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Commission des affaires économiques

Mardi 20 octobre 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 6

Présidence Mme Frédérique Massat, Présidente

– Audition de M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales dans la perspective de la COP21

– Informations relatives à la commission

La commission a auditionné M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales (CNES), dans la perspective de la COP21.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous avons aujourd’hui le plaisir d’accueillir M. Jean-Yves Le Gall, président du CNES, qui a déjà été auditionné à plusieurs reprises par notre commission sur divers sujets. Il y a environ deux semaines, lors de mon premier déplacement en tant que présidente de la commission des affaires économiques – pour honorer un rendez-vous pris par le précédent président de notre commission, François Brottes –, je me suis entretenue avec M. Le Gall du rôle du CNES dans la COP21 et après celle-ci, et il m’a semblé intéressant de lui demander de venir éclairer notre commission sur le rôle et les projets du CNES en matière d’observation du climat.

Vous avez maintenant la parole pour un exposé liminaire, M. le président, avant que les membres de notre commission ne vous posent quelques questions.

M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales. Mme la présidente, mesdames et messieurs les députés, c’est un grand honneur pour moi que de venir vous parler du climat, ce sujet qui nous préoccupe tous. Quelques semaines avant l’ouverture de la COP21, je rappellerai les paroles prononcées en avril dernier par le secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, afin de souligner le caractère fondamental de cette conférence pour sauver l’humanité : « Il n’y a pas de plan B, parce qu’il n’y a pas de planète B ».

Les liens entre l’espace et le climat sont étroits. Pour vous en convaincre, j’évoquerai trois aspects de cette relation. Premièrement, sur les cinquante variables climatiques essentielles définies par les spécialistes du Global climate observing system (GCOS) afin de rendre compte de l’état du climat, vingt-six ne peuvent être observées que depuis l’espace. Cela montre que les satellites sont sans équivalent pour comprendre le climat et ses dérèglements, mais aussi pour contrôler les engagements internationaux pris pour maîtriser son évolution.

Deuxièmement, les satellites sont les garants d’une observation globale, précise et multicritère de la Terre, qui permet de mesurer l’augmentation moyenne du niveau des océans, le réchauffement global de l’atmosphère, ainsi que les émissions globales et régionales des gaz à effet de serre qui en sont à l’origine – essentiellement le gaz carbonique et le méthane.

Troisièmement, les satellites permettent de gérer les catastrophes naturelles en donnant aux pays concernés un accès prioritaire aux informations disponibles provenant du monde entier. À l’avenir, les satellites apporteront aussi leur aide en amont de tels événements, en permettant sans doute à terme la détection précoce des tsunamis et des tremblements de terre.

À cet égard, le programme spatial français est exemplaire, ce dont je me félicite. Ce sont les satellites franco-américains Topex-Poseidon – lancé en 1992 –, Jason-1 et Jason-2 – Jason-3 sera lancé dans quelques semaines – qui ont mis en évidence une augmentation moyenne et continue de 3,2 millimètres par an du niveau des océans. C’est là un point très important, car la courbe faisant apparaître l’élévation des océans est à l’origine d’une prise de conscience généralisée sur le climat.

Certains satellites en orbite sont entièrement dédiés à l’étude du climat. Nous entretenons une coopération exemplaire avec l’Inde : les satellites Megha-Tropiques et SARAL-AltiKa, lancés respectivement en 2011 et 2013, permettent des observations locales de la mousson et de son influence sur l’écosystème indien. D’autres satellites en projet devraient nous permettre de mesurer les émissions régionales de gaz à effet de serre. Ainsi, MERLIN (Methane Remote Sensing Lidar Mission) est un programme emblématique qui, mis en œuvre en coopération entre la France et l’Allemagne, vise à mesurer les émissions de méthane. La mission spatiale MicroCarb aura, elle, pour objectif de mettre en évidence les émissions régionales de gaz carbonique ; le Gouvernement est en train de finaliser ses modalités de financement. Enfin, le projet CFOSAT (Chinese-French Oceanic Satellite), mené avec la Chine, sera destiné à effectuer la mesure de l’état des océans.

En matière de catastrophes naturelles, la charte internationale Espace et catastrophes majeures, créée avec l’Agence spatiale européenne en 2000, rassemble aujourd’hui quinze agences spatiales et a été mise en œuvre plus de 400 fois, notamment lors du tremblement de terre survenu au Népal en mai dernier.

Toutes nos réalisations sont exposées au ministère de l’écologie, où Mme Ségolène Royal a souhaité que soit installé un dôme du climat : il s’agit d’une sphère de quatorze mètres de diamètre à l’intérieur de laquelle sont regroupés divers instruments didactiques permettant de sensibiliser le grand public aux problématiques du changement climatique. Par ailleurs, avec l’Agence spatiale européenne, nous avons également installé un cube du climat, ayant la même vocation, qui restera place Clemenceau, sur les Champs-Élysées, durant toutes les vacances de la Toussaint.

Au-delà du grand public, nous avons souhaité que toutes les parties prenantes de la COP21, c’est-à-dire les chefs d’État et de Gouvernement, soient sensibilisées aux enjeux du spatial pour l’étude du climat. À cette fin, nous avons pris l’initiative de réunir les chefs d’agences spatiales du monde entier le 18 septembre dernier à Mexico. Au cours de cette réunion, nous avons adopté à l’unanimité une déclaration insistant sur l’importance de l’apport des satellites, indispensables à l’observation du climat, à la compréhension du changement climatique et aux moyens d’en atténuer les effets. Cette déclaration a été transmise aux Gouvernements des États représentés à Mexico, dans la perspective de la COP21.

Comme vous le voyez, l’engagement de la France dans la lutte contre le changement climatique ne fait pas de doute. Les participants au sommet de Mexico ont d’ailleurs dit, à de nombreuses reprises, à quel point ils étaient impressionnés par les moyens mis en œuvre pour le succès de la COP21 et par la pertinence de notre programme spatial, dont les projets décidés ou à venir sont autant d’atouts pour gagner ce combat.

Jusqu’alors, les satellites en orbite ont mis en évidence le dérèglement global du climat. Nous allons entrer dans une nouvelle phase en passant à l’observation régionale des émissions de gaz à effet de serre, ce qui va nous permettre de nous assurer que les engagements pris lors de la COP21 seront bien tenus. C’est un contrôle global, mais aussi régional, car lorsqu’un pays prend un engagement, seuls les satellites sont à même de mettre en évidence son respect par les industriels concernés. De ce point de vue, la COP21 peut d’ores et déjà être considérée comme un succès, grâce à la mobilisation à laquelle les pouvoirs publics français ont réussi à donner une dimension planétaire.

Comme vous l’avez rappelé, Mme la présidente, j’étais la semaine dernière au congrès annuel de la fédération internationale d’astronautique qui s’est tenu à Jérusalem. La COP21, les enjeux relatifs au climat et l’importance du rôle des satellites ont été au centre de nos débats, comme cela avait déjà été le cas il y a deux semaines au Japon, lors de la rencontre entre Manuel Valls et son homologue japonais, Shinzo Abe.

Le CNES travaille beaucoup au succès de la COP21 et, au-delà, s’efforce de mettre en œuvre les moyens qui permettront aux pouvoirs publics du monde entier de s’assurer que les engagements pris lors de la conférence seront tenus. Cet aspect est fondamental, car c’est le devenir de l’humanité – sa survie, pour certains – qui est aujourd’hui en question.

Mme la présidente Frédérique Massat. À l’instar de l’Assemblée nationale qui effectue un contrôle de l’application de la loi, il va donc revenir au CNES de vérifier l’application de la COP21.

M. Hervé Pellois. M. le président, je vous remercie d’avoir accepté, pour la troisième fois en moins d’un an, d’être auditionné par notre commission. Comme on le sait, le CNES a largement contribué à faire de l’industrie aérospatiale européenne un secteur d’activité à la pointe de la technologie. En dotant la recherche spatiale d’un budget légèrement supérieur à celui de l’année dernière, le projet de loi de finances pour 2016 confirme le soutien public à ce secteur en pleine expansion.

Après les succès remportés dans le domaine de la défense et en matière scientifique, vous avez placé le climat au cœur de votre politique spatiale pour 2015. La déclaration de Mexico de septembre dernier a été le moment de réaffirmer cet engagement dans la perspective de la COP21 qui aura lieu en décembre prochain. À cette occasion, vous avez identifié la coopération internationale et les données spatiales comme les deux éléments clés de la lutte contre le réchauffement climatique. À l’horizon 2020, les satellites pourraient permettre de mesurer les émissions de gaz carbonique de chaque pays. Les données spatiales constitueront alors une source de renseignements précieuse, car elles permettront de s’assurer que les pays signataires d’accords internationaux respectent leurs engagements. Au regard de l’enjeu scientifique et politique, qui serait alors chargé de la collecte et de l’utilisation de ces données ?

Par ailleurs, vous venez de nous montrer que les données spatiales sont en train de changer radicalement notre connaissance de l’environnement. La mesure du niveau des océans et des ressources en eau douce, ainsi que le suivi des forêts, sont désormais possibles grâce aux prouesses technologiques que vous avez mises au point et continuez de développer. Jusqu’où pensez-vous aller et quelles pourraient être les prochaines données de climatologie mesurables ? Existe-t-il, en plus des vingt-six variables que vous avez évoquées précédemment, d’autres qu’il serait intéressant de connaître aujourd’hui ?

Enfin, vous avez affirmé que contribuer au succès de la COP21 était fondamental, et que le CNES se félicitait d’avoir mobilisé autant de monde autour de ce projet. Cela dit, quel serait selon vous l’objectif à atteindre pour que la conférence puisse vraiment être considérée comme une réussite ?

Mme Jeanine Dubié. M. le président, vous nous aviez indiqué, lors de votre dernière audition, que le CNES avait choisi de faire du climat l’un des fils rouges de sa stratégie pour 2015. De ce point de vue, l’organisation de la COP21 en France constitue une formidable opportunité de se rendre compte du rôle croissant des satellites pour mesurer l’impact des changements climatiques sur notre planète.

Comme nous l’avons vu récemment avec les inondations survenues dans le sud-est de la France, les prévisions météorologiques ont une importance cruciale dans la mise en place des mesures de précaution et d’information des populations. Par ailleurs, pas moins des deux tiers de la population vivent à moins de soixante kilomètres des côtes, alors que le niveau des océans augmente. Nous allons donc avoir de plus en plus besoin d’informations précises afin de pouvoir nous adapter.

Le satellite Jason-3, destiné à mesurer le niveau des océans, est le fruit d’une coopération entre les agences spatiales française et américaine, et a été développé par Thales Alenia Space ; son lancement, initialement prévu à la mi-2015, a été repoussé de quelques mois. Pouvez-vous nous dire combien d’emplois il a créés en France et si des projets similaires sont également menés par l’Agence spatiale européenne ?

Pour ce qui est des inondations, elles ne frappent pas que les zones côtières. Élue des Hautes-Pyrénées, je sais que nos territoires de montagne peuvent être touchés par des crues importantes. Le CNES développe actuellement de nouvelles générations de satellites capables de mesurer le niveau des cours d’eau et des lacs. À quel horizon pensez-vous être en mesure de lancer ces satellites et à quel type d’acteurs sont-ils destinés ?

Enfin, en ce qui concerne la COP21, vous nous avez parlé du satellite MERLIN, qui a vocation à permettre le contrôle des engagements pris par les États dans le cadre de la COP21. Quelle est la marge d’erreur d’un tel satellite et à quelle échéance serons-nous capables, grâce à ce matériel, de mesurer avec précision les émissions de gaz à effet de serre ?

M. Lionel Tardy. Je ne m’exprimerai pas au nom de mon groupe, mais à titre personnel.

Lors de votre audition de février dernier, vous aviez évoqué les projets économiques liés à l’exploration spatiale, source de bénéfices pour vous. Pour ce qui est de l’accès à internet, vous parliez d’une guerre ouverte, les géants du secteur des communications électroniques cherchant à s’emparer de cette technologie pour fournir eux-mêmes l’accès au réseau. Quelle est votre position face à ces demandes, et quel est le poids de cette application économique qu’est l’accès à internet ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous donner des nouvelles de l’atterrisseur Philae et nous confirmer la date de fin de mission de la sonde spatiale Rosetta, normalement prévue pour septembre 2016 ? Une prolongation de cette mission est-elle envisagée ?

M. Michel Lefait. Pour ce qui est de l’internet pour tous, Google et le CNES ont travaillé en collaboration pour mettre au point le projet Loon, consistant à lancer dans la stratosphère des ballons gonflés à l’hélium, afin de fournir un accès à internet à la totalité de la planète, y compris les zones blanches, difficiles à raccorder par voie terrestre. Ce projet équivalant à mettre en place une sorte de réseau sans fil tout autour de la Terre permettrait un accès au web coûtant jusqu’à mille fois moins cher que les dispositifs reposant sur les satellites. Pouvez-vous nous dire où en est ce projet initialement prévu pour 2020 ?

Par ailleurs, Ariane 5 est actuellement le lanceur le plus fiable du monde. Mais si l’Europe veut continuer à faire la course en tête face à la nouvelle concurrence, essentiellement américaine, elle doit agir rapidement, ce qu’elle a fait en lançant le projet Ariane 6. Ce nouveau programme répond à trois critères : un nouveau design technique, une organisation industrielle resserrée, sous la forme d’une joint venture Airbus-Safran, ainsi que le soutien des États européens à la filière. Airbus et Safran martèlent qu’il n’y a pas une minute à perdre si l’on veut disposer d’Ariane 6 en 2020. Pouvez-vous nous dire comment avance ce projet ?

M. Jean-Marie Tetart. En ce qui concerne la COP21, vous avez dit que les satellites du CNES permettaient de contribuer très efficacement à l’établissement du diagnostic de la planète, et participeraient de manière active au monitoring et au suivi des émissions de gaz à effet de serre, avec une précision régionale. Il va donc y avoir une sorte de marché du satellite et une commande publique correspondante. Comment les choses vont-elles s’organiser, et qui sera le maître d’ouvrage de cette commande publique, à la fois pour le lancement des satellites et pour l’exploitation cohérente des données recueillies ?

Je veux également évoquer le projet consistant à mettre en place une constellation de petits satellites à orbite basse, un projet dont la France pourrait tirer bénéfice si, comme je l’ai compris, le groupe Airbus se voyait confier le lancement de ces satellites. Ce projet fondé sur une idée nouvelle pourrait-il concurrencer les systèmes actuellement en place ? Quel est son état d’avancement ?

M. Jean Grellier. Nous nous réjouissons tous de l’avance de la France et de l’Europe dans le domaine de l’espace, qui comprend de nombreuses applications, notamment celles de la défense et des télécommunications, mais aussi celle des nouveaux moyens de nature à permettre le contrôle du respect des engagements pris dans le cadre de la COP21. Sur ce dernier point, pensez-vous qu’il puisse y avoir une évolution des législations visant à faciliter ce contrôle ?

Par ailleurs, la multiplication du nombre de satellites lancés dans l’espace n’est pas sans poser certains problèmes, notamment celui des débris spatiaux. Quel est l’état de la recherche en la matière, et de quelle manière l’abordez-vous ?

Enfin, de quel pays provient actuellement la concurrence faite aux satellites français, de quelle manière cette concurrence est-elle susceptible de remettre en cause les démarches engagées jusqu’à présent, et comment vous préparez-vous à l’affronter ?

M. Éric Straumann. Il y a quelques mois, on parlait beaucoup de SpaceX. Quelle est la situation actuelle de votre concurrent américain, qui a connu des déboires au cours de l’été dernier ?

Par ailleurs, à l’approche de la COP21, on entend de plus en plus les climato-sceptiques, qui campent sur leurs positions face à l’immense majorité des scientifiques. Quels arguments l’observation satellitaire peut-elle nous fournir pour démontrer de manière irréfutable qu’ils se trompent ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Les changements climatiques que connaît notre planète entraînent des événements naturels toujours plus violents et difficiles à anticiper, ce qui va nécessiter des changements profonds de nos usages de la nature et de nos modes de vie. Nous sommes tous conscients que nous devons freiner le changement climatique et en inverser la tendance. Notre pays s’engage de façon très ambitieuse sur cette voie, comme le montre la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. De ce point de vue, on sait l’importance des satellites, qui observent et mesurent la température de l’air et des eaux, l’élévation du niveau des mers et le recul des glaciers. Comment, demain, ces satellites pourraient-ils mieux mesurer les causes du changement climatique ? Vous nous parliez des projets visant à déterminer d’où proviennent les émissions de gaz à effet de serre, notamment le programme franco-allemand MERLIN, ayant vocation à mesurer les émissions de méthane, et le satellite MicroCarb, qui permettra de cartographier les émissions de gaz carbonique. Pouvez-vous nous expliquer comment ces projets vont servir concrètement à contrôler la tenue des engagements qui pourraient être pris par les États dans le cadre de la COP21 et de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ?

M. Thierry Lazaro. Je m’interroge sur le tourisme spatial et ses conséquences sur le climat. Cette idée, lancée par les Russes, intéresse les Américains mais aussi les très grandes fortunes, dont les visées sont plus commerciales que scientifiques. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?

M. Yves Daniel. Je vous remercie pour votre éclairage sur le rôle des évolutions technologiques au service de notre planète.

Après avoir connu quelques déboires en 2014, Galileo semble reparti sur de bons rails. La prochaine mission, consécutive à trois lancements réussis en mars et septembre 2015, est prévue pour le dernier trimestre 2015. Pouvez-vous faire le point ?

Les pays sont de plus en plus nombreux à vouloir disposer de leur propre agence spatiale. Dans Les Échos en juin 2015, vous indiquiez que le nombre des interlocuteurs du CNES avait sensiblement augmenté et que ce mouvement était voué à se poursuivre puisque le coût du ticket d’accès à l’espace diminue. Ce mouvement est-il positif selon vous ?

La cession des parts du CNES dans Arianespace en juin dernier a fait débat. Quelle est votre position ?

Le développement des réseaux sans fil, grâce aux possibilités offertes par les satellites, a pour conséquence d’accroître les flux d’ondes électromagnétiques. Cette évolution ne rend-elle pas nécessaire la réalisation d’études d’impact ?

Mme Anne Grommerch. Mes questions portent également sur le déploiement de Galileo : après nombre de difficultés et un budget passé de 3,3 à 5,5 milliards d’euros, le programme semble enfin sur les rails. Qu’en est-il ? Quand le GPS européen sera-t-il mis en service ?

M. Jean-Yves Le Gall. La variété de vos questions est à la mesure de la révolution que connaît le secteur spatial.

Deux traits caractérisent l’évolution du paysage spatial : la question du climat, déjà structurante, est appelée à prendre une place plus importante encore dans les années à venir puisque la COP21 est selon moi un point de départ et non une fin en soi. De plus en plus de pays investissent dans le spatial puisque le coût du ticket d’accès diminue. Parallèlement, le développement d’internet favorise l’émergence de projets de connexion de la planète ou de système de navigation comme Galileo.

Comment les données fournies par les satellites de contrôle des émissions de gaz à effet de serre seront-elles utilisées ? Aujourd’hui, ces données circulent très largement à des fins scientifiques. Dans le cadre de Copernicus, la France a pris l’initiative avec le programme PEPS de mettre à disposition des données, considérant que le libre accès est la meilleure façon de susciter leur utilisation.

Il n’existe pas encore de système global d’observation du climat et de contrôle du respect des engagements, peut-être cela viendra-t-il un jour. Mais, aujourd’hui, un écosystème autour du climat est en train de se développer. Le CNES a été à l’origine il y a trente ans d’un écosystème pour l’utilisation des données d’observation de la Terre. Plus récemment, avec les satellites Topex-Poseidon et Jason, nous avons mis en place un écosystème autour des océans. Dès lors que des satellites de plus en plus nombreux s’intéressent au climat, on peut raisonnablement penser à la création d’un écosystème sur le climat dans les années à venir.

Le projet SWOT – Surface water ocean topography –, développé avec la NASA, devrait être lancé à la fin de la décennie. À l’instar de Jason pour les océans, cette mission s’intéressera à l’eau douce sur les terres émergées.

En matière de météorologie, le CNES est également en pointe. Au-delà des satellites de météorologie traditionnels sur lesquels s’appuient les cartes présentées à la télévision, des satellites plus sophistiqués, qui sont en orbite polaire et non géostationnaire, étudient la météorologie avec des instruments très novateurs : l’instrument IASI, déjà en orbite, est capable de prévoir la météo à trois jours ; un autre instrument, IASI-NG, devrait être en orbite à partir du début de la prochaine décennie et permettre d’étendre la prévision à quatre, voire cinq jours.

Quant au nombre d’emplois créés par Jason 3, il faut distinguer les emplois directs liés à la fabrication du satellite – entre 100 et 150 emplois pendant cinq ans dans l’industrie spatiale – et les emplois, plus nombreux, induits par la création de l’écosystème que j’évoquais précédemment et l’utilisation des données.

Le programme Copernicus de l’Agence spatiale européenne (ESA) monte en puissance. Deux satellites ont été lancés depuis Kourou, plusieurs autres sont prévus dans les mois qui viennent. Quant au programme Earth Explorers de l’ESA, il repose sur une approche un peu plus scientifique de l’observation de notre planète.

S’agissant de la marge d’erreur de MERLIN, ce satellite a vocation à mesurer les émissions de gaz à effet de serre, en particulier le méthane. Conçu pour établir une carte du monde des émissions de méthane, il offrira une très bonne connaissance par région, qui fait défaut aujourd’hui.

Les projets économiques du CNES se développent très rapidement. Le Gouvernement a décidé il y a quelques semaines de mettre en place une ligne de soutien à l’industrie spatiale pour la préparer à être présente dans les projets de méga-constellations.

Rosetta et Philae vont bien, elles vont même très bien. Rosetta s’est éloignée de la comète pour ne pas subir les jets de gaz et de poussière provoqués par l’échauffement du soleil. Quant à Philae, elle a recueilli un nombre impressionnant de données qui sont en cours de traitement par les scientifiques. Cette mission a fait la une de l’édition du 1er août de la revue américaine Science, qui est la référence. Je suis convaincu qu’elle restera comme la mission d’exploration spatiale des trente premières années de ce siècle, aucune mission aussi intéressante n’ayant eu lieu précédemment ou ne pouvant intervenir avant quinze ans puisqu’elles sont en développement.

De grandes sociétés comme Google ambitionnent de connecter les six milliards d’êtres humains sur la planète à internet, contre 500 millions de personnes connectées à un internet rapide aujourd’hui. Tous les moyens sont bons pour y parvenir. Sont ainsi étudiés des drones avec des panneaux solaires, des ballons ou des méga-constellations. C’est dans ce cadre que Google recherche l’expertise du CNES et qu’une coopération a été mise en place.

Ariane 5 est le lanceur lourd le plus fiable au monde, avec 68 succès d’affilée depuis 2003. Mais il a été conçu à la fin des années 1980 – le premier lancement a eu lieu en 1996. Depuis, la technologie a fait des progrès. C’est la raison pour laquelle il a été décidé à la fin de l’année dernière d’engager le développement d’Ariane 6, qui s’appuie sur un design plus simple, une meilleure organisation industrielle et un engagement des États à y recourir.

Aujourd’hui, ce programme avance bien – l’objectif d’un premier lancement est fixé en 2020. Les décisions de décembre 2014 ont été difficiles à prendre mais elles l’ont été grâce à l’engagement sans faille de la France – il faut rendre hommage au Président de la République, au Premier ministre et à Mme Fioraso, qui était alors ministre chargée de la recherche. C’est grâce à une prise de conscience politique au plus haut niveau que la convergence sur Ariane 6 a été possible. À l’époque, vous le savez, nos partenaires européens, notamment d’outre-rhin, n’étaient pas très faciles à convaincre. J’étais hier à Berlin pour rencontrer l’ensemble des dirigeants allemands du spatial et j’ai été frappé de constater que, dix mois après la conférence de Luxembourg, il n’y a plus l’ombre d’un débat en Allemagne : les Allemands se sont approprié Ariane 6. Cela montre d’une part, que notre analyse – concevoir directement Ariane 6 sans passer par des versions améliorées d’Ariane 5, comme cela était proposé outre-rhin – était pertinente, et, d’autre part, que le travail de conviction de nos partenaires allemands mené au plus haut niveau politique a été payant puisqu’aujourd’hui, les Allemands sont les premiers supporteurs d’Ariane 6 ; il y a tout lieu de s’en féliciter.

Le rôle du CNES dans la COP21 aurait été marginal si nous n’avions pas réussi à fédérer l’ensemble de la communauté spatiale internationale. C’est pour cela que nous avons pris l’initiative de la réunion de Mexico que nous avions préparée au cours d’une réunion des chefs d’agence spatiale lors du salon du Bourget le 15 juin. S’agissant de l’organisation, j’ai en partie répondu en appelant de mes vœux la création d’un écosystème destiné au climat.

La constellation de satellites est une nouvelle façon de faire de l’espace. Pourquoi les méga-constellations sont-elles en train d’émerger ? Les satellites de télécommunications géostationnaires peuvent faire la même chose que les satellites en orbite basse, à un détail près… ils sont à 36 000 kilomètres d’altitude. Pour la connexion avec la norme 5G, qui sera utilisée dans quelques années, le temps de latence, c’est-à-dire le temps qu’il faut pour rejoindre un satellite et qui dépend donc directement de la distance depuis la Terre de celui-ci, est très important. Le fait d’être en orbite basse, entre 500 et 700 kilomètres d’altitude, fait évidemment gagner beaucoup de temps.

L’honnêteté m’oblige à dire que ces projets présentent un caractère futuriste et spéculatif. C’est une bonne chose qu’Airbus ait pu mettre un pied dans le projet OneWeb. Il faut toutefois être conscient que ce sont des projets difficiles. C’est pourquoi nous avons pris la décision de soutenir notre industrie pour mettre toutes les chances de notre côté.

Ces méga-constellations posent le problème du nombre de satellites en orbite et des débris spatiaux. Mais la France s’est dotée, en 2008, d’une loi relative aux opérations spatiales – nous sommes précurseurs en la matière. Le devenir de ces satellites sera régi par cette loi. La meilleure façon de traiter la question des débris spatiaux est encore de ne pas en fabriquer : c’est pour cela qu’Ariane 6 sera un lanceur « propre » puisque l’étage supérieur ne restera pas en orbite, donc ne créera pas de débris.

SpaceX a avancé rapidement avant de connaître un échec le 28 juin. Nous attendons donc le prochain lancement, qui devrait intervenir dans les prochaines semaines. C’est une période compliquée. Pour une société de transport spatial, ce qui est important, ce n’est pas tant l’échec que le vol d’après. Si SpaceX connaît le succès lors de son prochain lancement, l’échec du 28 juin aura été un simple trou d’air. En revanche, si l’échec se répète, des questions beaucoup plus fondamentales se poseront.

Les climato-sceptiques persistent mais ils sont de moins en moins nombreux, me semble-t-il, à ne pas croire au réchauffement climatique. La question est de savoir si les phénomènes climatiques nouveaux que nous observons sont d’origine anthropique ou naturelle. Il existe aujourd’hui un consensus pour considérer qu’ils sont pour l’essentiel liés à l’activité humaine, raison pour laquelle nous devons y remédier.

Le tourisme spatial, on en parle beaucoup mais ses perspectives paraissent très limitées puisque le ticket pour trois minutes en apesanteur s’élèverait à 200 000 dollars, ce qui n’est pas à la portée de toutes les bourses. Ce programme, qui a connu quelques revers récemment, avec la mort du pilote du projet de Virgin Galactic à la suite d’un grave accident, continue à un rythme que je qualifierais de mesuré. Je ne crois pas qu’il soit extrêmement porteur à ce stade.

Galileo avance bien. Dix satellites ont été mis en orbite, quelques-uns connaissent des difficultés mais le programme a été remis sur les rails. Le prochain lancement de deux satellites supplémentaires par Soyouz est prévu le 17 décembre depuis le centre spatial guyanais ; Ariane lancera d’autres satellites l’année prochaine. Les premiers services de Galileo devraient être disponibles au début de l’année 2017. Ce système concurrencera le GPS américain, le Glonass russe et le Beidou chinois.

La cession des parts du CNES dans Arianespace est la conséquence des décisions prises à la conférence de Luxembourg. Nous avons souhaité que l’industrie prenne plus de responsabilités, en particulier dans les lancements commerciaux, ce qui passait par un désengagement du CNES du capital d’Arianespace. Sans entrer dans des détails financiers, qui sont à ce stade confidentiels, je considère que l’accord trouvé avec les industriels, qui sera confirmé une fois les étapes franchies, en particulier en matière de concurrence, est un bon accord. Nous avons valorisé du mieux possible notre participation. C’est une excellente opération patrimoniale de mon point de vue qui protège le CNES des risques éventuels liés à la commercialisation du lanceur. Nous verrons si celle-ci va jusqu’à son terme en recueillant l’approbation de Bruxelles.

S’agissant des flux d’ondes engendrés par les communications, je vous rassure, des études d’impact sont réalisées avec beaucoup de soin. Nous y sommes très attentifs.

Pour Galileo, nous n’avons plus de souci sur la construction des satellites et leur mise en orbite. En revanche, il faut être attentif à l’utilisation qui sera faite du signal, en particulier en s’assurant de l’existence d’un nombre suffisant de récepteurs pour le capter. Les États-Unis, la Russie et la Chine ont légiféré : sur le marché américain, les véhicules vendus doivent être équipés de récepteurs GPS, sur le marché russe, de récepteurs Glonass et sur le marché chinois, de récepteurs Beidou. Afin de ne pas fausser la concurrence, la Commission européenne n’a pas souhaité imposer la présence d’un récepteur Galileo sur les véhicules vendus en Europe. Je m’étais exprimé dans un sens différent. Mais, nous devons respecter la décision de Bruxelles. Même en l’absence d’obligation réglementaire, je suis convaincu qu’en raison de l’excellence des services offerts par Galileo, celui-ci s’imposera de lui-même dès lors que la constellation sera déployée, à la fin de l’année 2016 ou au début de l’année 2017.

Mme la présidente Frédérique Massat. Je vous remercie pour ces réponses très complètes. Nous serons certainement amenés à nous revoir pour faire le point sur le contrôle des engagements de la COP21.

*

Informations relatives à la commission

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 20 octobre 2015 à 17 heures

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Florent Boudié, M. Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Christian Franqueville, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Philippe Kemel, M. Thierry Lazaro, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, Mme Frédérique Massat, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Éric Straumann, M. Lionel Tardy, M. Jean-Marie Tetart

Excusés. - M. Jean-Claude Bouchet, M. Daniel Goldberg, Mme Marie-Lou Marcel, M. Bernard Reynès, M. Jean-Charles Taugourdeau