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Commission des affaires économiques

Mercredi 23 mars 2016

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 63

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

– Audition de MM. Patrick Chassard et Claude Vermot-Desroches, respectivement vice-président et membre du Conseil national des appellations d’origine laitières (CNAOL), et de M. Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à appellations d’origine contrôlées (CNAOC), sur les conséquences du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) sur les appellations d’origine protégée (AOP)

La commission a auditionné MM. Patrick Chassard et Claude Vermot-Desroches, respectivement vice-président et membre du Conseil national des appellations d’origine laitières (CNAOL), et M. Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à appellations d’origine contrôlées (CNAOC), sur les conséquences du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) sur les appellations d’origine protégée (AOP).

Mme la présidente Frédérique Massat. La commission des affaires économiques travaille depuis plusieurs mois sur le partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership — TTIP). Elle a notamment auditionné, conjointement avec la commission des affaires européennes, le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, M. Matthias Fekl, et ce matin encore, le responsable des affaires internationales de l’Union des industries chimiques.

De nombreux députés sont fortement investis sur la question des appellations d’origine protégée (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP) et certains ont mené des missions d’information sur cette spécificité française dont nous sommes très fiers et que nous revendiquons. Aujourd’hui, un différend majeur nous oppose aux Américains dans le cadre des négociations du TTIP. Nous sommes là pour accompagner les acteurs de ces filières et faire en sorte que la voix de la France soit entendue et portée au plus haut niveau.

Rappelons que 605 AOP et 675 IGP sont enregistrées au niveau européen, hors vins et spiritueux, et que 330 vins français et 50 productions laitières françaises sont enregistrés en AOP.

La France, par la voix du Gouvernement et du ministre chargé de ce dossier, a un discours offensif. Nous l’accompagnons afin que ces négociations ne se fassent pas au détriment de nos AOP et IGP. Nous ne voulons pas être soumis, demain, à une conception américaine qui n’est pas compatible avec la manière dont nous souhaitons mettre en avant nos productions du terroir auxquelles nous sommes attachés.

M. Patrice Chassard, vice-président du Conseil national des appellations d’origine laitières (CNAOL). Producteur de Saint-Nectaire fermier, je représente le Conseil national des appellations d’origine laitières (CNAOL) qui regroupe les 50 appellations d’origine laitières françaises.

Les indications géographiques (IG) représentent un chiffre d’affaires de 54 milliards d’euros en Europe dont 21 milliards d’euros pour la France et 88 % pour les produits viticoles : c’est l’équivalent de 240 Airbus A320 et cela concerne en France 126 000 exploitations agricoles pour la seule filière laitière.

Le tonnage de fromages AOP atteint 193 000 tonnes, pour un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros. Cette activité est très créatrice d’emplois puisque l’on comptabilise 58 000 emplois directs. Soit un ratio de 2,8 emplois pour 100 000 litres de lait, pratiquement trois fois plus que celui de l’ensemble de la filière laitière conventionnelle : un emploi pour 100 000 litres de lait.

J’ajoute que cette économie n’est pas délocalisable, contrairement aux marques. Sans oublier que plus de la moitié de la surface agricole utile (SAU) des zones d’appellations laitières est située en zone défavorisée – montagne, piémont, etc.

Les indications géographiques reposent sur des cahiers des charges qui permettent la reconnaissance des savoir-faire locaux. De ce fait, elles participent au patrimoine gastronomique, mais également à la valorisation de la biodiversité ordinaire en préservant des espèces, des races adaptées au terroir, y compris au niveau microbien, par l’utilisation du lait cru. Ce qui n’est pas sans poser problème : s’il est désormais possible d’exporter le lait cru, des barrières sanitaires ont été multipliées, qui interdisent en pratique presque toute exportation ; certains produits, heureusement, y parviennent. Enfin, les IG constituent un atout environnemental : grâce aux prairies permanentes, on parvient à stocker chaque année quelque 500 kg de carbone par hectare, ce qui permet de dégager un bilan carbone positif ; or cette partie n’est souvent pas intégrée dans le bilan carbone de l’agriculture, alors que c’est précisément elle qui le rend positif.

M. Claude Vermot-Desroches, membre du Conseil national des appellations d’origine laitières, président d’oriGIn section France. Membre du Conseil national des appellations d’origine laitières, je suis producteur de lait dans la filière Comté que je préside.

Le CNAOL regroupe les cinquante appellations d’origine laitières qui se sont rassemblées pour défendre l’intérêt des AOP au sein de l’interprofession laitière française. Quant à oriGIn section France, elle rassemble toute une série d’associations qui se sont constituées pour la promotion et de la défense des intérêts des AOP et des IGP.

Nous considérons qu’il est essentiel d’obtenir la reconnaissance des IG dans le cadre du TTIP, avec une véritable définition de ce que représente une AOP ou une IGP. Le temps presse car beaucoup de pays tiers ont déjà signé des accords bilatéraux avec les États-Unis.

Certains lobbys souhaitent que l’on puisse utiliser des noms qualifiés de génériques ou semi-génériques alors que ce sont des instruments bien identifiés au niveau européen et français. Il y a une tendance très forte à vouloir s’accaparer des AOP, au prétexte que leur identification est un mot générique. Parmi les exemples de ces usurpations, ceux du Champagne ou du parmesan sont les plus connus. Il y a là une véritable tromperie du consommateur américain qui croit vraiment acheter un produit français ou italien. De même, la dénomination « pruneau d’Agen » fait référence à des pruneaux de France alors qu’ils sont produits au Chili. Il est donc indispensable que cesse ce risque de tromperie du consommateur américain.

Une enquête, réalisée en 2014, a pu démontrer une évolution dans le comportement des consommateurs américains, qui sont de plus en plus intéressés à connaître l’origine des produits. Ce serait donc un comble que l’on ne parvienne pas à bien protéger le nom d’origine d’un produit. On a constaté également qu’au Texas des producteurs commencent à s’organiser et à bien identifier leurs lieux d’origine.

Bien qu’ils ne représentent qu’une petite part des fromages exportés – plus de 372 000 tonnes au total – les fromages AOP, avec près de 12 000 tonnes, sont en progression constante : en quinze ans, l’exportation du Roquefort a augmenté de 15 % ; celle du Comté, qui partait de bien plus loin, a crû de 115 % ces dix dernières années. Il y a donc là un vrai potentiel, d’autant que cela répond à une réelle demande des consommateurs américains qui recherchent, à travers des produits français traditionnels et artisanaux, une histoire et une image de la France.

Prenons garde toutefois, dans ces négociations, aux freins pour l’exportation que représentent les contraintes dites sanitaires, qui sont en réalité de véritables protections. Il faut éviter une négociation de dupes dans laquelle on interdirait le lait cru ou encore certains produits artisanaux issus d’un réel vrai savoir-faire par des mécanismes de protection faisant appel à des considérations sanitaires ou même éthiques – voyez ce qui se passe pour le foie gras.

Il est donc nécessaire de défendre les noms des IG. Certains produits, il est vrai, ont pu se protéger en déposant un nom et une marque aux États-Unis, mais ils sont très rares. Il faut vraiment une reconnaissance du principe des IGP et des AOP.

M. Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d’origine contrôlées (CNAOC). Je m’exprimerai ici au nom de l’ensemble des producteurs de vins et eaux-de-vie sous appellations d’origine contrôlées, y compris le cognac, ainsi qu’au titre de la Fédération européenne qui représente l’ensemble des vins d’appellation d’origine puisqu’il s’agit d’un sujet international. Nous avons construit et défendons une position commune européenne.

Le marché américain est devenu, pour le secteur viticole, un marché stratégique, notre premier marché d’exportation. Pour la France, cela représente 1,31 milliard d’euros en 2015, pour un total d’exportations de vins à travers le monde de 7,9 milliards d’euros. Pour les vins et spiritueux, on atteint 2,5 milliards d’euros, le cognac représentant 70 % des volumes.

La consommation de vin aux États-Unis a connu une progression très importante durant la dernière décennie. Les États-Unis sont devenus le plus grand pays consommateur de vin au monde, avec 30,7 millions d’hectolitres consommés en 2014. Il s’agit donc d’un marché très porteur et en pleine croissance.

Le secteur viticole a négocié, au travers de l’Union européenne, un accord vin en 2005 avec les États-Unis. La première phase portait essentiellement sur les questions relatives à l’étiquetage, à la certification et aux pratiques œnologiques. Les Américains s’étaient engagés à modifier leur législation sur les semi-génériques dans la deuxième phase de l’accord – les semi-génériques sont des vins américains qui portent des noms d’IG. La deuxième phase de l’accord devait débuter quatre-vingt-dix jours après la signature de l’accord. Malheureusement, cette deuxième phase n’a jamais été lancée et les Américains n’ont pris aucune initiative pour modifier leur législation et changer le statut des semi-génériques.

On recense 17 noms de semi-génériques aux États-Unis. Citons entre autres Champagne, Burgundy, Sauternes, Claret, Haut-Sauternes et Chablis pour la France, et Chianti, Porto et Tokay pour l’Europe. Ces noms sont utilisés par des producteurs américains avec un localisant. Autrement dit, les Américains peuvent donc toujours continuer à commercialiser du California Champagne en toute liberté…

Rappelons que 53 % des volumes commercialisés aux États-Unis sont des vins américains, dont 75 % sont des vins mousseux présentés avec la dénomination Champagne et commercialisés à des prix inférieurs à 10 dollars… Par contre, le « vrai » Champagne représente 10 % des volumes de vins mousseux commercialisés aux États-Unis mais dans une tranche de prix beaucoup plus élevés : plus de 30 dollars.

Les autres indications géographiques, qui ne sont pas considérées par les autorités américaines comme des semi-génériques, sont protégées par un système d’étiquetage géré par le United States Alcohol and Tobacco Tax and Trade Bureau qui examine les étiquettes des vins qui entrent sur le territoire américain. Il s’agit donc d’un système de protection contre la tromperie du consommateur et non, à proprement parler, d’un droit de la propriété intellectuelle. Évidemment, on est mieux protégé au travers de la propriété intellectuelle que de la lutte contre la tromperie du consommateur. Je parle notamment de la protection pour empêcher l’utilisation du nom par d’autres produits. Les opérateurs français et européens essaient le plus souvent de protéger leur nom au travers de la marque commerciale ; mais c’est une démarche onéreuse et pas toujours très efficace.

Le TTIP est donc une véritable opportunité pour remettre les pendules à l’heure avec les autorités américaines. Notre objectif est très clair : obtenir une protection totale et définitive à l’issue d’une période de transition. C’est le point principal sur lequel nous souhaitons que l’Union européenne soit offensive dans ses négociations. Pour autant, nous sommes vigilants sur d’autres points, notamment sur les mentions dites traditionnelles.

Dans l’accord conclu en 2005 entre les États-Unis et l’Europe a été négocié un protocole relatif à l’étiquetage, qui reconnaissait aux opérateurs américains la possibilité d’utiliser des mentions traditionnelles comme « château », « clos », « domaine », etc. pour l’exportation de vin américain sur le marché intérieur de l’Union européenne pendant une période de trois ans reconductible. Cet accord a été dénoncé en septembre 2008 car, ainsi que je l’ai dit plus haut, les Américains n’ont pas respecté les engagements prévus au titre de la deuxième phase et n’ont entamé aucune discussion au Congrès pour modifier le statut des semi-génériques.

Le secteur viticole a connu plusieurs tentatives de la Commission européenne ces dernières années pour modifier de manière unilatérale ce statut des mentions traditionnelles. Des négociations officieuses se sont tenues entre l’Union européenne et les États-Unis sur la question des mentions traditionnelles. La Commission a proposé à deux reprises, et notamment au mois de septembre 2012, d’autoriser à nouveau l’utilisation par les opérateurs américains des noms de mentions traditionnelles. Le secteur viticole français s’est très fortement mobilisé pour dénoncer cette tentative de la Commission de négocier avec les autorités américaines. Nous avons déployé notamment une grande campagne dans la presse généraliste et la Commission a préféré faire marche arrière.

Nous relevons maintenant que la Commission européenne, au moment où elle entreprend un grand chantier de simplification de la législation viticole, reste silencieuse sur le thème des mentions traditionnelles alors qu’elles devraient y être traitées. Tout porte à craindre que, dans le cadre des négociations en cours, l’Union européenne ait quelques velléités de négocier à nouveau avec les Américains la possibilité pour eux d’utiliser les noms des mentions traditionnelles.

Entre autres mentions traditionnelles, le nom « château », né à Bordeaux au XIXsiècle, rencontre aujourd’hui un grand succès commercial puisque plus de 525 millions de bouteilles sont commercialisées sous cette dénomination. Sur le plan juridique, la mention « château » répond à une définition précise dans la réglementation communautaire : 100 % des raisins doivent être récoltés et vinifiés sur l’exploitation. En revanche, aux États-Unis la mention « château » correspond à une simple marque commerciale : autrement dit, la totalité des raisins peut parfaitement provenir d’un autre endroit.

J’en viens au douzième round des négociations qui s’est déroulé au mois de février à Bruxelles et qui portait sur la thématique des indications géographiques. Nous avons senti que les négociateurs américains étaient plus que jamais crispés sur cette question, y compris dans le secteur du vin. Un accord a déjà été conclu dans le passé avec les États-Unis, nous espérions qu’ils feraient preuve d’un peu d’ouverture sur la question des IG viticoles – nous les savons très crispés sur la question des IG agroalimentaires. Grande a été la surprise des négociateurs européens en découvrant que les négociateurs américains étaient également très fermés sur la question des IG viticoles et appelaient désormais à un règlement entre opérateurs ! En résumé, ils appellent les opérateurs américains à négocier avec les opérateurs européens – c’est ce qu’ils appellent le all about money –, autrement dit les opérateurs français devraient dédommager leurs homologues américains pour qu’ils renoncent à utiliser les noms des semi-génériques !

Nous attendons de l’Union européenne qu’elle soit très offensive dans ces négociations. Nous notons bien un empressement de la part de certains politiques pour que cet accord aboutisse si possible à court terme. Mais pour ce qui concerne le secteur viticole européen, nous sommes clairement contre un accord a minima à court terme et nous appelons à un accord ambitieux à moyen terme.

Nous nous félicitons de la détermination des négociateurs français, mais aussi du Gouvernement français sur la question de l’accord TTIP. Nous apprécions les propos très forts qu’a tenus M. Matthias Fekl sur ce sujet et nous avons relevé avec satisfaction qu’au-delà de la question très importante des semi-génériques, les autorités françaises avaient bien souligné, contrairement aux autorités européennes, l’impérieuse nécessité de rester vigilant sur celle des mentions traditionnelles.

Mme Annick Le Loch. Ce traité nous interpelle tous. Vous êtes les représentants de produits sous signes de qualité, auxquels nous sommes attachés. Nous avons envie de les protéger au niveau international, faire en sorte que l’Europe les reconnaisse et qu’ils puissent prospérer.

Je rédige actuellement un rapport sur l’avenir des filières d’élevage, et je m’intéresse à la crise du lait. Certes, vous n’êtes pas concerné par cette crise puisque l’on sait que des produits comme le Roquefort, le Comté et le Saint-Nectaire se vendent bien. Cela dit, il y a une surproduction de lait dans notre pays. Certains voient, dans le cadre de ce traité, l’abaissement des barrières tarifaires, qui peut profiter à des produits un peu spécifiques comme le lactosérum, pour l’instant fortement taxé à l’exportation. Que pensez-vous globalement de la situation agricole dans notre pays ? Comment protéger nos produits agricoles en général – je pense aussi au porc et aux bovins ? Peut-on songer à exclure certains produits de ce traité afin de protéger nos marchés, nos produits de qualité et nos agriculteurs ?

M. Alain Suguenot. Je parlerai plus particulièrement du vin, laissant à mon collègue Philippe Armand Martin, député de la Marne, le soin de parler du lait. (Sourires)

Le combat pour le fromage et le vin est le même : ce sont des valeurs que nous représentons. Je suis aussi inquiet que M. Bobillier-Monnot par l’attitude de la Commission européenne, et d’abord sur le plan juridique. Elle essaie de nous rassurer en nous promettant d’exclure certains secteurs de la libéralisation alors qu’elle fait l’inverse en acceptant de prendre la liste négative et non la liste positive – autrement dit, seul ce qui figure dans la liste des négociations peut être « réglementé » ; pour tout le reste, c’est la libre concurrence qui s’applique… On en revient à la logique d’un texte honni dans le monde viticole : la loi Évin, où tout ce qui n’est pas dans la loi est interdit. Cette logique est d’autant plus dangereuse qu’elle aboutira, dans le cadre d’une négociation, à une catastrophe, et pour un résultat des plus limités : les plus optimistes pensent que le TTIP pourrait éventuellement permettre à l’Union européenne un gain de 119 milliards d’euros d’ici à 2027, ce qui n’est pas considérable. Autrement dit, le jeu n’en vaut pas la chandelle. C’est pourquoi il est prudent de prendre le temps d’une négociation suffisante pour permettre d’avancer.

L’accord de 2005 n’a pas du tout été respecté, mais, et ce n’est pas de l’anti-américanisme que de le dire, nous en avons l’habitude avec nos partenaires américains… Ils ont tendance à appliquer l’adage suivant : ce qui est à nous est à nous et ce qui est à vous fait l’objet de négociations. On le voit, même si nos craintes sont peut-être infondées, avec le poulet au chlore… Il n’empêche que ce sont des menaces considérables sur nos productions de qualité, qu’il s’agisse du fromage ou du vin.

Je souhaite interpeller M. Bobillier-Monnot sur la question des mentions traditionnelles, qui est un casus belli. Le Gouvernement français a pris la mesure du problème en prévenant qu’il bloquerait les négociations si les appellations géographiques ne sont pas respectées. Il faut maintenir cette position ferme. S’agissant des extensions «. vin » et «. wine », va-t-on pouvoir, dans le cadre des règles d’attribution mises en place par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), tenir compte des garde-fous indispensables pour les Européens, c’est-à-dire limiter la spéculation sur les noms de domaines et protéger l’utilisation commerciale des appellations géographiques viticoles ou agricoles ?

Mme Jeanine Dubié. Messieurs, je tiens à vous remercier pour vos interventions.

Nous sommes nombreux ici à nous préoccuper des incidences du partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (PTCI) – je m’obstine à utiliser l’acronyme français –, notamment en ce qui concerne la reconnaissance des indications géographiques protégées.

Je veux, comme vous, saluer l’engagement du secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, M. Matthias Fekl, qui met tout en œuvre pour que les IGP soient reconnues dans leur définition, leur cahier des charges, et qu’elles soient bien distinctes de ce que connaissent les États-Unis au travers des étiquettes et des marques. Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste que je représente y voit une condition indispensable à la signature de tout traité de libre-échange, afin de garantir une qualité élevée des produits en matière d’approvisionnement et de territorialité.

Il n’en reste pas moins que, dans le cadre du Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), autrement dit le partenariat commercial entre l’Union européenne et le Canada, 175 IGP ont été reconnues, dont 42 sont françaises. Cet accord a été considéré comme un véritable succès pour les producteurs français. Avez-vous déjà pu en évaluer les bénéfices pour vos filières respectives ?

Le Comité économique et social européen (CESE) a identifié des lignes rouges à ne pas franchir lors des négociations sur le PTCI. Il a réalisé un focus sur le secteur agricole en se prononçant en faveur d’une exception agricole et alimentaire favorable au modèle de l’agriculture familiale. Je ne suis pas loin de penser la même chose, car je ne suis pas certaine que le secteur agricole français sera vraiment bénéficiaire dans cette affaire. Le CESE estime que cet accord et la possible harmonisation réglementaire qu’il engendrerait seraient susceptibles de faire baisser nos normes de précaution en matière d’utilisation de pesticides. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Mme Michèle Bonneton. Messieurs, je vous remercie pour vos exposés très précis.

Le sujet dont nous débattons aujourd’hui m’inquiète également parce que le TTIP paraît plutôt bien adapté au farm bill américain. La politique agricole américaine est beaucoup plus protectionniste pour les producteurs nationaux que la PAC, et souvent de façon très dissimulée, soit par des aides indirectes, des prix garantis assez élevés, soit par des aides qui ne sont pas toujours fédérales. Ces dernières sont souvent les seules qui apparaissent dans les négociations alors que chaque État peut apporter son soutien à ses agriculteurs, dans des conditions très obscures.

Quant aux IG, elles font vraiment partie des points forts de notre agriculture, aussi bien pour les ventes en France, dans l’Union européenne, que dans le cadre du commerce international. Nous n’avons pas du tout la même conception de ces IG que les États-Unis. Là-bas, seule la marque privée dont l’entreprise est propriétaire est reconnue et protégée.

En Europe, on recense environ 1 500 IG, dont plus de 600 pour la France, essentiellement pour les vins et les fromages. Mme Cecilia Malmström, la commissaire européenne au commerce extérieur qui participe de près aux négociations, m’a répondu il y a quelques mois sur le sujet qu’elle serait très contente si nous arrivions au même résultat que lors des négociations avec le Canada par lesquelles, Mme Jeanine Dubié vient de le rappeler, 173 IG européennes sont protégées, dont 42 IG françaises. Autrement dit, on est bien loin du compte par rapport à ce qui existe.

En consultant les documents officiels, j’ai vu que l’on parlait beaucoup des vins génériques – on en recense 21 dont je n’ai trouvé nulle part la liste – mais pas des semi-génériques. Pouvez-vous nous expliquer la différence ?

S’agissant du onzième cycles de négociations, il est écrit qu’il y a un grand recul par rapport aux négociations sur les IG. Les documents officiels du douzième round ne sont malheureusement pas encore disponibles. Il faut régler rapidement le problème de l’utilisation abusive des IG françaises. Comment voyez-vous les termes de ce règlement ? Quel type de protection êtes-vous prêts à accepter pour les appellations génériques et pour combien de ces appellations ? Seriez-vous favorable à l’appellation « Comté de Franche-Comté » ?

M. Thierry Benoit. En tant que co-rapporteur de la mission d’information sur l’avenir des filières d’élevage, je veux faire écho aux propos de Mme Annick Le Loch.

Je suis convaincu qu’il faut, dans le cadre des négociations du traité transatlantique, isoler les produits agricoles, autrement dit en faire un cas à part. Qu’en pensez-vous ?

Vous avez beaucoup parlé de l’exigence de la France de voir reconnues les IGP et les AOP dans ce traité. On voit bien que nos amis américains ne sont pas fiers de faire d’une appellation une marque et très vite un nom générique qui sert de marque commerciale.

Vous avez peu évoqué les exigences sanitaires de la France dans le domaine viticole et nos exigences en termes de bien-être animal, d’environnement, de santé, d’OGM, d’hormones de croissance ou de perturbateurs endocriniens. Mais je ne vois pas comment, dans les négociations, on va pouvoir empêcher nos amis américains de nous envoyer de la viande bovine et du lait produits dans des conditions très discutables par rapport à ce que nous, nous mettons sur le marché.

Comment l’Europe, incapable de s’organiser, d’apporter des réponses à la crise agricole française et européenne, va-t-elle pouvoir discuter d’égal à égal avec nos amis américains ? Avant d’aller négocier le traité transatlantique, encore faudrait-il que l’Europe s’organise. Que pensez-vous de l’idée de faire de l’agriculture un cas à part dans les négociations ?

M. Hervé Pellois. Le CETA a permis de protéger les appellations françaises. Cette reconnaissance est-elle suffisante ? Dans vos domaines respectifs, y a-t-il des produits dont l’appellation est protégée par cet accord tandis que d’autres ne le seraient pas ? Quelles difficultés cela engendre-t-il ?

On a parlé du onzième et du douzième cycles de négociations caractérisés par le recul très marqué des États-Unis pour régler la question de nos appellations et des génériques. L’Union européenne a rappelé, par ailleurs, la nécessité de résoudre les problèmes qui désavantagent les produits agricoles européens sur le marché américain, c’est-à-dire les redevances spécifiques imposées à nos importations de produits laitiers et les règles américaines qui régissent les ristournes de droits sur le vin. Quels impacts ont actuellement ces restrictions sur la vente de vos produits aux États-Unis ?

Enfin, quelle stratégie avez-vous mise en place avec vos homologues européens pour peser sur les négociations à Bruxelles ? Êtes-vous consultés par Bruxelles ? Comment êtes-vous informés de ce type de négociations ?

M. Philippe Armand Martin. La protection des IG sur internet, et plus particulièrement des nouveaux noms de domaine, fait-elle partie des négociations en cours du TTIP ?

En 2005, nous avions présenté une proposition de résolution sur le commerce du vin. Mais ce que nous avions demandé n’a pas été retenu. Les Américains se basent sur la clause dite « du grand-père » pour continuer à utiliser les 17 noms de semi-génériques. Les États-Unis sont-ils bien redevenus membres de l’Organisation internationale de la vigne et du vin ? Serait-il possible que l’Union européenne fasse pression sur le Congrès américain, puisque c’est lui qui doit décider de cette question ?

Il est regrettable qu’il y ait encore des usurpations d’IG, tant dans le secteur viticole que laitier. Quelles sont les barrières qui freinent encore l’exportation de vos appellations laitières aux États-Unis ? Je sais qu’en matière de vin les conditions sont assez draconiennes, notamment en ce qui concerne l’étiquetage. Les contraintes pour exporter du vin aux États-Unis sont énormes, alors qu’elles le sont beaucoup moins dans l’autre sens : on permet toujours aux États-Unis de mentionner un nom d’origine sur les étiquettes si seulement 75 % du vin concerné est produit à partir de raisins récoltés dans l’endroit nommé… Il faudrait pouvoir faire pression auprès des États-Unis pour pouvoir obtenir d’autres compensations pour nos appellations européennes.

M. Yves Daniel. Messieurs, je vous remercie pour vos exposés qui nous permettent de mesurer les enjeux de cet accord.

Je veux appuyer l’intervention de Mme Annick Le Loch concernant la crise de l’élevage : le secteur laitier se heurte à de grandes difficultés en raison de la fin des quotas laitiers, de l’embargo russe, de la pression sur les prix et de la nécessaire réorganisation des filières. Mais en quoi le TTIP peut-il être une solution ?

La loi américaine considère que les IG viticoles européennes sont des semi-génériques, d’où des usurpations et des abus de réputation sur le marché américain. Là encore, en quoi le TTIP peut-il être une solution ?

Je partage les propos de M. Thierry Benoit selon lequel il faut prendre en compte, dans le cadre de ce traité, l’enjeu que représente la sécurité sanitaire, dont nous avons eu l’occasion de débattre en commission des affaires européennes. De la même manière qu’il existe une exception culturelle, ne pourrait-on pas imaginer une exception agricole ou une exception agroalimentaire, compte tenu de l’importance de ce secteur dans l’alimentation de la planète et dans la protection de notre santé ?

M. Jean-Claude Mathis. C’est peu dire que le secteur viticole s’inquiète fortement des projets de la Commission européenne, qui visent à mettre en conformité des textes avec le traité de Lisbonne, mais aussi à simplifier un certain nombre de textes existants. Il ne serait pas acceptable que la Commission remette en cause une partie des règles adoptées lors des dernières réformes et qui assurent un équilibre global.

L’ensemble des textes doivent donc être mis en discussion au même moment et les améliorations et simplifications concrètes attendues pour les opérateurs présentées.

La spécificité des règles devra par ailleurs être maintenue, conformément aux décisions politiques prises lors des réformes intervenues à la fois en 2008 et 2013. Qu’en pensez-vous ?

M. Frédéric Roig. Vos exposés montrent clairement toutes les inquiétudes que l’on doit avoir par rapport au traité de libre-échange, qu’il s’agisse de l’économie de nos territoires, de l’emploi ou de l’avenir de nos filières agricoles. J’en veux pour preuve ce qui se passe avec le Roquefort et les difficultés qui peuvent naître des négociations avec les États-Unis. C’est aussi le cas avec la filière viticole : il n’est qu’à voir l’accord de 2005, qui n’a jamais été mis en œuvre, qui aurait pu constituer un premier élément de garanties, et la volonté de la Commission de simplifier l’étiquetage. Il faut continuer à se mobiliser pour préserver, grâce aux cahiers des charges des AOP et des IGP, la qualité des produits et des spécificités de nos territoires.

Il faut arrêter d’aller vers des logiques d’étiquetage ou de marques commerciales et en revenir à la protection du consommateur à travers des cahiers des charges sur ces différentes marques. Il faut continuer à organiser ce type de table ronde, ce qui nous permettra d’être informés et de mettre en commun tous les éléments dont disposent les uns et les autres pour tenter de peser sur les négociations et notamment sur les mentions traditionnelles. Derrière ces mentions traditionnelles, qui sont des signes de qualité, nous pouvons garder nos identifications géographiques.

M. Antoine Herth. On pourrait être tenté d’exclure les produits agricoles et agroalimentaires de la discussion du TTIP. Mais j’ai besoin de bien mesurer quels sont les enjeux pour le secteur vitivinicole. L’excédent commercial de la France étant dû essentiellement à ce secteur d’activité, il est clair qu’il est indispensable de protéger ses identifications si nous voulons maintenir ce flux commercial.

J’ai davantage de doutes s’agissant du fromage. L’enjeu en vaut-il la chandelle ? Si demain on sécurise l’appellation « Comté », pourra-t-on augmenter nos exportations, nos parts de marché ? Et dans quelle mesure la production peut-elle suivre pour affronter un marché mondial qui absorbe des volumes considérables ? J’ai du mal à mesurer quels sont les impacts attendus ou les gains éventuels par rapport au risque que l’on peut accepter d’encourir dans le cadre de cette négociation.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Comme beaucoup ici, je reste très inquiète sur cet accord de libre-échange sur nombre de sujets. M. Matthias Fekl a raison de se montrer si vigilant.

Les inquiétudes manifestées par les producteurs du secteur agroalimentaire quant au préjudice que cette entente portera aux produits d’excellence européens me semblent également entièrement justifiées.

Le mandat de négociation établi par le Conseil de l’Union européenne indique que les négociations viseront à concilier les approches de l’Union européenne et des États-Unis en matière de règles d’origine. À la fin de l’année 2015, le ministre allemand avait d’ailleurs déclaré : « La protection des spécialités allemandes pourrait être sacrifiée dans les négociations de libéralisation des échanges avec les États-Unis si l’on veut parvenir à un compromis ». Pensez-vous que l’on puisse trouver ce compromis sans sacrifier les AOP, qui obéissent à des cahiers des charges très stricts, qui certifient à la fois la qualité et l’origine du produit, tandis qu’aux États-Unis elles sont considérées comme des noms communs et peuvent être autorisées sans aucune restriction ? Comment garantir alors la protection absolue sans dérogation des AOP européennes, comme nous y sommes parvenus pour certains produits dans l’accord avec le Canada ?

M. Lionel Tardy. Même s’il ne faut pas être alarmiste, je rappelle que les parlementaires sont dans une grande opacité à propos de ce traité, ce qui n’incite pas à la confiance, et je le regrette une nouvelle fois.

Dans la droite ligne de ce que vient de dire Mme Marie-Noëlle Battistel, considérez-vous, comme l’avait déclaré le ministre de l’agriculture allemand, que l’Europe est susceptible de céder sur le sujet des AOP et IGP pour faire avancer les négociations, ce qui, bien sûr, ne serait pas acceptable ?

D’autres accords bilatéraux ont été signés ou sont en cours de signature. A-t-on des inquiétudes similaires ou des retours d’expérience plus positifs ? L’idéal ne serait-il pas, comme l’ont suggéré Mme Marie-Lou Marcel et M. Dino Cinieri, dans leur rapport d’information, un grand accord multilatéral pour protéger les AOP et les IGP ?

Mme Marie-Hélène Fabre. Monsieur le directeur de la CNAOC, je partage tout à fait vos inquiétudes sur les risques qui pèsent à l’heure actuelle sur la filière viticole en raison des dérégulations au niveau européen et des craintes que cette filière puisse servir de variable d’ajustement dans les négociations sur le TTIP.

Je veux saluer le travail effectué par M. Matthias Fekl au plan européen et celui de notre ministre de l’agriculture qui, dans ce cadre, nous a toujours accompagnés.

Le Parlement français s’est également mobilisé sur la simplification. Même si la Commission européenne semble faire machine arrière, nous devons rester très vigilants : la négociation peut se rouvrir à n’importe quel moment. L’initiative que j’ai prise avec mes collègues du groupe Socialiste de déposer une proposition de résolution dans ce sens permet au Gouvernement de se prévaloir de l’appui important du Parlement français.

Ma question rejoint celles de Mme Marie-Noëlle Battistel et de M. Lionel Tardy. Les IGP et les AOP pourraient-elles faire partie d’une négociation a minima ou a maxima dans le cadre de la négociation du TTIP ?

M. Jacques Krabal. Madame la présidente, je vous remercie de m’accueillir dans votre commission et je vous prie de bien vouloir m’excuser de ne pas avoir pu assister à toutes les auditions.

Il y a quelques jours, le groupe d’études sur la viticulture a exprimé des craintes très fortes à l’égard de la Commission européenne qui, par la voix de son commissaire Phil Hogan, envisage de favoriser les vins sans indication géographique au détriment des AOP et des IGP. Cela entraînerait un affaiblissement global de notre viticulture.

La viticulture est l’un des fleurons de l’économie française. Mais n’oublions pas notre agriculture. Tant qu’il n’y a pas d’accord au niveau européen sur le lait, l’élevage, etc., je considère qu’il est urgent de ne pas se presser. Tant que l’on ne réussira pas à avoir une politique européenne commune sur ces aspects, il est illusoire de pouvoir traiter à égalité avec nos amis américains – n’y voyez aucun anti-américanisme de ma part : la ville de Château-Thierry, dont je suis maire, a la chance d’accueillir la maison de l’amitié France-Amérique… Mais on a bien vu, avec l’accord de 2005, que l’on ne peut pas faire confiance aux Américains qui ne pensent qu’à faire du dumping, à supprimer les mécanismes de protection collective, etc. Il est indispensable d’aboutir à une préférence nationale ou communautaire avec des exigences environnementales et sociales, sinon cet accord risque de se faire au détriment de la France et de son économie.

M. Christophe Premat. Madame la présidente, je vous remercie de m’accueillir dans votre commission.

Je partage le consensus général qui se dégage sur ce traité. J’avais pourtant eu l’occasion d’assister à une présentation de la commissaire européenne Cecilia Malmström, qui était très optimiste sur les bénéfices que l’on pourrait obtenir de ce traité. D’ailleurs, les doutes exprimés par la candidate américaine Hillary Clinton sur le traité transpacifique devraient nous faire réfléchir.

Je partage totalement l’engagement de M. Matthias Fekl qui a agi sur plusieurs points. Il a d’abord créé le parcours de l’export pour les PME et valorisé nos IGP. Ensuite, il a affirmé à plusieurs reprises que le vin était un produit de civilisation. La réorganisation des services de Business France aide beaucoup à l’exportation des marques, en particulier des marques moins connues. Vous appuyez-vous sur ces dispositifs dans les négociations avec nos partenaires européens ?

Comment voyez-vous le volet judiciaire dans les négociations, afin de lutter également contre la fraude et la contrefaçon et ainsi protéger les IGP ?

M. Yannick Moreau. Mes remarques ne seront pas très originales puisque je partage le scepticisme de mes collègues sur ces négociations. Mon inquiétude a trois sources.

Premièrement, le Parlement français est tenu à l’écart des discussions et des négociations. Nous en sommes réduits au rôle de spectateurs, d’observateurs extérieurs. Nous sommes donc bien démunis pour apporter notre aide aux négociations et aux représentants des filières qui sont directement menacées par ces accords.

Deuxièmement, l’idéologie qui préside à ces négociations est le libre-échangisme, c’est-à-dire que l’on part du principe que tout peut s’échanger sans contrainte et sans frontière. Dès lors, il y a de quoi être inquiet puisque le regard que l’on porte sur la qualité et l’origine de nos produits n’est pas le même d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Les Français considèrent que le vin et le fromage ne peuvent pas être soumis aux errements de la mondialisation : ils sont notre culture, notre raison de vivre, notre civilisation.

Troisièmement, M. Matthias Fekl, que nous encourageons dans ces négociations, se trouve du coup dans une situation très inconfortable puisqu’il doit négocier pour nous des conditions d’échanges dont les autres ne veulent pas. Nous en sommes réduits à devoir faire confiance à des instances européennes qui n’ont pas la même vision que nous de nos produits, de notre culture.

C’est l’heure de vérité pour l’Union européenne et pour le Gouvernement. Nous tremblons pour nos productions, qui ne sont pas de simples produits mais des produits culturels.

Mme la présidente Frédérique Massat. Notre commission auditionne régulièrement, seule ou conjointement avec la commission des affaires européennes, M. Matthias Fekl sur ce sujet. À chaque fois, nous lui demandons d’insister sur l’attachement de tous les parlementaires à nos produits du terroir et à nos appellations.

M. Pascal Bobillier-Monnot. Les noms de domaine sont-ils inclus dans la négociation ? Non. Les noms de domaine sur internet sont d’ores et déjà encadrés dans une enceinte internationale, l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers). Après trois années d’intenses négociations avec les autorités américaines, avec l’appui des gouvernements français, espagnol et italien, et de la Commission européenne, nous avons signé un accord commercial avec un major de l’industrie internet américaine, la société Donuts. Je ne le détaillerai pas car il est confidentiel. Je peux seulement dire que ce sujet devrait interpeller très largement la représentation nationale puisque, dans les faits, les noms d’IG sur internet vont continuer à être vendus aux enchères. L’accord commercial permet un meilleur encadrement. Mais appartient-il à un secteur privé comme celui dont je fais partie et à une société de l’industrie internet américaine de négocier l’application du droit public ? Non. Aussi le Parlement français devrait-il s’intéresser de très près à l’encadrement des noms de domaine sur internet. Pour avoir été au cœur de la négociation, je dois dire que la Commission européenne n’est pas très ambitieuse en la matière. Si des États membres comme la France ne le sont pas, l’Union européenne ne le sera pas davantage. Il reste encore beaucoup de travail à accomplir sur le sujet. On peut remercier l’engagement particulièrement déterminé de la secrétaire d’État chargée du numérique, Mme Axelle Lemaire, toujours présente à nos côtés et particulièrement courageuse sur cette question. Notre secteur d’activité demande qu’à l’avenir, lorsque l’on négociera la protection des IG, l’on négocie également la protection des IG sur internet.

Madame Michèle Bonneton, vous nous demandez quelle est la différence entre les vins génériques et les vins semi-génériques. Il n’y a pas de vins génériques aux États-Unis ; vous faites sûrement référence à des vins d’autres continents. Les semi-génériques sont des vins américains qui portent des noms d’IG accompagnés d’un localisant, par exemple California Champagne.

Vous nous interrogez sur l’attitude de la Commission européenne et son chantier de simplification. Le secteur viticole n’est pas naïf. Nous avons subi une réforme ultralibérale en 2008 que nous avons réussi à atténuer avec la réintroduction d’un instrument de régulation des plantations à l’occasion de la réforme de la PAC. La Commission européenne est très « attentive » à la voix de l’industrie. L’industrie plaide en faveur d’une nouvelle vague de libéralisation du secteur viticole dans l’Union européenne, en particulier sur les vins d’entrée de gamme qui sont des vins sans indication géographique. En la matière, nous sommes extrêmement vigilants et vous l’avez été à nos côtés. À cet égard, je remercie Mme Marie-Hélène Fabre et d’autres parlementaires qui ont interpellé la Commission européenne à l’occasion de son chantier de simplification ; nous étions convaincus qu’elle allait en profiter pour libéraliser un peu plus le secteur. Les propos que le commissaire européen Phil Hogan a tenus la semaine dernière au Parlement européen nous ont un peu rassurés. Par contre, si la Commission est silencieuse sur le sujet des mentions traditionnelles dans le cadre du TTIP, ce n’est pas un hasard. Elle est très ambitieuse sur la protection des IG, mais nous n’avons pas beaucoup de doutes que, le moment venu, il y aura des négociations dans le secteur viticole. L’une de ces négociations pourrait porter sur les mentions traditionnelles. Je remercie donc le Parlement français d’interpeller la Commission sur le chantier de la simplification.

S’agissant des normes techniques, lors de la négociation de l’accord vin en 2005, les Américains ont tenté de négocier la reconnaissance de nouvelles pratiques œnologiques non autorisées dans l’Union européenne – ainsi l’ajout d’eau dans le vin, pratique non reconnue par l’Office international de la vigne et du vin. Cependant, les Américains pourraient avoir des velléités de faire reconnaître cette pratique dans le cadre du TTIP. Nous devons donc être prudents sur la question des normes techniques.

En ce qui concerne le TTIP, notre stratégie professionnelle est simple. Je rappelle d’abord que nous ne sommes pas dans le cœur de la négociation. Mais heureusement, grâce à notre fédération européenne, nous parvenons à obtenir des informations. Le secteur des IG viticoles est uni sur ce sujet. Nous déployons depuis quelques années une stratégie qui se révèle très payante : nous allons chercher des alliés ailleurs, surtout aux États-Unis. Nous avons convaincu une partie de la production américaine – je pense aux American Viticultural Areas (AVA) : Napa valley, Oregon, etc. –, d’être présente à nos côtés. Aujourd’hui, de nombreuses régions américaines nous accompagnent pour plaider auprès du Congrès américain afin que le législateur américain progresse sur la question des indications géographiques. C’est la seule stratégie payante.

Le secteur viticole est demandeur d’un accord, car ce marché sera de plus en plus important pour nous. Nous souhaitons que l’Union européenne soit offensive sur les IG, mais pas à n’importe quel prix. Il faut progresser, notamment sur la question des 17 semi-génériques, car il n’est plus acceptable que les Américains continuent d’utiliser ces noms.

Pour nous, le CETA avec le Canada était un accord plutôt moyen. Il présente toutefois l’avantage de protéger des IG comme le Champagne, ce qui empêche les opérateurs américains d’exporter des vins portant le nom « Champagne » au Canada.

Nos amis américains sont très doués en matière de négociations. Ils ont beaucoup progressé puisqu’ils ont signé un accord avec les pays du Pacifique. Nous devons être extrêmement vigilants car il y a très clairement des stratégies d’encerclement dans ces négociations internationales. L’Union européenne parle beaucoup de l’accord TTIP ; nous savons qu’elle est également présente sur d’autres accords. Il faut donc qu’elle continue d’être ambitieuse, notamment en ce qui concerne les IG, et qu’elle signe des accords avec d’autres pays que les États-Unis.

M. Patrice Chassard. Vous nous demandez comment on peut sortir l’agriculture de la crise qu’elle traverse ; je ne peux pas vous répondre. Ce que je sais, c’est qu’à l’heure actuelle, s’agissant des produits agricoles qui me concernent, les consommateurs veulent soit du bas de gamme pas cher, soit du haut de gamme ; le milieu de gamme ne marche pas.

Les stratégies sur le haut de gamme, notamment les appellations d’origine, sont plutôt des stratégies de long terme, de génération en génération. Répondre à court terme à la crise est compliqué. En revanche, il est possible d’y répondre avec des stratégies de long terme. Je prendrai un exemple qui n’est pas du tout pris en compte par le consommateur : les laits de vaches nourries au maïs ne contiennent pas de terpènes, ces molécules aux propriétés antioxydantes, présents en grande quantité dans les prairies permanentes. Ils sont de fait dans les cahiers des charges des IGP mais ils peuvent l’être aussi dans les produits sans IGP. Certains produits ont le même nom, mais pas la même composition, pas le même impact sur la santé.

Vous nous demandez quel peut être l’impact du TTIP sur les produits laitiers. Les exportations de produits laitiers sont effectivement beaucoup moins importantes en volume que celles de vin. Cela dit, parmi les grands groupes laitiers mondiaux, les Français sont extrêmement bien placés. Ils mettent en avant les appellations d’origine, le savoir-faire fromager. Les campagnes de communication des produits laitiers génériques que j’ai pu voir aux États-Unis sont faites à partir des appellations d’origine fromagères. Il y a un impact indirect qui concerne également une grande partie du lait qui n’est pas sous indication géographique. Cela peut se démontrer très facilement.

L’accord entre l’Union européenne et le Canada a reconnu un nombre limité d’IG. Toutefois, la liste est révisable. Cela dit, les appellations ne sont pas toutes usurpées à l’export, seulement une partie. Ce qui est important c’est de pouvoir intégrer à la liste des produits qui deviendraient de nouvelles indications géographiques. Mais peut-être le CETA ne sera-t-il jamais appliqué, comme ce fut le cas de l’accord sur le vin conclu en 2005 entre l’Union européenne et les États-Unis…

Il est évident que le schéma n’est pas du tout le même entre la France et les États-Unis en matière d’exigences sanitaires, environnementales et du bien-être animal. Pour ce qui concerne le secteur laitier, les indications géographiques s’inscrivent dans le respect du bien-être animal, du développement durable, de l’environnement, etc. Si le nom du produit est le même, il ne recouvre pas la même chose. La transparence à l’égard du consommateur sera un point clé. Mais si les accords ne permettent pas d’expliquer quelle est la différence, c’est nous qui, à terme, en pâtirons largement.

S’agissant des produits laitiers, les trois quarts des indications géographiques sont au lait cru. Ce n’est déjà pas facile de défendre tous les jours le lait cru au niveau français et européen ; je ne vous parle donc pas des problèmes que l’on rencontre à l’exportation. Des discussions sont en cours avec les États-Unis, en dehors des normes qui n’ont rien à voir avec la santé mais qui constituent de réelles barrières à l’entrée, sur des mesures équivalentes en termes de maîtrise des risques et des pratiques. J’espère que nous pourrons avancer en la matière, pour que l’on ne nous bloque pas en usant de critères qui n’ont pas de raisons d’être.

M. Claude Vermot-Desroches. En matière de négociations, les secteurs laitier et agroalimentaire ont la même ligne de conduite que le secteur viticole.

Nous sommes bien conscients que cet accord ne peut pas être la réponse à la crise agricole. Nous ne disons pas que nos produits sont meilleurs, nous nous présentons comme une organisation économique et sociale qui propose des produits différents, et qui a son poids. La France jouit d’une image derrière laquelle il ne faut pas trop s’abriter, mais qui n’en représente pas moins un atout considérable pour développer des marchés. Notre organisation agricole, sociétale et rurale autour de ces produits reste exceptionnelle, tout comme notre gastronomie et notre savoir-faire. C’est notre fonds de commerce. Certaines zones, souvent éloignées des grands centres de productivité, ont de réels atouts. L’augmentation de la part, si modeste soit-elle, des signes officiels de qualité en agroalimentaire et en produits laitiers et, bien sûr, la consolidation des vins permettront d’améliorer la balance commerciale de la France.

Pour le reste, nous avons une vision totalement différente de celle des États-Unis en matière de lois. Soyons réalistes, nous ne sommes pas prêts à harmoniser nos règles sociales et environnementales : nos différences sont abyssales. Il faut donc faire de toute notre agriculture une exception. C’est bien à travers la défense des signes officiels de qualité que nous devons concentrer toute notre énergie. Certes, ce n’est pas la solution à l’agriculture française, mais elle en bénéficie : pour commercialiser à l’extérieur nos 370 000 tonnes de produits laitiers, on utilise l’image des AOP françaises. Autrement dit, nous servons à l’ensemble des produits. Il faut donc que ces AOP aient vraiment du sens.

Il y existe une véritable demande sociétale dans les autres pays, aux États-Unis notamment. Comme le fait M. Bobillier-Monnot avec les producteurs de vin de Napa valley, nous développons des stratégies avec Kona coffee et Idaho potatoes. Des producteurs ont pu démontrer, dans leur État, tout l’intérêt qu’il y a à protéger des savoir-faire car l’impact économique est certain. Ce sont tous ces petits pas qui nous permettront d’avancer. De même, nous faisons du lobbying sur les produits au lait cru qui répondent à une demande sociétale. Il y a des initiatives locales, mais on nous crée des barrières sanitaires dans le seul but de se protéger.

On oppose deux systèmes : d’un côté le système européen qui garantit le respect du produit tout au long de sa fabrication, qui respecte le sol, le bien-être animal, de l’autre côté un système où l’on fabrique un produit dans des conditions que personne ne regarde, mais que l’on stérilise pour lui donner une garantie sanitaire certaine ; c’est dire tout le travail à réaliser au niveau des savoir-faire.

Nous devons essayer de définir des stratégies communes au niveau européen, avec l’Italie notamment, car on se sent bien seul… Il faut renforcer l’identité de ceux qui se reconnaissent autour des mêmes valeurs. Nous partageons votre avis sur la posture du commissaire européen par rapport aux IG ou encore sur certaines positions allemandes. C’est donc un travail de titan qui nous attend.

Vous nous demandez si l’accord avec le Canada a eu des impacts ; il est trop tôt pour le dire, et cela ne concerne qu’une liste de produits. En tout cas, c’est un beau premier pas. Même s’il n’a pas un impact considérable, il permettra d’ouvrir la voie. Nous aidons les IG canadiennes à se structurer. L’avenir et la reconnaissance de nos produits ne se feront que s’il y a une culture partagée. Au Canada, il y a de véritables savoir-faire, comme l’agneau de Charlevoix qui est une AOP mais qui ne concerne que quelques producteurs, et le cidre glacé.

La stratégie à adopter au niveau européen consiste à aider les autres à se développer, à leur permettre d’être reconnus par la Commission européenne. Ces échanges permettront d’influencer les politiques très frileuses. Les Américains ont une peur bleue d’une reconnaissance de toutes les IG européennes qui ferait peser un risque considérable sur leur système très protectionniste. Pour eux, la solution de facilité consiste à copier des marques et des noms.

Nous sommes réalistes quant au poids que représente le secteur laitier français. Certes, la filière du Comté s’est développée sur le marché français, mais c’est à l’exportation qu’elle pourra prospérer, sur le marché européen mais aussi américain. L’ensemble des AOP laitières et IGP agroalimentaires françaises ont toute leur place aux États-Unis.

M. Patrice Chassard. Je précise que si aujourd’hui seuls sont représentés les secteurs laitier et viticole, toutes les IG sont en phase : un accord a minima ne nous intéresse pas.

Mme la présidente Frédérique Massat. Cette précision est en effet importante.

Messieurs, je vous remercie d’avoir éclairé la Représentation nationale qui, vous l’avez vu, est très mobilisée sur ces sujets. Nous allons continuer à travailler avec le ministère pour lui apporter tout le soutien dont il aura besoin au niveau européen.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 23 mars 2016 à 11 heures

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, Mme Michèle Bonneton, M. Christophe Borgel, M. Yves Daniel, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Franck Gilard, M. Antoine Herth, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Frédéric Roig, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Catherine Vautrin

Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, M. Denis Baupin, M. Yves Blein, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, Mme Pascale Got, Mme Anne Grommerch, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Josette Pons, M. Thierry Robert, Mme Béatrice Santais, M. Jean-Marie Tétart, Mme Catherine Troallic

Assistaient également à la réunion. - M. Jacques Krabal, M. Christophe Premat, M. François Vannson