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Mercredi 17 juin 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 55

Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet Président

– Examen la proposition de loi tendant à consolider et à clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes (n° 2790) (M. Philippe Duron, rapporteur)

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Philippe Duron, la proposition de loi tendant à consolider et à clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes (n° 2790).

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Chers collègues, Je voudrais souhaiter la bienvenue à des magistrats qui sont en formation continue dans le cadre d’un partenariat de l’Assemblée nationale avec l’École nationale de la magistrature, et vont assister à notre séance.

Je vous propose de commencer notre réunion, qui est consacrée à l’examen de la proposition de loi de MM. Bruno Le Roux, Sébastien Denaja et moi-même, tendant à consolider et à clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes.

Nous avons, au cours d’une précédente réunion, désigné comme rapporteur M. Philippe Duron.

M. Philippe Duron, rapporteur. Il s’agit d’un texte à la fois très technique et très simple, qui a trois objectifs. Le premier est d’adapter le droit aux évolutions démographiques de la population des dockers. Le deuxième est de clarifier le domaine d’intervention des ouvriers dockers sur le domaine public portuaire. Le troisième est de transposer les résultats de la négociation entre les parties prenantes de la manutention portuaire, lancée en 2013 par le Gouvernement.

Tributaire des incertitudes météorologiques, des rythmes saisonniers et des aléas du commerce, la manutention portuaire a, dès l’Ancien Régime, fait l’objet d’une organisation particulière, notamment pour l’emploi de la main-d’œuvre.

Le XXsiècle a été marqué par un effort continu pour favoriser la constitution d’un noyau de main-d’œuvre stable dont la gestion permette cependant une adaptation aux fluctuations caractéristiques de l’activité portuaire.

La loi du 6 septembre 1947 a constitué de ce point de vue une étape cruciale, en permettant de concilier deux objectifs apparemment exclusifs, la flexibilité et la stabilité.

Elle a conduit à former un noyau de main-d’œuvre composé de dockers titulaires d’une carte professionnelle délivrée par le bureau central de la main-d’œuvre (BCMO) de chaque port. Ce bureau supervisait également l’embauche des dockers, qui avait lieu deux fois par jour. Les dockers titulaires de cette carte étaient embauchés pour une journée ou une demi-journée, en fonction de l’activité portuaire. Si l’activité n’était pas suffisante, ceux qui n’avaient pas pu être embauchés recevaient une indemnité de garantie versée par le bureau.

Pour contrebalancer le caractère intermittent de leur activité, les dockers bénéficiaient d’une priorité d’embauche pour certains travaux de manutention portuaire définis par décret. En contrepartie, ils devaient pointer à l’embauche deux fois par jour et étaient sanctionnés s’ils ne respectaient pas cette obligation.

Par ailleurs, pour faire face aux besoins créés par une suractivité ponctuelle, il était possible de faire appel à des dockers occasionnels, qui ne bénéficiaient pas des mêmes garanties que les dockers professionnels, mais n’étaient pas non plus soumis aux mêmes contraintes.

Ainsi, la priorité d’embauche des dockers sur les autres personnels se doublait d’une priorité d’embauche des dockers intermittents sur les dockers occasionnels.

Le bouleversement des méthodes de travail portuaires, lié au développement de la mécanisation et de la conteneurisation, a contribué à remettre en cause le régime d’emploi des dockers fixé par la loi de 1947. Défaillant tant sur le plan économique que sur le plan social, il a été réformé par la loi du 9 juin 1992, dite loi Le Drian, qui a modifié le régime du travail dans les ports maritimes et est restée dans toutes les mémoires.

L’un des objectifs principaux de ce texte était le remplacement du régime de l’intermittence généralisée par une mensualisation des dockers professionnels dans le cadre de contrats à durée indéterminée, relevant du droit commun du travail.

En conséquence, la loi de 1992 a interdit la délivrance de cartes professionnelles pour l’avenir, programmant ainsi l’extinction progressive du régime de l’intermittence. Un régime transitoire a toutefois été mis en place pour les dockers qui étaient titulaires à cette date de la carte professionnelle et qui ne souhaitaient pas passer à la mensualisation. C’était un encouragement, pas une obligation.

Ces dockers, appelés « dockers professionnels intermittents », sont aujourd’hui moins de soixante-dix à exercer leur activité sur un port, les autres étant notamment en congé de longue maladie. Les dockers intermittents devraient partir à la retraite d’ici à 2018.

La rédaction des articles du code des transports régissant la priorité d’embauche des dockers présente certaines ambiguïtés. Celles-ci ont généré localement des contentieux, qui ont fait craindre aux acteurs portuaires que la disparition du dernier docker intermittent sur un port donné n’implique la suppression de la priorité d’embauche dont bénéficient sur ce port les dockers professionnels mensualisés créés par la loi de 1992, ainsi que les dockers occasionnels, qui n’ont pas été supprimés par cette loi.

C’est un contentieux de ce type, intervenu en 2013 à Port-la-Nouvelle, dans l’Aude, qui a entraîné la mise en place du groupe de travail à l’origine de la présente proposition de loi.

Ce groupe de travail a rassemblé, autour de Mme Martine Bonny, ancienne présidente du directoire des grands ports maritimes de Rouen et de Dunkerque – aujourd’hui inspectrice générale de l’écologie et du développement durable –, l’ensemble des acteurs du secteur de la manutention portuaire : syndicats de dockers, représentants des entreprises de manutention, représentants des entreprises utilisatrices de transport de fret, autorités portuaires, membres de l’administration en charge du transport maritime et personnalités qualifiées.

Ce groupe a tenu une trentaine de réunions en 2014. Tous les membres du groupe que nous avons auditionnés ont témoigné de l’esprit constructif qui a animé ses participants et de la qualité du travail effectué à cette occasion.

La présente proposition de loi permettra, par la sécurisation juridique du régime de priorité d’embauche, de pérenniser l’emploi des dockers, dont le professionnalisme est nécessaire pour assurer la sécurité d’une manutention très délicate et de plus en plus technique.

Ces derniers disposent de savoir-faire spécifiques, que la formation initiale comme l’expérience accumulée leur permettent de faire fructifier chaque jour.

Ces savoir-faire sont précieux pour des raisons d’intérêt général, car ils permettent d’assurer en toute sécurité le chargement et le déchargement de cargaisons parfois dangereuses à l’aide d’outillages complexes à manipuler. En outre, la sécurité sur les ports est un problème important ; on ne peut pas laisser pénétrer dans les enceintes portuaires tout un chacun !

Ces savoir-faire sont également précieux, car ils sont un gage de la compétitivité des places portuaires françaises soumises à une concurrence accrue dans le cadre de la mondialisation.

C’est pourquoi je profite de l’occasion qui m’est donnée ici pour appeler l’ensemble des acteurs du secteur à poursuivre et à approfondir leur effort en faveur du développement d’un système de qualification assurant à tous les dockers le meilleur développement possible de leurs compétences et aux entreprises qui les emploient la garantie de la plus haute technicité.

Le premier objet du texte est de supprimer toute corrélation entre l’existence d’un régime de priorité d’emploi des dockers et la présence de dockers intermittents sur une place portuaire.

Dans ce but, la présente proposition de loi procède à une série d’ajustements techniques.

L’article 1er supprime la liste nationale des ports maritimes de commerce où est présente une main-d’œuvre de dockers intermittents. Cette liste était jusqu’ici fixée par un arrêté du 25 septembre 1992. Elle est devenue obsolète.

Les articles 3, 4 et 5 précisent la définition des ouvriers dockers professionnels mensualisés et intermittents et des ouvriers dockers occasionnels.

L’article 7 améliore la rédaction de l’article du code des transports qui fixe le principe de la priorité d’emploi des dockers mensualisés sur les dockers intermittents et des intermittents sur les occasionnels.

Les articles 2 et 8 procèdent à des corrections rédactionnelles.

Le second objet de ce texte est de clarifier le périmètre de la priorité d’emploi des dockers, qui a donné lieu à nombre d’interprétations divergentes par le passé.

Une telle évolution est d’autant plus nécessaire que la loi dite Bussereau du 4 juillet 2008 a entraîné d’importants changements dans le domaine de la construction et de la gestion des outillages. Nous avons procédé, par cette loi, à une unification de ce que l’on appelle la manutention horizontale, c’est-à-dire les gens qui travaillent sur le quai, et de la manutention verticale, c’est-à-dire les gens qui actionnent les grues et les portiques. Cette loi a rendu obsolètes les notions de « postes publics » et de « lieux à usage public » employées par les textes réglementaires d’application de la loi de 1992.

L’article 6 propose donc une nouvelle rédaction de l’article L. 5343-7 du code des transports qui, pour définir ce périmètre, se bornait jusqu’ici à évoquer « les travaux de manutention définis par voie réglementaire ».

Désormais, cet article indique qu’afin de garantir la sécurité des personnes et des biens, un décret en Conseil d’État détermine les travaux de chargement et de déchargement des navires et des bateaux dans les ports maritimes de commerce qui sont prioritairement effectués par des ouvriers dockers ».

Toutefois, les conditions dans lesquelles ces travaux sont effectués pour le compte propre d’un titulaire d’un titre d’occupation domaniale comportant le bord à quai sont fixées conformément à une charte nationale. Il s’agissait d’une question épineuse, en raison d’un problème de compatibilité avec le droit européen.

Le propriétaire d’une autorisation d’occupation temporaire (AOT) est un entrepreneur qui peut librement exercer son activité. On ne peut pas mettre d’entraves à la concurrence et aux initiatives. Alors, comment gérer sur le port à la fois la priorité d’embauche des dockers et la liberté d’exercice permise par l’AOT ? Il ne pouvait donc pas y avoir une réglementation impérative. Il fallait trouver une solution plus souple, fondée sur la négociation. C’est ce qui a été engagé par les différentes parties prenantes au sein de la commission présidée par Mme Martine Bonny. C’est ainsi qu’est né un projet de charte, élaboré dans le cadre de ce groupe de travail.

La charte nationale concerne les nouvelles implantations industrielles en bord à quai et prévoit une procédure comportant de la part de chacun des acteurs concernés des engagements clairs en termes de fiabilité et de compétitivité, sur la base d’un respect mutuel. Il importe que cette charte, qui a fait l’objet d’un travail d’élaboration poussé, soit signée au plus tôt pour combler un vide juridique.

La proposition de loi dont je suis le rapporteur ayant fait l’objet d’une concertation approfondie entre tous les acteurs, je ne vous proposerai d’adopter que quelques amendements rédactionnels, qui permettront de faciliter son application en renforçant sa lisibilité et en limitant toutes les ambiguïtés.

Par ailleurs, je vous proposerai d’adopter un article additionnel demandant la remise d’un rapport au Parlement sur la mise en œuvre de la charte nationale prévue par l’article 6. En effet, le fait que la loi instaure le recours à une charte dans le domaine des relations sociales dans la manutention portuaire constitue une innovation, tant sur le plan juridique que sur le plan pratique. Le Parlement doit donc prêter une grande attention à l’application qui sera faite du dispositif ainsi qu’aux retours d’expérience sur ce sujet.

M. Sébastien Denaja. Au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, je voudrais saluer le travail du rapporteur, qui a été d’une efficacité remarquable. Après les longs mois de discussion engagés par Mme Martine Bonny, il a conduit nombre d’auditions, qui ont été utiles aux travaux de la Commission.

Ce texte est le fruit d’un long travail d’écoute et de consultation. J’y insiste, car ce secteur a été, dans l’histoire, aux prises avec un certain nombre de difficultés concernant le climat social qui régnait dans certains ports français. La présente proposition de loi est d’abord le gage d’une situation apaisée et d’un avenir qui se profile de manière sereine dans l’ensemble des ports français.

Le titre même de la proposition de loi résume son double objectif. Il s’agit à la fois de consolider et de clarifier l’organisation de la manutention portuaire. Il convient de consolider la situation des ouvriers dockers dont le texte va permettre de garantir la priorité d’embauche, que la réforme de 1992 avait sanctuarisée. Mais cette priorité d’embauche est liée à l’existence du statut d’intermittent. Or la catégorie des intermittents disparaît puisqu’il n’y en a plus qu’une grosse centaine aujourd’hui en France, sur les quelques milliers de dockers qu’il y a dans notre pays.

Nous garantissons, par cette proposition de loi équilibrée, la stabilité des acteurs économiques dans les ports. C’est en cela qu’elle fait consensus entre les organisations patronales et syndicales, notamment grâce à la clarification juridique du régime applicable dans nos ports. Ce dont ont besoin les acteurs économiques, c’est précisément de visibilité quant au régime juridique applicable.

Ce cadre juridique permettra de sanctuariser la priorité d’embauche des ouvriers dockers, mais aussi de respecter le droit communautaire, tout en offrant les éléments de souplesse que comporte le renvoi à une charte nationale, sur laquelle les partenaires sociaux semblent s’accorder. De ce point de vue, l’innovation que représente ce texte sera peut-être étendue plus tard – qui sait ? – à d’autres champs professionnels.

M. Christophe Priou. Puisque nous sommes dans le cadre de la procédure accélérée, je souhaite que nous examinions d’autres textes selon cette procédure, notamment au sujet de la reconnaissance et la transcription dans le code civil du préjudice écologique et de la lutte contre les atteintes à l’environnement… (Approbations sur divers bancs)

Pour le groupe Les Républicains, la réforme présentée montre ses limites et ses insuffisances, et repose sur un constat erroné et incomplet de la situation.

Lorsque l’on nous dit que, malgré la réforme opérée par la loi du 9 juin 1992, les règles d’emploi des dockers restent adossées au statut de l’intermittence, c’est une contre-vérité et une explication lacunaire.

Contre-vérité car, des trois principaux ports maritimes de notre pays, à savoir Le Havre, Marseille et Dunkerque, seul Marseille a encore des dockers intermittents, et leur nombre total est inférieur à 6 % des dockers travaillant dans l’ensemble des ports français.

Explication lacunaire, car ces dockers intermittents, qui n’ont pas été mensualisés en 1992, ont conservé ce statut de par leur volonté individuelle ou collective, alors que de très nombreux dockers ont été mensualisés dans tous les ports, notamment à Marseille. Ce refus de mensualisation, contraire à l’esprit du législateur de 1992, n’a pas remis en cause le maintien de la carte de docker professionnel intermittent. C’est pour cette raison qu’il reste quelques dockers professionnels intermittents dans les ports. C’est aussi parce que la loi de 1992 n’a pas été appliquée dans certains ports.

S’agissant des priorités d’emploi visées par le texte, la proposition est étonnante dans sa formulation, car tous les dockers suivent des formations professionnelles depuis la réforme de 1992.

La question des règles de sécurité, est, certes, primordiale, mais les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) fonctionnent dans tous les ports. Mettre en cause l’existence des dockers intermittents est un non-sens, puisque ceux-ci sont en voie de disparition en raison des mesures d’âge. Les dysfonctionnements sociaux observés dans quelques ports ne sauraient justifier une loi !

Le texte met l’accent sur l’extension de la possibilité offerte à des industriels positionnés sur les ports de faire effectuer les opérations de manutention par leur propre personnel. Mais, au nom de la compétitivité française, d’une part, et de la nécessité de créer de nouvelles filières import-export en France, d’autre part, il faut garantir la liberté de l’opérateur ou de l’industriel de choisir son mode opérationnel.

Par ailleurs, le texte ne dit pas quelles seraient les qualifications requises et pourquoi les dockers ne pourraient les avoir. Il parle de dangerosité, mais aucune manutention horizontale ou verticale ne saurait être plus dangereuse que toutes celles qu’effectuent les dockers au quotidien.

L’élaboration d’une charte nationale adossée à la loi serait une étrange innovation. Les parlementaires devraient d’abord inciter les partenaires sociaux à travailler sur la charte avant de légiférer. C’est le contenu de cet accord-cadre qui doit guider l’écriture parlementaire et non l’inverse si l’on attache un minimum d’importance au dialogue social.

Cette idée de charte est acceptable à condition qu’il s’agisse d’un accord-cadre souple, permettant un « sur-mesure » port par port. Le port de Roscoff, avec onze dockers, et ne traitant pas les conteneurs, ne peut avoir la même approche que celui du Havre avec ses 2 000 dockers.

Des accords sont trouvés dans les ports où la qualité du dialogue social est une réalité. Ce sont d’ailleurs ces industriels qui demandent le concours des ouvriers dockers dûment formés pour effectuer les travaux. La fiabilité du travail et des services est le critère premier de la compétitivité des ports.

Il y a un manquement grave dans le texte. Dans l’article 8, le premier alinéa de l’article L. 5343-8 du code des transports, soumis à modification, indique : « qui comportent la présence d’une main-d’œuvre d’ouvriers dockers intermittents. ». Il conviendrait d’ajouter : « et de dockers occasionnels ».

Il faut savoir également que le nombre de dockers professionnels mensualisés est en hausse – près de 4 000 actuellement –, ce qui est un bon signe pour la santé de nos ports ; qu’il reste seulement quelques dockers professionnels intermittents, car refusant d’être mensualisés, notamment à Marseille. Ils ne sont que 130. Un nombre plus important de dockers occasionnels – environ 1 000 réguliers – travaillent sur les ports, et sont doublement indispensables aux entreprises portuaires.

Ces dockers occasionnels permettent, d’abord, de répondre aux fluctuations des activités. Ensuite, ils constituent la réserve des futurs dockers mensualisés, comme le stipule la loi du 9 juin 1992. Ils possèdent, à travers leurs vacations travaillées, des acquis et des compétences, et suivent aussi des formations.

Soit dit en passant, dans le cadre du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), le Sénat a réintroduit le transfert des ports maritimes et intérieurs des départements aux autres collectivités territoriales. L’Assemblée nationale n’a pas conservé ce principe. Rappelons que c’est la connexion aux grands ports maritimes qui génère les flux de la mondialisation.

Aujourd’hui, nous n’avons plus de vision stratégique d’aménagement du territoire et nous allons prendre du retard dans bien des domaines. Cette situation n’aidera certainement pas nos ports à se replacer dans les quarante premiers ports mondiaux.

Pour conclure, il n’y a pas lieu de modifier la loi en l’état puisque cela ne résout rien. Avec ce texte, nous risquons de générer des conflits en opposant les catégories de travailleurs, des contentieux sans fin, des blocages de l’économie et de la logistique du transport.

Pour ces raisons, nous ne soutiendrons pas ce texte.

M. Bertrand Pancher. Bien que le port du Havre ait obtenu le titre de meilleur port européen pour la quatrième année consécutive en 2014, devançant Hambourg, Rotterdam et Anvers, les ports maritimes français souffrent aujourd’hui, non seulement de la crise économique, mais aussi d’un manque de pouvoir d’attraction, celui-ci n’étant plus aussi fort qu’il pouvait l’être il y a encore quelques années.

La performance et la productivité de nos ports sont désormais inférieures à celles affichées par nos principaux concurrents. Nous sommes face à des problématiques de compétitivité. En 2011, un rapport de la Cour des comptes avait épinglé les dockers du port de Marseille, estimant qu’ils étaient trop bien payés par rapport aux heures de travail effectuées, alors même que la France connaissait d’importantes grèves dans ses ports.

Pour faire face à cette situation, on peut souhaiter une réforme en profondeur de l’ensemble de la législation liée aux ports. Il ne faut pas non plus oublier que le métier de docker est essentiel au bon fonctionnement des ports maritimes, français comme étrangers. C’est un sujet très sensible. On ne peut pas réformer la réglementation sociale sans une concertation avec les intéressés. Personne ne croit au grand soir du métier des dockers.

Pour rappel, la grève des dockers de Hambourg avait été l’un des conflits sociaux les plus importants de l’époque, avec des répercussions catastrophiques sur la ville allemande.

Le texte que vous nous présentez, monsieur le rapporteur, ne révolutionne pas la problématique des dockers. Il semble néanmoins indispensable de lever les ambiguïtés qui subsistent quant à leur régime, alors que la loi de 1992 devait le clarifier entre intermittents, mensualisés et occasionnels.

Grâce à la nouvelle rédaction apportée par cette proposition de loi, les entreprises ne seront plus en mesure d’embaucher des personnes qui ne respecteraient pas la convention collective nationale. De plus, ce texte insiste sur la nécessité de passer d’un régime d’intermittents à un régime de CDI, ce qui est plus sécurisant pour les dockers professionnels.

Par ailleurs, nous nous félicitons que les questions de sécurité soient soulevées dans le texte. En effet, les tâches effectuées dans un port maritime comportent souvent des risques nécessitant des professionnels qualifiés et reconnus.

Enfin, nous reconnaissons que le rapport de Mme Martine Bonny, remis au secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, sur le régime d’emploi des ouvriers dockers a bien été suivi d’effets dans le cadre de cette proposition de loi, même si toutes les préconisations n’ont pas été retenues. Nous aurions souhaité avoir accès à la globalité des recommandations pour avoir un débat d’ensemble.

M. François-Michel Lambert. La présente proposition de loi doit permettre d’accroître la performance de nos ports, dont l’activité, aujourd’hui, n’est malheureusement pas à la hauteur de leur potentiel. Nous savons pertinemment qu’une grande partie des flux d’importation et d’exportation passe par des ports étrangers. La réponse apportée aujourd’hui n’est toutefois qu’une partie de la solution pour la reconquête de notre activité portuaire et d’une certaine souveraineté.

La Conférence nationale sur la logistique, dont j’aurai l’honneur de présider les travaux dans quelques semaines, pourra s’appuyer sur la proposition de loi qui nous est soumise ce matin, pour faire en sorte que la France ait une véritable stratégie – absente ces dix ou vingt dernières années – en termes de flux de marchandises.

Cette absence de stratégie a conduit à un effondrement de l’activité de fret ferroviaire et à une stagnation de l’activité portuaire, alors que d’autres pays européens enregistraient, eux, des résultats probants. Grâce à la volonté du Gouvernement de mettre en œuvre une coordination, une logique et une stratégie logistiques, nous pourrons retrouver de la performance en termes économiques et environnementaux. Il est clair que la question maritime est au cœur de cet objectif de performance.

Le groupe Écologiste soutiendra donc cette proposition de loi.

M. Patrice Carvalho. Nous répondons aujourd’hui à une anomalie, l’existence des intermittents, qui a perduré malgré la loi de 1992, laquelle n’a pas complètement supprimé ce statut particulier.

Contrairement à ce que l’on peut imaginer, le métier de docker est très difficile, très dangereux, et ce ne sont pas les CHSCT, dont le rôle est d’analyser les risques et de trouver des solutions, qui régleront cet état de fait. Il convient avant tout de faire travailler dans les ports des gens bien formés, et qui connaissent bien les risques inhérents à ce métier.

Cette proposition de loi est attendue par les dockers et recueille, à ma connaissance, l’assentiment de tous les syndicats.

M. le rapporteur. À l’exception d’un, qui n’est pas la CGT…

M. Patrice Carvalho. Dès lors que ce texte répond à une nécessité, ainsi qu’au souhait des syndicalistes et des salariés eux-mêmes, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne peut qu’y être favorable.

M. Charles-Ange Ginesy. Je m’interroge sur les objectifs de cette proposition de loi. J’ai bien compris qu’il s’agissait de s’adapter à la situation, mais il me semble qu’il était possible de trouver des solutions, notamment au problème des intermittents, dans le cadre de la loi de 1992, pour peu que celle-ci soit appliquée de manière exhaustive. La voie qui a été choisie manque à mon sens d’ambition en matière de croissance et d’activité économique.

Ma deuxième interrogation porte sur la charte nationale. C’est une innovation dont j’espère qu’elle ne sera pas redondante par rapport à la loi, mais qu’elle fixera des objectifs véritables et ambitieux sur le plan de la croissance, de l’activité et de l’emploi. J’espère surtout qu’elle sera appliquée en tenant compte des spécificités locales, et non en les méconnaissant. Nous aimerions être rassurés sur ce point.

M. Arnaud Leroy. Ce texte répond à une demande du secteur, et c’est une bonne chose que les politiques utilisent les rapports commandés aux diverses instances compétentes. Le travail effectué par Mme Martine Bonny, qui m’a aidé dans l’élaboration du rapport que j’ai remis à Frédéric Cuvillier et à Jean-Marc Ayrault, montre que la méthode suivie était la bonne.

Je suis d’accord avec ce qui a été dit sur les déclinaisons locales de la charte, mais le dialogue social doit aussi être au service d’une stratégie portuaire avenante.

Il y a un point que vous n’avez pas mentionné dans votre intervention, monsieur le rapporteur, c’est la question européenne. Depuis près de vingt ans, l’Europe essaie, de façon récurrente, de libéraliser les services portuaires, et notre assemblée a pris position contre la toute dernière tentative. Au fil des textes, on enlève un type d’activité : les pilotes par-ci, la moitié des lamaneurs par-là. Il faudrait que nous ayons une vision claire de ce que veut faire l’Europe sur la question des dockers. Vous avez mentionné la conteneurisation, la volonté des grands opérateurs maritimes de développer l’automanutention, notamment depuis leurs navires. Il faut que nous soyons clairs sur cette question et attentifs à l’évolution rapide d’un secteur qui est au cœur de la mondialisation.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour votre travail, et je souhaite que nous en profitions pour reposer la question de la stratégie portuaire dans notre pays.

M. Jean-Pierre Vigier. Cette proposition de loi, monsieur le rapporteur, a pour objectif de mettre à plat les différents régimes d’ouvriers manutentionnaires dans les ports maritimes. Vous précisez ainsi les trois catégories réglementées et vous les classez par priorité d’emploi.

Le statut d’intermittent est amené à disparaître. De plus, parmi nos trois principaux ports maritimes, seul Marseille compte encore des dockers intermittents. Même si ce statut est appelé à disparaître, avez-vous envisagé l’idée d’une adaptation de celui-ci ?

M. Gérard Menuel. Le rapporteur a rappelé le caractère très technique de cette proposition de loi, mais celle-ci part d’un constat que l’on peut partager. Les deux réformes de 1992 et 2008 n’ont été que partiellement appliquées : les résultats n’ont pas été probants et nos ports n’ont pas bénéficié de la compétitivité attendue. Disons que, collégialement, nous n’avons pas été particulièrement courageux en la matière, mais Christophe Priou a rappelé à la fois l’importance de l’article 6 et sa grande timidité, qui n’aidera guère nos ports à gagner en compétitivité.

M. Guillaume Chevrollier. Cette proposition de loi est-elle vraiment utile ? Ne crée-t-elle pas de nouveaux carcans là où il faudrait de la souplesse, tant les besoins de nos ports sont différents ?

Les ports français sont en perte de vitesse et leur rang ne cesse de se dégrader. La Cour des comptes rappelle d’ailleurs régulièrement leurs faiblesses : des prestations et une manutention plus coûteuse qu’ailleurs, des coûts d’immobilisation élevés alors que les terminaux à conteneurs sont loin d’être saturés, une organisation peu compétitive, une fiabilité douteuse en raison d’un climat social dégradé.

La proposition de loi qui nous est soumise ne permettra pas de redonner de la souplesse à nos ports face à la concurrence mondiale. C’est pourquoi je voterai contre.

M. le rapporteur. D’abord, ne nous trompons pas sur la portée de cette proposition de loi, qui n’a pas l’ambition de constituer une nouvelle réforme portuaire.

La compétitivité de nos ports face à la concurrence internationale est un vrai problème, que chacun a souligné. La modernisation des technologies d’embarquement et de débarquement n’est pas achevée en France, et l’on voit bien que d’autres ports européens, je pense notamment à Rotterdam, maintiennent leur avance. On y voit de moins en moins d’hommes sur les quais, la manutention se dirige à distance, et d’autres évolutions sont à attendre dans les années à venir. La proposition de loi d’Arnaud Leroy, qui devrait nous être soumise prochainement, a l’ambition de traiter ces questions.

Celle dont nous discutons ce matin est un texte de sécurité et d’adaptation juridiques, indispensable parce que, contrairement à ce qui a été dit, il y a beaucoup de contentieux liés à la loi de 1992, insuffisamment précise en matière d’organisation du travail.

Les difficultés sociales dans les ports, que beaucoup d’entre vous ont évoquées, sont l’un des éléments qui peuvent en affaiblir la compétitivité. C’est pourquoi nous cherchons à y renforcer le dialogue social. Il fallait également clarifier les domaines d’intervention des ouvriers dockers, faire en sorte qu’il n’y ait pas d’ambiguïté en la matière. Telle est l’ambition de ce texte.

Vous dites qu’il ne va pas assez loin. Certes, il ne reprend pas toutes les dispositions du rapport Bonny, mais ce rapport aura une triple traduction. La première est législative : c’est celle que nous vous proposons aujourd’hui. Il y aura ensuite un décret d’application, qui précisera encore les choses. Enfin, il y aura la charte, qui n’est pas un document normatif au plan national. C’est un document-cadre, qui a vocation à être décliné port par port – car, M. Priou a raison de le souligner, la situation des grands ports maritimes n’a rien à voir avec la situation des ports décentralisés, qu’il s’agisse de l’activité ou du nombre d’intervenants.

Chaque port a une histoire, et il faut la respecter si l’on veut que les choses fonctionnent. On n’administre pas les ports comme on administrerait un service public classique. C’est un service qui est rendu par la puissance publique pour ce qui concerne la propriété et l’organisation des infrastructures, mais aussi par des professionnels de la manutention, par les armateurs, par les chargeurs et par un certain nombre d’autres professions. Tout cela doit être pris en compte.

Je voudrais signaler également que l’Union européenne est en train de préparer un règlement sur les ports et sur l’activité portuaire. On ne sait pas encore très bien à quelle date il sera adopté, mais il semblerait qu’il ne change pas considérablement les choses.

Il faut savoir, enfin, que les autres pays connaissent également ce que nous connaissons en France. On a fait allusion à la grève des dockers de Hambourg, mais il y a eu à Anvers, il y a quelques mois, une grève particulièrement difficile. Les dockers anversois ont un statut plus proche du statut de 1947 que du statut de 1992. Il y a également un contentieux très fort entre l’Union européenne et l’Espagne, pour des questions qui tiennent à l’absence de clarification des questions de main-d’œuvre sur le port de Barcelone.

Il est donc important que nous légiférions pour clarifier le domaine d’intervention des ports et montrer qu’il n’y a pas, en France, d’entrave à la liberté d’entreprise ni à la liberté d’exercice dans le cadre des AOT, faute de quoi nous aurions des difficultés juridiques par rapport à l’Union européenne et un risque fort de contentieux.

La Commission aborde l’examen des articles.

Article 1er (article L. 5343-1 du code des transports) : Définition des ports où s’applique la priorité d’emploi dont bénéficient les ouvriers dockers et Article 2 (article L. 5343-2 du code des transports) : Définition des catégories d’ouvriers dockers

La Commission adopte successivement les articles 1er et 2 sans modification.

Article 3 (article L.5343-3 du code des transports) : Définition des ouvriers dockers professionnels mensualisés

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CD9, CD7 et CD8 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 3 ainsi modifié.

Article 4 (art. L. 5343-4 du code des transports) : Définition des ouvriers dockers professionnels intermittents

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CD10 et CD1 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 4 ainsi modifié.

Article 5 (article L. 5343-6 du code des transports) : Définition des ouvriers dockers occasionnels

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CD2, CD11 et CD3 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 5 ainsi modifié.

Article 6 (article L. 5343-7 du code des transports) : Définition des activités pour lesquelles les dockers bénéficient d’une priorité d’emploi

La Commission adopte l’article 6 sans modification.

Article 7 (article L. 5343-7-1 du code des transports) : Définition des règles de priorité applicables aux différentes catégories d’ouvriers dockers

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CD6, CD12 et CD13 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 7 ainsi modifié.

Article 8 (article L. 5343-8 du code des transports) : Modification rédactionnelle de l’article instituant les BCMO

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CD5 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 8 ainsi modifié.

Article 9 : Demande de rapport sur la mise en œuvre de la charte nationale mentionnée à l’article L. 5343-7 du code des transports

La Commission examine les amendements identiques CD4 du rapporteur et CD14 de la commission des affaires économiques.

M. le rapporteur. Nous avons introduit la notion de charte dans le texte. Cette charte va être signée assez rapidement par les parties prenantes, qui sont demandeuses. Il serait toutefois bon que l’on puisse en mesurer la portée au bout de quelques mois ou de quelques années, afin de rectifier le dispositif s’il ne donnait pas pleinement satisfaction, ou en vue de l’étendre, le cas échéant, à d’autres éléments de la négociation sociale.

S’agissant du délai, deux ans nous ont paru une durée raisonnable, car permettant d’avoir une vision d’ensemble du dispositif une fois celui-ci décliné port par port.

La Commission adopte les amendements.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée, le groupe UMP votant contre.

—fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 17 juin 2015 à 9 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, Mme Sylviane Alaux, M. Julien Aubert, Mme Catherine Beaubatie, M. Philippe Bies, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, M. Vincent Burroni, M. Alain Calmette, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Luc Chatel, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, M. David Douillet, Mme Françoise Dubois, M. Philippe Duron, Mme Sophie Errante, M. Jean-Marc Fournel, Mme Geneviève Gaillard, M. Charles-Ange Ginesy, M. Michel Heinrich, M. Jacques Kossowski, M. François-Michel Lambert, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, M. Arnaud Leroy, M. Franck Marlin, M. Philippe Martin, M. Gérard Menuel, M. Yves Nicolin, M. Robert Olive, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Barbara Romagnan, M. Thierry Solère, Mme Suzanne Tallard, M. Thomas Thévenoud, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés. - M. Yves Albarello, M. Jacques Alain Bénisti, Mme Chantal Berthelot, Mme Florence Delaunay, M. Yannick Favennec, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Laurent Furst, M. Christian Jacob, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gilbert Sauvan, M. Jean-Marie Sermier, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - M. Sébastien Denaja, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Noguès, M. François Vannson