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Commission des affaires économiques

Mardi 26 février 2013

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 53

Présidence de M. François Brottes Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique.

– Informations relatives à la commission

La commission a auditionné M. Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique.

M. le président François Brottes. Je souhaite en votre nom à tous la bienvenue à M. Benoît Thieulin, qui vient d’être nommé à la tête du Conseil national du numérique, le CNN. Cette audition était programmée, puisque j’avais promis de convier dès sa nomination le nouveau président du CNN pour qu’il nous explique l’utilité de ce « machin ». En effet, la création de ce conseil nous a laissés un peu circonspects, même s’il ne s’agit pas d’une de ces autorités administratives qui contribuent à dessaisir le législateur et l’exécutif de leurs prérogatives.

Le numérique est un secteur en perpétuelle mutation. Nous avons déjà débattu ici de questions telles que l’open source, le logiciel libre ou la neutralité de l’Internet, pour ne pas mentionner la très controversée Hadopi. De votre côté, monsieur le président, vous avez tenté de mettre le numérique au service de la démocratie participative, et il serait intéressant de connaître les leçons que vous avez tirées de cette expérience. Mais, avant tout, et j’y reviens en termes directs, pensez-vous que ce conseil national quelque peu pléthorique servira à quelque chose ?

M. Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique. Je vous remercie de nous recevoir quelques semaines après notre installation.

Je voudrais d’abord évoquer les raisons qui ont motivé la création d’un nouveau Conseil national du numérique, un « CNN 2.0 » en quelque sorte.

La création du premier CNN par le gouvernement précédent était bienvenue, compte tenu de la complexité de ce domaine du « numérique », voire de son caractère abscons. En la matière, en effet, les enjeux ne sont pas seulement technologiques : ils sont aussi, massivement, économiques, l’onde de choc de la révolution du numérique n’épargnant aucun secteur d’activité, et cela se double d’enjeux juridiques, eux aussi très complexes.

La fécondité de la révolution numérique résulte d’une alchimie étonnante entre des domaines et des acteurs très différents, voire opposés. En effet, s’il est vrai que l’Internet a été à l’origine financé par des crédits provenant du budget américain de la défense, le concept a été développé par des étudiants et par des universitaires hostiles à la guerre au Vietnam. Puis cette innovation s’est étendue en suscitant une osmose surprenante entre secteur marchand et secteur non marchand, entre grands groupes et petites unités, entre universitaires et milieux d’affaires, etc. Or, en France, beaucoup de ces professionnels du numérique ne s’étaient pas sentis suffisamment représentés, ni même écoutés, dans les débats qui ont porté sur le sujet depuis une quinzaine d’années, et ce bien qu’il y ait désormais peu de domaines qui échappent complètement à cette problématique. Le fait que le nouveau CNN soit composé de membres choisis en raison de leurs compétences dans le domaine du numérique est, j’en suis convaincu, de nature à changer la donne : c’est ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, que le professeur Bernard Stiegler et moi-même avons été consultés par le rapporteur du projet de loi sur la refondation de l’école.

En un mot, il manquait une instance de dialogue entre cet univers très protéiforme et les pouvoirs publics et les décideurs. Le premier CNN avait certes déjà pour finalité d’être un truchement entre ces deux mondes et j’en avais donc, avec d’autres, approuvé le principe. Je salue aussi le travail accompli sous la direction de Gilles Babinet et de Patrick Bertrand, qui se sont succédé à sa tête et qui ont eu le souci de nous transmettre leur expérience lors de l’installation du nouveau conseil. Il reste que ce Conseil national, première version, ne reflétait pas suffisamment la diversité du secteur, ce qui ne pouvait que le handicaper dans sa mission d’éclairer le Gouvernement et, surtout, d’assurer la pédagogie du numérique, rôle clé à mes yeux. En effet, les geeks ne peuvent pas se contenter de se plaindre de n’être pas suffisamment entendus sans faire eux-mêmes l’effort d’être compris, et c’est pourquoi la capacité à établir un langage commun avec les parties prenantes de ces débats me semble une composante absolument essentielle de la mission du CNN.

Parler de conseil « pléthorique » me paraît quelque peu exagéré, monsieur le président. Mon expérience de démocratie participative me convainc qu’il n’est pas complètement impossible de faire réfléchir trente personnes ensemble !

La composition de ce conseil respecte strictement la parité, non seulement entre sexes, mais aussi entre générations – on y compte autant de moins de 45 ans que de plus de 45 ans – et, en outre, se caractérise par une grande diversité des appartenances professionnelles : certains travaillent dans de grands groupes de télécommunications, d’autres dans le secteur non marchand, notamment associatif ; d’autres encore sont chercheurs, universitaires, entrepreneurs, créateurs de start-up, etc. Nos premières discussions, qui se sont révélées plutôt passionnantes, me donnent à penser que cette diversité de parcours et d’expériences garantit un équilibre fécond.

S’agissant de l’organisation de nos travaux, il m’a semblé important d’arrêter un rythme qui permette une participation assidue de tous. En effet, les trente membres de ce « machin » comme vous dites – puisse-t-il connaître la même croissance que ce machin qu’étaient les Nations unies selon de Gaulle ! – étant bénévoles, ils ont besoin d’un cadre de travail régulier qui leur permette de concilier leur contribution avec leur activité professionnelle. C’est pourquoi nous avons prévu une réunion hebdomadaire du bureau et une réunion plénière mensuelle, au cours de laquelle les groupes de travail créés en fonction des saisines soumettront leurs propositions à la délibération du Conseil.

Les trois sujets dont Fleur Pellerin nous a d’ores et déjà saisis illustrent la variété de nos possibilités de saisine : pour avis, pour concertation ou pour recommandation. S’agissant de la neutralité du net, c’est un avis que nous devons rendre, assez rapidement mais en répondant à une question précise. S’agissant de la fiscalité du numérique, nous devons organiser une concertation : notre mission est de consulter les nombreuses parties prenantes sur les différentes pistes ouvertes dans leur rapport par Nicolas Colin et Pierre Collin – que nous avons déjà entendus. Il est probable que cette concertation se déroulera en deux temps, une première étape devant être consacrée aux questions qui doivent être traitées en urgence, à temps pour être prises en compte dans le projet de loi de finances pour 2014.

Enfin, la question de l’inclusion numérique, ou e-inclusion, fait l’objet d’une saisine pour recommandation. Qu’on parle d’inclusion, et non plus de lutte contre la fracture numérique, signifie qu’on ne se focalise plus sur la question de l’équipement, sur le hardware : une grande partie de la population étant désormais connectée, l’objectif est de permettre aux usagers de tirer tout le profit de cet acquis – par exemple de permettre aux entreprises de l’utiliser pour accroître leur productivité. Cette partie de nos travaux aura donc un caractère plus prospectif : nous comptons notamment inventer une nouvelle mission pour les nombreux établissements numériques, la question de leur utilité se posant maintenant que les outils informatiques sont largement diffusés.

Pour assurer au mieux ces trois missions, nous aimerions inventer des modalités d’organisation originales. Nous avons ainsi l’ambition de donner à nos avis un caractère opérationnel tout en mettant en lumière le contexte dans lequel nous sommes amenés à les rendre. Par exemple, sur la question de la neutralité du net déjà largement traitée par ailleurs, notre travail sera surtout un travail de synthèse et de cartographie des acteurs et des parties prenantes. Il s’agira de dessiner l’écosystème au sein duquel ce problème se pose.

Notre mission de concertation également doit être pour nous l’occasion d’innover, en développant un genre d’auditions qui nous soit propre, loin des auditions classiques qui se résument trop souvent à recueillir des points de vue que l’on connaît déjà. Nous voudrions définir d’autres modalités d’organisation des débats pour revivifier ce genre de consultation. Nous comptons par exemple lancer des appels à contributions, en direction des publics qui se sentent concernés, en recourant aux outils numériques que j’ai pu pratiquer dans une vie précédente.

En tout état de cause, étant donné la modicité de notre budget, nous devrons faire preuve de beaucoup d’ingéniosité dans l’organisation de nos travaux mais voilà comment nous espérons être utiles – nous pourrions d’ailleurs l’être aussi en étant saisis en amont des textes sur lesquels vous êtes appelés à délibérer !

Mme Corinne Erhel. Nous sommes particulièrement heureux de vous entendre et nous nous réjouissons plus généralement des nombreuses réunions que notre président a organisées sur ce sujet du numérique : il y a là, en effet, un formidable levier de croissance.

Je voudrais saluer l’élargissement des compétences du CNN. Vous avez souligné votre volonté de ne pas vous limiter aux aspects technologiques et économiques du numérique, mais de l’envisager également comme un espace incomparable de la liberté d’expression, de connaissance et de culture, sans négliger sa valeur sociale et politique. Je me réjouis également de votre souhait de développer le rôle pédagogique du Conseil sur toutes ces questions.

Au cours de cette année 2013 qui s’annonce décisive pour le numérique, le CNN sera sollicité sur nombre de sujets aussi vastes que complexes : neutralité du net, feuille de route du Gouvernement pour le très haut débit, fiscalité du numérique, liens entre culture et numérique et, probablement, régulation des télécommunications. J’aimerais que vous nous disiez plus précisément de quels moyens, tant matériels qu’humains, le CNN disposera pour faire face à toutes ces tâches. Travaillerez-vous avec le comité stratégique de la filière numérique ?

Quel équilibre préconisez-vous entre la promotion de la liberté d’expression sur le net et l’innovation ou les sujets de politique industrielle relevant également de la compétence de Mme Pellerin ? S’agissant de la feuille de route pour le déploiement du très haut débit, quel sera votre apport à la réflexion du Gouvernement ? Dans quel délai rendrez-vous votre avis sur la neutralité du net ? Que pensez-vous des réserves formulées par certains acteurs du secteur, telle l’Association française des éditeurs de logiciels (AFDEL), à propos des conclusions du rapport Collin-Colin ? La question du numérique intéressant plusieurs ministères, comment traitez-vous avec ceux-ci ? Enfin, comment comptez-vous travailler avec les parlementaires sur le sujet ?

Mme Laure de La Raudière. Nous vous souhaitons bonne chance dans l’exercice de vos nouvelles fonctions, monsieur Thieulin. Cependant, je vous ai trouvé un peu sévère à l’égard du premier Conseil national du numérique qui, à vous entendre, n’aurait été que le « CNN 1.0 » ! Même si sa composition avait suscité quelques critiques, il partageait les préoccupations que vous venez de mentionner. Il n’a jamais négligé les aspects sociaux du numérique – il avait ainsi consacré des travaux très intéressants à l’école – et il lui arrivait de travailler avec les élus, comme vous l’avez fait vous-même récemment.

Les enjeux du numérique ne sont pas seulement économiques et sociaux : c’est aussi la souveraineté nationale qui est en cause, du fait notamment de la prédominance d’entreprises américaines dans ce secteur – on a vu récemment le PDG de Google jouer un rôle quasi diplomatique ! Cette situation est d’autant plus inquiétante que tous les secteurs d’activité sont progressivement atteints par la révolution numérique et que les Européens logent leurs données dans le cloud. Les questions fiscales sont également loin d’être négligeables, puisque ce sont plusieurs milliards d’euros qui sont soustraits au fisc par les géants d’Internet.

De tels enjeux, de niveau européen et même international, dépassent largement les compétences de la seule ministre déléguée en charge des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique. Ne devriez-vous pas rendre compte de votre action au Premier ministre, au ministre des affaires étrangères, voire au chef de l’État, comme c’était le cas du précédent CNN ?

Parmi vos objectifs, y en a-t-il d’aussi concrets que l’amélioration du taux d’usage du numérique par les PME ou du rang de la France en matière d’appropriation du numérique, par exemple ?

Enfin, le fait que vos prédécesseurs étaient élus par les membres du Conseil leur garantissait à l’égard du Gouvernement une indépendance dont ils ont su faire usage pour faire bouger les lignes. Aurez-vous la même à l’égard d’un gouvernement qui vous a nommé ?

Mme Jeanine Dubié. Dans quelle mesure la composition de ce nouveau Conseil, qui mêle des compétences variées, est-elle le gage d’une meilleure prise en compte des différents enjeux du numérique ?

Savez-vous pourquoi la plupart des décisions rendues par le précédent conseil ne sont plus accessibles sur le site du CNN ?

Le Président de la République a annoncé que près de vingt milliards d’euros d’investissements publics et privés seraient consacrés sur dix ans au déploiement du très haut débit. Or le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a évalué, lui, le besoin de financement au triple. Quelle est votre estimation personnelle, et quel jugement portez-vous sur le plan annoncé ?

Le Gouvernement a exprimé sa volonté de mettre en échec les techniques d’optimisation fiscale auxquelles ont recours les géants d’Internet, privant ainsi l’État de ressources alors qu’ils utilisent les infrastructures et les services publics de notre pays et qu’ils réalisent des bénéfices grâce aux consommateurs français. Que pensez-vous de la proposition de MM. Colin et Collin de taxer l’exploitation des données personnelles des internautes ?

Enfin, dans un rapport commandé par l’Institut Montaigne et publié aujourd’hui, votre prédécesseur Gilles Babinet préconise la création d’un statut d’entreprise de croissance permettant d’appliquer au secteur une fiscalité dérogatoire et simplifiée et il suggère de mettre en place des réseaux d’entreprises françaises œuvrant à l’international afin de renforcer leur compétitivité sur les marchés étrangers. Il prône également la spécialisation de la France dans des secteurs tels que l’écologie, l’éducation ou la santé, sur le modèle de celle du Royaume-Uni dans l’e-commerce ou des États-Unis dans les réseaux sociaux, le cloud ou le mobile. Que pensez-vous de ces suggestions ?

Mme Isabelle Attard. L’installation d’un nouveau Conseil national du numérique nous semble extrêmement positive. Nous nous réjouissons tout particulièrement de la possibilité désormais ouverte à chacun de ses membres d’exprimer des avis dissidents.

Les mesures annoncées vous semblent-elles de nature à résorber l’iniquité dont souffrent notamment les territoires ruraux pour ce qui est de l’accès aux outils numériques ? Que préconisez-vous pour assurer une meilleure couverture numérique du territoire ? Selon nous, reproduire le mode de déploiement de l’ADSL reviendra à creuser encore le fossé entre les villes richement pourvues et les campagnes privées de tout. Si ce modèle avait été retenu pour l’eau et l’électricité, des régions entières de notre pays seraient encore privées de ces « commodités » !

Comment le CNN compte-t-il intervenir sur le plan en faveur du numérique annoncé le 20 février par le Président de la République ? Le programme présidentiel de François Hollande ne s’attarde guère sur nombre d’enjeux essentiels : démocratisation de l’accès au savoir, ou « e-éducation », télétravail, open data, », « e-santé », amélioration de l’accès aux soins et aux spécialistes médicaux grâce à la télémédecine, contribution du numérique à la démocratie par l’établissement d’une relation de proximité entre les élus, les institutions, le Gouvernement et la population… Ces sujets feront-ils l’objet de recommandations du CNN ?

Celui-ci, nous avez-vous dit, a été consulté par le rapporteur du projet de loi de refondation de l’école : vous êtes-vous penchés sur l’usage des technologies numériques dans l’éducation, notamment pour la formation des professeurs ?

Nous savons que les data centers sont de redoutables consommateurs d’énergie. Le choix du précédent gouvernement de pénaliser les technologies d’échange de données peer to peer a contribué à aggraver leur impact sur l’environnement en favorisant l’augmentation du trafic des données depuis des serveurs situés à l’étranger. Que comptez-vous faire pour promouvoir les technologies d’échange de données les plus vertueuses du point de vue énergétique ?

Le 15 janvier, Fleur Pellerin nous annonçait que l’avis du CNN sur la neutralité du net, sujet qui nous tient particulièrement à cœur, serait publié le 28 février. À deux jours de l’échéance, pouvez-vous nous dire dans quelle direction s’orientent vos travaux ? Les écologistes sont extrêmement favorables à ce que la liberté d’expression soit enfin renforcée sur tous les réseaux de télécommunication. Pour paraphraser Benjamin Bayart, je dirai qu’il y a aujourd’hui des lois qui interdisent d’entraver le commerce, y compris sur Internet ; qui interdisent d’entraver la liberté de la presse, y compris sur Internet ; qui interdisent d’entraver une communication privée, y compris sur Internet. Rien en revanche ne permet de condamner un fournisseur d’accès Internet qui empêcherait ses clients de consulter le site du parti socialiste, par exemple. Trouvez-vous normal qu’un opérateur privé puisse ainsi décider de ce que nos citoyens ont le droit de voir ? J’espère que ce simple exemple vous aidera à réaliser l’importance de la neutralité du net pour le bon fonctionnement de notre démocratie. Nous devons incorporer rapidement ce principe dans notre droit, comme plusieurs pays l’ont déjà fait. Les opérateurs affirment certes que la régulation est importante pour garantir la qualité des échanges et leur propre survie économique, mais rien n’est plus faux et je serais ravie si nous pouvions échanger à ce sujet comme à d’autres lors du prochain dîner OVEI – « On vous explique Internet » –, organisé par Laure de la Raudière le mercredi 27 mars à vingt heures !

Mme Marie-Noëlle Battistel. La ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique, Mme Fleur Pellerin, a annoncé la semaine dernière un plan d’investissement sans précédent dans le très haut débit : 20 milliards d’euros sont prévus pour le déploiement de la 4G et, plus globalement, pour le développement de l’Internet. S’il faut se réjouir de cette politique ambitieuse et volontariste, nous ne pouvons oublier qu’il existe encore dans notre pays des « zones blanches » qui pénalisent les citoyens et les entreprises. Quels seront le rôle et les moyens du Conseil national du numérique pour aider à la résorption de cette fracture numérique ?

Mme Frédérique Massat. Conformément au souhait de Mme Pellerin, il est prévu d’associer à la définition du programme de travail annuel du Conseil national du numérique non seulement des parlementaires, mais aussi, et c’est une nouveauté, des représentants de l’Association des départements de France (ADF), de l’Association des régions de France (ARF), de l’Association des maires de France (AMF), de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et de l’Association nationale des élus de montagne (ANEM). Comment comptez-vous organiser cette participation ?

En juin 2012, 265 000 foyers étaient encore en zone blanche et non éligibles à l’ADSL, et 42 % des lignes n’offraient pas un débit suffisant pour disposer de l’intégralité des usages tels que le triple play. La question du déploiement des infrastructures reste donc posée, notamment dans les territoires de montagne.

Un ancien président du Conseil national du numérique, M. Gilles Babinet, a réclamé récemment la suppression de la CNIL : « Il faut fermer la Commission nationale informatique et libertés. Avec sa régulation excessive, c’est un ennemi de la nation », a-t-il déclaré, déplorant l’existence d’« archéo-rétrogrades qui veulent conserver un État hypercentralisé et dont la CNIL serait le porte-drapeau ». Quelle est votre propre opinion concernant la CNIL ?

M. Frédéric Barbier. Comment voyez-vous l’évolution du commerce de proximité face au développement du commerce en ligne ? Les petites librairies, les commerces de chaussures, mais également les grandes enseignes souffrent de cette concurrence. N’y a-t-il pas là une menace pour l’emploi dans ce secteur et pour la vitalité des centres villes ? Comment conjuguer la croissance du e-commerce et le maintien d’un commerce de proximité dynamique ? Serions-nous en face d’une évolution inéluctable ?

M. le président François Brottes. Avant de vous laisser la parole, permettez-moi une dernière question : la proposition de loi du groupe écologiste visant à prévenir les risques liés aux ondes électromagnétiques ayant été renvoyée en commission, nous entendrons prochainement, comme je m’y étais engagé en séance publique, les ministres Fleur Pellerin et Delphine Batho sur l’application du principe ALARA (as low as reasonably achievable) au déploiement de la 4G et de la wifi. Le Conseil national du numérique a-t-il débattu de la question de la sobriété en matière d’émissions d’ondes électromagnétiques, sobriété que mes collègues du groupe écologiste et moi-même appelons de nos vœux ?

M. Benoît Thieulin. Depuis peu de temps, on observe l’émergence d’une culture low tech au sein du nouvel univers numérique. Le changement profond que nous vivons est dû autant à des sauts technologiques qu’à des ruptures d’usage et d’organisation sociale, et l’on prend conscience du fait que l’innovation ne se résume pas à un « toujours plus » de technologie.

L’entrée de l’Afrique dans la révolution numérique est un exemple intéressant à cet égard, puisqu’il s’agit aussi d’un « saut de révolution industrielle ». Ne disposant pas toujours de réseaux filaires, les usagers se connectent autrement, recyclent de vieux téléphones et se saisissent avec rapidité et inventivité d’innovations comme le paiement par téléphone mobile ou la connexion par SMS à des sites Internet.

Si, comme je le pense, le numérique transforme profondément le monde et peut contribuer, pour peu que l’on pèse sur son évolution, au bien-être collectif et à l’intérêt général, il faut bien considérer que ses acteurs ne font pas qu’ajouter de l’innovation technologique à de l’innovation technologique et du consumérisme au consumérisme. Les mouvements que l’on voit émerger sont plus nuancés.

Il ne s’agit pas là, monsieur le président, d’une réponse à votre question sur les émissions d’ondes électromagnétiques – sujet que je connais mal et dont le CNN n’a pas été saisi –, mais je voulais indiquer que la révolution numérique ne se traduit pas nécessairement par une consommation exponentielle de technologie. Aujourd’hui, on souhaite aussi aller vers plus de sobriété : un concepteur de logiciel, par exemple, s’attachera à ce que son produit consomme moins de capacités de calcul.

J’en viens aux questions sur le fonctionnement et l’indépendance du CNN.

Vous avez raison de me reprendre sur l’expression « CNN 2.0 », madame de La Raudière. Cette boutade ne m’a pas empêché de saluer les travaux de mes prédécesseurs. Et je tiens à vous rassurer : c’est un problème technique lié à notre manque de moyens et non une volonté de censure qui a fait disparaître leurs travaux de notre site. L’accès est désormais rétabli.

Le CNN est composé de trente personnalités parmi lesquelles je n’ai pas voix prépondérante. Il ne me semble pas que cette composition reflète une quelconque proximité politique. Quant à savoir si le président est plus indépendant lorsqu’il est nommé pour trois ans, comme c’est le cas maintenant, ou lorsque, élu, il doit remettre en jeu son mandat tous les ans comme c’était le cas de mes prédécesseurs, cela peut se discuter. Nous demandons à être jugés sur pièces !

Du reste, comme Gilles Babinet et Patrick Bertrand le faisaient remarquer au moment du passage de témoin, les clivages concernant le numérique ont tendance à traverser les partis politiques en s’écartant des clivages traditionnels. Non que le numérique ne suscite pas des clivages forts et éminemment politiques, bien au contraire : ce sont probablement ces clivages qui structureront la vie politique de demain.

Quoi qu’il en soit, mon objectif n’est pas d’orienter les délibérations mais d’être un bon manager pour une équipe dont j’espère que ses avis seront utiles aux décisions du Gouvernement et de la représentation nationale. En tout état de cause, je le répète, si le curriculum vitae de chacun détermine en grande partie les positions qui s’expriment par exemple sur une réforme des retraites, il est loin d’en être de même sur les sujets très nouveaux relatifs au numérique.

S’agissant de la participation des élus à notre plan de travail annuel, nous attendons la désignation prochaine de neuf représentants, soit quatre parlementaires et cinq représentants des associations d’élus citées par Mme Massat. Lors du séminaire organisé il y a une quinzaine de jours, nous avons déjà discuté des sujets que nous aurons à traiter, mais nous serons ravis que les élus apportent leur contribution.

Je précise que le CNN a le pouvoir de s’autosaisir et qu’il a le droit refuser une saisine afin de rester maître de son ordre du jour, ce qui est une garantie de son indépendance : s’il s’estime légitime à éclairer un débat se déroulant au Parlement ou dans l’opinion publique, il a la possibilité de le faire. Ce dispositif fluide vous permettra de nous soumettre des questions sur lesquelles notre avis vous paraîtrait utile. En outre, si la ministre chargée de l’économie numérique propose les membres du CNN et nous a adressé notre première lettre de saisine, tous les autres ministres peuvent de même nous saisir. Nous ne sommes pas très demandeurs dans l’immédiat car nous venons d’ouvrir trois chantiers, mais cela se produira très certainement. Nous serons également heureux d’entendre vos suggestions.

Mme de La Raudière souligne à juste titre qu’il est difficile de trouver le bon périmètre pour traiter de l’avenir du numérique, qui se joue aussi bien dans les collectivités territoriales qu’à Bruxelles ou à Doha. Cela étant, la mission du CNN est d’éclairer le Gouvernement sur les enjeux qui concernent la seule France.

L’innovation se niche souvent dans les interstices des départements ministériels. À quel ministère, par exemple, rattacher prioritairement le débat sur les smart grids ? C’est bien pourquoi nous devons pouvoir être saisis par plusieurs ministres et ne pas nous interdire de répondre de façon plus globale à une question spécifique. Les évolutions ne répondent pas toujours à la logique du découpage administratif français, qu’il soit vertical ou horizontal. En nourrissant le débat public avec des vues un peu moins compartimentées, nous l’aiderons à se structurer.

Je ne connais pas le détail de la déclaration que Gilles Babinet a faite à Bruxelles au sujet de la CNIL. Pour ma part, je considère que la question des données personnelles est un enjeu clé. Si, comme l’indique le rapport Collin-Colin, les données sont le « pétrole » ou l’« or noir » de l’économie numérique des prochaines années, comment convient-il de révéler le travail et la transaction dissimulés induits par ce nouveau type d’économie et comment, le cas échéant, les fiscaliser ?

Quoi qu’il en soit, la confiance vis-à-vis des données et de leur usage est une nécessité. Ce n’est pas en affaiblissant des instances dont le rôle est, en principe, de rassurer qu’on la renforcera. Sans doute faut-il réfléchir aux nouvelles missions de la CNIL, à la nécessaire augmentation de ses moyens, à la bonne répartition entre le niveau européen et le niveau national, mais le maintien de cette institution, qui possède une belle histoire et une longue tradition de défense des libertés individuelles, me semble une évidence.

Pour tous les sujets que vous avez abordés, il s’agit d’abord de trouver un bon équilibre. L’Internet lui-même et son développement fulgurant résultent de l’équilibre incroyable qui s’est établi entre des forces contraires – en matière d’accès au réseau ou d’ouverture du code, par exemple. C’est pourquoi j’envisage notre rôle comme consensuel : nous essaierons de trouver les formules les plus aptes à assurer l’équilibre entre tous les acteurs, qu’il s’agisse de taxation, de protection des données personnelles ou d’autres sujets.

Le rapport remis par Gilles Babinet à l’Institut Montaigne comporte également des propositions sur les entreprises de croissance. On trouve là un écho aux débats fiscaux de cet automne, notamment à l’affaire des « pigeons ». En tant qu’entrepreneur, je crois que l’instabilité et la complexité du système fiscal posent beaucoup plus de problèmes que le poids des prélèvements. Sans doute devrons-nous mener une réflexion sur la simplification, notamment pour les entreprises particulièrement engagées dans l’innovation et la croissance. Mais nous devrons nous garder de limiter au numérique des phénomènes beaucoup plus larges. Par exemple, l’évasion fiscale pratiquée par les grands groupes aussi bien américains que français est avérée. Y a-t-il un bon angle pour traiter la question dans un secteur et pas dans les autres ?

Pour ce qui est des données, il existe plusieurs approches. On peut établir l’assiette sur les données elles-mêmes, mais il serait probablement paradoxal de taxer une ressource dont on escompte le développement. On peut alors estimer qu’il est trop compliqué de choisir cette assiette et préférer une taxe « comportementale » favorisant les bonnes pratiques, donc les entreprises offrant le plus de transparence, de stabilité et de garanties dans la gestion des données. C’est probablement cette dernière option que nous allons privilégier dans la concertation que nous devons animer.

Même s’il y a déjà eu différentes expériences en la matière, le Conseil souhaiterait aborder le sujet de la modernisation de la démocratie à l’heure du numérique. Des moyens considérables sont aujourd’hui à disposition pour intégrer les citoyens dans la vie publique. La réforme constitutionnelle de 2008 a notamment ouvert un droit de pétition que j’ai salué en son temps, même s’il n’existe pas encore de loi organique en permettant l’application. Comme l’initiative citoyenne européenne, qui reste elle aussi difficile d’accès, il s’agit d’une percée démocratique.

Il faut y ajouter d’autres pratiques non institutionnelles. L’usage que M. Lionel Tardy fait de Twitter, par exemple, s’apparente à une démocratisation du lobbying : les réseaux sociaux permettent à toutes les parties prenantes, et non plus aux seuls lobbies installés, d’interpeller les élus.

M. le président François Brottes. C’est le cas depuis que l’Internet existe. D’autre part, Twitter cantonne à une expression lapidaire.

M. Benoît Thieulin. Vous avez raison. Mais Twitter permet à l’élu de ne plus être seulement sollicité, comme c’est le cas avec le courrier électronique : vous pouvez retourner la question. Le rapport est inversé puisque le député indique le sujet de sa réflexion et appelle à des contributions. Reste que l’on ne peut en effet organiser un débat à coups de messages de 140 caractères !

Les débats de l’Assemblée nationale pourraient également tirer profit d’outils de simulation, de discussion ou de collaboration en temps réel.

M. le président François Brottes. Il n’est pas toujours facile de concilier le « temps réel » et la sérénité nécessaire à la réflexion.

M. Benoît Thieulin. Par définition, le débat se fait en temps réel. Il est difficile, pour un parlementaire, d’évaluer les conséquences de l’amendement qu’il défend sur l’ensemble de l’« écosystème » juridique. Plus spécifiquement, comment apporter une modification à un projet de loi de finances si l’on ne dispose pas d’un logiciel permettant d’en simuler les conséquences ? Aujourd’hui, il existe sans doute des outils d’aide à la décision pour ramener sur un terrain concret des débats même très vifs.

Autre sujet que nous souhaiterions aborder : celui de l’éducation. On déplore souvent que la France et l’Europe n’aient pas su créer les premiers géants de la révolution numérique que sont Google, Amazon ou Apple. Si nous devons réfléchir aux causes de cette situation et aux moyens d’encadrer ces acteurs, il nous faut aussi réfléchir au coup d’après. La stratégie de filière menée par la France est très innovante à cet égard. Parmi les dix applications d’objets connectés les plus téléchargées, quatre ou cinq sont françaises. Les futurs champions et les petites pépites existent dans notre pays, encore faut-il les accompagner ! L’éducation nationale est un secteur très régulé et globalement protégé – les enseignements se font en langue française, ils se conforment à des programmes, etc. – mais les champs d’innovation y sont nombreux et nous serions heureux d’apporter notre contribution sur le sujet.

Cela m’amène à la question de nos moyens. Comme je l’ai dit, les trente membres du CNN sont bénévoles. Nous disposons d’un secrétariat général dirigé par M. Jean-Baptiste Soufron, mais on n’a toujours pas mis à notre disposition les trois rapporteurs prévus. Quant à notre budget de fonctionnement, il était de 20 000 euros l’année dernière et devrait diminuer en 2013. Les membres sont astreints à une réunion par mois mais leur participation à des groupes de travail dépend de leur disponibilité. J’espère donc que nous bénéficierons rapidement des moyens nécessaires de secrétariat et de soutien.

Pour ce qui est du commerce, monsieur Barbier, je ne vous cache pas mon inquiétude. L’extraordinaire performance d’une plateforme comme Amazon – que ses délais de livraison finissent par rapprocher du commerce de détail – invite à s’interroger sur la durabilité de l’ensemble du système de distribution. Nous serions heureux de contribuer à la réflexion sur le sujet.

M. le président François Brottes. Un pays sans magasins, il y a de quoi s’interroger !

M. Benoît Thieulin. Les indicateurs fiables font cruellement défaut en matière de numérique. L’observatoire du numérique avait d’ailleurs été créé pour que les organismes publics tels que l’INSEE et les organisations professionnelles déterminent un faisceau d’indicateurs rendant compte de la réalité. Les discussions provoquées par l’étude du cabinet McKinsey sur l’apport du numérique à la croissance en France le prouvent : il faut que l’État dispose de ses propres indicateurs pour déterminer dans quelles proportions le numérique crée de la croissance et de l’emploi. Je me garderai bien d’apporter une réponse : quand on voit la progression de certaines plateformes, on peut se demander si le solde des créations d’emplois sera positif.

Nous n’avons pas été saisis de la question des zones blanches, madame Battistel, mais nous aborderons forcément le sujet dans le cadre de notre réflexion sur l’inclusion numérique. Beaucoup de pistes innovantes, comme le « super wifi » en Grande-Bretagne, n’ont pas été explorées.

M. le président François Brottes. Il serait sans doute opportun que notre Commission établisse avec le Conseil national du numérique une coopération en amont de nos débats, comme elle pourrait le faire avec d’autres institutions comme le Conseil économique, social et environnemental. Nous avons quatorze ministères pour interlocuteurs. Le temps réel et Twitter ont leurs avantages, mais il n’est pas mauvais non plus de réfléchir au calme en disposant de travaux que vous êtes mieux à même que nous de mener.

D’ores et déjà, je vous invite à examiner la question de l’introduction du principe ALARA dans notre droit. Certes, la proposition de loi de Mme Abeille concerne plus le hardware que le software, mais une contribution de votre part avant le mois de juin serait la bienvenue.

Merci de vos réponses très complètes ainsi que de vos offres de service.

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Informations relatives à la commission

La Commission a nommé :

– M. Fabrice Verdier, rapporteur pour avis sur les articles 6 bis à 7 ter du projet de loi, adopté par le Sénat, portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports (n° 728) ;

– M. Thierry Braillard, rapporteur sur la proposition de loi relative au paiement des salaires et des loyers (n° 394) (sous réserve qu’il rejoigne la Commission) ;

– Mme Pascale Got, rapporteure sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2012-92 du 26 janvier 2012 relative à la partie législative du code forestier et harmonisant les dispositions de procédure pénale applicables aux infractions forestières (n° 712).

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 26 février 2013 à 18 h 30

Présents. - M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Jean Grellier, Mme Laure de La Raudière, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, M. Joël Giraud, Mme Pascale Got, Mme Annick Le Loch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, M. Jean-Claude Mathis, M. Dominique Potier, M. Bernard Reynès, M. Fabrice Verdier

Assistait également à la réunion. - Mme Isabelle Attard