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Commission des affaires économiques

Mardi 25 novembre 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 17

Présidence de M. François Brottes Président
et de
Mme Frédérique Massat Vice-présidente

– En application de l’article 13 de la Constitution, audition, ouverte à la presse de M. Jean-Bernard Lévy, dont la nomination en tant que président-directeur général d’EDF est envisagée par le Président de la République, puis vote sur cette nomination

– Examen pour avis du projet de loi de finances rectificative pour 2014 (n° 2353) (M. François Pupponi, rapporteur pour avis) 16

– Examen pour avis de la proposition de loi constitutionnelle de MM. Éric Woerth et Damien Abad visant à instaurer un principe d’innovation responsable (n° 2293) (M. Philippe Kemel, rapporteur pour avis)

En application de l’article 13 de la Constitution, la commission a auditionné M. Jean-Bernard Lévy, dont la nomination en tant que président-directeur général d’EDF est envisagée par le Président de la République, puis vote sur cette nomination

M. le président François Brottes. La Commission des affaires économiques doit rendre un avis préalable sur la nomination, envisagée par le Président de la République, de M. Jean-Bernard Lévy à la direction d’EDF.

Parmi les cinquante et une personnalités listées dans la loi organique du 23 juillet 2010, treize doivent faire l’objet d’un avis de notre Commission, ce qui place celle-ci au deuxième rang des Commissions les plus sollicitées sur le fondement de l’article 13 de la Constitution.

Conformément au dernier alinéa de cet article, le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque Commission compétente de l’Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux Commissions. Le dépouillement se fait simultanément dans nos deux instances.

Jean-Bernard Lévy est la personnalité pressentie pour occuper les fonctions de président-directeur général d’EDF. La presse nous a quelque peu émus ce week-end en annonçant que la passation de pouvoir avait eu lieu entre M. Proglio et lui, ce qui a conduit certains de nos collègues à me demander à quoi bon nous réunir cette semaine. Le mandat de M. Proglio se terminant le 22 décembre, il était nécessaire de désigner, par ordonnance, une personne assurant l’intérim : M. Lévy est donc actuellement président par intérim d’EDF, mais n’est pas pour autant président de plein exercice.

La présente audition est publique. Le scrutin est secret et doit avoir lieu hors de la présence de la personne auditionnée. Ce vote ne peut donner lieu à délégation. Le dépouillement sera effectué par deux scrutateurs, les plus jeunes présents. Conformément à l’article 5 modifié de l’ordonnance du 17 novembre 1958, la Commission des affaires économiques du Sénat ayant déjà procédé à l’audition de M. Lévy, le dépouillement du scrutin aura lieu immédiatement après le vote. Il m’appartiendra ensuite de communiquer le résultat du vote à la présidence de l’Assemblée nationale, puis de vous en informer lors de la prochaine réunion de notre Commission.

M. Lévy est un industriel reconnu, qui a également occupé des fonctions au sein de l’État. Pour notre Commission, EDF est un acteur stratégique sans lequel rien ne peut réussir en matière de transition énergétique. Avec le changement de statut, l’ouverture à la concurrence par les directives européennes, la séparation des fonctions de production, de distribution et de transport, EDF a connu une série d’évolutions qui nous ont conduits, avant même le débat sur la transition énergique lancé par la Commission spéciale que j’ai l’honneur de présider, à mettre sur pied une Commission d’enquête sur les coûts de l’énergie nucléaire, dont le rapporteur était M. Baupin, ainsi qu’une Commission d’enquête sur les tarifs, dont la rapporteure est Mme Valter et le président M. Gaymard – nous sommes un certain nombre à penser que la spirale de l’augmentation des tarifs, qui inquiète les consommateurs, industriels et ménages, n’est pas un passage obligé. Les députés de cette Commission suivent de très près ces questions, l’énergie étant l’un des éléments incontournables de la vie quotidienne de nos concitoyens.

M. Jean-Bernard Lévy. Mesdames et messieurs les députés, je me présente devant vous en tant que candidat, proposé par le conseil d’administration d’EDF qui s’est tenu il y a deux jours, à la présidence et direction générale de cette société. Je suis heureux de pouvoir partager avec vous ma vision des enjeux d’EDF pour les années à venir. Je suis fier et honoré d’être pressenti pour prendre la tête d’une grande entreprise de service public, une entreprise exceptionnelle qui contribue considérablement au bien-être de nos concitoyens, à la compétitivité de notre pays et à son rayonnement international, EDF étant un symbole de l’excellence française reconnu dans le monde. Je mesure le poids de ces responsabilités à la tête d’une collectivité humaine de 160 000 personnes, qui mettent leurs compétences et leur dévouement au service des près de 40 millions de clients d’EDF.

Je suis un ingénieur et un industriel, et je pense que ceci fait sens pour une entreprise comme EDF. Ma formation m’a conduit à l’École polytechnique et à Télécom ParisTech, puis j’ai passé plus de dix ans dans le service public : sept ans chez France Télécom et quatre ans en cabinet ministériel. J’ai aussi la fibre de l’entreprise, puisque j’ai travaillé ces vingt dernières années dans trois grands groupes privés français : le groupe Matra, où j’ai passé huit ans, le groupe Vivendi, dix ans, dont sept en tant que président du directoire, et le groupe Thales, dont je suis le PDG depuis deux ans.

EDF est une grande entreprise connue de tous, qui possède une image formidable auprès des Français. Ce groupe a toutes les armes pour réussir, au service des Français, des entreprises et des collectivités territoriales, et pour promouvoir la place de la France dans la bataille de la mondialisation. Si vous l’acceptez, je porterai pour EDF une grande ambition, à la mesure du parcours d’excellence de l’entreprise et de ses équipes, ainsi que des enjeux qui sont devant nous.

EDF est tout d’abord une grande entreprise française de service public. Sa première mission est de fournir à tous les Français, en permanence, une énergie à un prix qui respecte le pouvoir d’achat des ménages et contribue à la compétitivité des entreprises. La notion de droit à l’électricité montre combien cette mission de service public participe du contrat social. Grâce au savoir-faire des collaborateurs d’EDF, mais aussi à la perspicacité de mes prédécesseurs ces quinze dernières années, MM. François Roussely, Pierre Gadonneix et Henri Proglio, auxquels je rends hommage, EDF permet à ses clients de bénéficier d’une électricité à un prix modéré en comparaison des prix européens. Selon Eurostat, les ménages français payent l’électricité 35 % moins cher que la moyenne européenne, deux fois moins cher qu’en Allemagne.

La qualité de service est remarquable, y compris dans les moments critiques, où le sens de l’intérêt général des équipes d’EDF permet d’assurer la continuité du service ; chacun a en mémoire la mobilisation exceptionnelle des électriciens lors de la tempête de 1999. En outre, l’électricité produite par EDF est particulièrement peu émettrice de CO2 et respectueuse de l’environnement. Cela permet à notre pays d’être en pointe dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le savoir-faire d’EDF est unique au monde, grâce à l’expérience accumulée en matière de sûreté, en particulier de sûreté nucléaire, sujet sur lequel il n’est pas question de transiger. Dans un environnement incertain, où les événements géopolitiques peuvent remettre en cause l’accès d’un pays aux sources d’énergie, EDF offre en outre à la collectivité nationale la sécurité de son approvisionnement énergétique.

EDF est le fruit d’une vision stratégique et d’une excellence technique propres à notre pays. Notre système énergétique est de tout premier ordre. Il entraîne une filière industrielle très active dans de nombreux domaines, en particulier le nucléaire. Le volume d’investissement d’EDF en France est d’environ 9 milliards d’euros par an, et la référence EDF est essentielle à cette filière qui s’appuie sur de grands groupes, comme Areva et Alstom, ainsi que sur plus de 30 000 PME, lesquelles représentent le tiers des achats du groupe.

EDF joue également un rôle essentiel dans le développement équilibré des territoires, notamment par le biais de sa filiale ERDF, qui assure un maillage territorial de premier ordre grâce aux efforts de ses 35 000 collaborateurs sur le terrain.

EDF est en outre un employeur de référence. Elle est une des entreprises préférées des Français, toujours classée au sommet des tableaux de choix des ingénieurs à la sortie de nos grandes écoles. EDF accueille 6 700 alternants, un chiffre élevé, et a décidé récemment de relever son niveau d’embauche de manière à former dans les meilleures conditions la nouvelle génération d’opérateurs, de techniciens et d’ingénieurs, dans le domaine du nucléaire, principalement, mais aussi dans la production d’énergies renouvelables et les technologies de l’efficacité énergétique.

Vous avez récemment voté la loi de transition énergétique ; je voudrais dire quelques mots sur le rôle qu’EDF jouera en la matière. La transition énergétique est une opportunité essentielle pour EDF, qui a toujours su relever les lourds défis auxquels elle a été confrontée depuis sa création. Avec la transition énergétique, s’ouvre une nouvelle page, et je suis certain qu’EDF en sera un acteur majeur. La transition énergétique, tout comme la transition numérique qui impacte directement notre vie quotidienne, nos activités et nos métiers, est une opportunité enthousiasmante pour innover et développer de nouveaux savoir-faire, produits et services, et je suis sûr qu’EDF saura remplir cette mission.

Mon projet est tout d’abord qu’EDF devienne un acteur important des nouveaux services énergétiques. Ce marché croît en Europe de 5 à 10 % chaque année. EDF y est déjà présente, notamment grâce à l’acquisition récente de Dalkia. La vocation d’EDF est d’être présente sur l’ensemble de la chaîne de valeur, notamment la rénovation des logements, le conseil aux collectivités et aux industriels, la production décentralisée.

Il s’agit aussi de développer la production d’énergies renouvelables. EDF Énergies Nouvelles permet déjà à EDF de se positionner parmi les dix plus grands acteurs mondiaux des énergies renouvelables. Son socle historique est le formidable parc hydraulique construit tout au long du vingtième siècle. Ce parc est à présent relayé par des investissements dans le solaire photovoltaïque.

La transition énergétique, c’est aussi le renouvellement et l’optimisation du parc nucléaire. Le premier objectif est de réussir le chantier de l’EPR de Flamanville, qui doit être mis en service en 2017. Nous avons également à lancer un programme majeur dit de grand carénage, qui permettra d’allonger la durée de vie des centrales nucléaires construites entre le milieu des années soixante-dix et le milieu des années quatre-vingt-dix. Il comporte des bénéfices économiques majeurs pour notre pays et pour sa réindustrialisation. Il faudra bien sûr que ce programme respecte les prescriptions de l’Autorité de sûreté nucléaire.

La transition énergétique répond également à une contrainte environnementale et à des aspirations sociétales ; je pense en particulier au traitement de la précarité énergétique. Il est fondamental pour EDF d’être au rendez-vous de la transition énergétique. C’est une opportunité pour le développement du groupe et pour la pérennité du service public. La transition énergétique sera de même un levier pour fonder une nouvelle croissance permettant d’améliorer la compétitivité de notre filière énergétique au service des entreprises et de l’emploi.

EDF a devant elle des mutations d’une ampleur probablement sans précédent. J’évoquerai à cet égard cinq enjeux principaux. Le premier, qui me semble le plus important, est l’assainissement de la situation économique du groupe. Nous observons des retards préoccupants entre la trajectoire des tarifs, convenue avec les gouvernements successifs, et les tarifs constatés. C’est vrai des tarifs de gros, tels que l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), comme des tarifs de détail. Cet écart conduit EDF à augmenter chaque année sa dette : c’est par l’augmentation de l’endettement que le dividende peut être versé aux actionnaires. À mes yeux s’impose donc un rééquilibrage tarifaire. Celui-ci passe entre autres par une stabilisation, ou en tout cas une mise sous contrôle, de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), dont la croissance rapide est un souci. C’est à la condition de rééquilibrer son compte d’exploitation en France qu’EDF pourra rester l’un des tout premiers énergéticiens mondiaux. Un objectif difficile mais primordial.

Le second enjeu porte sur la conduite des projets et le développement des produits, en particulier dans le domaine nucléaire. L’ensemble de ces sujets seront pour moi une priorité essentielle, dès mon arrivée. Le premier est l’EPR de Flamanville 3, dont les délais, et sans doute les coûts, dérivent, et qu’il s’agit de livrer dès que possible. Le deuxième sujet est le projet britannique Hinkley Point, très important pour le succès d’EDF au Royaume-Uni, mais aussi dans le cadre du partenariat avec la Chine, un partenaire de trente ans d’EDF. Le troisième, dont il est beaucoup question actuellement, est la relation avec Areva, sur les produits comme sur les projets : Philippe Varin, pressenti pour présider prochainement aux destinées d’Areva, et moi-même auront à améliorer l’efficacité du partenariat entre EDF et Areva. Il s’agit désormais de coopérer. Le quatrième sujet, qui nécessite également une coopération avec Areva, est l’optimisation du coût des EPR. Nous constatons aujourd’hui des coûts élevés pour le prototype ; il faut parvenir à les faire baisser pour les EPR suivants. Enfin, des décisions devront être prises pour compléter le produit à 1 600 mégawatts par une offre dans la catégorie des centrales dites de moyenne puissance, autour de 1 000 mégawatts.

Le troisième enjeu porte sur les activités aval. EDF doit jouer tout son rôle dans la production décentralisée, les énergies renouvelables, les relations avec les collectivités territoriales, les services énergétiques. La révolution numérique aura également un impact fort sur EDF, lui permettant d’optimiser l’efficacité énergétique. De ce point de vue, le compteur Linky est une première application prometteuse, qu’il s’agit de déployer rapidement.

Le quatrième enjeu porte sur l’international. EDF est déjà très présente en Europe, principalement en Grande-Bretagne, en Italie, en Pologne, en Belgique et dans quelques autres pays. Au-delà, il s’agit de déployer une politique internationale en cohérence avec ses objectifs stratégiques, en particulier dans la relation avec nos partenaires chinois. Il me reviendra, si vous l’acceptez, de préciser ces objectifs et de concentrer les efforts et les moyens d’EDF sur quelques pays, dans une stratégie internationale cohérente.

Cinquième enjeu : la gestion des déchets à longue durée de vie. Le projet Cigéo est un dossier économique et technologique très important, notamment parce qu’il s’agit d’un legs aux générations futures. Il me semble nécessaire que soit rapidement trouvé un consensus entre EDF et l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), de manière à développer une filière du démantèlement et du traitement des déchets à longue durée de vie, filière qui n’existe pas aujourd’hui dans le monde et qui est pourtant une nécessité.

Je conclurai ce propos liminaire en évoquant mon projet managérial pour EDF. L’avenir du monde dépend pour beaucoup du secteur de l’énergie. EDF a de multiples potentiels de développement, en France comme à l’international. Les femmes et les hommes d’EDF, leurs talents, leurs compétences, leur engagement et leur passion du service public, leur sens du collectif, tous ces atouts permettront à l’entreprise de bâtir son avenir. Il faudra savoir mobiliser ces compétences au service d’une nouvelle aventure exaltante, pour que l’entreprise puisse continuer à innover, à entreprendre et à aller toujours plus loin. À mes yeux, EDF, grand énergéticien mondial, doit se doter d’un projet à moyen terme ambitieux. Il faudra tenir compte d’un nouvel environnement exigeant, stimulant, marqué par la loi de transition énergétique, le paquet européen climat-énergie et les résultats de la Conférence de Paris, COP21, fin 2015.

Pour rassembler l’entreprise autour d’une stratégie partagée, je compte engager un projet de transformation, qui impliquera un effort de transparence et de prospective. Les programmations pluriannuelles de l’énergie prévues par la loi de transition énergétique en seront une contribution essentielle. Dans ce cadre, le dialogue social aura toute sa place ; il permettra aussi de mobiliser les énergies dans le groupe. Je compte veiller à la transparence, laquelle est due aux actionnaires, en particulier l’État, de même qu’à la représentation nationale, et je serai heureux, si vous voulez bien m’inviter, de venir régulièrement devant vous.

EDF est le fruit d’une aventure humaine engagée il y a plus de soixante ans. Les femmes et les hommes qui ont fait son histoire sont fiers à juste titre des succès de l’entreprise et du service public. Les technologies et les savoir-faire développés en France grâce à EDF, qui nous sont enviés dans le monde entier, justifient l’attachement exceptionnel des collaborateurs à l’entreprise. Si vous l’approuvez, il m’appartiendra de relever avec eux tous ces nouveaux défis.

M. le président François Brottes. Je vous rassure, si vous êtes nommé, vous serez rapidement invité de nouveau ici pour échanger sur les questions que vous venez d’évoquer. Si j’ai bien compris, ce sera la transformation au service de la transition.

Je passe à présent la parole à nos collègues.

Mme Frédérique Massat. Avec le texte sur la transition énergétique qui vient d’être adopté par l’Assemblée nationale, l’une des missions d’EDF sera d’assurer le passage de 75 à 50 % de la part du nucléaire. Comment entendez-vous mettre en œuvre la feuille de route tracée par le Gouvernement ? Le grand carénage est de même un sujet dont nous discutons avec votre prédécesseur depuis longtemps. Dans la loi de transition énergétique, des mesures ont également été adoptées sur l’hydraulique : quel est votre sentiment à leur sujet ?

Le Gouvernement a annoncé, début novembre, le report de six mois de la réévaluation du prix de l’ARENH. Le rééquilibrage tarifaire, que vous avez évoqué, est certes une préoccupation, mais il y a aussi celle du consommateur. Il est normal que vous souhaitiez trouver des solutions pour réduire la dette d’EDF : proposerez-vous des économies internes ? Vous avez évoqué le seul compte d’exploitation en France ; avez-vous également des pistes de rééquilibrage sur les activités à l’étranger ?

M. Daniel Fasquelle. Il faut en effet mettre un terme à l’accroissement la dette du groupe et cesser de croire que tout peut être demandé à cette entreprise. Vous avez signalé qu’un rééquilibrage tarifaire s’imposait. Cela signifie-t-il dans votre esprit de nouvelles augmentations de tarifs, et si c’est le cas dans quelles proportions ? Ce n’est pas une question piège : je suis convaincu qu’il faut parler vrai aux Français, et que ce que le consommateur ne paie pas, c’est, à un moment ou à un autre, le contribuable qui devra le payer. Cacher la poussière sous le tapis, taire la réalité des coûts et donc des tarifs, est une mauvaise politique. Le dérapage de la CSPE est également un sujet majeur ; comment mieux contrôler son évolution ?

EDF a rencontré des difficultés en Grande-Bretagne dans le domaine nucléaire ; certaines unités de production d’électricité ont dû être rouvertes. Pouvez-vous faire le point sur la situation d’EDF dans ce pays, et plus généralement sur le développement international de l’entreprise ?

Je suis également resté sur ma faim s’agissant des nouveaux services et des réseaux intelligents, ce nouveau secteur qui s’ouvre devant vous. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Denis Baupin. EDF est une entreprise dont les écologistes attendent beaucoup. Elle peut être un champion de la transition énergétique, et les propos que vous avez tenus sur la nouvelle page qui s’ouvre et l’opportunité enthousiasmante que constitue la transition énergétique, doivent être salués. Je vous remercie d’avoir souligné la mue nécessaire du business model vers les énergies renouvelables et les nouveaux services énergétiques.

J’ai été surpris, toutefois, que vous classiez les énergies renouvelables dans le secteur aval, car cette production me paraît être tout autant en amont que la production d’électricité par d’autres secteurs. EDF est aujourd’hui un producteur important d’énergies renouvelables à l’étranger : nous souhaitons qu’elle le devienne en France, même si M. le président Brottes me rappellera peut-être que l’hydraulique est une énergie renouvelable largement produite par EDF.

M. François Brottes. À force de le répéter, ça finit par rentrer !

M. Denis Baupin. Comment se fait-il, par exemple, que le statut des travailleurs d’EDF Énergies Nouvelles soit moins attrayant que dans le reste du groupe ?

L’endettement de l’entreprise est évidemment une préoccupation pour tous. Or la Cour des comptes estime que le coût du grand carénage est d’environ 110 milliards d’euros. En outre, l’endettement du groupe sur le chantier de Hinkley Point se monterait entre 20 milliards, selon EDF, et 30 ou 40 milliards, selon la Commission européenne. Des investissements devront par ailleurs être réalisés dans le domaine de la transition énergétique, et des travaux engagés à la suite des évaluations complémentaires de sûreté. L’entreprise devra donc faire des choix. Vous avez indiqué que vous n’entendiez pas transiger avec la sûreté nucléaire, ce que nous approuvons, mais nous ne souhaitons pas que l’accumulation d’engagements et de dettes dans le domaine nucléaire devienne un frein à la transition énergétique. Pouvez-vous nous indiquer ce que sera votre philosophie relativement à cette question de l’endettement de l’entreprise, sachant, par ailleurs, que les coûts de fonctionnement du nucléaire ne cessent de croître ? La situation très périlleuse dans laquelle se trouve Areva en est une démonstration de plus.

La nouvelle position officielle d’EDF sur l’EPR de Flamanville est une mise en service en 2017. Nous savons cependant qu’il existe encore de gros problèmes sur le contrôle-commande. Ne s’agit-il pas plutôt, dès lors, d’une nouvelle date provisoire ? Aucun EPR ne fonctionne aujourd’hui dans le monde. Compte tenu de la situation d’Areva, quel sera par ailleurs le tour de table pour la construction du réacteur du projet Hinkley Point, un projet validé par la Commission européenne dans des conditions étonnantes, compte tenu des aides d’État accordées ?

Enfin, dans quelles conditions et selon quels délais comptez-vous mettre en œuvre l’engagement présidentiel de la fermeture de la centrale de Fessenheim, la plus ancienne et située sur la nappe phréatique la plus importante d’Europe, ce qui pose des problèmes de sûreté majeurs ?

M. André Chassaigne. Vous connaissez l’attachement des communistes à l’entreprise publique EDF. Si l’État détient aujourd’hui 84,48 % de son capital, 15 % de celui-ci est en Bourse. Vous venez d’une entreprise privée où l’État est présent à 26 ou 27 %, et où le capital flottant est de 47,84 %, et nous voyons arriver de nouveaux administrateurs tels que Laurence Parisot ou Philippe Varin. La politique que vous entendez conduire à la tête d’EDF ira-t-elle vers davantage de privatisation et de capitaux flottants, ou êtes-vous attaché à l’héritage historique de cette grande entreprise publique ?

Vous avez évoqué, à l’instant comme dans des interviews récentes, l’exigence de rééquilibrage des tarifs réglementés et d’une réévaluation du prix de l’électricité, en rappelant que les ménages français payaient 35 % moins cher que la moyenne européenne, moitié moins qu’en Allemagne. Quel serait, selon vous, un tarif pertinent ? Prendrez-vous en considération la précarité énergétique, les difficultés à se chauffer et à s’éclairer qui touchent 11 millions de Français, presque un Français sur cinq, qui ne reçoivent pas de jetons de présence et ne peuvent se payer ce droit élémentaire qu’est l’accès à l’énergie ?

Enfin, s’il convient certes de réagir à la dérive des montants de la CSPE, qu’entendez-vous par sa mise sous contrôle ? La CSPE sert à compenser les surcoûts liés à des missions de service public, telles que l’obligation d’achat liée à des choix de transition énergétique, la péréquation tarifaire pour des départements d’outre-mer ou la Corse, ou encore le maintien des tarifs de première nécessité. Cette mise sous contrôle aura-t-elle pour effet de réduire la rétribution pour surcoûts liés au service public ? Si c’est le cas, quels types de missions seront concernés ?

Mme Marie-Hélène Fabre. L’une de vos missions sera le renforcement de la coopération avec Areva. Vous connaissez la situation difficile de cette société, qui engage une révision de ses perspectives stratégiques et de son plan de financement. Élue d’une circonscription où est implantée l’usine de traitement de l’uranium Malvési, je souhaite vous demander quels engagements vous entendez prendre afin que les conventions fournisseurs-clients liant Areva et EDF s’établissent dans des conditions acceptables ? Enfin, l’équipe de France EDF-Areva telle qu’elle nous est présentée jouera-t-elle au plan national avec la même vigueur qu’au plan international ?

Présidence de Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la Commission

M. Jean-Claude Mathis. Vous n’avez pas abordé, il me semble, la question de la modernisation des réseaux d’ERDF. Par ailleurs, EDF, comme vous l’avez rappelé, compte 160 000 collaborateurs ; des départs en retraite étant prévus, cela suppose des embauches nouvelles. Sur quels critères se baseront celles-ci – quelle sera, par exemple, la part des métiers nouveaux ? Et quelle sera leur ampleur ?

M. Patrice Prat. Je souligne à mon tour l’importance de ce fleuron français qu’est EDF. Au moment où a lieu une profonde mutation du paysage énergétique, français, européen et mondial, je souhaite vous interroger sur les centrales à fioul d’EDF, qui interviennent au moment des pics de production, l’hiver, lorsque les besoins d’électricité sont les plus tendus ? Ces centrales ont-elles un avenir ? Qu’est-ce qui leur sera substitué si leur fermeture est confirmée, et que se passera-t-il en cas de besoins soudains ?

Si ces centrales sont fermées, quelles mesures seront-elles prises pour accompagner les salariés, ainsi que les territoires, dans la phase de reconversion des bassins d’emploi ? C’est d’une actualité brûlante dans ma circonscription. Il y a cinq jours, devant les syndicats de salariés, des responsables d’EDF ont annoncé la fermeture de la centrale à fioul d’Aramon. Je ne vous cache pas que cela a plongé l’opinion publique locale dans la stupeur, de même que les élus, de toutes sensibilités, ainsi, bien sûr, que les salariés. Dans des territoires qui sont déjà en souffrance, quelles mesures prendrez-vous pour que ces reconversions de bassin soient réussies ? Ce sera un sujet de vigilance pour nous.

M. Michel Sordi. Dans le contexte de l’endettement d’EDF, pensez-vous qu’il soit judicieux de fermer par anticipation des réacteurs autorisés à fonctionner ? Je pense à la centrale de Fessenheim. Nos collègues M. Mariton et M. Goua estiment que le coût de sa fermeture s’élèverait à 5 milliards d’euros, en tenant compte des indemnités que notre pays devrait verser à ses partenaires suisses et allemands. Le rapport Gallois explique que la décision de fermeture d’une centrale nucléaire doit revenir à l’exploitant ou à l’Autorité de sûreté nucléaire.

Je pense aussi aux 2 000 personnes qui travaillent, directement ou indirectement, sur Fessenheim. Sa fermeture serait un traumatisme. Il faudra bien sûr la fermer un jour, mais est-ce le bon moment ? Je rappelle que 300 millions d’euros ont été déboursés lors de la dernière grosse révision, et 18 millions dans le cadre des travaux post-Fukushima. Cette installation, que nous avons visitée avec M. Baupin et M. le président Brottes, fait aujourd’hui partie des plus sûres de France.

Présidence de M. François Brottes, président de la Commission

Mme Delphine Batho. J’ai été heureuse d’entendre que la transition énergétique était une opportunité qui permettrait à EDF d’écrire une nouvelle page de son histoire. Le renouvellement de la gouvernance sera-t-il l’occasion d’un audit de la situation de l’entreprise sous tous ses aspects ?

Quels que soient ses choix technologiques, nucléaire ou renouvelable, l’entreprise est confrontée à un considérable effort d’investissements de long terme dans les années à venir. Quel sera l’arbitrage entre la distribution de dividendes et l’investissement ? Je m’associe par ailleurs à la question d’André Chassaigne sur la part de l’État dans le capital ; vous avez entendu les annonces du Gouvernement sur les cessions d’actifs d’entreprises publiques, et vous connaissez les inquiétudes des agents de l’entreprise.

Je voudrais également vous entendre sur l’optimisation de la maintenance des réacteurs nucléaires. Vous avez évoqué le grand carénage, mais non la fermeture à venir de centrales. Pouvez-vous nous donner des éléments sur ce qu’a engagé EDF s’agissant de Fessenheim ?

Enfin, nous sommes un certain nombre à nous interroger sur la présence du directeur d’Areva au conseil d’administration d’EDF, celle-ci étant cliente de celle-là.

M. Éric Straumann. La seule divergence que nous avons avec M. Baupin porte sur les délais de fermeture de la centrale de Fessenheim : alors qu’il parle de 2016, nous voyons plutôt un horizon de réflexion à 2026 ou 2030. Le retard des travaux à Flamanville entraînera-t-il selon vous un report de la fermeture de Fessenheim ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Il est aujourd’hui difficile de mobiliser des investisseurs sur des projets d’énergies renouvelables, notamment du fait d’un niveau très faible des marges actuarielles des obligations. L’an dernier, EDF émettait des « obligations vertes » pour financer ses projets éoliens et solaires. Le 28 octobre dernier, EDF et Amundi ont annoncé un partenariat pour proposer, via une société de gestion commune, des produits d’épargne investis dans les énergies renouvelables, et plus particulièrement la petite hydroélectricité, les fermes solaires ou éoliennes, et l’efficacité énergétique. Pouvez-vous détailler ce projet ? Comptez-vous poursuivre cette politique de multiplication et de diversification des modes de financement ?

Par ailleurs, si l’entrée de M. Varin, futur président d’Areva, au conseil d’administration d’EDF peut avoir un sens du point de vue industriel, elle pose des questions en termes de transparence de la gouvernance entre clients et fournisseurs. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. le président François Brottes. Dans mon introduction, j’ai omis de vous souligner les travaux que nous avons conduits concernant l’impact du gaz de schiste sur le marché européen de l’énergie, ainsi que le travail d’Éricka Bareigts sur les zones non interconnectées, et celui sur les barrages hydroélectriques conduit par Marie-Noëlle Battistel. Je vous communiquerai l’ensemble de notre activité.

Mme Éricka Bareigts. Je m’associe, tout d’abord, à la question de M. Chassaigne sur la CSPE.

J’ai été, ensuite, alertée à de nombreuses reprises sur les rapports extrêmement tendus entre EDF et certains de ses concurrents en outre-mer. Je pense notamment à la difficulté d’avoir accès aux informations d’EDF. L’asymétrie entre cette dernière, qui, de par son statut privilégié d’opérateur historique, est présente sous une forme ou sous une autre à tous les niveaux de décision pour la production d’électricité, et ses concurrents, qui sont souvent, sur nos territoires ultramarins, des PME ou des ETI, se fait fortement sentir dans les appels d’offres.

Je pense également aux délais de raccordement des installations de production d’énergies renouvelables, sur lesquels les producteurs n’ont aucune visibilité, alors que ces délais conditionnent fortement la rentabilité de leurs investissements. EDF n’a pas toute la responsabilité, mais elle a été condamnée à plusieurs reprises pour des délais trop longs. À La Réunion, elle a ainsi été condamnée pour avoir mis plus de deux ans à raccorder ses concurrents. Comment comptez-vous apporter, tant aux pouvoirs publics locaux et nationaux qu’à vos partenaires et concurrents privés, des assurances concernant le respect d’une concurrence saine sur le marché de l’électricité en zones non interconnectées ? Nos territoires connaissent des difficultés économiques, environnementales et sociales : le taux de chômage y est de 30 % – 60 % chez les jeunes –, et nous devons absolument rendre les relations entre EDF et les partenaires locaux plus fluides et dynamiques, afin qu’elles soient créatrices d’emplois.

M. Jean-Luc Laurent. La création d’un plafond pour la production électronucléaire est la disposition la plus contestable du projet de loi sur la transition énergétique, ce qui m’a conduit, en tant que député du Mouvement républicain et citoyen, à voter contre en première lecture. Il s’agit en effet d’un mauvais coup porté à cette filière industrielle qui nous permet d’avoir une énergie nationale et garantit par conséquent notre indépendance. C’est une énergie sans gaz à effet de serre et, en termes de prix, attractive pour les entreprises et les citoyens.

Lorsque l’EPR sera en fonction, si la loi est votée, il faudra, pour respecter le plafond de production, fermer des réacteurs. Plusieurs options ont été ouvertes par la ministre de l’écologie, en laissant EDF faire des propositions comme opérateur : fermeture de Fessenheim ou d’autres réacteurs. Alors que plusieurs centrales sont potentiellement concernées et que le grand carénage doit permettre de réaliser des travaux importants, les inquiétudes grandissent sur le devenir des centrales, notamment à Gravelines, alors même que Réseau de transport d’électricité (RTE) a pointé des risques de coupures électriques du fait d’une production insuffisante à l’horizon 2015-2016. Quelles sont selon vous les difficultés qui se poseront à l’opérateur dans ce nouveau contexte, et quelles réponses pouvez-vous apporter face aux défis que je viens d’indiquer ?

M. Hervé Pellois. Depuis quelques années, EDF se positionne comme un pionnier des énergies renouvelables. Aujourd’hui, 85 % des moyens de production solaires et éoliens du groupe sont situés à l’international : États-Unis, Canada, Mexique, Israël. En France, la part du marché d’EDF dans l’éolien et le solaire reste minime, autour de 6 %. Alors que nous venons de voter le projet de loi de transition énergétique, pouvez-vous nous parler de la stratégie d’EDF pour développer les énergies renouvelables dans notre pays, notamment concernant l’éolien et l’hydrolien en mer ?

Vous êtes par ailleurs administrateur de DCNS, engagée dans ces mêmes filières. Allez-vous le rester ? Je pourrais vous poser la même question pour les autres mandats que vous exercez.

M. François Pupponi. Je poserai deux questions concernant des problèmes de santé liés à des installations exploitées par EDF. Tout d’abord, alors que tout le monde sait que la centrale du Vazzio, à Ajaccio, qui fonctionne au fioul lourd, est très polluante et dangereuse, car cancérigène, le préfet renouvelle l’autorisation régulièrement. Alors qu’EDF promet sa fermeture depuis des années, la centrale est toujours en activité.

Ensuite, EDF alimente la région parisienne par des lignes à haute tension qui traversent des villes très denses. La nouvelle réglementation interdit notamment de construire une école sous une ligne à haute tension, pour ne pas exposer des enfants en bas âge, mais que fait-on lorsque des écoles sont, depuis vingt ou trente ans, sous des lignes à haute tension ? Quelle position devrait, selon vous, adopter EDF vis-à-vis de ces secteurs urbains extrêmement pénalisés par la présence de ces lignes et où existent des équipements depuis très longtemps ?

M. Yves Daniel. Vous avez évoqué l’endettement d’EDF et les mesures à prendre pour maintenir les dividendes. Quels sont vos objectifs en matière de partage des résultats ?

Si votre carrière appelle les félicitations, elle m’incite à vous demander quelles sont les responsabilités que vous conservez dans les différentes structures dont vous avez été membre. Pouvez-vous également nous donner le montant des jetons de présence ou des indemnités correspondant à ces responsabilités, et nous indiquer ce que sera votre rémunération au poste de président-directeur général d’EDF ?

Enfin, quel sort entendez-vous réserver aux avantages acquis qui, historiquement, caractérisent la politique salariale d’EDF ? Plus généralement, vos grandes orientations en la matière sauront-elles concilier les impératifs du redressement de la France et la justice sociale ?

Mme Annick Le Loch. En Finistère, il existe trois îles qui sont des zones non interconnectées et sur lesquelles l’électricité est produite à partir de quantités considérables de fioul. La transition énergétique est donc, sur ces îles, une urgence qui prend tout son sens compte tenu des réserves d’énergies renouvelables dont disposent ces territoires, qu’il s’agisse du vent, de la houle ou du soleil. Qu’envisagez-vous donc pour ces zones non interconnectées ?

M. Frédéric Roig. Quel calendrier envisagez-vous pour le déploiement de Linky en milieu rural ?

Quels moyens comptez-vous mobiliser pour moderniser les réseaux dans ces mêmes zones rurales ? Les récentes intempéries ont en effet montré la vulnérabilité des réseaux aériens, et leur réparation nécessite des investissements conséquents, sans assurance qu’ils soient durables.

Enfin, entendez-vous développer la pratique des conventions d’insertion des publics en difficultés qu’EDF et ERDF passent avec les collectivités territoriales ? Quel est l’état de votre réflexion sur les efforts à entreprendre pour développer l’emploi dans nos territoires ?

M. Jean-Bernard Lévy. C’est un candidat qui n’est pas encore à la tête d’EDF qui vous parle et vous me pardonnerez donc par avance si je ne réponds pas de façon exhaustive à l’ensemble des questions qui m’ont été posées, notamment celles qui portent sur des sujets locaux.

Je commencerai par vous apporter quelques précisions sur les rééquilibrages tarifaires que j’ai évoqués, ce qui sera l’occasion de dire un mot de la CSPE, qui participe de la même problématique.

Dans un contexte très tendu, marqué pour EDF par une augmentation annuelle de sa dette nette, l’entreprise assurer néanmoins la modernisation des réseaux gérés par ERDF et la qualité du service. Cela implique une augmentation très sensible des investissements, qui ne peuvent qu’aggraver le poids de la dette. Dans ces conditions, j’ai moins l’intention de dresser un état des lieux ou de procéder à un audit que d’englober dans le projet d’entreprise ambitieux dont je suis porteur pour EDF l’ensemble des éléments qui contribuent à la situation actuelle, en gardant à l’esprit les objectifs fixés par la loi sur la transition énergétique, à savoir le passage de 75 à 50 % d’énergie nucléaire dans le mix énergétique français.

Il faut, dans un premier temps s’interroger sur les coûts de base et les économies possibles. Des efforts ont déjà été faits pour diminuer notamment les coûts de maintenance, mais sans doute des progrès sont-ils encore possibles pour optimiser la puissance effectivement disponible de nos réacteurs, abstraction faite de leur capacité de production théorique.

Il faut ensuite examiner les recettes. Ne nous voilons pas la face : la pression tarifaire qui pèse sur l’électricité est liée pour l’essentiel à une augmentation régulière – à deux chiffres – de la CSPE. Et, lorsque j’évoque une « mise sous contrôle » de la CSPE, je ne vise pas d’autre poste que celui lié aux obligations d’achat d’énergies renouvelables, dont les volumes ont fortement augmenté ces dernières années, créant selon moi des effets d’aubaine peut-être provisoires mais très alléchants pour les investisseurs dans ce domaine. Il importe d’avoir de cette contribution une approche globale, qui prenne en compte, au-delà des gains envisageables sur tel ou tel type de projet énergétique, les bénéfices que peut en attendre la collectivité tout entière. Partant, sans remettre en cause la part de la CSPE affectée au financement de la précarité ou à la péréquation en faveur des ZNI, il me semble que nous devons réfléchir au déséquilibre que constituent les conditions faites à certains investisseurs énergéticiens et aux conséquences qu’elles emportent sur les investissements portés par EDF.

Or je rappelle que ces investissements concernent non seulement notre parc nucléaire et notre parc hydraulique mais également le développement des énergies nouvelles, dans lequel EDF entend jouer un rôle majeur. J’indique à M. Baupin que, si j’ai parlé d’aval à propos des énergies renouvelables, c’est que, pour ce qui concerne les énergies produites localement à partir de la biomasse ou de la géothermie, elles s’apparentent davantage selon moi à des procédés de raccourcissement de la chaîne de production entre l’amont et l’aval qu’à la production centralisée, reliée au réseau à très haute tension, des grands parcs d’éoliennes ou d’hydroliennes et des grandes fermes solaires. J’ajoute en incidence, à l’intention d’Hervé Pellois, que, dès lors que je serai nommé à la présidence d’EDF, je démissionnerai évidemment de mes fonctions de P-DG et d’administrateur de Thalès et renoncerai donc à mon rôle d’administrateur de DCNS, ces dernières fonctions étant clairement liées à la participation que Thalès détient au sein de DCNS.

Pour en revenir au rééquilibrage tarifaire, qui doit concerner aussi bien le tarif de l’ARENH que le tarif final et la partie en croissance de la CSPE, il est donc nécessaire mais c’est au Gouvernement et non à EDF d’en décider.

Je n’éluderai pas la question de Fessenheim. Le projet de loi sur la transition énergétique prévoit de plafonner à 63 gigawatts la production nucléaire française. Cela signifie que la mise en service de l’EPR de Flamanville et son raccordement au réseau devront s’accompagner d’une réduction équivalente des autres capacités disponibles. Cela correspond approximativement à 1 600 mégawatts, soit près de deux tranches à 900 mégawatts. La première solution consistera donc à fermer la centrale de Fessenheim, à charge pour EDF d’étudier différents scénarios alternatifs, le choix final revenant au conseil d’administration et à l’État, actionnaire à 85 %.

En ce qui concerne AREVA, tout contrat signé sera respecté par EDF. Plus généralement, les relations entre les deux entités doivent à l’avenir se déployer, de part et d’autre, en toute sincérité, en toute loyauté et en toute transparence. La France n’a pas tant d’atouts qu’elle puisse se déchirer dans des querelles ridicules et incompréhensibles vues de l’étranger, qui plus est lorsqu’elles impliquent deux sociétés nationales contrôlées par l’État. Je connais Philippe Varin depuis fort longtemps, et nous aurons à cœur tous les deux de faire souffler un esprit nouveau sur les relations entre EDF et AREVA.

Débutant dans mes fonctions à titre intérimaire, je ne suis pas en mesure de répondre avec précision à la question de François Pupponi sur la centrale au fioul d’Ajaccio, pas plus qu’à celle concernant la qualité des réseaux dans le sud et le sud-ouest.

L’évolution du parc exige de prendre en compte le phénomène d’intermittence lié aux énergies renouvelables. À la différence de l’énergie hydraulique qui peut être utilisée à la demande, notamment grâce au pompage, les énergies renouvelables sont tributaires du vent ou du soleil. Nous devons donc réfléchir aux moyens de pallier ces intermittences de puissance sur le réseau, notamment dans les périodes de super-pointe. Cela implique d’étudier le sort qui doit être réservé au parc de centrales au fioul, dont certaines ne sont plus, ou ne seront prochainement plus, aux normes. S’il s’avérait malheureusement que certaines seraient fermées, je ferais en sorte que cela se fasse dans le respect du patrimoine humain qu’elles représentent, en tâchant d’anticiper chaque situation individuelle.

En ce qui concerne la présence de Philippe Varin au conseil d’administration d’EDF, ce n’est pas la première fois qu’AREVA et EDF partageront des administrateurs ; cela a par ailleurs été le cas entre AREVA et un autre grand énergéticien français sans que cela pose de problème particulier. Le comité d’éthique du conseil d’administration d’EDF s’est néanmoins saisi du sujet et, à ma connaissance, a d’ores et déjà fait savoir que lorsque M. Varin sera appelé aux fonctions qui seront les siennes chez AREVA, il ne sera plus considéré comme un administrateur indépendant. Des mécanismes seront mis en place de façon à éviter les conflits d’intérêts et la possibilité qu’il ait accès à des informations incompatibles avec ses autres responsabilités.

Daniel Fasquelle m’a interrogé sur le développement international d’EDF. À une période d’expansion tous azimuts sur tous les continents, dans tous les types d’énergie, aussi bien dans le domaine de la production et de la distribution, a succédé une période de repli : EDF s’est retiré du Brésil, de l’Argentine ou de l’Allemagne. J’entends pour ma part, plutôt que d’opter pour une politique d’investissements opportunistes, axer le développement international de l’entreprise autour de projets cohérents et pensés. J’entends procéder à une rationalisation du parc d’actifs dont EDF dispose à l’étranger dans le but de servir une stratégie globale.

J’aurais du mal à répondre avec précision à Éricka Bareigts sur les DOM. Sachez simplement qu’en matière de concurrence, comme dans les autres domaines, EDF applique la loi. Je sais la sévérité dont peut faire preuve l’Autorité de la concurrence, et je veillerai à ce qu’EDF garantisse l’accès équitable aux réseaux concurrents.

Jean-Pierre Le Roch m’a interrogé sur la diversification des modes de financement et le partenariat entre EDF et Amundi sur les énergies renouvelables. L’objectif est double : il s’agit, d’une part, d’utiliser l’expertise d’Amundi, sans doute le plus grand gestionnaire d’actifs installé à Paris, et, d’autre part, d’alléger le bilan d’EDF pour lui permettre de faire face à ses besoins d’investissement.

C’est enfin à l’État, actionnaire majoritaire, de décider de la politique de dividendes de l’entreprise, tout comme il lui revient de décider de la part qu’il souhaite détenir au capital. Quant à la rémunération du P-DG d’EDF, elle est également du ressort de l’État, qui l’a plafonnée, comme pour tous les dirigeants d’entreprise publique à 450 000 euros.

M. Yves Daniel. Parmi toutes les fonctions que vous avez occupées au cours de votre carrière, quelles sont celles que vous conservez ?

M. Jean-Bernard Lévy. Je n’occupe plus aucune fonction chez Orange, Vivendi ou Matra. Je suis aujourd’hui le P-DG de Thalès et, à ce titre, administrateur de DCNS, fonctions qui prendront fin quelques heures après la confirmation par décret en conseil des ministres de ma nomination à la présidence d’EDF, si toutefois vous l’acceptez. Je n’aurai donc plus aucune fonction dans les entreprises où j’ai précédemment exercé un rôle dirigeant.

Mme Marie-Noëlle Battistel. J’aimerais votre point de vue sur le développement de l’hydraulique. Quelle importance entendez-vous accorder à cette énergie dont les capacités de stockage importantes sont amenées à jouer un rôle essentiel dans la poursuite de l’objectif ambitieux que fixe la loi sur la transition énergétique en matière de mix énergétique ?

M. Jean-Bernard Lévy. Je suis particulièrement attaché à l’énergie hydraulique qui m’évoque la houille blanche dont on me parlait à l’école primaire, par opposition au charbon allemand ou anglais. L’hydraulique est une chance pour la France. Nous possédons un parc d’envergure, et d’importants investissements ont été faits pour le moderniser. Les techniques de repompage lui donnent notamment un second souffle en permettant des taux de réutilisation de l’eau très élevés.

M. le président François Brottes. Je vous remercie, monsieur Lévy, de vous être livré sans retenue particulière à cet exercice imposé. Je vais à présent demander au public de quitter la salle, afin que nous puissions délibérer et voter. Le dépouillement aura lieu en même temps qu’au Sénat.

*

Délibérant à huis clos, la Commission procède au vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination envisagée par M. le président de la République, de M. Jean-Bernard Lévy en qualité de président-directeur général d’EDF.

Les résultats du scrutin auquel il a été procédé sont les suivants :

Suffrages exprimés : 23

Avis favorables : 22

Avis défavorables : 1

Abstentions : 2

La Commission a émis un avis favorable à la nomination de M. Jean-Bernard Lévy en qualité de président-directeur général d’EDF.

*

* *

Puis la commission a examiné pour avis le projet de loi de finances rectificative pour 2014 (n° 2353) sur le rapport de M. François Pupponi.

M. le président François Brottes. Comme elle l’avait fait pour le projet de loi de finances initiale, notre commission s’est saisie pour avis du projet de loi de finances rectificative pour 2014, en ses articles 9, 16 et 22.

M. Denis Baupin. Peut-on savoir sur quels critères ont été retenus les articles examinés ? Pourquoi l’article 35, qui porte sur le CEA et pourrait donc concerner notre commission, ne l’a-t-il pas été ?

M. le président François Brottes. Selon un choix dont la responsabilité m’incombe, nous nous sommes limités, afin de nous inscrire dans une certaine continuité, à l’examen des articles qui touchaient au logement, comme nous l’avions fait pour la loi de finances initiale.

Je rappelle qu’en se saisissant pour avis du PLF, la commission des affaires économiques essuie les plâtres, ce qui n’est pas chose aisée et m’a contraint à faire un rappel au règlement en séance, afin que le président et la rapporteure générale de la commission des finances comprennent qu’il s’agit bien d’un droit, même s’il n’avait jusqu’alors jamais été fait usage de cette prérogative. Du reste, nous n’en abusons pas, ce dont, compte tenu de notre charge de travail, nous n’aurions d’ailleurs pas les moyens.

M. François Pupponi, rapporteur pour avis. L’exercice est utile et la Commission des affaires économiques, dont plusieurs amendements ont été retenus en loi de finances initiale, apporte, sur les sujets de sa compétence, une réelle plus-value.

L’apport essentiel de ce projet de loi de finances rectificative, c’est qu’il prolonge les zones franches urbaines (ZFU), ce qui doit être salué. Le mérite en revient pour une large part à notre commission et à la mission qu’ont conduite Henri Jibrayel et Michel Sordi, dont les conclusions auront su convaincre le Gouvernement de renoncer à la suppression de ces zones.

TITRE III
DISPOSITIONS PERMANENTES

I. – MESURES FISCALES NON RATTACHÉES

Article 9 : Contribution financière au développement de l’offre de logements sociaux

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 9 sans modification.

Après l’article 9

La Commission est saisie de l’amendement CE22 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Nous proposons que les opérations d’intérêt national qui bénéficient aux copropriétés dégradées soient exonérées de certaines taxes locales, à condition toutefois, comme cela devra désormais être la règle pour les exonérations d’impôts locaux, que la commune concernée ne s’y oppose pas. En effet, les compensations offertes par le Gouvernement pour ces exonérations ne sont pas toujours suffisantes pour maintenir le niveau de recettes de la commune.

M. Daniel Goldberg. L’amendement du rapporteur est excellent. Il s’appuie sur le dispositif des opérations de requalification des copropriétés dégradées (ORCOD) créé par l’article 65 de la loi ALUR, preuve, s’il en était besoin, que cette loi s’applique. La première opération de requalification est d’ailleurs en voie d’être lancée à Clichy-Montfermeil.

La Commission adopte l’amendement.

Article 16 : Dispositions favorisant la libération du foncier constructible et la mise sur le marché de logements en zones tendues

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 16 sans modification.

Article 22 : Prorogation et resserrement du dispositif d’exonération d’impôt sur les bénéfices applicables dans les zones franches urbaines (ZFU)

La Commission est saisie des amendements identiques CE16 du rapporteur pour avis et CE5 de M. Michel Sordi.

M. le rapporteur pour avis. Le texte du Gouvernement prévoit que seules bénéficient d’une exonération les entreprises qui se créent dans les zones franches urbaines. Nous proposons d’en faire également profiter les commerces de détail – dont il conviendrait sans doute de préciser la définition, par un sous-amendement en séance – déjà implantés qui ne bénéficient, eux, d’aucune exonération.

M. Michel Sordi. Je pense, en effet, qu’il faut étendre les exonérations aux commerces de détail déjà implantés dans ces quartiers.

M. Henri Jibrayel. On évitera ainsi une concurrence biaisée entre les commerces qui sont sortis du dispositif et ceux qui s’implanteront dans les zones franches urbaines à partir de janvier 2015.

La Commission adopte les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques CE15 du rapporteur pour avis et CE4 de M. Michel Sordi.

M. le rapporteur pour avis. Nous proposons de réintroduire la clause d’embauche locale qui existait dans le précédent dispositif, les habitants des ZFU étant, en effet, souvent massivement touchés par le chômage. Toutefois, alors que ces embauches locales devaient représenter 50 % des embauches totales dans le précédent dispositif, nous proposons de les ramener à 30 %, niveau qui a fait consensus dans le cadre du rapport Jibrayel-Sordi. Audrey Linkenheld entend soutenir un sous-amendement donnant à certaines collectivités la possibilité d’augmenter ce ratio à 50 % dans le cadre des contrats de ville. Je précise que l’on entend par main-d’œuvre locale les résidents des zones franches urbaines mais également des nouveaux quartiers prioritaires de la politique de la ville (NQPV) situés dans la même agglomération.

M. Henri Jibrayel. Les employeurs que nous avons rencontrés avec Michel Sordi dans le cadre de notre mission d’information nous ont fait part de leurs difficultés à recruter 50 % de main-d’œuvre locale. D’où notre proposition, avec l’accord des différents cabinets ministériels concernés, d’abaisser ce taux à 30 %.

M. Michel Sordi. Qui trop embrasse mal étreint, et une proportion d’un tiers de main-d’œuvre locale me paraît adaptée aux attentes et aux besoins des entrepreneurs.

M. Daniel Goldberg. Si ces deux amendements vont dans le bon sens, je suis sensible à la proposition d’Audrey Linkenheld, en particulier en ce qui concerne les zones franches urbaines qui couvrent des territoires très étendus. Je rappelle que ces zones franches ont aussi été créées pour développer l’emploi local et qu’il n’est pas forcément pertinent de revoir à la baisse nos exigences en la matière.

M. le rapporteur pour avis. Dans certains cas, recruter localement 50 % des salariés est extrêmement compliqué. Lorsque les zones franches urbaines et les NQPV sont plus étendus, c’est en revanche plus facile. Introduire de la souplesse dans le dispositif n’est donc pas une mauvaise chose, mais permettre à un contrat de ville de déroger à une exonération fiscale pose un problème juridique. Nous devons donc réfléchir à une proposition juridiquement acceptable.

La Commission adopte les amendements.

Puis elle en vient à l’examen des amendements identiques CE17 du rapporteur pour avis et CE6 de M. Michel Sordi.

M. le rapporteur pour avis. Nous proposons de prolonger les exonérations de fiscalité locale attachées aux ZFU, que le Gouvernement n’a pas reconduites dans le nouveau dispositif, choisissant de le limiter à des exonérations d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés.

M. Michel Sordi. Il est primordial, en cette période de crise, de maintenir les aides attachées aux ZFU. En Alsace, ce sont ces aides qui ont permis que des entreprises puissent rester sur le territoire national plutôt que de se délocaliser outre-Rhin, où le coût du travail est plus bas que chez nous.

La Commission adopte les amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques CE18 du rapporteur pour avis et CE7 de M. Michel Sordi.

M. le rapporteur pour avis. Il s’agit d’étendre, sauf délibération contraire de la collectivité territoriale concernée, les exonérations de fiscalité locale aux commerces de détail et de proximité situés dans les 1 300 quartiers prioritaires de la politique de la ville.

M. Michel Sordi. Les commerces de détail, qui contribuent à l’animation des quartiers, méritent, en effet, toute notre attention. Je suis plus réservé sur les exonérations accordées aux professions libérales, qui ont pu susciter quelques effets d’aubaine.

La Commission adopte les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques CE19 du rapporteur pour avis et CE8 de M. Michel Sordi.

M. le rapporteur pour avis. Au-delà des exonérations fiscales, les employeurs installés en zone franche urbaine bénéficiaient précédemment d’exonérations de cotisations sociales. Or le droit commun a aujourd’hui rattrapé les ZFU, jusqu’à devenir plus favorable. Nous considérons néanmoins qu’il est tout aussi important de favoriser l’embauche de salariés qualifiés dans ces zones, et proposons à cette fin d’exonérer de charges sociales la part de la rémunération comprise entre 1 et 1,6 SMIC des salaires allant jusqu’à 2,5 SMIC.

M. le président François Brottes. Voilà une proposition qui pourrait faire jurisprudence.

M. le rapporteur pour avis. On nous oppose surtout qu’elle risque de faire exploser l’enveloppe budgétaire prévue pour ces exonérations. Aussi conviendrait-il de figer le montant global de ces exonérations et de les contingenter, afin d’éviter les dérapages budgétaires.

M. le président François Brottes. Attention à ne pas casser la dynamique de l’emploi : tout chômeur qui retrouve du travail coûte, au final, moins cher à la collectivité que s’il était resté sans emploi.

La Commission adopte les amendements.

Elle émet ensuite un avis favorable à l’adoption de l’article 22 modifié.

M. le rapporteur pour avis. J’irai, demain, défendre nos amendements devant la commission des finances. Nous progressons, et je ne doute pas que, grâce aux efforts déployés par le président Brottes, nous puissions à l’avenir nous saisir de davantage d’articles encore.

*

* *

Puis la commission a examiné pour avis la proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un principe d’innovation responsable (n° 2293) sur le rapport de M. Philippe Kemel.

Enfin, à dix-neuf heures quinze, la Commission examine, sur le rapport de M. Philippe Kemel, la proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un principe d’innovation responsable (n° 2293).

M. le président François Brottes. La question de l’innovation et de la précaution anime depuis longtemps les débats au sein de notre commission. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité qu’à l’instar de la commission du développement durable, nous nous saisissions pour avis de cette proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un principe d’innovation responsable, que nos collègues du groupe UMP vont présenter dans le cadre de leur niche parlementaire, le 4 décembre prochain. Nous nous demanderons notamment s’il s’agit, pour M. Abad et les autres signataires, de faire marche arrière sur le principe de précaution inscrit dans la Constitution sous la présidence de Jacques Chirac.

M. Damien Abad. Cette proposition de loi n’entend nullement revenir en arrière. Elle vise une voie moyenne entre la fin du principe de précaution, souhaitée par ceux qui le considèrent comme un synonyme d’immobilisme voire d’irresponsabilité, et son maintien dans le bloc de constitutionnalité. Elle pose les bases d’un concept nouveau : le principe d’innovation responsable.

Ce texte opère la fusion de deux propositions de loi du groupe UMP : la première, d’Éric Woerth, visait à supprimer le principe de précaution ; la deuxième, dont je suis l’auteur, instaurait un principe d’innovation à côté du principe de précaution, afin de faire de ce dernier un principe de prudence plutôt que d’inaction, un principe de responsabilité plutôt que d’immobilisme.

Le principe d’innovation responsable que nous avons élaboré invite à oser, à faire confiance à la science et à la technologie pour développer l’innovation, qui est au cœur de la croissance économique : de nombreuses études ont montré qu’elle crée des avantages comparatifs et permet de développer l’emploi. Ce principe donne la primauté au progrès pour le placer au cœur de la politique économique et des choix technologiques de notre pays. Nous devons dépasser l’illusion du risque zéro : toute recherche, comme toute action du reste, comporte des risques. Il ne faut tomber ni dans le fanatisme positiviste ni dans l’obscurantisme.

Le principe d’innovation responsable renvoie au principe de responsabilité : présent depuis longtemps dans le droit français – responsabilité civile, responsabilité pénale ou encore responsabilité contractuelle –, il englobe à la fois le principe de précaution, le principe de prévention, le principe de réparation, les droits d’information et de participation, tous principes intégrés dans la Charte de l’environnement de 2004. En l’état actuel du droit, les chercheurs et les entreprises doivent prouver l’absence de risques dans leurs projets au lieu de mettre en avant les risques avérés. Ils sont astreints à une obligation de résultat plutôt que de moyens, ce qui conduit parfois à des situations qui suscitent des débats passionnés, comme sur le bisphénol A.

Le principe d’innovation responsable, combinaison du principe d’innovation et du principe de précaution, est équilibré et couvre un large champ, car le principe de précaution concerne non seulement l’environnement mais aussi l’agriculture et l’industrie où il est parfois source de blocages.

Il s’agit pour nous, non pas de revenir sur un choix politique que nous n’assumerions plus, mais d’avancer avec notre temps à travers une proposition novatrice dans laquelle chacun peut se retrouver. Il faut comprendre que la France doit se donner les moyens d’être un pays innovant si elle veut sortir des difficultés économiques qu’elle connaît.

M. Philippe Kemel, rapporteur. Le texte que nous examinons pour avis vise à déconstitutionnaliser le principe de précaution au bénéfice d’un principe d’innovation responsable. Nous considérons que ce n’est pas une bonne solution : ce nouveau principe comporte des lacunes particulièrement importantes et n’a pas de pertinence juridique. C’est la raison pour laquelle j’ai émis un avis défavorable à l’adoption de cette proposition de loi.

J’ai la conviction qu’il faut réaffirmer notre attachement au principe de précaution, à condition qu’il soit judicieusement mis en œuvre. Cela suppose donc, en corollaire, un véritable exercice de pédagogie, particulièrement à destination de l’opinion publique.

Une juste application du principe de précaution doit, bien sûr, éviter la paralysie de l’action publique face à l’incertitude scientifique. Cela suppose de prendre des mesures adaptées, le temps que la recherche scientifique évalue et maîtrise les risques. D’autre part, il doit permettre aux perspectives d’innovation les plus prometteuses de se développer.

Le principe de précaution n’a pas vocation à s’appliquer au stade de la recherche fondamentale ou en amont du processus d’innovation, sans quoi, de principe d’action il deviendrait principe d’interdiction. Il intervient, non pas au moment où l’innovation est encore au stade de l’idée, mais au moment où elle est mise en œuvre et où elle peut effectivement comporter des risques. C’est là que réside toute la nuance.

Dans la pratique, nous avons parfois pu assister à des dérives dans l’utilisation du principe de précaution, que ce soit dans les médias, la société civile ou même chez les responsables politiques. Le refus de principe opposé à la recherche sur les risques encourus par les technologies concernées relève d’une interprétation qu’il faut rejeter. Je crois cependant que cet exercice de pédagogie, pour être nécessaire, n’est pas suffisant. Il faut créer les conditions d’un meilleur équilibre entre précaution et innovation, par exemple, en reconnaissant juridiquement un principe d’innovation, complémentaire du principe constitutionnel.

Cette reconnaissance aurait plusieurs vertus. D’abord, elle apporterait un indispensable contrepoids au principe de précaution afin de circonscrire ses potentielles dérives. Il s’agirait alors de définir une politique plus stable dans laquelle l’innovation ne s’affranchirait pas des règles de précaution et où la précaution s’appliquerait en respectant la liberté et la créativité de l’innovation. Ensuite, au même titre que le principe de précaution, la reconnaissance d’un principe d’innovation enverrait un signal fort aux entrepreneurs, aux investisseurs, aux citoyens sur l’importance de l’innovation dans la conduite de l’action publique. Enfin, elle pourrait avoir des effets juridiques utiles, non seulement dans la conception des politiques publiques, mais aussi dans l’application de la réglementation par les services ministériels et les services déconcentrés, gage de souplesse et de réactivité dans le soutien apporté aux initiatives innovantes.

Néanmoins, je sais que cette définition du principe d’innovation reste diffuse, voire confuse. Des questions se posent : quelle serait sa portée juridique ? À qui s’appliquerait-il ? L’innovation ne doit-elle pas être d’abord l’affaire des individus ?

Esquissons-en les contours.

Il s’agirait d’abord d’un principe d’orientation. Il devrait pouvoir être invoqué par les responsables publics pour guider l’action publique, par exemple pour inclure un volet consacré à l’innovation dans l’ensemble des politiques publiques, tout en reconnaissant la primeur de l’initiative individuelle qui ne doit pas être inutilement contrainte.

Il pourrait être un principe opposable, et contenir un droit à expérimenter et être opposable à l’administration afin d’encourager la souplesse en matière de réglementation et d’expérimentation.

Il constituerait un principe de protection. Il devrait pouvoir être mis à profit pour garantir l’indépendance des chercheurs et l’encouragement donné à la recherche fondamentale, dont les aboutissements économiques ne se traduisent qu’à long terme, et à la recherche sur les risques pesant sur les secteurs innovants, afin de donner au principe de précaution toute sa cohérence.

À ces conditions, le principe d’innovation ne serait pas incantatoire et se traduirait par la mise en place d’un meilleur écosystème pour l’innovation dans notre pays.

Pour construire à côté du principe constitutionnel de précaution une règle d’innovation responsable qui serait une véritable pédagogie de la précaution, nous pourrions constituer un groupe de travail, par exemple avec l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), afin d’élaborer une proposition visant à inscrire ce principe d’innovation dans la loi.

Mme Delphine Batho. Cette proposition de loi constitue une grave régression intellectuelle. Il s’agit d’un texte très politique et idéologique qui s’en prend délibérément au symbole qu’est le principe de précaution. Il repose sur une méprise volontaire, car il feint d’ignorer que le principe de précaution est un principe de connaissance scientifique, source de progrès, puisqu’il implique pour l’État et les pouvoirs publics un devoir d’expertise en cas d’incertitude sur les risques.

Je rappelle, par ailleurs, que l’innovation est inscrite à l’article 9 de la Charte de l’environnement. Je fais également remarquer que la confusion est souvent faite entre principe de précaution, inscrit à son article 5, et principe de prévention, inscrit à son article 3. Ainsi, l’interdiction du bisphénol découle de l’application du principe de prévention et non pas du principe de précaution. Lorsqu’il est établi qu’une technologie entraîne des dégâts certains et irréversibles pour la santé ou l’environnement, il appartient aux autorités publiques de prévenir ces dommages en interdisant les substances en cause.

Ce texte renvoie à une erreur d’analyse sur ce qu’est le sens du progrès. Dans toute une série de domaines, aller dans le sens du progrès consiste aujourd’hui à prendre en compte les enjeux écologiques, qui me paraissent incontournables au XXIe siècle. Loin de s’en tenir à des notions obscurantistes, cela implique de mobiliser des connaissances scientifiques et de développer des innovations technologiques. Ce sont des scientifiques qui ont établi la réalité du réchauffement climatique ; ce sont des scientifiques qui ont établi la réalité des dégâts engendrés par certaines techniques comme le recours à la fracturation hydraulique pour l’extraction du gaz de schiste ; ce sont des scientifiques encore qui ont établi les conséquences néfastes pour la santé de certaines substances, notamment les perturbateurs endocriniens.

Vive la connaissance scientifique ! Nous en avons pleinement besoin pour appliquer le principe de précaution.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique.

Article unique

La Commission est saisie de l’amendement CE1 de M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Personne n’est dupe de l’offensive dont est l’objet le principe de précaution depuis de nombreux mois, voire de nombreuses années. Ceux qui la mènent, animés par une vision mercantile du progrès, sont ceux-là même qui pourraient revendiquer cette grande avancée de notre droit, voulue par un président de droite.

Il serait particulièrement stupide de supprimer de notre Constitution les termes mêmes de « principe de précaution » alors qu’ils sont consacrés par le droit européen et le droit international. Imaginons la complexité juridique que cela occasionnerait.

Le principe de précaution ne vient pas faire obstacle au progrès ; au contraire, il incite à développer les recherches scientifiques. Il est important de citer dans son entier l’article 5 de la Charte de l’environnement que ce texte entend modifier : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » Il s’agit bien d’un principe de responsabilisation qui conduit à améliorer les connaissances, et non pas d’un principe d’inaction.

Je vous renvoie aux propos du président de l’OPECST, Jean-Yves Le Déaut, au sujet des conclusions de l’audition publique du 5 juin 2014 consacrée au principe d’innovation : « Les constitutionnalistes présents ont toutefois fait remarquer que ce principe de précaution n’avait conduit ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d’État, ni la Cour de cassation à prendre des dispositions conduisant à l’inaction. Cette remarque conforte la conviction des promoteurs de l’innovation qui estiment que le principe de précaution est d’abord un principe d’action. »

À cet égard, il n’y a pas de rééquilibrage à opérer : le principe d’innovation est déjà contenu dans la Charte de l’environnement.

Enfin, inscrire dans la Constitution un principe d’innovation responsable reviendrait à instaurer un droit constitutionnel à contraindre l’innovation. De fait, l’innovation ne serait plus libre dans notre pays : les innovations devraient être encadrées, en fonction d’un critère de responsabilité qui donnerait lieu à toutes sortes de jurisprudences. Autrement dit, ce principe serait un frein à l’innovation. Je ne crois pas que ce soit exactement ce que souhaitent les auteurs, mais ce serait pourtant bien la conséquence de la substitution qu’ils veulent opérer.

Tous ces arguments plaident en faveur de l’adoption de mon amendement de suppression de l’article unique, sinon au retrait de la proposition de loi.

M. Damien Abad. Je suis en total désaccord avec vous, monsieur Baupin, excepté sur le dernier argument. L’équilibre entre principe de précaution et principe d’innovation mérite d’être approfondi.

Madame Batho, vous nous reprochez une « grave régression intellectuelle ». N’avez-vous pas compris que les Français en ont assez de votre arrogance permanente ? Vous n’avez pas le monopole de l’intellectuel.

Mme Delphine Batho. C’est une régression de la droite par rapport à elle-même : n’oubliez pas que c’est Jacques Chirac qui a contribué à inscrire le principe de précaution dans la Constitution.

M. Damien Abad. C’est toute la différence entre les propos du rapporteur, inspirés d’un travail de fond, et votre discours idéologique, dénué de tout intérêt.

Vous évoquez encore un « texte politique et idéologique ». Là, je dois avouer que vous savez de quoi vous parlez.

Sur le fond, j’entends certains arguments du rapporteur, qui a, du reste, reconnu que le principe de précaution était mal appliqué et que son interprétation pouvait donner lieu à des difficultés. Nous sommes, nous aussi, favorables à une mise en œuvre judicieuse, pour reprendre votre expression, monsieur Kemel.

Il y a une réflexion à mener, notamment sur la reconnaissance du principe d’innovation. Je suis de ceux qui pensent qu’elle doit être inscrite dans la Constitution pour être portée au même niveau que le principe de précaution, sur lequel le débat s’est d’ailleurs focalisé. C’est se méprendre sur les objectifs de cette proposition de loi de considérer qu’elle vise à supprimer ce dernier ; elle tend à instaurer un équilibre.

M. Denis Baupin. Bien sûr qu’il s’agit d’une suppression ! Vous voulez substituer le terme de « principe d’innovation responsable » à celui de « principe de précaution » !

M. Damien Abad. Nous sommes incapables, dans notre pays, d’avoir des débats dépassionnés : dès qu’il est question de principe de précaution, certains députés de la majorité sautent sur leur chaise comme des cabris. Aujourd’hui, la France a besoin d’autre chose que cette triste image.

Cette volonté d’équilibre n’est pas une idée que nous aurions eue seuls, Éric Woerth et moi-même. Elle a été mise en avant dès 2008, dans le rapport Attali pour la libération de la croissance, puis par l’audition publique sur le bilan du principe de précaution menée par l’OPECST, par le rapport de la commission « Innovation 2030 » présidée par Anne Lauvergeon, qui a préconisé l’adoption d’un principe d’innovation qui viendrait équilibrer le principe de précaution, ou encore par la proposition de loi de notre collègue sénateur Jean Bizet.

Je veux bien admettre que la notion de principe d’innovation responsable n’est pas totalement satisfaisante sur le plan juridique, mais je reste convaincu que le temps est venu de corriger certaines interprétations néfastes du principe de précaution, qui portent sur les risques potentiels et non sur les risques avérés. Cela passe par l’instauration d’un principe d’innovation de rang constitutionnel. Notre assemblée se grandirait à sortir des dogmes et des idées reçues qui font tant de mal à notre pays.

Mme Delphine Batho. Monsieur Abad, nous sommes parlementaires comme vous. Tout le monde sait lire ici. Il n’y a pas matière à discussion : l’article unique de votre proposition de loi supprime bel et bien le principe de précaution de la Charte de l’environnement défendue par Nathalie Kosciusko-Morizet lorsque Jacques Chirac était Président de la République. Cela me paraît être, je le répète, une grave régression intellectuelle de la part de la droite, s’agissant de la loi fondamentale de la République à laquelle nous sommes tous attachés.

Il n’y a pas un seul exemple d’application du principe de précaution qui ait bloqué quoi que ce soit dans notre pays. Les problèmes tiennent à l’absence de moyens d’évaluation publics et à la lourdeur de certaines procédures. Le mauvais procès que vous faites au principe de précaution d’aller à l’encontre du progrès et de la science est de pure idéologie. C’est exactement l’inverse, comme le montre l’article 5 de la Charte de l’environnement.

M. Jean Grellier. J’irai dans le sens du rapporteur, qui a parfaitement posé les enjeux du débat : nécessité de maintenir le principe de précaution dans la Constitution, accent mis sur la pédagogie pour établir un bon équilibre entre principe de précaution et principe d’innovation et éviter tout blocage. Je souscris à sa proposition de mettre en place un groupe de travail.

M. Philippe Kemel, rapporteur. Par la substitution qu’il propose, M. Abad tend effectivement à supprimer le principe de précaution de la Constitution. Ce faisant, il commet un réel contresens dans son interprétation.

Le principe de précaution est fondamental pour protéger l’espèce humaine contre les graves désordres que peuvent engendrer certains progrès scientifiques. Il est indispensable qu’il soit maintenu dans la Constitution.

Mme Batho a souligné avec raison que ce principe ne s’opposait nullement à une démarche de progrès, apportant chaque fois plus de qualité à la vie, dans le respect de l’environnement.

La question de l’innovation a toujours renvoyé à la question du sens. À ce titre, elle appelle une clarification afin que les interprétations idéologiques du principe de précaution ne donnent pas lieu à des dérives susceptibles de freiner l’innovation.

Mme Delphine Batho. Pouvez-vous me citer des exemples ?

M. Philippe Kemel, rapporteur. J’ai des exemples. Je les réserve pour le débat.

Je propose donc que nous menions une réflexion sur le principe d’innovation. Cette démarche intellectuelle collective, à un moment où la croyance dans le progrès est remise en cause, me paraît particulièrement opportune.

M. Denis Baupin. Je suis quelque peu surpris que le rapporteur réserve certains arguments pour le débat en séance publique.

Reconnaissons à M. Abad une certaine forme de bonne foi. Il dit ne s’être pas rendu compte que la substitution équivalait à une suppression du principe de précaution. Par ailleurs, il a bien voulu admettre que le principe d’innovation responsable n’était pas forcément pertinent. De fait, les entrepreneurs de ce pays et tous les porteurs de projets innovants n’apprécieraient pas forcément que l’innovation soit encadrée dans la Constitution.

Devant tant de contradictions, monsieur Abad, autant retirer votre proposition de loi. Nous pourrons en débattre à une autre occasion, une fois que vous aurez revu votre copie.

Mme Delphine Batho. Je ne suis pas favorable à la mise en place d’un groupe de travail. Il me paraît de nature à entretenir l’idée fausse selon laquelle l’inscription du principe de précaution dans la Charte de l’environnement constitue un frein à l’innovation. S’il y a un travail de fond à mener, c’est pour déterminer où se situent aujourd’hui les blocages en matière d’innovation. Il permettrait assez vite d’établir que le principe de précaution n’est pas en cause.

M. le président François Brottes. Pour ma part, je souhaite que notre commission ouvre un chantier sur cette question, qui n’est pas seulement de nature sémantique. Diverses personnes auditionnées, parmi lesquelles Mme Lauvergeon, ont établi un lien entre principe de précaution et innovation.

Si ce groupe de travail aboutit à la conclusion que le principe de précaution ne constitue nullement un frein à l’innovation, au moins la question aura-t-elle été clarifiée.

M. Damien Abad. Monsieur Baupin, vous avez bien voulu me faire crédit de ma bonne foi. Vous, par contre, êtes particulièrement de mauvaise foi. Vous prétendez que notre proposition de loi aboutit à la suppression pure et simple du principe de précaution alors que je n’ai cessé de répéter que le principe d’innovation responsable englobait, à nos yeux, l’innovation et la précaution. C’est une tentative de synthèse qui fait suite à ma première proposition de loi qui visait à établir un principe d’innovation en contrepoids du principe de précaution. Caricaturer les positions des uns et des autres n’est bon pour personne, d’un point de vue politique global.

En réalité, il y a deux hypothèses de travail : la première, que nous mettons aujourd’hui sur la table, consiste à élaborer un concept qui englobe précaution et innovation ; la deuxième, qui semble avoir la faveur de M. Kemel, consiste à travailler autour du principe d’innovation, à côté du principe de précaution.

Dans tous les cas, il y a un débat à mener. Un débat que certains d’entre vous refusent, Mme Batho allant jusqu’à prendre à témoin la Commission pour la mettre en garde contre la constitution d’un groupe de travail. Or des problèmes se posent à l’évidence. S’il n’y en avait pas, pourquoi certains chefs d’entreprise éprouveraient-ils le besoin de dénoncer dans la presse certaines applications du principe de précaution ?

Je souhaite que le groupe de travail évoqué par le rapporteur soit largement transpartisan, de façon que nous ayons un véritable débat sur les freins à l’innovation et sur l’impact du principe de précaution.

M. le président François Brottes. Nous allons demander à M. Kemel de piloter une réflexion autour des freins à l’innovation, innovation dont nous savons le rôle majeur dans le développement économique, au cœur des préoccupations de notre commission comme son nom l’indique.

Je demanderai maintenant à M. Baupin de bien vouloir retirer son amendement de suppression, car son adoption empêcherait notre commission de donner son avis sur la proposition de loi.

M. Denis Baupin. Monsieur Abad, vous semblez avoir la mémoire courte : la proposition de loi n° 2033, déposée en juin 2014, dont vous êtes le deuxième signataire tendait à supprimer le principe de précaution du bloc de constitutionnalité. Vous avez plusieurs cordes à votre arc : l’une pour demander la suppression, l’autre pour inscrire un principe complémentaire, une autre encore pour englober les deux principes en un seul. Mais toutes visent un seul et même but : remettre en cause le principe de précaution.

En accord avec la proposition du rapporteur de mettre en place un groupe de réflexion, j’accepte de retirer mon amendement.

L’amendement CE1 est retiré.

La Commission donne un avis défavorable à l’adoption de la proposition de loi.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 25 novembre 2014 à 17 h 15

Présents. - M. Damien Abad, Mme Ericka Bareigts, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Frédéric Roig, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Lionel Tardy, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Marcel Bonnot, M. Dino Cinieri, Mme Jeanine Dubié, M. Joël Giraud, M. Thierry Lazaro, Mme Audrey Linkenheld, Mme Marie-Lou Marcel