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Commission des affaires économiques

Mardi 10 novembre 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 20

Présidence Mme Frédérique Massat, Présidente

– Communication de M. Dominique Potier sur son rapport au Premier ministre concernant les phytosanitaires 2

– Informations relatives à la commission 15

La commission a entendu M. Dominique Potier sur son rapport au Premier ministre « Pesticides et agro-écologie : les champs du possible ».

Mme la présidente Frédérique Massat. Mes chers collègues, Dominique Potier va nous présenter son rapport « Pesticides et agro-écologie : les champs du possible » qu’il a réalisé à la demande du Gouvernement. Ce titre explicite nous montre une fois de plus le côté poète de notre collègue et sa capacité à nous parler simplement de sujets abrupts.

Nous avons travaillé à de nombreuses reprises sur ce sujet. Je rappelle que la loi n° 2014-110 du 6 février 2014 dite « Labbé » vise à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national et que nous avons voté, dans le cadre de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, la mise en place d’un dispositif expérimental de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP).

J’ajoute que le 4 novembre 2015, le ministre de l’agriculture a présenté la nouvelle version du plan Ecophyto qui s’appuie sur l’excellent rapport de notre collègue.

M. Dominique Potier. Madame la présidente, je sais qu’il n’y a aucune ironie de votre part lorsque vous parlez de mon côté poète. Cette touche de sympathie me va droit au cœur.

Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer devant la commission des affaires économiques sur un sujet qui a une dimension économique très forte. Je suis convaincu que le plan Ecophyto est la mesure la plus pointue du plan agro-écologique, qui est la politique gouvernementale aujourd’hui. Elle en est à la fois l’indicateur et le signe de réussite.

Cette mission m’a été confiée par le Premier ministre il y a un an et demi. Tout au long de cette mission, qui a duré six mois, j’ai été entouré de cinq ingénieurs. J’ai eu l’occasion de rencontrer près de 200 personnes à travers quatre-vingt-dix auditions et sept déplacements qui m’ont conduit dans différents systèmes d’exploitation en France. J’ai pu voir ceux qui explorent les « champs du possible » et, en tout cas je l’espère, les « champs du futur ».

Cette mission passionnante m’a permis de renouer avec mon ancien métier, avec le monde agricole que je n’ai jamais abandonné et que j’ai pu redécouvrir sous l’angle de l’innovation et des coopérations telles qu’elles se déroulent aujourd’hui un peu partout.

Il s’agissait d’évaluer à mi-parcours le plan Ecophyto qui a été conçu dans le cadre du Grenelle de l’environnement et qui constitue également la mise en œuvre française de la directive de 2009/128/CE instaurant un cadre communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable. Nous sommes donc dans le contexte du Grenelle de l’environnement avec un foisonnement d’initiatives, une tradition très collégiale et très participative. Comme il était très peu question d’énergie dans le Grenelle de l’environnement, il fallait donc donner des signes très forts dans d’autres domaines comme ceux du traitement des déchets ménagers et des produits phytosanitaires. Cela peut expliquer l’ambition portée à l’époque de diminuer de 50 % l’usage de la phytopharmacie dans notre pays dans un délai de dix ans. L’histoire raconte que le Président de la République ou le Premier ministre ont ajouté, derrière cet objectif de 50 %, les mots « si possible », ce qui peut tuer l’ambition.

Je suis profondément convaincu que les auteurs de ce plan ont fait preuve de sincérité et qu’ils ont vraiment pris conscience des dangers sanitaires et environnementaux, du mésusage et de l’usage excessif des produits phytosanitaires et du désir partagé, par la majorité comme par l’opposition, et par toutes les parties prenantes, de sortir de ce que l’on peut appeler une addiction à l’usage des pesticides tels qu’ils étaient en place dans le paysage français.

95 % des pesticides répandus sont à usage agricole et 5 % à usage non agricole – jardins publics ou privés, golfs, etc. Nous sommes donc pour l’essentiel sur des questions agricoles, dont les deux tiers concernent les cinq cultures dominantes que sont le blé, le colza, la pomme de terre, l’arboriculture et la viticulture. Alors que l’arboriculture et la viticulture représentent moins de 5 % de la surface agricole utile, plus de 20 % des usages sont concentrés sur les productions de blé et le colza, deux productions extrêmement sensibles qui ont fait l’objet d’études particulières dans la mission qui m’a été confiée.

Le plan Ecophyto a permis au monde agricole de prendre conscience du danger pour les agriculteurs eux-mêmes d’une mauvaise pratique des produits phytosanitaires. 200 000 agriculteurs ont obtenu le Certiphyto où sont dispensés à la fois une mise en garde et des conseils d’usage. Personne ne nie aujourd’hui les risques liés pour les praticiens eux-mêmes.

À côté de Certiphyto, toute une série de dispositifs ont été inventés, notamment par le ministère de l’agriculture et le ministère de l’environnement. Je pense au bulletin de santé du végétal, aux fermes Dephy, et à une dizaine de dispositifs de recherche et de développement et de vulgarisation, qui ont permis d’outiller notre pays sur l’usage des produits phytosanitaires. Une politique publique est donc mise en place, en lien avec les organisations agricoles dans leur diversité.

Pour autant, les résultats ne sont pas au rendez-vous puisque, après un premier résultat positif en 2012-2013, force est de constater que la tendance est à la reprise et que nous ne parvenons pas à diminuer l’usage des produits phytosanitaires. Nul besoin d’être un grand mathématicien pour comprendre que l’objectif de diminution de 50 % sur dix ans de l’usage des produits phytosanitaires ne sera pas atteint puisqu’il s’est traduit par une augmentation de 2 % au bout de cinq ans. Il faut donc avant tout comprendre pourquoi la prise de conscience culturelle et l’outillage mis en place ne suffisent pas à modifier la donne.

Comment notre pays a-t-il évolué entre 2009 et 2014 ?

Les prix des matières premières végétales sont restés élevés durant trois années. Dès lors, le décideur, c’est-à-dire, l’agriculteur, arbitre très souvent en faveur du maintien d’une certaine intensification à la fois en intrants chimiques et en engrais qui lui garantissent plus sûrement un rendement qui sera rémunérateur et qui contribuera à son revenu. L’arbitrage économique est donc défavorable dès lors que le prix des matières premières végétales, notamment le prix des céréales, connaît des oscillations à la hausse.

À cela s’est ajoutée une longue période de météorologie défavorable, des printemps ou automnes « pourris », comme on dit dans la profession, qui n’ont pas favorisé la maîtrise des produits phytosanitaires puisqu’il faut intervenir plus fréquemment pour lutter contre les agresseurs.

Une mauvaise météorologie et des prix élevés : voilà le mauvais cocktail qui rend difficile la maîtrise de l’usage des phytosanitaires.

Un autre phénomène a été constaté, celui de l’agrandissement des exploitations agricoles, de leur spécialisation et, par là même, de la dépendance plus importante aux solutions phytopharmaceutiques. Dans le même temps, on a observé un recul de la polyculture élevage, des rotations longues et une tendance à la spécialisation sur des rotations sur deux années, notamment des colza-blé très consommateurs de pesticides.

On pourrait se satisfaire de cette situation puisque, si nous stagnons, d’autres pays continuent de progresser dans l’usage des produits phytosanitaires. Mais ce discours n’est pas de nature à nous consoler ou atténuer l’évaluation du plan Ecophyto.

Tous les travaux que nous avons faits révèlent que depuis 2008-2009 tous les indicateurs de risques se sont renforcés. Nous sommes quasiment sur une terra incognita en ce qui concerne l’air et la microbiologie du sol. Nous savons en effet très peu de chose des effets à long terme des pollutions chimiques sur la santé du sol et sur la qualité de l’air. Une des recommandations fortes de la mission est d’augmenter notre connaissance et notre exploration en la matière.

Un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) pourrait justifier une évaluation et une remise en cause des pratiques agricoles telles que nous les connaissons. En effet, le travail collectif qui a été réalisé par l’INSERM et publié à mi-parcours de la mise en place du plan Ecophyto modifie la donne en matière d’appréhension des questions de santé puisque les intuitions deviennent des quasi-certitudes. Puis apparaissent ce que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) appelle les pollutions à bas bruit, les effets cocktail et tous ces risques qui vont se manifester à travers des perturbations endocriniennes qui sont aujourd’hui l’objet d’études et d’attention dans la communauté scientifique. L’INSERM révèle qu’il ne s’agit pas d’un risque fantasmé mais d’un risque réel et qu’il convient de multiplier les efforts en la matière.

Si les quantités d’usage ont stagné ou légèrement augmenté sur la période, il convient de souligner que le retrait des molécules à l’échelle européenne mais aussi française a certainement permis de baisser la pression d’impact dans les domaines que nous connaissons sur les plans sanitaire et environnemental. Il reste que le bilan est globalement négatif. Force est de constater que, malgré tous les efforts déployés – près de 40 millions d’euros par an de redevance pour pollutions diffuses perçus sur l’agrochimie –, les moyens d’action sont inefficaces sur des leviers majeurs. Ces leviers majeurs, ce sont notamment les rotations, la sole de la ferme France, la régulation des marchés et surtout la décision économique de l’agriculteur lui-même.

C’est à l’aune de ces résultats et à travers le tour de France qui nous a conduits jusqu’à l’île de La Réunion que j’ai pu, avec toute une équipe et en lien avec les ministères concernés, faire soixante-huit propositions qui permettent de fixer un nouveau cap et de donner des moyens d’action publique pour les atteindre.

Tout d’abord, il s’agit de maintenir le cap, de prendre acte que nous n’avons pas progressé pendant cinq ans, et qu’il convient de redonner un espace-temps significatif. Plutôt que de fixer une période de dix ans pour obtenir l’objectif de 50 % de réduction de l’usage des produits phytosanitaires, je propose deux étapes : une première étape de cinq ans avec un objectif de réduire de 20 à 25 % l’usage des produits phytosanitaires, et une seconde étape qui nous permettra, à l’horizon de dix ans, d’aller vers un objectif de 50 %. Pour cela, nous installons une vigie des impacts à 360 degrés qui nous permet de mobiliser des indicateurs nouveaux. Nous voulons élargir le champ. Nous ne pouvons pas traiter des produits phytosanitaires si nous ne parlons pas de politique des nitrates ni, plus globalement, d’agro-écologie. Nous ne pouvons pas séparer une politique phytosanitaire d’une politique d’agro-écologie telle que Stéphane Le Foll la promeut depuis qu’il est ministre de l’agriculture.

Il faut remettre l’entreprise au centre. De nombreuses infrastructures de recherche et de conseils sont engagées autour du plan Ecophyto et 40 millions d’euros ont été mobilisés. Mais nous savons qu’au final c’est l’agriculteur qui prend la décision avec des pressions et des indicateurs qui ne sont pas seulement ceux des chambres d’agriculture ou des instituts, mais des distributeurs dans leur diversité. C’est bien autour de l’entreprise et dans le B to B qu’il faut trouver une partie des solutions.

Il faut jouer collectif. Les solutions passent par une agriculture de groupe en termes de conseillers et d’émulation. Les groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE) seront le cadre idéal de ces solutions alternatives et de déploiement de l’agro-écologie.

Il faut aussi des moyens supplémentaires. J’ai demandé à ce que soient mobilisés au minimum 60 millions d’euros supplémentaires, au-delà des 40 millions d’euros déjà dégagés. J’avais même fixé une trajectoire à 100 millions d’euros qui s’ajoutaient aux 40 millions existants. Lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative l’année dernière, j’ai défendu un amendement qui prévoit de majorer la redevance pour pollutions diffuses et d’augmenter de 30 millions d’euros les crédits. Si nous ne sommes pas au niveau que j’aurais souhaité, nous sommes parvenus à un quasi-doublement des moyens publics avec une condition : que chaque euro supplémentaire mobilisé retourne à la parcelle, aide à la mutation dans l’entreprise sous forme de conseil matière grise, de matériel ou de solution alternative. Mais c’est bien un recyclage et un principe de mutualisation des moyens qui est visé à travers cette fiscalité.

Il faut territorialiser l’action. En effet, on ne peut pas régler de la même manière le problème du Midi viticole et celui de la Champagne. Les régions doivent être mobilisées. Elles ont des leviers d’action nouveaux. Par exemple, la compétence en matière de fonds européens va leur permettre, à travers le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), d’intervenir de façon beaucoup plus directe dans les outils d’accompagnement des entreprises agricoles. Les régions politiques, les régions administratives et les agences de l’eau doivent avoir des politiques territorialisées beaucoup plus affirmées.

Il faut aussi une culture positive sur ce sujet car nous voyons des guerres de tranchées s’organiser entre les pour et les contre. Les fantasmes et les positions radicales nuisent très souvent à un climat efficace pour l’action. Il me semble très important que cette recommandation soit prise en compte et que soit créée autour du plan Ecophyto II une culture positive qui permette de rassembler les consommateurs, les producteurs, les écologistes et les syndicats agricoles dans une démarche de progrès qui respecte des étapes et qui vise la triple performance économique, sociale et environnementale.

Pour atteindre l’objectif de réduction de 20 à 25 % de l’usage des produits phytosanitaires, les solutions, qui sont plutôt technico-économiques, sont aujourd’hui à notre portée. De façon un peu mystérieuse et étonnante, les solutions d’agro-équipement qui sont pourtant relativement rapides et efficaces, n’ont pas été prises en compte dans le plan Ecophyto I. Elles ont été victimes d’une politique très fragmentée. Il existait des politiques de modernisation du matériel mais qui n’étaient pas reliées entre elles et qui n’ont pas fait l’objet d’un suivi national de bon niveau. Voilà pourquoi je préconise que les solutions d’agro-équipement soient prises au meilleur niveau. Les outils de guidage numérique associés à du matériel de précision permettent d’obtenir des gains considérables.

Une piste qui est très valorisée mais dont il ne faut pas tout attendre est celle du biocontrôle. C’est une alternative biologique à une pratique chimique. Le biocontrôle représente aujourd’hui près de 5 % des solutions. Les plus optimistes estiment que, dans la décennie à venir, ce pourcentage pourrait passer à 15 %, c’est-à-dire qu’une pratique phytosanitaire sur sept pourrait s’exonérer de la dépendance à la chimie. Le ministre de l’agriculture a encadré le biocontrôle et les conditions de son épanouissement par des dispositions qui figurent dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, dans une logique de cluster, dispositions qui sont extrêmement prometteuses et qu’il est urgent de mobiliser.

Dans le même registre, il existe une démarche autour de la génétique végétale. Nous devons faire attention à sélectionner des variétés plus résistantes aux agresseurs, et notamment à ceux qui seront liés au changement climatique. Sans parler de mutagénèse, nous avons une véritable marge de manœuvre du point de vue génétique rien que sur la collection des variétés primitives et sur une recherche réorientée vers la résistance aux maladies.

Enfin, des rotations allongées, s’appuyant notamment sur le maintien de la polyculture élevage mais aussi sur des rotations qui intègrent une troisième, voire une quatrième culture, offrent des perspectives intéressantes. On voit bien qu’elles sont en lien avec le plan protéines, à mon avis insuffisamment doté en France, qui vise à retrouver une autonomie fourragère et dont le gain en matière d’économie de phytosanitaires est immédiat. Une quatrième, voire une cinquième culture sous forme de protéagineux est de nature à diminuer très fortement la pression des maladies, des agresseurs, et à mieux maîtriser notre phytopharmacie.

Telle est la gamme des outils que je suggère de mobiliser dans la première partie de ce plan Ecophyto. La démultiplication des pratiques passe par l’augmentation du nombre de fermes Dephy, ces fameux laboratoires qui ont été accompagnés par la profession, les chambres consulaires mais aussi les coopératives agricoles. Ces fermes, qui passeraient de 2 000 à 3 000, ont démontré que le changement de pratiques, à coût des matières végétales égal et à météorologie égale, est une démarche pionnière, exigeante, alternative, innovante, qui permet d’obtenir les résultats visés. Il faut surtout enclencher le facteur dix, c’est-à-dire rayonner sur dix exploitations autour de chaque ferme Dephy et atteindre le seuil de 30 000 entreprises engagées dans la transition agro-écologique en France.

Ce seuil de 30 000 exploitations nous permettrait d’atteindre le seuil d’un sur sept » qui me semble être celui de la vulgarisation agricole. Lorsqu’une entreprise sur sept est dans cette démarche où tout le monde est en meilleure santé économique, environnementale et sanitaire, où il y a une certaine fierté des résultats obtenus, un effet d'entraînement peut alors s’opérer sur 50 % des exploitations agricoles. C’est le pari que nous pouvons faire : passer en cinq ans à 3 000 fermes laboratoires rayonnant sur 30 000 fermes engagées dans des formes très diverses – réseaux des chambres d’agriculture, des centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (CIVAM), GIEE, coopératives d’utilisation du matériel agricole (CUMA) qui ont des objectifs de développement. Toutes les formes sont bonnes, elles ne s’opposent pas. Au contraire, elles doivent se compléter.

L’autre facteur de démultiplication, ce sont les certificats d’économie de produits phytosanitaires inspirés des certificats d’économie d’énergie. Les distributeurs, qu’ils soient coopératifs ou privés, ont comme objectif de proposer des CEPP à leurs mandants, leurs adhérents ou leurs clients, suivant leur statut. Ce sont bien les entreprises elles-mêmes qui, plutôt que de vendre des produits phytosanitaires, vont proposer des solutions de biocontrôle, d’agro-équipement ou des filières alternatives allongeant les rotations. Celles qui réussiront auront un bonus, celles qui échoueront auront un malus. Nous sommes dans une phase d’expérimentation avec des impacts financiers qui resteront mineurs. Il s’agit d’éviter des injonctions contradictoires : une chambre d’agriculture qui, d’un côté, dirait qu’il faut lever le pied, faire attention à la compétitivité globale de l’entreprise et à son impact sur l’environnement, et, d’un autre côté, d’autres indications qui, tirant parti d’opportunités économiques, négligeraient les facteurs d’externalité.

Tels sont les éléments qui, dans les cinq années à venir, peuvent permettre de parvenir à baisser de 20 à 25 % l’utilisation des produits phytosanitaires.

Si nous voulons aller au-delà, des réformes plus structurelles sont nécessaires. D’abord, il faut vérifier qu’il y a harmonisation des pratiques à l’échelle européenne. Je pense à la lutte contre la fraude pour éviter les contrefaçons et que certains échappent aux redevances fiscales. Il faut surtout harmoniser le régime des autorisations à l’échelle européenne. Il existe aujourd’hui des distorsions de concurrence en raison de régimes très disparates. Un producteur de pommes de terre dans les Ardennes est en concurrence directe avec des producteurs belges qui ont l’autorisation d’utiliser des produits qui sont interdits en France. Il faut aller vers une harmonisation par le haut des autorisations. Il faut aussi lutter contre les fraudes aux frontières. Je pense à l’Espagne et au quart nord est de la France. C’est un enjeu capital si nous ne voulons pas décourager nos producteurs.

Des outils de régulation à tous les niveaux sont nécessaires. La politique foncière, même si elle a connu quelques améliorations avec la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, est loin de tenir ses promesses. Réguler le foncier, permettre l’installation de jeunes agriculteurs, le renouvellement des générations d’agriculteurs, la diversité des structures d’exploitation agricole, c’est garantir la biodiversité de nos paysages et de nos sols. Sans régulation du foncier, tout le reste risque de n’être que littérature.

Il faut inventer une politique agricole commune 2020 qui amplifie l’effort agro-environnemental tel qu’il a été marqué par les mesures agro-environnementales et climatiques du deuxième pilier de la réforme de la politique agricole commune (PAC) en 2013. La PAC 2020 doit dès maintenant faire l’objet d’études et de prospectives. Jean Boiffin et moi-même avons largement suggéré une logique de production intégrée. Cette production intégrée, qui est la définition européenne de l’agro-écologie, devrait peut-être nous permettre de sortir d’une logique de guichet à partir de pratiques environnementales qui sont séparées les unes des autres pour avoir, entre l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle, un ou deux niveaux de pratiques agricoles qui, par leur cohérence et leur force, manifestent cette double performance économique et environnementale.

Déterminer un ou deux échelons de production intégrée et différencier les aides de la PAC, segmenter les marchés de l’alimentation locale et, pourquoi pas, l’accès à des marchés publics dans le cadre des plans alimentaires territoriaux : voilà un beau chantier pour ceux qui, dès maintenant, doivent commencer à bâtir une nouvelle PAC.

Il ne faut pas du tout désespérer des solutions scientifiques qui sont ouvertes aujourd’hui, tant par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) que par des instituts privés. Il y a des solutions qui n’existent pas encore mais qui sont dans les couveuses, dans les laboratoires, et qui apporteront en 2020, j’en suis certain, des réponses nouvelles à nos interrogations et aux impasses constatées sur le terrain.

L’une des propositions paradoxales de ce rapport est de permettre l’usage des produits phytosanitaires là où nous connaissons actuellement des impasses. Outre-mer, pour des productions spécialisées comme des productions semencières ou légumières, les fournisseurs de l’agrochimie, qui sont souvent des grandes multinationales, n’ont aucun intérêt, pour quelques centaines ou quelques milliers d’hectares, à instruire un dossier d’autorisation de mise sur le marché pour leurs produits, ce qui met les producteurs dans des situations d’impasse redoutable. Ces produits, que l’on ne peut pas ou plus produire sur le continent ou outre-mer, sont substitués par des produits issus de pays tiers dont le contrôle sanitaire et la charge en molécules chimiques sont moins sûrs que nos propres productions. Je propose donc que, de façon mutualisée, soit par un fonds dédié – j’ai imaginé une extension de l’usage du fonds destiné à la phytopharmacovigilance dont j’ai porté l’amendement lors de l’examen de la loi de finances pour 2015 – soit par l’extension de la redevance pour pollutions diffuses, nous prenions en compte la question des usages orphelins.

La France, par sa tradition sanitaire mais aussi par la radicalité des défis qui lui sont posés outre-mer en ce qui concerne l’exigence de qualité environnementale et sanitaire, a inventé des solutions tout à fait innovantes dans les Caraïbes autour de la banane. De même, j’ai vu des choses passionnantes en ce qui concerne la canne à sucre et la mangue à La Réunion. Nous pouvons être fiers des pratiques agronomiques et agroalimentaires des outre-mer qui servent un peu de laboratoires par la radicalité des situations pédoclimatiques et qui très souvent rayonnent de manière très positive dans l’Océan Indien ou dans les Caraïbes. C’est une vraie fierté que de voir l’agronomie et la sécurité sanitaire de la France à l’œuvre dans ces régions du monde.

En conclusion, je préconise surtout un développement extrêmement important d’une alimentation de meilleure qualité. Produire autrement suppose que les consommateurs décident de consommer mieux – je les appelle les consommateurs éclairés. La relocalisation, la territorialisation de la question alimentaire et de la vocation des sols me semblent être de véritables pistes du futur. Elles doivent permettre aux producteurs de retrouver leur dignité et aux consommateurs d’être fiers de cette grande tradition française que sont les arts de la table et la qualité de l’alimentation. Bien sûr, la dimension européenne ne se résume pas à l’alignement des normes. Je plaide également pour une infrastructure de recherche-développement puissante à l’échelle européenne. Il nous faudrait un Airbus de la phytopharmacie, alternative du biocontrôle, de l’agro-équipement et des pôles de compétitivité démultipliés. Ce pourrait être une belle ambition pour notre pays, dont la compétitivité ne vise pas à tirer l’agriculture et l’agro-alimentaire vers le bas ou vers une segmentation des marchés qui méprise à la fois les populations du sud et les populations les plus fragiles, mais qui participe au renouveau productif et à une qualité des aliments pour tous, bref qui contribue au récit républicain.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Monsieur Potier, je tiens à vous féliciter pour le travail très complet et très intéressant que vous avez réalisé sur un sujet qui fait encore débat, même si chacun s’accorde sur le constat qu’une utilisation non contrôlée pourrait se retourner contre nous en détruisant à terme les conditions de la vie.

Le plan Ecophyto a pour objectif de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires en France, tant en zone agricole que non agricole, en conciliant performances écologiques et performances économiques, en préservant la santé publique et en assurant les consommateurs de la qualité des produits qu’ils consomment au quotidien. C’est bien l’objectif : en finir avec l’opposition traditionnelle entre économie et environnement.

Vous faites soixante-huit propositions pour parvenir à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, dans un premier temps de 20 à 25 %, puis dans un second temps pour atteindre 50 % en dix ans. Pour parvenir à cet objectif, vous comptez également sur les progrès de la recherche.

Vous avez auditionné nombre d’exploitants agricoles et divers professionnels, et vous avez effectué des visites de terrain. Comment est perçue globalement cette démarche ? L’adhésion est-elle large ? Quels sont les plus récalcitrants, et sur quels types d’exploitations ?

Quels sont les arguments principaux avancés par les éventuels opposants à cette réforme des pratiques ? Est-ce seulement la crainte de la réduction de la compétitivité ? Quels types de sanctions avez-vous envisagés à terme ?

Mme Laure de La Raudière. Je vous remercie pour le travail que vous avez réalisé car il s’agit d’un enjeu extrêmement important pour l’agriculture et un sujet de craintes pour la population.

Vous affichez votre conviction d’avoir une agriculture compétitive en même temps que des objectifs ambitieux en matière d’utilisation de produits phytosanitaires.

Certaines de vos remarques sont de l’ordre des convictions et elles ne sont pas nécessairement très documentées. Par exemple, vous affirmez que : « La seconde étape du nouveau plan (-50 %) suppose une nouvelle donne. Elle a le mérite que soit précisée la notion même de compétitivité. » J’ai l’impression que l’on va casser le thermomètre pour en changer. Pourquoi pas ? Mais à condition que cela soit fait au niveau mondial. Et vous ajoutez : « Pour être authentique, celle-ci doit tenir compte d’un ensemble d’attendus : protection des biens communs, emplois générés, revenu et qualité de vie des actifs, coûts et bénéfices induits pour la société aujourd’hui et demain ». Je veux bien, mais sur le marché mondial nos agriculteurs doivent pouvoir vendre leurs produits au prix du marché pour pouvoir gagner des parts de marché.

Je crois qu’il est possible de réduire l’usage des produits phytosanitaires grâce à l’utilisation de nouvelles technologies, en particulier l’analyse de bases de données d’exploitations à grande échelle par les agriculteurs. Mais je me demande comment on démultiplie ces bonnes pratiques. Un agriculteur de ma circonscription le fait depuis vingt ans et a réussi à baisser de 20 % les intrants de produits phytosanitaires et d’engrais par rapport à ce que préconisent ses fournisseurs de produits. Comment mettre en place la généralisation de ces bonnes pratiques agricoles auprès des agriculteurs ?

Vous avez dit, à juste titre, qu’il faut faire confiance au progrès scientifique qui nous apportera peut-être des réponses d’ici à 2020. Mais vous n’avez pas du tout parlé des organismes génétiquement modifiés (OGM). Est-ce volontaire ? Pensez-vous que les OGM peuvent constituer une réponse scientifique à ce défi, ou bien idéologiquement qu’ils ne le peuvent pas ?

Mme Brigitte Allain. Monsieur Potier, permettez-moi de vous interroger sur ce nouveau plan Ecophyto II qui rencontre une opposition particulièrement réactionnaire. Après « L’environnement, ça commence à bien faire ! » de notre ancien Président de la République, nous avons entendu ce week-end un nouveau message d’un syndicat d’exploitants agricoles qui, en murant la permanence du suppléant de la ministre de la santé, dit clairement : « La santé, ça commence à bien faire ! » Aussi paraît-il urgent de passer de l’exploitation agricole au cultivateur de la terre.

Vous avez dit que si les dernières années n’ont pas permis de réduire l’utilisation des pesticides, les fermes du réseau Dephy y sont parvenues. Vous proposez de multiplier par dix le réseau des fermes Dephy, ce qui permet d’espérer que la situation s’améliore. Mais on s’interroge, car il ne s’agit que de 30 000 exploitations qui pourraient réduire leur utilisation de produits phytosanitaires. Y a-t-il suffisamment de GIEE pour parvenir à cet objectif ?

Je me pose la question des outils d’évaluation des pollutions des sols et des eaux, qu’elles soient souterraines ou de surface. Vous avez évoqué le sujet, mais peu de propositions figurent dans votre rapport comme dans le plan Ecophyto II.

Le plan Ecophyto II parle beaucoup du biocontrôle, de l’agro-équipement mais peu du développement des produits naturels pour lesquels nous nous sommes battus ensemble lors de la discussion de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, et peu de la possibilité d’utiliser les semences locales. Or, on sait que ces solutions peuvent être extrêmement intéressantes, notamment pour l’outre-mer.

En ce qui concerne les certificats d’économie de produits phytosanitaires, il est peu question du principe de précaution. Par exemple, nous savons que les néonicotinoïdes ne sont pas frappés d’interdiction alors qu’ils sont de plus en plus soupçonnés d’être dangereux pour la santé.

Vous évoquez l’agriculture biologique, mais votre rapport et le plan Ecophyto II fixent peu d’objectifs en la matière alors que la demande de produits bio est croissante. Si malheureusement le nombre d’exploitations agricoles diminue du fait de l’agrandissement des exploitations, parallèlement le nombre de fermes en agriculture biologique augmente, ce qui montre bien qu’il y a une vraie demande. De même, le nombre d’exploitations qui pratiquent la vente directe est en hausse. Vous le savez, je poursuis un travail sur la relocalisation alimentaire qui sera un bon levier pour diminuer l’utilisation des produits phytosanitaires, pour de meilleures pratiques agricoles, pour le bien-être des paysans et des consommateurs, et plus généralement de la planète.

Mme Béatrice Santais. Ma circonscription est une zone viticole de montagne. Tous les traitements qui peuvent être faits sur la vigne ont une influence directe sur l’eau. Du coup, je ne sais pas s’il vaut mieux boire le vin ou l’eau ! Il y a sûrement de mauvais produits dans les deux. On sait à quel point la viticulture est sensible à de nombreux éléments. Si l’on veut pouvoir récolter dans de bonnes conditions au mois de septembre, on n’a pas le choix. Je me demande ce qu’il faut contrôler aujourd’hui. Ne faut-il pas aller au-delà de ce qui est recommandé par l’agence régionale de santé aujourd’hui ?

Je suis maire d’une ville qui a cessé, depuis 2008, d’utiliser tous les produits phytosanitaires dans ses espaces verts. Mais j’ai le sentiment qu’il faut éduquer la population à vivre nos espaces publics autrement car au bout de sept ans l’herbe pousse au bord des trottoirs. Il faut persuader nos concitoyens que ce n’est pas moins propre qu’avant. Au contraire, ça l’est beaucoup plus. De même, il faut faire des efforts en matière de communication auprès des agriculteurs et des viticulteurs pour les informer des dangers qu’ils encourent chaque jour.

Mme la présidente Frédérique Massat. À mon tour, je souhaite revenir sur la politique du « zéro phyto » dans les espaces publics.

Comme vient de le dire Mme Santais, certaines collectivités se sont déjà engagées dans cette démarche depuis plusieurs années et elles réussissent. Vous préconisez de les accompagner. Je crois que c’est important. Cela fait partie d’une démarche globale à laquelle les particuliers doivent être partie prenante. Il serait intéressant de mettre sur la place publique les pratiques des collectivités qui sont acceptées par la population. Cela permettrait à d’autres collectivités de s’en saisir. Le week-end dernier, nous avons travaillé avec l’Association des maires de France (AMF) sur la gestion des cimetières, sujet sensible qui fait débat dans les communes. Certaines communes se sont engagées dans une nouvelle approche de cet espace. Elles n’y mettent plus des graviers mais y font pousser de l’herbe et des fleurs. Du coup, ces espaces sont même visités et sont devenus des points de rencontre.

M. Dominique Potier. Madame la présidente, voir des jardiniers amateurs qui viennent de tous horizons – ils peuvent être issus du monde rural ou être des néoruraux ou des urbains – faire revivre des variétés anciennes, planter un mirabellier, un pommier, etc. est peut-être la marque d’une mutation de notre société. Il faut encourager de telles pratiques autour de l’alimentation, des circuits courts et de l’autoproduction. Le plan Ecophyto I a beaucoup aidé les jardiniers amateurs et a accompagné les villes. Avec le plan Ecophyto II, nous proposons de passer à la vitesse supérieure. Pour ce faire, nous pourrons bénéficier d’expériences très positives. Je pense à la région Poitou-Charentes, qui a mis en place le plan Terre saine, et à la région Bretagne qui ont montré que les résultats sont au rendez-vous quand il y a une volonté. Sur leurs pancartes d’accueil, certaines communes affichent leurs pratiques avec des slogans comme « Commune zéro phyto ».

Madame de La Raudière, mon rapport est extrêmement détaillé. En fait, derrière ces soixante-huit propositions, il y a 150 solutions harmonisées. Toute une panoplie de solutions concerne les cités. Par exemple, nous avons proposé que, dès 2016, les produits les plus toxiques, les plus dangereux soient placés à l’arrière du comptoir, c’est-à-dire qu’ils ne soient plus en libre-service et qu’ils fassent l’objet d’un conseil adapté. La ministre de l’environnement a créé une accélération médiatique et réglementaire sur ce dossier. Seul le label « phyto doux » pour des produits naturels peu préoccupants (PNPP) ou de biocontrôle seraient accessibles directement au grand public.

Nous proposons que « Plante & cité », qui est basée à Angers devienne l’institut national des collectivités en la matière afin de vulgariser les bonnes pratiques. Pour ma part, j’ai renoncé à des propositions radicales parce qu’une certaine radicalité peut être l’ennemi du bien.

Vous avez raison, madame la présidente, même dans les cimetières on peut faire des progrès en la matière. Mais nous aurons bien travaillé lorsqu’il ne restera plus que ce problème à traiter.

À l’instar de l’agriculture, il nous faut trouver des technologies plus modernes que les alternatives actuelles. Les systèmes de brûleurs thermiques ou mécaniques sont peu performants. Mais il ne faut pas désespérer des progrès en la matière qui nous permettront d’installer dans les villes des éléments de propreté. Avec un peu de fermeté et beaucoup de pédagogie, on a vu qu’on pouvait changer les comportements en ce qui concerne le tabac dans les lieux publics. La même révolution culturelle existera peut-être sur les produits phytosanitaires qui deviendront insupportables parce qu’on aura évolué et compris que l’endroit où l’on circule à pied ou à bicyclette doit être protégé.

Madame Battistel m’a interrogé sur les sanctions. Jean Boiffin, qui est un ancien chercheur de l’INRA, et qui a dirigé toute la partie experte et scientifique du plan Ecophyto I, estime que c’est le rapport de la deuxième chance. Pour ma part, j’ajoute que c’est le rapport de la dernière chance. Certains se sont offusqués des certificats d’économie de produits phytosanitaires. Contrairement à ce qui a été véhiculé ici et là, il n’y a pas de surtransposition européenne, pas de surfiscalisation. Le plan Ecophyto II ne prévoit pas de sanctions financières. C’est un plan volontariste qui contient des instruments nouveaux. Mais, s’il échouait, nous n’échapperions pas à des éléments que les plus productivistes, les plus libéraux, les plus conservateurs du monde de la production doivent absolument prendre en compte. En effet, en cas de crise sanitaire ou de crise d’image forte, il n’y aurait pas d’autre alternative que des interdictions de molécules qui, intervenant brutalement, pourraient mettre beaucoup de filières ou de régions dans des impasses brutales. Une autre solution serait une fiscalisation massive des produits phytosanitaires, ce qui aurait un impact sur l’économie des exploitations.

Plusieurs publications, dans Le Monde, dans L’Obs, ont évoqué les conséquences des perturbateurs endocriniens, même s’ils ne sont pas démontrés, sur les phénomènes de puberté précoce. Nous sommes face à des phénomènes très traumatisants sur le plan psychologique. Le jour où ces informations seront avérées, elles auront un effet dévastateur si elles sont amplifiées et connues du grand public. Ce ne seront plus alors la raison ou la modération qui l’emporteront. Face à ces craintes justifiées, l’opinion publique peut s’emporter, ce qui aurait pour conséquence que des décisions radicales seraient prises dans la précipitation. J’invite ceux qui ont muré la permanence du suppléant de la ministre de la santé Marisol Touraine à penser que les préconisations en matière de santé visent plutôt à protéger notre modèle de production agricole et à lui permettre d’évoluer tranquillement dans un pacte positif qui ne soit pas trop contraignant. Mais si nous échouions, nous aurions affaire à une radicalisation des mesures qui serait contre-productive et qui renverrait dos à dos les uns et les autres. Ce n’est pas ce que je souhaite ni ce que vous souhaitez. Ne créons pas un monde qui opposerait les agriculteurs et les consommateurs. Tous nos efforts doivent viser à réconcilier ces deux univers. Les consommateurs doivent être fiers de notre agriculture et les agriculteurs doivent être fiers de produire pour la population française et pour exporter dans un juste équilibre.

Madame de La Raudière, vous avez l’impression que l’on va casser le thermomètre. J’ai intégré dans mon rapport une étude sur les fermes Dephy qui a été pilotée par Coop de France et qui concerne les mois d’octobre et de novembre 2014. Celles qui ont obtenu les meilleurs résultats en termes d’impact environnemental sont également celles qui ont eu des rendements équivalents aux autres. Au final, elles ont de meilleurs revenus parce qu’elles ont eu recours à moins d’intrants et que leurs produits sont peut-être mieux valorisés.

Cette étude concerne un échantillon pionnier, l’élite agroenvironnementale de l’agriculture. La modélisation ne s’impose donc pas. Mais atteindre cet objectif par la démultiplication des bonnes pratiques est plutôt un élément de compétitivité. D’autres indicateurs que la marge brute d’une exploitation ou le produit intérieur brut (PIB) permettent de mesurer la prospérité ou la santé économique d’un pays. Ces indicateurs sont très sérieux ; ce n’est pas de la poésie. Mais vous avez raison, à l’instant t, un marché au Caire est saisi par un opérateur allemand ou un opérateur français qui parfois sont concurrents et ce sujet doit être pris en compte. Nous devons naviguer avec ces contraintes. La perspective d’un marché mondial et d’une compétition mondiale ne doit pas nous distraire de notre exigence d’excellence en matière environnementale et de sécurité sanitaire. Je suis persuadé qu’à court, moyen et long termes c’est la marque d’une authentique compétitivité. Mais d’un marché à l’autre, d’une agriculture à l’autre, les temporalités ne sont pas les mêmes. C’est pour cela que l’on parle de transition.

Madame Allain, vous avez dit que l’agriculture biologique et les pratiques alternatives auraient été peu mises en valeur. J’entends bien vos remarques, mais je vous indique que l’examen par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) de toute solution de biocontrôle sera désormais plus rapide qu’une solution chimique. Par ailleurs, le traitement des PNPP et celui des produits qui concernent des usages orphelins ont été pris en compte grâce à des moyens budgétaires spécifiques. Les produits qui ne trouvent pas leur place sur un marché doivent pouvoir être proposés comme des alternatives.

Je n’ai pas fait de propositions en matière d’agriculture biologique sans prendre l’attache des filières et de la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB). Ces propositions, qui vont plus loin que le programme ambition bio 2017, ciblent deux domaines où l’efficacité sur les phytosanitaires serait avérée. Vous le savez, augmenter la surface en maraîchage bio d’une association pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) a peu d’impact sur le nombre de doses unités (NODU) de la France. Il en est de même pour les prairies du Massif central. En revanche, ce n’est pas du tout la même chose sur un hectare de céréales dans le Bassin parisien. Parvenir à une autonomie en protéines bio pour les élevages de monogastriques est une autre piste importante.

Vous avez évoqué la question des néonicotinoïdes. Je sais que la pression est très forte sur ce sujet. Je suis resté à distance de ce combat et je me suis plutôt posé comme médiateur. Les néonicotinoïdes regroupent une grande famille de produits qui sont très divers dans leurs usages, dans leurs pratiques. Globaliser le sujet revient à mettre dans l’impasse des productions et des pratiques qui n’ont pas forcément d’impact sanitaire ou environnemental avéré. Toutefois, je suis partisan d’un examen sans concession des risques sanitaires et environnementaux liés à ces produits, notamment leur impact sur les pollinisateurs qui sont un des indicateurs de la bonne santé et une condition de la productivité et de la compétitivité de notre agriculture. Pour les remplacer, des milliards d’euros seraient nécessaires. Ce serait une gabegie totale.

Il est important que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) puisse délibérer de façon sereine, sans subir la pression des lobbies. J’ai interrogé la ministre de la santé et le ministre de l’agriculture sur l’action et la position de la France au sein de l’Union européenne pour vérifier que les agences n’étaient pas trop distraites dans leurs délibérations et dans leur discernement par la pression de l’agrofourniture et des firmes multinationales dont les enjeux économiques sont énormes. Cette question n’est pas très éloignée de celle des néonicotinoïdes. Plutôt qu’une logique de pétitions d’intention, je m’attache à ce que les institutions qui sont chargées de trancher objectivement sur le retrait ou le maintien des molécules délibèrent dans la sérénité.

Si les OGM n’étaient pas un des sujets de ma mission, je n’ai pas pu y échapper. S’il doit y avoir des OGM en France, leurs pratiques doivent être obligatoirement encadrées par la recherche publique. Elles doivent concourir à l’intérêt général. Il s’agit d’une nouvelle génération d’OGM. Celle qui précède a montré ses limites et ses effets pervers, tant sur la nature que sur les marchés, et peut-être aussi sur les conditions sanitaires. Je n’ai pas de dogme en la matière. Je pose les conditions dans lesquelles une nouvelle génération d’OGM peut contribuer à des solutions. Les chercheurs du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) dont la moitié travaille dans des pays tiers et l’autre moitié dans les territoires d’outre-mer, me disent que la collection des variétés primitives de notre planète et l’accès open data, si je puis dire, par les paysanneries du monde sont un enjeu aussi capital que celui de la mutagénèse qui est fantasmée par certaines firmes qui veulent s’approprier le monopole du droit du vivant.

La question de la loi du droit du vivant et du libre accès aux collections primitives est un enjeu aussi capital que celui de la mutagénèse pour laquelle je n’ai pas de position dogmatique mais une immense attention. L’appât du gain et les réussites à court terme ne doivent pas être en contradiction avec l’intérêt général de ce que le Pape François appelle la « maison commune », c’est-à-dire toute la planète et toutes les paysanneries du monde.

Mme Battistel me demande comment a été perçue la démarche. Mon travail a été plutôt de chercher le dialogue, de rassembler les points de vue. Je l’avais fait en présidant le comité Ecophyto, comité qui rassemble toutes les parties prenantes, soit quarante personnes dont les intérêts et les points de vue idéologiques sont très différents. Mon enjeu était de les faire travailler ensemble, ce qui a plutôt bien réussi. La plupart des délibérations sont prises en commun. Nous sommes parvenus à un travail de médiation que j’ai poursuivi dans le cadre de la mission.

Mon rapport a été accueilli très favorablement au mois de janvier 2015. Les syndicats, les organisations environnementales, les consommateurs, les scientifiques ont salué le rapport et proposé une voie réaliste. Certains la trouvent un peu trop rapide, d’autres un peu trop lente. Sincérité, raison, sérieux : tels sont les mots qui ont été employés pour qualifier cette mission. Puis la crise agricole est survenue, crise qui n’a pas grand-chose à voir avec la phytopharmacie et l’agro-écologie mais qui a été l’occasion pour les plus conservateurs, les plus libéraux ou les plus productivistes, de repartir au combat. Les propositions du Gouvernement ont fait l’objet d’une forte opposition. L’enquête publique a permis la mise en cause de l’unité de mesure, le NODU – il fallait mesurer les impacts plutôt que l’usage – et du CEPP considéré comme un élément de surtransposition européenne.

Les rapports de force font qu’il y a parfois une coalition de syndicats agricoles, de la coopération et de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) qui s’opposent en commun. Mais le dialogue plus fin avec le monde consulaire et avec les jeunes agriculteurs montre que ces questions font débat à l’intérieur du bloc majoritaire syndical et des organisations agricoles. Aujourd’hui, un syndicat de jeunes agriculteurs affiche comme idéal « producteur d’alimentation, de santé et d’environnement ». Je crois que le ministre est sur la même ligne. Les chambres d’agriculture savent qu’elles ont une responsabilité dans les territoires ruraux, sur le long terme, sur l’eau, qu’elles ont une mission de service public. Elles sont aussi plus nuancées dans leurs propos.

Quant aux associations écologistes, elles sont plutôt dans la nuance et dans la reconnaissance des étapes de transition. Mais elles sont arc-boutées sur la question des mesures d’usage plutôt que des mesures d’impact, rejoignant en cela les propositions politiques que formule très souvent Brigitte Allain. Lors du dernier comité d’orientation stratégique qui a été ouvert par le ministre, j’ai proposé, avec toutes les parties prenantes, que trois groupes de travail fassent des propositions au début de 2016 sur la régionalisation du plan et sa diffusion à un nombre important d’agriculteurs et sur le CEPP et son unité de mesure.

Le NODU ne mesure pas la toxicité. Les indicateurs de toxicité sont des indicateurs imparfaits et lacunaires. Il nous faut trouver un compromis entre un usage qui traduit peu la moindre toxicité supposée des produits aujourd’hui et un indicateur global. À l’issue de la réunion et de la conférence de presse, j’ai senti une volonté d’avancer ensemble. En tout cas, je mets toute mon énergie pour que cela devienne un défi commun. Ce qui agace profondément la profession et que je vis parfois mal pour ma part, ce sont les attaques sur le food bashing, c’est-à-dire les émissions qui, de façon radicale, condamnent la mauvaise nourriture ici et là. À chaque fois, on entend des réactions très vives des agriculteurs qui se sentent globalement mis en cause. Je rêve que nous puissions nous rassembler, dépasser les conflits et avoir des fiertés communes sur l’alimentation, l’eau, l’agriculture et les sols.

Mme la présidente Frédérique Massat. Monsieur Potier, je vous remercie.

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Informations relatives à la commission

– La commission a créé une mission d’information relative aux enjeux et aux impacts de l’effacement électrique diffus dont M. Yves Jego est nommé président et Mme Marie-Noëlle Battistel rapporteure.

– La commission a nommé M. François de Mazières rapporteur sur la proposition de loi visant à financer la rénovation des casernes en activité dégradées des ministères de la défense et de l’intérieur par l’Agence nationale de rénovation urbaine (n° 2817).

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 10 novembre 2015 à 16 h 15

Présents. - Mme Brigitte Allain, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Laure de La Raudière, Mme Frédérique Massat, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy

Excusés. - M. Philippe Bies, M. Christophe Borgel, M. Jean-Michel Couve, Mme Jeanine Dubié, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Christian Franqueville, M. Jean Grellier, Mme Anne Grommerch, M. Philippe Kemel, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, Mme Marie-Lou Marcel, M. Bernard Reynès, M. Frédéric Roig