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Commission des affaires économiques

Mercredi 28 janvier 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 30

Présidence de M. François Brottes Président

– Examen de la proposition de loi visant à lutter contre le gaspillage alimentaire (n° 2492) (M. Jean-Pierre Decool, rapporteur)

La commission a examiné la proposition de loi visant à lutter contre le gaspillage alimentaire sur le rapport de M. Jean-Pierre Decool.

M. le président François Brottes. Mes chers collègues, je vais sans plus attendre laisser la parole à M. Jean-Pierre Decool, pour nous présenter une proposition de loi visant à lutter contre le gaspillage alimentaire.

M. Jean-Pierre Decool, rapporteur. Aujourd’hui, en France, de nombreuses personnes connaissent la précarité. Dans le même temps, notre société produit beaucoup plus que ce qu’elle consomme et gaspille des tonnes de nourriture saine tous les ans. Cette injustice, produit d’une société de consommation en crise, n’est plus tolérable. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative de déposer cette proposition de loi, cosignée par de nombreux collègues issus de tous bords politiques.

Ce sont les acteurs de la société civile de ma circonscription qui, connaissant mon engagement sur le sujet, m’ont alerté sur l’ampleur du problème du gaspillage alimentaire. Tandis que de nombreuses associations fortes de centaines de bénévoles, des collectivités territoriales, mais également des grandes surfaces et des entrepreneurs sociaux se mobilisent pour lutter au quotidien contre le gaspillage de la nourriture, l’État détonne par son faible activisme. Rien n’est fait aujourd’hui pour parvenir aux résultats ambitieux qu’il s’est fixés : la réduction de moitié du gaspillage alimentaire en France à l’horizon 2025. C’est cette carence que la présente proposition de loi entend pallier.

Certes, j’ai conscience qu’une mission parlementaire a été confiée à notre collègue, Guillaume Garot, qui a aussi été à l’initiative du Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Mais le diagnostic est connu, le temps presse et les solutions concrètes tant attendues tardent à venir.

La proposition dont vous êtes saisis aujourd’hui a pour objectif de susciter le consensus. Consensus des acteurs de la société civile, d’abord. La première version du texte que j’avais rédigée l’été dernier a évolué dans un sens satisfaisant pour tout le monde : les grandes enseignes, le milieu associatif et les nombreux citoyens qui m’encouragent dans ce combat. Consensus aussi des groupes politiques : sans aller jusqu’à parler d’union nationale, le bon sens voudrait que cette proposition crée l’unanimité sur nos bancs. Je ne conçois pas qu’on puisse décemment s’y opposer. Les acteurs de la société civile, qui regardent nos débats, en seront juges.

Quelques chiffres viendront éclairer votre réflexion. Au niveau mondial, la Food and agriculture organization of the United nations (FAO) a estimé que le tiers de la nourriture produite n’était pas consommé, ce qui représente 1,3 milliard de tonnes par an. Selon la Commission européenne, le gaspillage alimentaire dans l’Union européenne pèse 89 millions de tonnes par an, soit près de 180 kilos par habitant. À défaut de mesures efficaces, la Commission estime que ce niveau atteindra 126 millions de tonnes en 2020. Enfin, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), chaque Français jette en moyenne 20 kilos de nourriture saine par an, dont 7 kilos encore sous emballage.

Parmi les éléments susceptibles d’expliquer ce gaspillage, on retiendra la société de consommation qui n’attache plus à la nourriture une valeur aussi importante qu’avant, les pratiques commerciales de mise à l’écart de produits dont la qualité esthétique n’est pas parfaite, mais aussi la volonté de ne prendre aucun risque sanitaire qui entraîne souvent des comportements excessivement prudents, comme le fait de jeter un produit dont la date de péremption vient à peine d’être dépassée.

Au-delà du seul problème de société, le gaspillage alimentaire pose la question beaucoup plus large, écologique au sens propre, de la possibilité de nourrir 10 milliards de personnes à l’horizon 2050 sans assécher la planète, sans épuiser nos ressources naturelles ou engendrer de nouvelles guerres de la faim. Déjà aujourd’hui, 800 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde.

C’est pourquoi j’estime pertinent d’observer la question du gaspillage alimentaire à travers deux prismes : le prisme de l’écologie, pour contribuer à rendre nos modes de production de nourriture soutenables à l’échelle planétaire ; le prisme de la générosité, pour aider les personnes qui ne peuvent pas manger à leur faim.

Dans les deux cas, le gaspillage alimentaire est une négation de la valeur attachée à la nourriture, qui ne s’apprécie pas uniquement du point de vue marchand. La nourriture a aussi une valeur propre – c’est le fruit d’un travail – et une valeur sociale – c’est pouvoir manger à sa faim. Il est sans doute le symptôme d’une société de consommation qui n’est plus habituée à la pénurie. C’est pour lutter contre cette dérive que j’ai consacré ces derniers mois à l’établissement de propositions concrètes.

Avant de les expliciter, je souhaite lever l’objection qui m’a souvent été opposée de la nécessité d’une loi. Faut-il, par exemple, légiférer sur le don alimentaire qui se pratique déjà ? Je pense que oui. Dès lors que la loi encourage les comportements vertueux, elle peut conduire à développer des mœurs plus responsables. L’intervention publique est légitime, car elle permettra de faire bouger les lignes et d’adresser un signe d’encouragement à tous les acteurs qui se mobilisent au quotidien.

Pour autant, il ne faut pas penser qu’on pourra mettre fin au gaspillage alimentaire par décret. En particulier, il ne faut pas minimiser la part des obstacles culturels et sociologiques dans l’évolution des comportements de consommation vers plus de responsabilité. L’attitude face aux assiettes non terminées dans les restaurants en est un exemple typique : alors que les pays anglo-saxons admettent bien volontiers le principe du doggy bag, il existe en France un inconfort traditionnel à demander aux serveurs d’emporter les restes de nourriture chez soi. Plusieurs initiatives locales visent aujourd’hui à encourager les consommateurs à franchir le pas.

Les Français ne sont pas insensibles au gaspillage de la nourriture. Pour autant, les enquêtes sociologiques menées auprès des consommateurs montrent qu’ils sous-estiment largement la quantité de nourriture qu’ils gaspillent. C’est notre mission que de les sensibiliser plus largement. Dans cette perspective, une initiative de nature législative permet de donner, sur plusieurs fronts, une impulsion dans la lutte contre le gaspillage alimentaire.

En premier lieu, les actions de prévention demeurent prioritaires pour anticiper les comportements conduisant au gaspillage alimentaire. Il est possible d’intervenir en amont, dès l’école, pour que les futurs consommateurs que sont les enfants ne reproduisent pas les mauvaises habitudes et pratiques alimentaires qu’ils peuvent observer dans leurs familles. C’est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi, qui organise des actions de sensibilisation au gaspillage alimentaire dans les établissements scolaires.

En second lieu, les actions de nature curative visent à donner une seconde vie aux denrées alimentaires qui risquent d’être gaspillées, notamment dans les commerces de détail. Il s’agit, soit d’inciter les consommateurs à acheter des produits dont la date limite de consommation approche, soit d’orienter ces denrées vers le don alimentaire qui permettra, par le biais des associations caritatives, de soutenir les personnes en situation de précarité alimentaire.

L’article 2 a pour objet de prescrire un degré d’exigence minimale dans la lutte contre le gaspillage des commerces de détail à travers l’obligation de signer une convention de don des denrées invendues au profit d’associations caritatives. Par ailleurs, cet article grave dans le marbre la doctrine fiscale qui autorise la défiscalisation du don alimentaire des grandes surfaces, pour mettre un terme aux tentatives continuelles de la remettre en cause.

En dernier lieu, l’intervention législative a des visées réglementaires. Il s’agit, par une demande de rapport, d’inciter le Gouvernement à éclaircir les règles relatives aux dates limites de consommation et à la durabilité minimale des produits alimentaires, dont la méconnaissance par le grand public participe au gaspillage alimentaire. C’est l’objet de l’article 3.

Pour finir, soucieux d’améliorer le contenu de cette proposition de loi, j’ai procédé à de nombreuses auditions, toutes fascinantes. La dizaine d’amendements que j’ai déposée est de nature à renforcer les actions prévues par le texte.

M. le président Fraçois Brottes. Chacun reconnaîtra votre constance sur le sujet, cher collègue, et moi le premier. Il est difficile d’imaginer comment on pourrait s’opposer à votre démarche. Tous les parlementaires se sont un jour intéressés à ce sujet. Moi-même, j’ai lancé un projet de conserverie pour transformer les légumes voués à la poubelle bien qu’encore comestibles. Guillaume Garot, en particulier, a été le premier des ministres à lancer au niveau national une démarche contre le gaspillage. Il a été récemment chargé, sur cette question, d’une mission dont il remettra bientôt les conclusions.

M. Guillaume Garot. Je me réjouis que l’Assemblée se saisisse d’un sujet aussi rassembleur que le gaspillage alimentaire. Il intéresse les Français et suscite une mobilisation de plus en plus forte sur le terrain à travers les initiatives d’associations, d’entreprises, de grandes surfaces ou de producteurs. Il mérite que le législateur fasse en sorte de permettre à ces initiatives de s’épanouir et de tenir les objectifs que nous nous sommes fixés ensemble.

Lorsque j’étais en charge de l’agroalimentaire au Gouvernement, j’ai lancé le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, fixant l’objectif de diminuer de moitié le gaspillage dans notre pays à l’horizon 2025. Avant moi, Bruno Le Maire avait déjà posé quelques éléments d’action.

Cette question requiert à la fois détermination, constance et méthode. L’enjeu est de construire une véritable politique publique contre le gaspillage alimentaire. Aujourd’hui, les initiatives dispersées sur le terrain ne trouvent hélas ! pas de prolongement politique. Il faut passer à une nouvelle étape, car la bonne volonté n’est plus suffisante.

La présente proposition de loi est-elle de nature à fonder une politique publique contre le gaspillage ? À ce stade, je ne le crois pas. Le texte a le mérite de traiter de certains segments d’une politique contre le gaspillage, mais de façon restreinte et trop peu efficace. Certes, il faut sensibiliser les enfants, favoriser les conventions entre les grandes surfaces et les associations de solidarité sur le terrain, et réfléchir à la question des dates de péremption. Mais au-delà, il y a des sujets de fond que le législateur devrait aborder.

Comment, par exemple, mesurer le gaspillage ? Aujourd’hui, cette mesure repose surtout sur des estimations, il nous manque des données chiffrées vérifiables. Ce n’est pas le tout de dire que nous allons diminuer le gaspillage alimentaire de moitié d’ici à 2025. Encore faut-il savoir d’où l’on part et comment on progresse, année après année. Cette question est fondamentale pour engager une nécessaire politique contre le gaspillage alimentaire.

Le deuxième sujet est la mobilisation durable des acteurs. Rien ne serait pire que de lancer des initiatives pleines de bonnes intentions sans lendemain. Si nous voulons diminuer de moitié le gaspillage, la mobilisation locale doit être durable et animée en permanence. Autrement dit, il est impératif de donner une dimension territoriale à la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Le troisième point est la création d’outils efficaces contre le gaspillage. Il peut s’agir de choses extrêmement simples, pourvu qu’elles soient concrètes, et accessibles à chacun des acteurs de la chaîne alimentaire, du producteur jusqu’au consommateur. Par exemple, à côté d’une campagne nationale de sensibilisation, il faut aussi aider le principal d’un collège à lutter contre le gaspillage dans sa cantine et l’élu local à faire de même dans les maisons de retraite. Il faut surtout, s’agissant de ces outils, adopter une démarche de clarification juridique et de simplification des règles, car ce sont beaucoup de petits blocages qui empêchent d’être efficaces dans la lutte contre le gaspillage. Nous devons être précis et cohérents, ne serait-ce qu’au niveau des grands enjeux de cette politique. Malheureusement, cette proposition de loi ne couvre pas ce champ.

Nous devons également mettre en avant trois principes. Le premier est la responsabilité de chaque acteur face au gaspillage alimentaire : responsabilité du producteur, de l’industriel, de la grande surface, de l’association qui reçoit des dons et, bien sûr, du consommateur. Dans le travail législatif, nous devons veiller à ce que chacun puisse être mis en responsabilité et lui donner les outils pour exercer cette responsabilité.

Deuxième principe, redonner toute sa valeur à l’alimentation. On jette rarement du foie gras, mais beaucoup plus facilement des pâtes ou des fruits et légumes parce que l’on considère que ces produits n’ont pas de valeur. Je ne parle pas simplement de valeur marchande, je parle de la valeur culturelle de l’alimentation. La lutte contre le gaspillage passe par le respect de l’alimentation, donc par le respect du travail de celui qui a produit la nourriture. Il faut mettre en avant l’éducation à l’alimentation, la formation des personnels de cuisine dans les lycées, les collèges ou les maisons de retraite, mais aussi la formation des restaurateurs, bref, de tous ceux qui ont à voir avec l’alimentation, afin de valoriser l’acte de produire et de transformer.

Pour ce qui est du troisième principe, je le vois émerger depuis que je travaille sur le gaspillage alimentaire, c’est-à-dire depuis 2012 : c’est la naissance d’un nouveau modèle de développement. Lutter contre le gaspillage, c’est consommer autrement, mais c’est aussi produire autrement, et, d’une certaine façon, vivre ensemble autrement. Ce qui se joue dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, c’est bel et bien un choix de société en ce sens que la conscience qu’il faut éviter de gaspiller implique de modifier les comportements, les modes de production et de consommation, les façons d’enseigner, d’élaborer ou de se nourrir. Bref, c’est toute la société qui est interpellée.

Qui plus est, c’est un choix de société qui produit de la richesse, de l’activité et qui crée des emplois. Toutes les initiatives contre le gaspillage alimentaire sont très souvent créatrices d’emplois, telle l’association le Potager de Marianne, qui récupère les invendus de fruits et légumes à Rungis pour en faire des soupes et des jus. Le modèle économique qui est là en train de se développer permet de financer la création d’emplois d’insertion. Aujourd’hui, plusieurs dizaines d’hommes et de femmes en rupture sociale et professionnelle ont retrouvé une activité et une dignité dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, en créant de la valeur et en luttant contre un gâchis insupportable. Ce modèle a, de surcroît, une dimension éthique. Comment supporter que l’on jette aujourd’hui quand tant d’hommes et de femmes ont des difficultés à se nourrir correctement dans notre pays, et que près d’un milliard d’êtres humains souffrent de la faim à l’échelle planétaire ?

Le défi qui est devant nous concerne l’ensemble de la planète, et il est simple : en 2050, nous serons passés de 7 milliards d’êtres humains aujourd’hui à 9 milliards. Comment nourrir tout ce monde supplémentaire sur notre seule planète ? Selon la FAO, il faudrait augmenter de 70 % la production agricole. Je vous laisse imaginer le défi ! Dans le même temps, la FAO précise que 30 % de la production agricole mondiale sont aujourd’hui perdus, car, dans les pays en voie de développement, on ne sait pas stocker ni transformer sur place. Là est le défi alimentaire, et il nous concerne nous aussi, car lorsqu’on jette de la nourriture, c’est de l’énergie, de la capacité à produire et à créer de la richesse que l’on jette.

J’aimerais suggérer une méthode de travail. Le texte que nous examinons a le mérite de lancer le débat mais est toutefois très insuffisant pour fonder une politique publique contre le gaspillage alimentaire. Soucieux de participer à un travail collectif, je propose que nous reprenions ce travail sur la base du rapport que je dois remettre au Gouvernement à la fin du mois de mars, et qui sera riche des enseignements de 170 auditions, de nombreux déplacements sur le terrain et de dizaines de contributions écrites. Ensemble, nous pourrions élaborer une proposition de loi qui traiterait tous les aspects de la lutte contre le gaspillage, et qui pourrait être examiné au cours de ce semestre, dans le cadre d’une niche parlementaire. Ensemble, nous pourrions fonder une vraie politique contre le gaspillage, dotée d’un cadre législatif et d’une dimension contractuelle à l’adresse des acteurs de terrain, car c’est avec eux que nous construirons cette politique. Ne ratons pas cette occasion de faire preuve de l’efficacité et de la cohérence que les Français attendent de nous.

M. le président François Brottes. Si j’ai bien compris, cette proposition de loi pourrait être « intergroupes ».

M. Bruno Le Maire. Je serai bref, car ce que vient de dire Guillaume Garot me convient parfaitement. J’avais, en effet, posé les prémices de cette politique. Guillaume Garot l’a poursuivie en l’approfondissant. Les enjeux ont été parfaitement exposés.

Il y a, d’abord, un enjeu national, qui concerne directement nos concitoyens, lesquels sont très attachés à l’idée de sortir du gaspillage alimentaire. Je remercie Jean-Pierre Decool d’avoir déposé cette proposition de loi, à laquelle j’apporte tout mon soutien. Il y a, ensuite, un enjeu mondial : puisqu’on ne sait pas comment nourrir la planète, réduire le gaspillage peut constituer un moyen. Il y a, enfin, l’enjeu européen du programme d’aide aux plus démunis. Il est aujourd’hui financé par des moyens monétaires, mais si nous pouvions envisager d’autres possibilités, cela pourrait être un moyen de garantir, notamment aux Restos du Cœur et à d’autres associations, la pérennité de ce programme dans les années qui viennent.

Les bonnes idées, les plus simples, sont en général torpillées par les technocrates. Je le sais, pour en avoir suffisamment torpillé moi-même dans une vie antérieure ! Sur ce genre de sujet, le diable est dans les détails. Nous allons nous heurter à l’administration de la santé qui va nous mettre en garde pour ce qui concerne les dates de péremption. Elle va nous expliquer que nous prenons des risques en termes de responsabilité et que l’affaire est beaucoup plus compliquée que nous ne l’imaginons.

La proposition de Jean-Pierre Decool sur l’étiquetage, que je soutiens, va se heurter aux objections d’ordre économique que va opposer l’industrie agroalimentaire, laquelle va soutenir qu’il est impossible d’étiqueter davantage, car cela coûterait beaucoup trop cher. Le texte va également se heurter à des problèmes de responsabilité publique. Le principal de collège dira qu’il ne peut pas prendre de risques et qu’il faut utiliser des aliments frais. Tout cela demande donc un travail considérable.

Je soutiens totalement l’initiative de Jean-Pierre Decool et, de la même façon, j’estime que la proposition de Guillaume Garot est extrêmement intéressante. Nous devons pouvoir tomber d’accord sur une bonne articulation entre cette proposition de loi et ce rapport qui approfondirait le sujet, lequel est effectivement beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, même si l’idée de départ est bonne, simple et juste, et qu’elle dépasse largement les clivages politiques. Ce serait une bonne solution que de parvenir à un accord entre nous pour élaborer une proposition de loi plus étoffée.

Mme Brigitte Allain. Monsieur Decool, je vous remercie d’avoir mis sur la table un sujet qui met tout le monde d’accord.

J’ai annoncé, en septembre dernier, lors de la journée de la lutte contre le gaspillage alimentaire, mon souhait de présenter une proposition de loi sur ce sujet. J’avais, à plusieurs reprises, dans cette assemblée, avancé des propositions, qui ont eu un succès relatif, lors de l’examen du projet de loi de finances et du projet de loi relatif à la transition énergétique.

Le gaspillage alimentaire constitue un vrai fléau en France et dans le monde entier, alors que de nombreuses personnes souffrent de la faim, voire en meurent. Les plans successifs nationaux ou européens n’ont pas été à la hauteur de l’enjeu ni des objectifs fixés, car trop axés sur la communication. Il faut sortir de cette démarche.

Il est indispensable, aujourd’hui, de prendre des mesures fortes, d’autant que nos concitoyens y adhèrent. Les mesures soumises à examen sont intéressantes, comme le programme de sensibilisation dans les écoles sur le gaspillage, le don des invendus par les supermarchés aux associations caritatives via une convention ou le rapport sur la suppression de la date limite d’utilisation optimale (DLUO). Ces mesures, qui existent dans d’autres pays, doivent être mises en œuvre.

S’agissant d’un sujet qui touche de façon universelle notre citoyenneté, je ne rejetterai pas cette proposition de loi pour des motifs politiciens. Par contre, plusieurs éléments cruciaux ne sont pas pris en compte dans les mesures que vous proposez. Je pense à la surproduction des aliments et à la valorisation des déchets. Je souhaite aborder le sujet de la fourche à la fourchette pour nous éviter d’avoir à dire « de la fourche à la poubelle ».

Au bénéfice des spéculateurs qui jouent sur la fluctuation des prix, et au détriment des paysans et des consommateurs, nous épuisons nos ressources naturelles, car nous produisons beaucoup trop. De nombreux aliments restent dans les champs ou sont invendus dans les supermarchés et sortis des rayons qui débordent. Nous baignons dans l’opulence alimentaire. Nous pourrions avoir une gestion plus raisonnable de la production en définissant nos besoins alimentaires et nos capacités de commercialisation, dans le respect de la souveraineté alimentaire, en évitant la destruction de denrées alimentaires pour cause de surproduction. Nous devrions contrôler davantage les ratios entre les produits qui sont mis en rayon et ceux qui sont jetés. Autant de pistes que nous avons à creuser. C’est ce qu’a proposé M. Garot en évoquant la question du chiffrage.

Par ailleurs, créer des liens et des projets de territoire en s’orientant vers la production pour la consommation locale permet de réduire le gaspillage alimentaire, car produire, cuisiner et partager des aliments locaux, c’est valoriser une gastronomie locale qui relie de fait les générations et favorise les échanges culturels. C’est ce que nous confirmerons dans la mission d’information parlementaire sur les circuits courts.

J’ajoute qu’en France, les déchets alimentaires sont encore majoritairement enfouis ou incinérés. Ils sont responsables de 19 % des émissions de méthane, un gaz ayant un pouvoir de réchauffement climatique vingt-trois fois plus élevé que le CO2.

Monsieur Decool, vous êtes le premier à déposer une proposition de loi sur ce sujet. Elle présente des mesures intéressantes, mais vous conviendrez que les enjeux sont trop importants pour se contenter de ces trois articles et qu’il serait opportun d’adhérer à la proposition de Guillaume Garot.

M. André Chassaigne. Par définition, une proposition de loi n’offre qu’un cadre pour légiférer. Chacun sait qu’un texte de cette nature, examiné dans le cadre d’une niche parlementaire, ne permet pas d’aborder la totalité des questions liées à un thème ; ces propositions ne couvrent jamais la totalité du sujet. Ce manque d’exhaustivité ne saurait servir d’argument politicien pour rejeter le texte.

J’en appelle à une double éthique. Sur le fond, il s’agit d’apprécier la valeur du sujet abordé, en l’espèce le gaspillage alimentaire, dont une partie seulement est traitée. Mais il convient aussi d’observer une éthique parlementaire qui réclame que les niches parlementaires ne fassent pas l’objet de réponses à géométrie variable, alors qu’elles sont prévues pour donner sa noblesse au travail parlementaire. Il ne serait pas normal d’écarter ce texte au motif qu’il est porté par un député UMP.

Notre collègue Guillaume Garot a conduit une excellente réflexion, vraie et sensible. Il serait difficile de ne pas la partager. Il dessine à juste titre un projet de loi du Gouvernement comme l’objectif à plus long terme. Pourtant, est-ce qu’un seul élément de la présente proposition de loi serait en contradiction avec les observations qui ont été formulées, qu’il s’agisse de la mobilisation durable des acteurs sur les territoires, de la nécessité de campagnes nationales ou du chiffrage précis à obtenir ? Notre collègue Garot vante la simplification juridique et le recours à des outils faciles à utiliser. La proposition de loi s’y oppose-t-elle ?

Nous sont également opposés les principes de la responsabilité et de la valeur de l’alimentation. La proposition de loi n’y fait pas opposition non plus. Elle est plutôt un signal adressé à l’opinion publique. Notre groupe la soutiendra. Au-delà des clivages partisans, des membres du groupe GDR l’ont d’ailleurs cosignée. Sous la précédente législature, alors que j’appartenais clairement à l’opposition, il m’est arrivé de recueillir la majorité sur certains de mes amendements – je pense à celui portant sur les organismes génétiquement modifiés. Le soutien venait de tous les bancs ! Si le contenu concret d’une proposition nous convient, nous aurions tort de la rejeter. C’est aussi une question d’éthique.

M. Hervé Pellois. Notre collègue Jean-Pierre Decool a le grand mérite de nous réunir sur des enjeux importants au niveau national et mondial. Je voudrais saluer au passage l’ensemble des milieux associatifs qui mettent en place des actions contre le gaspillage alimentaire, que cette proposition de loi vise à favoriser. Force est cependant de constater que cette initiative entre en collision avec le rapport que Guillaume Garot remettra prochainement au Gouvernement. Aussi aurons-nous intérêt à en analyser le contenu en profondeur. Peut-être nous permettra-t-il de faire un examen plus pertinent du sujet que celui que nous conduisons aujourd’hui dans cette salle.

L’énorme gâchis commence dès le stade de la production, des récoltes entières restent parfois sur le champ. Les images de mise en décharge de matières parfois nobles nous choquent. Si les dons par les grandes surfaces sont déjà développés, il arrive encore que des palettes entières retournent chez les industriels, qui les détruisent au lieu de les confier à des organisations caritatives. La restauration collective connaît également des problèmes de gaspillage. La possibilité était évoquée tout à l’heure d’emporter les restes de son repas, et pour les plateaux entiers qui restent parfois intacts, la redistribution serait une meilleure issue que la poubelle.

D’autres initiatives peuvent prendre pour cible le consommateur. Les circuits de proximité rendent, par exemple, plus attentif aux contraintes du producteur, facilitant l’écoulement de pommes non standard. Il y aurait donc beaucoup à faire pour compléter l’article 2 de la présente proposition de loi. Il me semble que nous ne sommes pas à deux ou trois mois près.

M. Antoine Herth. Au nom du groupe UMP, j’apporte mon appui à notre collègue Decool. Sa proposition de loi s’inscrit dans la lignée d’un rapport de 2014 du Conseil économique, social et environnemental intitulé Favoriser l’accès pour tous à une alimentation de qualité, saine et équilibrée. S’y trouvent des éléments tant sur les dates limites de consommation que sur l’aide alimentaire, problématique qui concerne six millions de Français. Pour ma part, en 1995, j’avais publié un rapport au sein de cette institution, sur l’équilibre alimentaire mondial.

Nous sommes également ouverts à d’autres initiatives, telles que celles qui ont été annoncées par le ministre Stéphane Le Foll ou celles qui se dessinent à l’issue des travaux de la mission Garot. Comme l’a souligné André Chassaigne, une proposition de loi ne saurait, en effet, remplacer une politique publique plus globale poussée par le Gouvernement. Mais elle donne cependant les trois coups marquant le début de la pièce. Elle montre que le Parlement est en attente de solutions sur un sujet. Celle-ci propose des mesures limitées et ciblées, relatives à la sensibilisation des écoliers à l’article 1er, ou encore à la grande distribution, à l’article 2. Ces deux exemples sont autant de pierres apportées à l’édifice à construire, car le Parlement est prêt à prendre des initiatives sur ce sujet qui rassemble.

Notre collègue Guillaume Garot m’a presque fait peur, me rappelant mon expérience lorsque j’avais conduit une mission sur le commerce équitable, entendant des dizaines de personnes, sans plus savoir quel juste équilibre trouver entre l’action de l’État, la législation, le règlement, les initiatives des particuliers et du monde associatif. En tout état de cause, l’État ne saurait se substituer à tout. Le Parlement doit se garder de tout excès de bonne volonté qui étouffe les initiatives privées ; il convient, au contraire, de les accompagner.

Tout en marquant ma confiance à Guillaume Garot pour ses futures propositions, je réitère mon soutien à la démarche de notre collègue Jean-Pierre Decool.

M. le président François Brottes. Ce sujet nous rassemble. D’accord sur la nécessité d’agir, nous sommes néanmoins devant deux ou trois obstacles à lever, et le texte proposé n’est pas suffisamment armé pour infléchir les résistances. Pour vaincre les réticences et susciter l’adhésion de tous, du chemin reste à faire. La proposition, assortie des amendements du rapporteur, a déjà provoqué des remous, suscitant l’ire de supermarchés déjà engagés dans une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire. Je crois que l’adhésion des acteurs sera plus efficace que la coercition.

À ce sujet, notre collègue Guillaume Garot a de la suite dans les idées, tout comme le Gouvernement. Comme député du groupe socialiste, je crois que nous tenons maintenant un cap, avec pour objectif la promulgation d’une loi rapidement mise en application. Un texte plus complet sur le gaspillage alimentaire serait à déposer en commun par les groupes, ce qui serait une chose rarement vue. Au fond, il est impossible de voter contre un texte comme celui-là. Je n’ai, quant à moi, pas voulu envisager que l’issue de l’examen en séance publique puisse être le renvoi en commission, alors que nous sommes d’accord sur ce sujet. Aussi ai-je écarté cette hypothèse, pour des raisons à la fois politiques et éthiques.

Je préfère que nous nous servions de la proposition de loi de l’UMP comme support pour prendre date avec le Gouvernement au sujet du gaspillage alimentaire. Cela éviterait ainsi un vote négatif de la commission sur le texte, même si sa teneur en serait différente. Ainsi, le groupe SRC et le Gouvernement s’engageraient en séance publique à donner une suite aux travaux de la mission de Guillaume Garot, une fois connus ses résultats. La solution proposée n’est pas plus florentine que cela. Nous voulons éviter tant de manquer d’apporter notre soutien à notre collègue Decool, que de donner une fin de non-recevoir à une proposition relative à un sujet important. Les travaux de notre collègue Guillaume Garot devraient de toute façon aboutir dans les prochaines semaines.

M. le rapporteur. Je vous remercie, monsieur le président, d’adopter cette approche cohérente. Tous les propos entendus convergent vers l’intérêt général, au confluent de l’écologie et de la générosité. J’observe seulement que le parlementaire en mission nommé par le Gouvernement au sujet du gaspillage alimentaire le fut au lendemain d’une question que j’ai posée en séance publique sur ce même sujet.

M. Guillaume Garot. Il n’y a pas de lien entre les deux.

M. le rapporteur. Il s’agissait d’évoquer, durant la période estivale, les problèmes rencontrés par les associations spécialisées dans la ramasse – que je préfère, quant à moi, appeler la collecte organisée. Ma proposition de loi était initialement portée par des élus de tous bords ; mon collègue André Chassaigne en est cosignataire, ce qui me fait un plaisir extrême. Je souhaite que le texte qui pourrait être déposé à l’issue des travaux de la mission Garot puisse réellement faire l’objet d’une réflexion commune entre les groupes, allant au-delà d’une cosignature formelle.

Je vous invite à consulter, dans le rapport qui va paraître, le compte rendu des nombreuses auditions réalisées. Vous y apprendrez notamment que la position des enseignes de la grande distribution a déjà évolué. J’ai bon espoir que l’ensemble des groupes politiques puisse apporter une contribution efficace à la réflexion sur la question du gaspillage alimentaire, sujet à propos duquel une forme d’union nationale me paraît en tout cas souhaitable.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er : Sensibilisation à la lutte contre le gaspillage alimentaire dans les établissements scolaires

La Commission est saisie de l’amendement CE12 du président François Brottes.

M. le rapporteur. Par cohérence avec ma démarche initiale, je ne peux qu’exprimer un avis défavorable, sans pour autant rejeter le travail pluraliste à venir.

M. le président François Brottes. J’en prends acte. Soyez cependant assuré que, dussent les travaux de la mission Garot ne pas déboucher sur le texte envisagé, je serai cosignataire de votre prochaine proposition de loi.

M. Antoine Herth. Faut-il comprendre qu’en adoptant cet amendement, la proposition de loi ne serait plus réduite qu’à un seul article ?

M. le président François Brottes. Oui, mais sur le plan thématique, le sujet est élargi.

M. Antoine Herth. Plutôt qu’une proposition de loi, une proposition de résolution ne serait-elle pas, dès lors, plus adaptée ?

M. le président François Brottes. Les exemples ne manquent pas de propositions de loi ne comportant qu’un article unique demandant au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur un sujet donné.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement CE1 du rapporteur tombe, et l’article est ainsi rédigé.

Après l’article 1er

La Commission est saisie de l’amendement CE2 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit de faire en sorte que les établissements ou organismes d’enseignement, de formation professionnelle, de développement agricole et de recherche agronomique intègrent dans leurs cursus des modules dédiés à la sensibilisation et à la recherche de solutions contre le gaspillage alimentaire.

La Commission rejette l’amendement.

Article 2 : Convention d’organisation de la collecte de denrées alimentaires invendues par les grandes et moyennes surfaces

Contre l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CE13 du président François Brottes.

En conséquence, l’article est supprimé, et les amendements CE3, CE6, CE7, CE8, CE4, CE5 et CE9 du rapporteur n’ont plus d’objet.

Article 3 : Demande de rapport sur le sujet des dates limites de consommation des produits alimentaires

Contre l’avis du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CE14 du président François Brottes.

En conséquence, l’article est supprimé, et les amendements CE10 et CE11 du rapporteur n’ont plus d’objet.

La Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 28 janvier 2015 à 16 h 15

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Yves Daniel, M. Jean-Pierre Decool, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Corinne Erhel, M. Guillaume Garot, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Frédérique Massat, M. Hervé Pellois, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy

Excusés. - M. Jean-Claude Bouchet, Mme Jeanine Dubié, M. Joël Giraud, M. Kléber Mesquida, M. Dominique Potier, M. Bernard Reynès, M. Frédéric Roig

Assistaient également à la réunion. - Mme Brigitte Allain, M. Bruno Le Maire