures. À certains moments, on a craint qu’ils ne soient retardés, voire abandonnés. Aujourd’hui, le canal Seine Nord est à nouveau d’actualité grâce à la décision du Gouvernement, ainsi que le Lyon-Turin grâce à l’accord récent France-Italie. Dans ces deux dossiers, les mêmes questions reviennent, face à la diminution des moyens de financement de l’Agence de financement des infrastructures de transport. Tout le monde dit que l’AFITF éprouve des difficultés pour payer les dépenses courantes. Comment engager financièrement ce dossier en même temps que celui du Lyon-Turin ?

Parallèlement, des démarches ont été engagées au niveau européen, une demande de cofinancement importante de l’Union européenne a été présentée. Certes, l’Union européenne va s’engager de façon plus importante. Il n’en demeure pas moins qu’elle va très rapidement exiger, d’ici à la fin de l’année, le plan de financement à la France, notamment pour le Lyon-Turin.

Aussi, la première question qu’il faut se poser, c’est comment réunir concrètement notre quote-part, autrement dit ces 2,8 milliards d’euros. Alain Vidalies nous a indiqué qu’une partie serait financée par l’emprunt, l’autre par le budget de l’AFITF… Une réponse précise à cette question pourrait nous éclairer sur les suites qui seront données à ce dossier, faute de quoi, on sait ce qui va arriver : il sera repoussé en attendant la prochaine élection présidentielle et c’est la prochaine majorité qui en héritera…

L’administration tire la sonnette d’alarme et s’inquiète notamment de la préconisation de faire contribuer les poids lourds au cofinancement du Canal Seine Nord : elle trouve que c’est une piste fragile qui risque de ne pas rapporter des sommes conséquentes. Quelle est votre réponse sur ce point ?

Une fois la controverse du financement tranchée, se posera celle du portage financier. On nous a expliqué qu’on ne voulait plus de partenariat public-privé, mais qu’il y aurait un projet partenarial participatif. Y a-t-il vraiment une différence ? Renonce-t-on complètement au portage par le secteur privé ? Compte tenu de la situation désargentée que connaît actuellement l’État, c’est une piste qu’il ne faudrait pas abandonner.

Reste une dernière controverse : le canal Seine Nord n’enterrera-t-il pas définitivement le développement du Havre ? Il devrait y avoir un grand débat public dans le cadre du canal Seine Nord, confié à la Commission nationale du débat public. La CNDP travaillera sur l’ensemble des problématiques de transport de marchandises, notamment par voie d’eau, et ne pourra pas faire l’économie d’une confrontation des deux projets. Tout cela est-il vraiment compatible ?

Mme Barbara Pompili (groupe Écologiste). Monsieur le président, je vous remercie de m’accueillir dans votre commission.

Monsieur Pauvros, si le projet de canal Seine Nord réunit des soutiens, il soulève aussi des interrogations, voire des inquiétudes chez bon nombre d’acteurs du territoire.

Votre premier rapport de reconfiguration avait eu le mérite de retrouver un peu de bon sens, notamment en abandonnant le montage financier en partenariat public-privé. À l’époque, lors de votre audition, je vous avais fait part des nombreuses réserves qui demeuraient et, à mon sens, ce nouveau rapport n’apporte que très peu de réponses concrètes sur les points que j’avais soulevés.

Votre première proposition concerne la création d’un observatoire des objectifs du projet. Au-delà du rôle de suivi, je ne vois pas quelle sera sa capacité d’action pour remplir ces fameux objectifs quand on se rendra compte qu’ils ne seront pas atteints.

S’agissant de la création d’emplois, j’ai pris note de l’attention portée aux clauses d’insertion et à l’implication des entreprises locales. Ces mesures me paraissent néanmoins bien faibles au regard de l’ampleur du projet, qui passera nécessairement par des appels d’offres à l’échelle européenne. Quand bien même, investir 4,5 à 5 milliards d’euros au bas mot, sans tenir compte des innombrables aménagements annexes, pour créer quelques milliers d’emplois le temps d’un chantier, ne me paraît toujours pas opportun. Il existe des moyens bien plus efficaces pour créer des emplois locaux, durables et non délocalisables, par exemple dans les transports ou la rénovation thermique de l’habitat.

Plus globalement, la question du financement, on l’a dit, n’est toujours pas réglée. Ce projet repose sur l’engagement de l’Union européenne. Disposez-vous d’une confirmation sur la hauteur de cet engagement ? Existe-t-il un plan B dans l’hypothèse où il serait inférieur à vos prévisions ?

De même, les collectivités territoriales sont toujours aussi sollicitées pour l’infrastructure elle-même, comme pour les aménagements tels que les plateformes. À l’heure où les dotations de l’État se réduisent, il paraît périlleux de tabler sur un tel engagement sans envisager les sacrifices qui seront nécessaires pour y parvenir et qui risquent d’avoir un impact bien plus concret sur le quotidien des habitants. Dans ma région, par exemple, en Picardie, alors que le contrat de plan État région (CPER) est en train d’être signé, l’État étale les financements dans le temps et n’a même pas 100 millions pour cofinancer l’électrification de la ligne Amiens-Boulogne !

Quant à l’emprunt de 700 millions d’euros minimum, vous comptez le rembourser grâce à un péage dont le tarif n’est pas fixé – on se demande à quel stade nous pourrons disposer d’une visibilité sur cet élément clé –, à une redevance de la directive Eurovignette et à une contribution environnementale des entrepôts logistiques dont nous regrettons qu’elle ne puisse pas être utilisée pour financer des infrastructures de transport de marchandises plus efficaces : je pense évidemment au fret ferroviaire.

Le rapport Duron propose, lui aussi, de recourir à l’écotaxe pour les trains d’équilibre du territoire (TET). Combien allons-nous en créer si chaque rapport se base sur cette solution ? Nous atteignons la limite du saucissonnage des projets de transport, là où il faudrait avoir une vision globale, fluviale évidemment, mais aussi ferroviaire, routière, portuaire. La complémentarité avec le rail tient, certes, une place de choix dans votre rapport, mais sans que soient précisées les conditions de son développement en termes d’aménagement comme de financement, surtout quand on considère l’effet d’éviction du canal sur les autres besoins de financement public dans le Nord comme dans le reste du pays. Si l’on met tous ses œufs dans le panier du canal, on ne pourra pas payer grand-chose d’autre.

Par ailleurs, alors que nous devrions développer nos ports, et notamment le port du Havre, le Canal Seine Nord Europe reste un développement de l’hinterland des ports d’Anvers et de Rotterdam. La chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Havre et de Rouen et les élus de Normandie ont d’ailleurs exprimé leurs craintes sur la menace que ce projet fait peser sur leurs 20 000 emplois portuaires. Une fois n’est pas coutume, je vous recommande l’excellente tribune de Jacques Attali sur le sujet, qu’il a publiée avant-hier.

Le développement sur les rives du canal, qui est vendu aux régions traversées, n’a pas fonctionné pour le Canal Rhin-Main-Danube, comparable au Canal Seine Nord par ses limites de gabarit et son éloignement des ports, et qui, finalement, transporte moins de 1 % de conteneurs se substituant réellement aux camions.

Enfin, la simple ambition d’obtenir une certification « canal durable » n’est pas de nature à apporter des garanties indispensables sur le plan environnemental, en premier lieu sur la ressource en eau. Tout juste peut-on lire qu’il faut y veiller et que le dialogue doit se poursuivre, tout en reconnaissant qu’il faudra créer des bassins de réserve pour pallier la faiblesse du débit à certains moments.

De même, les mesures en faveur de l’agriculture restent à préciser, notamment sur l’enjeu du foncier. Vous affirmez dans votre rapport : « le canal Seine Nord Europe ne peut pas être un canal qui traverse, mais doit être un canal qui irrigue ». Au regard du dossier dans son ensemble, ce ne sont pas les propositions que vous formulez qui sont en cause, mais l’opportunité même de mener à bien un projet de cette envergure pour un coût exorbitant et des effets attendus plus qu’incertains.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vais maintenant donner la parole aux autres orateurs.

M. Jean-Louis Bricout. Je vous remercie, cher Rémi Pauvros, pour la qualité de votre intervention. Je voudrais dire à mes collègues du groupe Les Républicains que croire que ce projet n’aboutira pas, c’est bien mal connaître les gens du Nord. Tous ceux qui aiment notre région soutiennent ce grand projet d’avenir indispensable au développement de notre région.

Dans un territoire où la nécessité du redressement se fait ressentir encore plus fortement qu’ailleurs, ce chantier constitue une opportunité pour le développement économique et la vitalité de l’emploi. Encore faut-il pour cela être certain que le chantier sera bien assuré par des entreprises locales. En tout cas, nous avons tout à y gagner.

Dans la continuité des propos de mon collègue Jean-Jacques Cottel, pouvez-vous nous indiquer les garanties qui seront prises pour le déroulement du chantier et son impact sur notre grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie ?

En dehors de son impact local, régional, en ce qui concerne son intérêt national, quel sera son impact sur le développement des ports du Havre et de Rouen ? Le canal Seine Nord est-il la seule composante de développement ou l’approche doit-elle être plus globale ?

Ma dernière question a trait au développement du tourisme fluvial : quel lien faites-vous entre ce projet d’importance et celui de la réhabilitation du canal de la Sambre à l’Oise, dont vous savez qu’il me tient à cœur, pour la redynamisation de notre potentiel touristique ?

M. Jean-Pierre Vigier. Monsieur Pauvros, votre second rapport est une feuille de route concernant la structuration du projet. Il s’articule autour de dix propositions relatives au développement économique et au financement du projet. Il préfigure une démarche Grand Chantier, démarche utilisée précédemment pour le tunnel sous la Manche. Il prévoit des dispositions pour que le projet soit un levier de développement économique pérenne.

Cependant, j’ai des interrogations et des craintes sur le financement de ce grand chantier. C’est un point important et il faut nous donner des explications très claires. À côté des crédits européens que, je l’espère, nous obtiendrons – nous n’avons pour l’heure de certitude –, pensez-vous que l’on bouclera un jour le plan de financement de cette opération ? De quelle façon et à quel moment ?

M. Yannick Favennec. Le Canal Seine Nord Europe représente sans conteste une opportunité pour le report modal vers le fluvial. C’est en cela qu’il est un élément de transition énergétique. Il constitue aussi une opportunité de développement économique. Mais plusieurs élus normands s’inquiètent du risque d’affaiblissement des ports normands et de l’axe Seine. Ils considèrent que ce canal est un cadeau fait aux ports de Rotterdam et d’Anvers, principaux rivaux économiques du Havre et de Rouen. C’est pourquoi je souhaiterais avoir votre analyse sur ce point.

J’aimerais également que vous nous donniez quelques précisions sur le sort qui sera réservé dans cette affaire aux agriculteurs.

M. Gilles Savary. Je tiens à remercier Rémi Pauvros pour son travail, car nous partions de loin, et surtout de niveaux de financement totalement irréalistes.

Au-delà de l’intérêt national, c’est un projet d’ampleur européenne. Il a un caractère international évident. Nous espérons obtenir la participation de l’Union européenne à hauteur de 40 % dans le cadre du mécanisme d’interconnexion en Europe. Cela étant, avez-vous envisagé de solliciter le fonds Juncker ? Ce mécanisme permettra d’avoir des prêts garantis, sachant qu’une grande partie des travaux se fera sous endettement.

Ensuite, j’aimerais savoir si vous avez testé la soutenabilité de vos propositions concernant, notamment, la mise en place d’une eurovignette, qui doit au moins avoir le consentement des autoroutes. Cela me semble être une très bonne idée puisqu’on met en place une infrastructure typique de transfert modal de la route vers une infrastructure beaucoup plus vertueuse, qui permet de massifier.

Enfin, puisque le canal traversera des zones denses, également en termes de trafic de marchandises puisque ce sont de puissants bassins agricoles, pouvez-vous nous parler de l’organisation de l’intermodalité ? Où vont se situer les plateformes intermodales ? Puisqu’il va y avoir une revalorisation foncière considérable là où il y aura des plateformes intermodales et des nœuds intermodaux, envisagez-vous de taxer le foncier plus que les entrepôts ?

M. Charles-Ange Ginesy. Je vous remercie, mon cher collègue Pauvros, pour les explications que vous nous avez données sur un projet que je considère comme étant d’intérêt majeur pour l’intermodalité et pour la liaison.

Pour ma part, mes inquiétudes portent essentiellement sur la partie financière. Le financement européen est toujours aléatoire, même si l’on parle d’une participation de 40 % ; pour ce qui est de celle des communes, les intercommunalités, les collectivités locales, il faut rappeler la fragilité du contexte compte tenu du niveau de leurs dotations. Vous nous parlez d’une taxe, l’eurovignette, qui rapporterait 40 à 50 millions d’euros et vous dites que cela pourrait stimuler un emprunt. Mais on n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Cela veut dire que, derrière, l’État doit programmer un financement important. Le Gouvernement, qui a engagé sa parole sur sa capacité à financer ce projet, a-t-il prévu des lignes budgétaires pour ce faire ? Le montage financier est essentiel pour mener à bien cette affaire, et même si l’un de nos collègues nous assure que les élus du Nord mèneront à bien ce projet, on en a vu d’autres projets capoter…

M. Christophe Bouillon. L’avantage avec Rémi Pauvros, c’est que la qualité est toujours au rendez-vous ! Notre collègue nous a habitués à produire des rapports détaillés, précis, sérieux et ambitieux ; celui-ci n’échappe pas à la règle.

Cela étant, ce n’est pas la première fois que je m’exprime sur ce point, comme ma collègue Catherine Troallic, Ce projet suscite de réelles inquiétudes chez les acteurs de la communauté portuaire de la pointe havraise.

Ce projet vient de loin. Il dépasse les clivages politiques. Annoncé avec tambours et trompettes par l’ancienne majorité, il a dû être été reconfiguré, car il était mal parti. Vous avez obtenu des financements européens et une reconnaissance comme grande infrastructure européenne. Mais que dites-vous aux acteurs havrais pour apaiser leurs inquiétudes ? Ils considèrent cette infrastructure comme un véritable aspirateur à marchandises au profit d’Anvers et de Rotterdam. Rassurez-les et rassurez-nous !

Avec Catherine Troallic et Estelle Grelier, nous souhaitons que soit organisée assez rapidement une table ronde au Havre, avec tous les acteurs du projet. Pouvons-nous compter sur votre présence, monsieur le rapporteur ? Vous avez parlé d’un projet de canal durable. Aidez-nous à le faire passer du statut de canal de la peur pour les Havrais à celui de canal d’opportunité pour tous !

M. Christophe Priou. Je veux souligner, moi aussi, l’excellent travail de notre collègue Rémi Pauvros. Nous avons l’habitude d’avoir d’excellents rapports dans cette commission, mais nous avons l’impression de travailler par segments et de ne pas avoir de vision globale. Hier, c’étaient les trains. Cette semaine, c’est le canal. Et le 17 juin, nous évoquerons en commission une proposition de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes.

Alors que la croissance du trafic maritime mondial est à deux chiffres, globalement nos ports sont moins attractifs. C’est dû aux délais de déchargement, et au fait que nous ne sommes pas à niveau en matière d’hinterland et de réseau ferroviaire adéquat.

Ce canal est-il un cadeau que l’État français fait naïvement aux ports d’Anvers et de Rotterdam, ports concurrents des sites de Paris, Rouen et Le Havre où, le long de la Seine, on compte aujourd’hui, rien que dans la logistique, 230 000 salariés ?

Enfin, sous quelle forme l’État, Voies navigables de France et les collectivités locales participeront-elles au conseil de surveillance de la société de projet ?

M. Arnaud Leroy. Il est important de reposer le débat dans des termes un peu plus sérieux que par le passé. Je me contenterai de reprendre la dernière phrase de la page 86 du rapport : « Pour chacun, la complémentarité d’une desserte ferroviaire renforcée et d’un accès direct à la voie fluviale est à développer. » Cette phrase suit un petit inventaire des ports, dont Le Havre et Rouen. Je suis assez sensible à l’inquiétude qui existe dans cette partie du territoire, notamment dans le port du Havre.

Je travaille beaucoup sur les questions de transport maritime et de complémentarité entre les ports. Cette question du canal Seine Nord nous oblige à avoir une vraie discussion entre nous sur la politique portuaire de la France. Car ce projet va reconfigurer la question portuaire en France.

J’aimerais, monsieur le rapporteur, que vous répondiez de manière positive à la demande de table ronde qui vous a été faite et que nous soyons en capacité de développer une société de projet si nécessaire pour Le Havre, afin que l’on puisse en finir avec cette question de la desserte. On ne peut pas construire des équipements comme Port 2 000 et les laisser en déshérence, faute de desserte convenable, comme c’est le cas depuis plusieurs années. Profitons de cette occasion pour nous pencher, comme nous l’avions fait avec Gilles Savary, sur la question d’un schéma national de logistique, de stratégie de transport, avec un volet portuaire. C’est le moment, car il n’y aura pas d’autre équipement structurant comme le Canal Seine Nord. Je comprends l’inquiétude des personnes concernées au regard du dynamisme et de la réactivité des ports du Nord de l’Europe. Il faut que la France se mette à niveau, que nous fassions la comparaison. Pourquoi les règles européennes concernant les équipements industriels ou les risques industriels sont-elles si compliquées pour les ports français et si « invitantes » pour Anvers et Rotterdam ?

M. Guillaume Chevrollier. Le canal Seine Nord est un grand projet de développement durable, que nous voyons avancer avec intérêt tant les retombées économiques seront importantes pour la nouvelle grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, pour notre pays et pour le développement du transport fluvial.

Son financement progresse de façon positive puisque la dépense est ramenée de 7 milliards à 4,5 milliards alors que l’engagement de l’Union européenne passe de 6 à 40 %. L’État financera le projet à parité avec les collectivités. Le reste serait financé par la société de projet. Vous proposez plusieurs pistes de recettes dédiées et incitatives au report modal : l’eurovignette, le prélèvement sur les surfaces d’entrepôts. Dans le contexte de ras-le-bol fiscal actuel qui, selon moi, perdurera, il faudra faire preuve de beaucoup de pédagogie. C’est d’ailleurs ce que vous avez commencé à faire pour faire passer ces propositions.

Une autre question devrait intéresser la Commission : dans la phase de travaux du canal, comment comptez-vous résoudre la question du traitement des PCB et PCT et autres polluants, ainsi que celle du stockage et du recyclage des polluants et des boues, quand on sait que certains ont un coût significatif ? Quelle organisation précise envisagez-vous à ce sujet ?

M. Yann Capet. Je félicite à mon tour Rémi Pauvros, qui a réussi la performance de transformer un effet d’annonce en un véritable projet. Je partage les points de vue exprimés par mes collègues, mais je reviendrai sur un ou deux éléments concernant la politique portuaire.

On ne peut pas considérer que le projet du Canal Seine Nord résume la question des hinterlands portuaires parce qu’elle se pose sur l’ensemble des façades maritimes. Ce projet n’est pas tombé du ciel. Je rappelle qu’il existe aussi des ports dans la région Nord-Pas-de-Calais et qu’il existe notamment le port de Dunkerque, desservi par un canal à grand gabarit et qui doit permettre de capter une partie du trafic des grands ports du Nord, dont on sait qu’ils sont extrêmement compétitifs et performants.

Je souhaiterais que le rapporteur puisse nous éclairer sur le fait que ce projet ouvre la question plus générale de la desserte de nos ports, et donc, de leur compétitivité. La desserte des ports ne se résume pas à la seule desserte fluviale, elle intègre aussi l’intermodalité. Cette question, et cela rejoint les préoccupations de nos collègues du Havre, se pose à mon sens de manière tout à fait pertinente sur le plan ferroviaire, qui reste une lacune majeure du port du Havre et qui doit nécessairement faire l’objet de la plus grande attention. Toute personne qui s’intéresse un peu aux questions de transport et aux questions portuaires et maritimes ne peut qu’être inquiète en apprenant qu’un projet d’autoroute ferroviaire a été récemment remis en cause, ce qui ne peut que porter atteinte à notre volonté de report modal et de desserte des hinterlands portuaires.

Mme Barbara Pompili. Eh oui !

M. Michel Heinrich. Je voudrais féliciter Rémi Pauvros pour son rapport très bien fait. Les élus de l’Est ont été traumatisés par l’arrêt du projet Rhin-Rhône. Quand je lis un rapport comme celui-ci, je rêve à un canal Moselle-Saône…

Ce projet est moderne, éminemment économique et se situe dans une logique de développement durable. Il favorise très largement le report modal. Le renoncement au PPP me paraît une excellente chose et l’idée d’une société de projet tout à fait pertinente.

Les pistes de financement que vous évoquez sont intéressantes. Bien qu’un financement de fonds européens à hauteur de 40 % ait été annoncé, est-il totalement utopique d’imaginer une participation des pays voisins au financement du projet ?

Pour la région du Nord, dont vous êtes élu, ce canal est une formidable opportunité en matière d’emploi. Vous annoncez la possibilité d’une charte d’insertion, ce qui est une excellente chose, mais aussi la volonté d’ouvrir le chantier aux PME locales. J’aurais préféré que, dans le rapport, on ne fasse pas spécifiquement allusion aux PME locales. Constituer les marchés publics aujourd’hui, on sait que c’est compliqué, mais les ouvrir aux PME devient une vraie nécessité. Car tous ces grands projets sont phagocytés par les grands groupes, qui laissent peu d’espace aux autres, compte tenu de la situation actuelle dans les travaux publics. Certes, cela ne change rien dans la réalité, mais il serait préférable de laisser un espoir et de dire qu’il faut favoriser l’accès aux PME, plutôt que faire référence au plan local, même si je peux comprendre votre préoccupation.

M. Laurent Furst. La France a un problème avec ses ports, qui ne sont pas dimensionnés au regard de ses besoins. Le premier port français en volume n’est pas sur le territoire national, ce qui est assez atypique en Europe… Nous avons un problème de compétitivité, de desserte, d’investissement et d’organisation sociale, ce qui empêche les ports français d’atteindre une dimension en rapport avec l’économie de notre nation.

Ce projet est-il bon pour les ports français ? Développe-t-il la problématique ? Répond-il à une partie du retard français en matière de ports ? Ou, au contraire, favorise-t-il surtout le développement d’Anvers et de Rotterdam, qui sont déjà les premiers ports d’approvisionnement de la France ?

Permettez-moi enfin d’être un peu polémique. J’ai entendu le rapporteur nous dire la dimension formidable, en termes de développement durable, d’infrastructures et de report modal, de ce projet, que je soutiens à titre personnel. Mais je n’oublie pas que la même sensibilité politique au pouvoir a abandonné le projet de canal Rhin-Rhône. Était-ce une erreur d’abandonner ce projet, qui avait une véritable dimension européenne ? On ne peut pas « se taper sur le ventre » quand il s’agit du canal Seine Nord après avoir dit exactement l’inverse à propos du canal Rhin-Rhône…

M. Édouard Philippe. Un certain nombre d’inquiétudes ont été évoquées, qu’elles soient environnementales ou financières, sur lesquelles je ne reviendrai pas.

Je partage volontiers l’objectif de ceux qui militent en faveur de la construction de ce canal lorsqu’ils disent qu’il faut favoriser le report modal et passer du camion individuel à la barge massifiée dont on ne peut contester les effets vertueux sur le plan de l’environnement, mais également sur celui de la compétitivité lorsqu’on se place, non pas à 200 ou 300 kilomètres du port, mais à 500 ou 600 kilomètres. Le « massifié » est une exigence économique, je n’en disconviens pas.

Cela étant, je partage certaines remarques formulées, notamment, par notre collègue Leroy, sur l’absence de politique portuaire et sur l’inquiétude considérable des acteurs portuaires français, au Havre, mais également à Rouen. Le système portuaire havro-rouennais est le premier système portuaire de France. Sur les 2,5 millions de conteneurs qui passent par Le Havre, dont 85 % voyagent sur des camions, 10 % seulement par le fleuve et 5 % par le fer.

Il faut être conscient que, lorsque le canal fonctionnera, son effet aspirateur pour les bateaux qui débarqueront leurs marchandises plus volontiers à Anvers et à Rotterdam qu’au Havre sera considérable. Et pour une raison très simple : si nous voulons faire du massifié par voie d’eau en partant de la Normandie, au sens large, vers l’Escaut et la Ruhr, il existe déjà une voie d’eau, extrêmement efficace, sur laquelle il y a un transport massifié remarquablement opératoire : c’est la Manche… Un canal parallèle à la Manche, c’est un désastre pour le port du Havre : les bateaux continueront leur route et iront encore plus volontiers à Anvers et Rotterdam s’il s’agit de trouver là-bas le terrain de jeux dont ils ont besoin pour se développer.

Les inquiétudes normandes sont réelles. Ne les écartons pas d’un revers de la main au prétexte que ce seraient les Normands contre les Picards ou contre les Nordistes. Ils sont amis des uns comme des autres. Ce n’est ni le cas ni le sujet. Le sujet, c’est savoir comment faire pour que la politique portuaire française ne souffre pas dans son fonctionnement, dans son développement industriel, des effets d’un canal dont je comprends parfaitement qu’on veuille le construire, mais qui aura un effet potentiellement dévastateur sur la place portuaire normande.

M. Gérard Menuel. Je voudrais revenir sur l’analyse des flux de transport de la liaison Seine-Escaut.

Des craintes viennent d’être exprimées à propos de cet ouvrage qui bénéficierait aux ports du Nord, notamment ceux de la Belgique et des Pays-Bas. Je m’interroge à ce sujet et j’aimerais avoir votre analyse. N’est-ce aussi une chance pour Rouen et Le Havre si les comportements changent et si les ports se mettent à niveau ? Je constate depuis plusieurs années que les ports du Nord sont très chargés, et si les prestations de Rotterdam et d’Anvers sont de qualité, elles sont également très chères, et les prix augmentent d’année en année. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Récemment, un ministre parlait de 7 milliards concernant le coût de cet ouvrage. Pouvez-vous confirmer aujourd’hui le prix que vous annoncez, ainsi que la participation de l’Union européenne à hauteur de 40 % ?

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je souhaite, moi aussi, poser une question à Rémi Pauvros : quel acte marquerait l’impossibilité d’un retour en arrière par rapport à ce projet ?

M. Rémi Pauvros. Je vais d’abord répondre aux trois préoccupations majeures relayées par plusieurs intervenants.

Le plan de financement tout d’abord. Le chiffre de 4,7 milliards est celui que j’ai annoncé dans mon rapport de 2013. Le dossier déposé à la Commission européenne porte sur 5,5 milliards, pour deux raisons. Premièrement, nous avons prévu l’évolution possible du financement d’ici là ; deuxièmement, nous avons intégré dans le projet un certain nombre de dossiers annexes qui peuvent être financés dans ce cadre par la Commission européenne.

Le chiffre de 7 milliards doit être, de mémoire, celui annoncé en intégrant les dossiers déposés, notamment par la Belgique, qui a ajouté ses propres préoccupations : le problème du pont de Tournai, par exemple. Le maire de Tournai est monté au créneau à plusieurs reprises. Autant d’éléments qui sont venus s’ajouter au dossier. Les 4,5 milliards correspondent au coût de la réalisation du canal en 2013 ; les 5,5 milliards, à la réalisation du canal plus les travaux annexes prévus en 2023. Le dossier déposé à la Commission européenne intègre, forcément, les cofinancements, et en premier lieu l’engagement de l’État français et du Gouvernement qui s’engage, comme annoncé, à hauteur de 1 milliard sur les 4,5 milliards.

S’agissant des collectivités, j’ai, avec Mme le préfet de Picardie, réuni dernièrement l’ensemble des partenaires, après les élections modifiant les exécutifs dans certains des départements concernés. Dans toutes ces collectivités, les nouveaux exécutifs ont réaffirmé les engagements de leurs prédécesseurs. Je veux à ce propos souligner le quasi-consensus qui existe autour de ce projet : c’est un élément extrêmement fort tant pour son aboutissement que dans notre mode de fonctionnement. Vous le savez, je n’ai pas voulu rentrer dans quelque polémique que ce soit sur le passé ; j’ai pris le dossier à un moment donné et je fais tout pour qu’il soit effectivement soutenable. Mais il est important de souligner ce consensus, et il s’est encore manifesté lors du vote de l’amendement déposé par le Gouvernement pour créer une société de projet. C’est un élément qui permet de stabiliser les choses.

Ce milliard est donc confirmé ; pour l’Ile-de-France, il y a encore un petit point d’interrogation. J’ai eu de nombreuses réunions avec les élus franciliens : ils ont participé au comité des partenaires et ont confirmé oralement leur engagement. Je ne peux pas vous en dire davantage : quoi qu’il en soit, la convention de financement que nous proposerons pour la constitution de la société de projet devra d’une manière ou d’une autre être examinée par les collectivités. Il faudra forcément prendre la décision à un moment ou à un autre.

L’emprunt de 700 millions d’euros serait porté par la société de projet. Cela étant, ce sont mes propositions et il appartient au secrétaire d’État chargé du budget de clarifier certains points. Est-ce un emprunt porté par l’État ? Est-ce un emprunt porté par la société de projet ? Ou bien est-ce un financement direct de l’État ? La décision ne relève pas de nous.

S’agissant du financement de l’AFITF en revanche, nous sommes directement concernés. Le Gouvernement s’est engagé à alimenter l’agence pour assurer le financement du projet. Si nous prenons l’échelonnement prévisible du financement au regard du chantier, le besoin de financement sera de l’ordre de 150 millions d’euros maximum par an pour l’AFITF. Le Gouvernement prend la responsabilité, dans les projets budgétaires, au moins jusqu’en 2017, d’engager cette opération. Et cet engagement a été formalisé dans le cadre du dossier déposé à la Commission européenne.

Je rappelle à ma collègue Barbara Pompili, dont je salue l’enthousiasme, que pour le Grand Paris, par exemple, même s’il n’a pas encore été confirmé par une décision formelle, l’engagement de l’État est de l’ordre de 4 milliards d’euros. Pour le projet qui nous occupe, nous parlons d’un engagement à hauteur de 1 milliard. Lorsque nous parlons des LGV, les sommes sont souvent bien supérieures. Ce canal est un grand projet, nous ne le nions pas, mais en même temps, il est tout à fait comparable aux grands projets d’infrastructures que nous lançons régulièrement, et il faut le prendre comme tel.

Certes, le Lyon-Turin viendra en débat. Je confirme ce que j’ai entendu de la part de la Commission européenne au plus haut niveau, y compris de la part de la commissaire : du point de vue de l’Europe, il n’y a pas de concurrence entre les différents dossiers. Cinq grands projets ont été répertoriés comme étant prioritaires par rapport à l’interconnexion. Parmi ces cinq projets, il y a deux projets, l’un français, l’autre franco-italien : le canal Seine Nord et le Lyon-Turin. Ces deux projets ne relèvent pas de la même logique. Par rapport à l’engagement du Gouvernement, le dépôt du dossier à la Commission européenne sépare bien la problématique du canal Seine Nord d’autres choix stratégiques en la matière.

Le plan de financement me paraît tout à fait soutenable. À la différence de l’écotaxe, qui a été abandonnée, madame Pompili, ce que l’on peut regretter…

Mme Barbara Pompili. Amèrement !

M. le rapporteur. Je le regrette aussi.

…l’eurovignette ou la taxe proposée ne viendraient que donner des moyens supplémentaires à la société de projet pour accompagner la réalisation du projet. Il est indispensable, selon moi, que cette structure soit adossée à une fiscalité propre. On ne peut pas imaginer un chantier aussi important dans la durée, qui doit être maîtrisée, sans permettre à la société de projet d’avoir au moins une recette spécifique. C’est simplement de la sagesse que de la prévoir, mais ce n’est pas cette taxe qui va permettre effectivement de financer l’opération.

J’en viens à la société de projet elle-même.

Plusieurs d’entre vous ont appelé à une composition permettant d’accueillir des représentants de l’État et des collectivités territoriales au sein du conseil de surveillance. Les ordonnances, en cours de rédaction, permettront la création la structure dès la promulgation de la loi. On peut penser que, début 2016, après les élections régionales, la société de projet sera créée pour permettre le portage en 2017 de la maîtrise d’ouvrage, sachant qu’entre-temps, VNF continue le boulot : ils viennent de désigner l’assistance à la maîtrise d’ouvrage. Par conséquent, nous devrions garder le calendrier tel qu’il est proposé. Il n’y a pas de difficulté en la matière. D’autant que l’ensemble de la procédure a fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique (DUP). Donc, le débat public a déjà eu lieu. Il n’y a qu’une modification de la DUP sur les propositions que j’ai formulées lors du rapport de reconfiguration, qui porte sur la récupération de dix kilomètres du canal du Nord. La procédure est en cours, pilotée par Mme le préfet de Picardie. ; elle devrait logiquement aboutir dans le courant de l’année 2016, et donc, réunir par là même les conditions administratives et légales pour la réalisation et la maîtrise d’ouvrage de l’opération.

À cela, j’ajouterai la réunion des partenaires, qui devront, à travers la structure que j’ai proposée, être totalement liés à la proposition. Quant à la création d’un observatoire, ce n’est pas un gadget. J’ai vécu cette expérience à l’occasion de créations de routes dans le Nord. C’est indispensable. On ne peut pas imaginer aujourd’hui une maîtrise d’ouvrage pour un projet de cette ampleur sans pouvoir s’assurer en permanence auprès d’une instance autonome et compétente si les engagements pris en matière d’impact environnemental, notamment, sont respectés. C’est une proposition supplémentaire par rapport aux procédures existantes. Il est évident que cet observatoire aura à valider l’ensemble de la proposition.

J’en arrive à la question des ports, notamment ceux du Havre et de Rouen.

Je partage totalement votre point de vue. Contrairement à plusieurs d’entre vous ici, je n’ai aucune compétence dans le domaine de la problématique portuaire. Mais ce qui me frappe dans les études que j’ai menées, c’est l’absence de lisibilité dans le temps du développement de nos ports. C’est pourtant indispensable. Nous ne pouvons pas nous passer du Havre et de Rouen. Le directeur du port du Havre m’a dit que s’ils n’avaient pas plusieurs millions de conteneurs supplémentaires dans les années à venir, ils allaient disparaître. Ce genre de discours m’impressionne : je lui ai répondu qu’on ne pouvait pas aborder le sujet de cette façon sans poser le problème sur le plan politique. Autrement dit, quelle est notre responsabilité concernant l’avenir de ce port ? Ces conteneurs passent-ils uniquement par le ferroviaire ? Voilà la question qu’il faut se poser.

S’agissant du fluvial, la distance entre Le Havre et Gennevilliers est de 320 kilomètres. La durée estimée de navigation est de vingt-huit heures pour, aujourd’hui, des barges de 180 mètres, c’est-à-dire sept mètres de tirant d’air maximum. Dunkerque, c’est 400 kilomètres, soit quarante heures de navigation. C’est, demain, la possibilité de barges de 135 mètres. Anvers est à 500 kilomètres de Gennevilliers et quarante-huit heures de navigation pour des barges de 180 mètres lorsque le grand gabarit sera réalisé. Vous voyez la différence. Et en plus, il faut ajouter une journée, celle que peuvent prendre l’ensemble des bateaux en provenance d’Asie notamment, s’ils déchargent au Havre plutôt qu’à Anvers.

Cela veut dire que, par rapport à Paris, un conteneur peut arriver quarante-huit heures avant à Gennevilliers, extraordinaire plateforme au nord de Paris, appelée à se développer de plus en plus : j’ai vu aujourd’hui la barge créée par HAROPA pour un essai de transport hebdomadaire entre Le Havre et le nord de Paris. On veut vérifier si ce marché peut se développer, car c’est cela qui est fondamental : aborder le nord de Paris. HAROPA est en train de développer une stratégie qui me paraît très intéressante. Pourquoi avoir une position défensive par rapport à cette situation ? Je partage tout à fait votre point de vue, mais je pose la question : quelle stratégie faut-il mettre en place pour permettre le développement du Havre et de Rouen ?

Rouen a un marché considérable à redévelopper sur le plan du céréalier. Pas moins de 65 millions de tonnes de céréales produites en France passent par Rouen, dont 90 % par camion. Or j’ai fait la démonstration dans mon introduction qu’on pouvait gagner 4 euros par tonne en passant par le grand gabarit du nord de Paris vers Rouen. Mettez-vous à la place d’un gros céréalier. S’il a cette possibilité, il n’utilisera plus que la barge, car 4 millions d’économies, cela le rendra encore plus compétitif sur le plan international.

Ce ne sont que les raisonnements que j’ai entendus ; je n’ai aucune prétention en ce qui concerne ma capacité à porter l’avenir du port du Havre. Je dis simplement qu’il ne faut pas se fermer à l’analyse de ces données.

Je vous propose d’abord d’organiser une table ronde. J’ai sollicité Peter Balazs, qui est le coordonnateur de l’interconnexion pour le grand corridor Nord, « de l’Ecosse à Marseille », comme il aime à le dire. Peter Balazs, ancien ministre des affaires étrangères hongroises et ex-commissaire européen, est prêt à venir, à votre invitation, pour rencontrer les acteurs et porter la parole de l’Europe, évoquer l’avenir du port et intégrer dans les financements possibles les aménagements du port de Rouen. HAROPA m’a sollicité pour défendre des projets de financement auprès de la Commission européenne, ce que j’ai fait. Il est possible d’obtenir un financement à hauteur de 30 % pour l’ensemble des aménagements. La connexion du fluvial et du maritime au Havre peut être financée par la Commission européenne. Ce sont autant d’éléments que Peter Balazs pourra aborder sereinement avec vous.

Je pense, et j’en ferai part au ministre, qu’il conviendrait d’avoir un grand débat sur l’avenir des ports du Havre et de Rouen. Le canal Seine Nord ne doit pas servir de cache-sexe en la matière : ce n’est pas lui qui doit amener à avoir un débat national qui nous concerne tous. Je vous propose, au contraire, de saisir cette opportunité pour parler des investissements nécessaires et possibles sur Le Havre et Rouen afin de tirer ces ports par le haut et arrêter une démarche prospective en la matière. HAROPA a fait sur ce plan un travail remarquable ; je suis, pour ma part, prêt à toute rencontre qui permettra d’aller dans ce sens.

Enfin, comme Barbara Pompili, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt le papier de Jacques Attali, qui est un grand penseur. Mais sa tribune m’a sidéré par ses contre-vérités, ses affirmations péremptoires et ses jugements – je pense notamment à la métaphore des clous que l’on poserait sur le cercueil du Havre. Tout cela me paraît quelque peu excessif ! Ce que je reproche en particulier à Jacques Attali, c’est d’écrire que la décision de création du Canal Seine Nord se fait en catimini. Je comprends qu’il n’ait pas le temps de tout lire, mais sincèrement, depuis le temps qu’on parle de ce canal, il devrait avoir eu le temps de se renseigner ! Sa position me surprend d’autant plus qu’il s’agit d’un grand projet de développement et de relance de la croissance au niveau européen : je le croyais pourtant très sensible à la nécessité d’une relance économique au plan européen. Comprenez mon envie de lui « tailler un short » car son papier n’est pas digne de la hauteur de vue qui le caractérise habituellement !

S’agissant de Rouen et du Havre, je vous invite à avoir ce débat essentiel. Je vous proposerai une date dès que M. Balazs me fera le plaisir de me contacter. Je pense que cela ne tardera pas parce qu’il souhaiterait vous rencontrer avant la réunion de Riga, qui aura lieu les 20 et 21 juin prochains.

Pour répondre à Jean-Jacques Cottel sur l’impact sur les emplois et les PME-PMI, la démarche « grand chantier » répond en grande partie à la problématique. Cette démarche, que nous avons utilisée pour le tunnel sous la Manche, consiste à préparer en amont nos entreprises aux appels d’offres. La préfète de la Picardie est en train de la mettre en œuvre. Cette procédure est nécessaire, car il faudra trouver des accords entre les différentes entreprises pour répondre à l’importance des appels d’offres, y compris avec les majors. Cela se prépare donc en amont. Ensuite, la concurrence jouera évidemment, dans le respect du droit européen.

À quand l’eurovignette ? C’est la société de projet qui devra lancer la démarche. Il est nécessaire d’avoir une discussion, que j’ai déjà engagée avec les transporteurs routiers. Il faut aussi dédramatiser cette question. J’ai donné des chiffres : l’eurovignette ne représente que quelques centimes par camion, mais cela peut rapporter gros.

En ce qui concerne les terres agricoles, j’ai demandé un certain nombre de préconisations pour améliorer la concertation. J’ai rencontré notamment les chambres d’agriculture du Pas-de-Calais pour qu’elles soient associées en amont aux problèmes non seulement de récupération, mais aussi de reconstitution des terres, y compris par les dépôts. C’est une procédure tout à fait faisable et nous sommes aujourd’hui en liaison constante.

Vous m’avez demandé ce que je savais de l’engagement européen. Le dossier est en cours d’instruction. L’Europe a des procédures extrêmement strictes, avec une expertise externe, puis interne, avant de prendre une décision. Je puis vous dire, sans trahir de secret, que le dossier est considéré comme étant correct au plan technique. Nous en saurons plus cet été, mais je n’ai pas de raison de douter du résultat.

S’agissant de Pôle emploi, monsieur Sermier, le problème, c’est aussi la procédure « grand chantier ». Vous l’avez dit, le processus avait été abandonné, mais il est repris sous l’autorité de la préfète, qui est la coordinatrice du projet au nom de l’État. Nous associons Pôle emploi au comité des partenaires, qui a remis en œuvre la procédure que vous connaissez pour préparer notre public à la création de ces emplois.

S’agissant de l’avenir du fret ferroviaire et du canal Rhin-Rhône, je vais vous faire part de mon sentiment : on a depuis longtemps abandonné le fluvial en France. Qui est ce « on » ? Nous tous. Nous avons fait du tout-camion et du tout-TGV, mais nous n’avons pas donné la dimension qu’il fallait au fluvial. Je vous rappelle qu’aujourd’hui, en France, on utilise le fluvial pour à peu près 6 % de notre fret, contre 20 % en Belgique et de 20 à 40 % aux Pays-Bas. Aujourd’hui, nous ne sommes pas compétitifs en matière de transport fluvial. Nous avons hérité des décisions stratégiques prises dans le passé, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Peut-être rouvrira-t-on un jour des dossiers abandonnés… Je suis persuadé en tout cas que le fluvial a un véritable avenir, compte tenu de son impact écologique.

La vraie question posée par l’intervention de Barbara Pompili, c’est la conception que l’on peut avoir du développement durable. Je suis un social-démocrate et je l’assume. C’est un social-démocrate a inventé le concept même du développement durable, ce que les Anglais appellent le « développement soutenable ». Qu’est-ce que le développement durable ? Cela consiste à dire que le progrès doit être au service des hommes, non de l’argent. Voilà la grande idée, qui a pris une dimension nouvelle avec l’impact de Tchernobyl. Le développement durable, ce n’est pas ne plus rien faire ; c’est faire en sorte que ce que l’on fait serve effectivement l’avenir. Créer un outil comme le canal Seine Nord, qui permettra le transfert modal et de mieux maîtriser l’impact sur l’environnement, c’est un cadeau que nous faisons aux nouvelles générations. Ce sont elles qui l’utiliseront, beaucoup plus que nous. C’est la conception du développement durable que je défends. Sur ce plan, je suis en désaccord avec Barbara Pompili, et c’est un désaccord de fond, car sinon, je le répète, on ne fait plus rien. Un projet, c’est vrai, pose des problèmes, c’est compliqué, il faut y passer du temps, trouver des solutions – et j’ai pu intégrer plusieurs de ses remarques qu’elle avait présentées à juste raison –, mais on ne peut pas tout arrêter. Sa conclusion était : c’est le canal Seine Nord qui est en cause. Non. La question est : comment fait-on pour que le canal Seine Nord soit le plus respectueux de l’environnement ?

S’agissant des ports, j’insiste sur une dimension nécessaire. Quand le canal fonctionnera en 2023, Edouard Philippe se demandait ce que deviendrait Le Havre. Je lui retourne sa question : que fait-on pour qu’en 2023, Le Havre et les autres ports tirent parti au maximum du canal Seine Nord ?

Je ne crois pas à l’effet négatif « Anvers et Rotterdam », parce que ces ports ont deux problèmes. D’abord, ils sont chers ; ensuite, ils n’ont plus de foncier. Nous avons une grande chance, c’est que nous pouvons maîtriser les péages et, dans les préconisations que je formule, il y a des propositions concrètes sur le péage pour qu’il soit au même niveau qu’eux. Car en Belgique, il n’y a pas de péage ; ce sont les gouvernements wallon ou flamand qui le prennent en charge.

Qui plus est, nous avons du foncier, y compris dans nos ports, donc de grandes perspectives de développement – un peu moins à Rouen qu’au Havre, mais c’est encore possible, ainsi qu’à Dunkerque. Les plateformes de Marquion, Noyon, Nesles, et probablement de Compiègne et Péronne seront d’initiative locale. Ce sont les collectivités qui prendront en charge l’avenir de ces plateformes et qui fixeront ou pas des taxes sur le foncier, en fonction de ce qu’elles souhaitent. Car ce sont les intercommunalités et la région qui auront la main. Je peux vous dire qu’aujourd’hui, des Belges s’intéressent beaucoup au foncier sur le bord du canal. C’est à nous de bouger.

Cette semaine, nous avons réuni à Marquion l’ensemble des partenaires pour annoncer que nous allons aménager le site.

S’agissant du traitement des boues, j’ai peu de choses à dire, si ce n’est que les procédures sont appliquées pour la récupération des dépôts et le traitement des boues s’il y a pollution.

Le financement des pays voisins me paraît un peu difficile. Frédéric Cuvillier tenait à ce que les Flamands et les Wallons participent au financement. Je les ai rencontrés, mais ils ont un argument : l’Europe va financer le projet à hauteur de 40 %. Ils considèrent que l’Europe, c’est aussi eux. Doivent-ils payer en plus ? La question est difficile et je crois que nous n’arriverons à rien. Inutile, donc, de partir sur une proposition qui ne verra pas le jour.

Jean-Louis Bricout a posé le problème de la réouverture du canal de la Sambre à l’Oise. Je vous propose, cher collègue, de lire attentivement le contrat de plan État région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, désormais finalisé et qui doit être signé prochainement. Il prévoit le financement, à hauteur de 6 millions d’euros, de l’aménagement de la Sambre à l’Oise, ce qui permettra la remise en circulation des bateaux sur la Sambre à l’Oise. C’est un combat que nous avons mené ensemble. Cela permet aujourd’hui d’assurer le cofinancement État région à 50/50, les intercommunalités s’engageant progressivement sur le fonctionnement. Vous pouvez être satisfait d’avoir contribué à la réouverture de cet outil intéressant sur le plan économique, mais aussi sur le plan touristique, car il permettra d’accueillir notamment beaucoup plus de Hollandais.

Enfin, vous m’avez demandé, monsieur le président Chanteguet, si l’on pouvait imaginer que le projet s’arrête. Toutes les conditions sont, à mon avis, réunies pour que le dossier avance. Je répète ce que le ministre Vidalies a dit lors de la conférence de presse pour la présentation de mon rapport : sitôt que la Commission européenne fera connaître sa décision, le processus sera irréversible. Dès lors que l’on vous donne 40 %, vous ne pouvez arguer de quelque raison que ce soit pour ne rien faire. Le mois de juillet sera décisif pour l’avenir du projet.

Pour conclure, j’ai beaucoup travaillé sur ce dossier, avec un grand plaisir. Dans un premier temps, je me devais de respecter un engagement, puisque Frédéric Cuvillier me l’avait demandé et que ma région était concernée. Mais plus je travaille sur ce dossier, plus je pense que c’est le dossier qui peut nous faire avancer dans ce début de XXIe siècle vers une autre conception du transport dans notre pays, notamment dans le domaine du fret. Nous avons tout intérêt à réaliser ce projet. C’est en tout cas mon souhait le plus cher.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. J’en conclus que l’acte qui marquera l’impossibilité d’un retour en arrière, c’est la décision de la Commission européenne sur le financement à hauteur de 40 % : autrement dit, mi-juillet ou fin juillet, nous saurons si ce projet verra le jour.

Je voudrais remercier Rémi Pauvros qui nous a fait l’amitié d’animer deux auditions puisqu’il a commis deux rapports sur cet important projet.

Je voudrais lui dire, comme je le dis à d’autres parlementaires chargés de conduire des réflexions, des missions ou des concertations, que leur travail fait honneur au Parlement qui ainsi trouve mieux sa place au sein des équilibres institutionnels. Nous disons souvent, les uns et les autres, que le Parlement a peu de poids, peu de pouvoir. C’est également au travers de ces rapports que le Parlement et singulièrement l’Assemblée nationale peuvent trouver toute leur place.

Je tiens enfin à ce qu’il sache que j’apporte mon soutien à la réalisation de ce canal Seine Nord Europe. C’est un beau projet, une infrastructure structurante pour l’ensemble du territoire national. Je regrette avec vous et avec lui que, malheureusement, nous ne soyons pas capables de conduire une réflexion globale, nationale, sur les infrastructures de transport et sur la nécessité de mettre en œuvre un schéma national de la logistique. Nous avons vu, au travers des questions et des réponses entendues ce matin, que cela nous manque beaucoup. J’espère que, dans les mois qui viennent, nous pourrons progresser en la matière.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 3 juin 2015 à 9 h 30

Présents. - M. Yves Albarello, M. Alexis Bachelay, M. Serge Bardy, Mme Catherine Beaubatie, Mme Chantal Berthelot, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. David Douillet, M. Yannick Favennec, M. Jean-Marc Fournel, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, Mme Valérie Lacroute, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Gérard Menuel, M. Robert Olive, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Barbara Romagnan, M. Gilles Savary, M. Jean-Marie Sermier, M. Thierry Solère, Mme Suzanne Tallard, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, M. Jacques Alain Bénisti, M. Patrice Carvalho, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, Mme Geneviève Gaillard, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Pierre Blazy, M. Dino Cinieri, M. Franck Gilard, M. Philippe Noguès, M. Edouard Philippe, Mme Barbara Pompili, Mme Catherine Troallic