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Commission des affaires économiques

Mardi 10 février 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de M. François Brottes Président

– Examen du rapport de la mission d’information sur l’impact du numérique sur le secteur touristique français (Mme Pascale Got, rapporteure)

La commission a examiné le rapport de la mission d’information sur l’impact du numérique sur le secteur touristique français sur le rapport de Mme Pascale Got, rapporteure.

M. le président François Brottes. Nous examinons cet après-midi le rapport de la mission d’information sur l’impact du numérique sur le secteur touristique français. La présentation de ce travail était prévue il y a quelques semaines, en présence du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du tourisme, mais l’actualité du pays nous a contraints à modifier notre calendrier. Je vous propose d’examiner le rapport dès aujourd’hui afin qu’il puisse être publié et diffusé, sachant par ailleurs que nous sommes en train de fixer la date à laquelle notre Commission auditionnera M. Laurent Fabius sur le tourisme. Le secteur touristique constitue pour notre pays un levier majeur de développement économique. Confronté à la révolution numérique, les acteurs concernés ne restent-ils pas un peu trop timorés ?

M. Daniel Fasquelle, président de la mission. La mission d’information que nous avons menée avec Pascale Got et plusieurs autres collègues a été créée au printemps dernier, à la suite de la table ronde organisée par notre Commission le 9 avril sur le thème du « tourisme français à l’épreuve de la concurrence ». Entre les mois de mai et novembre 2014, nous avons rencontré plus d’une centaine d’interlocuteurs issus aussi bien des structures traditionnelles du tourisme que de l’univers de 1’e-tourisme.

Permettez-moi de dresser trois constats et de vous présenter trois pistes de réflexion.

Nous nous sommes tout d’abord aperçus qu’internet avait profondément bouleversé le secteur touristique, l’un des pans de l’économie française les plus réceptifs au numérique au cours des dernières années. Le comportement des consommateurs change : désormais, 45 % des Français réservent leur voyage sur internet et 62 % d’entre eux préparent leur séjour en ligne. L’apparition de nouveaux acteurs a modifié le jeu de la concurrence, qui ne s’exerce plus seulement entre les acteurs traditionnels ; elle a aussi entraîné un nouveau partage de la valeur ajoutée – au profit notamment de nouveaux intermédiaires tels qu’Expedia ou Booking. Ces évolutions se poursuivent d’ailleurs aujourd’hui avec le passage de l’e-tourisme au m-tourisme, c’est-à-dire à l’usage du téléphone mobile et des tablettes par les touristes qui, lors de leur séjour, cherchent à s’informer ou à se guider.

On constate ensuite que les acteurs concernés ont eu des difficultés à appréhender ces évolutions. Les acteurs institutionnels ont ainsi vainement essayé à plusieurs reprises d’élaborer un portail national de la destination France, non seulement parce qu’ils avaient vu trop grand et manquaient de moyens face aux géants de l’internet, mais aussi parce qu’il est difficile dans ce pays gaulois de réunir l’ensemble des intervenants autour d’un projet commun. Ceux relevant du privé ont d’ailleurs eu, eux aussi, des difficultés à s’organiser entre eux : face aux géants de l’internet et en particulier aux agences de voyages en ligne ou « OTA » (online travel agencies), les acteurs du tourisme, très fragmentés, ont du mal à se fédérer, ayant plutôt tendance à défendre leurs intérêts immédiats. À cela s’ajoute qu’à quelques exceptions près, l’Europe n’a pas été en mesure de créer un écosystème suffisamment favorable à l’émergence de grands acteurs de l’économie numérique – qui sont donc le plus souvent américains.

Enfin, les États ont eux aussi eu des difficultés à appréhender ce nouveau phénomène. Jusqu’à présent, les acteurs de l’économie touristique évoluaient dans un système ordonné, cloisonné et caractérisé par des repères précis tels que les labels nationaux ou privés. Dans ce jardin à la française, les acteurs savaient sur quel levier jouer pour faire évoluer l’économie touristique. Or, l’apparition d’internet a complètement brouillé les cartes, faisant surgir une nébuleuse complexe et mouvante. Outre les acteurs connus, de nouveaux acteurs ne cessent d’apparaître, dont l’activité dépasse les frontières nationales. Certains opérateurs s’organisent d’ailleurs pour pouvoir s’affranchir de l’application de certaines réglementations nationales ou du paiement de l’impôt.

Bref, les acteurs économiques nationaux, éparpillés, sont soumis à un rapport de force déséquilibré ; les acteurs institutionnels, trop rigides, n’ont pas les moyens suffisants pour pouvoir contrer les géants d’internet ; les États, enfin, sont bousculés par des acteurs qui se jouent de leurs frontières.

En conséquence, la destination France perd du terrain : alors que nous ne cessons d’affirmer que notre pays est la première destination touristique au monde, il ressort du dernier bilan d’Eurostat publié il y a une dizaine de jours que la France, avec ses 402 millions de nuitées marchandes en 2014, est désormais talonnée par l’Espagne qui en a comptabilisé 401 millions. Ce chiffre ne cesse de surcroît de progresser de l’autre côté des Pyrénées tandis qu’il recule chez nous. Et si l’on retire de ces statistiques les nuitées des ressortissants de chaque pays, on s’aperçoit que la France est largement distancée par l’Espagne en nombre de nuitées de touristes étrangers. En 2014, cette dernière a ainsi attiré 260 millions de touristes non-résidents, toujours en nombre de nuitées, contre 184 millions en Italie et 131 millions en France.

Mais loin de nous l’idée de vous faire déprimer en dressant un tel constat : la rapporteure vous présentera en effet tout à l’heure les propositions que nous avons formulées dans notre rapport. Car si le numérique est un défi, il constitue aussi pour nous une opportunité. Disposant d’atouts majeurs, la France a une bataille à gagner sur trois plans.

Sur le plan juridique, il lui faut lutter contre les abus constatés dans le domaine du droit de la consommation – et je pense notamment ici aux avis exprimés par les internautes à l’égard des prestations offertes dans certains hôtels et restaurants – et contre les pratiques déloyales portant atteinte au droit de la concurrence. Mais avant de modifier notre droit, il convient de nous assurer qu’il est effectivement appliqué.

Sur le plan économique, il importe de soutenir les acteurs français les plus performants tels que Voyages-sncf.com ou Easyvoyage.com, de faire jouer la concurrence entre les différentes plateformes, de faire en sorte que la filière s’organise elles et de la faire mieux collaborer avec les offices du tourisme et les autres acteurs institutionnels. En effet, les opérateurs tels que Booking ou Expedia ont bien compris que la valeur des communes touristiques se trouvait sur le terrain puisqu’un touriste commencera toujours par choisir une destination avant de réserver un hôtel. Or, les informations stratégiques relatives aux différentes destinations existantes étant détenues par les offices du tourisme, il convient d’éviter que ces intermédiaires ne s’en emparent.

Enfin, sur le plan fiscal, il est inacceptable que certains acteurs cherchent à échapper à la taxe de séjour ou à l’impôt sur les sociétés alors même qu’ils créent de la valeur ajoutée en France.

En conclusion, je formulerai deux remarques. La première, c’est que la réponse à ces enjeux est non seulement française mais surtout européenne. Et la seconde, c’est que l’observation d’internet et du numérique nous a conduits à retrouver certains des défauts de l’économie touristique française. À commencer par le fait que nous consacrions une attention et des moyens insuffisants à ce secteur pour pouvoir attirer de la clientèle : ainsi le budget national consacré à la promotion de la destination France à l’étranger est-il très inférieur à celui que l’Espagne et l’Italie accordent à la promotion de leur pays. Il convient donc de considérer internet comme un moyen de mieux faire connaître l’offre touristique française. Sans lui d’ailleurs, certains hôtels ne pourraient jamais attirer de clients hors saison. Facteur de déstabilisation, internet peut devenir une formidable opportunité pour les nombreuses destinations touristiques de notre pays qui, à l’exception de Paris, sont insuffisamment connues à l’étranger. Saisir cette opportunité suppose de mobiliser des moyens, de mieux nous organiser, de mieux structurer les filières et de prendre la mesure d’un phénomène devenu réalité.

Je laisse à présent la parole à la rapporteure, qui va revenir plus en détail sur certains aspects du rapport et qui va vous présenter nos préconisations.

Mme Pascale Got, rapporteure de la mission. Notre rapport couvre un spectre assez large, comme en attestent le nombre et la variété des personnes que nous avons auditionnées. Il faut dire aussi que la filière touristique est très diverse et ne parle pas d’une seule voix. C’est la raison pour laquelle nous vous avons transmis un résumé en quelques pages de notre réflexion, en plus de notre projet de rapport lui-même.

Permettez-moi tout d’abord de dire quelques mots de l’état d’esprit de nos interlocuteurs. Tous conviennent qu’ils n’ont plus d’autre choix que celui de faire avec le numérique. Ceux qui ne tiennent pas compte de la réalité qu’est devenue l’e-tourisme risquent de mettre en jeu leur viabilité économique. Mais si les professionnels qui tardent à s’investir dans le numérique adoptent souvent une posture défensive, tous ne sont pas concernés de la même manière par son développement.

Nous avons ainsi identifié les trois types d’acteurs qui s’en sortent le mieux avec cet outil : il s’agit tout d’abord de ceux qui, parce qu’ils sont arrivés récemment sur le marché, ont tout de suite investi dans le numérique et les secteurs de niche, ou ont eu recours au mode collaboratif. D’autres, plus anciens sur le marché, ont investi assez tôt afin d’acquérir une bonne maîtrise de l’outil numérique. Réaliser un tel effort suppose néanmoins de disposer d’une force de frappe suffisante pour pouvoir réaliser des investissements importants dans les technologies et le marketing, face à des OTA dotées d’une grande puissance financière. D’autres, enfin, se sont posé les bonnes questions sur le « produit touristique », se demandant quelle était sa valeur ajoutée, quelle stratégie de différenciation il convenait d’adopter et comment rendre l’offre touristique plus lisible. On s’est en effet aperçu que l’outil technologique n’était pas la seule réponse à apporter. Car comme l’a souligné l’un de nos interlocuteurs, « on ne séjourne pas dans un serveur ». Le numérique n’étant qu’un outil au service d’une stratégie plus large, il ne faudrait pas y voir l’alpha et l’oméga du tourisme. Dans le même temps, il constitue un aiguillon bienvenu et, par certains aspects aussi, le miroir d’un certain nombre de nos faiblesses.

Sans sous-estimer les bouleversements que nous venons d’évoquer, les membres de cette mission d’information jugent néanmoins nécessaire de contrebalancer le discours médiatique récurrent en vertu duquel le numérique aurait un effet négatif sur le secteur.

Selon nous, la question des rapports entre les hôteliers et les OTA occupe une place trop importante dans les débats sur l’e-tourisme. Nous avons bien entendu auditionné l’ensemble des parties prenantes à cette affaire, et en particulier les deux grandes centrales de réservation qui font figure de principales accusées : Booking et Expedia. Nous nous sommes cependant bien gardés de porter des jugements caricaturaux dans le rapport, considérant que le poids croissant des OTA sur le marché de la réservation hôtelière ne pouvait expliquer à lui seul les difficultés rencontrées par la profession. En faire des boucs émissaires commodes serait d’ailleurs d’autant plus malvenu que ce sont souvent les hôteliers eux-mêmes qui les ont sollicités au départ et qu’à titre individuel, ils trouvent bien des avantages à ce mode de commercialisation. Il est vrai, en revanche, que le poids des commissions s’est accru au cours de ces dernières années dans des proportions nettement plus importantes que le chiffre d’affaires des hôteliers, de sorte que les marges de ces derniers se sont amenuisées. On estime ainsi aujourd’hui que 35 % du volume d’affaires de l’hôtellerie repose sur les OTA, qui captent environ 7 % du chiffre d’affaires du secteur, si l’on se base sur un taux moyen de commission de 20 %.

Depuis deux ans, plusieurs contentieux ont été formés. À la suite d’un avis rendu par la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC), relatif au déséquilibre de la relation commerciale entre OTA et hôteliers, le Gouvernement a assigné Booking et Expedia devant le tribunal de commerce de Paris afin de contraindre ces deux sociétés à revoir plusieurs des clauses contractuelles qu’elles imposaient à leurs clients, à commencer par la clause dite de parité tarifaire. Parallèlement, les syndicats hôteliers ont porté plainte devant l’Autorité de la concurrence, considérant qu’à terme, cette même clause favorisait la position dominante des principales OTA. De son côté, le Gouvernement a lui aussi saisi l’Autorité, la chargeant de formuler des propositions en vue d’encadrer certaines pratiques anticoncurrentielles. L’un des enjeux des procédures en cours est de déterminer si le droit en vigueur constitue une base suffisante pour rééquilibrer le rapport de force entre ces acteurs,
– rapport de force qui s’apparente de plus en plus à celui que l’on observe dans la grande distribution.

C’est à dessein que j’emploie l’expression de « rapport de force » tant il semble illusoire de considérer la bataille juridique comme la seule qui vaille. Beaucoup d’hôteliers étant devenus – ou s’étant rendus – « dépendants » des OTA, il importe que la profession se reprenne en main et qu’elle renforce le contact direct avec sa clientèle. Des initiatives en ce sens existent d’ailleurs déjà, qui doivent être encouragées.

Dans notre rapport, nous évoquons aussi les mutations qu’a entraînées le numérique dans le secteur de la location saisonnière. La mise sur le marché d’hébergements touristiques par les particuliers a pris une nouvelle ampleur, principalement par le biais des sites de petites annonces en ligne. Cette activité représente aujourd’hui un marché de près de 190 millions de nuitées par an. Mais si l’on parle beaucoup du « phénomène Airbnb », qui s’est répandu comme une traînée de poudre en quelques années à peine, il n’en demeure pas moins que d’après les chiffres qui nous ont été fournis, les locations via Airbnb ne représentent aujourd’hui qu’une part infime de ce marché.

Il ne faut pas pour autant négliger la question car les pratiques « collaboratives » sont promises à un bel avenir, comme en atteste le succès similaire de Blablacar dans le domaine des transports. Il convient de bien identifier ces pratiques et de les intégrer dans le circuit économique tout en faisant en sorte d’empêcher toute dérive. Il ne s’agit pas pour nous de préconiser la réglementation pour le plaisir de réglementer, mais il nous semble que le tourisme doit fournir des recettes suffisantes pour compenser les charges d’investissement qu’il représente pour nos territoires en termes d’infrastructures d’accueil. Il ne s’agit pas d’interdire Airbnb mais bien de poursuivre les négociations qu’ont engagées les autorités depuis plusieurs mois en vue de réguler ces pratiques. Ce dialogue a notamment abouti au vote de plusieurs dispositions en ce sens dans le cadre de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR). Plus récemment, la loi de finances pour 2015 a prévu la possibilité de collecter la taxe de séjour avec le concours de ces plateformes.

Quant au développement des avis en ligne, qui ne concerne d’ailleurs pas que le domaine touristique, il a connu certaines dérives, ces avis ne consistant parfois qu’en de la publicité déguisée et trompeuse. Si l’on en croit les enquêtes de la DGCCRF à ce sujet, les avis doivent être « consommés avec modération » par l’aspirant touriste, qui risque parfois de connaître quelques désillusions s’il ne se fie qu’à eux. Plus qu’à la norme créée par l’AFNOR pour encadrer certaines pratiques, qui demeure facultative, nos interlocuteurs nous ont dit croire à l’autorégulation en la matière. Mais parce qu’il a profondément transformé la relation au client-consommateur, le développement des avis en ligne doit aussi nous conduire à adapter les modalités du conseil institutionnel, qui garde tout son sens à côté de celui fourni par les acteurs en ligne, agents commerciaux vivant avant tout de la publicité.

J’en viens à présent aux préconisations formulées dans la troisième partie de notre rapport, qui figurent également dans le résumé qui vous a été transmis.

Une remarque tout d’abord : parallèlement à la conduite de cette mission, et à la suite des Assises du Tourisme, Laurent Fabius a annoncé l’installation d’un Conseil de promotion du tourisme. Ce conseil a ouvert six chantiers, dont un relatif au numérique, et rendra un rapport au printemps prochain. Siégeant au sein de ce conseil en tant que représentante de notre assemblée aux côtés de notre collègue Didier Quentin, j’ai pu mesurer à quel point nos sujets de préoccupations étaient proches.

Les préconisations et pistes de travail que nous vous soumettons s’articulent autour de trois axes – la gouvernance, les moyens et la réglementation – et nous considérons que l’ensemble de la filière doit se mobiliser et saisir que l’outil numérique ne peut plus être abordé en ordre dispersé, comme cela a trop souvent été le cas jusqu’à présent.

S’agissant de la gouvernance, nous appelons à une redéfinition des partenariats conclus entre les acteurs institutionnels et la filière touristique, tant au niveau local qu’au niveau national. Comme l’a souligné le président Fasquelle, les offices de tourisme locaux jouant un rôle majeur, nous sommes attachés à ce qu’ils conservent une forte présence territoriale, aspect dont il sera d’ailleurs question lors de l’examen du projet de loi relatif à la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Pour autant, le numérique nous oblige à reconsidérer leur rôle et l’articulation entre leurs différentes missions. Les territoires doivent davantage mutualiser leurs moyens afin de produire des contenus touristiques plus « sexy » et plus faciles à diffuser et à exploiter en ligne. En effet, la logique qui préside à l’identification d’une destination touristique ne correspond pas à celle des découpages administratifs. Internet ignore les frontières des offices de tourisme, des départements et des régions. L’offre touristique française se doit donc d’assurer sa visibilité en ligne, tant à l’échelon territorial que national, en s’appuyant sur une stratégie de marques fortes et coordonnées. Le Conseil de promotion du tourisme est sur la même ligne et l’impulsion donnée par le Gouvernement aux contrats de destinations va également dans ce sens.

Afin de renforcer la visibilité des destinations françaises, nous proposons la création d’un portail unique nourri de contenus percutants fournis par les institutions touristiques de tous niveaux. Le pilotage de cette mission pourrait être confié à Atout France, à condition que l’Agence puisse s’appuyer sur un réseau d’organismes locaux du tourisme en mesure de produire des contenus pertinents. Nous devons nous efforcer d’asseoir un véritable réseau social du tourisme institutionnel. Compte tenu de la concurrence internationale, la France a réellement besoin d’un portail d’informations touristiques digne de ce nom. Mené par Atout France, ce projet devra fédérer et associer les grandes marques touristiques françaises les mieux identifiées à l’étranger, qui ont également tout à y gagner.

J’émettrai néanmoins une petite réserve : si l’on peut être reconnaissant envers Atout France pour les services rendus par cette agence, celle-ci devra cependant reconquérir sa légitimité auprès de ses partenaires. Cela suppose que l’on fasse évoluer son mode de fonctionnement et ses ressources. Nos auditions ayant fait apparaître des tiraillements entre les différentes institutions concernées, il conviendra que l’Agence fasse converger vers elle l’ensemble de la filière.

Après la gouvernance vient la question des moyens.

Si le tourisme doit être considéré comme un secteur économique à part entière, il convient, concrètement, d’aider les start-up à percer dans le domaine du m-tourisme et du big data (exploitation de données). Si nous n’innovons pas en la matière, nous perdrons notre place. Il convient d’encourager les initiatives telles que le Welcome City Lab à Paris et de faire en sorte que ces start-up aient accès aux modes de financement existants, ces derniers devant d’ailleurs être mieux adaptés à l’écosystème touristique. La BPI vient toutefois d’annoncer qu’elle souhaitait élargir son acception de la notion d’innovation au marketing, aux innovations commerciales et aux innovations de services et d’usages – soit des domaines qui recoupent le champ des start-up de l’e-tourisme. La filière touristique et les institutionnels doivent également être en mesure de soutenir ces start-up.

Une telle évolution n’étant pas simple à déclencher, nous proposons l’élaboration d’un « 35ème plan » de reconquête industrielle au profit de la filière touristique, plus particulièrement axé sur l’e-tourisme, le m-tourisme et le big data. Nous adresserions ainsi un signal fort à notre économie touristique et favoriserions la prise de conscience des enjeux futurs.

Quant à ce que l’on pourrait appeler les « producteurs de contenu touristique », ils sont insuffisamment formés à l’utilisation des outils numériques et s’en trouvent pénalisés car moins performants lorsqu’il s’agit de commercialiser des offres directes et de coordonner l’usage des différentes plateformes existantes. Nous proposons donc que les programmes de formation professionnelle aux métiers du tourisme comprennent un volet numérique. Souvent, les hôteliers sont entièrement dépendants de prestataires externes pour l’usage de cet outil, voire ne sont pas du tout équipés d’internet. En somme, la filière touristique doit apprendre à domestiquer le numérique. Si plusieurs pierres ont déjà été posées en la matière, les professionnels restent éclatés entre eux et n’ont pas l’habitude de travailler en commun
– situation qu’ils doivent impérativement faire évoluer sans quoi ils ne pourront se maintenir sur le marché.

Enfin, notre dernière série de préconisations a trait à la nécessité de réguler en parallèle les activités touristiques et les activités numériques. Cela ne vise d’ailleurs pas que les professionnels du tourisme mais l’ensemble du secteur marchand en ligne. Il convient avant tout de faire en sorte que la réglementation en vigueur soit mieux appliquée afin que nos acteurs traditionnels soient mieux protégés et qu’ils ne soient pas pénalisés par les nouvelles pratiques qui apparaissent. L’expression de « concurrence déloyale » est en effet souvent revenue dans la bouche des hôteliers et des agents de voyages que nous avons auditionnés. Il nous faut prendre à bras-le-corps le problème de la compétitivité des acteurs traditionnels du tourisme sans pour autant trop charger la barque, afin de ne pas bloquer l’arrivée sur le marché de nouveaux entrants.

Le numérique soulève aussi de réels problèmes quant à l’information et à la protection du consommateur-touriste. Nous nous trouvons là encore à la croisée de deux mondes : nous ne pouvons pas faire comme si les règles anciennes n’existaient pas et, pourtant, elles sont de plus en plus aisément contournables – du moins leur non-respect est-il difficilement sanctionné.

Quant à la régulation des activités numériques, c’est un problème autrement plus complexe à résoudre, d’autant qu’il ne relève pas que du seul ressort national. N’est pas de notre ressort la question de la position dominante qu’occupe Google sur le marché du référencement. Or, c’est pourtant la première des préoccupations de l’ensemble des acteurs car c’est bien Google qui se trouve au bout de la chaîne et les OTA y dépensent plusieurs milliards d’euros chaque année pour l’achat de mots-clés. Ne relève pas non plus du ressort national la protection des marques sur internet, domaine dans lequel il va nous falloir modifier notre approche. La jurisprudence européenne en vigueur autorise en effet l’achat de mots-clés correspondant à des marques concurrentes. De même, la France a été trop laxiste en matière d’achat des noms de domaine. Pour ne prendre qu’un seul exemple, le site « France.com » existe, mais c’est celui d’une agence de voyage située en Floride !

Enfin, concernant la fiscalité applicable aux acteurs basés à l’étranger, il importe qu’une initiative soit prise au niveau européen sans quoi nous ne pourrons peser dans la balance.

Encore une fois, ces préoccupations ne sont pas propres au monde du tourisme. C’est pourquoi il serait de bon augure que la France, l’Allemagne et d’autres États membres incitent la Commission européenne à s’en saisir.

En conclusion, permettez-moi de rappeler à nouveau que cette vaste question n’appelle pas de réponses toutes faites. L’e-tourisme renferme des possibilités formidables à condition toutefois que nous soyons en mesure d’en clarifier la gouvernance, d’en redéfinir les moyens et de mieux faire appliquer la réglementation en vigueur. Il importe que la filière abandonne certaines postures, qu’elle s’efforce de parler d’une seule voix afin de formuler de nouvelles propositions et surtout, qu’elle remette le client au centre de ses préoccupations. Enfin, l’activité touristique continuant à souffrir d’un manque de reconnaissance, il convient, alors que nous sommes entrés de plain-pied dans l’ère du numérique, de mieux prendre en considération ce domaine économique.

Mme Frédérique Massat. Ainsi que vous le soulignez dans votre rapport, l’absence de structuration de la filière touristique se fait particulièrement ressentir dans la relation que ses acteurs entretiennent avec l’outil numérique. De fait, lorsqu’un territoire ne peut offrir un produit touristique complet, il lui est difficile de le commercialiser. D’autre part, le caractère incontournable de l’e-tourisme nous renvoie au problème de la fracture numérique. Car si nombre de territoires ont des produits touristiques à promouvoir, tous n’ont pas la chance de bénéficier d’une couverture numérique. Cette hypothèque devra donc être levée.

Votre proposition de 35ème plan de reconquête industrielle me paraît fort intéressante. Mais dans la mesure où le ministère de l’économie et des finances souhaite réduire le nombre de ces plans, sans doute pourrions-nous rattacher ce 35ème plan à des plans existants. En tout état de cause, quel chef de file proposeriez-vous de placer à sa tête ?

Enfin, vous avez rappelé qu’une multiplicité d’acteurs publics intervenait dans la gestion et la commercialisation de la promotion touristique – aux niveaux national, régional, départemental, intercommunal et communal. Leur action restant diffuse et peu coordonnée, faut-il aller plus loin dans le cadre de la réforme territoriale ?

M. Jean-Claude Mathis. Le président et la rapporteure de la mission ont rappelé à juste titre que les consommateurs se fiaient de plus en plus aux réseaux sociaux, à la téléphonie mobile et aux blogs de voyage, non seulement pour choisir leur destination et réserver leurs prestations de voyage mais aussi sur le lieu même de leur séjour. Le secteur du tourisme doit donc susciter la confiance, enrichir les réseaux sociaux et développer des outils adaptés à la demande nouvelle. Par ailleurs, nous perdons aujourd’hui des parts de marché. À quel échelon territorial conviendrait-il, enfin, de confier la compétence dans le domaine du tourisme ?

Mme Jeanine Dubié. Ainsi que l’ont souligné les auteurs de ce rapport, il est nécessaire que le secteur touristique s’organise afin de reconquérir des parts de marché. Car si la France reste la première destination touristique, elle n’arrive qu’en troisième position mondiale en termes de recettes issues du tourisme. La filière touristique française demeure aujourd’hui émiettée, car composée d’une multitude de très petites entreprises et de PME. Intermédiaires traditionnels, les agences de voyage ne sont plus en mesure de répondre à la demande face à des OTA très invasives. Enfin, le projet de portail national de la destination France a échoué, non seulement faute de moyens suffisants mais aussi parce que les acteurs qui s’y sont impliqués ont eu du mal à se mettre d’accord entre eux.

Comment rétablir une relation plus équilibrée entre les opérateurs touristiques et les OTA ? Quel type de régulation vous paraît-il le plus adapté pour y parvenir ? L’Autorité de la concurrence a-t-elle dégagé des pistes à ce sujet ? Dans votre rapport, vous évoquez notamment l’initiative « Fairbooking » et il est vrai que certaines fédérations professionnelles s’organisent à l’échelon local afin de commercialiser leur offre sur internet. Qu’entendez-vous précisément lorsque vous préconisez d’adapter le cadre normatif applicable aux acteurs traditionnels du tourisme ?

Enfin, les stations de ski des Pyrénées-Atlantiques et des Hautes-Pyrénées se sont regroupées autour d’une marque du nom de N’PY qui vend des forfaits de ski sur internet : celle-ci représente aujourd’hui la moitié du chiffre d’affaires du massif pyrénéen tout en permettant à ses membres – soit une dizaine de sites et de stations – de conserver leur autonomie. Cette structure permet ainsi aux professionnels de s’organiser localement et d’utiliser l’outil internet tout en conservant les bénéfices tirés des forfaits qu’ils proposent. Connaissez-vous d’autres exemples de ce type ?

M. André Chassaigne. Très intéressant, le rapport répond aux interrogations que nous pouvons nourrir. Emboîtant le pas à notre collègue Frédérique Massat, je voudrais aborder une question qui n’entre pas dans le champ immédiat du rapport, à savoir l’inégalité d’accès au numérique sur le territoire, y compris là où cet accès est possible par la téléphonie fixe. Des coupures de plusieurs semaines s’observent quelquefois, faute d’entretien suffisant des lignes. Or la petite hôtellerie et la petite restauration profitent d’un tourisme diffus qui repose sur la réservation en ligne et par téléphone, parfois en dernière minute et pour de courts séjours. Aussi est-ce un véritable handicap pour les territoires s’il n’y a pas d’entretien suffisant ni de renouvellement des lignes téléphoniques. La fracture numérique demeure une réalité.

Le président de la Fédération nationale des comités régionaux du tourisme (FNCRT), M. André Chapaveire, regrette l’absence de coagulation d’une force de frappe collective, manque qui s’observe en effet au niveau local. Chacun gère son propre site internet… Comme vous le soulignez, il est urgent de développer une approche plus réfléchie, plus professionnelle et plus efficace.

La future loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite  loi NOTRe, déterminera quelles collectivités auront la responsabilité du développement touristique. En tout état de cause, les régions devront définir, en tant que chef de file, un schéma régional de développement touristique devant, à mon sens, impérativement intégrer la dimension numérique. Même si le Sénat a désormais modifié la répartition des compétences touristiques au profit d’un partage entre départements et régions, l’obligation du schéma demeurera.

Enfin, l’une de vos préconisations me semble agréable à lire, mais difficile à comprendre : « encourager la mobilisation des acteurs du tourisme en faveur d’une véritable concurrence libre et non faussée, à l’échelle européenne, en matière de référencement ». Je peine en particulier à saisir ce que recouvrent les derniers mots.

M. Hervé Pellois. Le rapport souligne que le touriste du XXIe siècle raisonne de plus en plus comme un « consomm’acteur ». Je suis surpris que vous recouriez à cette notion, qui me semble empruntée aux concepts du développement durable ; elle implique aussi une responsabilité sociale. Pensez-vous que l’e-touriste peut vraiment se rapprocher de ce modèle ? Quant à la montée en puissance de nouveaux intermédiaires, n’ouvre-t-elle pas la voie à une totale désintermédiation, les clients finissant par entrer finalement tous en contact direct avec les hôtels ?

M. Philippe Le Ray. Votre rapport hyper-instructif nous permet de mesurer combien le comportement du touriste continue d’évoluer. Dans la bataille économique qui s’annonce, les défis qui se posent à nous sont les suivants : assurer la promotion du territoire, attirer le touriste, l’accueillir et le faire revenir – avec notre collègue Jeanine Dubié, nous présenterons bientôt un rapport sur le sujet. Comment agir pour faire face, et, le cas échéant, pour court-circuiter ces opérateurs qui tendent à développer des monopoles ?

Avec 29 millions d’euros de budget consacré à la promotion, Atout France ne dispose que de peu de moyens pour remplir des objectifs ambitieux. Ne serait-il pas possible d’ouvrir le portail unique à des régions ou à des acteurs privés ?

Quant à la dévolution des compétences en matière de tourisme, j’ai abandonné mes certitudes sur le sujet au fil des auditions que nous avons conduites. À la réflexion, il me semble difficile de concentrer la compétence touristique dans les mains d’un seul type de collectivité. Quand les communautés d’agglomération, les métropoles ou les intercommunalités se forment, elles retiennent très souvent cette compétence dans la liste de leurs attributions. Cela pose la question de la répartition de la taxe de séjour. Quoi qu’il en soit, pour connaître le succès, une politique touristique claire doit privilégier à tout le moins un portail d’entrée unique.

M. Jean-Pierre Le Roch. Votre rapport aborde l’innovation dans le tourisme, en particulier le développement des start-up dans ce secteur. Vous soulignez à juste titre que les mécanismes de soutien à ces jeunes entreprises, tels que Bpifrance ou le crédit impôt recherche, sont principalement orientés vers l’innovation technologique. Or les start-up françaises commercialisent plutôt des innovations de service adaptées à l’évolution sociologique.

Mais, depuis peu, la bourse French Tech permet de financer ce type de start-up. Le 27 janvier 2015, Bpifrance et la fondation Internet Nouvelle Génération ont également présenté à notre ministre Axelle Lemaire le référentiel « innovation nouvelle génération » qui doit devenir l’outil de référence pour les financeurs de l’innovation sous toutes ses formes. Pensez-vous que ces mesures soient suffisantes pour soutenir les entreprises du secteur ?

Quel est votre regard sur l’organisation territoriale de l’activité touristique ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Plus d’un tiers des réservations transite par les OTA et cette part va en s’accroissant. Parallèlement, les commissions demandées aux hôtels pèsent de plus en plus lourd. Aussi les rapports sont-ils parfois tendus entre OTA et certains hôtels quasi franchisés, qui peuvent se voir dénier le droit d’utiliser leur propre bannière, alors que Booking.com ou Expedia pourront quant à eux acheter leur nom commercial.

Je m’inquiète également de la gestion de la réputation numérique ou e-réputation. Sur Tripadvisor ou sur Google, un hôtelier peut, et même doit gérer les commentaires déposés à son sujet. Mais il n’en va pas de même sur Booking.com. Comment lutter contre le dénigrement, véritable expropriation, qui peut en découler ?

Mme Laure de La Raudière Avec notre collègue Corinne Erhel, j’ai présenté il y a moins d’un an un rapport sur le développement de l’économie numérique française. À mon sens, vous abordez la question sous le même angle que nous s’agissant du tourisme, en employant des termes conquérants et en soulignant la dimension européenne des enjeux. Oui, il faudra « gagner la bataille », dans tous les secteurs d’activité.

Monsieur le président Brottes, peut-on envisager un déplacement au niveau européen sur les enjeux de l’économie numérique ? Nous pourrions présenter les résultats de nos travaux en nous appuyant sur l’exemple du tourisme, mais aussi d’autres secteurs.

Madame la rapporteure, vous préconisez « d’adapter le cadre normatif applicable aux acteurs traditionnels du tourisme afin que ceux-ci ne soient pas pénalisés face aux acteurs de l’e-tourisme ». Jusqu’ici, l’approche retenue consistait à construire des digues de sable, à l’instar de l’ordonnance prévue par la récente loi de simplification pour encadrer les pratiques d’Airbnb. Je comprends que vous proposez plutôt d’alléger les règles sur les acteurs traditionnels du tourisme, pour les mettre sur un pied d’égalité avec les nouveaux entrants ? Cela me semble une piste de travail de travail audacieuse et intéressante.

Mme Audrey Linkenheld. Les préconisations du rapport semblent en effet particulièrement pertinentes quant à la bataille économique à mener. Dans le domaine des start-up, l’entreprise lilloise Interactive City a développé une application permettant la visite interactive de la ville. Grâce à elle, les communes de l’agglomération peuvent valoriser les lieux notables. La start-up a bénéficié du soutien de French Tech. Est-ce ce type d’initiatives que vous souhaitez voir se multiplier ?

La chambre de commerce et d’industrie de la région Nord de France propose un diagnostic numérique « spécial professionnels du tourisme » au tarif modique de 80 euros, en les engageant à aller plus loin dans le développement de leur offre numérique. Aviez-vous en tête cette initiative lorsque vous proposiez de mieux former au numérique les professionnels du tourisme ? Connaissez-vous d’autres exemples de ce type ?

Mme Annick Le Loch. Comme membre de la mission d’information, j’ai assisté à nombre d’auditions intéressantes d’où il ressort que la France demeure un grand pays touristique, sans doute l’un des premiers au monde, avec l’Italie, quant à son potentiel. La synthèse des positions entendues constituait un vrai défi.

J’ai retenu l’inquiétude qui s’exprimait, chez les personnes entendues, au sujet de Google qui menace de dominer le marché mondial en matière de référencement de l’offre. Alors que les représentants de cette entreprise la présentent comme un quasi-service public, elle met en réalité en vente des mots-clés pour des millions d’euros. N’étant plus un simple moteur de recherche, Google développe, grâce à ses moyens considérables, ses propres services commerciaux. Elle s’élève jusqu’à devenir le premier État privé de la planète. Certains nous ont dit que seul le démantèlement permettrait de faire échec à son expansion.

La protection européenne des marques et des données commence à apporter des réponses aux défis posés par cet acteur dominant, tandis que la Chine développe elle-même d’autres outils de son côté.

M. Frédéric Roig. Vous brossez un tableau pragmatique des enjeux. Élu d’un territoire rural, le Larzac, je dois cependant souligner qu’il est difficile d’utiliser internet si l’on n’y a pas accès ! C’est un préalable. Certes, des collectivités ont investi, au début des années 2000. De son côté, la ministre Axelle Lemaire a lancé un plan très haut débit. Mais les communautés de communes doivent encore pouvoir dérouler un maillage précis au niveau territorial.

Des démarches organisées peuvent s’appuyer sur des labels tels que les grands sites de France ou même le classement au patrimoine de l’UNESCO. Vous préconisez de donner un cadre à l’offre qui se multiplie en matière d’e-terroir ou d’e-camping à la ferme. Sans trop complexifier ou normer la vie de ce secteur, quel est précisément le cadre réglementaire ou législatif que vous envisagez ?

M. le président François Brottes. Dans la guerre commerciale qui se déroule sur internet, observez-vous plutôt une concentration ou une diversification de l’offre ? Les agences de voyage ayant pignon sur rue ont-elles vocation à toutes disparaître ? Quant au site touristique à vocation internationale, sait-on comment les Chinois réservent en France ? Passent-ils par leurs propres sites ou par des sites français ? La question se pose également pour les Russes, bien qu’avec moins d’acuité aujourd’hui.

Comment les hôteliers estiment-ils le coût-bénéfice du recours à ces sites d’agrégation de l’offre, qui leur épargnent tout de même des démarches commerciales. Sont-ils au demeurant satisfaits de la qualité de la réservation : le paiement est-il dûment effectué, les touristes se présentent-ils comme convenu ?

Madame de La Raudière, je pense en effet qu’il serait bon d’organiser un déplacement à Bruxelles pour savoir comment la Commission européenne aborde la question de l’économie numérique.

Mme la rapporteure. Je voudrais d’abord remercier nos collègues Jean-Michel Couve, Fanny Dombre Coste, Annick Le Loch et Philippe Le Ray d’avoir participé à nos travaux.

Au sujet de la couverture numérique de certains territoires, nous avons rencontré l’entreprise Eutelsat, qui est consciente des enjeux et qui a engagé des expérimentations avec l’Association nationale des élus de montagne (ANEM) sur plusieurs sites. C’est la réponse par satellite qui paraît la plus appropriée, plutôt que par le raccordement traditionnel utilisé dans les grandes agglomérations.

D’une manière générale, l’organisation du tourisme ne peut reposer uniquement sur son pilier institutionnel. Un collectif comme Alliance 46.2, qui regroupe de grandes entreprises touristiques et des enseignes de renommée mondiale, contribue à développer une vision internationale du tourisme. Ces partenaires apportent à la fois des fonds et une vision entrepreneuriale. Le lien entre privé et public monte ainsi en puissance, ce qui est positif.

Comment répartir la compétence tourisme au niveau territorial ? Les préoccupations, les objectifs et les structures sont différents selon les destinations. Il ne me semble pas nécessaire de trancher en faveur d’une solution plutôt que d’une autre. En revanche, il est impératif de promouvoir et de généraliser les contrats de destination qui obligent les acteurs à se coordonner pour définir un contenu. L’incitation financière qui s’y attache peut y aider, mais ils doivent aussi naître spontanément. Peut-être de grandes régions rendront-elles du reste la France plus forte dans le domaine touristique.

Madame Dubié nous a interrogés sur les solutions juridiques à apporter aux difficultés rencontrées par les hôteliers avec les sites de réservation en ligne. Plusieurs solutions sont à creuser et font actuellement l’objet d’un examen par l’Autorité de la concurrence, notamment celle du contrat de mandat. Il faut par ailleurs souligner que les hôteliers tendent à cocher trop facilement certaines cases ; ils se retrouvent par la suite comme pris dans une nasse.

Monsieur Chassaigne, l’égoïsme territorial est en effet prégnant en matière touristique. Pour inciter à de meilleurs comportements, la carotte pourrait être apportée par des contrats de destination de première, de deuxième, voire bientôt de troisième génération.

Face à Google, les acteurs du numérique s’organisent. L’Open Internet Project (OIP), lancé au printemps dernier, vise ainsi à porter ce débat au niveau européen. Des pistes sont à explorer pour lutter contre ses pratiques anti-concurrentielles, en recourant par exemple à des autorités de régulation similaires au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Il pourrait aussi être envisagé d’opérer une distinction plus claire, par la voie législative, entre sites marchands et comparateurs de prix. Beaucoup de choses sont à améliorer concernant l’affichage des recherches du référencement payant. L’OIP a fait des propositions, dans le cadre de l’instruction de la plainte contre Google, pour promouvoir un partage du marché par moitié entre les acheteurs de mots-clés et Google, qui affiche en effet, à la droite des résultats de recherche, des annonces publicitaires.

En tout état de cause, une solution doit être trouvée au niveau européen, sans chercher le contentieux pour le contentieux, mais au contraire un dialogue. J’en profite pour souligner que le dialogue est toujours préférable au contentieux car il permet d’apporter des solutions plus rapidement. C’est encore mieux lorsqu’il est mené en amont. Ainsi, face aux OTA, la Fédération nationale de l’hôtellerie de plein air a pris les choses en main pour négocier une charte de bonne conduite avec certains OTA.

Madame Linkenheld, le soutien apporté aux start-up est différent selon les régions. Il faudrait développer les incubateurs. Mais, lorsque le développement touristique n’est pas leur priorité, les régions participent peu. Il faut déplorer que les dispositifs de financement actuels soient assez chronophages et peu adaptés au secteur touristique. Il arrive que les acteurs du tourisme doivent se financer auprès d’investisseurs privés qui les encouragent pour ainsi dire à délocaliser. De gros efforts restent à faire en matière de reconnaissance de l’économie touristique, de montée en puissance du niveau régional et d’adaptation de nos dispositifs.

Monsieur le président Brottes, une concentration s’observe en effet dans le secteur des sites généralistes mais les sites individuels prospèrent en parallèle lorsqu’ils sont bien ciblés. De même, les agences de voyage placées sur des marchés de niche et proposant des voyages sur mesure tirent bien leur épingle du jeu. Les internautes qui se renseignent et comparent les prix recherchent in fine un produit spécifique pour lequel ils sont prêts à faire appel à une structure existante. Ainsi, Voyageurs du monde, qui sort des grands standards, est bien positionné sur le marché international, car l’entreprise adhère à une forme de tourisme qui attire tous ceux qui sont prêts à voir les choses différemment et à être reçus différemment.

M. Daniel Fasquelle, président de la mission. Tout est question d’état d’esprit, vis-à-vis d’internet comme de l’économie touristique. Jusqu’à présent, la France attirait assez pour qu’il y ait peu d’effort à faire. L’approche qui prévalait était une stratégie de cueillette. Mais une concurrence vive s’est développée et elle fait perdre du terrain à la France au profit de l’Espagne ou de l’Italie, nous obligeant à repenser notre approche.

De même, internet est un instrument qui doit être apprivoisé et dont il faut s’emparer. Nous avons des raisons d’être optimistes si nous croisons cette démarche avec notre nouvelle approche. Grâce à internet, l’offre touristique française est plus visible et les touristes peuvent être fidélisés. Mais, plus généralement, les offres françaises doivent apparaître parmi les premières réponses dès que les modèles de recherche sont interrogés de manière générique. Loin d’être seulement un facteur de déstabilisation de l’offre traditionnelle, internet offre donc aussi des opportunités pour revoir notre approche.

Quant au défi de la dispersion des interventions touristiques au niveau territorial, il faut y répondre à la fois par la rationalisation et par la liberté. Dans certaines régions, où un seul département présente un attrait touristique, il n’est pas illogique que l’action touristique soit menée à son niveau. Il en va de même au sein des communautés de communes. De manière essentielle, l’information à disposition des collectivités doit être valorisée ; les offices de tourisme doivent partager ce véritable trésor avec les acteurs privés. Mieux formés, les hôteliers sauront mieux jouer le rôle des intermédiaires, qui savent attirer aujourd’hui des clients qui ne seraient jamais venus sans eux.

Il convient ensuite de fidéliser la clientèle. Les OTA seront contrés dans leurs ambitions si les hôteliers travaillent davantage avec les offices de tourisme, comme j’essaie de le faire dans mon territoire. Encore doivent-ils accepter de garder des chambres libres pour eux. Ce n’est qu’à ce prix que les acteurs agiront ensemble au lieu de se présenter en ordre dispersé.

Les start-up françaises appartiennent aussi au paysage de l’innovation. Comme nos collègues Corinne Erhel et Laure de La Raudière l’avaient mis en lumière dans leur rapport, les outils neufs qu’elles développent doivent seulement éviter d’être récupérés par d’autres. Elles méritent un soutien tant au niveau national qu’au niveau européen.

La formation des hôteliers doit être améliorée, pour qu’ils maîtrisent mieux les outils et apprennent à les utiliser à leur profit. Pour la couverture numérique du territoire, nous faisons malheureusement l’expérience qu’elle demeure insuffisante. Dans ma commune, une application multilingue peut cependant être téléchargée et utilisée hors connexion une fois sur place.

Google est aujourd’hui un passage obligé pour tous les opérateurs. Les acteurs craignent que cette entreprise devienne un intermédiaire à part entière, en concurrence avec Expedia ou Booking.com. À terme, le développement de Google Hotel Finder risque ainsi de poser un problème d’abus de position dominante. Nous devons y être très attentifs.

La fiscalité n’est abordée qu’à la marge du rapport car les enjeux dépassent largement la question du tourisme. Lorsque des opérateurs développent leurs activités grâce à des offres situées en France, je ne suis pas d’accord pour qu’ils échappent à la taxe de séjour ou à l’impôt sur les sociétés français. Il faut se donner les moyens, à l’échelle européenne et mondiale, de lutter contre ces comportements inadmissibles.

Mme la rapporteure. Monsieur Chassaigne, nous reformulerons le passage dont vous critiquiez la rédaction, pour le rendre mieux compréhensible. La préconisation en question concerne précisément le risque de position dominante de Google dans le domaine du référencement payant. Atout France, bras armé de la politique touristique, est parfois plus préoccupé par sa gestion administrative que par ses missions de rayonnement extérieur. Son financement devrait être plus important. Un modèle multimédia reste à développer, qui inclue de la publicité, avec par exemple un reroutage vers Orange ou Accor. Vantant des destinations françaises à l’intention d’une clientèle internationale, la pertinence des données présentes sur le site pourrait être encore accrue.

M. le président François Brottes. Nous aurons l’occasion au mois de mars de présenter, peut-être sous une forme ramassée, les résultats de votre travail au ministre en charge du tourisme.

La Commission approuve la publication du rapport d’information.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 10 février 2015 à 17 heures

Présents. – M. François Brottes, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, Mme Jeanine Dubié, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Hervé Pellois, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Fabrice Verdier

Excusés. – M. Joël Giraud, M. Antoine Herth, M. Dominique Potier, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau

Assistait également à la réunion. – M. Yves Foulon