La commission a examiné la proposition de loi, adoptée par le Sénat, en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire (n° 3340) sur le rapport de M. Antoine Herth, rapporteur.
Mme la présidente Frédérique Massat. Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi, adoptée par le Sénat, en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, qui sera examinée en séance publique le jeudi 4 février 2016 dans le cadre de l’ordre du jour proposé par le groupe Les Républicains.
M. Antoine Herth, rapporteur. Au nom du groupe Les Républicains, j’ai l’honneur de vous présenter la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, transmise par M. le président du Sénat.
Ce sont nos collègues du Sénat qui, dans un esprit de consensus, face au contexte de grande incertitude sur l’évolution des marchés agricoles à la fin de l’été et durant l’automne, ont pris l’initiative de ce texte, qui préfigurait les mesures d’urgence annoncées par le Gouvernement, dont certaines ont été votées dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2015 et du projet de loi de finances pour 2016. Hélas, malgré les mesures exceptionnelles annoncées, les difficultés du monde agricole perdurent : les marchés des produits animaux et végétaux ne connaissent aucun redressement, bien au contraire, les difficultés financières s’aggravent, les perspectives d’amélioration s’éloignent de jour en jour.
Le hasard du calendrier nous amène donc à examiner ce texte dans un contexte où les tensions redoublent et où le désespoir des agricultrices et des agriculteurs n’a jamais été aussi profond. Nous avons le devoir d’entendre ce cri de détresse. Nous devons comprendre et analyser les causes de cet effondrement durable des marchés agricoles. Et nous avons, j’en suis sûr, la volonté d’y répondre ensemble en votant à notre tour des mesures efficaces et courageuses.
La crise touche quasiment tous les secteurs de production, et d’abord le secteur de l’élevage. En effet, la production porcine française s’enfonce depuis plusieurs mois dans une crise structurelle, caractérisée par une érosion de la production nationale, alors que l’Allemagne et l’Espagne ne cessent d’accroître leurs volumes. Avec la fermeture du marché russe, la concurrence est déportée à l’intérieur de l’Union européenne, entraînant les prix dans une spirale déflationniste, si bien que l’on est à présent loin du prix de 1,40 euro par kilo souhaité par la profession et annoncé par le ministre de l’agriculture. À l’heure où nous parlons, 10 % des élevages sont au bord de la cessation d’activité. Il y a donc urgence.
Après s’être restructuré à la suite de la suppression des restitutions européennes à l’exportation et des importantes difficultés des entreprises Doux et Tilly-Sabco, le secteur de l’aviculture avait retrouvé quelques couleurs. Il vit à présent sous la menace de l’influenza aviaire, qui frappe les producteurs de foie gras de canard du sud-ouest.
La situation est bien plus préoccupante pour la viande bovine. Après une année de sécheresse et son cortège de pénuries fourragères, puis avec la résurgence de la fièvre catarrhale ovine qui a provoqué des surcoûts et des difficultés de commercialisation des animaux, les éleveurs bovins constatent à présent l’effondrement des cours. Le kilo de viande est ainsi passé de 3,70 euros cet automne, prix déjà jugé insuffisant, à 3,50 euros aujourd’hui.
La production laitière n’est pas épargnée. La sortie des quotas s’est traduite par une fuite en avant de la production européenne, excepté en France, alors qu’au même moment la Chine diminuait ses importations en raison du retournement de la conjoncture économique. Le marché européen est donc totalement engorgé. Là encore, les prix sont en forte baisse et ne permettent pas de couvrir les coûts de production.
Je ne voudrais pas limiter mon propos aux seules productions animales, même si leur situation est de loin la plus périlleuse, les productions végétales ne faisant malheureusement guère exception.
Le marché des céréales reste déprimé, alors que l’année agricole a été particulièrement difficile en raison de la sécheresse due à la canicule qui a frappé plusieurs régions françaises. Ce marché reste étroitement lié à l’élevage, puisque 45 % du blé produit en France est valorisé dans l’alimentation animale. Or, là aussi, les trésoreries sont à sec et le préfinancement de la campagne 2016 s’annonce difficile.
Le secteur sucrier est à l’aube d’une évolution comparable à celle du lait, puisqu’il sortira en 2017 du régime des quotas de production. Mais cette production semble avoir mieux anticipé cette échéance et a déjà une longue habitude des outils de contractualisation. Il devra cependant vivre avec une plus grande volatilité des prix.
Le secteur des fruits et légumes n’a jamais bénéficié d’une protection forte au travers de la politique agricole commune (PAC), et la concurrence frontale y est la règle. Le constat est malheureusement sans appel : alors que les surfaces progressent en Allemagne et dans le sud de l’Europe, elles stagnent, voire régressent en France.
Enfin, un mot sur la viticulture. Ce secteur phare, qui contribue pour une bonne part à l’excédent agroalimentaire français, vit à l’heure de la disparition des droits de plantation. Mais, grâce à une mobilisation politique forte, il pourra préserver un cadre réglementaire évitant une explosion des volumes produits au détriment de la qualité et des niveaux de prix.
En analysant les causes qui provoquent autant de difficultés à la ferme France, nous pouvons identifier plusieurs points.
Premièrement, la conjoncture est dégradée en raison du retournement de l’économie mondiale, qui réduit les échanges commerciaux et qui touche même le pouvoir d’achat des Français et donc notre marché domestique. Mais la conjoncture est mauvaise pour tout le monde et il faut d’abord y voir un révélateur des faiblesses structurelles françaises. La principale nouveauté est que cette conjoncture affecte totalement notre économie, depuis la disparition des protections aux frontières de l’Union européenne, et qu’elle amplifie les effets de manque d’anticipation ou des erreurs de stratégie commerciale.
Deuxièmement, il y a, non plus un marché, mais des marchés, chaque débouché nécessitant une parfaite adaptation du produit en gamme de qualité et en gamme de prix. Pour le dire de façon abrupte, les agriculteurs, les filières agricoles doivent désormais vendre avant de produire. L’identification du produit devient donc un élément clé de cette nouvelle approche du consommateur.
Troisièmement, l’organisation des filières est une des faiblesses de notre chaîne alimentaire. Malgré les lois et les règlements successifs, l’organisation des producteurs, la contractualisation avec l’aval, en particulier les industries de transformation, la négociation des prix, avec un déséquilibre manifeste entre partenaires, tous ces sujets restent en chantier.
Quatrièmement, la capacité d’adaptation et de modernisation des filières agroalimentaires est malheureusement entravée par un excès de réglementation et des surcoûts franco-français. Je pense à certaines transpositions de directives européennes ou encore au coût de la main-d’œuvre peu qualifiée. Ainsi, il en coûtera 10 euros de plus pour faire abattre un porc charcutier en France, autant de revenus en moins pour l’éleveur.
Cinquièmement, dans un contexte de prix fluctuants et de marges tendues, le modèle actuel de financement, de couverture des risques, de transmission des exploitations agricoles, trouve ses limites. Il est largement temps d’innover sur ces sujets.
La proposition de loi que je vous présente apporte des réponses sur l’ensemble de ces points. Elle s’inscrit dans la continuité de celle du groupe Écologiste, présentée récemment par Mme Brigitte Allain, texte adopté à l’unanimité et qui se concentrait sur un des aspects du problème, à savoir l’accroissement des débouchés de proximité. La présente proposition de loi en élargit simplement le propos en apportant des réponses sur les moyens à mobiliser pour atteindre cet objectif.
Être compétitif, ce n’est pas seulement être capable de vendre moins cher que son voisin. C’est être en mesure de se positionner sur un marché en qualité et en prix. C’est prendre les bonnes décisions au bon moment pour maîtriser ses coûts de production. C’est faire des choix d’investissement et les mettre en œuvre efficacement et rapidement. C’est être performant dans une démarche collective, car la production agricole sera toujours moins concentrée que son aval. C’est être en adéquation avec les attentes de ses clients, auxquels revient le dernier mot.
Le texte que je vous propose concerne l’ensemble des modes de production et de commercialisation présents en France. Même si chaque production a ses démarches propres, la préoccupation de la compétitivité est importante pour tous les produits bio et les appellations d’origine protégée (AOP), autant que pour les produits standard ou ceux destinés à l’export. Comme le résume souvent le ministre de l’agriculture, en matière de compétitivité, il y a le prix et le hors prix. Nous savons à présent que les prix ne se décrètent pas. Il nous faut donc nous pencher sur ce qui permettra de restaurer la compétitivité hors prix de notre agriculture.
Cette proposition de loi a pour ambition de répondre aux attentes de nos agriculteurs et de nos éleveurs, mais également, au regard de la crise que nous vivons, de compléter les mesures d’urgence engagées par le Gouvernement et qui ont encore fait l’objet d’annonces complémentaires hier.
À présent, permettez-moi de vous présenter synthétiquement les treize articles que nous allons examiner. Ils concernent trois thématiques : l’amélioration des relations du producteur au consommateur, la sécurisation des investissements et des risques financiers et l’allégement des charges et de la réglementation.
L’article 1er propose une contractualisation prenant en compte les coûts de production des agriculteurs.
L’article 1 bis vise à trouver une solution au problème de cession des contrats laitiers. En effet, comme me l’a indiqué le rapporteur du Sénat, on trouve des offres choquantes sur des sites internet de vente de gré à gré.
L’article 2 instaure une conférence agricole annuelle pour réunir tous les acteurs de chaque filière, afin de leur permettre de partager leur analyse sur l’évolution des marchés.
L’article 2 bis oblige les établissements ne respectant pas les obligations de transmission des données relatives à leurs prix et à leurs marges à indiquer qu’ils refusent de transmettre ces données.
L’article 2 ter prévoit que la liste de ces établissements, dans le cadre des travaux de l’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, est rendue publique.
L’article 3 propose une solution originale au refus actuel de l’Union européenne de généraliser l’identification de l’origine des matières premières agricoles. Il donne ainsi le droit au consommateur d’obtenir ces informations sur simple demande, obligeant les producteurs, transformateurs et distributeurs à fournir ces informations.
L’article 4 permet aux agriculteurs de mieux gérer les risques financiers liés à la souscription d’un emprunt. Ce dispositif devrait faciliter la négociation sur les « années blanches ».
L’article 5 a pour objectif de drainer l’épargne populaire vers l’agriculture, avec la création d’un livret vert.
L’article 5 bis prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur l’ouverture de prêts à longue durée, dits « prêts de carrière », pour les jeunes agriculteurs.
L’article 6 assouplit la déduction pour investissements et propose diverses modifications de dispositifs d’accompagnement fiscal. Je vous proposerai des amendements visant à rectifier cet article, du fait de l’application de dispositions prévues par la loi de finances rectificative pour 2015.
L’article 6 bis subordonne le bénéfice du soutien public aux jeunes agriculteurs à la souscription par ceux-ci d’une assurance aléa climatique.
L’article 6 ter instaure un crédit d’impôt pour la mise en place d’assurances couvrant l’approvisionnement et la livraison des produits de l’exploitation.
L’article 7 crée un étage supplémentaire au « suramortissement Macron », en l’étendant aux bâtiments d’élevage et en allongeant la période de bénéfices au 31 décembre 2016.
L’article 8 aligne les seuils du régime des installations classées pour la protection de l’environnement sur ceux permis par la directive européenne de 2011.
L’article 8 bis A limite l’excès de réglementation en prévoyant que, pour toute nouvelle norme créée dans le domaine agricole, une norme antérieure est abrogée.
L’article 8 bis prévoit l’expérimentation jusqu’en 2019 de l’alignement des exigences nationales sur les exigences européennes en matière d’étude d’impact.
L’article 9 réinstaure l’exonération dégressive des charges patronales pour les salariés permanents.
L’article 9 bis répartit le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) entre l’ensemble des associés d’une société de personnes.
L’article 10 étale sur six ans, au lieu de cinq, l’allégement des cotisations sociales dont bénéficient les jeunes agriculteurs.
L’article 11 crée une possibilité exceptionnelle de revenir au régime d’imposition sur la base des résultats de l’année d’imposition pour les agriculteurs ayant opté pour la moyenne triennale.
L’article 11 bis exonère totalement les exploitations agricoles de taxe foncière sur les soixante premiers hectares.
L’article 12 oblige le Gouvernement à présenter devant le Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire un plan de simplification pour l’agriculture.
L’article 13, enfin, porte sur le gage.
Un sujet n’est pas abordé dans ce texte : le modèle de politique agricole commune que nous souhaitons construire - ou plutôt reconstruire - avec nos partenaires européens. Au-delà de la compétition interne et de l’exacerbation des distorsions de concurrence, que je déplore, il nous faudra porter un projet qui redonne toute sa place à la solidarité européenne au travers d’outils de régulation rénovés. Retrouver une ambition commune est la condition indispensable pour que l’Europe puisse s’imposer dans le concert mondial qui tend à la marginaliser.
M. Yves Blein. Monsieur le rapporteur, le groupe Socialiste, républicain et citoyen partage votre diagnostic : avec le retournement de l’économie mondiale, la conjoncture révèle les problèmes structurels de notre production agricole ; il n’y a pas un marché, mais des marchés, et l’identification du produit est un élément clé ; la question des chaînes de production et de l’équilibre des négociations est délicate ; les filières doivent s’adapter et ne pas être entravées par des normes supplémentaires ; la fluctuation des prix et des marges est une question essentielle, qui impose d’agir sur la compétitivité prix comme sur la compétitivité hors prix.
Toutefois, si l’objectif affiché de cette proposition de loi est de répondre à la crise que traverse le monde agricole, elle ne comporte aucune réponse nouvelle depuis les dispositions prises par le Gouvernement. Je pense d’abord au plan de soutien à l’élevage du 22 juillet dernier, qui mobilise plus de 700 millions d’euros sur trois ans, 150 millions d’allégements de charges sociales et bancaires, auxquels se sont ajoutés près de 63 millions de crédits européens dans le cadre de mesures décidées à la demande de la France.
Je rappelle aussi les mesures de soutien à l’investissement dans l’agriculture et l’agroalimentaire, avec 120 millions d’euros sur trois ans au travers du programme d’investissements d’avenir (PIA), 350 millions d’aides publiques par an sur trois ans au titre du plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations, l’éligibilité au suramortissement de nombreux investissements productifs dans le secteur, le mécanisme d’amortissement accéléré des investissements et la réforme de la dotation pour aléas.
La situation nouvelle exige de la réactivité, des décisions immédiates, ce qu’a fait hier le ministre en annonçant un renforcement des mesures de soutien aux éleveurs et aux agriculteurs en difficulté. Le plan de soutien à l’élevage va être complété pour un montant de 125 millions d’euros et étendu à certaines filières végétales. Des aides à la trésorerie seront mises en place dans l’attente du paiement des aides de la PAC, conformément aux demandes de certains présidents de région, pour un montant de 500 millions d’euros. Enfin, des mesures ont été décidées pour répondre à l’épisode de sécheresse de cet été, ainsi qu’aux deux crises sanitaires majeures qui ont touché le monde agricole, en raison de la fièvre catarrhale ovine et de l’influenza aviaire dans le Sud-Ouest de la France.
Enfin, le ministre de l’agriculture a annoncé que le Gouvernement allait présenter un projet de décret en Conseil d’État pour étendre l’étiquetage de l’origine aux produits carnés transformés, initiative qui sera immédiatement notifiée à la Commission européenne.
Ainsi, les plans succèdent aux plans et répondent à la situation d’urgence dans laquelle est plongée notre agriculture. Cette proposition de loi n’apporte donc rien de nouveau. Les mesures qu’elle propose existent déjà, d’autres relèvent davantage du domaine réglementaire, d’autres encore ajoutent de la réglementation alors que les agriculteurs se plaignent déjà d’un excès de réglementation.
Je rappelle par ailleurs qu’une mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage a été confiée à nos collègues Annick Le Loch et Thierry Benoit.
Dans ces conditions, il ne nous semble pas nécessaire d’imposer aux agriculteurs un énième texte qui reviendrait sur des mesures déjà prises et dont les effets ne sont pas encore évalués.
M. Daniel Fasquelle. Nous pouvons en effet nous retrouver sur le constat : les agriculteurs souffrent et nous devons entendre leur cri de détresse. Pour autant, Monsieur Yves Blein, nous ne pouvons pas dire que le Gouvernement actuel a pris les bonnes décisions pour sauver notre agriculture. Année après année, les difficultés ne cessent d’empirer. Par conséquent, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles.
Le groupe Les Républicains considère que cette proposition de loi apporte des réponses concrètes. Si vous pensez que ce texte ne va pas assez loin, chers collègues de la majorité, améliorez-le par voie d’amendements, mais ne bloquez pas son adoption par principe. Si nous pouvions sortir des postures partisanes, nous y gagnerions et en efficacité, et en crédibilité auprès de l’opinion publique. D’ailleurs, les sénateurs socialistes se sont abstenus sur ce texte, considérant qu’il contient des mesures positives.
En effet, l’agriculture française ne se bat pas à armes égales face à ses voisines européennes, notamment espagnole et allemande. Il y a encore vingt ans, la France était un grand pays agricole au sein de l’Europe, mais, aujourd’hui, elle continue à perdre du terrain. Oui, il faut des allégements de charges : le CICE doit s’appliquer à toutes les exploitations agricoles. Les mesures proposées dans ce texte sont attendues par les agriculteurs.
Ceux-ci se plaignent d’une trop grande complexité. Au lieu d’ajouter de la complexité à la complexité, comme cela a été fait avec le compte pénibilité, il faut simplifier. En la matière, la proposition de loi va dans le bon sens : je pense aux articles sur les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), sur la suppression d’une norme à chaque création de norme - pourquoi ne pas en supprimer deux, d’ailleurs ? -, ou encore sur le non-ajout de normes nationales aux normes européennes. On entend souvent dire que « c’est la faute à l’Europe » ; les règles européennes n’entravent pourtant pas l’agriculture allemande. C’est que, en France, on ajoute les normes françaises aux normes européennes.
En ce qui concerne les négociations avec la grande distribution, le rapport de force est déséquilibré. Les interrogations portent sur les marges, sur le décalage important entre le prix de vente des produits agricoles et leur prix de vente au consommateur. Là encore, la proposition de loi va dans la bonne direction.
Par ailleurs, les mises aux normes impliquent des investissements considérables. Or les agriculteurs qui ont dû investir peinent à faire face aux échéances de remboursement. Par conséquent, il faut des aides fortes à l’investissement, permettant d’alléger la charge de la dette dans les comptes des exploitations.
Dernier point : il faut que les consommateurs soient les alliés des agriculteurs. En indiquant plus clairement l’origine des produits, les consommateurs - de plus en plus soucieux de la qualité de ce qu’ils achètent - soutiendront l’agriculture française.
En conclusion, il serait fort dommage de ne pas voter cette proposition de loi qui comporte des mesures intéressantes.
Mme Jeanine Dubié. Les députés du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste pensent que l’agriculture est une composante essentielle de l’identité de la France, que ce soit en termes de superficie, de tradition, de savoir-faire, de vitalité de nos territoires ruraux, d’emplois, de balance commerciale ou de sécurité de notre approvisionnement. C’est pourquoi ils sont attentifs à toute mesure visant à soutenir l’agriculture. Je représente mon groupe au sein de la mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage, qui rendra prochainement ses conclusions au terme d’un important travail.
Le chapitre Ier de la proposition de loi vise à rendre plus justes et plus transparentes les relations existantes, du producteur jusqu’au consommateur. Malgré de nombreuses tentatives, nous n’avons toujours pas réussi à rééquilibrer les relations commerciales.
L’article 1er propose que la contractualisation prenne en compte les coûts de production des agriculteurs, pour mieux répartir les efforts à réaliser dans les filières. Si nous sommes favorables à toute mesure visant à favoriser l’entente entre les différents maillons de la filière, cet article ne semble pas apporter de véritable changement par rapport au droit positif, les références existant déjà dans les clauses relatives aux prix ou aux critères de détermination des prix.
L’article 1er bis vise à mettre fin à la cessibilité à titre onéreux des contrats laitiers. Nous y sommes favorables.
Pour améliorer les relations dans les filières, l’article 2 instaure une conférence agricole annuelle qui rassemblerait tous les acteurs de chaque filière, sous l’égide du médiateur des relations commerciales. Si cette proposition semble être une bonne idée, je veux toutefois préciser que, aujourd’hui, rien n’interdit aux acteurs de se réunir sous ce format. Il nous semble donc que cet article ne relève pas de la loi.
L’article 2 bis semble plus hasardeux, en proposant un affichage public par les acteurs eux-mêmes de leurs manquements aux obligations de réponse aux enquêtes statistiques réalisées par l’observatoire de la Formation des prix et des marges des produits alimentaires. L’Observatoire s’est amélioré, mais il peut encore progresser, et la priorité est d’abord de lui donner les moyens d’analyser des chiffres non maquillés, en tout cas plus transparents.
L’article 3 vise à permettre au consommateur de connaître l’origine des produits transformés à base de viande ou de lait. C’est une demande constante des acteurs de la production, que les députés de mon groupe ont systématiquement soutenue. Le dispositif présente toutefois un risque d’incompatibilité avec le droit européen, et les industriels prédisent une hausse des prix allant jusqu’à 30 %. Malgré ces risques, il faut soutenir l’idée. Le Gouvernement doit se battre à Bruxelles, peut-être avec une solution de compromis dans un premier temps, en commençant par une démarche volontaire, ensuite en obtenant à Bruxelles un étiquetage obligatoire au moins des ingrédients principaux. Les agriculteurs et les consommateurs ont tout à y gagner.
Sur le chapitre II visant à « faciliter l’investissement et mieux gérer les risques financiers en agriculture », les mesures paraissent plus fragiles.
La modulation automatique du remboursement du capital des emprunts souscrits par les agriculteurs pour financer l’investissement, lorsqu’une crise intervient dans leur secteur d’activité, est proposée à l’article 4. Si une telle mesure paraît utile, elle serait contestable juridiquement et ne vaudrait que pour les futurs prêts.
L’article 6 vise à améliorer la gestion des risques en agriculture. Il étend la déduction pour investissement et modifie le mécanisme de la déduction pour aléas (DPA) avec une réserve spéciale d’exploitation agricole (RSEA), d’utilisation simplifiée. En fait, c’est une réforme de la DPA proche de celle votée dans le projet de loi de finances pour 2016.
Concernant le chapitre III, l’allégement des charges et des normes, nous sommes favorables aux intentions, mais les articles posent plusieurs problèmes. La simplification, et notamment le classement ICPE, est d’ordre réglementaire. Même si nous avons souvent inséré dans la loi des dispositions de cet ordre, ces dispositions relèvent de la compétence du Gouvernement.
Cette proposition de loi est un travail parlementaire remarquable, que nous saluons. Elle comporte de bonnes intentions, des idées, mais aussi des mesures plus ou moins solides juridiquement, au chiffrage incertain, et parfois déjà mises en œuvre. Toute la question reste de savoir comment optimiser l’efficacité de l’argent mobilisé pour les agriculteurs, c’est-à-dire de trouver les solutions les plus efficientes.
Dans ces conditions, le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste s’abstiendra.
M. Thierry Benoit. Au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, je salue une proposition de loi qui est la parfaite illustration du travail parlementaire. Le texte issu du Sénat me convient, car nombre des mesures qu’il propose ne figuraient pas dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt que mon groupe a votée. Il manquait en effet à cette loi un volet sur la compétitivité, la fiscalité agricole, la relation amont-aval des filières agricoles. En pointant ces faiblesses, cette proposition de loi arrive à point nommé, c’est-à-dire au moment où les agriculteurs français témoignent de leur colère et réclament des mesures urgentes.
L’un des axes de ce texte concerne la répartition de la valeur ajoutée. De fait, lorsque le litre de lait est payé 28 centimes aux éleveurs et la brique de lait vendue 1 euro le litre au consommateur, cela représente une marge de 72 centimes ! Lorsque le kilo de porc est payé 1,22 euro aux éleveurs et la côtelette de porc achetée 7,50 euros par le consommateur, cela représente une marge de 6,28 euros ! Ce problème de répartition de la création de richesses entre agriculteurs, transformateurs et distributeurs est crucial.
Deuxième sujet abordé par ce texte : l’information des consommateurs, l’étiquetage, la transparence. Là encore, le texte va dans le bon sens et soutient plutôt le label « Né, élevé et abattu en France » . Le groupe Union des démocrates et indépendants proposera un amendement visant à interdire le logo « Transformé en France », source de manipulations et de tromperies. En effet, l’étiquetage « Transformé en France » pour des produits d’origine inconnue, parfois douteuse, est susceptible d’induire le consommateur en erreur sur la qualité sanitaire de ces produits.
Troisième sujet : les mesures fiscales. Alors que la France était encore, il y a quelques années, le premier pays agricole en Europe, elle a perdu des parts de marché tant au plan national qu’à l’export. L’aide à l’investissement, la mobilisation du dispositif Macron de suramortissement pour les éleveurs, l’extension du CICE, sont autant de mesures propres à soutenir la compétitivité des agriculteurs.
En ce qui concerne la simplification, notre groupe propose un amendement limitant le nombre de contrôles à un par an. Nous voulons que la puissance publique, au plan national et régional, considère les éleveurs et les agriculteurs comme des gens honnêtes, de grands professionnels qui, depuis plus de quarante ans, ont su répondre à toutes les exigences européennes et françaises en matière de sécurité sanitaire et alimentaire, d’environnement, d’aménagement des paysages. Leurs efforts doivent être reconnus pour ce qu’ils sont.
Notons la grande qualité de ce texte, qui est digne de ce que pourrait proposer un ministre de l’agriculture. Je souhaite que nous puissions trouver les voies et moyens de convergence pour le faire aboutir, car les réponses qu’il apporte sont attendues de manière urgente par l’agriculture et la filière agroalimentaire.
Mme Michèle Bonneton. L’agriculture et l’agroalimentaire sont des composantes fondamentales pour la France et pour son économie. Beaucoup de nos agriculteurs sont en difficulté et le manque de visibilité pour l’avenir, même pour l’avenir proche, ajoute encore à leurs inquiétudes.
Cependant, alors même que la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt commence à se mettre en place, on nous soumet une proposition de loi qui n’est pas tout à fait cohérente avec celle-ci. Votre texte nous entraîne vers une industrialisation de plus en plus poussée qui, dans nos élevages notamment, n’est bonne ni pour la qualité, ni pour les impacts sociaux et environnementaux. Ce n’est pas ainsi que l’agriculture sortira de la crise qu’elle traverse, car l’industrialisation conduirait à accélérer la disparition d’exploitations, sans apporter par ailleurs de solution pérenne. L’avenir n’est pas dans une fuite en avant, dans l’accroissement des volumes de production ; il faut au contraire orienter l’agriculture vers la qualité des produits et la qualité sociale, environnementale et économique. Il est nécessaire de s’orienter vers une forte valeur ajoutée pour le producteur et pour le consommateur. N’oublions pas, enfin — et surtout pas après la COP21 ! — que l’agriculture industrielle participe largement au dérèglement climatique.
Une partie de la réponse, en France, consistera à mettre en œuvre des projets alimentaires territoriaux. Bien sûr, les exportations sont importantes pour notre pays et pour ses agriculteurs. Cependant, on ne peut que s’interroger lorsqu’elles sont faites à perte ou avec des marges inférieures à celles du marché intérieur.
L’absence de chiffrage soulève également des interrogations, notamment en ce qui concerne les exonérations fiscales patronales pour les entreprises agricoles et agroalimentaires, ou le relèvement des seuils d’enregistrement des installations classées pour la protection de l’environnement. On explique, pour justifier cette dernière mesure, qu’il est temps de mettre fin à une surtransposition des directives européennes : c’était peut-être vrai par le passé, mais cela ne l’est plus aujourd’hui.
Ce texte tourne le dos à l’avenir en proposant des recettes qui ont conduit, en vingt ans, à la disparition d’une exploitation sur deux. Le secteur laitier continue de subir les plus fortes baisses, ce qui explique le désespoir de nombreux agriculteurs. Malheureusement, ce n’est pas en appliquant votre proposition de loi que nous trouverons des solutions sur le moyen terme.
Vous l’aurez compris, notre position sur ce texte est réservée.
M. André Chassaigne. La crise agricole est extrêmement grave et les cris de détresse qui s’élèvent expriment une réalité : les agriculteurs souffrent et vivent un véritable drame. Il est donc nécessaire de mener une réflexion, d’échanger des points de vue et d’essayer d’apporter des réponses. Et tout travail législatif mené en lien avec la profession agricole mérite d’être salué, même si nous pouvons avoir des divergences sur les solutions proposées. Ces divergences ne sont pas une posture, mais trahissent des visions distinctes de l’avenir de l’agriculture. La vôtre, bien différente de notre sensibilité, paraît empreinte de libéralisme.
Je pourrais, du reste, adresser le même reproche à certains choix du Gouvernement. La guerre économique que le libéralisme mène depuis trente ans est en train de tuer notre agriculture et des centaines de milliers d’exploitations familiales. Imaginer que la course à la compétitivité peut apporter une réponse à la crise est une erreur absolue. Cela n’aboutira qu’à une sorte de bascule continuelle qui ne résoudra pas fondamentalement le problème. Notre agriculture est porteuse de valeurs, de missions, qui ne sont pas compatibles avec une économie de marché mondialisée où la concurrence est libre et non faussée.
L’agriculture doit avant tout être exemptée des règles de la libre concurrence. Nous devons tous être vent debout contre l’article 101 du traité de Lisbonne sur le fonctionnement de l’Union européenne. Alors que l’agriculture est broyée par la libre concurrence, vous ne trouvez d’autre solution que de vouloir améliorer la compétitivité. Pour ma part, je considère que ce n’est pas le combat à mener.
Cependant, la proposition de loi comporte quelques éléments positifs. Ainsi, le chapitre Ier propose de prendre en compte les coûts de production, avec une rémunération de l’agriculture par le biais d’une conférence annuelle de filière, ce qui permettrait, par exemple, de fixer un prix plancher pour telle production dans telle région. Cependant, je m’adresse à ceux qui furent les auteurs de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, autrement dit la « loi Édouard Leclerc » de 2008. Aujourd’hui, les bonnes intentions ne suffisent pas. La réponse se situe aussi au niveau européen. Il faut fixer des prix planchers qui permettent aux agriculteurs de vivre.
Les propositions sur l’étiquetage vont également dans le bon sens, même si je les trouve un peu timides, puisqu’elles n’instaurent pas d’obligation. L’article 3 manque de flamme révolutionnaire…
J’en viens aux points négatifs. L’article 4, consacré aux banques, n’impose aucune contrainte, se contentant de faire appel à leur générosité. On voit ce que cela donne aujourd’hui : les banques refusent, par exemple, d’aider les agriculteurs en difficulté, bien que l’État prenne en charge les intérêts d’emprunt, et 50 % des demandes d’avance de trésorerie sont rejetées.
Les chapitres III et IV vont également dans le mauvais sens. Vous vous orientez vers la TVA sociale et remettez en cause les principes fondateurs de la sécurité sociale. Dans ces six articles, vous proposez une refonte de notre système de sécurité sociale en balayant d’un revers de main l’un de ses principes fondateurs : « Chacun cotise selon ses moyens et bénéficie selon ses besoins. » Si, pour résoudre tous les problèmes de notre pays, on n’a pas d’autre idée que de casser la sécurité sociale, on pourra sans doute faire plaisir à une corporation, mais je doute qu’on aille dans le sens de l’intérêt général !
Mme Annick Le Loch. La commission des affaires économiques a créé une mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage. Dans le cadre des auditions qu’elle mène, bien des sujets sont abordés : disparition des instruments de régulation à l’échelle européenne, surproduction, baisse de la consommation, concurrence exacerbée et politique libérale de l’Europe, politique du prix bas, toujours plus bas, suicidaire quand les charges augmentent, poids de la grande distribution et de ses quatre centrales d’achat qui sont désormais maîtres du jeu, manque d’organisation des filières, coopératives qui ne défendent pas leurs adhérents. Quels moyens préconisez-vous pour renforcer le pouvoir des producteurs dans le cadre européen ?
Malgré les lois, les ordonnances, les décrets, les tables rondes, le sentiment d’abandon qu’éprouve la population rurale laborieuse n’a jamais été aussi fort. Pour assurer un avenir à nos producteurs, il faudra bien plus que cette proposition de loi, même si elle présente quelques éléments positifs. La mission rendra son rapport le 2 mars prochain. Nous aurons donc l’occasion de vous en reparler.
M. Jean-Claude Mathis. L’article 10 de la proposition de loi prévoit un allégement des charges supportées par les jeunes agriculteurs en début de carrière. L’exonération dont ils bénéficient aujourd’hui passe de cinq à six ans.
Sans entrer dans le débat sur l’agriculture familiale et l’agriculture industrielle et dans le contexte actuel, pensez-vous que les mesures contenues dans ce texte soient suffisamment incitatives pour encourager les jeunes agriculteurs à reprendre les exploitations familiales ?
M. Dominique Potier. Notre débat est capital pour la sécurité du monde, en cela qu’il touche à l’équilibre agricole, c’est-à-dire à l’équilibre alimentaire, qui n’est pas une marchandise comme les autres. Monsieur André Chassaigne a raison, la compétitivité libérale n’est pas la solution aux problèmes structurels et à la profonde détresse que nous constatons dans nos circonscriptions. Ces propositions, qui ont le mérite de relancer le débat, ont un défaut fondamental : elles font porter par l’État et par la société des problèmes qui viennent d’une mauvaise régulation des marchés libéraux. La déréglementation des quotas a des conséquences sur tous les marchés et sur l’économie circulaire autour de l’alimentation animale et, donc, des céréales. Chaque fois qu’on dérégule, on casse nos territoires, on brise des vies et on attente à la sécurité du monde. Il faut plus que jamais se battre, comme le font Monsieur Stéphane Le Foll et la majorité, pour imposer de nouvelles régulations.
Enfin, il manque à ces propositions un volet essentiel, qui nous ramènerait à nos propres responsabilités et concerne les producteurs. Nous devons amplifier l’effort d’agro-écologie qui, loin d’être un handicap, est la solution. Nous devons hâter le retour à une agriculture de groupe, seule à même de résoudre le problème de surcapitalisation. Enfin, nous devons mener une véritable politique foncière de régulation : c’est la politique mère de l’avenir de l’agriculture.
M. Dino Cinieri. J’associe mon collègue Monsieur Paul Salen à mon intervention.
Les agriculteurs doivent faire face à diverses menaces : la concurrence de nouvelles puissances agricoles, s’agissant notamment du Brésil et de la Chine, la volatilité des prix et des cours, l’effondrement des revenus qui frappe toutes les exploitations, toutes les filières et toutes les familles de paysans depuis plusieurs décennies, sans parler des conséquences de l’embargo russe qui s’éternise sans réelle justification.
Depuis mon élection, j’ai eu à cœur de dialoguer régulièrement avec de nombreux arboriculteurs, éleveurs, producteurs laitiers, viticulteurs, sylviculteurs ou apiculteurs. On constate, au fil des ans, une déception croissante. Nous attendions beaucoup de la dernière loi d’avenir pour l’agriculture, puis des différents plans de sauvetage annoncés dans un grand battage médiatique par le Premier ministre et le ministre de l’agriculture. Mais ces mesurettes ne reposant sur aucune vision économique de l’agriculture ne permettront pas à notre pays de se moderniser, d’innover, de développer son activité ni de gagner des parts de marché à l’étranger.
Nos agriculteurs, toutes filières confondues, attendent que nous les aidions à renforcer la compétitivité et que nous mettions en œuvre un véritable choc de simplification pour qu’ils puissent lutter à armes égales face à la concurrence européenne.
Depuis trois ans, le Gouvernement met à mal le secteur agricole, avec la suppression de la TVA compétitivité qui aurait pu bénéficier à nombre d’entreprises du secteur.
M. Arnaud Viala. Notre débat s’inscrit hors de tout champ polémique, même si le hasard fait que les agriculteurs manifestent ces jours-ci. Ils ne sont pas habitués à manifester : s’ils le font, c’est que leur détresse est profonde.
La proposition de loi ouvre le débat sur trois points essentiels. Le premier touche à la perception que nous devons avoir de l’activité agricole. Celle-ci doit avant tout être économique. On ne peut imaginer, en effet, qu’elle ne soit régie que par des considérations agroenvironnementales et que les agriculteurs ne soient que des jardiniers de l’espace, auxquels on fixerait quelques règles pour le bon entretien des campagnes. La proposition de loi lance le nécessaire débat sur la compétitivité, sur l’allégement des normes et des charges, qui ne doit pas seulement être mené à propos de l’activité agricole.
Deuxième sujet à approfondir, nous devons réfléchir au format juridique des exploitations agricoles, afin de leur permettre de s’adapter à la réalité du jour, sans pour autant aller vers l’agriculture industrielle.
Enfin, la place de l’agriculture doit être aussi importante dans le milieu rural, en termes d’aménagement du territoire, que dans les discussions que nous avons avec l’Europe.
Pour ma part, je soutiens ce texte et j’espère que nous irons encore plus loin.
Mme Valérie Lacroute. Le monde agricole va mal. Il assiste, impuissant, au recul de notre agriculture tant au niveau européen que mondial. Notre pays manque de confiance, alors qu’il a pratiquement tous les atouts pour réussir : le climat, la terre, l’eau, le savoir-faire, l’histoire, les produits, la réputation, c’est-à-dire tout ce qui compte pour produire et vendre dans les meilleures conditions.
Mais, aujourd’hui, avoir des atouts ne suffit plus. Il faut avoir une vraie stratégie. La clé de la réussite des pays qui gagnent, c’est leur capacité à définir une stratégie et des objectifs clairs. L’Allemagne a traité son agriculture comme elle a traité son industrie, avec pour seul objectif d’être compétitive.
Quelle est la stratégie de la France ? Quelle est notre stratégie en termes de filières ? Nul ne le sait. C’est à l’État de la définir, avec les agriculteurs, les industriels et désormais les régions, qui sont les autorités de gestion du deuxième pilier de la PAC.
Je me félicite des dispositions de cette proposition de loi, s’agissant notamment de l’allégement des charges et des normes qui rendent la vie impossible aux agriculteurs. La création d’une nouvelle norme sera désormais subordonnée à l’abrogation d’une norme antérieure, les allégements de charges et l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties redonneront de la compétitivité à l’agriculture française.
Les agriculteurs attendent beaucoup de nous, tout en ayant conscience que nos marges de manœuvre sont limitées. Ce n’est pas nous qui changerons la PAC, mais peut-être pourrons-nous imaginer les moyens de nous y adapter.
M. Bernard Reynès. Une mission parlementaire sur la baisse des charges sociales agricoles, que j’ai pilotée avec Monsieur Charles de Courson, m’avait été confiée en 2010. Je regrette qu’elle n’ait pu aboutir, sous prétexte d’euro-incompatibilité.
La baisse des charges qui figure dans cette proposition de loi est un point fondamental pour la compétitivité d’un secteur dont on parle très peu aujourd’hui, celui des fruits et légumes. Mon collègue et ami de Cavaillon, Jean-Claude Bouchet, sera d’accord avec moi, la baisse des charges est essentielle dans ce secteur où le besoin de main-d’œuvre est le plus important. C’est le secteur de l’agriculture qui crée le plus d’embauche.
Je reprendrai la proposition formulée à l’époque dans le cadre de la mission parlementaire qui m’avait été confiée et qui visait à financer l’exonération de charges sociales agricoles par la fameuse « taxe Coca », laquelle a été finalement instaurée, mais n’a pas été fléchée vers le monde agricole. Je propose donc une exonération qui s’applique à tous les salaires sans dégressivité jusqu’à 1,2 SMIC.
M. Damien Abad. Cette excellente proposition de loi s’inscrit dans un contexte de crise à la fois conjoncturel et structurel.
En ce qui concerne les relations justes et transparentes du producteur avec le consommateur, il faut se demander quelle est l’efficacité de l’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires.
S’agissant de l’étiquetage, nous avons trop tardé. Les innombrables allers et retours entre les ministres de l’agriculture et la Commission européenne n’ont donné aucun résultat. On nous avait déconseillé d’aborder la question pour ne pas affaiblir les ministres. Résultat, il n’y a plus d’avancées en matière d’étiquetage.
Par ailleurs, il est nécessaire d’intégrer les coûts de production dans la contractualisation. Ce n’est pas un dossier facile, mais c’est une demande forte de nos producteurs, et cette proposition de loi va dans le bon sens.
Enfin, il faut se poser la question de la résilience du modèle français dans un contexte européen. Le système de garantie de revenu, la TVA compétitivité et le lien entre la France et l’Europe sont des sujets fondamentaux qui interrogent notre modèle agricole.
M. Lionel Tardy. La situation que connaissent nos agriculteurs appelle des réponses. Il s’agit parfois d’une question de survie. On ne pourra pas indéfiniment enchaîner les plans de soutien à coups de milliards, car ce ne sont que des solutions temporaires et bricolées sur un coin de table.
Le plan pour l’élevage de l’été dernier en est la preuve. Aujourd’hui, les agriculteurs qui travaillent à perte n’ont pas vu la couleur de ce plan et ne touchent aucune aide. Je ne dis pas que la solution est forcément dans la loi, mais tout de même, il y a matière à agir, et cette proposition de loi avance des pistes très constructives. Vu l’urgence, elles doivent recueillir le soutien de l’ensemble des députés.
Les exploitants agricoles sont aussi des entrepreneurs et leurs difficultés sont comparables à celles des dirigeants de très petites entreprises (TPE). Je soutiens donc particulièrement l’article 8 bis A qui prévoit que, pour toute nouvelle norme créée dans le domaine agricole, une norme antérieure doit être abrogée.
J’appelle également votre attention sur l’article 11 bis, qui prévoit une exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, dans la limite de soixante hectares de surface agricole utilisable. La fiscalité est un autre levier de soutien à ne pas négliger. En 2013, Monsieur Martial Saddier, Mme Virginie Duby-Muller et moi-même, nous étions battus pour que les terres agricoles ne soient pas soumises à la majoration de la taxe foncière sur les propriétés non bâties en zone tendue, ce qui avait été envisagé par le Gouvernement. C’est toute une logique qu’il faut inverser. Cette proposition de loi y contribue largement, au-delà de la compétitivité. Je dirais même qu’elle doit permettre de libérer l’agriculture et d’apporter à nos agriculteurs la bouffée d’oxygène dont ils ont besoin.
M. Jean-Charles Taugourdeau. Les agriculteurs sont des entrepreneurs, et il semble que tout se ligue contre eux : le coût du travail, le code du travail, le code de l’environnement, les associations de sauvegarde, les organisations non gouvernementales (ONG) et l’acharnement thérapeutique de nos collègues Verts, rouges d’urticaire dès qu’on parle d’exonérations fiscales patronales.
Cher André Chassaigne, pour être compétitifs, nous ne devons pas négliger un facteur important, le prix. La loi d’avenir allait-elle dans le bon sens ? Je l’ignore. En tout cas, elle ne nous a pas conduits au bon endroit. Nous avons su voter, nous, la proposition de loi visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, dont de nombreuses dispositions ne nous convenaient pourtant pas. Alors, chers collègues socialistes et écologistes, sachez à votre tour voter notre proposition de loi, fût-elle imparfaite, car il est urgent de sauver le monde agricole.
M. Jean-Claude Bouchet. Cette proposition de loi est très importante pour notre agriculture. Les éleveurs, les pêcheurs, les producteurs de fruits et légumes rencontrent régulièrement des difficultés. Ne serait-il pas judicieux de réunir des états généraux de l’agriculture, et plus généralement du monde rural, afin de traiter une bonne fois pour toutes les problèmes qui se posent ?
M. le rapporteur. Je suis presque d’accord avec vous, Monsieur Blein : la proposition de loi n’ouvre presque pas de nouveaux chantiers. En réalité, elle se penche sur le cadre réglementaire existant pour en adapter les dispositions aux retours d’expérience que nous avons et à la crise que nous traversons. Cela fait partie du travail des parlementaires. Notre mission est d’appuyer l’action du Gouvernement lorsque nous sommes dans la majorité et de faire des contre-propositions lorsque nous sommes dans l’opposition. Nous avons également la mission de contrôler. Ce qu’attendent aujourd’hui de nous les agriculteurs et, demain, d’autres catégories professionnelles et les Français en général, c’est que nous soyons à leur écoute, que nous puissions relayer les demandes et faire en sorte que les textes les accompagnent.
Ce qui est très difficile, c’est que nous avons l’impression que l’actualité s’accélère et qu’il faut faire ce travail de suivi parlementaire d’une façon beaucoup plus précise et plus fine. Les Parlements de pays voisins sont dotés de sous-commissions thématiques. Ne pourrions-nous nous inspirer de ces pratiques ?
Mme la présidente Frédérique Massat. Nous avons les groupes d’études.
M. le rapporteur. Le secteur agricole et agroalimentaire est le deuxième secteur économique. Il est donc nécessaire de renforcer le travail parlementaire.
Vous dites ensuite, Monsieur Yves Blein, comme Madame Jeanine Dubié, que l’essentiel des mesures est d’ordre réglementaire. C’est vrai. Mais, quand nous allons sur le terrain, en tant que députés, on nous dit que cela ne marche pas bien et on nous demande de faire en sorte que cela change. Nous retournons à Paris, nous posons une question au Gouvernement ou une question orale sans débat, nous écrivons au ministre… À part cela, nous n’avons aucun levier pour agir. J’ai essayé, à travers les amendements que je propose, de voir ce que nous pouvions changer sur le plan législatif pour que la situation s’améliore ensuite sur le plan réglementaire. Mais vous avez, en effet, mis le doigt sur une difficulté : nous sommes en première ligne et nous n’avons pas les manettes. Comment mieux répondre aux attentes de nos concitoyens ?
M. Daniel Fasquelle a bien identifié le problème des charges et des règles. L’une de nos missions est d’accompagner les secteurs économiques français : nous parlons aujourd’hui de l’agriculture, mais, demain, ce sera du secteur aéronautique ou des télécommunications. Dans tous les cas, il faut faire en sorte que le cadre réglementaire permette à nos entreprises d’exprimer tout leur potentiel. L’agriculture française détient des atouts exceptionnels : il ne lui manque que la possibilité d’en jouer de la façon la plus efficace pour créer des emplois et relancer l’économie.
Je vous remercie, Monsieur Thierry Benoit, d’avoir rappelé votre attachement au fait que les étiquetages ne soient pas falsifiés. Vous vous opposez au logo « Transformé en France », qui peut malheureusement cacher des processus n’ayant aucun rapport avec la production nationale. Je vous rejoins tout à fait à ce propos.
Je vous remercie également d’avoir corrigé une omission en rappelant que la question des contrôles et les propositions que vous formulez sont aussi issues du travail de la députée Frédérique Massat, qui a été très peu citée ce matin, mais qui est également une grande source d’inspiration.
Madame Michèle Bonneton, je pense avoir largement répondu par anticipation à vos remarques, notamment sur la question de l’industrialisation. Il n’y a pas à opposer qualité et non-qualité. Il y a des qualités, avec des critères objectifs tels que la qualité sanitaire ou la qualité gustative, et des critères subjectifs, comme la qualité d’image, de réputation, de marque ou de démarche idéologique, qui sont rattachés à ces produits. Il y a de la place pour toutes ces qualités sur des marchés diversifiés.
Monsieur Chassaigne, je vous remercie pour la modération de votre propos, dont je serais tenté de dire que je le partage en grande partie. Moi non plus, je ne suis pas un fervent adepte du libéralisme. Ce n’est pas le code génétique de l’économie française. J’ai eu l’occasion d’aller à Reims l’automne dernier. En face de la gare, dans un parc, se dresse la statue de Jean-Baptiste Colbert. Je me suis dit que, finalement, c’était cela, le code génétique de la France : l’interaction entre les acteurs économiques et l’État. C’est la particularité de notre pays dans le concert européen, mais c’est aussi ce qui fait notre difficulté et qui explique que nous soyons minoritaires dans notre approche de ces sujets.
J’ai terminé mon propos liminaire en disant qu’il nous faudra reconstruire des outils de solidarité. Cela signifie qu’il faut que nous nous demandions comment convaincre nos partenaires européens que l’intervention de l’État est indispensable dans certains secteurs, en particulier dans le domaine agricole. Je pense, Monsieur André Chassaigne, que nous pouvons être d’accord sur ce point.
En ce qui concerne la remise en cause de la sécurité sociale, en revanche, je ne partage pas votre idée. Je sais que le parti communiste a été l’un des piliers de la construction de notre protection sociale à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, au côté d’un Gouvernement d’union nationale. Je vous rappelle que beaucoup de Français, aujourd’hui, disent qu’il serait bon de faire, comme à l’époque, l’union nationale pour apporter des réponses aux problèmes qu’ils vivent au quotidien.
Ce que nous proposons, avec la TVA sociale, ce n’est pas de casser le système, mais de le compléter, c’est-à-dire de créer une assiette supplémentaire par rapport à l’assiette essentielle, la taxation des salaires, complétée ensuite par la contribution sociale généralisée, à l’initiative de Michel Rocard. Aujourd’hui, nous proposons d’élargir cette assiette avec la TVA. Ce sont des organisations syndicales de gauche qui ont été les premières à proposer la TVA sociale comme réponse à notre déficit démographique, qui entraîne celui de la sécurité sociale. C’est encore plus vrai à propos des emplois peu qualifiés, pour lesquels se pose un problème de distorsion.
Madame Annick Le Loch, vous avez évoqué le sentiment d’abandon qu’éprouvent les agriculteurs, en particulier les éleveurs, et je salue le travail que vous menez avec Monsieur Thierry Benoit, sous la présidence de Monsieur Damien Abad, au sein de la mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage.
Monsieur Jean-Claude Mathis a parlé de la reprise des exploitations agricoles, un sujet que je vais aborder au moyen d’un amendement. Le bilan d’une exploitation est composé des capitaux propres — le passif — et de l’endettement — l’actif. Il me semble qu’il serait utile de pouvoir intégrer à ce bilan, comme on le fait pour d’autres types d’entreprises, des porteurs de capitaux extérieurs. Cela permettrait d’éviter qu’un agriculteur passe toute sa carrière à rembourser des prêts pour se retrouver, lorsqu’il cesse son activité, dans l’impossibilité de transmettre une structure complète et fonctionnelle.
Monsieur Dominique Potier ne dit pas autre chose quand il parle de surcapitalisation. Il n’est pas question du foncier dans cette proposition de loi, mais la loi d’avenir sur l’agriculture a déjà largement évoqué ce sujet, sur lequel il ne me paraît pas opportun de revenir dans la précipitation : les règles relatives au statut du fermage doivent être abordées avec la plus grande précaution. En dépit de l’évolution législative qui s’est accomplie en la matière au cours du demi-siècle qui vient de s’écouler, on s’aperçoit, lorsqu’on se rend sur le terrain, que certaines pratiques coutumières remontant parfois à l’Ancien Régime sont toujours d’actualité. C’est dire la capacité de résilience - pour ne pas dire de résistance - dans ce domaine.
Monsieur Dino Cinieri, je sais que la question des indications géographique protégée (IGP) vous motive tout particulièrement, et nous aurons l’occasion d’en reparler lors de l’examen des amendements.
Monsieur Arnaud Viala a évoqué les formats juridiques des exploitations agricoles, qui constituent un sujet très important. On oppose trop souvent l’agriculture familiale à l’agriculture sociétaire, alors que les deux formes d’exploitation sont complémentaires. Lorsqu’une exploitation sans structure sociétaire est confrontée à des difficultés et finit par être mise en liquidation, l’exploitant perd tout, y compris sa maison et ses effets personnels — même la niche du chien y passe ! Pour une exploitation familiale, le fait d’adopter la structure sociétaire permet d’écarter ce risque et de protéger les familles concernées, en séparant le bien professionnel du bien privé. Nous devons continuer à travailler sur cette question.
Madame Valérie Lacroute, vous avez introduit dans le débat le thème de la région, auquel je tiens beaucoup. En France, il est d’usage de discuter et de décider à Paris, avant que les règles ne s’appliquent sur l’ensemble du territoire. Si ce n’est pas une mauvaise chose, il faut reconnaître que, en matière d’agriculture, la diversité des territoires, des bassins et des types de production et de marché justifie que le débat national soit complété par un débat ancré au sein des territoires. Je n’étais pas favorable à la nouvelle carte des régions, mais, puisqu’elle est aujourd’hui une réalité, j’estime que les nouvelles régions ont vocation à constituer le support du débat d’orientation des stratégies sur les territoires agricoles.
Messieurs Bernard Reynès et Jean-Claude Bouchet ont exprimé de légitimes préoccupations relatives au secteur des fruits et légumes. À ce sujet, il me paraît important de rappeler que, à défaut de réponse rapide sur les charges de main-d’œuvre, le secteur des fruits et légumes va forcément subir un repli, à moins qu’il ne fasse le choix de la robotisation. J’ai eu l’occasion de voir l’année dernière, lors du salon de la machine agricole, les premiers robots servant à entretenir des rangées de légumes. Fort bien, mais ne perdons pas de vue que, en adoptant cette solution, nous perdrions l’un des principaux leviers de création d’emplois dans le monde rural ! Sachons donc revenir rapidement à l’essentiel, à savoir le niveau de charges sur les salaires des emplois peu qualifiés.
La question de la résilience évoquée par Monsieur Damien Abad est fondamentale. Nos concurrents américains ont basé l’essentiel de leur politique d’accompagnement sur la mise en œuvre de systèmes assurantiels, qui n’en sont qu’à leurs balbutiements en Europe. Bien que le ministre de l’agriculture travaille très régulièrement sur ce point, les avancées sont encore limitées et, de ce point de vue, je ne doute pas que les travaux de la mission d’information soient très utiles.
Messieurs Lionel Tardy et Jean-Charles Taugourdeau ont insisté sur le cadre fiscal de l’entreprise. J’ai beaucoup hésité au sujet de l’article de la proposition de loi exonérant les exploitants agricoles de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, dans la limite de soixante hectares de surface agricole utilisable : cette disposition me semble extrêmement compliquée à mettre en œuvre. En revanche, je reste persuadé qu’il est indispensable de réfléchir à un autre système fiscal, peut-être en nous inspirant de ce qui se fait dans le monde de l’entreprise en général, notamment en matière d’impôt sur les sociétés ou de contribution économique territoriale, ce qui a remplacé la taxe professionnelle. Remettre tout le dispositif à plat en partant d’un principe simple, à savoir que l’installation d’un élevage ou d’une unité de transformation de produits agricoles sur un territoire dégage des revenus dont la collectivité doit tirer un revenu, permettrait de régler nombre de questions, notamment celles relatives aux installations classées ou aux difficultés d’accompagnement du développement des activités agricoles.
La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.
Des relations plus justes et transparentes, du producteur au consommateur
Article 1er (article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime) : Intégration obligatoire des indicateurs d’évolution des coûts de production et des indices publics des prix des produits agricoles dans les contrats en agriculture
M. le rapporteur. Sur la question de l’intégration des indicateurs d’évolution des coûts de production et des indices publics des prix des produits agricoles dans les contrats en agriculture, les sénateurs me semblent avoir effectué un travail précis et prudent, qui justifie que nous adoptions cet article à l’identique.
M. Yves Blein. Comme je l’ai dit dans mon propos introductif, il est déjà possible de prendre en compte les prix de production dans les accords interprofessionnels. Alors que ce système fonctionne de manière satisfaisante, l’article 1er vise à introduire des critères supplémentaires, plus exactement le détail des critères des coûts de production et le détail des prix publics. Or, sur la seule question des critères de production, j’ai déjà relevé six critères pouvant entrer dans le calcul des coûts, à savoir le montant des amortissements du matériel, le coût de la main-d’œuvre, le prix d’achat des intrants, les variations climatiques, la géographie des lieux et le coût des matières premières utilisées - ces six critères pouvant être croisés de différentes manières, par exemple en les cumulant par deux ou par trois.
L’article 1er est typiquement le genre de disposition ayant pour effet d’augmenter de manière considérable le volume de la réglementation - précisément ce que les acteurs du secteur agricole souhaitent éviter. Les bonnes intentions de cet article nous conduisent tout droit en enfer, Monsieur le rapporteur, c’est pourquoi le groupe Socialiste, républicain et citoyen votera contre.
M. le rapporteur. J’entends bien vos remarques, Monsieur Yves Blein, et, si nous n’étions pas en train de parler du secteur laitier, je vous rejoindrais sans réserve. Dans ce domaine, il existe une entreprise de transformation bien connue, implantée dans plusieurs pays européens, qui propose aux organisations de producteurs des contrats dans lesquels les formules de prix intègrent en partie les coûts de production. Le rapport de forces entre producteurs et transformateurs étant déséquilibré, cette entreprise va librement déterminer quels éléments du coût de production doivent entrer dans sa grille de prix.
Ce qui est ici proposé, c’est que nous fixions le cadre que devront respecter les entreprises comme celle-ci. Il faut en effet éviter que ces entreprises ne se prévalent, auprès des producteurs français, de coûts de production inférieurs dans d’autres pays, notamment l’Allemagne ou les Pays-Bas. Tel est l’objet de l’article 1er : mettre en place un garde-fou afin d’éviter que l’initiative privée ne devienne la norme.
La commission rejette l’article 1er.
Après l’article 1er
La commission examine l’amendement CE21 de M. Damien Abad.
M. Jean-Claude Mathis. L’article L. 441‑8 du code de commerce, issu de la loi relative à la consommation du 17 mars 2014, prévoit une clause de renégociation des prix pour les contrats d’une durée d’exécution supérieure à trois mois portant sur la vente de certains produits alimentaires « dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires ».
Cet article avait pour objectif de répondre aux baisses considérables des prix subies par les éleveurs. Or, en pratique, il semble qu’il n’ait pas eu l’effet escompté. La situation des éleveurs continuant de se détériorer, il est impératif d’établir un bilan de l’application de ce dispositif et, le cas échéant, de le perfectionner dans les meilleurs délais.
M. le rapporteur. Le dialogue entre le Gouvernement et le Parlement sur ce sujet particulièrement important doit se poursuivre. Avis favorable.
M. Yves Blein. Mme Annick le Loch et M. Thierry Benoit devant remettre, le 2 mars prochain, un rapport sur la question évoquée, nous ne voyons pas quelle serait l’utilité d’un autre rapport.
La commission rejette l’amendement.
Article 1er bis (articles L. 631-24 et L. 671-9 du code rural et de la pêche maritime) : Lutte contre la cession de contrats laitiers à titre onéreux
M. le rapporteur. Je propose d’adopter l’article 1er bis sans modification.
M. Yves Blein. Un travail est déjà en cours sur l’analyse juridique précise des conditions et du contexte dans lesquels la cessibilité des contrats peut être envisagée, afin de réduire l’insécurité juridique sur ce point. Il me semble prématuré de passer aujourd’hui par la loi pour faire avancer cette question.
M. le rapporteur. Certes, une réflexion est en cours, mais certains producteurs ont déjà commencé à mettre leurs contrats en vente sur internet. Il me paraît donc utile que le Parlement envoie un signal fort aux acheteurs potentiels, afin de les mettre en garde sur le caractère extrêmement incertain de la valeur de ces contrats. La question de la cessibilité des contrats en rappelle une autre, posée lors de l’examen de la loi d’orientation agricole de 2006, qui avait créé la notion de fonds agricole, ayant vocation à identifier les valeurs matérielles, mais aussi immatérielles d’une exploitation agricole, dans la perspective de la transmission de celle-ci en tenant compte de sa valeur économique, et non simplement de sa valeur patrimoniale. Toutes ces questions se trouvant à nouveau posées aujourd’hui, je suis favorable à l’adoption sans modification de l’article 1er bis.
La commission rejette l’article 1er bis.
Article 2 : Instauration d’une conférence de filière annuelle
La Commission est saisie de l’amendement CE4 du rapporteur.
M. le rapporteur. Afin de parvenir à une lecture plus fine des réalités agricoles et économiques, il est nécessaire que celle-ci se fasse à une échelle plus proche des territoires. La région ayant désormais vocation à instruire les dossiers et à mettre en œuvre les aides de la politique agricole commune relatives au deuxième pilier — le développement rural —, il me paraît justifié de faire de la région le lieu de définition des politiques agricoles et le cadre des conférences de filières.
M. Yves Blein. Dans la mesure où il existe déjà un comité de suivi des négociations commerciales, qui se réunit annuellement, il ne nous paraît pas utile de créer de nouveaux espaces de discussion. Surtout, cela n’irait pas dans le sens de l’efficacité attendue par la profession dans son dialogue avec les pouvoirs publics. Plutôt que de créer de nouveaux organes, faisons déjà fonctionner au mieux ceux qui existent déjà, et faisons confiance aux présidents des nouveaux conseils régionaux pour organiser des conférences réunissant l’ensemble des acteurs du monde agricole.
M. Damien Abad. En dépit des efforts de certains pour déposséder, avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), les départements de leurs compétences territoriales, notamment en matière agricole, l’ensemble des professions agricoles souhaite que le niveau départemental continue de jouer son rôle consistant à porter à l’échelon local les politiques définies au niveau national. Si cet amendement était adopté, il faudrait donc le décliner à l’échelon départemental.
M. le rapporteur. Tenant compte des observations de M. Yves Blein et de M. Damien Abad, je retire l’amendement, en me réservant la possibilité de poser en séance publique la question à laquelle il se rapporte.
L’amendement est retiré.
La commission rejette l’article 2.
Article 2 bis (article 7 de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques) : Obligation d’affichage, par les établissements, du refus de se soumettre aux enquêtes statistiques relatives aux prix et aux marges des produits agricoles et alimentaires
La commission examine l’amendement CE5 du rapporteur.
M. le rapporteur. Je propose de supprimer l’article 2 bis, visant à instaurer des sanctions pour les établissements proposant de se soumettre à des enquêtes obligatoires, les dispositions proposées me semblant redondantes avec celles prévues à l’article 2 ter.
Cela dit, j’ai l’intention de déposer dès que possible un amendement prévoyant une aggravation des sanctions pour les entreprises de l’agroalimentaire refusant de publier leur bilan, car un tel comportement complique considérablement le travail d’analyse de la valeur ajoutée des entreprises concernées, et met les producteurs en difficulté quand il s’agit de négocier des contrats de livraison de façon annuelle ou pluriannuelle. Les sanctions prévues, dérisoires au regard des enjeux, sont insuffisamment appliquées, et j’estime nécessaire de remédier à cet état de fait.
M. Yves Blein. Nous voterons en faveur de cet amendement de suppression.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 2 bis est supprimé.
Article 2 ter (article 7 de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques) : Publication, par l’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, de la liste des établissements refusant de se soumettre aux enquêtes statistiques
M. le rapporteur. Je propose de voter l’article 2 ter sans modification.
M. Yves Blein. La mise à jour des données de l’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires est une question qu’il convient de traiter. Les informations dont nous disposons ne font pas apparaître de manquement manifeste dans ce domaine. C’est pourquoi, en l’état actuel des choses, nous ne voterons pas l’article 2 ter. Je précise toutefois, Monsieur le rapporteur, que nous ne serions pas opposés à ce que les questions soulevées par les articles 2 bis et 2 ter soient regroupées pour faire l’objet d’une nouvelle réflexion.
La commission rejette l’article 2 ter.
Article 3 (article L. 112-13 [nouveau] du code de la consommation) : Droit à l’information du consommateur sur l’origine des produits carnés et laitiers
La commission examine, en discussion commune, les amendements CE30, CE31 et CE29 de M. Thierry Benoit.
M. Thierry Benoit. En matière d’étiquetage des produits alimentaires, et notamment de la mention de l’origine des produits transformés, il nous a été expliqué au cours des années précédentes que le fait de rendre cette pratique obligatoire serait incompatible avec le droit européen. Le ministre Benoît Hamon avait conduit une délégation à Bruxelles - dont Germinal Peiro et moi-même faisions partie - afin de tenter d’obtenir une avancée sur ce point, et Stéphane Le Foll cherche lui aussi à faire progresser les choses. C’est également l’objet de l’amendement CE30, qui vise à ce que « les distributeurs et les fabricants de produits alimentaires indiquent, sous forme d’étiquetage, l’origine des produits carnés et laitiers des produits alimentaires qu’ils ont fabriqués ou distribués ».
L’amendement CE31 est un amendement de repli, ne visant que les produits carnés et laitiers « constituant l’ingrédient principal des produits alimentaires » fabriqués ou distribués.
Enfin, l’amendement CE29 propose de ne pas limiter l’obligation d’information à l’ingrédient principal, afin que les industriels aient une obligation d’information portant sur l’ensemble des matières premières constituant les produits transformés.
M. le rapporteur. Ces amendements sont intéressants et anticipent ce que nous a annoncé M. le ministre hier, à savoir le projet d’un décret en Conseil d’État, dont l’Union européenne sera informée, sur les questions relatives à l’étiquetage.
Je voudrais attirer votre attention sur l’originalité de l’angle adopté par les sénateurs. D’une part, contrairement au ministre, nos collègues ont veillé à ne pas mettre la France en difficulté vis-à-vis de l’Union européenne : alors que le Parlement européen a voté l’année dernière une résolution sur l’étiquetage des constituants des produits alimentaires, la Commission européenne se refuse toujours à généraliser cette disposition, notamment pour les produits issus de l’élevage. Les sénateurs ont choisi de ne pas imposer d’obligation nouvelle, puisque l’Europe n’en veut pas, mais de donner un droit nouveau au consommateur, celui de demander quel est le constituant principal du produit.
Si intéressants qu’ils soient, vos amendements risquent de nous placer dans une situation difficile. Je vous propose que nous en reparlions en séance. Le ministre sera alors en mesure de nous indiquer le détail de sa démarche en termes de produits concernés : s’agira-t-il de tous les produits alimentaires - je pense notamment à la charcuterie, dont les fabricants sont très hostiles à une telle mesure - ou seulement des produits de base, ou encore des produits laitiers et carnés ? Le cas échéant, comment compte-t-il convaincre les industriels concernés à moins qu’il n’ait l’intention de les contraindre - de mettre en œuvre cette disposition ?
M. Thierry Benoit. J’entends bien ce que nous dit Monsieur le rapporteur et je retire mes trois amendements, en précisant toutefois que certains membres de l’Union européenne, notamment les Allemands, privilégient déjà les produits nationaux. Dans un contexte concurrentiel, marqué par des situations de distorsion de concurrence, il faut impérativement que nous trouvions le moyen de faire bouger les lignes. M. le ministre a déjà fait preuve de sa volonté d’agir en ce sens, et j’espère que la France saura prendre la tête d’un mouvement qui ne saurait être vraiment efficace que s’il est européen.
Les amendements sont retirés.
La commission examine ensuite les amendements CE22 et CE23 de M. Damien Abad, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.
M. Alain Suguenot. La France doit adopter une position claire et ferme en matière d’information des consommateurs, et mettre fin aux distorsions de concurrence que l’on constate entre les entreprises françaises et leurs concurrentes européennes. Pour notre part, nous proposons donc, avec l’amendement CE22, de supprimer l’alinéa 3 de l’article 3, qui prévoit d’établir une liste des distributeurs et fabricants ne respectant pas l’obligation d’information des consommateurs ; quant à l’amendement CE23, il a pour objet d’encourager les démarches volontaires des distributeurs et fabricants en matière d’information des consommateurs.
M. le rapporteur. Alors qu’il s’agissait uniquement, à l’article 2 ter, de publier la liste des établissements refusant de se soumettre aux enquêtes obligatoires du service statistique public relatives aux prix et aux marges des produits agricoles, l’article 3 prévoit l’application d’un dispositif similaire s’appliquant aux distributeurs et fabricants qui refuseraient d’informer les consommateurs sur l’origine des viandes et des produits laitiers. Je ne suis pas persuadé du bien-fondé d’une telle sanction en termes d’image et, sur ce point, je m’en remets à la sagesse de la commission.
M. Yves Blein. Au sujet de l’article 3 et des trois amendements qui viennent d’être présentés, je veux commencer par faire part à monsieur le rapporteur de notre conviction très ferme qu’une partie de la solution réside dans la traçabilité de la production agricole, et la confiance que nous avons tous dans cette forme de patriotisme des Français, qui préfèrent consommer les produits provenant de leur pays. Encore reste-t-il à trouver un terrain d’entente sur la terminologie. Comme vous l’avez dit, ce texte anticipait les décisions qui ont été annoncées hier.
De notre point de vue, il semble préférable de soutenir la voie réglementaire annoncée par le ministre de l’agriculture. M. Le Foll a indiqué très clairement sa décision de prendre un décret et de le notifier immédiatement à l’Europe, de façon que le principe du « Né, élevé, abattu et transformé en France » soit immédiatement opérationnel, alors que le recours à la voie législative prendrait des mois. Dans un souci d’efficacité, il ne semble pas opportun d’ouvrir deux voies différentes pour aboutir au même résultat. La voie réglementaire semblant la plus rapide et la plus efficace, je vous propose que nous nous y tenions.
M. Damien Abad. Vous parlez de rapidité et d’efficacité, Monsieur Yves Blein, mais, si tout le monde partage cette préoccupation, pourquoi le décret auquel vous faites référence n’a-t-il pas été pris plus tôt ? Dans le cadre de l’examen de la loi de 2014 relative à la consommation dite « Hamon », Marc Le Fur et moi-même avions déjà déposé des amendements visant à renforcer l’étiquetage relatif à l’origine de la viande. Une mission de négociation était alors en cours avec l’Union européenne, qui était favorable à l’indication d’une origine européenne, et non nationale. Aujourd’hui, nous sommes minoritaires au sein de l’Union européenne pour ce qui est de la volonté d’avancer sur ce point, ce qui oblige la France à faire preuve de volontarisme. La question du moyen à employer - la loi ou le décret - reste posée, puisque les ministres qui se succèdent ne sont pas tous du même avis. Dans l’immédiat, nous allons, comme le rapporteur nous a invités à le faire, retirer les amendements CE22 et CE23, en attendant de pouvoir interroger le ministre en séance publique.
Les amendements sont retirés.
La commission rejette l’article 3.
Après l’article 3
La commission est saisie de l’amendement CE28 de M. Thierry Benoit.
M. Thierry Benoit. Parce qu’il ne signifie en rien que le produit alimentaire dont il est question est d’origine française, l’intitulé « Transformé en France » est trompeur. Pour que le consommateur ne soit pas induit en erreur, l’amendement propose d’interdire toute mention de ce type.
M. le rapporteur. Avis favorable.
M. Yves Blein. Mon opinion est autre. La difficulté tient à ce que l’intitulé « Transformé en France » ne s’applique pas uniquement à des productions agricoles. Le ministre a annoncé hier qu’un décret pris rapidement sécurisera toutes les productions alimentaires françaises ; cela rend d’une certaine manière ce débat caduc.
M. François Sauvadet. Comment cela ? Si vous êtes en mesure de nous indiquer ce que contiendra précisément le décret, faites-le. Si ce n’est pas le cas, l’Assemblée nationale est dans son rôle en soulignant qu’il convient d’éclairer le consommateur sur le fait qu’un produit alimentaire peut être dit « transformé en France » sans que cela garantisse son origine. Les signes distinctifs doivent avoir une signification pour les acheteurs. Que le Gouvernement fasse connaître ses intentions ; dans l’intervalle, le Parlement agit comme il le doit.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite les amendements identiques CE1 du rapporteur, CE2 de Mme Sophie Rohfritsch et CE25 de M. Éric Straumann.
Mme Sophie Rohfritsch. Qu’un produit bénéficie de la protection d’une indication géographique protégée (IGP) empêche d’utiliser la dénomination géographique ainsi protégée pour un produit similaire. Pour cette raison, les producteurs de la knack d’Alsace ont récemment renoncé à demander l’IGP : l’obtenir aurait eu pour conséquence que d’autres produits de charcuterie, tel le cervelas, n’auraient pu être vendus sous la dénomination « Alsace ». Le ministère et l’Institut national de l’origine et de la qualité ont admis que la définition de l’IGP devait être adaptée, la protection qu’elle procure étant maintenue. L’amendement CE2 clarifie ce qui doit l’être.
M. Éric Straumann. L’amendement CL25, qui a le même objet, va dans le sens souhaité par notre rapporteur, qui s’est beaucoup investi dans ce dossier. Le bon sens commande d’assouplir la définition de l’IGP de manière que la promotion de produits voisins des productions bénéficiant de cette protection ne soit pas entravée.
M. le rapporteur. Je rappelle les travaux faits à ce sujet par nos collègues Marie-Lou Marcel et Dino Cinieri dans le rapport d’information sur les signes d’identification de la qualité et de l’origine. Lors des auditions auxquelles j’ai procédé pour préparer le rapport, il m’a été dit que 3 % seulement des produits charcutiers français sont sous IGP, mais 23 % des produits charcutiers italiens ! Notre marge de progrès est donc considérable. L’exemple de la knack d’Alsace montre bien comment une interprétation excessivement frileuse du cadre européen de l’IGP dissuade nos producteurs de demander cette protection. Il faut débloquer cette situation d’urgence. Le ministre s’est engagé, à ses risques et périls, à définir et à appliquer un système d’identification des produits français, alors qu’un outil existe, validé par l’Union européenne, dont nous devrions nous saisir davantage. C’est ce à quoi incite l’amendement CE1.
M. Yves Blein. Nous adhérons à la démarche qui sous-tend ces amendements, mais, tels qu’ils sont rédigés, ils risquent d’amoindrir la protection conférée par l’IGP dans d’autres domaines que le secteur agroalimentaire. Aussi ne les soutiendrai-je pas en l’état, considérant qu’ils doivent être réécrits pour répondre à une exigence plus large.
La commission rejette les amendements.
Faciliter l’investissement et mieux gérer les risques financiers en agriculture
Article 4 : Faculté de report de l’échéance des emprunts finançant l’investissement en cas de crise agricole
La commission est saisie de l’amendement CE6 du rapporteur.
M. le rapporteur. L’amendement précise les modalités du report du paiement des échéances.
M. Yves Blein. Je ne suis pas favorable à l’amendement, non plus qu’à l’article 4. Les dispositions prévues risquent de renchérir les crédits proposés ; il ne me paraît vraiment pas que ce soit le bon moment.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle rejette l’article 4.
Article 5 (article L. 221-28 [nouveau] du code monétaire et financier) : Création d’un livret vert
La commission est saisie de l’amendement CE7 du rapporteur.
M. le rapporteur. Pour faciliter le financement de l’agriculture et du secteur agroalimentaire, le Sénat propose de créer un livret vert inspiré du livret A. Je ne suis pas certain que cette option soit la plus judicieuse au moment où la décollecte des livrets A s’accélère. L’amendement propose donc que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur le financement de ces secteurs, dans lequel il examinera en particulier la possibilité de recourir aux nouvelles formes de financement participatif.
M. Yves Blein. Comme le rapporteur, je pense inopportun de créer un support d’épargne dont on peut douter que, calqué sur un instrument qui connaît une désaffection marquée, il rencontre le succès souhaité. À cela s’ajoute que ce ne sont pas les liquidités qui font défaut, mais les capacités d’emprunt et de remboursement. C’est pourquoi je suis défavorable tant à l’amendement qu’à l’article 5.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle rejette l’article 5.
Article 5 bis : Rapport sur l’ouverture de prêts de carrière pour les jeunes agriculteurs
La commission rejette l’article 5 bis.
Article 6 (articles 72 D bis et 72 d ter du code général des impôts) : Simplification des conditions d’utilisation de la déduction pour aléas
La commission est saisie des amendements CE8 et CE9 du rapporteur, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.
M. le rapporteur. Pour tenir compte des dispositions plus favorables de l’article 35 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, qui a assoupli le régime applicable à la déduction pour aléas, l’amendement CE8 tend à supprimer les alinéas 3 à 11.
L’amendement CE9 est un amendement de coordination avec le précédent.
La Commission rejette successivement les amendements.
M. Yves Blein. Comme l’a indiqué le rapporteur, la déduction pour aléas a été révisée il y a un mois à peine, après une ample concertation avec les intéressés. Laissons la réforme s’appliquer au lieu de prétendre la modifier avant que l’on puisse en mesurer les effets. Pour cela, supprimons l’article.
La commission rejette l’article 6.
Article 6 bis (article L. 330-1 du code rural et de la pêche maritime) : Obligation d’assurance contre les risques climatiques pour les jeunes agriculteurs
La commission rejette l’article 6 bis.
Article 6 ter (article 244 quater LA [nouveau] du code général des impôts) : Instauration d’un crédit d’impôt pour la mise en place d’assurances couvrant l’approvisionnement ou la livraison des produits de l’exploitation
La commission rejette l’article 6 ter.
Article 7 (article 39 decies du code général des impôts) : Extension du mécanisme de suramortissement aux coopératives et aux bâtiments et installations de magasinage et de stockage de produits agricoles
La commission examine l’amendement CE11 du rapporteur.
M. le rapporteur. Le dispositif prévu aux alinéas 1 à 9 ayant été adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2016, il convient de supprimer ces alinéas redondants.
La commission rejette l’amendement.
M. Yves Blein. De nombreuses mesures figurant dans le texte qui nous est soumis ont été prises dans la loi de finances pour 2016 — ainsi du suramortissement désormais possible pour les associés coopérateurs des coopératives d’utilisation de matériel agricole. Une nouvelle fois, il est proposé de modifier un mécanisme de création trop récente pour que son effet soit déjà quantifiable. J’en appelle à votre sagesse : évitons d’alimenter la surabondance de textes dont se plaignent nos concitoyens !
Mme Jeanine Dubié. Pour ce qui nous concerne, nous saluons la volonté du rapporteur d’actualiser le texte du Sénat pour tenir compte des mesures adoptées dans la loi de finances rectificative pour 2015 et dans la loi de finances pour 2016.
La commission rejette l’article 7.
Alléger les charges qui pèsent sur les entreprises agricoles
Article 8 (article L. 515-27-1 [nouveau] du code de l’environnement) : Alignement des seuils prévus par la législation nationale sur les seuils européens en matière d’autorisation des installations classées d’élevage
La commission est saisie de l’amendement CE15 du rapporteur.
M. le rapporteur. Il s’agit de distinguer, pour le seuil d’application du régime d’autorisation, les installations en vaches laitières de celles des autres bovins.
M. Yves Blein. Lors du débat au Sénat, le Gouvernement a indiqué qu’une concertation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement est engagée avec les professionnels. Ne légiférons pas de manière arbitraire sans même attendre que les discussions en cours ne débouchent sur un consensus.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle rejette l’article 8.
Après l’article 8
La commission est saisie de l’amendement CE13 de M. Dino Cinieri.
M. Dino Cinieri. L’objectif de l’amendement est limpide : éviter que les agriculteurs soient empêchés de travailler. Avec 56 000 emplois, 1,5 million de tonnes produites et 650 000 tonnes exportées, la pomiculture française est une de nos fiertés nationales. Mais cette bonne santé apparente est trompeuse, car la réglementation est si étouffante que produire des pommes relève de plus en plus du parcours du combattant. J’en donnerai un seul exemple : les pomiculteurs ont l’interdiction de cueillir une pomme sur un escabeau, sur une échelle ou même sur un marchepied, et doivent se servir de plateformes élévatrices. Il y a fort à parier que les auteurs de ces remarquables prescriptions n’ont pas souvent mis le pied dans une pommeraie.
Par ailleurs, la réglementation - spécifiquement française - relative aux traitements phytosanitaires découlant de l’arrêté du 12 septembre 2006 est ainsi conçue que la production d’un verger témoin a été entièrement perdue. En effet, après un traitement phytosanitaire, il est interdit à toute personne d’entrer dans les vergers avant six, vingt-quatre ou quarante-huit heures, en fonction de la molécule utilisée et de la vitesse du vent. Adopté avec le souci légitime de protéger la santé des agriculteurs et de leurs salariés, cet arrêté plonge les producteurs dans l’impasse : dans certains cas, maladies et ravageurs se développent et peuvent détruire toute la récolte ; dans d’autres cas, ces délais obligatoires retardent irrémédiablement les tâches à accomplir.
Réaliste, une réglementation est applicable. Mais, lorsqu’elle est irréaliste, comme celle que je vous ai décrite, elle peut être très dangereuse pour les producteurs et pour l’économie nationale. C’est ce que l’amendement tend à empêcher.
M. le rapporteur. Avis très favorable à l’amendement « escabeau ». Il y a vraiment matière à améliorer la réglementation - je citerai notamment celle qui restreint sévèrement les tâches qui peuvent être confiées aux apprentis - et nous devons avancer rapidement. Je suis plus réservé sur la deuxième partie de l’amendement : il concerne la réglementation phytosanitaire, que nous pouvons difficilement remettre en cause au détour d’un amendement. Je vous suggère donc de représenter en séance publique l’amendement scindé.
L’amendement est retiré.
Article 8 bis A : Obligation pour toute norme nouvelle d’en abroger une antérieure
La commission est saisie de l’amendement CE27 de M. Thierry Benoit.
M. Thierry Benoit. En mars 2013, le Président de la République a annoncé un « choc de simplification » dont on ne voit guère les effets. L’amendement propose donc, pour chaque norme nouvelle adoptée, la suppression obligatoire de deux normes antérieures. Ainsi parviendrait-on réellement au résultat escompté.
M. le rapporteur. Avis très favorable.
M. Yves Blein. La surenchère est inutile quand les faits s’imposent. Nous avons auditionné hier Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification. Elle nous a dit l’étendue des chantiers en cours et a démontré l’efficacité de l’action entreprise. La simplification de l’État s’impose à tous et en tous lieux, si bien que le nombre de normes supprimées pour une nouvelle adoptée est parfois largement supérieur à deux. Nous ne soutiendrons donc pas un article qui n’est rien d’autre qu’une déclaration d’intention.
Mme la présidente Frédérique Massat. Mme la secrétaire d’État nous a transmis un document très volumineux sur lequel figure l’état d’avancement de la simplification. Je rappelle d’autre part qu’un agriculteur siège au Conseil de la simplification pour les entreprises. La communication en ce domaine est compliquée et nous souhaiterions tous aller plus vite, mais les avancées sont réelles.
M. Arnaud Viala. Je déplore que l’amendement soit ainsi écarté, car l’agriculture souffre d’un empilement de normes et de réglementations départementales, régionales, nationales et européennes hors du commun, et les exploitants ne voient venir aucun allègement. Comment leur dire, alors qu’ils manifestent à nouveau dans la rue, que l’on ne fera rien de plus ?
Mme Laure de La Raudière. Pour être membre du Conseil de la simplification pour les entreprises, comme vous l’avez été, Madame la présidente, je constate que les méthodes de travail y sont intéressantes, mais je tempérerai ce propos par deux observations. D’une part, les mesures de simplification concernent peu l’agriculture, ce qui dit la pertinence de l’amendement. D’autre part, Mme la secrétaire d’État nous a fait part du nombre de simplifications entrées en vigueur, mais elle ne nous a rien dit du « flux entrant », ministère par ministère. Le Conseil de la simplification pour les entreprises devrait mettre les deux nombres en regard pour vérifier que l’on simplifie véritablement — et je pense que ce n’est toujours pas le cas, et que l’on continue, en légiférant, de créer plus de normes et de réglementations qu’on n’en supprime.
M. Thierry Benoit. Dans le secteur agricole et agroalimentaire, il existe un extraordinaire décalage entre les textes voulus par le législateur et leur interprétation par les services déconcentrés de l’État. Il en résulte une complexité singulière qui nuit à l’activité des éleveurs et des agriculteurs. S’ils manifestent leur désespoir et leur désarroi, c’est bien sûr en raison de l’érosion constante de leur revenu, mais aussi d’une complexité légale et réglementaire devenue invivable. J’ai assisté, en Ille-et-Vilaine, à une assemblée générale d’éleveurs de chevaux de trait, au cours de laquelle des représentants de l’administration sont venus livrer leur interprétation, absolument indigeste, de textes réglementaires. Ce n’est pas ainsi que nous réconcilierons nos concitoyens avec l’action publique. Voilà pourquoi je maintiens l’amendement.
M. Yves Blein. Notre collègue Thierry Benoit a bien décrit les maux dont nous souffrons : les interprétations des intentions du législateur et du Gouvernement et l’ajout, parfois, de dispositions qui ne figuraient pas dans le texte initial. Cela étant, l’utilité de l’amendement n’a pas été démontrée : alors que l’on parle de manière si véhémente de supprimer des normes, est-ce bien le moment d’en créer une nouvelle ? Les errements éventuels de l’administration n’en seront pas réglés pour autant. Exerçons nos responsabilités respectives, et veillons à ce que les intentions premières du législateur ne soient pas dévoyées ou complétées par des interventions qui n’ont pas lieu d’être.
M. Thierry Benoit. Puis-je rappeler une fois encore que le Président de la République lui-même a exprimé la volonté d’un « choc de simplification » ?
La commission rejette l’amendement.
Puis elle rejette l’article 8 bis A.
Article 8 bis (article L. 122-3 du code de l’environnement) : Application des normes européennes en matière d’études d’impact dans le secteur agricole jusqu’en 2019
La commission rejette l’amendement de précision CE10 du rapporteur.
Puis elle rejette l’article 8 bis.
Après l’article 8 bis
La commission est saisie de l’amendement CE19 du rapporteur.
M. le rapporteur. L’amendement répond en quelque sorte à la préoccupation exprimée par Monsieur Yves Blein, en demandant que le préfet de la région coordonne l’action des services déconcentrés de l’État.
M. Yves Blein. Ne vous semble-t-il pas exagéré de prétendre rappeler dans la loi ce que la loi dit du rôle des préfets ?
La commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CE18 du rapporteur.
M. le rapporteur. Simplifions donc gaiement : cet amendement vise à modifier les articles L. 214-4 et L. 512-2 du code de l’environnement qui fixent les modalités applicables aux enquêtes publiques relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement. Je propose tout simplement de remplacer l’enquête publique par une consultation du public.
En effet, le code de l’environnement prévoit qu’une même procédure soit appliquée à tous les types d’installation, qu’il s’agisse d’une centrale nucléaire ou d’une porcherie ; cela me semble disproportionné.
D’autre part, l’enquête publique s’accompagne de nombreuses démarches administratives qui, en cas de contestation des résultats de l’enquête, provoquent bien souvent l’annulation de l’autorisation pour vice de forme, de sorte que les critères déterminants n’ont plus trait au fond, mais à la forme.
Pour simplifier ce dispositif et le faire passer à l’ère numérique, je vous propose donc de procéder à des consultations du public en lieu et place des enquêtes, le reste de la procédure demeurant inchangé - c’est naturellement au préfet qu’il reviendra, après analyse des résultats de l’enquête, de délivrer ou non les autorisations demandées.
M. Yves Blein. À ce stade, il ne me semble pas utile de remplacer les enquêtes par des consultations. La procédure en vigueur est connue ; en quoi serait-elle allégée si elle se changeait en consultation ? S’il fallait revenir sur l’enquête publique, alors c’est l’ensemble du dispositif qu’il faudrait revoir - la question serait légitime, en effet. En l’espèce, elle est envisagée par le petit bout de la lorgnette.
M. Damien Abad. Êtes-vous, Monsieur Yves Blein, le porte-parole du groupe socialiste ou celui du Gouvernement ? En tout état de cause, vous vous faites l’incarnation de la technocratie. L’enquête publique serait une question négligeable et mieux vaudrait laisser les procédures suivre leur cours habituel, nous dites-vous ; dans ce cas, ne nous servez pas un couplet sur la simplification administrative, comme vous venez de le faire il y a quelques instants ! S’il y a une procédure qui gêne tous les producteurs, tous les exploitants et de nombreux autres professionnels, c’est bien celle de l’enquête publique, qui dure plusieurs mois ! S’il y a un domaine dans lequel la simplification administrative peut progresser, c’est bien celui-là !
Je comprends que mes collègues du groupe majoritaire doivent voter comme un seul homme, mais je les alerte sur le fait qu’il faudra bien, lors des tables rondes agricoles qui se déroulent dans leurs circonscriptions, expliquer aux uns et aux autres qu’ils sont favorables au maintien de la procédure d’enquête publique dans les exploitations agricoles ! Voici pourtant une mesure concrète de simplification administrative. Les divergences d’opinions peuvent naturellement se concevoir à propos de tel ou tel autre amendement, mais, en l’occurrence, chacun - tous ceux qui sont sur le terrain, tout au moins - convient que la procédure d’enquête publique est coûteuse, bien souvent illégitime et surtout source de complexité. S’il ne fallait avancer que sur un seul chantier, ce serait celui-là !
En clair, c’est un excellent amendement. Je regrette que nous ne puissions nous prononcer par scrutin public, car cela permettrait à chacun de prendre ses responsabilités.
M. Yves Blein. Rassurez-vous, Monsieur Damien Abad : je pense tout seul et ne vais pas chercher mes idées ici ou là. Sans doute n’avez-vous pas écouté la réponse que j’ai faite à monsieur le rapporteur : s’il nous avait proposé d’alléger et de toiletter l’ensemble du dispositif d’enquête publique, il aurait certainement suscité l’unanimité de la commission. En revanche, le simple remplacement qu’il propose ne changerait pas la face du monde et ne modifierait pas l’équilibre général de l’enquête publique. Nous sommes tout à fait prêts à travailler sur une refonte générale du mécanisme d’enquête publique, mais ne le modifier que dans un domaine parmi d’autres ne constitue pas une mesure opérante.
M. Damien Abad. Si nous avions formulé une proposition portant sur le dispositif dans son ensemble, vous nous auriez accusés de vouloir faire passer un cavalier législatif qui n’aurait pas sa place dans une loi sur la compétitivité de l’agriculture. Il ne s’agit là que d’un premier pas et, sur ce sujet, nous travaillons par secteur - car la « sectorisation » n’est pas un gros mot. En affirmant sa volonté unanime de revoir l’enquête publique et en faisant de l’agriculture un exemple, le législateur permettrait que s’enclenche ainsi une approche globale de la question. Il arrive que la politique des petits pas permette in fine de faire un grand pas. Monsieur Yves Blein emploie de faux arguments et se cache derrière des artifices juridiques pour esquiver la réalité, qui est celle-ci : cet amendement de bon sens est soutenu par tous les acteurs concernés et nous devrions le soutenir ensemble pour illustrer la volonté qu’a le législateur d’avancer dans ce sens.
M. Arnaud Viala. Il n’existe pas en France une seule préfecture où les parlementaires de tous bords ne se sont pas mobilisés pour faire avancer des procédures relatives aux ICPE agricoles qui sont souvent très longues, au point qu’elles finissent par dissuader les porteurs de projet lorsque l’autorité politique ne s’implique pas pour arrondir les angles. Je ne comprends donc pas du tout la posture du groupe majoritaire.
Quant à la vision plus générale que vous appelez de vos vœux, comme sur tous les articles du texte - que vous démantelez intégralement -, nous l’attendons toujours. Voici quatre ans, en effet, que nous attendons les mesures globales qui permettront aux différents secteurs économiques du pays de constater que vous agissez pour répondre à leurs attentes.
M. le rapporteur. Monsieur Yves Blein me semble cerné par les arguments de l’opposition et le silence de la majorité, mais surtout par la réalité du terrain. Nous savons parfaitement que, pour répondre à la crise, il faudra améliorer la structure des exploitations agricoles et moderniser les bâtiments, ce qui suscitera des demandes d’autorisation et de permis de construire. S’il faut deux, voire trois ans pour y répondre, les agriculteurs seront morts avant.
C’est pourquoi je vous propose d’alléger les procédures sans remettre en cause leur esprit. En outre, Monsieur Yves Blein me reprochait d’aborder un sujet relevant du domaine réglementaire, et non du domaine de compétence du législateur ; je vous apporte ici la preuve que, pour faire notre travail de parlementaire, nous pouvons aussi trouver des accroches législatives, ce que je fais avec cet amendement.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle se saisit de l’amendement CE20 du rapporteur.
M. le rapporteur. Les agriculteurs nous indiquent que la surface nécessaire à l’épandage des effluents a été étendue d’un trait de plume à partir du 1er janvier. Ayons soin de ne pas laisser une réglementation dériver hors de tout contrôle. Je propose donc que l’article du code de l’environnement qui la fixe fasse mention de son impact économique.
La commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CE24 du rapporteur.
M. le rapporteur. D’une saveur toute différente, cet amendement a de quoi faire plaisir à M. Blein puisqu’il se contente de proposer la présentation d’un rapport. Simple gesticulation, il illustre une forme d’impuissance des parlementaires qui nous est tant reprochée dans les urnes. Par dépit, je le retire.
L’amendement est retiré.
Article 9 (articles L. 731-13-3 et L. 741-15-1 [nouveaux] du code rural et de la pêche maritime, article L. 241 13 du code de la sécurité sociale) : Exonération de cotisations sociales des employeurs relevant du régime de la protection sociale agricole
La commission se saisit de l’amendement CE33 de M. Bernard Reynès.
M. Bernard Reynès. La mission parlementaire sur les « enjeux du coût de la main-d’œuvre dans le secteur de la production agricole », conduite en 2010, avait proposé d’éviter l’effet de « trappe à bas salaires » et, pour encourager les exploitants agricoles à mieux rémunérer leurs salariés permanents, de suivre des recommandations, formulées dès 2001, qui consistaient à alléger les charges sans dégressivité jusqu’à 1,2 SMIC.
Cette proposition avait été formulée en son temps avec l’ensemble de la profession agricole, mais aussi en lien avec la commission des finances, alors représentée par M. Charles de Courson. Je la renouvelle aujourd’hui par cet amendement.
Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CE34 de M. Bernard Reynès.
M. Bernard Reynès. Sur le même principe, la mission de 2010 avait prôné la dégressivité de l’exonération de cotisations sociales des rémunérations comprises entre 1,2 et 1,6 SMIC. Cet amendement doit permettre d’inciter la profession agricole - en particulier la filière des fruits et légumes - à embaucher, car c’est une nécessité absolue.
Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Puis elle passe à l’amendement CE16 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement complète une disposition issue du Sénat et vise à préciser que les couvertures sociales sont maintenues malgré les exonérations de cotisations.
M. Yves Blein. L’article 9 vise à réinstaurer un dispositif qui n’a jamais été appliqué parce qu’il n’est pas conforme au droit européen ; la précédente majorité l’avait déjà adopté sans jamais le mettre en œuvre pour la même raison. Les choix qui ont été faits depuis lors ont permis d’aider les entreprises par d’autres biais, qu’il s’agisse du pacte de responsabilité et du CICE ou des allégements supplémentaires spécifiquement consacrés depuis 2012 au secteur de la production agricole, qui représentent pour la nation une dépense de l’ordre de 800 millions d’euros. Nous ne voyons donc pas l’utilité de réintroduire dans la loi une disposition qui a déjà été testée sans jamais être appliquée.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CE17 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement répond à l’argumentation de Monsieur Yves Blein, puisqu’il précise que l’article 9 ne s’applique que dès lors que la Commission européenne a confirmé sa compatibilité avec le droit européen. J’ajoute que, concernant ce que l’on a appelé la « TVA emploi », le Président de la République a récemment battu sa coulpe en regrettant de l’avoir abrogée. Il n’est pas trop tard pour nous rassembler tous autour de ce sujet et le remettre à l’ordre du jour.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle rejette l’article 9.
Après l’article 9
La commission examine l’amendement CE32 de M. Thierry Benoit.
M. Thierry Benoit. Cet amendement vise à permettre aux travailleurs agricoles indépendants - qui représentent 10 % de la force de travail de la France - de bénéficier des exonérations de charges du CICE. Le CICE a une vocation universelle et s’applique à l’ensemble des entreprises, quels que soient leur statut juridique et leur mode d’imposition. Il a été créé pour favoriser l’emploi et le retour à la compétitivité de nos entreprises. Or une catégorie d’acteurs économiques n’y a pas accès : les travailleurs indépendants. Dans le secteur agricole, le fait qu’ils ne puissent pas en bénéficier est une source d’injustice flagrante. Ces travailleurs sont en effet des acteurs de notre économie comme les autres et contribuent au développement de l’agriculture, au retour de la croissance ainsi qu’à l’affirmation et à la consolidation de la compétitivité agricole.
M. le rapporteur. Il semble que cette disposition figure déjà plus loin dans le texte et qu’il ne soit pas utile de créer un article nouveau.
M. Thierry Benoit. Cet amendement a été examiné au Sénat avant d’être rejeté à une courte majorité. C’est ce qui motive sa présentation.
M. le rapporteur. Soit ; avis favorable, même si le rapport de force me semble encore plus défavorable qu’au Sénat.
M. Yves Blein. Le CICE s’inscrit dans un dispositif global, le pacte de responsabilité, qui comporte des mesures particulières destinées aux travailleurs indépendants, lesquels - cela ne nous a pas échappé - doivent également bénéficier de l’effort d’allégement de charges que la nation consent en faveur des entreprises et des entrepreneurs, dont ils font naturellement partie. Ils bénéficient également de la baisse des cotisations familiales qui s’applique à l’ensemble des entreprises, y compris les travailleurs indépendants, depuis le 1er janvier 2015. Dans ces conditions, ils sont placés sur un pied d’égalité par rapport aux autres entrepreneurs au regard de l’objectif d’allégement de charges fixé par le Gouvernement et la majorité.
La commission rejette l’amendement.
Article 9 bis (article 244 quater C du code général des impôts) : Application du crédit d’impôt compétitivité emploi aux exploitations agricoles
La commission rejette l’article 9 bis.
Article 10 (article L. 731-13 du code rural et de la pêche maritime) : Allongement de la période de bénéfice de l’exonération de cotisations sociales en faveur des jeunes agriculteurs
La commission rejette l’article 10.
Article 11 : Possibilité exceptionnelle de révocation de l’option de calcul des bénéfices agricoles sur la base de la moyenne triennale
La commission rejette l’article 11.
Article 11 bis (article 1394 D [nouveau] du code général des impôts) : Exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour les soixante premiers hectares de chaque exploitation
La commission rejette l’article 11 bis.
Article 12 (article L. 611-1 du code rural et de la pêche maritime) : Plan de simplification en agriculture
La commission rejette l’article 12.
Après l’article 12
La commission examine l’amendement CE26 de M. Thierry Benoit.
M. Thierry Benoit. Nous sommes favorables aux contrôles, mais ceux-ci doivent être coordonnés et fondés sur le principe de la confiance. Les contrôles administratifs, environnementaux et sanitaires pourraient se résumer à un contrôle par an ; c’est le sens de cet amendement. Il existe aujourd’hui une profusion de contrôles. Or les exploitants agricoles français figurent parmi les meilleurs du monde et d’Europe. Si les contrôles doivent avoir pour but d’élever la production vers l’excellence agricole et alimentaire, alors il faut les simplifier et les coordonner, plutôt que les multiplier dans un climat de suspicion ; il faut aussi bannir les comportements visant à chercher la faille à tout prix. Un contrôle coordonné par an devrait suffire.
M. le rapporteur. Il conviendrait d’une part de préciser que le seuil d’un contrôle par an n’est pas un plancher : il peut s’en produire moins souvent.
M. Thierry Benoit. Au contraire, c’est un plafond.
M. le rapporteur. La précision est importante. Deuxième remarque : je constate que vous n’avez pas pris le soin de faire cosigner cet amendement par la présidente Frédérique Massat, qui y aurait d’autant plus adhéré que vous vous êtes vraisemblablement inspiré du rapport de la mission parlementaire qu’elle a animée. Cela aurait peut-être permis à Monsieur Yves Blein et à ses collègues de la majorité d’accepter enfin l’un de nos amendements. Pour ma part, je suis tout à fait favorable à celui-ci.
Mme la présidente Frédérique Massat. La mission que nous avons conduite sur les contrôles a duré plus de six mois et nous a permis de travailler intelligemment sur le terrain. Comme l’indique le rapport de la mission, les contrôles sont de natures diverses : il existe des contrôles de niveau européen qui sont dus au versement des aides de la politique agricole commune, dont personne ne conteste la légitimité ; une multitude d’autres contrôles sont conduits au titre de différentes activités. Aujourd’hui, nous sommes parvenus à instaurer un système fondé sur le dialogue, où les agriculteurs et les organismes professionnels travaillent en bonne intelligence avec les services départementaux et ceux de l’État, au point, parfois, d’ôter toute raison d’être aux contrôles – ainsi, il est proposé dans certains cas de remplacer les contrôles sur place par des contrôles sur pièces.
En clair, nous avançons dans ce domaine. Le Premier ministre a pris une circulaire pour rationaliser le dispositif. À titre personnel, je ne suis donc pas favorable à cet amendement, même si l’avis du rapporteur prime.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle examine l’amendement CE14 du rapporteur.
M. le rapporteur. Cet amendement prospectif vise à ce que le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la gestion des données agricoles de masse. Nous venons d’examiner le projet de loi pour une République numérique, qui aborde cette question ; d’autre part, notre commission a ce matin même créé une mission sur les objets connectés. Aujourd’hui, les agriculteurs, qu’ils soient cultivateurs ou éleveurs, utilisent de nombreux outils de collecte de données qui peuvent susciter non seulement notre intérêt, mais aussi celui, hélas, de concurrents étrangers. Dès lors qu’elles sont collectées, traitées et interprétées, ces données peuvent constituer une source d’informations particulièrement sensibles. Le moment me semble venu de nous pencher sur la dimension agricole de cette question.
M. Yves Blein. Le Premier ministre a annoncé la création au 1er janvier 2017 d’un portail qui regroupera l’ensemble des données relatives à l’agriculture ; la question nous semble donc réglée.
M. le rapporteur. Je ne crois pas que le portail pourra couvrir la question dans son intégralité, car il ne permettra de consulter que les données publiques en libre accès. Or chaque moissonneuse-batteuse, chaque tracteur agricole est doté de logiciels d’enregistrement interne qui sont exploités tantôt par le constructeur, tantôt par le service de maintenance et qui peuvent constituer des sources de données qui ne figureront pas dans le portail en question et dont nous devrions définir le statut, la propriété et les usages possibles.
Mme la présidente Frédérique Massat. Je comprends votre préoccupation, mais la mission qui vient d’être créée pourra élargir son spectre et travailler plus largement avec le Parlement et le Gouvernement afin d’éviter les dangers que vous indiquez.
La commission rejette l’amendement.
Dispositions finales
Article 13 : Gage
M. Yves Blein. Nous observerons avec attention le vote sur cet article, afin de savoir qui se prononce en sa faveur, autrement dit, qui vote en faveur d’une hausse d’impôts.
La commission rejette l’article 13.
L’ensemble des articles ou des amendements portant articles additionnels ayant été rejetés ou supprimés, la proposition de loi est rejetée.
Informations relatives à la commission
La commission a procédé à la création d’une mission d’information sur les objets connectés et a nommé Mmes Corinne Erhel et Laure de la Raudière co-rapporteures de cette mission.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 27 janvier 2016 à 9 h 30
Présents. – M. Damien Abad, M. Frédéric Barbier, Mme Ericka Bareigts, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Marcel Bonnot, M. Christophe Borgel, M. Jean-Claude Bouchet, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Franck Gilard, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Yves Jégo, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. François Pupponi, M. Bernard Reynès, M. Franck Reynier, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier
Excusés. – Mme Brigitte Allain, M. Bruno Nestor Azerot, M. Denis Baupin, Mme Anne Grommerch, M. Thierry Lazaro, M. Philippe Le Ray, M. Serge Letchimy, Mme Josette Pons, M. Thierry Robert, M. Jean-Marie Tetart, Mme Catherine Vautrin
Assistaient également à la réunion. – Mme Valérie Lacroute, M. Paul Molac, Mme Sophie Rohfritsch, M. Paul Salen, M. Arnaud Viala