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Commission des affaires économiques

Mercredi 22 juin 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 90

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

– Audition de M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire

La commission a auditionné M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Merci, Monsieur le président, d’avoir accepté notre invitation.

Notre commission est compétente pour les questions relatives à l’énergie et s’y intéresse particulièrement. Nous menons actuellement une série d’auditions concernant la stratégie industrielle et financière d’EDF. Nous avons entendu à ce titre M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique ; M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF ; les syndicats de salariés d’EDF au cours d’une table ronde ; M. Thomas Piquemal, ancien directeur financier d’EDF ; et, à huis clos, M. Yannick d’Escatha, auteur du rapport d’évaluation des risques sur le projet Hinkley Point.

Nous serons amenés à vous interroger sur d’autres sujets : la sûreté et la sécurité des centrales ; le « grand carénage », enjeu important pour tout le parc nucléaire ; le rapport annuel de l’ASN, que vous avez présenté récemment devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

Nous évoquerons aussi l’actualité, qui est marquée par la découverte d’irrégularités dans l’usine Creusot Forge d’Areva. Celles-ci ont des conséquences sur la construction du réacteur EPR à Flamanville, ainsi que sur l’exploitation de la centrale de Fessenheim. En effet, le 16 juin dernier, vous avez publié une note indiquant qu’une irrégularité est en cours de traitement sur un générateur de vapeur du réacteur n° 2 de Fessenheim. EDF a réalisé des investigations complémentaires et vous a transmis les premiers éléments de son analyse. Êtes-vous en mesure de nous communiquer des informations à ce sujet ? Je rappelle que cette audition est publique et retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Nous aimerions vous entendre sur le projet de centre industriel de stockage géologique des déchets radioactifs (Cigéo). Il fait l’objet d’une proposition de loi qui sera examinée très prochainement par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Nous serions intéressés par votre vision et votre action en matière d’harmonisation des normes de sûreté nucléaire au niveau européen, question qui, je le sais, vous tient à cœur et sur laquelle vous jouez un rôle majeur.

Enfin, même si vous n’avez pas de compétence directe sur le projet Hinkley Point, vous êtes en relation étroite avec l’autorité de sûreté britannique. Au regard de ces échanges, nous souhaiterions avoir des informations complémentaires sur le projet, sachant que des décisions vont être prises prochainement par EDF à ce sujet.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire. Je suis accompagné de Mme Anne-Cécile Rigail, directrice des centrales nucléaires à l’ASN.

Je commencerai par quelques éléments de cadrage général sur notre vision de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France, en reprenant les termes de la présentation de notre rapport annuel que j’ai faite devant l’OPECST il y a quelques semaines, ainsi que la loi le prévoit. J’aborderai ensuite certains des points que vous avez évoqués, Madame la présidente.

L’ASN estime que la sûreté de l’exploitation des installations nucléaires en France est globalement bonne. Cependant, nous jugeons le contexte en matière de sûreté préoccupant à court et moyen termes. Par ailleurs, une vigilance s’impose dans la période actuelle en matière de radioprotection, en particulier dans le secteur médical.

Les résultats en matière de sûreté de l’exploitation des installations nucléaires sont globalement bons : il n’y a pas eu d’incident de niveau 2 au cours de l’année passée, ni depuis le début de cette année ; lorsque l’on examine la nature et la gravité des incidents constatés, rien ne sort de l’ordinaire. Cela ne signifie pas que toutes les installations fonctionnent parfaitement : il y a des marges de progrès. Par exemple, l’usine FBFC d’Areva, située à Romans-sur-Isère, a été placée sous surveillance renforcée de l’ASN il y a environ un an et demi, pour des problèmes de qualité d’exploitation. Même si des progrès ont été constatés, elle demeure sous surveillance renforcée. S’agissant des centrales nucléaires nous jugeons positivement un certain nombre d’entre elles en matière de qualité d’exploitation, notamment celle de Fessenheim. À l’inverse, celles de Cruas et de Gravelines sont plutôt en « queue de peloton » en la matière. Au-delà de ces cas, qui font l’objet d’une vigilance particulière de l’ASN, notre appréciation en matière de sûreté est, je le répète, globalement bonne.

Nous jugeons que le contexte en matière de sûreté nucléaire est préoccupant pour trois raisons.

Premier constat : les enjeux en matière de sûreté qui doivent être gérés dans les cinq ans à venir – nous sommes déjà entrés dans cette phase – sont absolument sans précédent au regard de ceux qui ont dû l’être au cours des dix ou quinze dernières années.

Premier enjeu, majeur : l’éventuelle prolongation de l’exploitation du parc de centrales nucléaires d’EDF au-delà de quarante ans. EDF a prévu d’investir 55 milliards d’euros dans l’opération de « grand carénage » – je ne me prononce pas sur ce chiffre –, ce qui donne une idée de l’ampleur du chantier qui l’attend. Il s’agit non seulement d’un enjeu industriel, eu égard notamment à la capacité de livrer l’ensemble des travaux, mais aussi d’un enjeu de sûreté, ces travaux devant bien entendu être réalisés au meilleur niveau de qualité. Nous menons des discussions intenses avec EDF depuis quelques années, de manière à pouvoir nous prononcer à terme sur la possibilité ou non de prolonger l’exploitation du parc et sur les conditions dans lesquelles une telle prolongation peut être envisagée. C’est un travail compliqué : quatre ou cinq grands enjeux de sûreté doivent être examinés avec beaucoup de précision et de rigueur. Nous estimons que nous pourrons nous positionner définitivement sur cette question de manière générique vers la fin de 2018 ou le début de 2019, sachant que le premier réacteur qui sera arrêté pour sa quatrième visite décennale, Tricastin-1, le sera en 2019. Le calendrier est donc extrêmement tendu. C’est un travail colossal, tant pour EDF que pour nous.

La prolongation de l’exploitation du parc étant un sujet majeur, nous nous attachons à mettre en œuvre un processus de participation de l’ensemble des parties prenantes aussi large et ouvert que possible, et nous continuerons à le faire dans les deux ou trois années qui viennent. En avril dernier, nous avons rendu publique une lettre de position relative aux orientations en la matière. Avant d’être signée, cette lettre d’une centaine de pages a fait l’objet d’un processus d’information et de consultation du public.

Deuxième enjeu, qui se pose peu ou prou dans les mêmes termes que le précédent : la prolongation ou non du fonctionnement d’autres installations nucléaires, de recherche ou du cycle du combustible, qui dépendent, pour l’essentiel soit du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), soit d’Areva. Il est logique qu’il en soit ainsi : ces installations ont été, pour la plupart, mises en service en même temps que le parc de centrales nucléaires afin de l’accompagner, voire un peu avant s’agissant des installations de recherche. Elles atteignent donc un âge respectable, de l’ordre de la quarantaine d’années, et même un peu plus pour les réacteurs de recherche. Pour donner une idée la mesure de la tâche qui nous attend, sur la centaine d’installations concernées, nous avons déjà reçu plus d’une vingtaine de demandes de prolongation assorties d’un dossier de sûreté. D’ici à la fin de l’année prochaine, nous en aurons plus d’une cinquantaine en stock, sur lesquels il nous faudra nous prononcer.

Troisième grand enjeu : le retour d’expérience de l’accident de Fukushima. Nous avons imposé un certain nombre de mesures, en deux phases, non seulement pour les centrales, mais aussi pour toutes les autres installations nucléaires. La première phase a consisté à déployer des moyens mobiles et flexibles. Elle a été mise en œuvre : ces moyens sont désormais disponibles sur tous les sites. Elle s’est conclue à la fin de l’année dernière, avec la mise en place par EDF d’une force d’action rapide nucléaire (FARN), capable de faire face à un accident touchant six réacteurs simultanément – le seul cas d’application étant la centrale de Gravelines, seul site à compter six réacteurs. En mars dernier, nous avons procédé à une inspection pour vérifier que la FARN était effectivement capable d’intervenir dans le cas d’un accident de cette ampleur. L’inspection a donné des résultats satisfaisants. Cette première phase était, en réalité, la plus simple.

Pour la deuxième phase, l’ASN a demandé que les moyens mobiles et flexibles soient complétés par des moyens de même type mais « en dur ». Par exemple, si, pour la première phase, nous avions demandé l’installation d’un groupe électrogène à moteur diesel, plutôt de petite taille, sur le toit d’un bâtiment, afin de le mettre à l’abri des inondations, pour la deuxième phase, nous avons demandé l’implantation d’un groupe électrogène de grande capacité dans un bunker, afin de le protéger au maximum contre tout type d’agression. Le déploiement de ces moyens « en dur » sur l’ensemble des installations nucléaires exige des travaux importants et méthodiques, qui seront réalisés dans les cinq ou dix ans à venir. Cela suppose que nous analysions, au préalable, les propositions faites par les exploitants à cette fin.

Quatrième et dernier enjeu : la construction d’installations nouvelles, qui sera d’ailleurs une contrepartie nécessaire si l’on ne prolonge pas l’exploitation des installations existantes. Un certain nombre de chantiers sont en cours en France : le réacteur Jules-Horowitz à Cadarache, le réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) également à Cadarache et l’EPR à Flamanville. Tous ces chantiers connaissent des difficultés. La plupart sont sans impact sur la sûreté : ce sont avant tout des problèmes industriels, notamment des retards. Il y a cependant une exception : l’excès de carbone dans certaines zones de la cuve de l’EPR, qui peut fragiliser le métal. Il s’agit d’un problème majeur, qui touche à la sûreté. Nous avons rendu cette anomalie publique dès que nous avons eu confirmation de son existence, en avril 2015. Nous avons immédiatement demandé à Areva et à EDF de procéder à un retour d’expérience, en répondant à deux questions différentes.

Premièrement, nous leur avons demandé un retour d’expérience technique. Il s’agissait de vérifier si d’autres composants étaient susceptibles d’être concernés par une anomalie telle que des ségrégations de carbone ou un excès de carbone dans certaines zones ; cela peut notamment toucher les pièces de volume important. À ce stade, le retour d’expérience a conduit à mettre en évidence des anomalies touchant notamment certains générateurs de vapeur. Ainsi, on a identifié dix-sept réacteurs équipés de générateurs de vapeur dont au moins l’un des composants, notamment dans la partie basse de ces générateurs, est susceptible – c’est une quasi-certitude – d’être affecté de ségrégations de carbone. La présence de ségrégations ne signifie pas nécessairement que la situation est inacceptable en termes de sûreté, mais il faut examiner et traiter l’anomalie. Les analyses sont en cours. EDF a apporté un certain nombre d’éléments allant dans le sens d’une absence d’impact sur la sûreté. Nous sommes en train d’examiner et de vérifier de manière systématique que toutes les anomalies sont traitées correctement. Ce retour d’expérience technique se poursuit.

Deuxièmement, dans la mesure où l’anomalie affectant la cuve a été détectée non pas à l’occasion des contrôles internes réalisés par Areva ou EDF, qui n’ont donc pas complètement fonctionné, mais parce que l’ASN a posé des questions et insisté pour qu’un certain nombre de contrôles soient faits, nous avons demandé à Areva de procéder à un audit rétrospectif des fabrications de l’usine du Creusot. Cet audit a été conduit progressivement et a mis en évidence des irrégularités de nature diverse. Par exemple, lorsque des écarts étaient constatés, un dossier dit « dossier barré » était ouvert et l’anomalie était traitée normalement, mais ce dossier barré ne sortait pas de l’usine du Creusot : il n’était transmis ni au client, ni à l’autorité de sûreté nucléaire compétente. Cette pratique est clairement inacceptable du point de vue industriel, sans même se référer à la réglementation, nucléaire ou non. Elle a prévalu depuis le début des années 1960.

Au total, sur les 10 000 pièces fabriquées par l’usine du Creusot au cours des cinquante dernières années, plus de 400 irrégularités ont été identifiées. Elles touchent aussi des pièces qui n’ont pas été fabriquées pour la filière nucléaire française. Pour la partie qui nous concerne, nous avons demandé à Areva et à EDF de traiter en priorité les irrégularités qui touchent le parc en exploitation. À ce stade des investigations, 85 anomalies ou irrégularités ont été détectées. Au vu des analyses qu’elles ont menées, EDF et Areva considèrent que 84 d’entre elles sont dépourvues d’impact sur la sûreté. La quatre-vingt-cinquième, qui affecte un générateur de vapeur du réacteur n° 2 de la centrale de Fessenheim, est en cours de traitement. Ledit réacteur a été arrêté il y a environ une semaine, notamment à cause de cette anomalie.

Les investigations doivent se poursuivre dans les deux champs, tant le retour d’expérience technique que la recherche des anomalies dans les méthodes de travail. L’audit continue à l’usine du Creusot, mais doit être étendu aux autres usines de fabrication d’Areva, notamment à l’usine d’assemblage des composants de Chalon - Saint-Marcel et à l’usine de Jeumont. Ce travail amènera peut-être la découverte d’autres anomalies. Notre but est qu’il soit aussi exhaustif que possible et que l’on s’attache ensuite à traiter chacune des anomalies détectées.

Le premier constat, sur le contexte préoccupant en matière de sûreté nucléaire, soulignait donc que les enjeux des cinq prochaines années sont sans précédent ; nous n’avons pas eu des dossiers aussi lourds à gérer au cours des dix ou quinze années précédentes.

Le deuxième constat consiste à observer qu’au moment où les enjeux s’accroissent, les industriels chargés de les gérer connaissent des difficultés économiques, financières, budgétaires – c’est notamment le cas du CEA – et techniques – je viens d’en donner quelques exemples.

Le troisième constat est que l’ASN et son appui technique, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), ne disposent pas des moyens qu’ils estiment nécessaires pour accompagner pleinement et suivre complètement ces enjeux sans précédent.

Pour résumer, nous entrons dans une « zone de forte pression » : d’un côté, les enjeux montent ; de l’autre, le système chargé de les traiter est en difficulté, au premier chef les exploitants, premiers responsables de la sûreté, mais aussi l’ASN et l’IRSN. Tels sont les éléments qui fondent notre préoccupation concernant les années à venir.

Pour finir, une vigilance s’impose en matière de radioprotection, notamment dans le domaine médical. S’il n’y a pas eu, je l’ai dit, d’incident récent de niveau 2 dans les installations nucléaires, nous avons constaté une dizaine d’incidents de niveau 2, voire « 2+ », dans le secteur médical. Je citerai deux exemples en matière de radiothérapie. Premier cas : une femme atteinte d’un cancer à un sein qui devait recevoir un traitement de 28 séances de radiothérapie a subi les 25 premières séances sur l’autre sein. Cette « erreur de latéralité » a évidemment eu un impact. Second cas : deux patients ayant des tumeurs cancéreuses au cerveau ont été traités, l’un à l’avant de la tête, l’autre à l’arrière de la tête, alors que cela aurait dû être l’inverse. Dans ce second cas, il s’agissait de traitements hypofractionnés, avec un nombre de séance moins important, mais des doses délivrées très fortes. Ces traitements sont plus confortables pour le patient, mais, en cas d’erreur, les impacts sont très lourds.

Je rappelle qu’un accident majeur s’était produit à Épinal il y a une dizaine d’années, ce qui avait conduit à un renforcement du système de contrôle. Depuis lors, nous avons constaté certains progrès, mais la persistance d’incidents lourds montre que l’on doit impérativement maintenir un niveau de vigilance très élevé en la matière. Il ne faut surtout pas baisser la garde.

Mme la présidente Frédérique Massat. Les deux cas que vous venez d’évoquer sont très inquiétants. C’est en effet un sujet sur lequel nous devons tous exercer une vigilance accrue.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Merci, Monsieur le président, pour votre présentation précise. Mes collègues ne manqueront pas de vous interroger à propos de la centrale de Fessenheim. Pour ma part, je vous poserai plusieurs questions se rapportant à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

L’article 123 de cette loi a renforcé les fonctions des 35 commissions locales d’information (CLI) en matière d’information du public et de visites. Cela vous semble-t-il suffisant ou bien faudrait-il étendre encore le champ d’intervention des CLI ? Que pensez-vous de la limitation du périmètre des plans particuliers d’intervention (PPI) à un rayon de 10 kilomètres ? L’ASN assiste-t-elle aux visites effectuées par les CLI ?

Des difficultés inattendues se révèlent-elles dans le cadre des opérations actuelles ou futures de démantèlement, en particulier de l’atelier des matériaux irradiés (AMI) de Chinon et de la station de traitement des effluents et déchets solides STE2 de La Hague. Dans votre rapport annuel 2015, vous indiquez que ces deux dossiers sont en cours d’instruction. Où en est-on ?

L’article 127 de la loi prévoit que, si une installation cesse de fonctionner pendant une durée supérieure à deux ans, son arrêt est réputé définitif. À votre sens, cette disposition pourrait-elle poser des problèmes d’application concrets ?

L’ordonnance du 10 février 2016 indique que le recours aux tierces expertises se fait aux frais de l’assujetti. Dans votre rapport annuel, il est mentionné que l’IRSN consacre un budget de 85 millions d’euros aux expertises. S’agit-il des mêmes expertises ?

La loi clarifie les relations entre l’ASN et l’IRSN. L’organisation en matière de contrôle de la sûreté nucléaire est-elle complètement clarifiée aujourd’hui ?

L’article 124 de la loi porte sur la limitation et la surveillance des activités sous-traitées. Pose-t-il des difficultés particulières, compte tenu notamment de l’absence de convention collective s’appliquant aux sous-traitants ?

Dans votre rapport annuel, vous mettez en évidence une baisse du nombre d’inspections en raison d’un fort taux de renouvellement des inspecteurs, ce qui implique une formation des nouveaux entrants, alors que l’effectif est stable. Est-ce un problème de pyramide des âges ou, plutôt, de structure de formation ?

S’agissant du projet Cigéo, vous aviez noté que certaines hypothèses retenues par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) semblaient optimistes. À quelles hypothèses faisiez-vous référence alors ? Le coût objectif du projet a été fixé à 25 milliards d’euros sur 140 ans à partir de 2016. Ce coût vous paraît-il justement estimé ?

L’harmonisation européenne de la sûreté et de la sécurité nucléaires est une priorité de l’ASN, qui participe aux travaux du Groupement européen des autorités de sûreté nucléaire (ENSREG). À votre avis, quelles sont les réglementations qu’il faudrait harmoniser en priorité au niveau européen ?

Le démantèlement à terme du parc nucléaire actuel produira une grande quantité de déchets de faible activité. L’ASN a marqué sa préférence pour plusieurs stockages régionaux plutôt que pour une seule installation centralisée, afin de limiter les transports. Où en sont les discussions et les évaluations sur ce point ?

Les difficultés économiques et financières d’Areva, du CEA et d’EDF, principaux responsables de la sûreté, vous inquiètent-elles ?

M. Antoine Herth. Quelle est l’articulation entre l’ASN et l’IRSN ?

Vous insistez sur le manque de moyens. D’après votre rapport annuel, l’ASN est dotée de 483 agents, dont 82 % de cadres – proportion qui peut surprendre – et « seulement » 268 inspecteurs, alors que vous avez des difficultés à mener des inspections sur l’ensemble des sites et des chantiers, ainsi que vous l’avez souligné à plusieurs reprises. Pourriez-vous nous donner des éclairages sur ce point ?

Qu’est est-il de vos relations avec le politique ? Nous avons entendu une série de déclarations : il a été dit, au début du quinquennat, que l’on fermerait la centrale de Fessenheim, puis que ce ne serait pas forcément celle de Fessenheim ; au mois de février dernier, la ministre de l’environnement a annoncé que l’exploitation des centrales serait prolongée, ce qui semble se télescoper avec la procédure, puisque vous précisez dans votre rapport que vous ne rendrez votre avis sur ce point qu’en 2018 ; enfin, la fermeture de Fessenheim a été confirmée, mais, très récemment, EDF a indiqué que telle n’était pas son intention ; dans le même temps, vous nous expliquez qu’il y a un problème sérieux sur un générateur de vapeur à Fessenheim. Comment tous ces éléments s’articulent-ils ?

Concernant le chantier de l’EPR à Flamanville, il y a, à mon sens, un problème de fond : l’ASN, autorité indépendante qui joue un rôle de gendarme, devient coactrice de l’aventure de Flamanville, avec son prolongement à Hinkley Point – les deux dossiers étant liés à la demande des autorités britanniques, qui souhaitent avoir un retour d’expérience sur Flamanville. En définitive, votre avis met en difficulté le chantier de Flamanville, ce qui met en difficulté celui d’Hinkley Point, ce qui met en difficulté le Gouvernement français et EDF. Allez-vous résister à la pression ?

Vous avez répondu à la question que je souhaitais poser sur les mesures post-Fukushima.

Je me joins à la question posée par Mme Marie-Noëlle Battistel sur le stockage local des déchets.

Vous venez de prendre la présidence de l’ENSREG. Quels sont vos objectifs à ce titre ? Vous avez signalé que la coopération européenne laissait à désirer.

Mme Jeanine Dubié. Merci, Monsieur le président, de nous avoir présenté votre rapport. En dépit de quelques éléments rassurants, je note que la situation en matière de radioprotection vous inquiète s’agissant de la période 2015 à 2020, les centrales continuant à vieillir.

Vous avez exprimé des craintes au sujet des difficultés économiques et financières rencontrées par les principaux industriels du secteur, Areva, le CEA et EDF. Nous avons mené de nombreuses auditions sur la situation d’EDF et sur sa stratégie de renouvellement du parc nucléaire français. La plupart des organisations syndicales du groupe ont plaidé pour le report du projet Hinkley Point. Des ingénieurs d’EDF ont estimé que, si le projet était réalisé dans les délais prévus, il mettrait le groupe en péril, notamment le renouvellement du parc français. Quelle est votre position concernant le projet Hinkley Point et ses éventuelles incidences sur la programmation du renouvellement du parc ? Quels sont les risques potentiels liés à la prolongation de la durée de vie des réacteurs au-delà de quarante ans ? Sachant qu’EDF doit absorber une partie d’Areva, pensez-vous que la filière nucléaire française est aujourd’hui capable d’assumer la construction des installations prévues à Hinkley Point dans de bonnes conditions de sécurité ?

Vous menez actuellement une campagne de distribution d’iode dans les territoires situés à proximité des centrales nucléaires. Elle vise à renouveler les comprimés d’iode qui permettent de saturer la thyroïde en cas d’accident nucléaire et à développer une culture de la radioprotection chez les riverains. Comment cette campagne de distribution s’effectue-t-elle concrètement ? De manière plus générale, comment assurez-vous votre mission d’information du public ? J’ai noté que vous étiez favorable à une extension du périmètre des PPI de 10 à 20 kilomètres. Où en est-on de cette proposition ?

Pour ce qui est du renforcement des effectifs, notre rôle est de vous accompagner. Dans le cas de l’usine du Creusot, l’ASN a joué un rôle essentiel dans le repérage des anomalies, lesquelles n’avaient pas été détectées auparavant malgré tous les contrôles internes. Pour remplir ces missions, vous avez besoin de moyens supplémentaires : vous sollicitez la création de 150 postes dans les trois ans à venir. Où en êtes-vous de votre demande ? Êtes-vous entendu par le Gouvernement ?

M. Franck Reynier. Merci, Monsieur le président, de votre présence devant notre commission. Vous avez eu raison de rappeler qu’il est nécessaire d’exercer une vigilance particulière dans le domaine médical.

La transparence est un impératif pour les activités nucléaires dans leur ensemble. Il faut être clair et catégorique : sans sûreté, il n’y a pas de nucléaire possible. Pour que la population accepte le nucléaire, il faut un maximum de garanties, de la transparence et une information régulière.

La question de la prolongation de la durée de vie des réacteurs au-delà de quarante ans a de nombreuses implications. Il s’agit de procéder au grand carénage et d’intégrer le plus rapidement possible les enseignements post-Fukushima, mais aussi, à la faveur de ces investissements importants et indispensables, de réorganiser notre filière nucléaire de manière à renforcer les grands acteurs français et européens du secteur.

Je soutiens et continuerai à soutenir que l’ASN doit disposer des moyens suffisants pour garantir la transparence, effectuer ses contrôles et faire évoluer le dispositif lorsque cela est nécessaire, ainsi que nous l’avons vu après l’accident de Fukushima.

L’harmonisation des normes et des procédures doit se faire au minimum au niveau européen. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Des évolutions sont nécessaires en la matière pour que la transparence et les procédures soient au rendez-vous, ce qui n’a pas toujours été le cas, ainsi que nous l’avons vu notamment au moment de l’accident de Fukushima. Le système de sûreté français peut servir de modèle.

Dans le cadre du débat sur la prolongation de l’exploitation des centrales au-delà de quarante ans, on ne peut pas occulter la question du renouvellement du parc nucléaire. Il est nécessaire de soutenir notre filière nucléaire, mais aussi de planifier, d’organiser et de préparer le déploiement d’une nouvelle génération de réacteurs. Plusieurs gammes de réacteurs peuvent être envisagées à ce titre : l’EPR, que vous avez évoqué, mais aussi l’ATMEA1 et bien d’autres encore. Quel est votre avis à ce sujet, notamment du point de vue de la sûreté ?

M. André Chassaigne. Disposez-vous vraiment du personnel suffisant pour mener à bien le travail colossal qui vous attend dans un calendrier tendu afin de répondre à ces enjeux sans précédent ? Cette question me paraît déterminante. Si vous estimez que vous manquez de moyens humains, il faut nous le dire clairement afin que nous puissions relayer votre demande.

Dans votre rapport annuel, vous évoquez le retour d’expérience de l’accident de Fukushima. Lors des différentes auditions que nous avions menées à ce sujet à l’époque, la nécessité de sécuriser les lieux utilisés en cas d’accident ou de crise, avec des blocs autonomes, était apparue comme un point essentiel. Cet objectif précis a-t-il connu un début de concrétisation ? Que reste-t-il exactement à faire ?

J’en viens à la réglementation relative aux équipements sous pression nucléaires (ESPN). Il est tout de même incroyable que l’on ait pu installer, dans des centrales nucléaires, des pièces qui ne répondaient pas aux normes de sécurité, et que l’on s’interroge aujourd’hui sur leur capacité de résistance à la pression. Cela pose un vrai problème de fond. A-t-on évalué les mécanismes de contrôle visant à s’assurer de la conformité des pièces fabriquées ? Y a-t-il des améliorations à apporter en la matière ?

À l’occasion des auditions que nous avons menées sur le projet Hinkley Point, nous nous sommes rendu compte que les Britanniques posaient, en termes de sécurité, des exigences supérieures à celles qui sont en vigueur en France. Tel est le cas notamment en ce qui concerne le contrôle-commande : les Britanniques demandent d’adjoindre un système de commande mécanique pour le cas où le système numérique ferait défaut. Comment se fait-il que nous n’ayons pas la même exigence ? Considère-t-on que ce système mécanique est inutile ? Comment se fait-il qu’il n’y ait pas d’uniformisation des règles de sécurité au niveau européen ?

M. Kléber Mesquida. L’ASN assume une mission très délicate. Vous nous avez indiqué que la sûreté de l’exploitation était « globalement bonne », mais que le contexte était « préoccupant ». D’autre part, vous avez déclaré que vos effectifs actuels ne vous permettaient pas de mener à bien vos missions. Quels sont les domaines concernés ? Cela emporte-t-il des risques ? Êtes-vous en mesure d’affirmer que, malgré le manque de personnel, vous exercez une vigilance toujours aussi forte ? En tant que citoyen et, à plus forte raison, en tant que parlementaire, on s’interroge sur ce manque de moyens pour garantir la sûreté, qui est tout de même un élément essentiel dans le domaine du nucléaire. D’autant que l’incidence financière des postes supplémentaires que vous demandez est de 20 millions d’euros, ce qui paraît très modeste en comparaison des 55 milliards qu’EDF doit investir.

M. Éric Straumann. Le réacteur n° 2 de la centrale de Fessenheim a été arrêté en raison d’un problème sur un générateur de vapeur, découvert dans le cadre d’un audit réalisé dans l’usine de fabrication d’Areva au Creusot. Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette anomalie ? Quelle est sa gravité ? Quelle est la durée probable de l’arrêt de la tranche ?

Vous avez indiqué que la centrale du Tricastin devait fermer en 2019. Je découvre cette information. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? La ministre de l’environnement a déclaré à un moment qu’il vaudrait peut-être mieux fermer la centrale du Tricastin que celle de Fessenheim. Depuis lors, sa position a, semble-t-il, évolué.

Mme Michèle Bonneton. Je tiens à vous remercier, Monsieur le président, pour la qualité et la rigueur du travail mené par l’ASN. Nous avons bien entendu que vous manquiez de moyens. Je m’associe à la question de M. André Chassaigne à ce propos.

Les anomalies relevées sur différents éléments du futur EPR de Flamanville – cuve, couvercle – ont conduit l’ASN à vérifier l’ensemble des données d’AREVA. À cette occasion, vous avez relevé qu’au moins 400 des 10 000 documents contrôlés comportaient des défauts. Si vous disposez aujourd’hui d’éléments qui vous permettent de le dire, à quelle échéance serez-vous en mesure de déterminer la réalité de la situation ? Dans un tel cas de figure, ne devrait-on pas mettre en œuvre un principe de précaution maximale ? Qu’envisagez-vous ?

Compte tenu du coût annoncé pour la prolongation du fonctionnement de la centrale de Fessenheim – de l’ordre de 6 milliards d’euros –, ne serait-il pas plus raisonnable d’envisager sa fermeture dans un avenir proche, voire très proche ? Que pensez-vous de la situation de la centrale du Bugey, qui date de la même époque ?

L’usine de Romans-sur-Isère, située à proximité de ma circonscription, a été placée sous surveillance renforcée. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

Où en sont les études pour le projet Cigéo ? À défaut d’une sécurité totale, qui semble bien illusoire, comment les possibilités techniques pourront-elles assurer la sécurité maximale ? Qu’entend-on par « sécurité maximale » ? Quels en sont les critères ? Peut-on faire en sorte, d’une part, qu’il n’y ait aucune fuite dans les décennies, les siècles, voire les millénaires à venir et, d’autre part, que l’on puisse aller voir ce qui se passe pendant cette même durée ?

M. Philippe Kemel. Vos propos ont été clairs, Monsieur le président.

Le vieillissement des centrales nous mène vers l’inconnu, avec des réparations qui laissent des aléas. Vos propos laissent penser que les fragilités s’accumulent.

Après les tests réalisés sur la centrale de Gravelines, peut-on considérer qu’il n’y a plus de risques, si ce n’est les risques normaux s’agissant d’une centrale nucléaire ?

Les montants à mobiliser pour les réparations et les mesures de précaution sont très importants. Les avez-vous chiffrés ? Vous avez indiqué que les opérateurs se fragilisaient. Peuvent-ils supporter ces coûts ? À défaut, avez-vous la possibilité de proposer un modèle économique qui reposerait, le cas échéant, sur le consommateur ?

M. Philippe Armand Martin. Les principaux industriels du secteur, Areva, le CEA et EDF, sont les premiers responsables de la sûreté de leurs installations. Or ces entités connaissent aujourd’hui de profondes réorganisations et sont confrontées à des difficultés économiques et financières. Pouvez-vous nous assurer que les moyens consacrés à la sûreté nucléaire seront constants et que ces budgets ne seront pas une variable d’ajustement économique ?

Le 18 mai dernier, EDF avait identifié 80 irrégularités sur des pièces fabriquées à l’usine de Creusot Forge. Le 15 juin, l’entreprise affirmait en avoir caractérisé 79 et concluait que celles-ci n’avaient pas de conséquences sur la sûreté nucléaire. L’ASN parvient-elle aux mêmes conclusions ? Pouvez-vous nous donner de plus amples précisions à propos de l’irrégularité qui a fait l’objet d’investigations complémentaires ?

S’agissant de la prolongation de l’exploitation des centrales, pouvez-vous nous donner plus de précisions sur les travaux de maintenance et de rénovation qui devront être réalisés ? Quel en sera le coût ?

Mme Brigitte Allain. Le 3 mai dernier, l’ASN a annoncé qu’Areva l’avait informée d’irrégularités concernant des composants fabriqués dans son usine du Creusot. Vous avez immédiatement demandé à Areva de transmettre la liste des pièces concernées et de préciser les éventuelles conséquences sur la sûreté. Quelles sont les réponses qui vous ont été apportées ?

Quel est le nombre de réacteurs actuellement contrôlés par l’ASN ? Quels sont ceux qui ont été arrêtés à la suite d’un contrôle ? Vous avez notamment cité le réacteur n° 2 de Fessenheim.

Comment assurez-vous la transparence de vos avis en matière de sûreté ? Quelle information diffusez-vous au public, en particulier aux premiers intéressés, à savoir les travailleurs et les habitants proches ? Comment garantissez-vous l’indépendance de vos avis ? Vous avez indiqué que l’IRSN manquait de moyens. De quels moyens supplémentaires y aurait-il vraiment besoin pour assurer l’évaluation de la sûreté des centrales nucléaires, dans le contexte international tendu que nous connaissons ?

Mme Marie-Lou Marcel. Le 16 juin dernier, l’organisation non gouvernementale Greenpeace a publié une note faisant état d’anomalies touchant des composants fabriqués à l’usine Creusot Forge d’Areva et installés sur des réacteurs en activité dans plus de douze pays. Elle a demandé l’arrêt des installations nucléaires concernées, la communication publique de la liste des pièces et le détail des documents incriminés. À la suite de cette demande, vous avez publié la liste des réacteurs en question, en précisant que les 80 irrégularités concernaient des générateurs de vapeur, des cuves et des éléments de tuyauterie du circuit primaire, et que 19 d’entre elles portaient sur le respect des spécifications du client et des règles de fabrication des ESPN. Vous avez également indiqué qu’EDF avait arrêté, le 13 juin, le réacteur n° 2 de la centrale de Fessenheim afin de procéder à des investigations complémentaires dans le cadre de cette enquête. Pouvez-vous nous en dire plus sur le contrôle des composants des centrales ?

De même que mes collègues, j’aimerais également que vous nous donniez des précisions sur les moyens qui manquent à l’ASN pour assurer ses missions.

M. Jean-Claude Mathis. Le 25 mai dernier, lors de la présentation de votre rapport annuel 2015, vous avez estimé que la situation en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection était « globalement satisfaisante », tout en précisant qu’une vigilance accrue s’imposait en matière de radioprotection. Vous venez de rappeler ces éléments dans votre propos introductif.

Vous avez qualifié d’ « inacceptables » les irrégularités découvertes à l’usine Creusot Forge d’Areva. Il s’agit à la fois de défaillances techniques et d’anomalies détectées en interne qui n’ont été déclarées ni à l’ASN ni à l’opérateur qui a reçu les équipements. Greenpeace a demandé récemment la publication de la liste des installations nucléaires concernées par ces irrégularités, estimant qu’elles pouvaient porter une atteinte grave à la sûreté. Cette liste, qui ne cesse de s’allonger, n’est-elle pas susceptible d’entamer significativement la confiance que nos concitoyens mettent dans le nucléaire ? Envisagez-vous de communiquer sur cette situation dans un souci de transparence et afin que de telles irrégularités ne soient ni banalisées, ni, au contraire, dramatisées sous couvert du secret ?

M. Paul Molac. J’ai bien entendu que, si l’on fermait des centrales, il fallait en ouvrir d’autres afin de maintenir la production. Il y a une autre solution : passer à d’autres types d’énergie. Vous pensez bien que, de mon point de vue, il ne s’agira pas de centrales thermiques !

L’EPR de Flamanville devrait être aujourd’hui en activité. Les Alsaciens doivent être conscients que le retard de la fermeture de Fessenheim est lié à celui de la mise en service de l’EPR, qui connaît des problèmes techniques. Quelles sont les préconisations de l’ASN pour sortir de cette situation ? Avant de vendre l’EPR à l’étranger, il faudrait peut-être qu’il fonctionne chez nous ! De plus, c’est un véritable tonneau des Danaïdes : on nous l’avait vendu pour 3 milliards d’euros, et nous en sommes déjà à 9 milliards. Cela va-t-il continuer ou non ?

Vous êtes chargé des questions de sûreté nucléaire, mais j’appelle votre attention sur la sécurité policière. Greenpeace avait réussi à pénétrer de façon relativement aisée dans un certain nombre de centrales. Existe-t-il des procédures visant à empêcher un groupe de « prendre en otage » une centrale nucléaire ? Si un groupe terroriste y parvenait, les conséquences pourraient être dramatiques.

M. Lionel Tardy. Dans votre rapport annuel 2015, vous avez insisté sur la coopération mise en place au niveau européen au sein de différentes instances. D’autre part, vous avez des relations bilatérales avec vos homologues de nombreux pays. Les échanges se sont-ils multipliés avec le Japon depuis l’accident de Fukushima en 2011 ? Les groupes de travail mis en place intègrent-ils les autorités japonaises ? Vous êtes-vous rendu sur place, à Fukushima ?

M. Yves Daniel. Selon une étude réalisée par vos soins en 2014, environ 980 000 colis de matières radioactives sont transportés chaque année en France, à l’occasion d’environ 777 000 transports. Ces chiffres sont basés essentiellement sur les déclarations des transporteurs et des détenteurs de substances radioactives, dans la mesure où l’agrément de l’ASN n’est pas nécessaire pour la quasi-totalité de ces transports. Le nombre réel de transports est donc extrêmement difficile à évaluer. De ce fait, il est impossible pour les citoyens de prendre connaissance de leur exposition à ces substances radioactives. De plus, l’ASN n’informe ni les gestionnaires des réseaux routiers, ni les collectivités territoriales des transports qui les concernent, contrairement à ce qui se fait dans d’autres pays. Enfin, au-dessous de certains seuils, dit « seuils d’exemption », les transports se font sans déclaration ni agrément. Dans ce cas, ni l’ASN, ni les autorités publiques ne sont informées. Comment justifier cet état des choses, alors que vous faites de la transparence une priorité ?

M. Jean-Luc Laurent. Dans son rapport annuel publié le 25 mai dernier, l’ASN a jugé l’état du parc nucléaire « globalement satisfaisant », mais, en tant que président, vous avez fait part de votre inquiétude à propos de l’avenir de ce parc. Est-ce à dire que vous considérez que le parc est en bon état du point de vue de la sûreté nucléaire, mais menacé par des difficultés financières ?

Pouvez-vous préciser les mesures que vous préconisez pour les travaux de mise à niveau des installations de sûreté au sein des centrales nucléaires existantes dans le cadre du grand carénage ? En particulier, le remplacement de pièces au sein de l’îlot nucléaire est-il envisagé ? Quels sont les éventuels risques opérationnels ?

M. Pierre-Franck Chevet. Les dispositions de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui concernent la sûreté nucléaire et la radioprotection vont tout à fait dans le bon sens. De manière logique au moment où nous avons des enjeux sans précédent à gérer, elles confortent non seulement les acteurs, l’ASN et son appui technique, l’IRSN, mais aussi le dispositif de participation du public.

Ainsi que vous l’avez relevé, Madame Marie-Noëlle Battistel, le rôle des CLI a été renforcé. D’une part, elles ont désormais l’obligation d’organiser au moins une réunion publique par an. C’est un point essentiel, car les CLI ne sont pas uniquement une instance de discussion entre « habitués » : elles ont vocation à relayer une information plurielle auprès de l’ensemble du public. D’autre part, les CLI peuvent dorénavant, de droit, visiter un site après un incident. L’ASN pourra bien évidemment accompagner une telle visite si la CLI concernée le souhaite.

S’agissant de la prolongation de l’exploitation des centrales nucléaires au-delà de quarante ans, la loi relative à la transition énergétique prévoit que la décision de l’ASN sera précédée d’une enquête publique. La prolongation est un rendez-vous majeur en termes de sûreté ; il faut donc que le processus de participation du public soit à la hauteur. L’enquête publique me paraît un bon moyen de répondre à cette exigence.

La loi relative à la transition énergétique conforte, je l’ai dit, le « couple » qui assure le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. En effet, le dispositif français est « dual », avec un décideur, l’ASN, qui est chargée de prendre toutes les grandes décisions, et un expert technique, l’IRSN, qui travaille de manière permanente avec l’ASN, et essentiellement – mais pas exclusivement – pour elle.

Pour toutes ses décisions, l’ASN sollicite l’IRSN. Pour les décisions les plus compliquées, elle s’est adjoint, en outre, des groupes d’experts, c’est-à-dire de sages, qui examinent la question. Lorsque les décisions sont encore plus compliquées, elle peut aussi avoir recours à une expertise internationale. Elle l’a déjà fait dans certains cas. D’autre part, il y a le processus de participation du public : tout le monde peut contribuer à la préparation de la plupart de nos décisions. Certes, les contributions ne bouleversent pas toujours les équilibres, mais il est arrivé que certaines d’entre elles nous fassent modifier notre décision. Telle est l’architecture de la prise de décision.

Dans d’autres pays, le décideur et l’expert technique sont intégrés au sein d’une même structure. Selon moi, le système français présente un avantage : quand l’expert technique rend un avis, le poids de la décision finale ne pèse pas sur ses épaules. Conformément à son rôle, l’IRSN rend un avis technique et, ensuite, l’ASN construit la décision sous mon autorité. Le fait de dissocier les deux fonctions est plutôt une bonne chose. Pour bien marquer la différence entre ces deux rôles, nous avons prévu que l’IRSN rende ses avis publics dès qu’ils sont produits, avant même que l’ASN prenne sa décision. Selon moi, cela participe de l’amélioration de la sûreté dans la durée.

La loi relative à la transition énergétique n’avait pas vocation à traiter nos problèmes de moyens. Le dispositif que je viens de décrire emploie environ 1 000 personnes : un peu moins de 500 à l’ASN, et un nombre équivalent à l’IRSN. Après réactualisation, nous estimons qu’il nous faudrait environ 150 personnes de plus, non pas immédiatement, mais dans les années à venir, car il faut tenir compte de notre capacité d’absorption, c’est-à-dire de notre capacité à former les nouveaux arrivants. Il s’agit non pas de faire du chiffre, mais de privilégier la qualité.

Rappelons que l’ASN ne fait pas seulement des inspections. S’agissant, par exemple, des mesures post-Fukushima, avant d’aller surveiller la construction de tel ou tel bâtiment ou équipement additionnel, il faut d’abord s’assurer que la conception proposée est valable ou non. Il y a donc un travail très important d’analyse en amont, qui permet de fixer des règles ; ensuite, on inspecte pour vérifier si les règles ont été appliquées. Telles sont les deux grandes missions qu’exerce l’ASN.

Au final, la charge de travail est répartie de la manière suivante : environ la moitié de l’effectif est affectée en régions, essentiellement pour mener les inspections sur le terrain – pour vous donner un ordre de grandeur, une dizaine d’inspections ont lieu ce jour même en France ; l’autre moitié de l’effectif est affectée au siège à Montrouge et réalise le travail d’analyse que je viens d’évoquer, en liaison étroite avec l’IRSN.

À quoi serviront les moyens supplémentaires que nous demandons ? Le grand carénage est un rendez-vous industriel majeur : des travaux vont être réalisés à hauteur de 55 milliards d’euros – montant exceptionnel par rapport au volume d’investissements présent et passé d’EDF – et la plupart d’entre eux touchent à la sûreté nucléaire. Ils vont donc nécessiter un surcroît d’analyse par l’ASN et, ensuite, un surcroît d’inspections pour vérifier que les choses se passent sur le terrain telles qu’elles ont été prévues. Il faut que le contrôle soit à la hauteur de ces investissements très importants. C’est de cette manière que nous avons dimensionné notre demande de moyens supplémentaires.

La sous-traitance est une question importante. Le décret d’application de l’article 124 de la loi relative à la transition énergétique, actuellement en préparation, va limiter à trois le nombre de niveaux de sous-traitance, sauf dérogation spéciale. Ces dispositions vont dans le bon sens. La sous-traitance est souvent considérée comme un mal, mais, en termes de sûreté, il est justifié et nécessaire de recourir à une sous-traitance bien encadrée dans certains cas de figure, notamment lorsque l’on a besoin de faire appel à des spécialistes dans des domaines très pointus que les entreprises de rang 1, 2 ou 3 ne sont pas en mesure de prendre en charge elles-mêmes. Reste que, dans le cas général, une réduction du nombre de niveaux de sous-traitance est plutôt souhaitable, car cela permet une meilleure surveillance. Dans une sous-traitance à deux ou trois niveaux, l’important, du point de vue de l’ASN, c’est que chaque niveau n, y compris les exploitants, exerce bien sa mission de contrôle du niveau n - 1, l’ASN exerçant, pour sa part, un contrôle global.

Plusieurs de vos questions portent sur la gestion des déchets, d’une part sur le projet Cigéo, d’autre part sur le stockage décentralisé.

Premier point concernant Cigéo : la question de son coût. Le rôle de l’ASN est de se prononcer non pas sur le montant de 25 milliards d’euros qui a été fixé, mais, ainsi que le prévoit la loi, sur les options techniques de Cigéo, dont découle ensuite un coût. Ainsi, la ministre de l’environnement a soumis à l’ASN l’évaluation – de très grande qualité, d’ailleurs – faite par l’ANDRA. Nous avons été amenés à dire qu’un certain nombre d’hypothèses techniques retenues par l’ANDRA nous semblaient plutôt optimistes, par exemple la taille et la longueur des galeries. Si l’on voulait adopter une approche prudente, ainsi que le prévoit la loi, il fallait donc réviser ces hypothèses et en tirer les conséquences en termes de coût. Notons que, s’agissant d’une installation qui a vocation à être exploitée pendant 100 à 150 ans et qui vivra, au-delà, une centaine de millions d’années, les incertitudes sont, à l’évidence, très grandes, surtout en ce qui concerne les coûts : il est notamment très difficile d’imaginer quel sera le coût du personnel ou celui de l’énergie dans 150 ans.

En tout cas, le fait que le coût de Cigéo ait été actualisé est une bonne nouvelle, car cela n’avait pas été fait depuis dix ou quinze ans. Surtout, le Gouvernement s’est engagé à revoir régulièrement le coût de Cigéo, au gré de l’avancement technique du projet. Cela paraissait logique – on ne sait pas très bien, et c’est normal, comment sera l’installation dans 150 ans –, mais cela méritait d’être précisé. Cette clause de réexamen systématique me paraît le point essentiel, au-delà de la discussion que l’on peut avoir sur le montant de 25 milliards d’euros.

Deuxième point très important concernant Cigéo : la notion de réversibilité. Elle est ressortie des débats publics sur le projet et fait l’objet d’une proposition de loi en cours d’examen. Il s’agit d’un texte très important, dont l’adoption constitue un préalable au dépôt, par l’ANDRA, d’une demande d’autorisation de création pour Cigéo. L’ASN a publié très récemment une contribution technique sur la question de la réversibilité, afin de préciser ce que l’on entend par ce terme, car des idées très diverses peuvent y être rattachées.

Notre avis – qui est, bien évidemment, public – reprend deux idées. La première est que la réversibilité implique l’adaptabilité : Cigéo doit être capable techniquement de s’adapter à des changements, notamment de politique énergétique. Actuellement, il est prévu de stocker des déchets vitrifiés, mais, si l’on change de politique énergétique – ce qui n’est pas exclu à l’horizon de quarante ou cinquante ans, voire plus tôt –, nous serons peut-être amenés à stocker des combustibles en l’état, ainsi que le font d’autres pays. Deuxième idée : la réversibilité implique la récupérabilité des colis. En d’autres termes, on doit pouvoir reprendre les colis de déchets stockés dans Cigéo, au moins au cours de la période d’exploitation de 100 à 150 ans, notamment si l’on a, à un moment donné, une meilleure solution pour les gérer.

Ces deux idées sont inscrites dans la proposition de loi, qui comprend d’autres dispositions, notamment la fixation de rendez-vous parlementaires sur ces questions. Il s’agit, je le répète, d’un texte très important, auquel l’ASN a apporté sa contribution technique.

J’en viens à l’idée de stockage décentralisé que nous avons avancée. Cigéo est conçu pour stocker les déchets les plus compliqués et les plus nocifs. À l’autre extrémité du spectre, notamment dans la perspective, un jour, du démantèlement – je ne me prononce pas sur un calendrier –, il faut gérer un certain nombre de déchets très peu radioactifs, notamment des bétons et des ferrailles, qui représentent donc un enjeu limité en termes de sûreté et de radioprotection, mais qui doivent être traités avec précaution et sont majoritaires en quantité. Actuellement, la doctrine prévoit que ces matériaux ont vocation à rejoindre des sites de stockage centralisé de l’ANDRA. Or il n’est pas nécessairement optimal, y compris en termes de sûreté, de faire traverser la moitié de la France à ces déchets, même si leur impact est objectivement faible. De mon point de vue, il est essentiel d’avoir un débat, dont la forme reste à déterminer, sur le partage entre stockage local et stockage national. Ce débat ne touche pas uniquement la sûreté, et il implique les élus tant locaux que nationaux. Il n’est pas urgent, mais il est devant nous et il faut le préparer. Nous avons déjà eu quelques échanges à ce sujet avec la Commission nationale du débat public.

S’agissant de l’usine d’Areva au Creusot, ainsi que je l’ai indiqué, l’ASN a demandé un audit rétrospectif, qui est en cours. C’est un travail long et compliqué, qui prendra encore plusieurs mois. Le volume de documents à examiner est considérable. Compte tenu de l’exigence de transparence, il faut que les anomalies soient déclarées au fur et à mesure qu’elles sont découvertes, même si cela donne un peu l’impression qu’il y a des mauvaises nouvelles tout le temps. En tout cas, il est absolument essentiel d’aller au bout de ce processus, afin de purger la situation.

La dernière mauvaise nouvelle concerne le réacteur n° 2 de Fessenheim. D’après les informations dont nous disposons, le problème concerne un composant forgé en acier situé dans la partie supérieure d’un générateur de vapeur, dans lequel au moins l’une des deux masselottes n’aurait pas été enlevée – lorsque l’on coule un lingot de métal, on prévoit, en haut et en bas, des masselottes, où se concentrent un certain nombre d’impuretés. Il s’agit désormais de caractériser cette anomalie et d’établir si elle est acceptable en termes de sûreté ou non. EDF a commencé un certain nombre d’analyses. L’ASN se prononcera sur la base des éléments que l’entreprise lui transmettra. À ce stade, je ne suis pas en mesure de vous indiquer dans combien de temps nous pourrons le faire. Nous en sommes au début de l’instruction de ce dossier.

Je n’ai pas parlé d’une fermeture de la centrale du Tricastin. Le réacteur Tricastin-1 sera le premier du parc à être arrêté pour maintenance, en 2019, pour sa quatrième visite décennale. Les autres le seront ensuite. Il y a une vingtaine d’années, on a identifié des anomalies sur la cuve du réacteur Tricastin-1, qui font l’objet d’un suivi renforcé. Ce sera évidemment l’un de nos points d’attention dans le cadre de la visite décennale. Je ne singularise pas particulièrement Tricastin-1 : il y a des problèmes spécifiques sur d’autres réacteurs, par exemple des problèmes d’étanchéité de l’enceinte sur les réacteurs de 1 300 mégawatts. Toutes ces anomalies sont connues et font l’objet d’un suivi adapté en fonction de leurs spécificités.

Les réacteurs du Bugey sont de la même génération que ceux de Fessenheim. Ils présentent eux aussi un certain nombre de particularités. Nous avons actuellement des discussions à propos du redémarrage du réacteur Bugey-5, dont l’enceinte avait un problème d’étanchéité, qui a fait l’objet d’un suivi. Cela fait partie, en quelque sorte, de la vie courante.

Ainsi que je l’ai indiqué, l’usine FBFC a été placée sous surveillance renforcée pour un problème de qualité d’exploitation. Il s’agit d’installations relativement anciennes, et des investissements sont nécessaires pour en améliorer la sûreté. Nous menons des discussions sur ce point, qui renvoient aussi aux capacités financières des acteurs. Même si nous avons déjà constaté un certain nombre d’améliorations, l’usine FBFC reste pour l’instant sous surveillance renforcée. Lorsque nous serons satisfaits, nous relâcherons cette surveillance, mais le moment n’est pas encore venu.

Les problèmes relevés à la centrale de Gravelines concernent, eux aussi, la qualité d’exploitation. En général, lorsque l’on pointe du doigt une centrale en indiquant qu’elle est plutôt en queue de peloton, on obtient l’effet recherché : un ou deux ans plus tard, elle se retrouve en tête de peloton. Dès lors, d’autres centrales passent derrière. Cela fait partie de nos méthodes de travail.

Ainsi que je l’ai indiqué, nous prendrons position sur la prolongation de l’exploitation des centrales à la fin de l’année 2018 ou au début de 2019. Les discussions portent notamment sur quatre ou cinq grandes questions très compliquées. Car il s’agit non seulement de traiter les problèmes de vieillissement, mais aussi d’améliorer la sûreté en se rapprochant autant que possible des normes de sûreté les plus modernes, la référence étant l’EPR. Prenons un exemple : l’EPR est équipé d’un récupérateur de corium sous la cuve ; les tranches existantes, elles, n’en sont pas équipées, et il n’y a pas nécessairement la place d’en installer un. Nous avons sur ce point des discussions très techniques et compliquées avec EDF, qui prendront du temps. EDF propose d’ajouter des bétons spéciaux entre la cuve et le plancher actuel du réacteur. Toute la question est de savoir si cela assure la même mission qu’un récupérateur de corium. C’est l’un de ces quatre ou cinq grands sujets que nous devons traiter. Cela exige d’abord un travail d’analyse, puis cela demandera un travail d’inspection pour vérifier les modifications qui ont été apportées.

Actuellement, en cas de crise, la FARN peut venir seconder les équipes locales, et il existe déjà des locaux protégés, mais il est effectivement nécessaire de créer un centre de crise bunkérisé sur chaque site. Cela fait partie des moyens « en dur » qui doivent être déployés dans le cadre de la deuxième phase des mesures post-Fukushima. Cette phase a commencé, et un certain nombre de travaux de construction sont en cours, notamment à Flamanville. Il s’agit de travaux lourds.

Il y a évidemment une articulation entre les travaux post-Fukushima, le grand carénage et la prolongation de l’exploitation des centrales. Ainsi, toutes les mesures post-Fukushima qui vont dans le bon sens en termes de sûreté « comptent » positivement dans le cadre de l’examen de la prolongation. Je cite quelques chiffres pour donner un ordre de grandeur : au sein des 55 milliards d’euros du grand carénage, EDF estime la partie post-Fukushima à 10 milliards.

Les travaux qui doivent être menés dans le cadre du grand carénage, y compris les travaux post-Fukushima, sont extrêmement lourds : ils s’apparentent davantage à la construction d’installations nouvelles qu’aux modifications courantes auxquelles on procède sur les centrales nucléaires. La qualité de ces travaux sera un de nos grands points de vigilance. Nous disposons déjà d’un certain nombre de retours d’inspection, et des anomalies ont été constatées sur certains chantiers lourds, notamment sur des bétons complexes.

J’en viens aux difficultés rencontrées sur les chantiers d’installations nouvelles. Elles concernent non seulement l’EPR de Flamanville, mais aussi les autres installations en cours de construction, notamment le réacteur Jules-Horowitz. Soyons clairs : il y a eu une perte d’expérience en matière de construction de nouvelles installations. Lorsque l’on n’a pas fabriqué de béton sophistiqué ou lorsqu’on n’a pas soudé depuis dix ou quinze ans, il est très difficile de le refaire immédiatement sans défaut. Cela étant, qui dit perte d’expérience, dit aussi courbe d’expérience : lorsque l’on fait la même chose plusieurs fois, les résultats ont vocation à s’améliorer, grâce au retour d’expérience.

Je ne porterai pas de jugement sur l’opportunité de réaliser ou non le projet Hinkley Point. Je ne ferai qu’un seul commentaire : il me paraît évident que si les équipes chargées du nucléaire en France, chez Areva et EDF, ne font pas, pendant cinq ou six ans, d’autre construction que l’EPR de Flamanville, il y aura de nouveau une perte d’expérience, et il faut s’attendre à retrouver les mêmes problèmes, quel que soit le modèle de réacteur choisi.

Quant aux anomalies détectées sur la cuve de l’EPR de Flamanville, il faut aller jusqu’au bout du processus et les traiter. Allons-nous résister à la pression ? Je dirais que nous sommes « faits pour » et que nous sommes habitués. Nous ferons donc notre travail, en mode ouvert. Nous nous sommes appliqués, comme d’habitude, à être transparents tant sur les anomalies de la cuve que sur les irrégularités constatées à l’usine du Creusot. Après-demain, le groupe d’experts compétent fera un point sur toutes ces questions, en présence de représentants de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI) et du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Pour nous, la question de la transparence ne se pose pas : c’est notre méthode de travail habituelle.

En dépit des difficultés rencontrées sur la cuve, l’EPR est une bonne référence pour nous en termes de sûreté. Ce n’est pas pour rien que l’ASN travaille sur l’EPR depuis maintenant vingt-cinq ans. Sur le fond, c’est un bon réacteur : ses options de sûreté ne sont pas contestables ; son design est plutôt satisfaisant. Ensuite, il y a des difficultés dans la réalisation, ce qui est autre chose.

L’EPR est un bon réacteur, mais cela n’exclut pas qu’un travail soit fait pour l’optimiser du point de vue industriel. Cela ne me pose aucun problème, et c’est même de la responsabilité des industriels d’engager un tel processus. EDF a déposé auprès de l’ASN un dossier d’options de sûreté pour l’EPR dit « nouveau modèle », c’est-à-dire pour l’EPR optimisé. J’ai un problème de moyens pour instruire ce dossier, car cela n’était pas prévu dans la charge de travail que nous avions estimée.

À défaut de moyens supplémentaires à court terme, je donnerai la priorité – c’est de ma responsabilité – aux installations existantes, car ce sont elles qui sont potentiellement concernées par un risque. Nous ferons le maximum pour suivre les chantiers nouveaux. Nous continuerons notamment à faire des inspections à Flamanville. Mais, au regard des dossiers tels que la prolongation de l’exploitation des centrales, les chantiers nouveaux constitueront plutôt la variable d’ajustement. Du point de vue de la sûreté, il ne me paraît pas souhaitable que ce décalage en termes de moyens perdure au-delà de l’année en cours.

En matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, l’Europe « fait le travail ». Elle affiche une vraie ambition sur tous les sujets relatifs à la sûreté, y compris sur la question des déchets. Au niveau européen – je n’en dirais pas autant à propos du niveau international –, nous disposons d’une belle architecture normative, avec des directives et des règlements clairs. À la suite de l’accident de Fukushima, la directive relative à la sûreté nucléaire a été révisée. Elle est très ambitieuse : elle dispose notamment que les réacteurs doivent être constamment améliorés, au fur et à mesure qu’ils vieillissent. Cette idée apparaît plutôt comme une évidence en Europe, ce qui n’est pas le cas au niveau international. Par exemple, nos homologues américains s’en tiennent davantage à la vérification de la conformité aux standards initiaux : ils manifestent moins la volonté de modifier l’existant afin de le rapprocher des modèles les plus récents. Au niveau international, les visions sont donc un peu divergentes. Au niveau européen, en revanche, il y a une très grande unanimité, et un très gros travail.

J’assure en effet depuis six mois la présidence de l’ENSREG, club européen des autorités compétentes en matière de sûreté nucléaire. En ce moment, nous travaillons essentiellement à la mise en œuvre concrète de la directive relative à la sûreté nucléaire. À la suite de l’accident de Fukushima, nous avons procédé à des tests de résistance – stress tests – sur les centrales nucléaires au niveau européen, avec une évaluation par les pairs et une comparaison des résultats. Les conclusions de ces tests ont été rendues publiques. La directive révisée prévoit que nous fassions ce même travail tous les six ans sur un sujet de notre choix. Nous avons choisi la question du vieillissement des centrales nucléaires, à laquelle tous les pays européens sont aujourd’hui confrontés, la majorité des réacteurs ayant été construits dans les années 1970 et 1980, chez nos voisins comme chez nous. C’est donc un des grands thèmes de travail au niveau européen, qui fera l’objet de la prochaine évaluation par les pairs.

Autre grand thème de travail au niveau européen : la gestion des situations d’urgence. L’ensemble des autorités de sûreté et de radioprotection européennes sont favorables à l’extension du périmètre des plans d’urgence. Notre raisonnement est très simple : même si nous avons tous pris des mesures pour améliorer la sûreté après l’accident de Fukushima – et il ne faut pas les mésestimer –, aucun d’entre nous n’est en mesure d’exclure qu’un accident du type de celui de Fukushima survienne en Europe. Or l’accident de Fukushima a eu des impacts dans un rayon d’environ 100 kilomètres et a nécessité une évacuation dans un rayon de 20 kilomètres. Lorsque vous tracez des cercles de ces rayons autour des centrales en Europe, vous en tirez deux conclusions. Premièrement, un accident toucherait vraisemblablement plusieurs pays simultanément. D’où la nécessité de progresser en matière d’harmonisation et de coordination de nos réactions en cas de crise, par-delà les frontières. À l’heure actuelle, les seuils de déclenchement des mesures diffèrent d’un pays à l’autre. En d’autres termes, pour un taux de radioactivité donné, on ne prend pas les mêmes décisions partout en Europe. Nous avons donc tout un travail devant nous, que nous poussons collectivement. Deuxièmement, si l’on se place dans l’hypothèse de conséquences dans un rayon de 100 kilomètres et d’une évacuation dans un rayon de 20 kilomètres, il faut examiner comment nous pouvons adapter concrètement nos plans d’urgence à une telle situation. Il faut, en particulier, étendre leur périmètre.

L’ASN est favorable à l’extension du périmètre des PPI. L’extension à 20 kilomètres est certainement une première étape tout à fait nécessaire. Des discussions interministérielles sont en cours à ce sujet. Elles impliquent notamment le ministère de l’intérieur. Cependant, pour passer de l’intention – « on veut y aller » – à la réalisation – « on a un plan qui marche » –, un certain temps est nécessaire, car il faut procéder de manière ordonnée et sérieuse. À ce stade, la campagne de distribution des pastilles d’iode ne peut donc se faire que dans les périmètres actuels. Une fois que le périmètre aura été modifié, il faudra compléter la distribution, en fonction des conclusions qui auront été tirées. En tout cas, le travail sur les plans d’urgence est un bon exemple de pratique concertée au niveau européen.

L’ASN travaille très régulièrement avec ses homologues des pays voisins et des grands pays sur la plupart des sujets importants. Nous menons notamment un travail par type de réacteur. Il existe, par exemple, un club international des autorités qui sont chargées de suivre un projet de réacteur EPR. Il réunit la Finlande, la Chine, la France et le Royaume-Uni. Les experts de ces pays travaillent ensemble sur toutes les grandes questions relatives à l’EPR, notamment le contrôle-commande, à savoir le système qui permet de piloter la centrale. Contrairement à ce qui a été indiqué, notre approche du contrôle-commande est tout à fait cohérente avec celle des Britanniques, même si nous n’avons peut-être pas la même position dans le détail. Nous considérons les uns et les autres que c’est une bonne chose de développer la partie informatique du contrôle-commande – nous l’avons admis en France il y a une quinzaine d’années –, mais, dans la mesure où il est très compliqué de démontrer la sûreté d’un dispositif informatique, il faut un système de secours qui permette de prendre le contrôle en mode manuel.

Je suis allé à Fukushima. Les Japonais ont fait un travail colossal de réorganisation de leur système, ainsi qu’un travail technique impressionnant sur la situation de leurs centrales. Nous avons beaucoup travaillé avec nos nouveaux homologues japonais, qui ont atteint, objectivement, un niveau de sérieux tout à fait remarquable. Nous avons des liens très forts avec eux. Tel est aussi le cas des Américains. Je dois me rendre de nouveau au Japon en septembre prochain.

Je crois avoir répondu à une grande partie de vos questions. Je peux, le cas échéant, vous faire parvenir des éléments complémentaires par écrit.

Mme la présidente Frédérique Massat. Merci, Monsieur le président. Nous avons fait le tour de tous les sujets d’actualité et de fond concernant la filière nucléaire. Notre commission est particulièrement attentive à ces questions. Nous vous avions reçu pour la dernière fois le 6 novembre 2012 – la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la transition énergétique vous avait auditionné, pour sa part, en 2014. Nous reprendrons l’habitude de rendez-vous plus réguliers, car il est important pour nous d’avoir, en direct, un éclairage précis de votre part.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 22 juin 2016 à 9 h 30

Présents. - M. Damien Abad, Mme Brigitte Allain, M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Karine Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Sophie Errante, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Georges Ginesta, M. Daniel Goldberg, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Henri Jibrayel, M. Philippe Kemel, M. Jean-Luc Laurent, M. Philippe Le Ray, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. François Sauvadet, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Marie Tétart, M. Fabrice Verdier

Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, M. Marcel Bonnot, M. Christophe Borgel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Laurent Furst, M. Franck Gilard, Mme Pascale Got, Mme Laure de La Raudière, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Serge Letchimy, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, M. Philippe Naillet, M. Dominique Potier, M. Bernard Reynès, M. Thierry Robert, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistaient également à la réunion. - M. Paul Molac, M. François Vannson, M. Michel Zumkeller