Accueil > Travaux en commission > Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Mardi 9 juin 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 53

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Audition de MM. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels (Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie), Éric Rebeyrotte et Gérard Lehoux, chargés de mission au Conseil général de l’Environnement et du Développement durable sur leur rapport relatif à l’état des infrastructures et des modes d’exploitation ferroviaires dans les triages par lesquels transitent des marchandises dangereuses

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu MM. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels (ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie), Éric Rebeyrotte et Gérard Lehoux, chargés de mission au Conseil général de l’Environnement et du Développement durable sur leur rapport relatif à l’état des infrastructures et des modes d’exploitation ferroviaires dans les triages par lesquels transitent des marchandises dangereuses.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous entendons aujourd’hui MM. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, Éric Rebeyrotte et Gérard Lehoux, chargés de mission au Conseil général de l’environnement et du développement durable, tous trois auteurs d’un rapport relatif à l’état des infrastructures et des modes d’exploitation ferroviaires dans les triages par lesquels transitent des marchandises dangereuses.

Ce rapport a été remis en mars dernier au secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Compte tenu de l’intérêt de la commission pour le fret ferroviaire en général et pour le transport de produits dangereux en particulier, j’ai considéré que cette audition pouvait être utile à notre information.

Messieurs, vous pourriez nous présenter le constat que vous faites de la situation et les propositions que vous avez soumises au secrétaire d’État.

M. Éric Rebeyrotte, chargé de mission au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Suite à une série d’incidents à la fin de l’année 2013 et au début de l’année 2014, le ministre Frédéric Cuvillier avait demandé au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) de réaliser un état des lieux des infrastructures et des modes d’exploitation ferroviaires dans les triages par lesquels transitent des marchandises dangereuses (MD), ainsi qu’une revue de l’évolution des incidents, une évaluation du niveau de risques opérationnels et des propositions pour le maîtriser, c’est-à-dire pour faire baisser le nombre d’incidents à la fois en nombre et en gravité.

Un rapport de première étape a été remis le 12 mai 2014 ; le rapport final a été transmis le 24 octobre 2014 au secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, M. Alain Vidalies.

Si l’on compare le transport ferroviaire de marchandises dangereuses aux autres modes de transport, nous constatons qu’en 2010, le transport de MD représentait 31,5 milliards de tonnes-kilomètres, soit 9 % du trafic fret tous modes confondus. La proportion de MD pour le ferroviaire était de 15,7 %, soit 4,7 milliards de tonnes-kilomètres pour un total de 30 milliards de tonnes-kilomètres. Pour la route, elle est de 2,6 %, soit 7,8 milliards de tonnes-kilomètres pour un total de 300 milliards de tonnes-kilomètres sur ce mode. Le volume total de fret transporté par route étant dix fois plus important que le volume transporté par la voie ferroviaire, le volume de MD transporté par la route est donc plus important que celui transporté par les chemins de fer, même si cela représente une moindre proportion du volume transporté par ce mode.

Or, le transport ferroviaire des marchandises dangereuses a besoin des triages. Le secteur de la chimie nécessite un acheminement ferroviaire par petits lots, pour limiter les stockages de MD. Le fret SNCF est le seul acteur effectuant du triage à l’unité ou par petits groupes de wagons ; depuis fin 2010, il a construit son offre multi-lots/multi-clients (MLMC), basée sur quatre triages principaux équipés de triages gravitaires automatisés : Le Bourget, Woippy (Metz), Sibelin (Lyon) et Miramas (Marseille). Les autres sites ont des volumes de tri bien moindres ; ils sont soit non automatisés (Dunkerque), soit sans utilisation de la gravité (Hourcade, Somain). Les autres entreprises ferroviaires se contentent de tri à plat, par groupes entiers de wagons.

Le secteur est soumis à un cadre très réglementé aux niveaux mondial, européen et national. Les gares de triage sont soumises à trois groupes de réglementation, concernant : la sécurité ferroviaire, notamment pour les voies de service dont font partie les triages ; le transport ferroviaire de marchandises dangereuses : le règlement concernant le transport international ferroviaire de marchandises dangereuses (RID), concernant les convois, les wagons, les contenants utilisés pour transporter des MD, par exemple l’épaisseur d’acier des citernes, leur résistance au choc et le facteur d’amortissement des chocs entre wagons, ainsi que les spécifications techniques d’interopérabilité (STI) ; la prévention des risques technologiques et la gestion des événements de sécurité, définie par la loi du 30 juillet 2003, relativement à l’information du public sur les risques (études de dangers...), l’impact sur l’urbanisme, tel que le droit à construire ou encore la gestion des événements, mais non les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), communément appelés « sites Seveso ». Les gares de triage ne font en effet pas partie des ICPE.

Si l’on devait dessiner schématiquement les centres importants de triage, une première série de voies, dite faisceau de réception, y mènerait à une bosse ou barre de débranchement. Les wagons y sont poussés à la vitesse de 10 kilomètre-heure, une fois leurs freins purgés. Ils se meuvent ainsi jusqu’au faisceau de réception où ils sont emportés grâce à leur élan. Ils sont ensuite distribués sur l’une des 42 à 43 voies qui font suite à la barre de débranchement. Les wagons n’y descendent pas à 25 kilomètre-heure, car des freins sur les voies sont utilisés au pied de la bosse, commandés de manière automatique ou manuellement, de sorte que les wagons accostent au fond des voies à une vitesse très modérée.

Les derniers mètres, là où les wagons qui arrivent viennent au contact des autres pour former le futur train, sont des zones moins sensibles du point de vue de la sécurité. Aussi avons-nous concentré notre attention sur le faisceau de départ. Nos investigations ont porté sur les deux premières parties du triage, là où la vitesse peut excéder 25 kilomètre-heure. Cette zone est gérée de manière automatique, mais une reprise manuelle est toujours possible, y compris pour les locomotives électriques. L’accostage constitue la deuxième partie.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Pardonnez-moi de vous interrompre à ce stade, mais comment les wagons sont-ils triés ? Contiennent-ils tous les mêmes matières dangereuses ? Pourquoi trier au fond ?

M. Éric Rebeyrotte. Les wagons font en général l’aller à plein et le retour à vide. Ils sont triés parce que les endroits où les marchandises dangereuses sont produites ou consommées se répartissent sur tout le territoire. Le triage permet de constituer des trains complets de préférence à des convois de seulement deux ou trois wagons, associant par exemple des wagons à destination sidérurgique avec des wagons chargés de marchandises dangereuses. Dans un train de marchandises, environ 15 % des wagons en moyenne sont chargés de telles marchandises.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Les convois sont donc des convois mixtes ?

Mme Laurence Abeille. Les wagons sont donc triés par destination ?

M. Éric Rebeyrotte. Je réponds à vos deux questions par un oui. Prenons l’exemple de wagons en provenance du Havre qui arrivent au Bourget. Certains devront être orientés vers l’Est, d’autres vers l’Ouest. Chaque wagon sera donc aiguillé dans la direction qui convient.

M. Gérard Menuel. Un wagon chargé de matière nucléaire, en provenance de la Hague et devant aller au cap d’Agde, passera donc par le centre de triage ?

M. Éric Rebeyrotte. Oui, mais ces wagons sont très longs et ne sont donc pas tirés à la bosse. Quand ils passent par la gare de triage, ils empruntent précisément une voie parallèle, l’évite-bosses.

M. Michel Heinrich. Y a-t-il une limite maximale à la proportion de wagons chargés de matières dangereuses dans un convoi ?

M. Éric Rebeyrotte. Le règlement concernant le transport international ferroviaire de marchandises dangereuses (RID) se borne à édicter des incompatibilités, comme la présence côte à côte de wagons chargés d’explosifs et de wagons chargés de carburant. Mais il ne fixe pas de limite quantitative. Je voudrais seulement attirer votre attention sur le fait que les trains complets d’hydrocarbures ne font, par définition, pas l’objet d’un triage. Car le triage ne concerne que des petites unités de deux à trois wagons. Sur un train issu du triage, il n’y a donc pas seulement des marchandises dangereuses.

M. Laurent Furst. Comment définissez-vous les matières dangereuses ? Par ailleurs, je crois que deux risques de nature différente existent. Vous évoquez les accidents, mais vous ne parlez pas de la malveillance possible.

M. Éric Rebeyrotte. Le RID définit des codes selon les marchandises dangereuses, comme 1203 pour l’essence. À chacun de ces codes correspondent des exigences en matière de citernes, de transport et de mode de triage. Ils renseignent également les pompiers, qui les connaissent bien. Si un problème survient, ils savent ainsi quelle est la marchandise transportée et quelles sont ses caractéristiques.

Quant à la nature des risques, il est vrai que notre mission était davantage orientée sur les incidents, dont une série avait alerté le ministre chargé des transports. Mais l’aspect de la sûreté ne nous a néanmoins pas échappé. Nous avons fixé notre attention sur les clôtures et les dispositifs de protection, qui seront renforcés. Il n’en demeure pas moins que l’effet d’un attentat à la bombe est plus important dans une gare de transport de personnes, où un criminel peut en outre espérer être noyé dans la foule.

Au passage du wagon, l’ordinateur du centre de triage calcule la force de freinage nécessaire pour que le wagon sorte de la bosse à la vitesse requise.

Quant à la localisation des accidents ou incidents ferroviaires dans le monde, les plus significatifs, tels qu’à Viareggio (Italie) en 2009 ou au lac Megantic (Canada) en 2013, ont lieu essentiellement sur voie principale. Un seul accident grave est connu en triage gravitaire, à Kijfhoek (Pays-Bas) en 2011, à 24 kilomètre-heure, avec épanchement majeur d’éthanol, du fait d’un mode de défaillance contraire à la sécurité, mais sans victime.

À Kijfhoek, aux Pays-Bas, la collision était due à une reprogrammation tardive de l’ordinateur commandant l’automate traitant à la bosse les wagons à trier. En France, si un doute survient, le frein est actionné de manière plus puissante. Mieux vaut en effet bloquer un wagon tout de suite que l’envoyer à toute vitesse au fond de la gare de triage comme aux Pays-Bas, où la collision fut suivie d’un incendie. Par contrecoup, les accidents sont plus nombreux en France au pied de la butte quand le freinage y est trop fort. Mais c’est l’endroit où les wagons sont le plus visibles, sans qu’une contagion à d’autres wagons soit possible. L’une de nos préconisations vise justement à conserver cette zone de vigilance au pied de la butte, car nous voulons éliminer le risque résiduel au fond.

Avant que nous commencions nos travaux, cinq incidents avaient eu lieu en deux mois. C’était beaucoup. Pendant nos investigations, qui ont duré cinq mois, huit incidents étaient à déplorer, ce qui était un niveau plus raisonnable. Depuis lors, le rythme des incidents a encore ralenti. Si l’on observe l’évolution depuis des incidents depuis 2009, les années 2009-2012 forment une période chahutée. Puis une baisse des incidents s’observe. Une légère remontée fin 2013 n’a cependant pas fait naître de tendance à l’aggravation. Sur les quatre triages principaux, depuis 2010, le nombre annuel d’incidents classés type 2, c’est-à-dire avec appel aux services de secours, est globalement stable pour cause ferroviaire ; il est en baisse pour les causes liées aux industriels, à savoir petites fuites et odeurs non dues à un choc. Rappelons que le principe de précaution nous impose d’appeler les services de secours même dans ces cas.

Nous avons formulé non moins de dix-sept recommandations, mais nous avons constaté que l’état global des infrastructures de triage est très correct au niveau de la bosse et de sa descente, zones qui concentrent les risques de collision forte. Les autres zones sont souvent en moins bon état, mais avec des vitesses pratiquées faibles, donc sans réel danger compte tenu de la résistance des wagons et des citernes. La maintenance semble correctement assurée, mais un contrôle des rails par ultrasons serait souhaitable ; actuellement, ce contrôle n’est pas prévu pour les voies de service.

Un programme de renouvellement des principaux constituants est en cours depuis 2012 ; il devra être poursuivi et intégrer le remplacement des postes gérant les aiguillages et les freins, postes bien conçus, mais vieillissants et d’une ergonomie perfectible. Quant à la qualité d’exploitation des triages, les procédures d’exploitation sont adaptées et respectées : la mission a constaté que les dérives ponctuelles sont identifiées et des remèdes y sont apportés. Il semble y avoir un excès de compartimentation, mais la réforme ferroviaire devrait améliorer les choses. C’est pourquoi la mission recommande de renforcer les échanges d’information entre professionnels aux différents niveaux et sur les sites comme entre sites.

S’agissant des pistes pour réduire le nombre d’incidents, nous poursuivons les actions de sensibilisation menées par les transporteurs auprès des industriels, notamment pour mieux vidanger les conduits lors du chargement ou du déchargement des wagons. Afin de réduire le risque d’une collision en bout de faisceau de tri, nous recommandons de tester la double cale vue à Bettembourg (Luxembourg), pour un meilleur freinage en bout du faisceau de formation, car le locotracteur pousse parfois trop fort, faisant sortir l’essieu de son rail. À cette faible vitesse, cela reste sans conséquence, mais, quand des manœuvres concomitantes ont lieu pendant le compactage des rames, des heurts peuvent se produire sur le côté à l’aiguillage. Aussi recommandons-nous aussi d’interdire ces manœuvres concomitantes.

S’agissant des pistes pour réduire le nombre d’accidents de cause ferroviaire, le risque majeur provient d’un wagon mauvais rouleur, qui s’arrête ou est rattrapé par le wagon suivant le heurtant en bas de bosse, à 25 ou 30 kilomètre-heure ; les citernes de chlore sont prévues pour résister à de tels chocs, mais non toutes les citernes. Pour réduire le risque, il faut donc assurer un roulage suffisant des wagons, en respectant les exigences européennes de conception et de maintenance, mais aussi de qualité de la purge sur site. Pour réduire les conséquences d’un accident, il faut mettre en place une alerte qui détecte en haut de bosse les wagons mauvais rouleurs et prévient le freineur, pour qu’il puisse dévier le wagon suivant. Il convient enfin d’assurer un retour d’expérience approfondi sur les chocs à plus de dix kilomètre-heure.

Il y aurait sans conteste à élaborer dès à présent le cahier des charges fonctionnel du futur poste gérant les aiguillages et les freins, car la technologie actuelle date des années 1990.

Concernant la protection du voisinage, les études de dangers ont été conduites sur les quatre sites prévus par l’arrêté du 15 juin 2012 : Sibelin, Woippy, Miramas, Le Bourget-Drancy, ainsi que sur Hourcade. Les préfets ont pris acte des études et prescrit des mesures aux acteurs concernés par le triage ferroviaire, entraînant des restrictions relatives à l’urbanisme, tant pour les établissements recevant du public (ERP) que pour les logements, mais ces restrictions sont mal vécues par les riverains. Une circulaire, s’appuyant entre autres sur les résultats de la mission, devrait toutefois permettre de réduire les périmètres de risques en les centrant au pied de la bosse, moyennant des mesures d’exploitation complémentaires en bout de faisceau.

Pour ce qui est de l’information du voisinage, des commissions d’information se tiennent à l’initiative des préfets. Voici par exemple un communiqué de presse du préfet de la Seine-Saint-Denis lors de la prise en écharpe du 21 novembre 2014 au triage du Bourget : « vendredi 21 novembre 2014, à 15h15, un incident de traction est survenu entre deux locotracteurs sur le site de la gare de triage du Bourget-Blanc-Mesnil. L’accrochage s’est produit à petite vitesse entre les deux machines suite à une erreur d’aiguillage, provoquant l’inclinaison de l’une d’elles. Les wagons hydrocarbures qu’elles tractaient, étaient vides et n’ont subi aucun dommage ni sortie de rails. Ils ont été débranchés pour permettre la remise en service des locotracteurs. Cet incident de traction ne présente aucun caractère de danger pour les riverains. » La mission recommande aux gestionnaires des triages de renforcer leur communication auprès des élus et du public, tant de façon préventive que lors d’un événement.

La gestion des incidents mérite d’être revue. En effet, la gestion réglementée des événements de sécurité dans les triages est parfois hors de proportion et très néfaste. Tout déraillement même à petite vitesse, jugé par les opérationnels non critique, est classé en type 2 selon l’arrêté interministériel du 12 août 2008, dès qu’un wagon de MD est impliqué. Des minifuites peuvent aussi être classées type 2. Les pompiers envoient alors les moyens maximaux sur une alerte de type 2 en vertu du plan particulier d’intervention (PPI) et de leurs consignes, alors même qu’une simple levée de doute sans urgence suffit la plupart du temps. Ce constat est partagé au sein de RFF et de la SNCF, ainsi que par les autorités administratives.

Cette réglementation très stricte n’accroît pas forcément la sécurité. À force de crier au loup, les pompiers n’interviendront plus avec toute la rapidité et les moyens nécessaires lorsqu’un incident sera vraiment grave. Un groupe de travail a donc vu le jour pour faire évoluer l’arrêté de 2008. Il permettrait de faire évoluer la typologie des alertes de type 1 et 2 de l’arrêté du 12 août 2008, en supprimant le caractère systématique de l’appel aux services de secours pour tout déraillement de wagon de MD.

Il faut renforcer et formaliser la coopération entre exploitants et industriels chimistes pour améliorer la levée de doute avant de saisir les pompiers, mais aussi entre exploitants et pompiers pour une approche complémentaire et coordonnée des actions, dès la rédaction des plans d’urgence interne (PUI) et plans particulier d’intervention (PPI). La SNCF et les pompiers doivent être en confiance réciproque, comme le sont les industriels exploitant des sites Seveso.

La clef du problème réside donc dans une meilleure communication, une prévention des incidents et un entretien des installations. La SNCF a été chargée d’établir un plan d’action, dont elle rend compte au ministère.

M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Je vous présenterai quant à moi l’état d’avancement de la révision en cours du processus d’études de dangers des gares de triage. La mission du CGEDD intervient au terme d’une série d’études de dangers concernant les principales infrastructures où passent des marchandises dangereuses, telles que les ports, les plateformes intermodales ou les gares de triage. Le Gouvernement prépare une initiative sur cette question.

Rappelons d’abord le contexte réglementaire actuel. Adoptée à la suite de la catastrophe de l’usine AZF en septembre 2001, la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003, dite loi « risques », prévoit, à l’article L. 551-2 du code de l’environnement, que, « lorsque du fait du stationnement, chargement ou déchargement de véhicules ou engins de transport contenant des matières dangereuses, l’exploitation d’un ouvrage d’infrastructure routière, ferroviaire, portuaire ou de navigation intérieure ou d’une installation multimodale peut présenter de graves dangers pour la sécurité des populations, la salubrité et la santé publiques, directement ou par pollution du milieu, le maître d’ouvrage fournit à l’autorité compétente une étude de dangers. Cette étude est mise à jour tous les cinq ans ».

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, dite loi Grenelle 2, prévoit quant à elle, à l’article L. 551-3 du code de l’environnement, que « le représentant de l’État dans le département peut, par arrêté, fixer les prescriptions d’aménagement et d’exploitation des ouvrages d’infrastructure jugées indispensables pour préserver la sécurité des populations, la salubrité et la santé publiques directement ou indirectement par pollution du milieu ». Le code de l’urbanisme dispose enfin, à l’art. L. 121-2, que « le préfet leur transmet [communes et groupements compétents] à titre d’information l’ensemble des études techniques nécessaires à l’exercice de leur compétence en matière d’urbanisme dont il dispose ». Tel est le socle législatif.

Les infrastructures soumises à étude de dangers en vertu du décret n° 2007-700 du 3 mai 2007 et de l’arrêté du 15 juin 2012, sont les aires de stationnement de grande capacité ; les ports intérieurs et ports maritimes à fort trafic ; les gares de triage ou faisceaux de relais dans lesquels sont présents simultanément un nombre moyen de wagons de matières dangereuses supérieur à 50, soit Drancy, Woippy, Sibelin, Miramas ; les plate-formes multimodales répondant à ces critères.

L’arrêté du 18 décembre 2009 et la circulaire du 4 mars 2010 précisent le contenu des études de dangers, les phénomènes dangereux et les seuils d’effet à prendre en compte, notamment les probabilités forfaitaires des phénomènes dangereux. Je précise que ces probabilités forfaitaires majorées sont appliquées d’office en l’absence de données pour évaluer le danger. Quant à la circulaire du 19 novembre 2012, elle précise les modalités d’instruction des études de dangers, la mise en place de mesures de maîtrise des risques, via une matrice de priorisation, ainsi que le contenu du porter-à-connaissance à réaliser par le préfet.

Prenons deux exemples concrets, celui de la gare de triage de Drancy-Le Bourget et celui de Woippy. S’agissant du chlore, l’opérateur ferroviaire doit attendre que le wagon qui en est chargé soit en position définitive avant d’envoyer le wagon suivant. À la suite d’une étude de dangers du 26 avril 2010, puis de compléments remis par RFF en avril puis août 2011, trois grandes zones de risques létaux aux effets rapides ont été identifiées : de 0 à 250 mètres : risques létaux dus aux effets thermiques et de surpression ; de 250 à 620 mètres : risques létaux dus aux effets toxiques, hors chlore ; de 620 à 2 600 mètres : risques létaux dus aux effets toxiques du chlore.

Un porter à connaissance du préfet, en date du 22 avril 2013, préconise des restrictions fortes de l’urbanisation jusqu’à 620 mètres. Un arrêté préfectoral du 6 mars 2013 prescrit notamment la procédure « marchandise fragile » pour le chlore proposée par la SNCF. Cet arrêté a été annulé par le tribunal administratif de Montreuil, le 11 décembre 2014, au motif que certains points n’avaient pas été examinés de manière suffisamment approfondie dans l’étude de dangers. Le problème qui se pose à Drancy-Le Bourget est celui que les zones très denses qui entourent le triage sont des zones où le gel des constructions a un impact important.

Le cas de la gare de triage de Woippy, près de Metz, suit le même calendrier. Après la remise d’une étude de dangers par RFF, le 14 avril 2009, et une demande de compléments par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) en août 2009, des compléments furent apportés par RFF en novembre 2010 puis en avril 2011. Une nouvelle étude de dangers fut remise en janvier 2012. Après rapport d’instruction remis par la DREAL en juillet 2013, un arrêté préfectoral de prescriptions fut publié le 30 janvier 2014.

En matière de maîtrise de l’urbanisation, une étude de dangers avait été prescrite et réalisée en 1997. Sur cette base, un projet d’intérêt général (PIG) a été prescrit par arrêté préfectoral du 23 juillet 1999, définissant un périmètre de protection et fixe des règles d’occupation des sols dans les rayons de 350 mètres et 500 mètres. Le PIG a été renouvelé régulièrement. Mais il n’y a pas eu porter-à-connaissance par le préfet.

Les études de dangers présentaient des résultats surélevés du fait du manque de données affinées et de l’application de probabilités forfaitaires. Les mesures qui en découlaient apparaissaient dès lors surdimensionnées par rapport aux installations classées par exemple. Aussi avons-nous décidé de lancer une étude d’accidentologie européenne. Cette décision de raffiner la méthodologie des études de dangers fut retenue fin 2011. Un appel d’offres a été publié, le 2 mai 2012, pour réaliser une étude complémentaire approfondie sur l’accidentologie européenne dans les gares de triage. Le prestataire retenu est DNV. Ses travaux ont commencé début 2013, grâce à des experts basés en France, au Royaume-Uni et en Norvège.

Dans une première phase, un état des lieux est dressé sur au moins 10 ans, dans dix pays enquêtés avec l’appui de l’Agence Ferroviaire Européenne (ERA) : France, Autriche, Belgique, Pays-Bas, Suisse, Finlande, Allemagne, Royaume-Uni, Suède, Espagne. Trois pays ont pu fournir des données d’accidentologie : France, Suisse, Finlande. Après le diagnostic, puis l’analyse et les propositions, un rapport remis au premier trimestre 2014 a permis d’objectiver les zones de dangers.

Ses conclusions sont que le risque se concentre sur la partie débranchement et le début du faisceau de formation. Les faisceaux de réception et de départ peuvent quasiment être négligés, ce qui réduit d’autant les éventuels périmètres d’effets. L’étude fine des causes et événements, suivant un diagramme « nœud papillon », a permis le calcul de probabilités affinées. Les probabilités par wagon sont estimées, suivant les phénomènes, de l’ordre de 10-7 à 10-12, contre des ordres de 10-6 à 10-8 dans la circulaire de 2010. Les probabilités d’accidents affinées sont donc beaucoup plus faibles que les probabilités génériques.

Sur cette base, un projet de note technique est finalisé entre la direction générale de la prévention des risques (DGPR) et la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), modifiant les circulaires du 4 mars 2010 et du 19 novembre 2012 pour les gares de triage. Quant à la localisation des phénomènes dangereux, seules les zones de débranchement et de formation sont à considérer. Une préconisation du CGEDD est prise en compte, à savoir la possibilité de restreindre les événements sources au faisceau de formation amont, sous réserve de la mise en place de mesures additionnelles sur le faisceau de formation aval : doubles cales, interdiction des manœuvres concomitantes. S’agissant de la probabilité des phénomènes dangereux, sont prises en compte des probabilités issues de l’étude DNV. De nouveaux dispositifs techniques de sécurité internationaux obligatoires et rétroactifs sur les wagons contenant les substances les plus dangereuses, tel le chlore, sont pris en compte : dispositif anti-chevauchement, tampons fusibles.

Le projet réalise en outre une harmonisation des préconisations d’urbanisme avec celles en vigueur pour le transport de matières dangereuses par canalisation, à savoir, en cas de probabilités de 10-5 à 10-6, en classe E, l’interdiction de construction d’immeubles de grande hauteur (IGH) et d’ERP de plus de 100 ou 300 personnes dans les zones d’effets létaux significatifs ou de premiers effets létaux. En cas de probabilités supérieures à 10-5, des restrictions fortes sont maintenues, mais la possibilité d’autorisations de constructions subsiste sous réserve de ne pas augmenter significativement la population exposée. Nous présenterons ces mêmes éléments devant la commission compétente du Sénat la semaine prochaine.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je vous propose d’entendre d’abord les questions des quatre représentants des groupes, puis celles des autres membres de la commission.

Mme Catherine Beaubatie. Au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je tiens à vous remercier pour cet excellent travail de clarification que vous avez mené sur l’état de nos infrastructures ferroviaires et les dangers liés transports de marchandises dangereuses.

Comme vous l’avez rappelé, les populations riveraines et les élus locaux sont inquiets et il est important de les rassurer aujourd’hui. Votre expertise, menée à la demande du Ministre des Transports, permet d’apporter des réponses et constats plutôt rassurants : le transport ferroviaire reste le plus sécurisé pour transporter les marchandises dangereuses, il n’y a eu aucun accident mortel depuis 30 ans et ces accidents sont à la baisse ces cinq dernières années. Globalement, nos infrastructures sont en très bon état.

Cela n’est pas sans rappeler d’autres inquiétudes parfois disproportionnées alimentées par les emballements médiatiques ou les rumeurs de quelques-uns. Je pense par exemple aux projets de méthanisation ou aux nouvelles implantations d’éoliennes qui font l’objet de contestations souvent irrationnelles. Comme vous le recommandez, les élus doivent redoubler de pédagogie auprès de la population. En tant que députés, nous devons y prendre notre part.

Toutefois, vous faites part de plusieurs pistes d’améliorations pour accroître la sécurité des infrastructures de triage. Vous préconisez notamment le remplacement des postes gérant les aiguillages et les freins, l’introduction d’un contrôle des rails par ultrason ou encore la mise en place d’alerte en haut de bosse qui détecte les wagons mauvais rouleurs.

Ces recommandations devraient logiquement être reprises dans un nouvel arrêté ministériel. Nous espérons qu’il sera signé le plus rapidement possible. Quelques doutes demeurent néanmoins.

Premièrement, sur les zones de limitations de nouvelles constructions autour des gares de triage. À Drancy-Le Bourget, le tribunal administratif a annulé, le 11 décembre 2014, le périmètre arrêté par la sous-préfecture au motif d’une sous-évaluation des risques. Aujourd’hui, l’administration réfléchirait à la réduction de ces périmètres contestés car ils contraignent la valorisation des patrimoines. Les habitants ne comprennent pas très bien les positions contradictoires de l’administration et du tribunal administratif. Ainsi, messieurs, vos recommandations permettraient-elles de réduire ces périmètres ou au contraire doivent-ils rester larges et contraignants ?

Deuxièmement, de nombreux habitants riverains et partout en France s’inquiètent de potentielles fuites de matières radioactives liées aux transports des déchets nucléaires. Votre rapport est assez silencieux sur un sujet on sait, ô combien sensible. Quels éléments d’éclaircissement pouvez-vous nous donner sur les risques encourus par la population en cas d’accident ?

M. Christophe Priou. Au nom du groupe Les Républicains, je voudrais d’abord souligner que l’on parle rarement des trains qui arrivent à l’heure. Il faut toutefois souligner qu’en 2013, un train chargé de déchets nucléaires a déraillé, sans qu’aucune conséquence ne soit heureusement à déplorer. Sachant que le centre de triage du Bourget-Drancy se trouve au cœur d’une zone urbaine très densément peuplée, des trajets alternatifs ne devraient-ils pas être envisagés pour détourner les convois les plus dangereux, notamment ceux qui proviennent d’Europe du Nord et se dirigent vers La Hague, dans la région de Cherbourg ? Combien sont-ils et doivent-ils forcément passer par l’Île-de-France ?

Vous abordez également dans votre rapport la question des axes internationaux. En Suisse, les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) ont fait baisser la vitesse maximale du fret ferroviaire, autour de Genève et de Lausanne. De quels moyens disposons-nous pour contrôler les convois ? En Suisse, des pointages ciblés ont lieu, non moins de 394 en 2014.

Enfin, les restructurations en cours ne risquent-elles pas de conduire à un accroissement des dangers potentiels ?

M. Bertrand Pancher. Au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, je voudrais rappeler que, le 24 décembre 2013, un déraillement d’un wagon chargé de déchets nucléaires usagés a eu lieu dans la gare de triage de Drancy-Le Bourget. Il avait provoqué un vif émoi. Mais l’Autorité de sûreté nucléaire avait classé l’incident au niveau zéro de l’échelle INES (International nuclear event scale) des événements nucléaires.

Cela nous rappelle néanmoins les risques liés au transit de produits dangereux, dont le chlore, l’ammoniac, l’acrylonitrile et l’oxyde d’éthylène, susceptibles de produire des effets létaux dans un rayon de deux kilomètres autour de la gare de Drancy, implantée dans une zone urbaine particulièrement dense. Il s’avère que, depuis 2013, toute construction est interdite dans un périmètre de 620 mètres autour de la gare, ce qui nuit au développement de Drancy.

Le ministre Frédéric Cuvillier avait annoncé la création d’un Comité d’information réunissant les opérateurs et tous les élus concernés. Quel bilan tirez-vous des travaux de ce comité ? En outre, le ministre avait demandé au CGEDD le rapport que vous nous présentez aujourd’hui. Certes, en France, seuls 11 accidents significatifs avec MD ont été enregistrés par la SNCF depuis 1990. C’est plutôt rassurant.

Mais il est étonnant que cette étude ne fasse pas un rappel des textes législatifs en vigueur notamment de la loi 2003, dite « loi AZF », et du décret de 2007 qui a institué des procédures particulières sur un certain nombre de gares de triage à la suite de l’explosion d’AZF. Les normes adoptées n’entrent parfois pas effectivement en vigueur. En tenez-vous vraiment compte ?

Vous souhaitez ajouter un nouvel interlocuteur, l’opérateur ferroviaire extérieur, pour les nouveaux plans d’urgence interne. Rajouter un interlocuteur, est-ce bien raisonnable ? Ne va-t-on pas encore complexifier les choses ?

Votre rapport semble se vouloir très rassurant ; il veut dédramatiser les choses. Mais pourtant plusieurs points sont bien loin de faire valoir le respect du principe de précaution et de répondre aux attentes légitimes des riverains des gares concernées. Vouloir faire évoluer la typologie des alertes en supprimant le caractère systématique de l’appel aux services de secours pour tout déraillement de wagon de marchandises dangereuses : est-ce bien raisonnable ? Les riverains, semblez-vous dire, s’affolent trop vite… est-ce une raison pour autant simplifier les choses ?

Le risque zéro n’existant pas, les défaillances techniques et humaines n’étant quand même pas si rares comme le souligne votre rapport, ne vaudrait-il pas mieux, dès lors, prendre les décisions qui s’imposent : à savoir interdire pour une liste de produits dangereux le passage en en pleine zone urbaine dense ; mais tout en les laissant sur le rail, qui reste quand même le mode le plus sûr et en leur dédiant certaines lignes moins à risque.

M. Jacques Krabal. Au nom du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste, je vous remercie de cette présentation technique, qui nous a fait découvrir un nouveau sens de l’expression « tir au but ». (Sourires)

Comme rapporteur pour avis des programmes 181 et 170 Protection de l’environnement et prévention des risques, elle m’a particulièrement intéressé. Je crois qu’il est dans notre intérêt de mettre en avant la sûreté du transport ferroviaire. Nous sommes en ce domaine au troisième rang en Europe, alors que nous ne déplorons que 1,61 % des victimes sur tous les modes de transport. Ne soyons donc pas inutilement alarmistes.

Vous préconisez une révision du système d’alerte et une meilleure gestion de l’information avec les élus et les riverains. Voilà qui va dans le bon sens. Comment le ministre a-t-il réagi à ces propositions ? Quel est le calendrier de leur mise en œuvre ? Quels sont les moyens financiers à disposition, par exemple pour les contrôles des rails par ultrasons ? Pour certaines gares, il n’existe pas de plan d’action ni d’intervention. Faut-il les généraliser ou serait-ce excessif ?

Dans le domaine de la sécurité, la pédagogie est toujours nécessaire, tandis que les échecs seront malheureusement toujours plus visibles que les réussites. Natif de Château-Thierry, Jean de la Fontaine n’écrit-il pas pourtant, dans Le Loup, la chèvre et le chevreau, que : « Deux sûretés valent mieux qu’une / Et le trop en cela ne fut jamais perdu ? ». (Sourires)

M. Guillaume Chevrollier. Votre rapport est rassurant et vos pistes techniques me semblent faciles à suivre afin de garantir la plus grande sécurité pour nos concitoyens, particulièrement dans le climat actuel, plutôt anxiogènes. Comment peut-on justement mettre en avant le transport des MD par le rail, plutôt que par la route, alors que le dernier par ce dernier mode est, de l’aveu général, le plus accidentogène ?

M. Stéphane Demilly. Chez nos voisins suisses, un incendie d’entrepôt ferroviaire s’est produit le 13 mai dernier. Il y a un peu plus longtemps, au Canada, l’accident du Lac-Mégantic a frappé les esprits. À la page 20 de votre rapport, vous soulignez que le faisceau de réception est la zone la plus à risque, tandis que vous préconisez à la page 22 que RFF renouvelle plus rapidement les infrastructures. Quelles sont les réactions de la SNCF et de RFF ?

M. Jean-Pierre Vigier. Les centres de triage sont souvent situés en zone urbaine densément peuplées ; or, la sécurité maximale n’existe pas. Est-il possible de faire sortir les centres de triage des zones urbaines ? Quel en serait alors le coût ?

M. Michel Heinrich. Je vous remercie de votre exposé, qui nous a beaucoup appris. Vos conclusions sont rassurantes et le risque me semble plutôt bien géré. Si je comprends bien, il s’agit surtout d’une affaire de communication. Vous avez eu raison de souligner le manque d’information des élus et des populations.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Certains wagons chargés de déchets nucléaires transitent par les gares de triage. Comment y sont-ils traités ? Quelle est l’évolution comparée du transport de marchandises dangereuses par le rail et par la route ? Ces gares de triage ne pourront-elles un jour être considérées comme une technique archaïque ?

M. Nicolas Chantrenne. La décision d’annulation du tribunal administratif ne constitue qu’une contradiction apparente avec la position de l’administration. Il a seulement constaté, sur le plan factuel, que l’étude de dangers ne s’étendait pas aux feux de nappe d’hydrocarbures et aux effets domino. Elle sera donc complétée. Mais nos données montrent que l’évaluation globale du risque aboutira au même résultat. Il est donc inexact d’affirmer que le tribunal administratif a évalué le risque à un niveau supérieur à celui qui était défini dans l’acte attaqué.

M. Éric Rebeyrotte. Notre mission ne portait pas sur le transport de matières radioactives. Je peux seulement dire que, pour elles, les exigences de solidité dépassent même celles qui sont fixées pour le chlore. Les matériaux employés sont extraordinairement solides. Les wagons chargés de déchets ne passent par les gares de triage ; les wagons vides, ou chargés seulement de combustibles, peuvent y passer quant à eux, mais y empruntent alors l’évite-bosse. Ils forment des trains avec d’autres wagons. Des vérifications sont conduites, en particulier grâce à des compteurs Geiger. L’incident de décembre 2013 au Bourget ne donnait pas matière à inquiétude, mais il a montré la nécessité de mieux communiquer dans ces circonstances.

Sur les axes internationaux, les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) ont réduit la vitesse de transport à Genève et dans le canton de Vaud, à la suite d’un déraillement extrêmement grave d’un train complet d’hydrocarbures il y a vingt ans. Mais ce retour d’expérience ne saurait être érigé en principe général. Pour chaque incident, une analyse détaillée doit remonter aux causes. Je ne connais pas l’analyse des Suisses sur ce déraillement, mais j’imagine qu’ils ont détecté une faille due à la vitesse excessive, vu les mesures qu’ils ont prises.

Jusqu’à présent, le déraillement constitue en effet le principal risque. Mais aucun événement de ce type n’est à signaler dans les annales de la SNCF, qui ait conduit à prescrire une réduction de vitesse des trains chargés de marchandises dangereuses. Quant aux effets des restructurations sur la sécurité, monsieur Christophe Priou, je n’en vois pas. Certes, les wagons chargés de marchandises dangereuses ont pu être concentrés sur un certain nombre de trajets. Mais l’automatisation du triage, depuis 2010, l’a rendu encore plus sûr. Donc la sécurité y a plutôt gagné de ce côté-là. Le maintien de vingt gares de triage était en tout état de cause obsolète.

Aux Pays-Bas, au Luxembourg et bientôt en Allemagne, les triages sont plus concentrés et plus volumineux qu’en France, en particulier aux Pays-Bas. Celui de Rotterdam traite des volumes phénoménaux. Mais même le Luxembourg a un centre de triage ! (Sourires)

Nous devons veiller à disposer d’un équipement moderne. Des progrès restent à faire en matière d’entretien et de renouvellement. Nous nous sommes ainsi prononcés en faveur de contrôle ultrasons pour vérifier la solidité des rails. Mais, même s’ils cassent, le risque induit est très faible. Le risque va en fait de pair avec la vitesse, quand les trains roulent à 80 km/heure ou 100 km/heure.

Quant à la présence de marchandises dangereuses dans les convois, elle est due au fait que l’industrie chimique en produit et qu’il faut bien les transporter. La société du risque zéro n’existe pas. Nous devons être très prudents, mais la réalisation des risques constatés est estimée à une fois tous les cent mille ans… (Murmures divers) S’agissant des comités d’information et d’échanges, ils fonctionnent et même plutôt bien. Ils permettent de rassurer, quoique certains ne puissent jamais être rassurés. Si le danger zéro n’existe pas, il y a toujours place, dans une certaine mesure, à l’inquiétude. Les comités jouent néanmoins un rôle positif, car le manque d’information alimente les peurs.

M. Gérard Lehoux, chargé de mission au Conseil général de l’environnement et du développement durable. L’information doit d’ailleurs porter autant sur le risque lui-même que sur les procédures par lesquelles il est entouré. Le bruit causé par une alerte ou la venue des pompiers peut être également source d’inquiétude. Pour mieux la faire comprendre, il faut donc expliquer la procédure.

M. Éric Rebeyrotte. En tout état de cause, la loi de 2003 est citée dans nos travaux, avec ses textes d’application – circulaires et arrêtés. Elle constitue en effet comme la clef de voûte de l’édifice réglementaire. Elle est effectivement appliquée.

Je ne m’inquiète pas de la présence d’un interlocuteur de plus dans les comités d’information et d’échanges. S’il existe, il semble normal de l’associer aux discussions.

Des craintes se sont exprimées sur la suppression du risque de type 2, celui qui conduit à appeler les pompiers. Mais il ne s’agit pas d’une suppression, seulement d’une restriction du recours aux pompiers, précisément lorsqu’il est certain qu’il n’y a pas de danger.

M. Gérard Lehoux. Nous avons même envisagé comme piste l’emploi du terme technique « saut de cale », parallèlement à celui de déraillement, lorsque la sortie de voie s’opère à une vitesse très faible.

M. Éric Rebeyrotte. En contraignant à appeler les pompiers, le système actuel est redondant. Les précautions se renforcent les unes les autres, au point de pouvoir faire baisser la vigilance.

La nécessité du triage est une nécessité d’abord économique, car un agent économique ne peut supporter le coût de transport d’un train entier quand il n’a que quelques wagons à transporter. Quant à implanter les triages ailleurs, ce serait possible s’ils n’étaient déjà placés à des endroits stratégiques : Miramas se trouve tout près de Fos-sur-Mer, Woippy près de Metz et du réseau allemand, Drancy constitue un nœud ferroviaire également. Placer ces triages ailleurs serait moins pertinent.

S’agissant des réactions à nos préconisations, le ministre a demandé à la SNCF de prendre des engagements sur la base des constats établis dans notre rapport. Elle ne se fait pas prier, car l’idée prévaut aujourd’hui que la sécurité n’est pas une donnée statique, mais qu’elle doit être au contraire toujours perfectionnée. Nous resterons quant à nous attentifs au suivi et à l’application des préconisations contenues dans le rapport.

En tout état de cause, la sécurité du transport de marchandises dangereuses ne fait pas l’objet de coupes de crédits.

M. Nicolas Chantrenne. Je souligne que nous appliquons la loi de 2003 s’agissant des nœuds d’infrastructure de transport de MD ou des sites Seveso. Mais les textes d’application ne sont pas les mêmes pour les deux types de site. Les sites nucléaires font l’objet d’une information publique depuis les années 1990 et les sites Seveso depuis les années 2000. Pour les gares de triage, rien de tel n’est prévu, mais une pratique s’est néanmoins développée.

J’estime qu’il s’agit d’une bonne pratique, qui permet à chacun d’apprécier de manière plus réaliste les risques en cause. Des progrès restent cependant à accomplir, particulièrement sur l’information en temps réel dans la gestion des incidents. Les services préfectoraux y travaillent, comme à Drancy, dans le cadre de l’élaboration d’un plan particulier d’intervention (PPI).

Monsieur Bertrand Pancher, vous proposez d’interdire les gares de triage aux wagons chargés de chlore. Cela me paraît difficile : ne faudrait-il pas, en effet, trier pour cela avant le triage ? Autant dire que la chose est impossible. Alors que l’on veut favoriser le transport par le rail de ces marchandises dangereuses, des tentatives d’interdiction du transport ferroviaire du chlore ne conduiraient qu’à un report du transport de chlore vers la route, sans gain global pour la sécurité.

J’ai également été interrogé sur le transport de matières nucléaires et de substances radioactives. La résistance des matériaux utilisés pour leur contenant est très élevée, puisqu’ils résistent à des incendies à haute température ou à des chocs très violents. C’est l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui est chargée du contrôle de ces convois, que ce soit au moment de l’expédition ou de la réception. Elle reçoit pour ce faire l’appui de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui conduit des contrôles d’étanchéité et de radioprotection. Des réflexions sont en cours pour optimiser le trajet de ces wagons, de façon qu’ils évitent les zones urbanisées.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Messieurs, en notre nom à tous, je vous remercie pour toutes ces explications.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Réunion du mardi 9 juin 2015 à 17 heures

Présents. – M. Alexis Bachelay, Mme Catherine Beaubatie, M. Philippe Bies, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, M. Alain Calmette, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. Stéphane Demilly, M. Olivier Falorni, M. Jean-Marc Fournel, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Alain Gest, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Krabal, M. François-Michel Lambert, Mme Viviane Le Dissez, M. Gérard Menuel, M. Robert Olive, M. Bertrand Pancher, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. – Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, Mme Chantal Berthelot, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Yann Capet, Mme Françoise Dubois, M. Yannick Favennec, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Gabriel Serville