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Commission des affaires économiques

Mercredi 30 septembre 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 80

session extraordinaire de 2014-2015

Présidence de Mme Frédérique Massat, Vice-Présidente

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 80

– Table ronde réunissant des représentants des syndicats d’Alcatel, avec la participation de :

– MM. Pascal Guihéneuf et Hervé Lassalle (membres de la CFDT),

– MM. Frédéric Aussedat et Jean-Marc Bernhard (membres de la CFE CGC),

– MM. Stéphane Dubled et Claude Josserand (membres de la CGT

La commission a organisé une table ronde réunissant des représentants des syndicats d’Alcatel, avec la participation de : MM. Pascal Guihéneuf et Hervé Lassalle (membres de la CFDT), MM. Frédéric Aussedat et Jean-Marc Bernhard (membres de la CFE CGC), et MM. Stéphane Dubled et Claude Josserand (membres de la CGT).

Mme Frédérique Massat, présidente. Mes chers collègues, avant d’entendre nos invités, je vous annonce officiellement que sur la première partie du projet de loi de finances, nous nous sommes saisis des articles 3, 4, 6, 7, 8, 14 et 20. Cela vous sera confirmé par courrier et par mail.

Messieurs les représentants d’Alcatel-Lucent, je vous remercie de votre présence devant la commission des affaires économiques. Je vous propose un petit rappel de nos travaux, et du processus que nous suivons de près.

Le 15 avril 2015, Nokia et Alcatel-Lucent ont annoncé qu’elles se rapprochaient pour créer un leader des technologies innovantes dans les réseaux et les services pour un monde connecté.

Le 16 juin 2015, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a reçu M. Michel Combes, alors directeur général du groupe Alcatel-Lucent, et M. Rajeev Suri, président-directeur général de Nokia, afin de préciser les conditions de ce rapprochement et les engagements de Nokia s’agissant de l’emploi en France.

Le 22 septembre, M. Rajeev Suri a rencontré M. Emmanuel Macron afin de lui présenter le projet industriel de Nokia pour finaliser les engagements de l’équipementier finlandais dans le cadre de l’acquisition d’Alcatel-Lucent.

Globalement, Nokia localisera le pilotage de la recherche de pointe et de l’innovation en France sur ses centres de R&D de Nozay/Villarceaux dans l’Essonne et de Lannion dans les Côtes d’Armor. 5G, plateformes IP, small cells, transmissions sans-fil et optiques y constitueront les principaux sujets de recherche. Nokia entend également créer un fonds d’investissement de 100 millions d’euros dédiés à l’internet des objets, à la cyber-sécurité et aux plateformes logicielles pour les prochaines générations de réseaux.

Les fonctions commerciales pour la zone Europe, Moyen-Orient, Afrique seront également opérées depuis l’hexagone. Néanmoins, malgré sa forte présence dans l’activité du groupe, la France s’inscrira comme un pôle de développement technologique et commercial pour Nokia au même titre que l’Allemagne, la Chine ou les États-Unis. Le siège social de la nouvelle entité Nokia Corporation sera toujours basé en Finlande.

La finalisation de la fusion reste programmée pour le premier semestre 2016.

Dans ce contexte, il était essentiel que la commission des affaires économiques reçoive les représentants syndicaux.

Messieurs, je vous passe la parole. Ensuite, les parlementaires seront amenés à s’exprimer, soit par le biais de questions, soit par le biais de réflexions. Enfin, vous prendrez le temps qui vous sera nécessaire pour compléter vos premiers propos d’introduction et répondre aux parlementaires.

M. Frédéric Aussedat (CFE-CGC). Nous allons nous partager la lecture de la présentation commune préparée par notre intersyndicale.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les parlementaires, les deux entreprises Nokia et Alcatel-Lucent ont annoncé le 15 avril dernier le rachat du groupe Alcatel-Lucent par Nokia. Vous avez reçu ici même, comme l’a rappelé Mme la présidente, M. Suri et M. Combes le 16 juin dernier. Nous vous remercions de nous écouter aujourd’hui, en tant que syndicats représentatifs des salariés d’Alcatel-Lucent en France.

Après un bref rappel de l’histoire récente, nous parlerons du projet industriel de Nokia, des engagements, des risques et des opportunités liés à ce projet – sur l’emploi en particulier. En conclusion, nous rappellerons les quelques points qui nous paraissent majeurs dans le suivi de ce dossier.

L’entrée de M. Combes chez Alcatel-Lucent en 2013 avait été plus glorieuse que sa récente sortie. Ce sont donc deux Français, M. Philippe Camus et M. Michel Combes, qui auront mis fin à Alcatel, entreprise française centenaire. Nous ne referons pas toute l’histoire mais, comme salariés, nous sommes déçus et écœurés d’en arriver là. L’échec de la fusion avec Lucent, mal orchestrée et sans vision d’avenir, suivi de menaces de faillite consécutives, la concurrence de Huaweï dans une Europe dérégulée sur ses marchés télécoms ont accéléré la dégradation de cette situation.

Cela a abouti au plan Shift lancé par M. Combes en 2013, le plus sévère de tous avec la fermeture de nombreux sites dont cinq en France : Orvault (Loire-Atlantique, plus de 500 personnes), Rennes (Ille-et-Vilaine, plus de 100 personnes), Toulouse (Haute Garonne, une centaine de personnes), Ormes (Loiret, plus de 200 personnes), fermetures précédées par le déménagement de près de 3 000 personnes de Vélizy (Yvelines) vers Nozay (Essonne). Ce plan a supprimé et externalisé des centaines d’emplois en France et des milliers dans le monde. Par ailleurs, l’usine d’Eu (Seine-Maritime, plus de 300 personnes) est actuellement dans un processus de vente. Il en est de même de l’activité de câbles sous-marins ASN, avec 400 salariés dans l’Essonne et 400 autres à Calais – mais nous y reviendrons.

Nous voulons néanmoins souligner un point positif de l’action de M. Michel Combes et du directeur financier M. Jean Raby, qui a permis de nous sortir de l’emprunt Crédit Suisse/Goldman Sachs et des gages associés à cet emprunt, et de rééchelonner notre dette.

Nous en arrivons à ce rachat par Nokia, dans quelques mois, sans doute début 2016 pour l’étape la plus importante en matière de nouvelle gouvernance. Dans la corbeille, Alcatel-Lucent apporte ses parts de marché wireless aux US et en Chine ainsi que ses technologies IP, ses technologies en télécoms fixes, plus quelques autres activités et les brevets. Rappelons au passage que même si Alcatel-Lucent est derrière dans les infrastructures sans fil, elle est n° 1 mondial en réseau ADSL, n° 2 en routeurs IP, n° 3 en accès et transmission optiques. Au bilan, en 2014, Alcatel-Lucent, très diversifiée, est en termes de chiffre d’affaires devant Nokia qui est, elle, essentiellement présente sur le mobile.

La direction présente l’acquisition d’Alcatel-Lucent par Nokia comme l’émergence d’un grand groupe mondial face à Huaweï et Ericsson, avec un large portefeuille « produits » sans équivalent, un portefeuille « clients » mondial, une trésorerie nette positive significative de plusieurs milliards d’euros qui permet de gérer la dette et d’investir.

En termes de gouvernance, c’est Nokia qui dirigera, ce qui nous parait plus clair qu’une gouvernance à double têtes du type de celle qui a mis Alcatel-Lucent en difficulté, même si la France n’aura plus qu’une influence restreinte au sein du nouveau groupe.

En juin dernier, lors de la consultation du comité de groupe, au titre de la loi Florange dans le cadre d’une annonce d’offre publique d’échange (OPE), les organisations syndicales ne se sont pas opposées à ce projet de vente d’Alcatel-Lucent à Nokia. Nous voulons désormais que cette opération se passe dans les meilleures conditions possibles pour les salariés que nous représentons.

Au niveau social, nous voulons éviter tout licenciement coercitif et pour cela, nous demandons la mise en place d’une véritable gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) intégrant tous les sujets évoqués : anticipation sur la stratégie, recrutements, pyramide des âges, reclassement interne et formation, départs volontaires compensés par des embauches etc. Évidemment, c’est sur le volet de l’emploi et sur celui des activités en France que nous portons notre priorité : nous demandons des engagements plus concrets et un suivi précis sur ces deux points. Pour cela, des garanties sur le développement d’activités nouvelles doivent être apportées afin de sécuriser et développer l’emploi en France. Notre avenir en dépend, nous n’entendons pas le brader.

Le gouvernement français, que nous avons rencontré à plusieurs reprises, a discuté pendant des mois avec Nokia et Alcatel-Lucent. Le 22 septembre, M. Rajeev Suri a signé un texte chez le ministre M. Emmanuel Macron : ce sont les engagements que nous allons commenter et que vous, députés, nous, salariés, et le Gouvernement devront suivre dans le temps pour s’assurer de leur respect et de leur concrétisation.

Enfin, nous savons qu’il est fort probable que le gouvernement français donne rapidement son autorisation au titre des investissements étrangers en France, et que le gouvernement chinois le fasse en octobre. À partir de là, il restera à l’assemblée générale des actionnaires de Nokia à autoriser le lancement de l’OPE, pour aboutir à une prise de pouvoir opérationnel sans doute début 2016.

M. Claude Josserand (CGT). Quel est le projet industriel lié à cette OPE ?

Si les objectifs financiers ont été clairement définis et étudiés, le projet industriel reste des plus flous à ce jour, alors que ce doit être le moteur de la réussite de ce rachat. À ce stade, les dirigeants de Nokia ont répondu sans précision suffisante, arguant d’un calendrier de finalisation en 2016 et des travaux en cours de l’équipe d’intégration. Cette dernière réfléchit à l’organisation du futur groupe et à ses activités de par le monde. Mais nous savons que les choses s’accélèrent et que les décisions stratégiques sur l’organisation du nouveau groupe se prennent maintenant.

Nous ne connaissons toujours pas précisément les cartographies actuelles et prévisionnelles des projets de Nokia par site et par pays. C’est pourtant une donnée nécessaire pour comprendre et faire des propositions afin que les sites qui nous restent, Lannion et Nozay, acquièrent une place stratégique dans un groupe à ancrage européen, particulièrement en termes de R&D et d’innovation. Nous demandons à en discuter régulièrement et en toute transparence dans les semaines et les mois qui viennent, avec l’équipe en charge de l’intégration et les responsables d’activités qui seront bientôt nommés.

Les directions de Nokia et d’Alcatel-Lucent n’incluent pas la filiale Alcatel Submarine Network (ASN) dans l’opération. Dans un premier temps, le gouvernement français semblait vouloir conserver ASN dans un partenariat industriel en France. Cela n’est pas concrétisé à ce jour. Nous considérons que cette entreprise, ancrée sur une activité particulière mais majoritairement dans les télécoms, doit pouvoir trouver sa place dans un groupe européen comme Nokia, à condition que celui-ci ait la volonté d’investir dans un réel projet industriel. Il est également primordial de sanctuariser l’accès à la propriété intellectuelle nécessaire à la poursuite de son activité. Ne pas le faire laisserait ASN dans une situation risquée. Les récentes informations communiquées par la direction d’ASN aux salariés à propos d’une vente en LBO sont inquiétantes en raison d’un timing précipité et d’un montage capitalistique inadapté à la cyclicité de l’activité et à son besoin d’investissements. Où est l’intérêt d’ASN, et comment impliquer les salariés avec de tels projets ? Le Gouvernement doit veiller aussi au devenir d’ASN comme il s’y est engagé de longue date. Au regard de la souveraineté nationale et de la sécurité des réseaux, nous demandons de préserver ASN au sein du groupe Nokia, par exemple dans une filiale française dédiée aux « activités sensibles ». Le calendrier de rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia s’accélère, alors que celui de la cession d’ASN est retardé : il est encore temps de réfléchir au maintien d’ASN dans le groupe Nokia.

Concernant les centres industriels, le mouvement de désengagement continue et Nokia s’inscrit dans cette même stratégie. Nous demandons que toute opportunité d’activité de Nokia soit étudiée pour alimenter nos anciens centres industriels, en particulier celui d’Eu (Seine-Maritime), en cours de cession. En effet ce rapprochement avec Nokia sera une source de charges nouvelles que Nokia faisait réaliser ailleurs auparavant.

Les engagements envers la France ont été un peu précisés mais manquent encore de concret.

Le seul engagement mesurable pris concerne les effectifs.

Jusqu’en 2018 : maintien à 4 200 salariés en France pour deux ans ; ce chiffre de 4 200 correspond à l’effectif des salariés dans la filiale Alcatel-Lucent International et dans la filiale Alcatel-Lucent Bell Labs France à l’issue du plan Shift, soit fin 2015. Il faut noter que ce chiffre n’inclut pas les salariés travaillant chez Nokia en France aujourd’hui, soit environ 250 personnes supplémentaires.

Jusqu’en 2020 : accroissement de l’effectif de R&D de 500 personnes dont 300 recrutements de jeunes sur trois ans, pour atteindre 2 500, garantis pendant quatre ans. À cet égard, il faut savoir que la moyenne d’âge de l’ensemble du groupe en France dépasse les quarante-sept ans ; il devient donc indispensable de renouveler la pyramide des âges.

L’engagement d’augmentation de la R&D de 500 postes sur quatre ans, associé à un engagement de maintien de l’effectif global de 4 200 salariés sur deux ans, présente un risque. Ce risque, clairement évoqué par la direction, concerne plusieurs centaines de postes sur les fonctions support (SG&A, c’est-à-dire ventes, général et administratif, mais aussi certaines fonctions à caractère technique non R&D) en France. Le jeu consiste à créer des emplois de R&D dans un premier temps, à condition d’en supprimer ailleurs. En corollaire, au-delà de 2018, l’engagement ne concerne que la R&D, ce qui laisse peser sur les autres métiers une forte incertitude quant à leur pérennité en France.

Nokia précise la définition d’un « centre d’excellence ». Il s’agit d’intégrer les fonctions d’innovation, d’architecture, de marketing avec le développement et les tests, basés sur des plates-formes de référence. Ce centre doit avoir une taille critique avec la maîtrise de ses développements de bout en bout. C’est ce qui est affiché pour tout ou partie des développements dans des activités suivantes : la 5G et les small cells ; les faisceaux hertziens ; les plateformes de gestion des réseaux IP y compris la virtualisation des réseaux par logiciel (SDN ou Software-Defined Network) ; la cybersécurité (R&D, développement de produits et de plateformes, appuyé sur un partenariat avec Thalès dans les services) ; les Bell Labs, c’est-à-dire la recherche avancée ; la transmission optique.

Enfin, Nokia s’engage à localiser en France le pilotage de l’innovation stratégique, et son dirigeant. C’est positif, mais en matière de périmètre, cela manque de clarté. Nous demandons que les attributions de ce directeur technique mondial englobent les responsabilités décisionnelles sur le partage et la localisation des activités de R&D du groupe dans le monde.

M. Pascal Guihéneuf (CFDT). Je vous parlerai des sites, des activités et de l’emploi.

Les centres de Lannion (Côtes d’Armor) et Nozay (Essonne) sont confirmés comme sites majeurs, principalement en matière de R&D. C’est un minimum après le démantèlement orchestré ces dernières années. Sur ces mêmes sites, ainsi que sur celui de Boulogne (Hauts-de-Seine), sont présentes aujourd’hui des fonctions opérationnelles : équipes commerciales, support aux clients, finances, comptabilité, achats, ressources humaines, marketing et autres emplois liés à un siège social. En tout, 2 200 personnes soit plus de 50 % des effectifs en France sur des métiers probablement en décroissance dans un avenir proche. L’inquiétude des salariés est des plus fortes. Sur ces emplois, Nokia évoque une rationalisation à venir, contrebalancée seulement par des mesures nécessaires pour trouver des solutions pérennes aux salariés concernés.

Dans les engagements, il est fait mention, mais sans citer aucun chiffre, d’activités avant-vente, vente et après-vente, pour servir les clients français et ceux de certains autres pays d’Europe et d’Afrique. Non seulement cela manque de précision, mais c’est insuffisant. En effet, beaucoup de salariés travaillent aujourd’hui pour des pays de toute la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique. Nous revendiquons le maintien d’un périmètre de cet ordre en y intégrant les activités actuelles de Nokia.

Pour gérer la décroissance des emplois non techniques, Nokia se dit favorable à un accord GPEC dont la négociation a d’ailleurs démarré. Cet accord GPEC, nous le voulons exemplaire et tourné vers le reclassement des salariés le plus possible en interne. Pour l’externe, nous le voulons le plus sécurisant possible avec un droit au retour sur une longue période, des formations longues et certifiantes, des propositions valables d’emploi, des mesures d’âges incitatives et un accompagnement pour les salariés en fin de carrière.

Nous n’avons pas encore le calendrier de la réorganisation. Nous revendiquons la plus grande transparence et la meilleure anticipation possible dans l’information des représentants du personnel. Nous demandons à être partie prenante du suivi des engagements entre Nokia et le Gouvernement. Qui, sinon, pourra garantir leur bonne mise en œuvre là où la connaissance de l’entreprise et des technologies est nécessaire ?

Sur la nouvelle organisation, l’une des difficultés sera d’arbitrer les redondances en matière d’activités et de métiers entre les différents sites de la nouvelle entreprise. Les compétences de Nokia et d’Alcatel-Lucent sont reconnues par nos clients sur des technologies dont les développements vont apparaître en doublon. Par exemple, quel sera l’arbitrage sur les bases de données d’abonnés ou les cœurs de réseau 4G ?

Au-delà des activités citées dans le document, nous pensons qu’il faut diversifier les activités en France, par exemple dans les technologies IP, dans les activités PMR-LTE (réseau mobile privé), celles liées aux réseaux de transports ou à la gestion des informations dans le domaine de l’énergie, où l’expertise Télécoms des salariés d’Alcatel-Lucent peut faire la différence avec d’autres acteurs. Ce sont des niches importantes qui pourraient fixer en France des activités pérennes.

Nous avons noté que le conditionnement des engagements de Nokia est lié au maintien du crédit d’impôt recherche (CIR). Nous n’avons pas d’inquiétude particulière sur ce point, mais il est de votre ressort que ce dispositif permette de maintenir et développer l’emploi en France.

Le Gouvernement a obtenu des engagements chiffrés afin de structurer l’écosystème numérique français, c’est-à-dire la possibilité pour les entreprises de toute taille de venir tester leurs produits, matériels et logiciels, sur des plateformes télécoms de nouvelle génération. Cela se fera par l’intermédiaire d’un fonds d’investissement, des aides au monde académique et du développement de trois plateformes (5G, objets connectés, cybersécurité).

Nokia s’engage également à soutenir les pôles de compétitivité et confirme sa présence dans la continuité des projets engagés sous l’égide de la nouvelle France industrielle, en particulier les projets « Souveraineté Télécom » et « Industrie du futur ». Nous en profitons pour demander une accélération de leur mise en place, en d’autres termes l’exécution du plan en actes, c’est-à-dire en emplois et en résultats. Là où il y a tergiversations et prise de retard dans l’économie numérique, ce sont la Chine ou les États-Unis qui creusent l’écart.

En conclusion, le document de 13 pages signé par Nokia parle de projets ambitieux sur les activités en France, avec des mots rassurants sur le volet social, mais il reste encore beaucoup d’inconnues et d’inquiétudes. Ces engagements ont le mérite d’exister – nous serions d’ailleurs le seul pays dans lequel des engagements contraignants ont été pris aussi formellement – et le document nous servira de levier ainsi qu’à vous, députés, et au Gouvernement, pour un suivi rapproché dans les mois et années qui viennent.

Avant que le Gouvernement ne donne son autorisation liée aux investissements étrangers en France, il serait idéal d’obtenir des avancées sur plusieurs points.

Premièrement, l’élargissement du périmètre d’activités « support » et son maintien à plus long terme en France.

Deuxièmement, un agenda de montée en puissance des nouveaux projets de R&D dès début 2016. Nous entendons, par exemple, faire de la France le fer de lance en matière de virtualisation et de sécurisation des réseaux télécoms. Les embauches de jeunes doivent nous permettre d’envisager de manière pérenne l’entreprise Nokia de demain en France, et de mieux « coller » aux pratiques et aux idées numériques des jeunes générations.

Troisièmement, la 5G et les petites cellules, les small cells, sont deux enjeux majeurs pour les activités en France. Nous avons une demande à vous faire dans le cadre de l’élaboration du prochain budget : revoir la fiscalité liée à l’installation des relais radio. Le retour sur investissements pour ces petites cellules, qui densifient le réseau mais gèrent moins de communications, est rendu critique à cause d’une redevance qui n’est plus adaptée. Une modification fiscale est nécessaire pour garantir la couverture universelle du réseau possible grâce aux petites cellules.

Quatrièmement, à travers le rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia, nous vivons une nouvelle consolidation au niveau des équipementiers, qui se traduit malheureusement par la disparition d’un équipementier télécom européen. Il faudra faire attention à ce que les parts de marché soient additionnées et non pas reprises par les équipementiers chinois ou américains. Côté opérateurs, des consolidations sont également constatées en Europe, mais le nombre d’opérateurs reste très important par rapport aux USA pour une population comparable. La question de la régulation de cette filière et de l’ouverture aux concurrents chinois sans aucune contrainte, malgré les écarts sociaux, reste entière selon nous.

Cinquièmement, en termes de dialogue social, il n’est pas question de perdre les prérogatives que l’information-consultation nous permet d’avoir en France. Nous demandons que le futur comité européen de Nokia tienne compte de la dernière directive européenne en introduisant la possibilité, pour les représentants des personnels européens, d’être informés et consultés sur la base d’une expertise économique et sociale.

Enfin, nous devons être associés au suivi des engagements en tant que connaisseurs de l’entreprise et des activités. M. le ministre Emmanuel Macron s’y est engagé lors de sa venue à Lannion le 8 juin dernier. Ce suivi sur plusieurs années est indispensable, et nous vous demandons de nous soutenir sur ce point. Nous souhaitons aussi avoir accès à l’intégralité du document signé par M. Suri le 22 septembre. L’accord de Nokia avec le Gouvernement est politique : la question du non-respect des engagements reste une question sans réponse, au-delà de la crédibilité de celui qui s’engage (Nokia) et de celui envers qui il s’engage (le Gouvernement français, mais aussi les multiples auditeurs, dont vous-mêmes et les salariés que nous représentons).

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, merci de votre attention et de votre soutien. Nous sommes prêts à échanger avec vous et à répondre à vos questions.

Mme Corinne Erhel. Merci de revenir devant notre commission – puisque vous étiez déjà venus en février 2013, alors que l’entreprise connaissait déjà une période troublée. Comme je l’ai déjà dit, il convient d’être solidaire avec les salariés d’Alcatel, car depuis 2007, ils doivent faire face tous les deux ans à une réorganisation, ce qui est difficile à vivre. Ils ont besoin à la fois de visibilité et de clarté.

En juin dernier, nous avions interrogé M. Michel Combes sur les rumeurs de son départ anticipé et nous lui avions fait remarquer que tant que l’opération de closing ne serait pas effectuée, il était normal qu’il reste dans ses fonctions. J’aimerais donc savoir comment son départ anticipé au 1er septembre a été perçu par les salariés d’Alcatel. Cela a-t-il eu un impact sur la conduite des négociations en cours ?

Parmi les engagements qui ont été pris, tant devant notre commission que devant le Gouvernement et le Président de la République, les emplois de R&D seraient sanctuarisés en France, et leur nombre augmenté par une promesse d’embauche de 500 chercheurs. Avez-vous davantage d’éléments sur les cinq technologies qui seraient basées en France, sur leur ventilation et sur leur articulation entre les différents sites français ? Pour le moment, il ne semble pas que ces points aient été précisés.

Je vous rejoins sur la question des fonctions support qui, je le crains, pourraient pâtir de la montée en puissance de la R&D, élément crucial dans la stratégie du nouveau groupe. Il est indispensable d’avoir davantage de précisions, et notamment davantage de chiffres, sur les fonctions support, qu’il s’agisse des salariés du siège ou des deux ou trois sites – si l’on prend en compte celui de Boulogne.

Il conviendra de veiller à ne pas limiter le champ d’action des fonctions support au marché domestique, et à se constituer un portefeuille de pays suffisamment étoffé afin d’assurer la pérennité de ces emplois et de conforter le poids de l’entité française dans le temps. Pour maintenir de la R&D à long terme, il faut avoir, à côté, un certain nombre de fonctions support.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ASN, qui est un actif stratégique ? Nous nous inquiétons en effet du montage actionnarial et industriel à venir.

Pouvez-vous nous confirmer la mise en place du fonds de 100 millions d’euros en faveur du développement en France d’un certain nombre de technologies – internet des objets, cybersécurité, plateformes logicielles, etc. ? La collaboration entre les grands groupes et les startups permettra d’aller vers plus d’innovation.

Enfin, j’étais présente lorsque M. Macron a souligné l’importance du comité de suivi de cette opération de fusion-acquisition. J’insisterai tout particulièrement : c’est le seul moyen d’avoir un regard objectif par rapport aux engagements qui ont été pris et, pour les salariés, de suivre en temps réel les annonces qui ont été faites.

Mme Laure de La Raudière. Messieurs, j’ai trouvé votre présentation très intéressante, et je vous remercie de venir apporter le témoignage des salariés d’Alcatel-Lucent. Comme l’a fait remarquer ma collègue, cette société a fait l’objet de nombreuses restructurations. La représentation nationale pense naturellement à ce que ces salariés ont pu vivre depuis des années. Dans ces conditions, il est difficile d’être motivé et de vouloir construire l’avenir.

Maintenant, en 2013, la situation d’Alcatel était si noire que l’on pouvait s’interroger sur la « survie » du groupe. Je ne dirais pas aujourd’hui que la situation est rose puisque l’on va procéder à une fusion et que la marque Alcatel va disparaître. Les anciens d’Alcatel vont devoir faire leur deuil, et cela se retrouve dans votre propos. Vous avez tout de même reconnu le travail réalisé par les équipes précédentes de Michel Combes, et notamment le portage de ce projet de fusion. Mais pensez-vous que la fusion était la seule issue possible pour Alcatel ?

Cela semblait apparaître en filigrane de votre discours. De la même façon, lorsque M. Michel Combes est venu devant notre commission, il nous a semblé que finalement, malgré toute la douleur que cela pourrait représenter et malgré toutes les difficultés que les salariés pourraient rencontrer, la fusion permettrait de porter un nouveau projet industriel, Alcatel restant un acteur majeur dans le domaine des mobiles et un acteur premier au niveau mondial dans le domaine du fixe. Quel est votre sentiment ?

Pensez-vous que les cinq ou six activités de développement qui vont incomber à la France dans le cadre du centre d’excellence sont des activités d’avenir sur lesquelles Nokia va pouvoir rebondir et, finalement, créer des emplois en France dans le domaine de la R&D, du marketing et de l’innovation ?

Enfin, j’entends bien votre demande concernant les fonctions support. Nous souhaitons nous aussi que le nouveau groupe puisse conserver des fonctions support en France, et nous vous soutiendrons en ce sens. La raison est double : premièrement, ce sont des emplois que tiennent aujourd’hui des Français, salariés d’Alcatel ; deuxièmement, ces emplois contribuent à l’identité du groupe – qui applique des réglementations françaises. C’est une façon de conserver un peu l’histoire française de ce groupe qui occupe une place majeure dans le secteur des télécoms. Lors de la dernière audition de M. Michel Combes, ceux qui avaient vécu cette histoire et le développement d’Alcatel en France éprouvaient une certaine tristesse.

M. André Chassaigne. Je n’avais pas pu participer à la réunion du 16 juin dernier. Voilà pourquoi, pour préparer cet échange, j’ai lu le compte rendu qui en avait été fait. Je reviendrai donc sur deux points qui avaient été abordés par M. Rajeev Suri et M. Michel Combes, et qui concernaient des sites aujourd’hui menacés.

Vous avez parlé assez longuement d’ASN qui, si j’ai bien compris, est localisée dans l’Essonne et sur Calais. Il semble que l’on ait la volonté de se défaire de cette entreprise spécialisée dans les câbles sous-marins. J’aimerais avoir davantage de précisions. Où en est-on ? Quels leviers d’action pourrait-on mettre en œuvre ? La transmission sous-marine étant en plein développement, je trouve contradictoire que l’on puisse détacher de ce projet industriel une filiale qui présente un grand intérêt en matière d’innovation.

Il était également question de se défaire d’une autre filiale, une société de cartographie, Here.

M. Pascal Guihéneuf. C’est une filiale de Nokia.

M. André Chassaigne. J’ai donc mal lu. Effectivement, cela ne vous concerne pas directement.

J’en viens maintenant à deux points que vous venez d’aborder : d’une part, la nécessité d’avoir des garanties ; d’autre part, la nécessité d’avoir un pouvoir de contrôle. Il faut toutefois reconnaître qu’aujourd’hui les pouvoirs publics ont peu d’influence sur les entreprises. Le législateur n’est que très légèrement intervenu dans la direction des entreprises. Et surtout, il n’y a pas de banque publique qui pourrait être partie prenante et exercer un certain contrôle.

En matière de garanties, deux leviers existent cependant. Le premier est la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC). Avez-vous avancé en ce domaine ? Le second est la sanctuarisation de l’accès à la propriété intellectuelle, dont vous nous avez parlé. Mais est-il possible actuellement de sanctuariser les brevets ? J’ai bien peur que ce ne soit difficile. Pourrait-on prendre une disposition législative en ce sens ? La question des brevets est en effet très importante.

En matière de contrôle, vous dites qu’il faut que les salariés puissent être partie prenante et associés dans l’entreprise. M. Michel Combes avait déclaré le 16 juin dernier : « S’agissant de la demande de distribution d’actions gratuites à tous les salariés, un dialogue est engagé ; cette solution paraît peu réalisable, mais nous réfléchissons à d’autres modes, plus classiques, d’associations de nos collaborateurs au bon déroulement de la vie de l’entreprise. » Concrètement, qu’en est-il aujourd’hui ? Dans le cadre de la direction du nouveau groupe, est-ce que les salariés participeront aux organismes dirigeants ? Quels seraient éventuellement leurs pouvoirs ?

Toujours en lien avec un possible contrôle, il semblerait que, dans cette affaire, il n’y ait pas de financement public. La BPI n’entre pas en ligne de compte. Pouvez-vous nous en parler ?

Enfin, vous avez fait allusion aux régions, et j’ai cru comprendre que certains pôles de compétitivité pourraient être concernés. Quels liens les différentes entités créées, ou la nouvelle entité, globalement considérée, auront-elles au niveau régional ? Car les régions vont voir leur pouvoir économique – intervention économique, pouvoir de partenariat – s’accroître.

Comme vous pouvez le constater, je pose des questions pour essayer d’avancer. De fait, sans évolution législative en matière de démocratie, de pouvoir dans l’entreprise, nous nous trouvons souvent bien démunis.

Mme Michèle Bonneton. Merci, messieurs les syndicalistes, de prendre sur votre temps pour venir nous parler des problèmes rencontrés par votre entreprise et par tous ses salariés – très éprouvés sans doute par des plans à rebondissements multiples.

Tout d’abord, j’observe que la réussite de M. Combes s’est traduite par quelque 10 000 suppressions d’emplois et la fermeture de nombreux sites en France. Ainsi, aujourd’hui, un patron « réussit » quand il licencie un maximum de personnes pour pouvoir verser suffisamment de dividendes aux actionnaires. Que proposeriez-vous que l’on fasse, par exemple au niveau législatif, pour modifier le caractère tout à fait pervers d’un tel système ?

Ensuite, vous dites que Nokia s’est engagée à augmenter les effectifs de R&D de 500 personnes, mais vous avez des craintes quant à la pérennité des fonctions support sur le sol français. C’est un constat que l’on fait très souvent dans les entreprises établies en France : elles y développent leur R&D, mais ensuite elles délocalisent leurs fonctions support. Je l’ai vu dans la sidérurgie, et vécu de très près chez Rio Tinto Alcan.

Ces entreprises délocalisent leurs fonctions support car on trouve « facilement » des compétences ailleurs. Elles peuvent également implanter leurs réalisations industrielles issues de leur R&D française en dehors de la France, après avoir bénéficié du crédit d’impôt recherche (CIR) – qui coûte tout de même 5 milliards par an aux contribuables français.

Je précise que je ne suis pas du tout défavorable au CIR, mais je pense que le fait de le distribuer sans aucune contrepartie à des effets pervers, comme ceux que vous constatez dans votre entreprise et que je viens de décrire. Je me demande si nous ne devrions pas conditionner le CIR, par exemple, au maintien des fonctions support en France ou au développement des réalisations industrielles qui découlent de recherches financées par les contribuables français sur le sol français. Mais ce n’était pas une question pour vous, messieurs les syndicalistes. J’invite simplement mes collègues parlementaires à y réfléchir.

J’en viens à la GPEC. Vous demandez de vraies formations, ce qui est tout à fait légitime. Mais à quel type de formations pensez-vous ? Pour quel type d’embauches et dans quelles entreprises ?

Ensuite, ne pourrait-on pas dire qu’ASN contribue à la sécurité de la France et donc qu’il est nécessaire de garder cette entreprise dans le giron français ? Les Américains savent très bien faire jouer l’argument de la sécurité nationale pour ne pas vendre certaines de leurs entreprises.

Vous craignez par ailleurs que cette entreprise soit vendue en LBO, car ce mécanisme est très risqué. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ASN, sur l’avenir que vous souhaitez pour elle, et sur la façon dont il faudrait s’y prendre ?

Enfin, je suis élue d’une circonscription très proche de Grenoble, ville près de laquelle est implantée une grosse entreprise franco-italienne, STMicroelectronics. De graves menaces de licenciements planent sur cette dernière. Ce serait catastrophique pour les emplois de l’entreprise, mais aussi pour les nombreux emplois induits dans la région. Je sais que STMicroelectronics travaille beaucoup avec Nokia. Comment voyez-vous l’articulation entre Alcatel-Lucent, Nokia et STMicroelectronics ? Quel peut être l’avenir de STMicroelectronics ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Lors de la dernière audition de juin, nous avions été nombreux à relayer vos inquiétudes sur les conséquences de ce rachat, notamment sur l’emploi. Nous avions posé des questions sur les modalités du rachat, mais aussi sur les perspectives d’évolution tant pour l’emploi que pour l’avenir du nouveau groupe. Nokia s’est engagée à conserver 4 200 emplois au moins pendant deux ans, et à renforcer la R&D en France. Pouvez-vous faire le point sur le maintien de ces 4 200 emplois ?

Par ailleurs, avec la montée en puissance du très haut débit, puis de la 5G à l’horizon 2020-2025, comment Alcatel peut-elle se positionner ? Comment préparer aujourd’hui cette montée en puissance dans les conditions que l’on connaît ?

M. Hervé Pellois. Une première fusion, difficile et malheureuse, réalisée en 2006 avec Lucent, avait laissé un goût amer. En quoi celle de 2016 avec Nokia pourrait nous rendre plus optimistes ? En 2006 aussi, on nous avait annoncé que la fusion ferait de la nouvelle entreprise le champion des télécoms.

Vous nous avez dit qu’à Alcatel-Lucent, les salariés étaient âgés et qu’il fallait renouveler les personnels. Je crois que cela se traduit, dans le plan, par l’embauche de jeunes ingénieurs sur les quatre ans à venir. Mais votre ancien directeur général avait voulu insuffler un esprit de startup à l’entreprise. Cela s’est-il traduit par une transformation de la culture d’entreprise ?

Enfin, le départ de M. Michel Combes a été fort médiatisé. On a bien sûr beaucoup parlé de sa rémunération, et du code de bonne conduite du Medef s’agissant de l’octroi de gratifications aux patrons qui s’en vont. On a constaté que ce code de bonne conduite n’avait eu qu’un effet limité. Estimez-vous qu’il faille passer par la loi pour essayer de résoudre ces questions difficiles, qui se posent de façon récurrente ?

M. Claude Josserand. Plusieurs questions se recoupent. Je vais répondre à propos d’ASN – sur laquelle nous avons à peu près tous le même avis.

Vous vous interrogez à propos du devenir de cette filiale, que la direction propose aujourd’hui de vendre en LBO. Il y a un an, alors que le groupe était très endetté, elle proposait déjà de la vendre, le plan de Michel Combes prévoyant la cession d’un milliard d’euros d’actifs. Par la suite, une proposition d’introduction partielle en Bourse, à 49 %, s’est transformée au fil des mois en vente totale en LBO.

Il y aurait aujourd’hui deux fonds en lice : PAI Partners, une filiale BNP associée à un américain, et TowerBrook,  un fonds d’investissement nord-américain. Malheureusement, on connaît trop bien le mécanisme des LBO : « se payer sur la bête » pour payer l’achat, en exigeant des rendements et des taux de bénéfices élevés, totalement intenables. Ce type de vente serait particulièrement dommageable pour cette filiale qui, de par son activité, a des rendements un peu cycliques.

Le montage des consortiums qui font poser les réseaux sous-marins est assez complexe. Ce sont à l’origine des consortiums d’opérateurs, mais de plus en plus souvent des consortiums financiers, voire des entreprises comme Google, Amazon ou autres, qui deviennent eux-mêmes actionnaires dans ces consortiums. Cela génère des à-coups dans les commandes, et donc des bénéfices très variables.

Sachez tout de même que cette filiale a toujours été bénéficiaire, parfois fortement, et en tout cas jamais déficitaire. C’est le numéro 1 mondial de la pose de câbles sous-marins – quand on dit câbles, on vise les répéteurs qui sont sous la mer, et les terminaux qui sont à chaque bout – qui, certaines années, génère de forts bénéfices.

Le responsable du cabinet de M. Macron nous a dit que la BPI pourrait partiellement entrer dans le capital d’ASN. Mais pour nous, cela ne résoudrait rien : d’abord, la BPI se comporte parfois aussi mal que d’autres fonds de pension ; ensuite, 80 % du capital resterait sur des fonds de pension qui ne sont pas des entreprises industrielles, ce qui pour nous est un souci ; enfin, cette entreprise a de fortes adhérences avec le reste du groupe, en particulier par sa R&D – en matière d’optique, la R&D est commune aux réseaux terrestres et sous-marins.

Nous demandons tous que cette entreprise reste adossée au groupe Nokia, même si ce n’était pas prévu à l’origine. On ne sait d’ailleurs pas pourquoi. Nous avons posé la question aux services de M. Macron, mais ils n’ont pas d’informations particulières à ce sujet. Quant à notre direction, elle est un peu hors du coup en ce moment, car les décisions se prennent surtout au niveau de Nokia.

Nous souhaitons donc que ASN reste adossée au groupe Nokia, éventuellement à travers une filiale où la BPI pourrait avoir sa part – dans la mesure où ASN est considérée comme stratégique en France. En tout cas, il faudrait qu’elle soit adossée à un grand groupe industriel. L’intérêt de Nokia réside dans le fait qu’il existe une complémentarité des réseaux terrestres et sous-marins, laquelle ne pose pas, selon nous, de problèmes dans ce groupe.

M. Pascal Guihéneuf. Au sein d’ASN, l’inquiétude monte et ça commence à chauffer ! Depuis plus d’un an, le tour de table n’a pas été bouclé. À part certains fonds, aucun industriel n’est intéressé. Or on a besoin de technologie. Et on a besoin de ne pas couper le cordon ombilical avec Alcatel. Les premiers câbles y ont été produits en 1860 !

Il est indispensable d’adosser ASN à de la technologie optique, et le meilleur industriel serait tout simplement Alcatel-Lucent, donc Nokia. Voilà pourquoi nous demandons à Nokia de changer de point de vue, et de voir s’il ne serait pas possible de conserver cette filiale et d’y investir. Car c’est un métier où il faut investir régulièrement, même si les rendements sont cycliques.

De son côté, M. Macron paraît un peu plus ouvert, un peu moins crispé sur les questions de souveraineté. Mais il faut décider assez vite. Adosser ASN uniquement sur des fonds, ce n’est pas possible. Il nous faut vraiment un industriel et Nokia semble le meilleur.

M. Frédéric Aussedat. Vous avez soulevé la question des cinq technologies basées en France – leur avenir et leur articulation entre les sites.

Sur l’articulation entre les sites, nous n’avons pas de visibilité aujourd’hui. Je ne peux donc pas vous répondre.

Sur l’avenir de ces technologies :

Il est clair que la 5G est l’avenir des télécoms. Il faut donc s’y mettre. Plus personne, dans Alcatel, ne travaillait sur ce qui a trait aux spécifications techniques au niveau mondial. Nous étions donc absents. Le fait de revenir avec Nokia nous permettra de participer aux spécifications de cette nouvelle génération. Nokia s’est engagée à ce qu’il y ait des développements en France. Aujourd’hui, les ressources existent. Nous devons les faire évoluer au niveau des compétences sur des fonctions qui n’existent pas encore. Ce ne sera pas facile à lancer rapidement. Il n’empêche qu’il est prévu d’embaucher des jeunes, et de faire migrer des équipes sur le sujet.

S’agissant des small cells, nous nous heurtons à un problème dont on a parlé dans notre introduction. Aujourd’hui, au niveau de la fiscalité, les grandes et les petites antennes sont taxées de la même manière – 1 500 euros par antenne posée. Une small cell couvre à peu près 300 mètres, alors qu’une grande antenne peut couvrir jusqu’à 30 km. Le calcul que font les opérateurs est très facile : le prix de la small cell est beaucoup plus bas que celui d’une grande antenne, mais à 1 500 euros par antenne posée, au-delà de 30, ils basculent sur une grande antenne. L’avenir de la small cell va donc dépendre de l’évolution de la fiscalité sur les antennes, qu’il faut réadapter à la vie et à l’écologie d’aujourd’hui. Et c’est à vous d’intervenir. Vous êtes directement concernés. Si on ne peut pas développer les small cells parce que l’on n’en vend pas, c’est un cinquième du travail qui sera basé en France qui disparaîtra.

Maintenant, quel est l’avenir des faisceaux hertziens ? Ceux-ci sont essentiellement utilisés dans les pays où il y a peu d’infrastructures linéaires stables, des pays en fort développement où l’instabilité économique fait que l’on y vole très facilement le cuivre – bien plus qu’à la SNCF. Mais l’activité restera assez stable, plutôt tournée vers l’entretien, et on ne peut pas prévoir un grand développement. Dans d’autres pays, on utilise aussi des câbles hertziens, dans des situations très particulières. On peut déployer des câbles pour relier des îles, parce que c’est ce qui coûte le moins cher. Mais cela se fait sur des distances qui ne sont pas extrêmement longues.

Avec les plateformes de gestion de réseau IP, on est dans le futur. C’est typiquement un domaine qui va se développer. Nous y sommes présents au niveau Bell Labs, mais beaucoup moins au niveau technologie pure. Reste que s’il y a effectivement une force croissance à attendre, il faut que les investissements suivent. Nokia a annoncé que des plateformes de gestion seraient installées sur les sites, et accessibles à la fois aux clients et aux startups. Nous pourrions travailler avec eux. Je pense que c’est un point positif qui ne peut que favoriser l’emploi.

J’en viens à la cybersécurité, qui est aujourd’hui un enjeu stratégique. On pense qu’elle va se développer énormément. La prochaine guerre ne se fera pas avec des armes, elle sera électronique. Le jour où l’on embête la Chine, elle fait tout « tomber » : pas de télécommunications pendant trois mois, l’économie française est morte et la France à dépecer.

Il faut donc se préoccuper de la cybersécurité – ne serait-ce qu’au cœur des réseaux. Les Américains l’ont bien compris puisqu’ils interdisent un certain nombre de produits au cœur de leurs réseaux – c’est-à-dire tous les produits qu’ils ne maîtrisent pas. En revanche, l’Europe accueille à bras ouverts, ce qui risque d’être dommageable en cas de combat économique gravissime. On sait déjà que certains pays se sont spécialisés dans les attaques. C’est le cas des Russes. C’est le cas des Américains qui en ont lancé dans certains pays dont ils n’appréciaient pas les orientations – en particulier en matière nucléaire.

Aujourd’hui, ni l’Europe ni la France ne consacrent de moyens spécifiques pour se protéger. Nous restons des naïfs qui pensent que le monde est bon. Le jour où nous recevrons une claque, cette claque ne nous permettra pas d’apprendre, elle nous mettra définitivement à terre.

L’avenir est donc d’investir dans la cybersécurité. Certains pays, comme Israël, le font – officiellement ou non. Et quand je parle de cybersécurité, je parle aussi de cybersécurité offensive. Malheureusement, ce n’est pas un sujet auquel les législateurs européens et français sont sensibles. De leur côté, les opérateurs n’étant pas soumis à des contraintes en matière de cybersécurité, celle-ci n’est pas leur priorité. Leur priorité, c’est le rendement – d’où leur préférence pour les produits chinois, qui sont moins chers.

À propos des Bell Labs, fleuron d’Alcatel et fleuron en matière de R&D, des engagements ont clairement été pris. C’est très important, mais je n’ai pas une vision très spécifique du sujet. Enfin, en matière de transmission optique, je ne suis pas un grand spécialiste. Je vais donc passer la parole à mes collègues.

M. Pascal Guihéneuf. On n’est pas encore chez Nokia. On est dans la phase où l’on doit respecter des réglementations en termes de compétition. Il n’empêche que des groupes de travaux sont en cours et que des questions commencent à se poser. Les syndicats européens, notamment, s’interrogent sur le modèle qui sera choisi et comment Nokia décidera de répartir ses sites.

Il y a deux modèles différents. Celui d’Alcatel-Lucent était plutôt « multisites » : sur un projet, beaucoup de monde, beaucoup de sites, et beaucoup de pays. Celui de Nokia est beaucoup plus spécialisé. Nous devrons donc réapprendre la spécialisation. Pourquoi pas ? Mais reste à savoir les domaines dans lesquels nous pourrions nous spécialiser.

En ce moment, notre fer de lance est la virtualisation – qui englobe la 5G. Et quand on parle de virtualisation et de réseaux virtuels, on s’interroge immédiatement sur la sécurité des données. Cela nous intéresse beaucoup, nous y avons beaucoup travaillé et nous avons en ce domaine une sorte de spécialisation qu’il serait très intéressant de développer.

Ensuite, les formations en cybersécurité sont bien avancées en France. Il faut que l’on transforme cet acquis en produits et en réalité, c’est-à-dire en emplois. Les régions – la Bretagne ou d’autres régions – pourraient s’y intéresser. Il y a des écoles, les militaires s’y intéressent déjà. Pourquoi pas nous ?

Nous pouvons nous spécialiser dans ces domaines, par exemple. Cela dit, il est important de conserver une taille critique. Quelle sera cette taille critique, dans ce nouveau monde Nokia ? On y réfléchit d’ores et déjà.

Je voudrais relever ce qu’a dit Mme Erhel en début d’audition, à savoir que les emplois de R&D seraient augmentés grâce à « une promesse de 500 chercheurs ». Mais pour nous, ce n’est pas une promesse, c’est un engagement. Le terme d’engagement est plus fort que celui de promesse. Il est contraignant. Nous allons le dire et le répéter. Quant à nos dirigeants, chaque fois qu’ils verront des gens de Nokia, ils leur rappelleront cet engagement. Les gens de Nokia ne doivent pas oublier qu’en France, ils sont soumis à cette contrainte. Ils nous rachètent, mais nous sommes tout de même vivants, et nous faisons davantage de chiffre d’affaires qu’eux ! Nous allons donc insister et veiller à ce que cet engagement se transforme en réalité.

En matière de brevets, il est sûr qu’il y a quelque chose à faire. Par exemple, s’agissant d’ASN, nous essayons de mettre les brevets dans France Brevets – organisation dont je ne connais pas bien le statut, mais qui mériterait d’être développée. Il ne faut pas oublier en effet qu’un brevet ne se limite pas à son coût de réalisation : derrière, il y a tout le système scolaire et universitaire français. Comment le prendre en compte ? C’est vraiment une question pour vous. Pour nous, le brevet est un résultat. Et quand il sort, il est partagé de par le monde.

M. André Chassaigne. Existe-t-il un inventaire des brevets ? Au nom de qui sont-ils déposés ? Je pense aux brevets qui servent à la production. Y a-t-il une copropriété des brevets avec l’Université, le CNRS, les instituts de recherche, etc. ?

M. Claude Josserand. L’inventaire existe. Le nombre de ces brevets est d’environ 20 000. On avait même formé le projet de mieux les valoriser, et lorsqu’ils avaient été gagés par Goldmann Sachs pour se garantir du prêt qu’ils avaient fait au groupe, cela avait défrayé la chronique.

Je précise que tous les brevets ne sont pas forcément directement utilisés dans les produits. Ils servent aussi parfois de monnaie d’échange. Ils peuvent enfin rapporter des royalties quand d’autres entreprises les utilisent. Il existe tout de même un service des brevets qui les répertorie. Mais ceux-ci sont en général propriété du groupe Alcatel.

M. Pascal Guihéneuf. Alcatel a essayé de les faire fructifier un petit peu plus, mais ce ne fut pas une grande réussite. En revanche, Nokia possède une structure qui les valorise beaucoup mieux. Je pense donc que l’on pourra rapidement davantage valoriser nos brevets.

Certains d’entre vous ont évoqué le CIR. Il faut le maintenir, c’est un minimum. Mais on peut le développer. Pourquoi pas vers les supports ?

Mme Michèle Bonneton. J’ai proposé de conditionner le bénéfice du CIR au maintien des fonctions support !

M. Pascal Guihéneuf. Cela me paraît difficile. Mais vous pouvez faire autre chose. Aujourd’hui, le CIR rentre très haut dans le compte de résultats, et il ne permet pas, par exemple, de caractériser le coût horaire d’un ingénieur en France. Vous pourriez obliger de le descendre à un niveau qui permettrait comparer le coût horaire d’un chercheur français à celui d’un autre pays. La situation actuelle nous pose en effet quelques problèmes.

Vous pourriez faire encore autre chose. Je ne sais pas si la Chine constitue ou non un danger. Mais imaginez que la Chine s’arrête. Nous ne savons plus fabriquer de réseaux de télécoms. Vous n’avez plus de réseaux. Vous n’avez plus de portables. Vous n’avez pratiquement plus rien. Nous saurions le refaire, mais cela nous prendrait des années. Vous pourriez peut-être retravailler sur un crédit d’impôt qui permette de retrouver de la production en France – au moins une partie des 800 000 ou un million d’emplois que nous avons perdus. En la matière, M. Tchuruk, avec son entreprise fabless, nous a fait beaucoup de mal… Aujourd’hui, il n’y a plus qu’une société capable de fabriquer une infrastructure télécoms : la dernière, celle d’Eu, va être vendue.

Ensuite, dans le secteur de la recherche avancée, nous avons dans les Bell Labs une vraie pépite. Peut-être, chez Alcatel-Lucent, est-elle un peu trop dirigée par nos amis américains qui ont conservé le nom et mettent à chaque fois en avant les sept prix Nobel. Il faudrait sortir de là et répartir un peu mieux la recherche, pour la mettre davantage en rapport avec les spécialisations dont nous parlions tout à l’heure.

Enfin, il faut travailler sur la passerelle entre la recherche avancée et la recherche appliquée. Nous considérons, par exemple, qu’il est temps de faire passer la 5G, qui est encore dans les laboratoires, dans les produits. Cela commence à venir avec des clients américains comme Verizon, avec certains clients chinois, un peu avec Orange. Mais je pense que nous sommes en retard. Même s’il est encore un peu tôt, il faut commencer à voir comment mettre la 5G sur le terrain.

M. Claude Josserand. Je voudrais répondre à Mme de La Raudière sur la question que beaucoup se posent : est-ce qu’une autre issue était possible ? Honnêtement, on en voit peu, et c’est pour cela que l’ensemble des organisations syndicales ne s’est pas opposé à la fusion.

Mais revenons en arrière. Fin 2012, nous avions frappé à la porte de M. Ayrault, alors que le groupe était pratiquement en cessation de paiement. Nous proposions notamment que l’État investisse dans le groupe pour le recapitaliser en partie. Il ne s’agissait pas seulement d’apporter de l’argent frais, mais de modifier les orientations stratégiques que nous avions critiquées depuis le début de la fusion avec Lucent.

Évidemment, aujourd’hui, on ne peut pas prédire l’avenir. Nous espérons que cela se passera mieux, mais nous restons interrogatifs et méfiants. Cela dit, aucune autre solution ne nous semble tenir la route, sauf si l’État voulait fortement investir dans le groupe Alcatel-Lucent. Mais c’était plutôt en 2012 qu’il aurait fallu le faire parce qu’à l’époque, l’action était tombée à un euro. D’où la remarque de la CGT : si les 500 millions d’euros qui ont été investis en CIR depuis 2007 – quand le mode de calcul a changé – ne l’avaient pas été à fonds perdus – puisque chez nous, cela ne s’est pas traduit en gains mais en suppressions d’emplois – l’État serait aujourd’hui actionnaire du groupe à 25 %. Évidemment, ce n’est pas perçu de la même manière par les chefs d’entreprise.

À la CGT, nous sommes beaucoup plus réservés sur le CIR. Nous demandons qu’il soit conditionné à des aides sur des projets donnés, avec des garanties chiffrées sur les emplois en R&D dans l’entreprise, mais aussi sur les emplois induits. En effet, si la puissance publique injecte de l’argent dans les entreprises, ce n’est pas seulement pour payer des emplois à un instant précis, mais aussi pour qu’il y ait des retombées en matière d’emplois. Le CIR doit avoir un effet de levier sur les développements qui se font derrière, voire sur l’industrialisation – même s’il n’y en a quasiment plus dans notre pays.

Enfin, une question a été posée sur les composants. Nous n’avons pas d’informations. Cela dit, à la CGT, nous pensons qu’il faudrait avoir une filière qui aille des composants jusqu’à l’industrialisation. L’industrialisation n’est pas quelque chose de sale et inutile. En effet, les usines permettent des retours sur la conception de recherche et développement, que l’on perd lorsqu’on sous-traite les activités industrielles à des pays à bas coûts.

M. Frédéric Aussédat. J’en viens aux questions sur la fonction support. Quel est son avenir ?

Aujourd’hui, un engagement a été pris sur 4 200 emplois. On sait qu’il y aura des embauches et que cet engagement portera sur un volume d’emplois, et pas sur la conservation des emplois existants. Cela veut dire que, parmi ces embauches, il aura un basculement sur d’autres emplois. Par ailleurs, comme il est prévu que le niveau d’emploi en R&D soit maintenu pour une période de quatre ans, nous pensons que c’est la fonction support qui sera parmi les fonctions les plus touchées dans les années qui viennent.

S’agissant de la fonction support, il faut tenir compte de deux facteurs.

Premièrement, est-ce qu’elle gagne de l’argent ? Non, moins que la recherche. En effet, grâce au CIR, un ingénieur de recherche est très compétitif par rapport à un ingénieur américain. Il est beaucoup moins cher.

À ce propos, je ne suis ni pour, ni contre le fait de mettre des conditions au bénéfice du CIR. Simplement, ces conditions ne devront pas faire perdre sa compétitivité au chercheur français. En effet, le calcul de Nokia est vite fait : grâce au CIR, la R&D n’est pas chère en France, elle est même moins chère qu’en Finlande, et donc moins chère qu’en Allemagne grâce. Voilà pourquoi il est intéressant pour elle de garder les ingénieurs français en France. En outre, les Français sont plus créatifs que les Finlandais.

Le CIR est donc important. On peut le modifier, l’assortir de conditions, mais il faut toujours avoir en tête le niveau de compétitivité de nos ingénieurs par rapport aux autres. Et le calcul doit se faire globalement. Ainsi, aujourd’hui, les Chinois sont un peu plus compétitifs, mais ils sont encore un peu moins créatifs que nous. Les Indiens sont très compétitifs aussi, mais ils ont tellement de turn-over que quand on prend en compte leur temps de formation, de mise en place dans les projets, etc. ils deviennent moins compétitifs que les Français. Tout cela rentre en ligne de compte dans les calculs des administrateurs.

Sur les fonctions support, il n’y a pas de CIR. Donc aujourd’hui, effectivement, les Français ne sont pas compétitifs – chez nous, le coût du travail est très cher. En outre, elles sont implantées sur un certain nombre de pays – France, certains pays du Sud de l’Europe, Afrique, Moyen-Orient, etc. Or il y aura une redistribution, que l’on ne connaît pas encore.

Un deuxième critère rentre en ligne de compte : celui qui s’occupe d’un business chez Alcatel ou chez Nokia prend à sa charge les pertes ou les gains. Aujourd’hui, en France, le système fait que lorsque l’on a des pertes, on peut les cumuler et les reporter sur les résultats à hauteur de ces résultats. En Finlande, on peut le faire à hauteur de 100 %. Si l’on fait un calcul purement financier, et je suis à peu près persuadé que c’est le cas, il n’y a pas vraiment d’intérêt à cumuler des pertes sur la France. Et cela pourrait bien restreindre encore le volume de pays sur lesquels nous allons pouvoir travailler.

En outre, sur ces fonctions support, il y a un engagement de deux ans. En effet, avant que l’on arrive à faire basculer les clients, qu’on termine les produits en cours, qu’on fasse la version convergente, il s’écoulera un certain nombre d’années. Il y aura donc beaucoup de travail à faire. Il est donc normal que les fonctions support soient très peu touchées dans les deux ans à venir. En revanche, la question se posera au-delà de ces deux ans. Ne nous leurrons pas : cela dépendra principalement de l’analyse purement financière qui sera faite. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dirigés par des capitaines d’industrie pour lesquels les gens et les produits étaient importants, mais par des financiers.

Vous ne devez pas le perdre de vue lorsque vous procédez à des modifications législatives – comme c’est votre rôle. On ne doit pas compter sur le côté humain de quelqu’un qui habite dans un pays qui n’est pas le nôtre. En revanche, on peut compter sur les engagements qu’ils ont pris. Ils les tiendront. Du moins, nous l’espérons.

M. Pascal Guihéneuf. Je vais reprendre quelques points.

Commençons par le très haut débit. On en a parlé en introduction, de très belles choses se font dans le cadre du plan « Souveraineté Télécom ». Mais je crois que maintenant, il faut parler des actes, et non plus du plan. C’est un peu long à mettre en place. Les idées sont là, il faut mettre en face de chaque projet les techniciens et les ingénieurs qu’il faut.

Ensuite, vous avez demandé comment les salariés avaient perçu le départ de M. Combes. Déjà, ils ne savent plus compter au-delà d’une certaine somme – 7 millions, 14 millions… Ensuite et surtout, ils se sont sentis trahis car il est parti avant la fin prévue, avant la date qu’il avait lui-même annoncée. Cette attitude, qui n’a pas été bien ressentie, est un peu contradictoire avec ce qui s’était passé précédemment. Le fait que la situation de l’entreprise se soit améliorée, alors qu’elle était au bord du gouffre, avait joué en sa faveur. Maintenant, ce sentiment a disparu : on ne veut pratiquement plus entendre parler de M. Combes ! C’est aussi le cas des clients, et pas seulement d’Orange. En effet, ceux-ci ne sont pas très contents de savoir que leur stratégie est aux mains de l’un de leurs concurrents.

Les salariés ont également compris que c’était le « code du Medef » qui s’appliquait. Nous préférerions que ce soit le code du travail ! Le salarié « lambda » qui démissionne ne reçoit pas la moindre rémunération. En revanche, après sa démission, M. Combes a reçu une forte somme du conseil d’administration.

M. André Chassaigne. Le code du travail ne doit pas être assez précis sur ce point !

M. Pascal Guihéneuf. J’en viens aux fonctions support.

Aujourd’hui, chez Alcatel, il y a trois grandes régions. Chez Nokia, il y en a sept. Le partage n’est déjà pas le même ; chez Nokia, les « parts de camembert » sont plus petites. Bien sûr, ne serait-ce que pour des raisons historiques, nous allons garder comme client Orange, en France et dans le reste du monde. Nous avons aussi SFR et Bouygues. Mais cela ne suffira pas en termes de taille critique, s’agissant des emplois support.

Pour des raisons géopolitiques et historiques, nous travaillons souvent avec les pays africains, francophones, et avec les pays méditerranéens et du Moyen-Orient. Nous espérons que cela continuera.

Nous espérons également améliorer ce que l’on pense qui est prévu aujourd’hui. Il conviendra notamment de préciser le terme de « selected » - ce qui est sélectionné dans les engagements. Il faut faire en sorte d’agrandir notre champ d’action. Et chaque fois que l’on récupérera un pays, on récupérera des fonctions support.

Nous avons constaté qu’en termes de chiffre d’affaires, Nokia était sans doute meilleur que nous en Europe sur la partie mobile, mais que nous étions meilleurs que Nokia sur la partie IP. Eh bien, vendons de l’IP en France ! Nous demandons depuis longtemps que l’on améliore notre positionnement sur l’Europe dans cette technologie. Nous aimerions donc récupérer de l’IP.

Cela commence par de la formation. Il faut améliorer la formation sur l’IP, mais aussi la 5G, la sécurisation des réseaux, la virtualisation, pour mieux vendre et mieux réussir ces fonctions support. Nous allons donc demander un plan de formation, qui va du basique à des certifications de haut niveau.

Technologiquement parlant, STMicroelectronics est une belle entreprise. Ils sont bien placés sur certains secteurs, mais ils n’ont pas les gros moteurs pour faire du hardware. Donc, tant qu’ils n’auront pas évolué, on aura du mal à les mettre en tête de nos choix stratégiques. Cela dit, si Nokia travaille beaucoup avec eux, tant mieux. Qu’ils rehaussent leur portefeuille vis-à-vis des télécoms, et ils seront bien accueillis. Mais aujourd’hui, pour les cœurs de hardware, nous travaillons surtout avec les Américains.

En matière de dialogue social, Nokia et la Finlande ont une autre culture que nous. Je qualifierai cette culture de très prudente. En Finlande, le taux de syndicalisation est très fort, puisqu’il atteint 70 %, et on y fait encore la distinction entre les « cols bleus » et les « cols blancs ». En France, c’est un peu dépassé. À la CFE-CGC, à la CGT, à la CFDT et ailleurs, tous les corps de métiers et toutes les classifications sont rassemblés. Cela modifie-t-il les modalités du dialogue social ? Est-ce que les cols blancs discutent davantage avec la direction ? Je ne sais pas, mais je constate que les Finlandais font preuve de beaucoup de prudence. Par exemple, ils sont très hésitants en matière d’information-consultation, une procédure qui existe en France. Ils donnent leurs documents à des experts. Et quand nous avons travaillé avec eux au mois de mai, nous avons vu arriver des avocats et il nous a fallu signer des clauses de confidentialité.

Nous espérons un peu casser cette prudence, pour pouvoir discuter avec eux comme on le fait avec vous. Je pense d’ailleurs que cela les surprendrait un peu de voir comment cela se passe avec vous et avec le cabinet du Gouvernement. Cela dit, il faut qu’ils apprennent. Nous allons essayer de leur apprendre.

J’ajoute que l’on va passer d’un droit français à un droit finlandais. Or je ne pense pas qu’il y ait dans le droit finlandais, comme c’est le cas dans le droit suédois, l’obligation d’avoir des administrateurs salariés. Mais nous allons leur demander.

De la même façon, nous allons devoir rapidement nous informer à propos des censeurs. Je vise là nos représentants des actionnaires salariés, actionnaires d’un fonds commun de placement qui abritait des actions essentiellement Alcatel. Nous allons essayer de voir comment abriter des actions Nokia et de voir si l’on ne peut pas mettre un censeur dans le conseil d’administration. Pour l’instant, on y travaille. C’est encore un peu difficile.

Je terminerai sur le fonds de 100 millions d’euros d’investissement en faveur de l’écosystème digital, et sur le financement, jusqu’à 5 millions d’euros par an, en faveur des universités et en faveur du développement de plateformes. C’est tout à fait sympathique, notamment pour les startups. Nous recevons déjà beaucoup de gens. Eh bien, ils seront encore plus nombreux à venir faire des tests dans nos laboratoires ou en accès virtuel. C’est très important.

Nous ne faisons pas assez de publicité là-dessus mais, par exemple, nous sommes actuellement en train de tester la sécurité des clés USB, qui ne sont pas toujours fiables. Ces tests attirent les gens. De nombreuses idées méritent d’être partagées, et tout le monde ne peut pas faire de plateforme de nouvelle génération. Nous sommes contents de pouvoir faire des plateformes et de les proposer à l’écosystème français. De la même façon, il paraît que nous sommes bons en objets connectés. Eh bien, les gens pourront venir tester leurs objets sur une plateforme de nouvelle génération.

M. Claude Josserand. Je reviens sur le départ de M. Combes, puisque vous nous avez demandé s’il était possible de légiférer pour modifier le système existant. Vous imaginez bien qu’après cinq ans de blocage de salaires et les menaces sur nos retraites, les modalités du départ du directeur général ont généré de l’écœurement et de la démotivation parmi l’ensemble de nos collègues. Cela a fait le buzz pendant deux semaines dans l’entreprise. Pour ma part, je considère que cet épisode nous amène à poser plus largement la question de la rémunération des mandataires sociaux.

Comme l’a fait remarquer l’un de nous, un salarié qui démissionne ne touche rien. Pourquoi les mandataires sociaux seraient-ils gratifiés de primes astronomiques ? À la CGT, nous souhaitons que l’échelle des rémunérations de l’entreprise aille de 1 à 20. Cela aurait en outre l’intérêt d’inciter à relever les bas salaires. Contrairement à ce qu’on a pu nous répondre, des personnes compétentes de l’entreprise seraient prêtes à assumer les tâches de direction pour des salaires relativement confortables sans avoir besoin de retraites chapeau lorsqu’elles s’en vont. Je pense que vous avez là un beau sujet de réflexion pour légiférer.

Par ailleurs, à propos de la GPEC, je voudrais souligner que nous regrettons de ne pas connaître les orientations stratégiques de Nokia pour savoir quels sont les métiers qui seront en croissance, et ceux pour lesquels nous devrons faire l’effort de reclasser nos collègues. On sait évidemment que l’emploi de nos collègues du siège sera menacé, parce qu’il ne va pas y avoir deux sièges dans le groupe. Mais d’autres métiers, métiers des services généraux, métiers support, risquent également d’être menacés dans les deux ans qui viennent.

Ce manque de précision nous empêche de faire une gestion prévisionnelle bien adaptée aux futurs besoins. La situation va peut-être évoluer au fil des mois. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons pas savoir quel type de formation serait nécessaire pour maintenir un maximum de collègues dans l’entreprise.

M. Frédéric Aussedat. Je tiens à compléter le propos de mon collègue sur une partie un peu spécifique de la GPEC, l’employabilité. Une partie est de la responsabilité de l’employeur. Mais au sein d’Alcatel, nous rencontrons un problème spécifique, qui est lié à l’âge des personnes qui vont se retrouver sur le marché de l’emploi. Ce ne seront pas des trentenaires, mais des salariés qui sont dans la moyenne d’âge, soit quarante-sept ans, voire au-delà. Or, en France, passé cinquante ans, il est extrêmement difficile de trouver un emploi. Bien sûr, certains organismes comme Pôle Emploi, la formation continue, le CNAM, etc. offrent des possibilités de reconversion. Mais les formations proposées sont rarement accessibles aux cadres. On considère en effet que celui qui a un bac +5, un bac +6, est suffisamment formé et n’a plus qu’à se débrouiller. Mais que faire, alors, si, par exemple, le milieu des télécoms ne veut plus de vous parce que votre formation initiale n’est plus adaptée ou que vous êtes trop âgé ?

Pourquoi repousser l’âge de la retraite jusqu’à soixante-deux, voire soixante-sept ans, si l’on ne s’assure pas que les gens pourront avoir du travail et ne risqueront pas d’être à la charge de la société à partir de cinquante-deux ou cinquante-trois ans ? Sans compter que ceux dont nous parlons auront eu un niveau de revenu correct, qui va considérablement baisser. Ils seront donc très aigris vis-à-vis de la société. On peut s’attendre à une radicalisation sociétale, qui sera très difficile à vivre.

Un effort de réflexion, de la part du Gouvernement comme de vous-même, s’impose. Comment employer les gens de cinquante ans et plus ? Le problème est particulièrement aigu pour les cadres qui, jusqu’à présent, lorsqu’ils étaient licenciés, retrouvaient du travail au bout de six ou douze mois. Mais ce n’est plus le cas. Il y en a qui n’en retrouvent plus. Certains de ceux qui étaient partis dans le cadre du dernier plan d’Alcatel sont encore sur le carreau. Que feront-ils quand ils seront en fin de droits ? Il y a là une problématique vraiment spécifique sur laquelle nous devons tous nous pencher.

De notre côté, nous travaillons sur la GPEC. Mais je pense qu’il y a des messages à faire passer, comme par exemple « à cinquante ans, la vie n’est pas finie ». N’oublions pas que ces gens-là ont acquis des valeurs et une expérience qu’il convient de valoriser. Il faut faire changer les mentalités en France, en s’adressant à la fois aux employeurs et à toute personne susceptible d’embaucher.

M. Pascal Guihéneuf. On peut aussi passer le message aux salariés. À cinquante ans, on est loin d’être fini ! Pour ma part, j’ai commencé de nouvelles études à cinquante ans. Il faut trouver sa voie. Et la GPEC consiste aussi à y aider le salarié, et à lui laisser le temps de se former. Je pense que c’est là-dessus que l’on va travailler.

Maintenant, y avait-il une autre solution que le rachat ? On l’a cherchée avec nos experts, on ne l’a pas trouvée. En outre, deux raisons ont sans doute contribué au fait que nous avons accepté cette solution. Premièrement, on avait peur de la « vente par appartements ». En France, il y a beaucoup de mobile. En cas de vente par appartements, la partie mobile aurait très vite disparu, et c’était un risque très important pour nous. L’IP est plutôt aux États-Unis, et c’est la branche IP qui aurait été valorisée. Mais nous n’en avons pas. Donc, ce n’était pas un bon choix pour nous, du moins socialement. Deuxièmement, en mobile, nous voulons faire de la 5G. Mais il faut pouvoir se la payer. Or les banques risquent de finir par se lasser. Mais ce ne fut pas facile d’accepter. Perdre le nom, dans l’histoire d’une entreprise, c’est très difficile. Nous y sommes un peu allés « par défaut ».

Ensuite, le suivi de l’accord est très important. Nous sommes très contents que le Gouvernement ait pu, par son influence sur les investissements en France, obtenir des engagements de Nokia. C’est assez original, et cela ne doit pas se produire souvent. Mais maintenant, il faut les suivre.

Les gens de Nokia ne connaissent pas les détails de ces engagements – sur la 5G, etc. C’est nous qui savons ce qu’il en est, et qui pouvons assurer ce suivi. Les salariés ont besoin que ce soit nous. Dans ces conditions, que serait un dialogue entre les dirigeants de Nokia et le Gouvernement ? Je ne vois pas bien à quoi il servirait.

Nous avons donc besoin d’être associés au processus au suivi et nous le revendiquons. Mais nous ne sommes pas Nokia. Donc, comment faire intervenir Alcatel ? Un de ces jours, il faudra bien que M. Suri accepte de nous recevoir pour régler ce genre de questions. On sait le faire en France. On souhaite le faire au niveau européen. Il serait intéressant d’essayer.

Mme Frédérique Massat, présidente. Nous avons bien entendu vos demandes, notamment celles concernant la fiscalité liée à l’installation des relais radio. Actuellement, un certain nombre de collègues travaillent sur le sujet. Le PLF vient de sortir et nous allons y regarder de près.

Vous souhaitez être associés au processus de suivi. Nous ferons tout ce que nous pourrons pour vous aider à l’être. Le Gouvernement, en la personne de M. Macron, a annoncé la création d’une commission composée des représentants de l’État et des syndicats. Il faudra nous alerter, ou demander à vos représentants les plus proches de nous alerter au moment de la mise en place de cette commission. Vous devez y être associés. Sinon, cela ne voudrait pas dire grand-chose.

En tout cas, merci beaucoup. Je pense que nous serons amenés à refaire le point.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 30 septembre 2015 à 16 h 15

Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Michèle Bonneton, M. André Chassaigne, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Jean Grellier, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Frédérique Massat, M. Hervé Pellois, M. Frédéric Roig

Excusés. – M. Marcel Bonnot, M. Jean-Claude Bouchet, M. Jean-Michel Couve, Mme Jeanine Dubié, M. Franck Gilard, Mme Anne Grommerch, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, M. Thierry Lazaro, M. Philippe Armand Martin, M. Kléber Mesquida, M. Bernard Reynès