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Commission des affaires économiques

Mardi 16 février 2016

Séance de 21 heures 30

Compte rendu n° 51

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

–  Audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur le projet de décret en Conseil d’État relatif à l’étiquetage des produits transformés

La commission a procédé à l’audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, sur le projet de décret en Conseil d’État relatif à l’étiquetage des produits transformés.

Mme la présidente Frédérique Massat. Monsieur le ministre, le 4 février dernier, vous vous étiez engagé à revenir devant notre commission présenter le projet de décret en Conseil d’État relatif à l’étiquetage des produits transformés. Nous aimerions également vous entendre à propos de ce qui s’est passé depuis cette date : votre rencontre du 12 février avec les acteurs de la transformation et de la distribution, le conseil européen des ministres de l’agriculture qui a eu lieu le 15, et l’ensemble des démarches que vous avez entreprises.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. En effet, au moment de l’examen de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, je me suis engagé à faire suivre le débat parlementaire d’une discussion ici même, afin de vous montrer qu’il existe dans ce domaine des points d’accord entre nous et que les engagements du Gouvernement permettent d’atteindre les objectifs du texte, même si celui-ci a été rejeté.

Cette proposition de loi posait tout d’abord la question de la compétitivité. Celle-ci fait vivement débat, ce que je comprends pour avoir personnellement constaté les difficultés que rencontrent l’agriculture et l’industrie agroalimentaire. Cette question a fait l’objet de plusieurs rapports qui sont disponibles au ministère de l’agriculture. Au cours de la discussion du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, M. Antoine Herth nous a souvent fait le reproche de ne pas parler de compétitivité. J’aimerais donc faire quelques mises au point à ce sujet.

En 2012, les allégements de cotisations patronales dans le secteur agricole représentaient au total 1,046 milliard d’euros. En 2014, avec l’instauration du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), les allégements de charges sont passés à 1,294 milliard. En 2015, avec le pacte de responsabilité et les baisses de cotisations individuelles des exploitants – je laisse de côté la suppression progressive de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui concerne les coopératives –, ont été portés à 1,710 milliard. En 2016, ils atteindront 1,780 milliard et, en 2017, 1,814 milliard. Si l’on ajoute l’industrie agroalimentaire où ils représentent 1,8 milliard en 2016 et 2 milliards en 2017, leur montant total dans le secteur atteint quelque 4 milliards d’euros, soit un peu moins que le budget de mon ministère : voilà qui donne la mesure de l’effort accompli.

J’aimerais illustrer les conséquences de ces allégements par quelques exemples qui seront publiés demain dans un article de la rubrique « Désintox » de Libération. Cet article a été préparé avec la Fédération nationale des producteurs de fruits, donc avec des professionnels du monde agricole, exploitation par exploitation, ce qui met les chiffres cités à l’abri de tout soupçon. Il s’agit de comparer la baisse de cotisations sociales qu’aurait permis d’obtenir la TVA sociale, si celle-ci avait été mise en œuvre sous la forme prévue à la fin de la précédente législature, avec celle qui résulte de la combinaison du CICE et du pacte de responsabilité. Avec la TVA sociale, Robert, saisonnier au SMIC, aurait coûté à son employeur 1 692 euros, contre 1 645 euros sous l’effet conjugué du CICE et du pacte de responsabilité, soit 47 euros de différence – à peine 2,8 %. Prenons Chantal, permanente au SMIC : dans l’hypothèse d’une TVA sociale, son coût pour l’employeur serait de 1 631 euros ; avec le CICE et le pacte de responsabilité, il atteint 1 594 euros, soit 37 euros de moins. Soient maintenant un permanent et 45 saisonniers dans une exploitation de 21 hectares de pêches, nectarines et abricots : dans la première hypothèse, le coût est de 79 989 euros ; dans la situation actuelle, il tombe à 77 426 euros, ce qui représente une différence de 2 000 euros environ ou de 3,2 %. Quant au calcul du coût pour l’employeur de 3 permanents et 70 saisonniers, dont 7 chefs d’équipe, dans une exploitation de 38 hectares de pommiers, il aboutit à 117 428 euros dans le premier cas, à 113 614 dans le second : la baisse atteint cette fois environ 3 000 euros et 3 %.

Ces chiffres ne viennent pas du ministère de l’agriculture, mais le hasard de leur publication fait bien les choses : elle me donne l’occasion de vous confirmer ce soir que l’effet de nos allégements de charges dans le secteur est équivalent à celui qu’aurait produit la TVA sociale ; bref, dans ce débat sur les baisses de charges, nous avons l’avantage.

Au total, en matière de compétitivité, les efforts du Gouvernement sont déjà substantiels. D’autres chiffres concernant les cotisations vont être annoncés demain. Ils compléteront le dispositif actuel, lequel est parfaitement logique eu égard à une perte de compétitivité qui fait l’objet d’un débat récurrent et qui a indiscutablement coûté très cher au secteur agricole et agroalimentaire français. Pour que ce débat soit mené de manière objective, il convient de tenir compte des chiffres que je viens de vous donner.

La proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture proposait une baisse de charges sur trois postes : les cotisations individuelles, l’impôt sur le revenu et enfin les cotisations sur le travail permanent, une idée chère à M. Charles de Courson. Ces diminutions de charges étaient gagées sur une hausse de la TVA et de la contribution sociale généralisée (CSG). Que dire des implications fiscales d’un tel dispositif quand la TVA sociale – moins efficace que nos mesures, je viens de le montrer – supposait déjà une hausse de TVA de trois points –, c’est-à-dire une hausse d’impôt ?

Second problème posé par cette proposition de loi, les baisses de cotisations sur le travail permanent s’appliquaient au seul secteur agricole, ce qui est contraire à la réglementation européenne. Telle est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons dû remettre en cause à notre arrivée les allégements issus d’une proposition de M. Charles de Courson : nous avons préservé les exonérations sur le travail saisonnier, mais ce que nous avons obtenu au niveau européen ne nous a pas permis de les étendre au travail permanent.

Néanmoins, les chiffres sont là, et demain le Premier ministre mettra de nouvelles propositions sur la table pour poursuivre cet effort que notre perte de compétitivité rendait nécessaire : il fallait agir, car une partie de l’activité agricole et agroalimentaire française était en train de disparaître. C’était l’un des enjeux des débats sur la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt comme sur la proposition de loi précitée.

J’en viens à la simplification et au fameux moratoire sur la « surtransposition » des normes. Je le dis très clairement, jamais il n’y a eu de surtransposition depuis que nous sommes arrivés au pouvoir en 2012. Assurément, des règlements européens ont été appliqués, lorsqu’il s’est agi de résoudre le problème de la mise en œuvre par la France de la directive Nitrates, qui était soumis à la Cour de justice de l’Union européenne avant même ma nomination. À cette fin, j’ai dû prendre plusieurs décisions qui ne constituaient pas une surtransposition, mais visaient à tenir compte du procès qui nous était fait pour nous conformer à la directive-cadre sur l’eau, qui date de 2000 mais reprend des dispositions antérieures.

Je suis allé jusqu’à négocier des mesures qui n’existaient pas jusqu’alors et qui sont très utiles aux éleveurs. Je songe en particulier à la possibilité de stocker les fumiers pailleux en plein champ, qui leur évite d’investir dans du béton, sachant que les délais d’épandage applicables en zone vulnérable obligent à stocker les effluents d’élevage. Cette possibilité a été obtenue dans le cadre des programmes d’action ; c’est essentiel. De même, grâce à la loi d’avenir, nous avons pu expérimenter en Bretagne un mécanisme qui permet d’utiliser l’excédent d’azote organique en remplacement de l’azote minéral. Cela nous a permis, je le rappelle devant les Bretons ici présents, de sortir pour la première fois plusieurs bassins versants des zones d’excédent structurel.

S’agissant des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), nous avons formulé des propositions de simplification des procédures qui ne remettent pas en cause les objectifs environnementaux. Nous avons ainsi instauré un régime d’enregistrement, intermédiaire entre la déclaration, qui est la procédure la plus simple, et l’autorisation, qui nécessite une enquête publique. Ce régime permet au préfet de mener sa propre enquête, de répondre aux injonctions et de satisfaire aux normes environnementales sans ouvrir d’enquête publique, ce qui fait gagner beaucoup de temps. Il fonctionne aujourd’hui de manière très satisfaisante dans la filière porcine, d’après les informations que me fournissent les préfets, particulièrement en Bretagne. Surtout, ce régime n’a pas suscité de recours, contrairement à ce que l’on pouvait craindre. Ainsi, selon le préfet des Côtes d’Armor, 90 dossiers d’enregistrement ont été déposés qui n’ont fait l’objet d’aucun recours et ont permis d’accélérer considérablement la mise en œuvre des projets. Nous avons donc étendu cette procédure aux volailles et nous allons l’étendre à la viande bovine, répondant ainsi à une demande très forte des professionnels, de sorte que toutes les filières seront couvertes.

Selon les conclusions d’une mission qui s’est rendue en Allemagne avec un vice-président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), si les délais officiels d’instruction des dossiers ICPE sont de douze mois en France et de sept mois en Allemagne, les délais constatés – à la fois par le ministère de l’agriculture, par celui de l’environnement et par les professionnels, représentés par l’APCA – vont jusqu’à deux ans en Allemagne, contre un an en France. Surtout, les coûts sont beaucoup plus élevés en Allemagne ; dans ce pays, les enquêtes publiques sont à la charge des exploitants qui déposent les dossiers.

Au total, loin de surtransposer, nous avons, au contraire, œuvré à une simplification des procédures que tous souhaitaient.

Nous avons aussi cherché à simplifier et à coordonner les contrôles. Sur ce sujet, la circulaire du Premier ministre du 31 juillet 2015 a repris 95 % des préconisations du rapport sur les contrôles des exploitations agricoles préparé par la présidente Frédérique Massat avec une directrice départementale des territoires et un président de chambre d’agriculture.

J’en viens au plan de soutien à l’élevage – un vrai sujet. Il mobilise fortement les services comme les professionnels de l’agriculture. Les cellules d’urgence installées en mars 2015 ont œuvré à mesure que les plans se succédaient et se complétaient. Les mesures incluent des baisses des cotisations à la mutualité sociale agricole (MSA), l’appel au fonds d’allégement des charges (FAC) et plusieurs remises fiscales. À ce jour, si l’on tient compte de l’ensemble des dispositions fiscales, sociales et bancaires, ce sont 246 millions d’euros qui ont été versés. Ils se décomposent comme suit. D’abord, 140 millions au titre du volet social : prise en charge de cotisations à la MSA, possibilité d’asseoir les cotisations sur les revenus de l’année n - 1 plutôt que des trois dernières années, abaissement de l’assiette minimale de la cotisation maladie. En ce qui concerne ensuite le FAC, qui permet la prise en charge des intérêts d’emprunt, 21 000 dossiers ont été traités, soit un peu plus de la moitié des 40 000 dossiers validés en cellule d’urgence départementale, et 75 millions d’euros ont été payés ; il restera donc à verser à peu près la même somme, ce qui porte la mobilisation du fonds à 150 millions environ. L’enveloppe complémentaire de 50 millions d’euros qui s’ajoute aux 100 millions initialement prévus a déjà été distribuée dans les régions. Quant aux remises fiscales gracieuses, en particulier sur la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB) et sur les autres impôts directs, elles ont conduit au versement de 31 millions d’euros, pour 70 000 dossiers déposés. Au total, il reste donc 165 millions à payer : le plan de soutien à l’élevage représente environ 400 millions d’euros.

Certains pourront considérer que c’est insuffisant. Mais en Bretagne, par exemple, ce sont 439 éleveurs porcins qui ont été aidés par l’intermédiaire du FAC et des prises en charge de cotisations MSA, pour une aide moyenne de 15 000 euros par élevage. Pour un éleveur laitier, l’aide moyenne est de 5 000 euros. J’ai choisi cette région parce qu’elle intéresse de nombreux députés et qu’elle connaît aujourd’hui de grandes difficultés.

J’en viens au conseil européen des ministres de l’agriculture. C’est la France qui a obtenu que l’on y aborde la crise agricole : l’ordre du jour formel des ministres de l’agriculture établi par la présidence néerlandaise ne prévoyait rien de tel, mais j’ai fait valoir à mon homologue néerlandais qu’une réunion des ministres européens de l’agriculture ne pouvait pas ne pas aborder cette crise qui sévit, non seulement dans notre pays, mais en Europe. Cela a été fait, de manière informelle, pendant deux heures et demie, au moment du déjeuner, ce qui a permis un tour de table assez large au cours duquel j’ai pu mesurer les difficultés auxquelles nombre de pays sont confrontés. Le commissaire européen à l’agriculture a constaté que la situation, dont il estimait en septembre qu’elle pouvait être résolue grâce aux 500 millions d’euros d’aide alors débloqués, était beaucoup plus grave qu’il ne l’avait anticipé, donnant ainsi raison au ministre français. Et, à la suite du conseil, il a adressé un courrier à tous les ministres européens de l’agriculture, invitant chacun à lui soumettre des propositions en vue du prochain conseil des ministres, prévu en mars, afin de dégager des solutions inédites et innovantes au niveau européen.

Je le répète, c’est une crise de marché massive que nous vivons, caractérisée par un excédent d’offre, en particulier dans les secteurs du lait et du cochon. Dans ce dernier secteur, l’excédent d’offre, qui existait déjà, a été aggravé par l’embargo russe – sur la levée duquel j’ai insisté dans le mémorandum que j’ai déposé ; mais je reviendrai sur ce sujet, qui fait débat. Aujourd’hui, l’excédent de porc représente 200 000 à 250 000 tonnes à l’échelle du marché européen, en tenant compte du potentiel d’exportation. Sur le marché du lait, la situation est encore pire. Alors que le prix est déjà bas à l’échelle mondiale, un processus totalement destructeur est à l’œuvre en Europe : selon une stratégie affichée, une quinzaine de pays continue de produire davantage, de sorte que la production laitière s’emballe ; et plus les prix sont bas, plus certains font du volume parce qu’ils croient ainsi compenser cette baisse, qu’ils ne font en réalité qu’alimenter. Je l’ai dit au conseil des ministres européens : on ne peut pas continuer ainsi.

Les instruments dont nous disposions pour réagir en pareil cas ne peuvent plus être mobilisés : le dépassement des quotas n’est plus sanctionné puisqu’il n’y a plus de quotas. Il sera donc difficile de trouver des moyens de maîtriser la situation et de signifier qu’il ne faut plus accroître la production, d’autant que les possibilités de l’écouler sur le marché international, en particulier chinois, ne sont pas au rendez-vous ou ne sont plus à la hauteur de ce que nous attendions il y a peu encore. Et ce n’est pas moi qui le dis : c’est l’Observatoire européen du marché du lait. La situation n’est pas tenable.

Je me suis efforcé de le rappeler et de faire en sorte que nous ayons à ce sujet une discussion très claire avec tous les pays européens. J’ai d’ailleurs constaté qu’une douzaine de pays étaient dans la même situation que nous, notamment en ce qui concerne le lait, et partageaient nos inquiétudes : l’Allemagne, l’Italie, la Pologne, la Belgique, le Portugal, l’Irlande, la Roumanie, la Bulgarie, la Lettonie, la Slovaquie, la Slovénie et Chypre. L’Espagne et la Pologne ont été particulièrement virulentes, car elles connaissent de très graves difficultés.

Le commissaire a compris cette situation et indiqué, lors de sa conférence de presse, qu’il retenait l’analyse que j’avais faite dès le mois de septembre. Il va donc travailler sur nos propositions et, je l’ai dit, a demandé à l’ensemble des États de lui en faire d’autres. Nous en ferons ; nous ne manquons pas d’idées.

J’en reviens au problème de l’embargo. Soyons honnêtes, il ne dépend pas du commissaire à l’agriculture mais du commissaire au commerce ; ce sera rappelé. Voici, très clairement, quels en sont les termes. Lorsque les Russes ont instauré un embargo sanitaire – je ne parle pas ici de l’embargo diplomatique –, c’était parce que des cas de peste porcine africaine avaient été détectés dans les pays Baltes. C’était certainement aussi une manière d’anticiper ce qui allait se passer en Ukraine quelques semaines plus tard – même si je ne dispose pas d’informations supplémentaires à ce sujet. C’est cet embargo qui est en vigueur aujourd’hui. Les Russes sont prêts à discuter de sa levée, mais ils ne veulent pas qu’elle s’applique à des pays concernés par la peste porcine africaine, ce qui exclut des pays frontaliers de la Biélorussie et de la Russie. En d’autres termes, il s’agirait d’appliquer le principe de régionalisation en limitant la levée aux pays indemnes. C’est ici que le débat devient plus difficile. En effet, les pays exclus estiment que, l’Europe négociant pour eux, la mesure devrait s’appliquer à tout le monde ou à personne. Nous devons réussir à leur faire accepter cette idée très simple : même si la mesure ne concerne que certains pays, sa mise en œuvre profitera à tous, car elle réduira le volume de produits porcins présents sur le marché européen en permettant d’en écouler une partie sur le marché russe. Ce débat est en cours. La France plaidera pour la levée de l’embargo sanitaire selon le principe de régionalisation.

En outre, j’ai demandé de nouvelles mesures d’aide au stockage privé du lait comme du porc. Je suis d’autant mieux placé pour le faire que les opérateurs français, en particulier bretons, sont ceux qui ont le moins recouru à cette possibilité jusqu’à présent, pour des raisons sur lesquelles nous pourrons revenir. À elles deux, l’Allemagne et l’Espagne ont stocké plus de 40 000 tonnes de porc, contre à peine 2 000 tonnes pour la France.

J’en viens au débat sur les prix, dans le cadre des négociations commerciales avec les grandes et moyennes surfaces. Je l’ai rappelé tout à l’heure dans l’hémicycle lors des questions au Gouvernement, des pressions ont été exercées sur l’ensemble des négociateurs présents dans les box d’achat – où il se passe bien des choses qui ne sont pas toujours acceptables du point de vue réglementaire, d’où la perquisition qui a eu lieu chez un grand distributeur et qui, d’après ce que l’on peut en savoir, devrait déboucher sur des sanctions, ce qui signifie que les règles de négociation n’ont pas été respectées. Nous devons faire en sorte qu’elles le soient.

Nous avons aussi signifié très fortement que l’on ne saurait entamer les négociations par des baisses de prix : il est nécessaire de tenir compte de la situation. Dans l’élevage, en particulier, il faut faire en sorte de maintenir les niveaux observés en 2015 : ce serait le scénario le moins défavorable.

Enfin, des contrôles renforcés ont été annoncés par M. Emmanuel Macron ; ils ont débouché sur la perquisition à laquelle je viens de faire allusion. Rappelons que la loi dite « Macron » durcit les sanctions applicables en cas de manquement, en portant l’amende encourue à 5 % du chiffre d’affaires.

La grande distribution et les industriels ont tous leur part de responsabilité vis-à-vis des producteurs et des éleveurs ; ils doivent l’assumer ensemble, car ce sont eux qui négocient dans les box d’achat. J’ai noté que plusieurs enseignes avaient publié des communiqués dans lesquelles elles se disaient tout à fait disposées à maintenir les niveaux des prix de l’an dernier, en particulier une grande enseigne bien implantée en Bretagne.

Je suis également satisfait que la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), qui regroupe les enseignes de la grande distribution, ait accepté la création d’un fonds de 100 millions d’euros qui appuiera spécifiquement la filière porcine. Ce geste faisait depuis plusieurs mois l’objet d’une négociation, engagée après la fermeture du marché de Plérin : auparavant, la tenue des prix était l’essentiel ; lorsque ce n’est plus cette logique qui a prévalu, la négociation a pu reprendre. Nous nous sommes efforcés de la faciliter, en particulier par l’avis rendu par l’autorité de la concurrence, qui a validé le « fonds porcin ». Il appartient désormais aux professionnels de gérer ce fonds.

Il est un aspect à propos duquel M. Emmanuel Macron et moi-même avons exercé une pression amicale. Nous disposons d’un véhicule législatif : la loi dite « Sapin 2 ». Nous avons donc prévenu toutes les parties prenantes – industriels et grands distributeurs – que nous organiserions une réunion à l’issue des négociations commerciales, c’est-à-dire après le salon de l’agriculture, en mars, pour leur permettre de formuler des propositions concrètes ; si elles ne le font pas, nous nous en remettrons à la loi pour garantir que, lors des négociations, on tienne compte des conséquences de la fixation des prix pour les producteurs. Nos interlocuteurs ont immédiatement protesté contre cette idée, qui nous renverrait, selon eux, à l’ère soviétique ! Eh bien, s’ils veulent éviter cela, qu’ils nous fassent des propositions, car nous ne pourrons pas en rester non plus au régime purement libéral, qui n’est pas plus efficace. La menace est très claire. Je vous en avais parlé lors du précédent débat.

Il faudra aussi intégrer aux dispositions de la loi Sapin 2 la non-cessibilité des contrats laitiers, voulue par le Sénat. Il va de soi que les producteurs qui ont conclu un contrat avec une laiterie souhaiteraient pouvoir le valoriser ; mais le leur permettre conduirait à renchérir le coût de l’installation pour les jeunes agriculteurs, comme l’a fait la marchandisation des quotas laitiers. Et l’on viendra sans doute demander à l’État de compenser ce renchérissement. Voilà pourquoi j’étais d’accord avec le Sénat et avec ceux qui, ici même, défendaient cette mesure.

Toujours dans la loi Sapin 2, nous allons renforcer les contrôles visant les entreprises qui refusent de publier leurs chiffres. C’est aujourd’hui le cas de grandes entreprises du secteur de l’abattage ou du lait dont on sait par ailleurs – grâce aux informations dont on dispose sur les autres entreprises du secteur, surtout laitier – qu’elles gagnent de l’argent. Il n’est pas question de leur reprocher ces gains : si certaines de nos entreprises réussissent bien, si nous avons en France trois des plus grandes entreprises laitières au monde, tant mieux ! Mais, dans le contexte que nous connaissons, chacun doit contribuer à l’effort qui permettra d’éviter la catastrophe. Or les sanctions actuellement applicables sont si légères que les entreprises ont intérêt à ne pas publier leurs résultats, un peu comme les navires pour qui il valait mieux dégazer en pleine mer quitte à payer l’amende qu’aller le faire dans un port.

J’en terminerai par l’étiquetage obligatoire. Après le « décret Le Fur », brandi en pleine séance publique, je vous présente ce soir le « décret Le Foll » officiel ! M. Le Fur, comme souvent, a nourri le débat d’informations fausses afin de jeter le doute sur l’ambition qui m’animait. Le « décret Le Fur » occupait à peine une page : celui-là en compte plusieurs. Il vous a été distribué. J’en ai parlé à la Commission européenne et aux commissaires. Parmi leurs objections figurait l’argument suivant : certes, les consommateurs souhaitent la traçabilité des produits transformés et l’étiquetage obligatoire de l’ingrédient principal – ils le disent clairement, y compris à l’échelle européenne –, mais cela leur coûterait plus cher et pèserait sur leur pouvoir d’achat, qui est une priorité pour la Commission européenne. J’ai indiqué que nous étions prêts à faire une expérimentation : nous verrons bien si cela coûte effectivement plus cher. Tel est l’objet du décret qui vous a été distribué.

Ce décret, nous nous sommes efforcés de le rendre compatible avec les exigences européennes comme avec la législation française. Il impose l’obligation d’étiquetage de l’origine des produits transformés aux entreprises françaises – et non aux entreprises européennes, sans quoi nous aurions perdu d’avance, car nous nous heurterions à la réglementation européenne. Au contraire, nous avons ici un texte bien calé, cadré, qui apporte la solution souhaitée au problème abordé dans le débat sur l’origine. Nous ferons encore plus d’efforts en matière de traçabilité avec le logo « Viandes de France » : cet élément essentiel d’identification de l’origine des produits a du succès, il commence à se répandre dans la grande distribution et il est bien repéré par les consommateurs. Il suffit de se rendre dans une grande surface pour constater, même sur les produits transformés, le jambon par exemple, la visibilité de ce petit hexagone tricolore. De fait, nous avions demandé aux acteurs de la grande distribution de promouvoir ce label par leurs pratiques d’achat ; il y a eu une évolution, et c’est très important. Le décret viendra compléter la démarche ainsi engagée.

En conclusion, il y avait dans la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire des éléments dont il était tout à fait légitime de débattre : la compétitivité et les baisses de charges, la non-cessibilité des contrats laitiers et l’étiquetage. Sur ce dernier point, l’idée de la proposition de loi était qu’un consommateur puisse interroger l’industriel sur l’origine des viandes. Avec le décret, la traçabilité ne fait plus l’objet d’une simple demande mais d’une obligation. Le débat aura été utile. En outre, je l’ai dit, de nouvelles propositions viendront compléter demain les baisses de charges dont je vous ai parlé. Au total, nous avons là un dispositif global dont je suis convaincu qu’il résout le problème posé, mais en partie seulement. Pour le reste, les prix sont bas. Sachez que le prix des céréales va tomber à 140 euros la tonne, voire moins. Et ce n’est pas le ministre qui en a décidé ! Je le dis à l’intention de ceux qui se demandent ce que fabrique le ministre et qui pensent qu’au lieu de faire le porte-parole, il devrait s’occuper du prix des céréales. Leur prix a baissé, mais ce n’est pas de ma responsabilité.

M. Antoine Herth. Je m’exprimerai au nom du groupe Les Républicains.

J’ai été d’abord surpris que l’ordre du jour de cette audition soit limité au projet de décret relatif à l’étiquetage, mais M. le ministre a sagement élargi l’objet du débat.

De fait, monsieur le ministre, confirmé à vos fonctions dans le Gouvernement Valls 3, vous retrouvez avec le remaniement une forme de virginité : c’est l’occasion de vous livrer à une déclaration de politique générale agricole pour les mois à venir.

Il n’a échappé à personne que les représentants d’Europe Écologie Les Verts ont fait un retour en force au Gouvernement. Que faut-il en déduire quant à l’orientation générale de votre politique ? Quels gages votre ministère sera-t-il amené à donner dans le cadre de cette recomposition de la majorité ? Allez-vous interdire les insecticides néonicotinoïdes ? Allez-vous geler les projets de retenue d’eau ? Allez-vous renforcer les contraintes de la réglementation sur les nitrates ? Vous venez de nous dire que non, qu’au contraire vous les allégiez ; mais un coup d’arrêt va-t-il être porté à cette politique que vous meniez – ou que vous dites avoir menée – jusqu’à présent ?

La gestion de la crise agricole est, j’imagine, au cœur de la feuille de route que le Président de la République et le Premier ministre vous ont confiée. Au-delà du retournement de marché assez exceptionnel que vous avez décrit et du phénomène de surproduction généralisée, vous évoquez souvent deux autres raisons de cette crise, en renvoyant l’opposition, dites-vous, à ses propres responsabilités.

La première est la loi de modernisation de l’économie (LME). Vous n’en avez pas parlé ce soir ; dommage ! Selon vous, cette loi est la source de tous les désordres qui affectent les relations commerciales entre production et distribution. Or, alors que la gauche a supprimé la TVA sociale dès son accession au pouvoir, en quatre ans, vous n’avez pas touché à la LME. Monsieur le ministre, allez-vous abroger cette loi ?

À propos de TVA sociale, l’article de Libération que vous avez cité et que j’ai pu parcourir ne parle pas du cycle de vie des allégements de charges. La TVA sociale avait l’avantage de faire contribuer les importations de produits – et Dieu sait s’il y en a – à la ressource fiscale, laquelle permettait ensuite de financer les allègements. Ce n’est pas le cas du CICE.

Un autre inconvénient du CICE est la présence d’un interlocuteur supplémentaire. Dans le cadre de la TVA sociale, l’agriculteur discutait avec la MSA, comme il en a l’habitude, et l’on pouvait même imaginer un dispositif d’allégement automatique. De votre côté, vous faites entrer le fisc dans la boucle : ce sont des papiers en plus. Bref, le CICE ne contribue pas à alléger les contraintes administratives.

La seconde raison de la crise, selon vous, c’est la suppression des quotas laitiers. Vous affirmez que c’est l’actuelle opposition qui a décidé la suppression des quotas lorsque la France présidait pour six mois le Conseil de l’Union européenne, en 2008. L’auditeur non averti en conclut que c’est au pays qui préside le Conseil de décider des orientations. Dès lors, puisque vous souhaitez le rétablissement des quotas – une piste qu’il me paraît au demeurant opportun d’étudier sérieusement, vu les désordres provoqués par leur suppression –, quel est le pays qui va décider du retour à une régulation de la production laitière ? Les Pays-Bas, qui président actuellement le Conseil ? La Slovaquie, qui leur succédera à la fin de l’année ? Malte, qui sera chargée de la présidence tournante de janvier à juin 2017 ? Le Royaume-Uni, qui prendra le relais de juillet à décembre ? Je vous fais grâce des suivants. Il ne serait pas inutile, en France, de faire œuvre de pédagogie à propos du fonctionnement du Conseil européens et de la manière de dégager des majorités pour prendre des décisions à l’échelle de l’Union européenne.

On retrouve le même problème en matière d’étiquetage. Vu de Bruxelles, l’acquis majeur de l’Union européenne est son marché intérieur. Ainsi, beaucoup de produits de grande consommation affichent le logo CE, qui signifie que le fabriquant s’engage à respecter la réglementation européenne. On comprend donc qu’en dehors des IGP-AOP (indications géographiques et appellations d’origine protégées), l’idée d’un étiquetage national ne s’intègre que difficilement à la doctrine européenne – j’emploie ce terme à dessein : c’est bien d’une posture qu’il s’agit. En réalité, le choix des consommateurs continue de dépendre très fortement de l’identification à un territoire qu’ils connaissent et dans lequel ils se reconnaissent ; ce territoire est national, voire régional. Dès lors, comment allez-vous faire accepter à la Commission européenne ce qu’elle va considérer comme une entorse à sa doctrine ? À cet égard, l’article 5 de votre décret, excluant de son champ d’application les produits fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre, sera-t-il suffisant ? Et que pensez-vous de l’idée promue par le Sénat de contourner la difficulté par un droit à l’information du consommateur ?

Du point de vue de Bruxelles, il faudrait accroître la part des IGP-AOP. Or, dans la charcuterie, en France 3% de la production est sous IGP, contre 23 % en Italie. Comment aller plus loin ? Existe-t-il des blocages ? Si oui, lesquels ?

Je conclurai en soulignant que nous venons de vivre un moment extraordinaire : trente-cinq minutes d’intervention de M. Stéphane Le Foll pour remplacer le débat auquel nous n’avons pas eu droit dans le cadre de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture, voilà qui a un petit goût de repentance !

M. Germinal Peiro. Je m’exprime au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen. Élu local depuis trente ans et député depuis dix-huit ans, j’ai connu bien des crises traversées par le monde agricole. Celle-ci est radicalement différente, car elle est structurelle. De nombreux agriculteurs considèrent toucher le fond, en dépit des 9 milliards d’euros d’aides européennes, des aides de l’État et de celles des collectivités territoriales. Ils constatent que verser ces aides, c’est comme arroser le sable si le problème principal, celui du prix auquel les productions sont payées, n’est pas résolu.

Je vous prie, monsieur Antoine Herth, de bien vouloir vous rappeler quelles organisations politiques et syndicales ont combattu, en 1984, l’instauration des quotas laitiers, avant de militer pour leur suppression. Il ne faut pas tromper les agriculteurs : vous étiez dans le camp politique de ceux qui jamais, au grand jamais, n’ont été favorables à des instruments de régulation. Si le syndicat majoritaire y vient aujourd’hui, c’est qu’il n’a aucune solution à proposer et qu’il est débordé par sa base – cette base qui, au moment où nous parlons, déverse du fumier devant nos permanences.

Laissera-t-on persister un modèle agricole européen tel que, dans dix ans, 26 % des exploitations agricoles, sinon davantage, auront disparu, comme ce fut le cas entre 2002 et 2012, cette évolution se poursuivant ? Va-t-on se satisfaire d’une politique agricole commune qui continue de détruire des exploitations, des emplois et la vie des territoires ? Je salue votre travail au niveau européen, monsieur le ministre, mais peut-on espérer de l’Union européenne une régulation et le déclenchement d’une politique de protection ?

Sur le plan intérieur, disposons-nous réellement des moyens législatifs nécessaires pour faire cesser la guerre des prix que la grande distribution mène dans notre pays, assassinant les producteurs ? Une enquête a révélé que 80 % des Français se disent prêts à soutenir le mouvement des agriculteurs, à condition qu’ils ne se livrent à aucune dégradation, car la population fait le lien entre qualité des produits, santé et emplois. On peut bien organiser des tables rondes sur les prix, au niveau national ou départemental, cela ne donne aucun résultat ; tout au plus la grande distribution promet-elle de mettre en vente quelques produits locaux dans un coin. Mais pour ce qui est du problème de fond, le prix d’achat des productions, rien ne change. Pourtant, le consommateur est prêt à payer son litre de lait 10 ou 15 centimes plus cher s’il est assuré qu’ainsi les agriculteurs pourront vivre.

Si aucune inflexion n’a lieu, seules subsisteront sous peu quelques usines à lait, sans doute en Allemagne, et nos territoires ruraux seront déserts. Je suis convaincu que nous sommes à la croisée des chemins, et je m’interroge sur la capacité des parlements nationaux à influencer une politique qui conduit notre agriculture à la ruine.

M. André Chassaigne. Mon intervention, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ira dans le même sens. Une prise de conscience grandissante a lieu, qui a pour effet une opposition assez marquée à la politique qui a inspiré l’intitulé de la proposition de loi « en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire » déposée par le groupe Les Républicains. Penser trouver la solution de la crise agricole dans une recherche éperdue de compétitivité, c’est s’engager dans une course sans fin qui aura pour uniques résultats la condamnation des exploitations familiales à la faillite et la désertification de nos territoires, ainsi que de graves conséquences sanitaires et environnementales. N’égarons pas les agriculteurs en leur faisant croire que la compétitivité les sauverait : c’est un leurre.

Comme l’a souligné mon collègue Germinal Peiro, la solution passe par l’évolution de la politique agricole commune. La France doit convaincre l’ensemble de ses partenaires que maintenir la doctrine d’une agriculture fondée sur la concurrence aura des effets désastreux, partout sur le continent.

Dans l’intervalle, de quelles marges de manœuvre disposons-nous sur le plan intérieur ? Puisque la loi Sapin 2 peut être le véhicule de nouvelles mesures, on peut décider, comme plusieurs d’entre nous l’ont déjà proposé, d’organiser, une conférence interprofessionnelle annuelle sur les prix, au niveau régional ; ainsi déterminerait-on ce qu’un producteur doit gagner pour pouvoir vivre. Mais encore cette démarche doit-elle avoir pour objectif de fixer un prix plancher permettant de garantir un revenu aux producteurs – ce que la réglementation européenne ne permet pas. Or ne pas faire sauter ce verrou, c’est vouer les exploitations familiales françaises à une mort certaine.

La question se pose donc de savoir si, sachant pertinemment qu’elles ne régleront pas le problème durablement, les mesures annoncées le sont uniquement pour gagner du temps ou si l’on considère qu’il existe réellement une possibilité de faire évoluer la réglementation européenne. Telle est la question de fond.

Cela vaut pour l’étiquetage. La pression à ce sujet est tellement forte que, des propositions de loi ont été déposées qui émanent de tous les bancs. La réponse apportée par le Gouvernement montre sa volonté de progresser sur ce plan. Mais il s’agit pour partie d’affichage, puisque le projet de décret ne concerne que la production française – précisément parce qu’il faut garantir la compatibilité du texte avec la réglementation européenne. Il en résulte que l’étiquetage concernera les produits français – avec ce que cela entraînera de transparence pour les consommateurs mais aussi de coûts et de contraintes pour les producteurs et les transformateurs –, mais qu’en raison de la législation européenne, les productions d’autres pays européens ne seront pas soumises à la même exigence.

La situation est donc extrêmement difficile. Européen convaincu, je ne pense pas que la solution soit de casser la politique agricole commune ; par contre, je pense que l’agriculture européenne court à sa perte si cette politique demeure ce qu’elle est aujourd’hui. Le repli sur soi que prônent l’extrême-droite et parfois la gauche de la gauche n’est pas la solution. Mais si l’on n’apporte pas une réponse aux agriculteurs, tout va exploser.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, vous avez repris quatre exemples figurant dans le quotidien Libération pour expliquer qu’il n’y aurait pas de différence significative entre l’application de la TVA sociale que le groupe de l’Union des démocrates et indépendants défend avec acharnement depuis des années et l’effet conjugué du CICE et du pacte de responsabilité. Mais, sur ces quatre exemples, trois concernent des saisonniers, pour lesquels le dispositif conçu sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy ne prévoyait pas l’exonération des charges sociales mais la seule suppression des cotisations sociales relatives à la branche famille. Il n’est donc pas surprenant que, dans les exemples cités, le CICE soit plus avantageux ; porteraient-ils sur les salaires de non-saisonniers que le résultat serait autre.

En appliquant la TVA sociale sur le taux normal et sur le taux intermédiaire, on dégagerait 44 millions d’euros, ce qui permettrait, en concentrant les réductions de charges sociales sur les salaires compris entre le SMIC et 1,5 SMIC, une baisse de 10 à 13 % des cotisations.

Il faut savoir ce que l’on veut : entre l’Allemagne et la France, l’écart a évolué de 15 % en dix ans dans l’industrie et plus encore pour l’agriculture, en raison de l’imposante dérogation dont a bénéficié l’Allemagne pour l’emploi des travailleurs venant de Roumanie et d’autres pays d’Europe centrale, salariés jusqu’à 6 euros de l’heure quand nous sommes à 13 euros minimum. Si l’on veut véritablement s’attaquer au rééquilibrage de l’offre et de la demande et rendre l’élevage français compétitif, il faut utiliser le produit de la TVA sociale en concentrant les baisses de charges sociales sur les salaires compris entre le SMIC et 1,5 SMIC environ, ce qui correspond aux salaires constatés dans ce secteur. Si cela n’est pas fait, il n’y aura, en effet, aucun retour à la compétitivité. Mon diagnostic est donc le même que celui de mes collègues, mais les conséquences que nous en inférons sont dissemblables car, selon moi, qui n’est pas compétitif dans un monde ouvert meurt. On peut donc jouer sur les cotisations sociales par le biais de la TVA sociale – à laquelle la gauche, qui l’avait combattue, s’est convertie, le Président de la République inclus. Je l’en félicite, car plus nombreux nous serons à soutenir la mise en œuvre de la TVA sociale, mieux le pays se portera.

Le Gouvernement peut aussi jouer sur la taxe sur le foncier non bâti, une particularité exclusivement française.

M. le ministre. Le fait que nous ayons 36 000 communes est une autre particularité exclusivement française.

M. Charles de Courson. Soit, mais l’on est parvenu à supprimer d’autres taxes, y compris la taxe professionnelle, dont le produit était tout autre ! Il restera à négocier des mesures propres à rééquilibrer l’offre et la demande en Europe ; comment envisagez-vous de convaincre vos collègues européens, monsieur le ministre ?

Enfin, même si ce n’est pas l’essentiel, il faut harmoniser le droit français et le droit européen, car la situation actuelle suscite une forte irritation chez les agriculteurs, comme dans bien d’autres secteurs. Il y a beaucoup à faire. Ainsi, la France s’impose de diminuer de 50 % l’utilisation des pesticides alors que la réglementation européenne n’exige rien de tel. Or cet objectif est impossible à atteindre d’ici à 2018 ou même 2020 ; parvenir à une baisse de 25 % serait déjà un résultat remarquable. De même, alors que la directive Nitrates ne le demande pas, la France impose la couverture hivernale totale des sols. En résumé des marges de compétence nationale existent encore, et il faut en user.

Mme Brigitte Allain. Ma permanence, celle d’une députée du groupe Écologiste, est l’une de celle devant lesquelles du fumier a été épandu. Ni l’utilisation croissante de pesticides, ni ces déversements de fumier ne changeront le fait que la politique agricole commune est devenue incohérente : elle n’est plus justifiée pour les consommateurs et elle ne satisfait pas les agriculteurs. Tout cela provient du démantèlement, à l’œuvre depuis trente ans, des outils de maîtrise de la production ; nous sommes arrivés au terme du processus. Il est utile de rappeler que les libéraux, majoritaires en Europe aujourd’hui, ont toujours défendu la thèse selon laquelle la régulation se ferait par les prix. On voit ce qu’il en est : les prix ne cessent de baisser et l’on va dans le mur. Il en résultera que l’on va fermer les élevages et arrêter la production de lait, et que l’on sera contraint de donner des aides pour cessation d’activité. Voilà ce à quoi a conduit la politique de dérégulation menée depuis trente ans.

Tous les soutiens à l’agriculture doivent être réorientés vers les productions de qualité qui ont un marché, intérieur et international. Ainsi assurera-t-on un bon niveau de vie aux agriculteurs. Dans ce contexte, le décret relatif à l’indication de l’origine du lait et des viandes peut être immédiatement utile, à condition qu’y soit spécifiés les modes de production visés, et que référence soit donc faite à la qualité. L’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev), qui s’oppose au projet de traité de libre-échange transatlantique, s’appuie pour cela sur la distinction entre les viandes françaises de qualité et celles qui sont issues des fermes-usines américaines. Si nous continuons une production de viande et de lait reposant sur des importations de maïs et de soja, si nous persistons à dire qu’il faut toujours davantage de pesticides et si nous laissons s’installer des fermes-usines en France, comment pourrons-nous nous opposer, demain, au traité transatlantique ? Comment pourrons-nous nous opposer aux importations de viandes américaines qui viendront concurrencer les viandes de qualité produites dans des élevages en agroécologie, ces élevages qu’il faut accompagner dans les meilleurs délais ?

Les sommes consacrées au soutien des agriculteurs doivent être conditionnées à un changement du système de production, sinon elles seront sans utilité et il faudra remettre au pot tous les six mois. Pour fermer ce puits sans fond, il est temps de passer d’une politique agricole à une politique alimentaire.

Mme Corinne Erhel. Les responsabilités sont partagées, et il convient d’actionner les différents leviers en même temps. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le calendrier de mise en œuvre de l’extension de l’étiquetage, mesure attendue par les agriculteurs et par les consommateurs ? Le dispositif d’urgence défini par le Gouvernement conduit à l’attribution de 75 millions d’euros d’aides par le biais du fonds d’allégement des charges. Même si elles ne sont pas suffisantes pour certains, ces sommes ne sont pas négligeables. Avec la présidente Frédérique Massat, nous avons travaillé à des mesures de simplification tendant à améliorer l’instruction des dossiers et à accélérer les versements ; avance-t-on sur ces points ? C’est important dans la crise actuelle.

M. Philippe Le Ray. Comme nombre d’entre nous, j’ai passé beaucoup de temps avec des agriculteurs au cours du week-end. Agriculteur, je l’ai moi-même été, et certains de mes anciens collègues m’ont dit l’état de leur trésorerie, consternante, en effet, aux yeux de l’ancien cadre bancaire que je fus également. La situation est très inquiétante. Les mesures prises par le Gouvernement font du bien, mais elles ne changeront rien pour le long terme. Si les prix sont ce qu’ils doivent être, les agriculteurs s’adapteront comme ils l’ont fait depuis des décennies. La question de fond, c’est celle du revenu. Ce sont surtout les éleveurs qui sont en difficulté ; or leur niveau de compétitivité et de technicité est très élevé. On est donc arrivé au bout d’un système : des représentants des producteurs de lait nous parlent d’un prix de 220 euros la tonne dans six mois ; imaginez ce que cela représente ! Quant au porc, on s’attend à ce que son prix tombe à 1 euro le kilo dans quelque temps. Avec pareils prix, inférieurs à ce qu’ils étaient il y a trente ans, personne ne tiendra.

La situation est si sombre que je conseille aux jeunes qui souhaitent s’installer de différer leur projet. Personne ne sait où vont l’agriculture française et l’agriculture européenne. Quel est le projet collectif ? Veut-on, pour les consommateurs « avertis », vers qui sont dirigés de 20 à 30 % de la production, des produits de très grande qualité et, pour le reste de la population, supposément moins attentive à la qualité alimentaire, des produits importés dans leur totalité, ou veut-on continuer à les produire pour partie ? Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes engagé dans une discussion avec nos partenaires européens, mais j’ai des doutes certains sur ce que souhaite l’Union européenne en matière d’agriculture.

M. Frédéric Roig. L’agriculture a un modèle économique complexe. J’étais hier à VINISUD, salon des vins méditerranéens qui se tenait à Montpellier et grand marché national vini-viticole. J’y ai entendu s’exprimer de très nombreuses questions sur l’avenir des productions françaises des filières les plus variées. Quant aux éleveurs, ils s’interrogent sur une politique commune dont la complexité de la mise en œuvre a un impact sur leur trésorerie.

Je concentrerai mon propos sur la traçabilité. Dans de nombreux départements, la filière viande a fait de grands efforts en matière d’identification des animaux dans les abattoirs – notamment dans les abattoirs de proximité, qui connaissent également des problèmes de compétitivité vis-à-vis des très grandes installations –, et aussi pour établir des circuits courts de distribution. J’observe que, dans le Sud de la France, certaines productions de niche, mises au point avec des démarches collectives par des coopératives permettent une valeur ajoutée qui autorise la discussion des prix.

J’en viens à l’étiquetage. J’ai gardé les étiquettes figurant sur les produits que j’ai achetés ce week-end. Sur celle de tel jambon « bio », il y a neuf indications, ce qui la rend illisible ; mais pour tel autre produit industriel qui contient quelques morceaux de viande, la seule indication portée sur l’étiquette est que ce que l’on achète contient 13 % de bœuf… Que feront les conserveries traditionnelles, celles qui mettent en bocaux du cassoulet, des tripoux et d’autres productions locales ? Comment les produits de deuxième transformation seront-ils identifiés ? Ces producteurs et ces transformateurs s’inquiètent à l’idée que l’identification obligatoire, certes importante pour le consommateur, soit source de tracas pour eux.

M. Marc Le Fur. Comme je l’ai dit hier lors des questions au Gouvernement, la crise est maintenant d’une intensité très marquée dans les départements où la part de l’agriculture et de l’agroalimentaire dans l’emploi est très importante. Ces territoires se sentent menacés. C’est pourquoi, en Bretagne, élus et syndicats de toutes tendances se réuniront samedi à Loudéac.

Vous avez beaucoup parlé de notre proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, monsieur le ministre. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un hommage du vice à la vertu, mais j’observe que vous venez sur notre terrain en énonçant les marges sur lesquelles on peut progresser : la baisse des charges, la réduction des contraintes administratives, l’étiquetage.

Pour ce qui est de la baisse des charges, je suppose que nous disposerons de nouvelles informations demain, si bien que, pour l’instant, nous restons sur notre faim. Vous dites, par ailleurs, que le CICE est d’un effet bien supérieur à celui qu’aurait eu la TVA sociale. Admettons que cela soit le cas pour l’emploi salarié ; mais l’essentiel de la main-d’œuvre agricole n’est pas salariée, si bien que les exploitations considérées ne bénéficient pas du CICE. C’est là une des difficultés majeures auxquelles il faut s’attaquer.

M. le ministre. Vous en saurez davantage demain.

M. Marc Le Fur. J’en prends acte, mais j’ajoute que, de plus, dans le secteur agroalimentaire, une grande partie de la transformation relève de coopératives qui ne bénéficient pas davantage du CICE ; cela a des conséquences considérables.

Quant au projet de décret relatif à l’étiquetage, il ne dit mot de la restauration hors foyer, qu’il faudrait pourtant garder à l’esprit. Enfin, de manière paradoxale, les produits importés ne seront pas soumis à la nouvelle règle qui s’imposera aux produits transformés sur le territoire national. Le problème demeure donc, pour une bonne part, irrésolu. De plus, nos transformateurs se verront imposer une disposition à laquelle leurs concurrents ne seront pas soumis.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Comme je le fais régulièrement, je suis également allée à la rencontre des agriculteurs ce week-end ; ils m’ont aussi dit leur inquiétude, leur découragement et leur détresse face à une absence complète de perspective. La cause principale de leurs maux, c’est la chute des prix ; le seul remède, c’est la régulation. Aussi, monsieur le ministre, avez-vous quelque optimisme sur l’écoute que vous obtiendrez de la Commission européenne et sur sa volonté de régulation ? Là est le fond du problème, puisque les aides ne suffisent pas à assurer l’avenir de l’agriculture sur le long terme. La surrèglementation française, régulièrement évoquée, ne me paraît pas fondée. Pour ce qui est du coût du travail, mes interlocuteurs l’ont estimée 40 % plus élevée qu’en Allemagne.

Enfin, le stockage pailleux en plein champ règle-t-il la question de la réglementation sur les fumières ? Ouvre-t-il des délais supplémentaires pour les fumières ?

M. Philippe Armand Martin. Je souscris à l’étiquetage de l’origine des produits transformés, mais je m’interroge sur les moyens qui seront mis en œuvre pour faire appliquer ces dispositions, ainsi que sur les mesures de contrôle et surtout les sanctions prises si elles ne sont pas respectées ; qu’en sera-t-il ? Puisque la Commission européenne n’entend pas élaborer un texte de ce type, quelles actions entreprendrez-vous pour permettre l’adoption de dispositions semblables au niveau européen ? Quels États soutiennent la position française dans ce dossier ?

Dans un tout autre domaine, la profession viticole s’inquiète d’un texte en cours d’élaboration par la Commission européenne et qui vise à une nouvelle libéralisation du secteur au bénéfice des vins sans indication géographique. Ce projet fait l’impasse sur la série de mesures décidées lors de la réforme de l’organisation commune du marché vitivinicole de 2008 qui permettait de différencier l’étiquetage des vins avec AOP et IGP de l’étiquetage des vins sans indication. Ce texte pourrait donc permettre de faire figurer sur l’étiquette de vins sans indication une origine géographique plus petite que l’État membre. Une telle réforme est inacceptable ; quelles initiatives prendrez-vous pour l’empêcher ?

M. le ministre. Nous avons déjà fait savoir à la Commission européenne qu’il était hors de question de changer les règles en cette matière.

M. Philippe Armand Martin. Je vous remercie.

Mme Delphine Batho. Comme cela a été dit, on sent chez les agriculteurs et les éleveurs une grande désespérance, et aussi de la résignation. Étant donné la gravité de la situation, il me semble inopportun que l’on cherche à se renvoyer la responsabilité ou que l’on déclame des discours pré-rédigés qui auraient pu être prononcés il y a quelques mois ou plusieurs années. Loin d’aider, cela ne fait qu’ajouter au désespoir. L’urgence, pour les agriculteurs, c’est de rétablir leur trésorerie. Chacun donne acte au Gouvernement de ce qui est fait avec le fonds d’urgence, mais la situation actuelle durera et les problèmes de trésorerie à court terme ne sont pas réglés. Ainsi, dans mon département, les Deux-Sèvres, la moitié environ des 1 000 dossiers déposés ont été jugés éligibles, donnant lieu à une aide moyenne de 2 800 euros, qui ne compense évidemment pas la chute des prix. Il y a aussi, de la part de certaines personnes, une forme de cynisme à considérer que les transformations en cours sont telles que beaucoup ne tiendront pas, ce qui fera de la place pour ceux qui restent.

Les problèmes étant d’ordre structurel, nous devons être tous unis dans la bataille engagée par la France au niveau européen. Le commissaire européen à l’agriculture et au développement rural, M. Phil Hogan, a commis une faute en refusant, en septembre dernier, la demande faite par la France d’un relèvement du prix d’intervention pour le lait. Peut-être la remise en place d’outils de régulation est-elle compliquée, mais elle doit avoir lieu car l’urgence est absolue.

Vous n’avez rien dit du rôle des banques, monsieur le ministre. Je crois comprendre qu’elles jouent plutôt le jeu mais ne faut-il pas faire beaucoup plus en matière de désendettement ? Le dispositif dit de « l’année blanche » – qui permet de ne pas avoir à rembourser les prêts bancaires éligibles durant douze mois – est peu utilisé, les prêts de consolidation étant dans certains cas plus avantageux.

Enfin, il faut veiller à ne pas faire de l’agroécologie un bouc émissaire, tout en appelant à s’inspirer de l’exemple italien. Dans les Deux-Sèvres, je constate que les filières d’excellence, qui ont pour débouchés des circuits courts, souffrent moins que d’autres.

Mme Isabelle Le Callennec. Les agriculteurs demandent, en effet, que l’on mette fin aux querelles du passé et que l’on s’attache à prendre, d’une part, des mesures d’urgence, d’autre part, des dispositions de long terme. Le fonds d’urgence ne suffit manifestement pas, monsieur le ministre, puisque la perte de revenus d’un laitier peut atteindre 4 000 euros par mois ; comment, dans ces conditions, payer ses charges ? Il est vrai que l’année blanche ne profite qu’à quelques agriculteurs en très grave difficulté ; d’autres vont l’être, qui, a priori, ne sont pas éligibles à ce dispositif. Ce qu’ils demandent, ce n’est pas un différé de remboursement, mais un prêt à taux zéro, comme il y en a eu dans le passé. En effet, sachant que les intérêts sont pris en charge, par tiers, par l’État, la banque concernée et l’agriculteur, les établissements financiers proposent des prêts à des taux assez élevés.

Quant à comparer l’effet de la TVA sociale, d’une part, et l’effet combiné du pacte de responsabilité et du CICE, d’autre part, il me paraît réducteur de s’en tenir à des exemples donnés par la Fédération nationale des producteurs de fruits. J’aimerais être sûre que le ministère a procédé à des simulations qui permettent de savoir avec certitude si cette démonstration vaut aussi pour les productions de viande et le lait.

Puisque le Président de la République a admis avoir commis une erreur en n’appliquant pas la TVA sociale, que ne le fait-il ? Enfin, que demanderez-vous, dans un mois, à vos homologues européens, monsieur le ministre ?

Mme Marie-Lou Marcel. Nous sommes tous conscients de la situation dans laquelle se trouvent les agriculteurs, toutes filières confondues, et de leur désespérance. Et pour cause : la chute de leur revenu global en 2015 par rapport à l’année précédente est très importante. Ils s’inquiètent aussi de la complexité de la mise en œuvre de la politique agricole commune dans ses différents volets, de la lourdeur du traitement des surfaces non agricoles ainsi que des anomalies dans le registre parcellaire graphique.

La crise aviaire a conduit au déblocage d’une enveloppe de 130 millions d’euros destinée aux éleveurs et aux accouveurs. Vous avez également annoncé que certains de leurs investissements, rendus nécessaires dans ce contexte particulier, pourraient être cofinancés par l’État ; lesquels ?

Enfin, comment procéderez-vous pour que le décret sur l’étiquetage de l’origine des produits transformés trouve une déclinaison européenne ?

M. Lionel Tardy. Ce décret, attendu depuis trop longtemps, doit impérativement concerner l’origine des viandes ; cela ne règlera pas la crise, mais c’est un élément important pour la démarche de qualité entreprise par la filière agroalimentaire française. Et puisque vous répétez que le niveau pertinent pour traiter cette question est le niveau européen, quelle démarche entreprendrez-vous à Bruxelles pour obtenir l’harmonisation des critères, sujet crucial ?

M. Dominique Potier. Jamais on n’a vu une crise comme celle à laquelle nos territoires sont confrontés et, s’ils ont à cœur de rester dignes, les agriculteurs sont vraiment au bout du rouleau. Les produits alimentaires d’origine agricole ne seront jamais une marchandise comme les autres, et nous avons besoin d’une régulation en la matière. Le libéralisme qui a été mis en œuvre par la droite comme par la gauche – malheureusement – n’est pas une solution, et nous devons aujourd’hui réinventer des outils de régulation à l’échelle européenne. Pour que l’argent public ne disparaisse pas comme de l’eau versée sur le sable, il faut non seulement des régulations nouvelles, mais aussi revoir le marché du foncier et le marché des biens alimentaires à l’échelle européenne et mondiale. Dans cette optique, je vous fais deux suggestions, monsieur le ministre.

Premièrement, il faut se demander ce que l’on peut faire de plus dans le cadre du plan protéines végétales, car il n’est pas admissible qu’un changement de cours à l’autre bout du monde, provoqué par un événement climatique au Brésil ou en Afrique, affecte ce qui représente jusqu’à un tiers de l’alimentation animale – voire la moitié quand il s’agit de viandes blanches. Nous pourrions produire ces protéines sur notre territoire, et en profiter pour faire de l’agroécologie en diversifiant nos rotations.

Deuxièmement, nous devons nous intéresser davantage à l’agriculture de groupe. Aujourd’hui, une grande partie de la trésorerie dégagée grâce à la mesure de suramortissement, qui permet aux agriculteurs d’amortir les biens à hauteur de 140 % de leur valeur, part chez les marchands de matériels agricoles. Afin que cet argent revienne dans les exploitations, où il serait mieux placé, ne pourrait-on pas concevoir un mécanisme différenciant les exploitants qui investissent ensemble pour économiser les charges en produits phytosanitaires, mais aussi en matériel agricole ?

M. Martial Saddier. Madame la présidente, je vous remercie d’accueillir au sein de votre commission un commissaire à l’aménagement du territoire.

Il existe en France autant d’agricultures que de territoires : certaines régions, moins adaptées à la production que d’autres, ont dû trouver pour vivre des solutions alternatives, pouvant consister à apporter une plus-value aux produits en les transformant ou en les plaçant sous signe de qualité. C’est le cas des territoires de montagne, notamment de la Haute-Savoie, où la totalité de la production est sous signe de qualité.

Face à la crise exceptionnelle que nous traversons, par quels moyens pourrions-nous accompagner au mieux les productions de masse sans pénaliser une partie significative du territoire de France, mais aussi de toute l’Europe, qui s’est tournée depuis cinquante ans vers une agriculture extensive privilégiant les signes de qualité et l’apport d’une plus-value aux produits transformés ?

Mme Chantal Guittet. Je vous remercie également de m’accueillir, madame la présidente.

L’une des solutions mises en œuvre pour réduire l’arrivée de produits sur le marché est le stockage privé – d’un intérêt cependant relatif car, à terme, le stockage implique un déstockage. Pouvez-vous nous indiquer pourquoi la France n’utilise pas du tout ce moyen, contrairement à l’Allemagne ?

Pour ce qui est des banques, j’entends souvent dire, quant à moi, qu’elles ne jouent pas le jeu, et sont très dures avec les agriculteurs lorsqu’il s’agit de leur accorder une renégociation des taux de leurs prêts en cours ou l’obtention de nouveaux prêts.

Je vous ai écrit à plusieurs reprises, monsieur le ministre, au sujet des producteurs de pommes de terre, qui attendent toujours de pouvoir recourir à une solution efficace pour lutter contre le taupin. Face à ce fléau, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie utilisent des pesticides, ce qui est interdit aux producteurs français – qui se trouvent de ce fait dans une situation critique et risquent de tous disparaître si rien n’est fait. Avez-vous une réponse à leur apporter pour les rassurer ?

Enfin, les agriculteurs sont unanimes à déplorer la complexité des dossiers administratifs. J’ai rencontré récemment un exploitant qui a installé un méthaniseur – ce qui est rare en Bretagne –, mais a dû pour cela effectuer un véritable parcours du combattant. Dans ce domaine, peut-on envisager de rendre les choses plus simples, comme elles le sont dans d’autres pays, afin d’aider les agriculteurs à évoluer ?

M. Serge Bardy. Madame la présidente, je vous remercie d’accueillir un autre commissaire au développement durable.

En dépit de la grande souffrance qu’ils endurent actuellement, nombre d’agriculteurs des Mauges continuent de s’investir avec passion dans leur métier. Dans le Maine-et-Loire, 123 jeunes agriculteurs se sont installés en 2015, ce qui fait de mon département le premier de France en nombre d’installations. Il n’empêche que plusieurs points posent problème.

Le Grand Ouest concentre 80 % de la production nationale de lapins de chair, dont 50 % dans les Pays de la Loire. La baisse de 10 % de la consommation de lapin a des conséquences importantes : 75 à 80 élevages vont devoir fermer, chaque semaine, 55 000 lapins manqueront à l’abattage sur les 350 000 habituellement traités, l’un des cinq abattoirs situés dans ma circonscription va fermer aussi, ce qui causera la perte de 30 emplois. Une telle situation est dramatique pour les Mauges, et d’autant plus inadmissible que l’on trouve actuellement une proportion élevée de lapins venant d’Espagne ou de Chine dans la restauration hors domicile. Les exploitants de la filière cunicole souhaitent que le Gouvernement soutienne une action de communication au profit de la viande de lapin français.

Dans la filière bovine, on constate que de jeunes bovins de quatre à six mois partent souvent en Turquie à des prix très intéressants pour les vendeurs. Or ces broutards, qui partent pour être engraissés et abattus, ne reviennent jamais en France, ce qui représente une perte sèche pour nous.

Enfin, dans la filière laitière, il est pour le moins étonnant de voir que la société Lactalis paye le lait 273 euros les mille litres en France, et 360 euros en Italie.

M. Hervé Pellois. L’efficacité de l’action de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires suscite de nombreuses interrogations. Les éleveurs s’expliquent mal que le prix du litre de lait subisse une telle augmentation entre le moment où il est vendu par le fermier et celui où il arrive dans le chariot du consommateur.

Par ailleurs, vous nous dites, monsieur le ministre, que l’on a essayé de simplifier les normes, en commençant par ne pas en ajouter de nouvelles. Que diriez-vous aux agriculteurs qui estiment que les modalités d’attribution des aides de la nouvelle PAC sont extrêmement compliquées ?

Enfin, en matière de contractualisation tripartite dans le secteur agricole, comment pourrait-on assurer un juste niveau de rémunération pour l’ensemble des acteurs de la filière tout en garantissant des prix accessibles pour les consommateurs ?

M. le ministre. Dans un débat qui tourne souvent à la polémique, je m’efforce de rester aussi objectif que possible : quand on parle de compétitivité, par exemple, je vous donne des chiffres.

Pour répondre à M. Charles de Courson, je rappellerai que le CICE représente des baisses de charges qui s’appliquent à concurrence de 6 % de la masse salariale, sur les rémunérations n’excédant pas 2,5 SMIC. Ce dispositif est donc intéressant dès lors qu’une exploitation emploie des salariés. Pour ce qui est des saisonniers, ils bénéficient par le biais des contrats de travailleurs occasionnels et demandeurs d’emploi (TODE) des exonérations que votre majorité avait mises en place et que j’ai maintenues en les recalibrant – ce qui correspondait à votre souhait, puisque je me souviens vous avoir entendu dire qu’il fallait cibler les baisses. À mon arrivée, certains dossiers de TODE portaient sur des salaires allant jusqu’à 3,5 SMIC, ce qui n’était pas normal. Je vous ai déjà raconté que j’ai moi-même travaillé à ramasser des pommes : alors qu’il fallait 56 cageots par jour pour toucher le SMIC, les meilleurs ramasseurs n’en faisaient pas plus que 85.

Le problème de compétitivité auquel notre pays est confronté est bien réel et il faut s’y attaquer mais, comme pour les normes, ce serait une erreur que d’y voir la seule marge de manœuvre susceptible d’augmenter les revenus des agriculteurs sur un marché aujourd’hui européen et mondial. En matière de compétitivité, nous faisons des efforts – en plus de ce que je vous ai indiqué, d’autres mesures seront annoncées demain – afin que le monde agricole et agroalimentaire puisse disposer de capacités d’investissement et d’autofinancement plus étendues.

En ce qui concerne les normes, je répète que je n’ai pas surtransposé. Je veux bien entendre que le taupin soit un problème préoccupant pour les producteurs de pommes de terre, mais j’attends que l’on me dise quelle molécule servant à le combattre serait autorisée dans un autre État membre et interdite en France. Je rappelle que la procédure de reconnaissance mutuelle – consistant à ce que l’autorisation initiale accordée dans un État membre soit extensible aux autres États membres – peut être mise en œuvre : encore faut-il en faire la demande !

Pour ce qui est du plan de soutien à l’élevage, il me paraît difficile de soutenir qu’il ne sert à rien quand des élevages porcins de Bretagne peuvent recevoir jusqu’à 15 000 euros à ce titre – même si d’autres élevages situés en Poitou-Charentes ne perçoivent, eux, que 2 000 euros. Quant au prêt à taux zéro, les professionnels souhaitent éviter une telle mesure, car souscrire un prêt, même à taux zéro, implique de rembourser le capital – et on a vu, avec les prêts de trésorerie, que cela pouvait être à l’origine de sérieuses difficultés.

M. Philippe Le Ray. L’année blanche, c’est contractuel.

M. le ministre. Dans certains départements, les banques ne jouent pas le jeu. On a proposé aux banques une année blanche partielle, consistant en un report des annuités en fin de tableau, ciblé sur les prêts relatifs aux immobilisations – c’est-à-dire les investissements à long terme – et un accord a été conclu sur cette base. Le Crédit agricole nous dit aujourd’hui avoir déjà traité entre 4 000 et 5 000 dossiers. Nous avons ajouté 25 millions d’euros au plan initial, et sommes disposés à remettre encore de l’argent pour soutenir ce dispositif qui est celui répondant le mieux à la demande des agriculteurs.

Dans le cadre d’une modification de la loi de modernisation de l’économie (LME), avait été prévue la possibilité d’une renégociation des contrats dans le cas d’une hausse des coûts de production. Or ce n’est pas cette hypothèse qui s’est réalisée, mais celle d’une chute des prix. La loi relative à la consommation est venue apporter des correctifs aux clauses de renégociation, en ajoutant des dispositions relatives aux pratiques frauduleuses et aux contrôles et sanctions supplémentaires – sur ce point, la loi Macron a modifié la sanction prévue pour les pratiques restrictives de concurrence visées par l’article L. 442-6 du code de commerce, en portant à 5 % du chiffre d’affaires réalisé en France le montant de l’amende encourue par l’auteur des pratiques incriminées.

Gardons-nous cependant de penser que, sur cette question, la grande distribution aurait tous les torts. J’attends un rapport de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires pour prendre position, mais il semble d’ores et déjà évident que certaines entreprises de transformation empochent aujourd’hui une grande partie des marges. On connaît ainsi des entreprises laitières qui, l’an dernier, ont obtenu une augmentation de leurs résultats nets à deux chiffres. Comme cela a été dit, Lactalis achète actuellement le lait à 360 euros la tonne en Italie pour en faire du parmesan –, et ce prix d’achat est encore plus élevé quand le lait est destiné à la fabrication du comté. Il existe donc bien des entreprises qui, apportant une valeur ajoutée importante au produit qu’elles transforment, réalisent une marge très confortable. Ce n’est pas le cas des entreprises laitières dont la production est constituée à 50 % de lait et de beurre en poudre : ne dégageant que de faibles marges, elles sont directement touchées par la baisse des prix sur le marché mondial, ce qui se répercute sur les prix offerts aux producteurs.

Nous n’avons rien contre le fait que certaines grandes entreprises gagnent beaucoup d’argent, mais elles doivent alors participer de façon équitable à l’effort qui est demandé à tous. Or lorsqu’on avance l’idée selon laquelle les prix figurant dans les contrats LME doivent être conclus à l’issue d’une discussion entre la grande distribution et l’industrie, ce sont bien les industriels qui crient le plus fort, affirmant craindre de se retrouver à la merci de la grande distribution si celle-ci venait à connaître les prix payés aux producteurs. Nous leur avons répondu que nous attendions leurs propositions et qu’à défaut, le problème devrait être réglé au moyen de la loi. Nous n’en sommes pas à mettre en œuvre la solution consistant en l’application d’un coefficient multiplicateur, évoquée par M. André Chassaigne, qui nécessiterait d’appliquer des coefficients différents en fonction du mix de produits de chaque industriel, ce qui serait beaucoup trop compliqué.

M. André Chassaigne. C’est vite dit !

M. le ministre. Je pense vraiment que ce serait trop compliqué. La logique retenue a priori est celle consistant à indiquer la conséquence de la négociation pour les producteurs, en l’intégrant au débat tripartite. Quand on fait une table ronde, le débat tourne invariablement à l’affrontement entre les industriels et la grande distribution sur la question des marges que feraient les uns et de la position dominante dont abuseraient les autres – ce qui, à un moment donné, oblige les agriculteurs à taper du poing sur la table en rappelant que ce sont eux qui souffrent. Je suis parfaitement conscient du fait que toutes les entreprises de transformation ne sont pas logées à la même enseigne : si nombre de PME et PMI sont confrontées à de grandes difficultés et ont besoin plus que d’autres du pacte de responsabilité et du CICE, d’autres s’en tirent très bien – celles-là, vous n’en entendez jamais parler, et elles se gardent bien de réclamer quoi que ce soit.

Pour ce qui est de la question européenne, une grande partie des problèmes auxquels nos agriculteurs sont actuellement confrontés vient du fait que, dans un contexte de prix bas, certains pays continuent à augmenter leur production. Si certains souhaitent exporter, d’autres ne font qu’appliquer les consignes que leur donnent les industriels, qui leur disent que pour rembourser leurs crédits, ils doivent augmenter leurs volumes – c’est mon collègue allemand qui me l’a rapporté. Dans la mesure où il est difficile d’exercer une contrainte au niveau européen, nous allons plutôt essayer de mettre en œuvre des mesures d’incitation, en espérant que notre initiative aura un effet d’entraînement sur les autres pays – pour l’instant, douze des vingt-huit membres de l’Union européenne nous donnent raison.

En tout état de cause, il est exclu que nous revenions aux quotas : d’une part, il n’y a pas de majorité pour adopter une solution de ce type, d’autre part, du temps où les quotas étaient appliqués, les sanctions financières en cas de non-respect de ceux-ci ne touchaient que les producteurs. Quand, par application du mécanisme de superprélèvement, dix pays européens ont été sanctionnés et ont dû payer près de 800 millions d’euros d’amende, cette somme a été réglée par les producteurs – ce qui a d’ailleurs permis de financer à hauteur de 500 millions d’euros le plan européen présenté en septembre 2015 par la Commission européenne. En revanche, il n’a rien été demandé aux industriels, qui avaient pourtant profité de l’accroissement de production. Plus on produit de lait, plus les prix sont bas, plus les exploitants augmentent leur production pour tenter de maintenir leurs revenus… Une telle situation, qui s’apparente à un cercle vicieux, est intenable, et nous recherchons activement une solution pour y mettre fin.

M. Philippe Le Ray. Nous l’avions vue venir, cette situation !

M. le ministre. Le commissaire européen Phil Hogan dit maintenant ne pas avoir pris conscience assez tôt de la gravité de la crise à venir. Pour ma part, en septembre dernier, je ne lui avais pas demandé de renforcer les mesures de soutien au stockage privé de lait en poudre, qui ne conduisent qu’à la poursuite de l’augmentation de la production, mais de pouvoir mettre en œuvre des interventions temporaires par lesquelles la puissance publique assume le retrait d’une partie de la production du marché – en contrepartie, évidemment, d’une limitation de la production. Il a refusé, arguant du fait précisément qu’une telle mesure pouvait inciter à produire. Les producteurs ont donc fait du stockage privé, et la production n’a cessé d’augmenter. Il nous faut à tout prix trouver des solutions pour sortir de cet engrenage infernal, faute de quoi les cours ne cesseront de chuter.

Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas favorable à l’interdiction des néonicotinoïdes, puisque nous ne disposons pas à l’heure actuelle de produits alternatifs – à moins de revenir à des molécules encore plus nocives.

Mme Delphine Batho. C’est faux !

M. le ministre. Que se passerait-il si l’on interdisait les néonicotinoïdes ? Si je suis persuadé que des solutions alternatives peuvent se construire, je sais que cela va prendre du temps – un temps pendant lequel il faudrait abandonner l’enrobage des semences pour revenir aux aspersions foliaires, plus dangereuses pour l’environnement.

La vraie question qui se pose est celle du modèle que doit adopter demain un grand pays agricole comme la France par rapport à ses concurrents européens. Cela fait longtemps que je réfléchis à cette question et, pour ma part, j’estime que nous pouvons être optimistes. À en entendre certains, la France agricole serait condamnée parce qu’elle n’est pas dotée de grands systèmes industriels. Aujourd’hui, il existe dans le monde des élevages de 20 000 à 30 000 vaches. Est-ce cela que nous voulons pour notre pays ?

Mme Brigitte Allain. Dans l’immédiat, ce sont les petits élevages de cinquante vaches qui vont disparaître !

M. le ministre. Mon homologue allemand m’a bien dit qu’aujourd’hui, l’essentiel du problème provient des zones où se trouvent les plus grandes exploitations laitières, tandis que la Bavière, elle, se débrouille plutôt bien.

M. Charles de Courson. C’est l’héritage du communisme !

M. le ministre. Comme on le voit, les très grands systèmes d’exploitation ne sont pas forcément les plus compétitifs. De mon point de vue, la France possède des atouts qui lui sont propres. Quelqu’un a dit que nous étions les seuls en Europe à imposer une taxe foncière sur les propriétés non bâties. Mais voyez combien coûte le foncier aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark ou en Irlande : trois à quatre fois plus cher qu’en France, où le prix constitue déjà un problème pour les agriculteurs français qui souhaitent s’installer.

Par ailleurs, nous avons de la surface et la capacité de mettre en œuvre des stratégies visant à atteindre l’autonomie fourragère. Dans ce domaine, les Pays-Bas, le Danemark et même l’Allemagne ont atteint les limites d’un mode de production hors-sol qui les fait dépendre presque intégralement de la production fourragère d’autres pays – aujourd’hui d’Amérique latine et demain, peut-être, d’Europe centrale. La France, elle, dispose d’un potentiel très élevé de production fourragère, ce qui doit nous inciter à mettre en place une stratégie basée sur les aides couplées ciblant la production de protéines fourragères. C’est là que les groupements d’intérêt économique et environnemental (GIEE), au cœur du projet agroécologique pour la France, prennent tout leur sens, en facilitant la mise en œuvre de ces nouvelles pratiques que sont les rotations écologiques et le développement des cultures de protéines fourragères.

Nous devons utiliser ce qui constitue un véritable avantage comparatif, qui nous permettrait de devenir indépendants en matière de production fourragère et ainsi de ne plus subir les fluctuations du marché sur ce produit d’alimentation. Les calculs que j’ai fait faire sur la Bretagne montrent que, compte tenu de ses surfaces de culture et du nombre d’animaux qui y sont élevés, cette région ne parviendra pas à atteindre une complète autonomie fourragère. Si je pense que la Bretagne ne peut produire plus de 30 % de ses besoins en l’état actuel, j’estime qu’elle est cependant en mesure de doubler ses capacités en mettant en œuvre une stratégie adaptée, c’est-à-dire en développant la production de protéines fourragères – en optant notamment pour le méteil – et en sachant s’organiser collectivement grâce aux GIEE. Bien entendu, le même raisonnement vaut pour toutes les régions et, à condition de savoir utiliser notre atout, nous serons en mesure de conserver un modèle composé d’exploitations dirigées par des agriculteurs, avec le moins de charges opérationnelles possible.

M. Marc Le Fur. Et une production en baisse !

M. le ministre. Pas du tout ! Je peux vous assurer que les modèles agroécologiques dont nous disposons permettent d’obtenir des niveaux de rendement plus élevés que ceux affichés par l’agriculture conventionnelle. On a pu voir, dans le magazine télévisé « 13h15 le dimanche », un maraîcher qui a triplé ses rendements – et les a doublés par rapport aux méthodes de culture traditionnelles – en passant à l’agroécologie. Il y a, en la matière, un potentiel immense qu’il ne faut pas négliger. Pour cela, nous devons bien nous organiser, en mettant en œuvre une stratégie. À l’heure actuelle, les charges opérationnelles s’élèvent à 475 euros de l’hectare pour la culture de céréales en France, dont 175 euros pour les seuls produits phytosanitaires. Rien ne justifie que nous continuions à augmenter les quantités de produits chimiques mis en œuvre : nous avons, au contraire, tout intérêt à réduire leur utilisation, ne serait-ce qu’en raison de l’économie immédiate que cette réduction va procurer – d’autant que leur prix a augmenté de manière très significative en 2013 et 2014 –, et c’est tout l’objectif du plan Ecophyto II, qui vise à réduire les consommations d’intrants et les consommations intermédiaires, tout en augmentant l’autonomie des agriculteurs.

M. Philippe Le Ray. Et les OGM ?

M. le ministre. Pour ce qui est des OGM, il n’y a aucune raison de penser qu’ils constituent la solution la plus efficace. En matière de mycorhization des sols, Monsanto vient de découvrir un champignon permettant d’accroître de 5 % le rendement de la production de maïs. Le Monsanto qui nous a bassinés pendant des années avec les seuls OGM comme solution de rendement ! C’est bien la preuve que nous avons tout à gagner à explorer les multiples pistes, extrêmement productives et performantes du point de vue environnemental, offertes par l’agroécologie.

En matière de modèles de production, M. Charles de Courson a évoqué les cultures intermédiaires pièges à nitrates (CIPAN), consistant, en vertu d’une réglementation appliquée depuis une quinzaine d’années, à couvrir les sols de certaines cultures en hiver, afin d’éviter que l’azote épandu sur les sols ne parte dans les rivières. Je rappelle que la France a été condamnée en 2014 par la Cour de justice de l’Union européenne pour n’être pas parvenue à respecter la directive de 1991 sur les nitrates et les pollutions d’origine agricole. Dans un modèle agroécologique, les sols sont beaucoup plus épais, plus spongieux, et présentent donc une capacité plus importante à retenir l’eau et l’azote – une substance qui est d’ailleurs nécessaire à leur bon fonctionnement –, ainsi qu’un système microbiologique très développé. Ces sols présentent, en termes de structure et de composition chimique, des caractéristiques qui rendent beaucoup plus rare le dépassement des taux de matière organique dans les cours d’eaux : de ce fait, ils présentent des potentialités en matière d’épandage qui n’ont rien à voir avec celles des sols traités de façon conventionnelle. Je vais proposer aux agriculteurs qui le souhaitent de s’engager sur cette voie, ce qui leur permettra de sortir des normes actuelles en matière d’épandage sans se départir des objectifs environnementaux, qui constitueront, au contraire, l’un des éléments de notre future stratégie de compétitivité. Comme je l’ai déjà dit, quand je quitte Moscou en novembre, les récoltes sont terminées et les champs déjà recouverts de neige : les agriculteurs doivent attendre le printemps pour reprendre le travail. À mon retour dans la Sarthe, je vais voir mon ami Philippe Pastoureau dans sa ferme de Tassé, au milieu des champs couverts d’une herbe haute d’un mètre cinquante ! J’insiste donc sur ce point : nos territoires offrent un potentiel exceptionnel, que nous devons savoir exploiter.

Cela dit, nous traversons effectivement une crise majeure, qui justifie les baisses des charges et les simplifications administratives que nous mettons en œuvre. Les surfaces non agricoles sont source de complications extrêmes. Nous avons souhaité que les haies fassent partie des surfaces éligibles aux aides, afin que les agriculteurs ne soient pas incités à les arracher : elles constituent donc des surfaces non agricoles primables, au contraire des mares, des rochers ou des chemins, par exemple. Il est aujourd’hui nécessaire de refaire tout le parcellaire graphique en intégrant les haies, ce qui pose de nombreuses difficultés techniques et peut donc se révéler très fastidieux : au congrès de la Fédération nationale bovine, un agriculteur mayennais m’a expliqué qu’il avait 150 corrections à effectuer sur les six kilomètres de haies que compte son exploitation – il n’en pouvait déjà plus au bout d’une vingtaine de corrections ! Je comprends l’exaspération des agriculteurs, qui ont déjà bien d’autres problèmes. C’est pourquoi, afin d’éviter que de telles situations ne se reproduisent, nous avons simplifié les procédures, en faisant en sorte que seules les corrections ayant un impact sur le versement des aides soient à apporter dans l’immédiat, les rectifications moins importantes pouvant être effectuées ultérieurement, au moyen des déclarations Télépac habituelles – cela vaudra pour les cinq années à venir. Il est nécessaire de disposer de documents à jour faisant apparaître un tracé aussi précis que possible des haies, afin de pouvoir les produire à l’échelle européenne et ainsi permettre aux agriculteurs concernés de toucher des primes pour les surfaces correspondantes – de ce point de vue, c’est un progrès.

Les apurements qui ont eu lieu au cours des années passées portaient sur des erreurs de surface de l’ordre de 0,5 %. J’ai siégé au Parlement européen au sein de la commission du contrôle budgétaire, où l’on fait preuve d’une méfiance a priori à l’égard des attributions des aides européennes : le système de décharge budgétaire – la décision par laquelle le Parlement européen « libère » la Commission européenne de sa responsabilité dans la gestion d’un budget donné – impose au commissaire concerné de justifier que les aides qu’il a versées ont toutes été vérifiées. De ce fait, les contrôles deviennent exagérément poussés, et l’on en vient à des situations où il faut corriger des erreurs au mètre carré – le degré de précision des photographies satellite sur la base desquelles les plans parcellaires sont revus. Je vais m’efforcer de convaincre la Commission européenne de l’absurdité d’un tel système mais, pour le moment, les agriculteurs qui veulent toucher leurs aides doivent se plier aux règles définies au niveau européen – je le déplore, mais je suis moi-même coincé.

Pour ce qui est du décret, il va être envoyé à la Commission européenne. J’en ai discuté avec les commissaires, et leur ai fait part de mon souhait de procéder à une expérimentation en France, en dépit de leurs réticences quant au coût de cette mesure. Pour ma part, je ne suis pas sûr que ce coût soit si élevé qu’ils l’affirment.

Mme Delphine Batho. Avons-nous vraiment besoin de leur accord ?

M. le ministre. En principe, nous avons besoin de leur accord formel, dans la mesure où cette décision a trait à une compétence européenne. Mais nous allons nous efforcer de régler ce problème.

L’étiquetage ne concernant que les entreprises françaises, on peut se demander si cette mesure ne va pas avoir pour effet de créer une distorsion de concurrence à leur détriment. Pour ma part, je préfère penser que le consommateur va être incité à acheter de préférence des produits dont l’origine précise est indiquée – l’origine française, de surcroît, ce qui est gage de qualité –, plutôt qu’une vague mention de provenance de l’Union européenne. À condition de faire un peu de pédagogie, cette mesure peut clairement constituer un atout pour la filière française.

En l’absence de coordination à l’échelle européenne, tous les pays mettent actuellement en œuvre des stratégies de protection de leur marché intérieur. Il existe ainsi des labels de provenance géographique en Irlande, en Italie, et même en Allemagne, notamment pour le porc. Il est normal que nous nous joignions à ce mouvement, et nous aurions même dû le faire plus tôt. Comme je l’ai dit aux commissaires européens, il est logique qu’en l’absence de coordination à l’échelle européenne, les États se mettent à chercher des solutions à leur niveau.

Nul ne sait combien de temps la crise va durer, et dans quel état nous en sortirons, mais en termes stratégiques, ce ne peut être qu’un atout que de chercher à sécuriser un débouché nous permettant ensuite de valoriser des produits en vue de l’exportation et d’être compétitifs sur les marchés européen et mondial. C’est un risque à prendre, mais l’enjeu justifie que nous le prenions, en dépit des réticences exprimées par nos industriels.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, j’aimerais vous poser une question subsidiaire au sujet des futures baisses de charges sociales récemment évoquées par le Président de la République.

Mme la présidente Frédérique Massat. M. le ministre ne vous répondra pas sur ce point, monsieur Charles de Courson : les annonces se feront demain.

M. Philippe Armand Martin. Pouvez-vous nous rappeler combien d’États membres de l’Union européenne approuvent votre initiative ?

M. le ministre. Il y en a douze, à savoir l’Allemagne – qui est d’accord sur le principe, tout en émettant des réserves sur les modalités techniques –, l’Italie – pour le lait et les tomates –, la Pologne – tout à fait d’accord avec nous pour le porc et le lait –, la Belgique, le Portugal, l’Irlande, la Roumanie, la Bulgarie, la Lettonie, la Slovaquie, la Slovénie et Chypre. J’ajoute l’Espagne, qui n’est d’accord qu’en ce qui concerne le lait.

Mme la présidente Frédérique Massat. Je vous remercie, monsieur le ministre, et je pense que nous nous reverrons très rapidement ici même.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 16 février 2016 à 21 h 30

Présents. - Mme Brigitte Allain, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Yves Blein, M. André Chassaigne, Mme Corinne Erhel, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, Mme Pascale Got, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Dominique Potier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Lionel Tardy, Mme Catherine Vautrin, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Thierry Benoit, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Jeanine Dubié, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Jean-Charles Taugourdeau

Assistaient également à la réunion. - M. Serge Bardy, M. Charles de Courson, M. Yannick Favennec, Mme Chantal Guittet, Mme Isabelle Le Callennec, M. Marc Le Fur, M. Christophe Léonard, M. Martial Saddier