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Commission des affaires économiques

Mercredi 3 juin 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 62

Présidence de Mme Frédérique Massat, Vice-Présidente

– Table ronde sur l’industrie du luxe réunissant M. Pascal Rousseau, secrétaire général de Richemont Holding France, Mme Bernadette Pinet-Cuoq, présidente de l’Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des pierres et des perles, M. Olivier Frémont, président-directeur général de Christofle, M. Jean Cassegrain, directeur général de Longchamp et M. Daniel Tribouillard, président-directeur général de Léonard

La Commission des affaires économiques a organisé une table ronde sur l’industrie du luxe réunissant M. Pascal Rousseau, secrétaire général de Richemont Holding France, Mme Bernadette Pinet-Cuoq, présidente de l’Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des pierres et des perles, M. Olivier Frémont, président-directeur général de Christofle, M. Jean Cassegrain, directeur général de Longchamp et M. Daniel Tribouillard, président-directeur général de Léonard.

Mme Frédérique Massat, présidente. M. François Brottes présidant ce matin la commission mixte paritaire qui examine au Sénat le projet de loi sur la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, il ne pourra assister à nos travaux et vous prie d’excuser son absence.

Je remercie nos invités d’avoir répondu à notre invitation. L’industrie du luxe, soutenue par le tourisme, est à contre-courant de la crise. Dans ce secteur très varié – arts de la table, décoration, vêtements, boissons spriritueuses, parfums, bijoux, maroquinerie, confiserie –, la France arrive en tête. Elle possède trois acteurs au sein du top 10, où le groupe LVMH, avec un chiffre d’affaires de 21 milliards d’euros, occupe la première place.

Le tissu d’entreprises artisanales, qui fournit de grandes maisons de luxe, conserve une bonne santé économique et ne souffre pas des délocalisations. Le secteur du luxe résiste à la crise grâce à la demande des pays émergents, qui soutient la consommation : en France, les touristes chinois et russes sont à l’origine de la moitié des ventes de biens de luxe. Les principales entreprises de luxe françaises ont enregistré ces dernières années une croissance à deux chiffres et leurs produits s’exportent de mieux en mieux.

Mme Bernadette Pinet-Cuoq, présidente de l’Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des pierres et des perles (UFBJOP). En France, notre filière de fabrication compte 10 000 salariés et 3 000 entreprises. Elle est très diversifiée. À la colonne vertébrale que constituent les groupes de luxe, se sont arrimés des sous-traitants ou cotraitants : PME et TPE familiales, artisans, créateurs, négociants en pierres et perles, et sociétés de négoce de métaux précieux.

La filière se caractérise par une formation élevée, qui représente un enjeu important. L’important appareil de formation français est arrimé aux territoires. Une quinzaine d’établissements publics ou privés enseignent les métiers de la bijouterie, principalement en régions Île-de-France et Rhône-Alpes. Chaque année, 1 200 personnes – apprentis, étudiants en formation initiale ou adultes en formation continue – apprennent nos métiers.

Notre outil de formation est reconnu. Pour présider un groupe scolaire parisien de 300 élèves, je puis témoigner que des pays étrangers nous sollicitent chaque mois pour organiser des partenariats ou ouvrir des antennes, notamment en Asie.

Le secteur se caractérise par une forte employabilité. Si l’année 2009 s’est caractérisée par une forte dépression pour les PME et TPE, dont les commandes ont chuté de 80 %, la croissance, depuis lors, a été importante, ce qui explique que la filière attire beaucoup de jeunes.

Le dialogue social est une de ses composantes essentielles. Nous travaillons avec les partenaires sociaux pour conclure des accords novateurs. Nous venons de signer avec nos cinq organisations syndicales un accord sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Depuis la crise, et la mise en œuvre d’un plan filière fortement accompagné par l’État, nous nous sommes interrogés sur nos modèles économiques. Constatant qu’il n’était pas possible à une entreprise de vingt salariés de répondre, en termes de qualité et de délais, aux demandes des donneurs d’ordres, des ateliers ont fusionné, d’autres se sont développés en interne. Désormais, les entreprises associent un haut savoir-faire à une capacité de produire en volume pour répondre à la demande des grands groupes. Elles doivent à la fois vendre de la haute joaillerie et produire des bijoux en entrée de gamme.

La filière prend la réforme de la formation à bras-le-corps. Il faut que nos entreprises aient une bonne structure pour développer la formation interne.

Je conclurai en abordant un sujet que j’ai déjà évoqué avec M. Brottes : le financement du stock d’or. Pour une entreprise qui réalise 10 millions d’euros de chiffre d’affaires avec des salariés disposant d’un haut savoir-faire, la façon représente 5 à 6 millions et le métal précieux, 4 à 5 millions.

Pour vendre à une grande maison un kilo d’or, une entreprise doit en détenir quatre à six. Cela signifie qu’une entreprise de quarante salariés doit financer quatre-vingts kilos d’or, soit, le cours variant entre 30 000 et 40 000 euros, un total de 2 à 3 millions en fonds propres, qui n’est pas amortissable et que les banques ne financent pas. Les entreprises françaises, contrairement aux italiennes, subissent même une double peine, car elles paient l’IS sur la totalité de cet outil. En modifiant sa position sur ce sujet, la BPI apporterait un ballon d’oxygène aux entreprises.

M. Pascal Rousseau, secrétaire général de Richmond Holding France. Je représente en partie le secteur de l’horlogerie, ainsi que celui de la bijouterie et de la maroquinerie.

Dans le monde, l’horlogerie réalise un chiffre d’affaires de 60 milliards d’euros, dont une grande partie s’effectue en Chine. L’autre grand pays exportateur est la Suisse, qui, avec 2,3 % du volume produit, réalise 50 % du chiffre d’affaires du secteur. En France, on vend chaque année 13 millions de montres, pour un chiffre d’affaires de 1,4 milliard d’euros. Celles-ci viennent pour 74 % de Chine, et pour 6 % de Suisse. Les ventes de plus de 3 000 euros représentent 30 % du chiffre d’affaires total. La production française se limite à 300 millions d’euros. Le secteur, essentiellement importateur, emploie 7 000 personnes dans 350 entreprises, essentiellement des PME.

La problématique posée à l’horlogerie rejoint celle du tourisme et de l’attractivité de notre pays, puisque, en France, la plupart des personnes qui achètent des montres chères sont des touristes. Nous attendons beaucoup de la loi Macron, qui prévoit la création des zones touristiques internationales (ZTI), où il sera possible de signer des accords sur le travail dominical.

Un accord d’entreprise pourra être conclu s’il existe dans l’entreprise des délégués syndicaux. À défaut, un accord de branche peut être signé. Il faut absolument prévoir une troisième voie : dans les entreprises trop petites pour se doter d’une représentation syndicale, un accord doit pouvoir intervenir entre les délégués du personnel ou le comité d’entreprise. Si la négociation n’aboutit pas, l’employeur doit pouvoir prendre une décision unilatérale assortie de compensations suffisantes. Dès lors que les syndicats sont opposés au travail dominical, il faut trouver de manière pragmatique le moyen de conclure un accord.

La deuxième problématique que j’aborderai concerne la sûreté, qui conditionne également l’attractivité de notre pays, compte tenu du retentissement que prend le moindre fait-divers sur les réseaux sociaux. Une seule attaque d’Américains ou de touristes venus des pays du Golfe entraîne immédiatement l’annulation de nombreux voyages. Les Asiatiques, qui jouissent chez eux d’une bonne sécurité, sont choqués par tout incident.

Notre groupe travaille très bien avec les autorités policières. Le problème est que, si la criminalité baisse, celle-ci est de plus en plus violente. Dans des cas exceptionnels, le préfet de police peut autoriser la mise sur la voie publique d’une sécurité privée qui relaie la police. Cette exception s’entend généralement de manière temporelle. Nous pouvons mener une action préventive deux mois et demi par an, en période de fête ou de vacances.

On pourrait aussi considérer que l’exception s’entend au niveau de la profession : ceux qui travaillent dans la bijouterie et l’horlogerie font des métiers à risque, et doivent être protégés. Les vigiles ne sont pas armés. Ils collaborent avec la préfecture, qui se réjouirait de leur présence permanente devant les magasins.

Dernier sujet : M. Sapin envisage de faire baisser le seuil de règlement en liquide de 15 000 à 10 000 euros pour les touristes et de 3 000 à 1 000 euros pour les Français. L’idée nous semble aussi dommageable qu’inutile. Beaucoup de pays européens ne connaissent pas de seuil. D’autres ont des seuils identiques aux nôtres. Pourquoi nous doter d’un désavantage concurrentiel ?

Pour maîtriser la circulation de l’argent sale, nous possédons aujourd’hui du système de détaxe PABLO (programme d’apurement des bordereaux par lecture optique), qui est le plus performant du monde. Il permet d’identifier les touristes qui demandent une détaxe, et paient partiellement ou totalement leurs achats en liquide. C’est une erreur de confondre automatiquement agent liquide et argent sale. Beaucoup de touristes ne sont pas à l’aise à l’idée d’utiliser leur carte de crédit : 42 % des dépenses effectuées par les Chinois dans le monde sont réglées en liquide.

M. Olivier Frémont, président-directeur général de Christofle. La maison que je représente est ancienne – 200 ans –, mais elle est petite, puisque son chiffre d’affaires est inférieur à 100 millions d’euros. D’ailleurs, je vous invite à ne pas juger du luxe seulement à travers les grands groupes aux moyens considérables. Certaines PME du secteur ont du mal à joindre les deux bouts et à garantir les métiers.

Le secteur n’existe que par l’international. J’effectue 75 % de mon chiffre d’affaires à l’export, sans lequel Christofle n’existerait plus depuis longtemps, mais il est beaucoup difficile de maintenir des boutiques sur la côte ouest des États-Unis ou à Tokyo avec un chiffre d’affaires de 100 millions que d’un milliard. Au quotidien, malgré une image glamour, nous avons les mains dans le cambouis.

Traditionnellement, la France excelle dans le secteur des arts de la table, qui concerne les verres, la porcelaine et l’argenterie, mais celui-ci n’a plus le vent en poupe. Comme nous, Baccarat, Christofle, Puiforcat ou Ercuis cherchent à diversifier leurs produits, et s’intéressent aux bijoux ou à la décoration. Quand elles ne sont pas adossées à de grands groupes, les marques doivent se diversifier, ce qui exige de l’investissement, de la réflexion et des équipes opérationnelles.

En France, le secteur emploie 15 000 personnes, pour une production de 2 milliards d’euros. Christofle emploie 450 personnes dans le monde. Sur les 250 que nous faisons travailler en France, 200 se trouvent sur notre site de production en Normandie. Ce qui plaît à la clientèle étrangère, qui possède des palais à Riyad et de belles villas aux États-Unis, est que nous maintenions nos métiers comme on les pratiquait il y a 200 ans, ce qui coûte très cher.

Certains investisseurs et actionnaires nous soutiennent. C’est le cas d’un groupe de Dubaï, que possède une famille franco syrienne, et d’une banque genevoise. Actuellement, nous investissons à perte. Dans notre secteur, le retour sur investissement, quand on ouvre une boutique, se fait sur cinq à huit ans. On agit par amour de la marque, en pariant qu’on créera peut-être de la valeur dans dix ans. Autant dire que nous sommes aux antipodes de la logique des fonds d’investissement, qui attendent un retour sur investissement de trois ans.

L’international est indispensable. Si je ne disposais pas des facilités que vous nous donnez pour réaliser notre chiffre d’affaires à l’étranger, nous serions morts. Et, si une réglementation devait nous freiner, notre situation serait très compliquée.

Le contexte nous impose d’élargir le spectre des arts de la table. Si la maroquinerie ou le bijou sont très porteurs, les couverts attirent moins les jeunes consommateurs. Je réalise encore 40 % de mon chiffre en couverts, mais ce pourcentage se réduit. J’essaie de vendre de plus en plus de candélabres, de meubles ou de cadres à photos.

Depuis deux ou trois ans, Bruxelles impose des tests sur les couverts en argent. On nous demande qu’il n’y ait pas de migration de métal quand des couverts restent deux heures dans du liquide à 70 degrés. Aucun produit des marques d’argenterie française ni même européenne ne passe ce test déconnecté de toute réalité, car aucun couvert en argent ne reste pendant deux heures dans un liquide à cette température. Concrètement, 200 emplois sont en jeu à Yainville, bourg proche de Rouen.

Si la réglementation est maintenue, devrai-je délocaliser la production au Brésil ou ne plus vendre en France, et recentrer l’activité sur le Moyen-Orient ? Sur ce sujet, j’ai réellement besoin de votre aide.

M. Jean Cassegrain, directeur général de Longchamp. Le secteur de la maroquinerie est particulièrement dynamique. Cette industrie de main-d’œuvre crée des emplois en France. En 2014, ses exportations se montent 5 milliards, pour 3 milliards d’euros d’importations, soit un solde net de 2 milliards. Le secteur est dynamique sur le plan social. En trois ans, 2 000 emplois ont été créés et, l’an dernier, 600 contrats de professionnalisation et cinq accords de branche ont été signés. La réussite de la maroquinerie française s’appuie sur le savoir-faire de 450 entreprises, dont 90 % emploient moins de cinquante salariés, et sur le dynamisme de quelques grands groupes qui tirent l’ensemble de la filière.

Longchamp réalise un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros, dont 70 % à l’exportation. Nous employons 2 700 personnes dans le monde, dont un peu moins de la moitié en France. Nos implantations industrielles se situent dans la Mayenne, les Pays-de-Loire, la Vendée ou l’Orne. Longchamp a le label « entreprise du patrimoine vivant ». Il s’agit d’une entreprise familiale créée par mon grand-père en 1948.

Le marché français étant trop petit pour financer à long terme une marque présente dans le monde, l’exportation est la condition de notre survie. À ce sujet, j’appelle votre attention sur l’importance des droits de douane que nous devons acquitter à l’étranger. Contrairement à ce qu’on entend dire, les barrières tarifaires sont loin d’avoir disparu. Dans certains pays émergents, les droits de douane peuvent monter à 30 % à 40 % de la valeur du produit. Aux États-Unis, ils sont déjà de 10 % à 20 %, ce qui est considérable. La signature de l’accord de libre-échange, qui fait l’objet d’une discussion entre l’Union européenne et les États-Unis, serait un soutien important pour la profession.

Longchamp, qui est une entreprise de taille moyenne, vend dans quatre-vingts pays, à la réglementation desquels il n’est pas facile de s’adapter. Je me suis amusé à découper l’étiquette d’une de mes vestes : celle-ci, qui comprend quatre feuillets recto verso, est rédigée en trente langues. Comment une PME pourrait-elle gérer une telle complexité ? La réponse est simple : il faut faire des impasses et prendre des risques, quitte à ne pas être toujours en règle. La France doit non seulement négocier avec les autres pays, afin de nous simplifier la tâche, mais aussi éviter d’ajouter à tout instant des réglementations contre-productives.

L’une d’elles nous impose d’étiqueter les produits de manière très contraignante, en distinguant cuir et croûte de cuir. Cette réglementation est d’autant plus absurde qu’elle ne s’applique qu’à nous. Les produits italiens respectant la réglementation italienne peuvent être mis sur le marché français sans qu’une étiquette précise s’il s’agit de cuir ou de croûte de cuir. La même dispense s’applique aux produits américains qui entrent en Europe en passant par les Pays-Bas, pourvu qu’ils respectent la réglementation hollandaise. Les producteurs français sont les seuls à devoir appliquer la réglementation française, et à la porter avec eux dans le monde entier, ce qui crée un désavantage compétitif.

J’en viens à notre dernier sujet de préoccupation. Par tradition, la France possède un bon arsenal pour lutter contre la contrefaçon et punir les contrefacteurs. Jusqu’à une date récente, il n’existait quasiment pas de contrefaçon de nos produits en France. Pour acheter un faux sac Longchamp, il fallait aller sur le marché de Bangkok ou d’Istanbul. Malheureusement, depuis quatre ou cinq ans, il est possible de commander sur internet des contrefaçons chinoises. Certains sites chinois se présentent comme français, voire copient l’habillage du nôtre et présentent des photos de produits authentiques. Les contrefacteurs expédient les colis par la poste. Or, si la douane peut facilement bloquer un container au Havre, elle ne peut pas ouvrir tous les paquets postaux en provenance de Chine.

Sur ce front, les États-Unis sont désormais plus réactifs que nous. Pour combattre un contrefacteur chinois qui travaille en France, il faut lui intenter un procès aux États-Unis. Le Canada a mis des solutions en place, en coopération avec les banques, afin de limiter l’usage des moyens de paiement sur certains sites. Chaque année, 1 000 sites de vente de contrefaçons sont bloqués et 10 000 annonces sont retirées sur les réseaux sociaux ou les plateformes de vente en ligne.

M. Daniel Tribouillard, président-directeur général de Leonard. En mai 1958, alors que j’avais vingt-trois ans, j’ai créé seul mon entreprise à partir d’une idée : la fleur posée sur la soie. Mes pull-overs ayant intéressé quelques femmes, j’ai perfectionné mes connaissances et, suivant mon idée initiale, j’ai donné à mon entreprise une dimension internationale. Nous sommes présents dans presque tous les pays du monde, j’appartiens à la chambre syndicale de la couture parisienne et je siège au comité Colbert, qui favorise le rayonnement international des grandes marques du luxe français. Ma maison est toutefois moins importante que Chanel, Dior ou Hermès, puisque je ne possède que cent cinquante boutiques exclusives dans le monde.

À mon sens, un jeune qui a des idées et un tant soit peu de courage et de persévérance peut encore monter une entreprise. Pour réaliser 75 % de mon chiffre d’affaires à l’exportation, j’ai passé ma vie dans les avions. Devenue internationale, notre marque a conservé un style propre et une distribution réservée. Rester une maison de luxe coûte cher et demande beaucoup d’investissements. Il faut des équipes de grande qualité. Hermès a fondé son succès sur une qualité exceptionnelle à des prix élevés, qui, d’ailleurs, ne permettent plus de vendre en France. Mes boutiques françaises ont elles aussi du mal à fonctionner. Elles sont soutenues par l’activité internationale.

Je ne formulerai pas de demandes différentes de celles de mes collègues. En France, nous avons du mal à embaucher et à licencier. Nous avons quelques difficultés avec les prud’hommes. Mais c’est surtout l’avenir de mon entreprise qui me préoccupe. Directrice générale de Leonard, ma fille travaille avec moi depuis vingt ans, après avoir fait des études supérieures que je n’avais pas faites. Elle se déplace tous les deux mois entre Shanghai, Hong-Kong, Séoul et Tokyo, ce qui exige un certain courage. Mon entreprise familiale ne survivra que si elle possède un successeur compétent, formé, qui continuera le style Leonard en le perfectionnant et en continuant à ouvrir des boutiques dans le monde.

M. Antoine Herth. Nous sommes venus à cette réunion en nous rappelant la phrase de Baudelaire : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, /Luxe, calme et volupté », mais c’est évidemment le mot « industrie », qui crée un lien entre notre commission et le luxe.

J’aimerais connaître l’impact des tensions entre notre pays et la Russie sur votre chiffre d’affaires.

D’autre part, ma circonscription possède deux tanneries, qui travaillent pour le secteur du luxe. Lors d’une assemblée générale du secteur du cuir, qui s’est tenue récemment en Alsace, on a signalé la difficulté d’obtenir dans le temps et en quantité suffisante cette matière première que constitue la peau de veau de bonne qualité. Les abattoirs connaissent des difficultés. Beaucoup d’éleveurs renoncent à leur activité. Or la maîtrise de la ressource sur le territoire est essentielle pour perpétuer le produit de qualité. Pensez-vous pouvoir peser sur l’élaboration d’un plan filière ? Pour l’agriculteur et l’abatteur, le cuir fait partie du cinquième quartier, qui n’est même pas valorisé. Comment leur faire prendre conscience que la peau est une source de création de valeur ajoutée, presque plus importante que la viande ?

Mme Jacqueline Maquet. Dans le domaine du luxe, le savoir-faire reconnu des ouvriers et des artisans français est-il menacé par la concurrence étrangère ? Comment peut-on le pérenniser ?

M. Thierry Benoit. Je rends hommage aux intervenants, qui créent de la richesse, donc de l’emploi. En tant qu’élu du bassin de Fougères, en Ille-et-Vilaine, qui possède 40 % d’emplois industriels, je me demande si le luxe ne peut pas tirer la production industrielle française, voire favoriser la relocalisation d’activités que nous avons perdues depuis cinquante ans.

Comment améliorer les relations entre les donneurs d’ordres et les opérateurs locaux, pour élever la gestion prévisionnelle de l’emploi, des compétences et de la qualification dans les territoires ?

Le Gouvernement souhaite simplifier réglementations et normes. Quelles propositions peut-on formuler pour éviter à la France une certaine surenchère et inviter l’Union européenne à une plus grande harmonisation ?

Mme Jeanine Dubié. Je remercie les intervenants, qui contribuent à rééquilibrer notre balance commerciale. Rapporteure avec Philippe Le Ray, d’une mission d’évaluation de la politique d’accueil touristique, je puis témoigner que les touristes chinois sont de gros consommateurs de nos produits de luxe.

L’essor du made in France peut-il favoriser la relocalisation de l’activité industrielle sur notre territoire ? Quelle stratégie utilisez-vous pour vous prémunir contre la contrefaçon, qui représente 10 % du commerce mondial, soit un coût annuel de 200 000 à 300 000 milliards d’euros pour l’économie mondiale et de 6 milliards pour l’économie française ? Êtes-vous satisfait des dispositions de la loi du 11 mars 2014 ? Que pensez-vous de la plainte déposée par le groupe Kering contre le géant chinois Alibaba, qu’il accuse de favoriser la contrefaçon ?

Comment transmettez-vous le savoir-faire des artisans ? Comment améliorer la qualité de notre système de formation ? Comment rendre les métiers du luxe plus attractifs ? Avez-vous du mal à recruter ? Comment faciliter l’apprentissage dans vos filières ? Comment favoriser l’innovation ?

En quoi la baisse du seuil de paiement en liquide vous sera-t-elle préjudiciable ? Ce système favorisera-t-il la vente de l’horlogerie en Suisse ou à Londres ?

Mme Michèle Bonneton. L’industrie française du luxe est stratégique pour les emplois, la balance commerciale et le rayonnement de notre image. Quelles actions menez-vous pour contrôler toute la chaîne de production sur le plan de l’éthique, de la responsabilité sociétale des entreprises et du respect de l’environnement ? Le secteur s’inscrira-t-il demain dans une logique d’économie circulaire ? Pour faciliter l’exportation, des accords multilatéraux signés dans le cadre de l’OMC ne vaudraient-ils pas mieux que des accords bilatéraux ? Quelle est votre politique de filiales à l’étranger ? L’avenir est-il à la délocalisation ou à la relocalisation ? Quelle part de votre fabrication réalisez-vous en France et à l’étranger ? Est-il exact que les vêtements dessinés en France sont fabriqués hors de nos frontières ? Le CICE incite-t-il à relocaliser des activités ? Bénéficiez-vous du crédit impôt recherche ? Quels sont les coûts de transferts entre la société mère et les filiales ? Que pensez-vous de la fiscalité qui vous est appliquée ?

M. André Chassaigne. Comment se concrétisent les chartes éthiques signées par les sociétés de négoce de pierres et de métaux précieux ? Sont-elles respectées ?

Comment les entreprises de luxe, qui créent beaucoup d’emplois dans la maroquinerie, prennent-elles en compte la montée des troubles musculo-squelettiques, sensible dans ce secteur ?

Je m’étonne de vous entendre dire qu’il ne faut pas d’entraves au commerce. On connaît les conséquences d’un excès de libéralisation. L’Union européenne a engagé une procédure en infraction à l’encontre de la France, au motif que l’utilisation des termes « qualité fait main » et « bottier », régie par la loi du 14 mai 1948 – qui protège les productions issues du savoir-faire français – porte atteinte à liberté des échanges. Le traité TAFTA (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) pourrait renvoyer ce type de litiges à un tribunal arbitral.

Il existe en France une tendance à la surréglementation, voir à la surtransposition des directives européennes. Avez-vous dressé une liste de ces excès ?

Quels outils permettraient une meilleure application de l’article 39 du code des douanes, qui prohibe l’importation de produits issus de la contrefaçon ?

Mme Clotilde Valter. Comment déterminez-vous la part de votre production réalisée en France et à l’étranger ? Quelles sont vos stratégies dans ce domaine ? En avez-vous changé pour vous adapter au marché ? Quels besoins identifiez-vous à cet égard ?

Les entreprises que vous représentez possèdent une marque bien connue, qui se suffit à elle-même. Quels conseils donnez-vous aux jeunes qui veulent créer leur entreprise et lancer de nouveaux produits ? Doivent-ils s’associer à des groupes ? Peuvent-ils s’appuyer sur les dispositifs d’aide ?

M. Philippe Armand Martin. Le 2 septembre, la Cour des comptes a rendu public un référé sur la politique de lutte contre la contrefaçon. Le document, qui pointe le rôle pilote de la France au sein de l’Union en matière réglementaire, comporte six recommandations, signalant les limites du dispositif actuel. En réponse, le Premier ministre a souligné l’importance de collaborer régulièrement avec les organisations professionnelles et les comités nationaux anti-contrefaçon, comme d’analyser de manière objective les conséquences économiques nationales et sectorielles de ces pratiques. Son engagement a-t-il été mis en œuvre ? Quelles mesures faut-il prendre pour protéger votre activité ?

Vers quelles filières de formation vous tournez-vous ? Comment faciliter le recrutement d’une main-d’œuvre formée à vos métiers ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Selon la première étude d’un cabinet d’audit et de conseil visant à identifier les sociétés leaders sur le marché mondial du luxe en fonction de leur chiffre d’affaires sur l’exercice fiscal de 2012 – celui de 2013 n’étant pas sensiblement différent –, la France est bien classée. Onze des soixante-quinze entreprises citées sont françaises, et trois figurent dans les dix premières. Le résultat est moins satisfaisant quand on classe les groupes en fonction de leur croissance ou de la stratégie de vente par internet. Comment les entreprises investissent-elles ce nouveau commerce ? Quel marché concerne-t-il ?

M. Jean-Claude Mathis. Le secteur du luxe dépend en partie de celui du tourisme, qui dépend lui-même des fluctuations monétaires. Une variation du taux de change peut fortement modifier les prix d’un produit d’un pays à l’autre. Beaucoup de touristes choisissent leur destination en fonction de cette donnée. Récemment, la clientèle chinoise s’est tournée vers le Japon, qui a vu le nombre de visiteurs chinois augmenter de 83 % en 2014. Comment intégrer cette nouvelle donne ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Quels sont les liens entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants ? Quelle est votre position concernant l’obligation faite aux uns de mettre en œuvre un plan de vigilance à l’égard des autres, afin d’éviter des atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ?

M. Alain Suguenot. L’industrie du luxe est surtout portée par la demande du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique-du-Sud, où vos sociétés ouvrent des magasins. Les touristes étrangers ne risquent-ils pas de se détourner de la France, dont ils trouvent désormais les productions à l’étranger ? Le luxe a-t-il encore une place dans l’Hexagone pour les Françaises et les Français ?

M. Philippe Kemel. Combien d’emplois représente le secteur du luxe ? Quelle est sa valeur ajoutée ? Dans ma circonscription, la cristallerie d’Arques connaît des difficultés. Comment fait faire pour relocaliser l’activité dans ce domaine ? La marque France, que vous portez, peut-elle servir d’autres activités industrielles ? Peut-on imaginer une stratégie coopérative pour ouvrir les marchés à toute l’industrie française ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. À combien estimez-vous le préjudice qui découle de la vente de contrefaçons sur internet ? Comment s’organise la veille dans ce domaine ?

M. Joël Giraud. Même s’il effectue des règlements inférieurs aux montants légaux, l’auteur d’une opération fractionnée ou complexe encourt des sanctions pénales, ce qui relativise la notion de seuil. L’absence de déclaration de soupçon, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, a souvent été signalée dans le marché de l’art. Dès 2010, une formation avait été proposée à certaines professions, dont la vôtre. L’un d’entre vous a-t-il déjà rédigé une déclaration de ce type, dont on sait qu’elle n’entraîne pas de perte de clientèle immédiate ? Il s’agit uniquement de signaler un soupçon. Par ailleurs, s’il s’agit non de blanchiment mais de fraude fiscale, l’affaire est immédiatement enterrée, puisqu’il n’y a pas de fongibilité entre les opérations de blanchiment et de fraude fiscale.

Mme Annick Le Loch. Êtes-vous membres du comité stratégique de filière des industries de la mode et du luxe ? Qu’en attendez-vous ? Pouvez-vous faire le point sur le contrat de filière ? Quelles sont les perspectives d’embauche dans le secteur ?

M. Dino Cinieri. Votre profession est durement touchée par la hausse de la criminalité. En novembre 2013, comme plusieurs braquages étaient survenus dans ma circonscription, j’ai déposé un amendement proposant d’ouvrir à vos entreprises un crédit d’impôt quand elles augmentent la sécurité des personnes et des biens. Le ministère de l’intérieur avait en effet approuvé l’installation de certains dispositifs de sécurisation innovants, mais onéreux. L’amendement n’a pas été adopté. Quelles mesures pourrions-nous adopter afin de vous aider ?

J’ai travaillé dans le monde de la haute sécurité. Ma société réalisait des audits en matière d’alarme, effectuait de l’entretien, de la télésurveillance, des interventions, ou plaçait des agents de sécurité devant et dans les commerces. J’évite toujours le mot de vigiles, qui évoque les milices politiques. Le milieu de la sécurité parle plutôt d’agents de sécurité agréés pour les établissements recevant du public (ERP) ou les immeubles de grande hauteur (IGH). Contrairement à ce qui a été dit, les magasins peuvent employer des agents de sécurité du 1er janvier au 31 décembre. La société qui a acquis mon groupe en 2001 emploie des agents qui protègent toute l’année des enseignes de la Croisette.

Mme Frédérique Massat, présidente. Est-il difficile de recruter de la main-d’œuvre spécialisée ? Éprouvez-vous des difficultés à pourvoir certains postes ? Projetez-vous de mettre en place des services innovants, par exemple pour accompagner la clientèle sur le marché intérieur ou extérieur ?

M. Daniel Tribouillard. M. Herth nous a interrogés sur notre situation en Russie, où nous avons réussi à nous développer. Nous avons ouvert des magasins à Moscou, puis dans toute la Russie, ce qui, après notre développement en Asie, nous a donné un relais de croissance.

La crise du rouble nous a fait perdre nos clients russes pendant un an. Il semble qu’ils commencent à revenir. Certains assisteront, le 20 juin, à la présentation de notre collection été 2016. À la fin de l’année dernière, quand je me suis rendu en Russie, j’ai rencontré une incroyable hostilité. On reprochait aux Français de ne pas avoir livré les Mistral, ce qui avait pour conséquence que les femmes russes ne s’habillaient plus en Leonard ni en Chanel. Nous attendons qu’elles reviennent vers nous.

Madame Maquet, le savoir-faire est à la base de mon entreprise. Nous veillons à l’entretenir grâce à une formation permanente. Mes successeurs ont appris l’esprit Leonard et la manière de le développer. Ils auront la lourde responsabilité de le faire évoluer.

Si des jeunes veulent exporter, ils doivent avoir le courage de voyager, ce dont les Français n’ont pas toujours envie. Il faut aussi avoir une idée et s’y tenir. La réussite tient dans quatre le secret : le travail, le travail, le travail et la chance.

M. Benoit s’est demandé comment relancer l’industrie française. Quand j’ai démarré en 1958, l’industrie textile lyonnaise était la meilleure au monde. Elle a totalement disparu, ce qui nous a contraints à nous déplacer. Mermoz, le meilleur imprimeur du monde, qui se trouvait à Bourgoin Jallieu, a fermé, victime des 35 heures et des charges sociales. Je me suis battu pour maintenir cette entreprise dont la fermeture nous oblige à nous faire imprimer des tissus en Italie. Nous nous interdisons toutefois de le faire en Chine. J’aimerais savoir comment relancer une industrie qui nous manque tant.

Mme Bonneton m’a demandé quel rôle jouent nos filiales étrangères. Ma réponse est simple : elles font vivre mon entreprise française qui, sans elles, n’aurait pas le moyen d’investir dans la recherche, la création et de développement de nouvelles boutiques.

M. Jean Cassegrain. Je vous confirme, monsieur Herth, qu’un des problèmes de l’industrie de la maroquinerie est l’accès à la peau de veau, qui est notre matière première. Dès lors que les gens mangent moins de viande, alors que la demande de cuir augmente, le marché se tend. La teigne qui frappe les élevages français ne rend pas la viande impropre à la consommation mais abîme les peaux. Si l’on vaccinait le cheptel, nous accéderions à une matière première de meilleure qualité.

Longchamp fabrique à parts égales ses produits en France et hors de France. La fabrication à l’étranger nous rend plus compétitifs et nous permet de produire davantage. En France, nos sites industriels emploient 800 à 900 personnes, qui travaillent essentiellement dans le grand Ouest. Remplacer les trente à quarante personnes qui partent chaque année à la retraite est déjà difficile. Les bassins de main-d’œuvre où nous sommes situés, essentiellement ruraux, ne sont pas attractifs, non plus que notre industrie. Celle-ci est trop petite et trop spécifique pour que nous puissions recruter du personnel qualifié. Nous formons donc entièrement nos employés dans des ateliers écoles où nous pérennisons les savoir-faire. Ceux-ci seraient perdus si nous cessions la fabrication en France.

Notre rêve serait de développer l’emploi industriel dans notre pays. Cela suppose de recruter du personnel, de le former et de lui faire aimer le métier, ce qui exige des efforts considérables. Sans l’apport du made in China, nous n’aurions pas pu maintenir notre niveau de développement.

Vous nous avez interrogés sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), à laquelle nous nous sommes intéressés en partie à l’instigation du consommateur. Les entreprises et les marques craignent plus le bad buzz sur les réseaux sociaux que les amendes de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ce qui prouve qu’il n’est pas utile de tout réglementer. Pour répondre aux consommateurs qui, de plus en plus, nous demandent des comptes, nous devons savoir où et comment sont faits nos produits. Nous avons introduit des dispositions dans nos conditions générales d’achat. Nous n’utilisons plus que du papier certifié FSC (Forest Stewardship Council), venant de forêts gérées de manière écologique. Nous veillons à ce que les peaux que nous achetons en Amérique latine ne proviennent pas de bêtes élevées sur des zones d’élevage issues de la déforestation. Je vous invite à consulter le site du groupe Kering, leader sur le sujet, où figure leur compte de résultat environnemental.

Les pouvoirs publics sont déterminés à combattre la contrefaçon, mais nous manquons d’outils juridiques pour attaquer les sites frauduleux qui se développent sur internet. En France, pour intenter un procès à quelqu’un, il faut l’en aviser officiellement. Si celui-ci est en Chine, il faut faire traduire l’assignation en chinois et la faire délivrer par un huissier en Chine, ce qui n’est pas possible si l’adresse est fausse, ce qui est généralement le cas. Ces dispositions nous interdisent d’intenter la moindre action en France. C’est pourquoi nous attaquons les faussaires aux États-Unis, où il suffit, pour enclencher la procédure, d’adresser un message électronique au site.

En outre, la loi américaine permet d’impliquer dans une seule action 300 à 400 sites, ce qui limite à trois ou quatre le nombre de procès que nous intentons chaque année. La législation française, qui impose de faire un procès par dossier, pourrait être révisée.

Pour effectuer une vente en ligne, il faut trois acteurs : un moteur de recherche, un opérateur de paiement et une société de transport. Google coopère en supprimant le référencement payant, c’est-à-dire les annonces publicitaires pour les produits de contrefaçon, mais refuse de supprimer le référencement naturel des sites de contrefaçon, pour lequel les règles diffèrent, d’un pays à l’autre. La collaboration des acteurs peut être améliorée.

Il faut aussi travailler sur les moyens de paiement. En effet, sans carte de crédit, on ne peut pas acheter en ligne. Au Canada, marques ou consommateurs peuvent signaler à la police tous les sites de contrefaçons, ce qui permet, après vérification, de priver les contrevenants du moyen d’encaisser les transactions.

M. Olivier Frémont. Nous possédons près de Rouen une usine qui crée de l’emploi. Mon intérêt, en tant que responsable d’une marque de luxe, est de produire en France. Le made in France ajoute à la valeur de nos produits : il nous serait impossible de vendre du Christofle made in China. En outre, produire en France nous permet de réagir plus rapidement à la demande de nos clients.

Reste que 40 % de notre production est réalisée à l’étranger, notamment au Brésil ou en Italie. Chaque fois que nous lançons un nouveau produit, un comité réunissant les responsables de l’industriel et du marketing se demande si nous le réaliserons chez nous ou à l’étranger. Depuis que l’euro a baissé, il n’est plus défavorable de nous en remettre à nos équipes françaises, qui ont une bonne productivité. Certains responsables veillent à améliorer la performance. Ils élaborent des plans d’action pour réduire de deux à une minute le temps de fabrication de telle ou telle pièce. Pour les petits produits, en revanche, nous nous tournons vers l’étranger où la fabrication est plus automatisée.

Le savoir-faire est notre fonds de commerce. Le nom de la France évoque Versailles et Vaux-le-Vicomte. Bien qu’on produise en Inde et en Chine des pièces magnifiques, il me serait difficile de vendre 10 000 euros un candélabre made in India. Pour moi, le made in est une menotte marketing, mais sur le plan de la fabrication, les autres pays nous rattrapent. La seule avance que nous conservions concerne les pièces exceptionnelles, que je fais réaliser par les meilleurs ouvriers de France et qui équiperont l’Élysée ou d’autres palais.

Si, depuis quelque temps, il m’est plus facile de relocaliser la production, je reste échaudé sur deux points.

Le premier concerne les normes environnementales, qui sont des usines à gaz. On ajoute à tout instant des réglementations qui vont devenir ingérables, alors même que nous agissons de manière responsable, que nous ne polluons pas les nappes phréatiques et que nous n’avons pas envie d’empoisonner l’eau de l’école située à côté du site de production.

Mon second sujet d’inquiétude est l’empilement des normes européennes, bien que je sois très favorable à l’Union européenne et à l’euro. Napoléon III utilisait tel type de couverts. On ne peut pas casser des siècles d’histoire pour respecter une réglementation qui vient d’être édictée pour les interdire.

Compte tenu de cette situation, nous embauchons souvent des intérimaires. Quand une opportunité se crée, nous avons envie de la saisir, mais nous sommes frileux moins pour des raisons économiques que parce que nous redoutons l’apparition de nouvelles normes.

Monsieur Kemel, Arques est n’est pas réellement une marque de luxe. Il est plus difficile à une marque dont les prix de vente ne sont pas très élevés de produire en France. La question relève moins de la stratégie industrielle que du marketing : c’est la décision commerciale qui induit le lieu de production.

M. Pascal Rousseau. Nos relations politiques avec la Russie ont un impact direct sur notre chiffre d’affaires. Celui que nous réalisions avec les Russes, qui représentait 3 % à 5 % de notre chiffre global, a été divisé par deux.

Nous avons besoin du made in France, made Switzerland, made in Portugal et made in Italy. Ces pays – à l’exception du Portugal, où l’on produit des pièces – ont une légitimité en matière d’horlogerie et de joaillerie. Il nous est impossible de produire en Chine : les clients de la joaillerie tiennent au luxe européen, ceux de l’horlogerie, à la fabrication suisse.

Les possibilités de relocalisation sont fortes. Nous augmentons la production en France. La difficulté est de trouver des bassins d’emploi qui permettent de produire de la haute joaillerie. Il faut dix ans pour former un bon joaillier ou un bon horloger. Le bassin de Franche-Comté, proche de la Suisse, pourrait se développer, car il existe sur place un savoir-faire. La pierre d’achoppement reste le code du travail, et le volume de la législation, des contraintes et des coûts.

En France, les entreprises sont taxées théoriquement à 33 % et en fait à 38 %, mais paradoxalement, en valeur absolue, l’Irlande obtient beaucoup plus de l’IS que la France. Notre taux d’imposition, que, politiquement, il serait sûrement difficile de baisser, est contre-productif. C’est ce qui explique que le bénéfice et l’activité de nos entreprises se fassent en grande partie à l’étranger. Notre taux d’IS fait partie des trois les plus élevés du monde.

La possibilité d’effectuer des règlements en liquide est un élément de la compétitivité nationale. En Suisse, les versements en espèces ne sont pas limités. À Londres, le seuil est situé à 12 300 euros, ce qui permet à la France d’être compétitive. Encore faut-il qu’elle le reste. Si nos clients ne peuvent dépenser en France les sommes qu’ils apportent en liquide, ils le feront en Suisse.

Je n’ai jamais adressé de déclaration au service de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN). Récemment, j’ai été confronté à un cas. Je ferai une déclaration si le paiement n’est pas régularisé dans la limite de 15 000 euros. Nous sommes soumis à suffisamment de contrôles pour qu’il ne nous soit pas possible d’échapper à la loi.

M. Joël Giraud. Le marché de l’art est la deuxième voie de financement du terrorisme.

M. Pascal Rousseau. Je ne travaille pas dans le marché de l’art, qui se vend beaucoup sur internet. Or Richmond, qui possède une vingtaine de marques, emploie 30 000 employés et réalise 10 milliards de chiffre d’affaires, ne réalisera jamais plus de 2 % de ses ventes sur internet. Les clients aiment acheter les objets de luxe en boutique. Au Japon ou aux États-Unis, certains utilisent internet parce qu’ils sont loin des magasins ou qu’ils veulent faire un achat au milieu de la nuit, mais il s’agit d’un comportement presque anecdotique, qui concerne les produits les moins onéreux.

En France, le luxe représente 165 000 emplois, dont 50 000 en direct, et son chiffre d’affaires atteint 40 milliards, ce qui est considérable. En outre, c’est un énorme potentiel de croissance et d’emploi.

Depuis le braquage que j’ai subi il y a quelques semaines, à Cannes, j’ai obtenu de la préfecture la possibilité d’employer un agent de sécurité extérieur. Toutefois, l’article L. 613-1 du code de la sécurité intérieure dispose qu’« à titre exceptionnel, [les agents de sécurité] peuvent être autorisés, par le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, par le préfet de police, à exercer sur la voie publique des missions, même itinérantes, de surveillance contre les vols, dégradations et effractions visant les biens dont ils ont la garde. »

À mon sens, il devrait être possible de faire bénéficier d’une protection exceptionnelle les professions de la bijouterie et de l’horlogerie, au motif qu’il s’agit de professions à risque. Le préfet de police, M. Boucault, serait très favorable à cette interprétation, qui n’a pas reçu l’aval des juristes. Mieux vaudrait, si vous le souhaitez, modifier la loi sur ce point, car les agents de sécurité sont plus efficaces à l’extérieur des boutiques qu’à l’intérieur.

Mme Bernadette Pinet-Cuoq. La joaillerie, la bijouterie et de l’orfèvrerie sont des secteurs attractifs, puisqu’ils forment chaque année 1 200 personnes sur le territoire, dont 25 % en alternance. Il est important d’attirer les jeunes vers les formations pour que nous puissions recruter du personnel qualifié.

La première étape était de reconstruire avec l’éducation nationale un socle diplômant. C’est un travail que j’ai mené il y a dix ans pour le secteur de la joaillerie. Nous avons restructuré tous les diplômes en élevant le niveau de compétence. Les élèves qui ne pouvaient envisager qu’un CAP peuvent désormais prétendre à un brevet des métiers d’art de niveau bac pro, c’est-à-dire de niveau IV. C’est le premier travail auquel les filières doivent s’atteler.

Avec les partenaires sociaux, dans le cadre d’un plan national de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), la branche bijouterie s’est intéressée aux métiers sensibles : joailliers, polisseurs, sertisseurs et prototypistes. Nous avons rédigé des référentiels de formation, qui pourront servir en entreprise.

La formation interne est un enjeu essentiel. Même après avoir suivi une bonne formation initiale, les jeunes doivent être formés en continu aux différentes innovations produit, aux nouvelles technologies, comme le laser, aux évolutions de la création et aux enjeux de volume et de qualité. La formation interne ne peut se faire que sur le poste de travail, d’autant que nous utilisons des pierres ou des métaux précieux, qui valent très cher. On n’imagine pas qu’un sertisseur sertisse mille pierres de deux ou trois carats dans un centre de formation ou une école.

Les entreprises ont structuré la formation interne en se dotant de feuilles de présence et de référentiels de formation. Il faut savoir où en est le salarié et quel niveau il doit atteindre. On évalue ainsi le coût caché que l’entreprise finance dans sa marge, par exemple quand elle détache un chef d’atelier pour s’occuper d’un collaborateur. Beaucoup d’entreprises du secteur s’insèrent dans cette démarche pour établir un plan de formation et chercher un cofinancement après d’un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA). Nous parvenons à élaborer, pour des PME de trente à cinquante personnes, des plans de formation de plus de 100 000 euros, qui leur permettent de défiscaliser un coût caché qui entre dans le prix de revient.

Notre filière ne sera attractive pour les jeunes ou les moins jeunes que si les salaires que nous proposons le sont aussi. C’est pourquoi nous sommes attachés à la qualité du dialogue social. En matière de salaire, il existe dans la joaillerie des seuils d’entrée par niveau de qualification.

Vous m’avez aussi interrogée sur le développement durable et la responsabilité sociétale des entreprises. C’est une tendance que la joaillerie avait anticipée. Il y a cinq ou six ans, le conseil pour les pratiques responsables en bijouterie (Responsible Jewellery Council, RJC) a établi, à l’initiative du groupe Richemont, une chaîne de traçabilité mondiale, qui permet de suivre le parcours du bijou depuis le moment où le métal est extrait de la mine jusqu’à celui le produit arrive dans la vitrine du détaillant.

Pour obtenir ce label, qu’ont reçu beaucoup d’entreprises françaises, il faut se soumettre à un audit en répondant à 200 questions sur les relations avec les salariés ou les fournisseurs, ainsi que sur les questions environnementales. Nous avons traduit en français ce questionnaire anglo-saxon pour inciter le plus grand nombre d’entreprises à entrer dans le dispositif. Beaucoup de PME et d’ateliers travaillent sous le label RJC, que privilégient les grandes marques. Cette démarche internationale de qualité concerne aussi la traçabilité des diamants, conformément au processus de Kimberley, et de l’or. Il s’agit en somme d’une norme ISO, qui structure la filière.

Le made in est un vrai problème, qui devrait contribuer à réduire indirectement le niveau des normes. Il y a quatre ans, quand la France a appliqué une directive supprimant le cadmium dans les bains de galvanoplastie, les fabricants, qui ne savaient pas comment remplacer ce produit, ont consacré des sommes importantes à la recherche. Aujourd’hui, les bijoux plaqués or fabriqués en France ne contiennent plus de cadmium, contrairement aux produits asiatiques.

Le marché intérieur est constitué de 85 % de produits importés. Or aucun contrôle n’est réalisé aux frontières. La DGCCFR aurait d’ailleurs du mal à vérifier la teneur des produits en cadmium. Face à ce désavantage compétitif, le made in peut constituer une ligne de partage.

Le rapport entre donneurs d’ordres et sous-traitants est primordial pour l’organisation du secteur de la bijouterie et de la joaillerie. Leur relation est d’abord basée sur la confiance. Les créateurs indépendants, pour la plupart français, qui ont créé leur marque au XXsiècle, ont travaillé dès l’origine avec des ateliers français. Leur collaboration remonte à cinquante ou soixante ans.

En 2009, les commandes des sous-traitants ont chuté de 80 %, ce qui a entraîné une crise de confiance. Les ateliers se demandaient comment ils allaient survivre. Pourtant, s’ils avaient licencié quinze salariés sur cinquante, ils se seraient privés de la possibilité de faire face à un éventuel retour de la croissance. Ils ont pris le parti de travailler avec les donneurs d’ordres.

Une charte a été rédigée dans laquelle ceux-ci ont demandé aux sous-traitants de travailler sur leur modèle économique. Il était impossible à une entreprise de vingt salariés, dont le dirigeant s’occupe du commercial et des relations humaines, d’atteindre le niveau de performance et de qualité requis. La filière a reconsidéré la taille critique des entreprises, ce qui a profondément modifié son paysage.

Le plan filière a permis d’éviter les licenciements, de conserver les compétences de haut savoir-faire et de faire face au retour de la croissance. Le dialogue indispensable entre donneurs d’ordres et sous-traitants est facilité par le fait que leurs représentants siègent depuis des années au conseil d’administration de l’UFBJOP.

Si nos entreprises sont compétitives et extrêmement performantes en termes de haute joaillerie, elles ne doivent pas se cantonner à ce secteur. Dès lors que nos sous-traitants et cotraitants ont dégagé les mêmes capacités en volume que les Italiens, il serait dangereux, même si nous souffrons d’un désavantage compétitif, de maintenir la production de la haute joaillerie à Paris et de produire le reste en Espagne ou en Italie.

La formation interne est un levier d’efficacité ou d’amélioration de la marge.

Enfin, j’insiste sur la nécessité de régler le problème du financement des stocks d’or, sur lequel les ateliers paient l’IS, ce qui obère leurs capacités d’investissement.

M. Dino Cinieri. Je précise qu’un magasin peut employer toute l’année des agents de sécurité à l’intérieur de la boutique. D’autre part, il me paraît logique que vos entreprises soient contraintes, pour survivre, de dégager de la marge en Asie, notamment en Chine, compte tenu du volume de charges qui pèsent sur les entreprises françaises.

Mme Jeanine Dubié. Le contrat de génération favorise-t-il la transmission des savoirs ?

M. Jean Cassegrain. Je ne comprends pas le raisonnement qui justifie ce contrat. Quel patron normal peut embaucher quelqu’un à la seule fin de toucher 2 000 euros ? C’est une idée qui a poussé hors sol et qui ne sert à rien.

M. André Chassaigne. Quand une entreprise vend des sacs 45 000 euros, et d’autres modèles, plus courants, 6 000 euros, pour un prix de revient de 1 500 euros, elle pourrait témoigner une certaine attention au parcours des salariés victimes de TMS. C’est un beau geste, pour un salarié, que de réaliser un sac complet, mais les TMS peuvent être extrêmement graves.

M. Jean Cassegrain. Les deux sujets ne sont pas liés : il ne suffit pas de vendre des sacs à un prix élevé pour soigner les TMS. Ne pensez pas que les entreprises négligent le sujet, au contraire : elles sont les premières à redouter qu’un salarié soit déclaré inapte, car elles seront tenues de lui proposer un autre travail, ce qui est très difficile dans certains ateliers.

Pour prévenir le problème, nous adaptons les postes de travail, nous multiplions les formations et nous insistons sur la variété des tâches. L’exemple que vous avez cité est mal choisi. Quand un salarié fabrique un sac en totalité, il ne fait pas de gestes répétitifs. J’ai visité une usine de chemises dans laquelle certaines personnes passaient l’année à monter des cols. La diversité de formes, de techniques et de modèles est beaucoup plus importante dans nos ateliers. Quoi qu’il en soit, c’est un problème d’organisation et non d’argent.

Mme la présidente Frédérique Massat. Je vous remercie.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 3 juin 2015 à 9 h 30

Présents. - M. Damien Abad, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Georges Ginesta, M. Joël Giraud, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Antoine Herth, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Patrice Prat, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Marie Tetart, Mme Catherine Troallic, Mme Clotilde Valter

Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Denis Baupin, M. Marcel Bonnot, M. Jean-Claude Bouchet, M. François Brottes, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Henri Jibrayel, M. Thierry Lazaro, M. Serge Letchimy, M. Kléber Mesquida, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin, M. Fabrice Verdier

Assistaient également à la réunion. - M. Michel Françaix, M. François Vannson