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Commission des affaires économiques

Mardi 28 juin 2016

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 91

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

– Audition de M. Thierry Mandon, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche

La commission a auditionné M. Thierry Mandon, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme la présidente Frédérique Massat. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir, pour la deuxième fois depuis le début de l’année, M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous serons sans doute amenés à le revoir lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2017.

L’audition d’aujourd’hui était prévue de longue date et elle pourra vous donner l’occasion, Monsieur le secrétaire d’État, de vous exprimer sur l’épisode des coupes budgétaires un temps annoncées, comme sur d’autres sujets.

Le 8 juin, dernier, des mesures visant à accélérer la valorisation de la recherche publique française dans l’économie et les entreprises ont été présentées ; il s’agirait notamment de créer de nouvelles structures rapprochant entreprises et chercheurs. Pourrez-vous, Monsieur le secrétaire d’État, nous en dire un peu plus sur cette nouvelle stratégie d’innovation ?

Les auditions menées par notre commission lui ont permis de constater que le crédit d’impôt recherche (CIR) était un dispositif fort prisé. Sans anticiper sur les débats budgétaires qui auront lieu plus tard, pouvez-vous nous éclairer sur son avenir ?

Nous avions évoqué le troisième programme d’investissements d’avenir (PIA 3). Aujourd’hui, les choses se précisent : 5,9 milliards d’euros bénéficieront à l’enseignement, à la recherche, à la valorisation ; 4,1 milliards d’euros seront mobilisés en faveur de l’innovation des entreprises, notamment l’internet des objets. La mission sur les objets connectés constituée au sein de cette commission rendra ses travaux probablement à la rentrée. Nous sommes donc également compétents sur ces questions, et nous souhaitons y travailler avec le Gouvernement, notamment en lien avec le projet « Industrie du futur ». Nous souhaiterions donc vous entendre sur le PIA 3.

Enfin, quelles peuvent être les conséquences du « Brexit » pour la recherche française et européenne ? L’Europe a connu de grandes réussites, avec Airbus, avec Ariane, et sur tant de sujets. Qu’en est-il de l’avenir ? Même si nous ne pouvons avoir de certitudes, nous pouvons en débattre. En ce qui concerne plus spécifiquement le programme Erasmus, comment rassurer ? Notre rôle n’est effectivement pas de tenir des discours anxiogènes. Vous êtes le premier membre du Gouvernement qui s’exprime devant notre commission depuis le référendum britannique. Nous en profitons donc pour vous interroger sur ces sujets qui vous passionnent aussi et qui ont toute l’attention du Gouvernement.

M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, c’est un plaisir d’échanger avec vous. Mon propos introductif sera bref, mais je pourrai le compléter en fonction de vos questions. Je m’en tiendrai aux points que vous avez mentionnés : le décret d’avance et, plus généralement, les moyens consacrés à la recherche ; les réformes visant à améliorer la valorisation ; le CIR ; le PIA 3 ; le Brexit.

Le décret d’avance a suscité une forte mobilisation, de nombreux parlementaires, notamment, s’en sont émus. Le texte définitif en a été publié le 2 juin dernier et je vous confirme qu’il respecte scrupuleusement les engagements pris par le Président de la République. Des 134 millions d’euros de coupes budgétaires qui avaient été envisagés sur nos programmes, il ne reste plus que 65 millions d’euros d’annulations qui ne posaient pas de difficultés : 10 millions d’euros en autorisation d’engagement et en crédits de paiement sur le programme 231 « Vie étudiante » et un certain nombre d’opérations immobilières qui ont été reprogrammées et pour lesquelles les crédits ne sont pas utiles ; 50 millions d’euros sur le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire », qui n’étaient, de fait, qu’une partie des sommes mises en réserve pour les universités, lesquelles avaient elles-mêmes considéré que l’annulation ne posait pas de problème ; 5 millions d’euros de crédits sur la recherche spatiale, mis en réserve, sur un budget de 1,4 milliard d’euros environ, ce qui ne suscitait pas non plus de difficultés particulières. Le reste a été purement et simplement retiré du décret d’avance. Les coupes contre lesquelles se sont mobilisés beaucoup de parlementaires et de personnalités du monde scientifique n’auront donc pas lieu.

J’en profite pour évoquer l’évolution des crédits de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis le début du quinquennat, pour que chacun ait à l’esprit la réalité des budgets votés par le Parlement et exécutés. Les deux budgets de l’enseignement supérieur et de la recherche font partie de ceux considérés comme sanctuarisés par le Président de la République et ses deux Premiers ministres successifs. L’objectif n’était donc pas de faire des économies sur ces budgets. Les crédits inscrits au programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » étaient de 12,511 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2012. Ils s’élèvent aujourd’hui à 12,893 milliards d’euros en 2016, soit une progression de 380 millions d’euros. Si elle n’est pas considérable, cette hausse n’en est pas moins réelle et nous place dans la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en termes de dépense par étudiant. Nous avions déjà eu l’occasion d’en parler : nos universités, qui rencontrent un succès grandissant, auront besoin de moyens supplémentaires au cours des prochaines années pour faire face à la réalité démographique.

Le budget total de la recherche était de 7,7 milliards d’euros en 2012. Si l’on fait la somme des crédits du programme 172, « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » et du programme 193 « Recherche spatiale », ils sont au même niveau en 2016 qu’en 2012, même si la répartition des moyens à l’intérieur de ces programmes a sensiblement évolué au cours des dernières années. L’Agence nationale de la recherche (ANR) a vu ses crédits baisser de 200 millions d’euros, somme qui a été donnée aux organismes de recherche. Ainsi, le financement dit « récurrent » représente aujourd’hui environ 83 % des crédits de la recherche, et le financement sur appels à projets environ 17 %. Je donne ces chiffres car, bien souvent, la question fait débat : un certain nombre d’acteurs considèrent qu’il n’y a pas assez de crédits récurrents et qu’il y a trop d’appels à projets. En réalité, si l’on compare la situation de notre pays à celle d’autres États dont la recherche est très performante, la place que nous faisons aux crédits récurrents est très importante.

Leur stabilité depuis 2012 a eu deux conséquences.

La première est positive : nous avons pu continuer de recruter des scientifiques, le principe étant, dans tous les organismes de recherche, que chaque départ à la retraite donnait lieu à remplacement et recrutement. Au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les recrutements sont même, cette année, un peu plus nombreux que le nombre de départs à la retraite, car le CNRS a décidé de faire un effort supplémentaire. Compte tenu de la démographie et de la courbe des départs à la retraite, cet effort, réel, de recrutement depuis quatre ans peut être considéré comme insuffisant. Les conclusions des études prospectives divergent mais nous sommes dans une période où les départs à la retraite sont peu nombreux, cela vaut pour les trois ou quatre prochaines années. Les recrutements sont donc eux aussi peu nombreux. Cela pose problème, notamment pour l’emploi des jeunes docteurs, qui continuent à être formés. Il faut avoir cette question à l’esprit.

La deuxième conséquence est que les organismes, plus généralement l’ensemble des acteurs de la recherche française, ont dû faire un effort d’économie. En effet, si les crédits sont stables, la masse salariale progresse mécaniquement, et les « dépenses de fluides » des laboratoires progressent aussi. La marge de manœuvre des organismes est donc faible aujourd’hui, voire nulle ; c’est ce qu’a bien montré l’épisode du décret d’avance. De ce point de vue, je me réjouis du débat qui a eu lieu, même s’il n’aurait pas été plus mal de l’éviter. Il a bien montré à un certain nombre de décideurs qui ne l’avaient pas forcément à l’esprit que retirer des crédits à des organismes, alors que la masse salariale, qui progresse, représente leur principale dépense, que leur dotation est fixe et que les « dépenses de fluides » progressent également, les oblige très concrètement à arrêter des programmes de recherche – c’est ce qui se serait passé si ces annulations avaient été maintenues. Vous aurez compris ma conviction, que j’ai déjà eu l’occasion d’exprimer et que je continue de défendre tout à fait sereinement : il faut faire un effort budgétaire pour l’enseignement supérieur et la recherche. Nous aurons l’occasion d’en parler au cours des prochaines semaines.

Vous m’interrogez à juste titre sur les questions de valorisation économique. Nous avons souhaité faire un bilan en commandant diverses études. Je pense notamment à celle réalisée par Mme Suzanne Berger du Massachusetts Institute of Technology (MIT) sur les dispositifs de soutien à l’innovation en France ou au rapport de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation sur quinze années de politique d’innovation. Il s’agit à la fois, pour le monde économique, de disposer au plus vite des produits de la recherche et aussi, pour la recherche publique, d’obtenir – c’est un point absolument central pour moi – un juste retour sur la valeur qu’elle a contribué à créer. Notre souci était donc double : faire en sorte que le système soit plus rapide, plus flexible, plus souple, et, en même temps, de veiller à un juste retour. Un certain nombre d’acteurs publics avaient en effet le sentiment de créer beaucoup de valeur sans jamais avoir de retour.

Les mesures annoncées il y a une quinzaine de jours peuvent être regroupées en trois blocs.

Un premier vise à simplifier grandement les règles de la propriété intellectuelle. Très souvent, ce sont des laboratoires mixtes, associant deux, trois ou quatre partenaires publics, qui sont à l’origine d’innovations. Il s’agit d’éviter que ces acteurs s’enferment dans des négociations qui durent des années et risquent de dissuader un certain nombre d’entreprises d’utiliser les technologies qu’ils ont brevetées : la concurrence est telle qu’au bout de deux ans une technologie qui était intéressante pour une entreprise ne l’est plus forcément.

Deux décisions vont être prises – le décret, actuellement sur mon bureau, sera publié dans les tout prochains jours. Premièrement, lorsqu’une équipe publique réunit plusieurs organismes publics, il y aura désormais obligatoirement un « patron », mandataire et interlocuteur unique, chargé des démarches de dépôt des brevets et des relations avec les partenaires économiques ; il sera choisi librement par les différents partenaires. Cette disposition s’appliquera à toute nouvelle unité mixte, mais aussi, rétroactivement, aux acteurs qui le souhaitent. Tout cela a été négocié avec ceux qui sont concernés, je n’entre donc pas dans les détails. Deuxièmement, nous donnons quatre mois aux acteurs publics pour se mettre d’accord sur les règles de répartition de la propriété intellectuelle – cette mesure est encore plus importante. Soit ils le font, et la règle qu’ils auront arrêtée s’appliquera ; soit ils ne le font pas, auquel cas une répartition forfaitisée s’appliquera, une répartition par moitié s’ils sont deux, par tiers s’ils sont trois. Cela a été accepté par l’ensemble des acteurs du monde universitaire et du monde des organismes de recherche. En matière de valorisation, le passage de dispositifs qui se négocient souvent pendant deux ans à des négociations de quatre mois avec un interlocuteur unique est vraiment très important.

Le deuxième bloc de mesures porte sur l’indispensable rapprochement du monde universitaire et du monde économique. Je l’explique le plus simplement possible : les politiques de valorisation sont nées de l’idée qu’il fallait des professionnels du droit, de la finance, de la technologie pour organiser le mariage des laboratoires, forts de leurs savoirs, et des entreprises, parce qu’autrement, compte tenu de la culture de méfiance réciproque qui a longtemps prévalu entre le monde universitaire et le monde économique, cela prendrait des années. Cela a donné naissance à une batterie d’outils très importants, tels les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) et les instituts de recherche technologiques (IRT). Dix ans plus tard, la superposition de ces outils nationaux créés pour faire pont entre la recherche publique et les entreprises, auxquels s’ajoutent parfois des outils régionaux, des outils départementaux, des outils de métropole, fait que plus personne n’y comprend plus rien, et qu’un certain nombre d’acteurs universitaires ou économiques consacrent un temps infini à des procédures qui ne sont pas très utiles. Nous avons donc pris un certain nombre de décisions, avec l’accord du Commissariat général à l’investissement, pour rapprocher bien davantage ces structures.

Les décisions prises à propos des SATT partent de l’idée que les entreprises doivent pouvoir, en fonction de leurs problématiques propres, identifier des interlocuteurs précis au sein de l’université pour les aider à monter en gamme et à améliorer leurs technologies. C’est la logique même. C’est ainsi que nous organisons, lors de chaque déplacement en province, des petits déjeuners et des rencontres entre universités et entreprises. Dans certains bassins, des entreprises parfois présentes depuis dix ou quinze ans ne connaissent pas l’université, ne savent pas ce qui s’y fait et n’ont pas de discussion face-à-face avec les membres de laboratoires de recherche qui pourraient leur donner des idées ; je ne les cite pas, mais j’ai des exemples très précis à l’esprit. De ce point de vue, les SATT doivent être considérées comme des back-offices de très grande qualité sur le plan juridique et financier d’une relation entre les universités et les entreprises, mais non comme la porte d’entrée. La logique, c’est que le patron de laboratoire et le chef d’entreprise prennent un café ensemble ! Nous avons donc fait évoluer le régime des SATT pour que, par convention, les portes d’entrée des SATT soient dans les universités. Ensuite, nous avons donné plus de pouvoir aux actionnaires des SATT, en vue d’un pilotage sur des bases territoriales, l’État se retirant quelque peu au profit des acteurs de terrain, qui iront beaucoup plus vite, beaucoup plus simplement. Troisième décision, indispensable, nous avons allégé la contrainte d’équilibre. Dix ans après leur création, les SATT devaient être financièrement équilibrées, mais ce n’est possible pour aucune structure de ce type, dans aucun pays au monde. La société de transfert du MIT perd 75 % de son budget chaque année ! Sauf miracle, l’équilibre est impossible. Levons donc cette exigence qui conduit les SATT à investir peu ou à développer d’autres fonctions, ou des prestations de service, pour faire artificiellement du chiffre d’affaires et se détourner de la mission pour laquelle elles ont été créées. Dans le même registre, nous avons décidé de permettre le financement sur fonds publics d’un certain nombre d’expérimentations d’autres formes de valorisation. Je pense principalement à une expérimentation assez prometteuse menée en Normandie, par quelques acteurs universitaires et certaines écoles, d’un outil de valorisation qu’ils ont eux-mêmes créé, ou à l’outil dont s’est doté Paris Sciences et Lettres (PSL), qui est une communauté d’universités et établissements (ComUE) parisienne. Enfin, nous nous sommes interrogés sur les IRT, qui réunissent des chercheurs du public et des chercheurs du privé autour de programmes de recherche technologique, financés en partie par la recherche publique ; les chercheurs publics mis à disposition sont financés, à hauteur de 30 %, par les organismes dont ils viennent, quels que soient les résultats des travaux. Si d’aventure ces travaux permettent un progrès technologique, celui-ci est breveté par l’IRT, mais l’organisme public ayant mis les chercheurs à disposition n’en percevait aucun fruit. Cela ne tient pas la route, le principe du juste retour devra être évoqué dans les évolutions à venir.

Le troisième type de décisions porte sur la loi du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche, dite « loi Allègre ». Les résultats de celle-ci sont absolument remarquables. Vous avez en tête les principes : un chercheur qui veut créer une entreprise peut prendre un jour par semaine dans son entreprise, il peut en être actionnaire sous un certain nombre de conditions et, s’il veut réintégrer son poste, il est obligé de céder ses actions. Deux ou trois éléments doivent, à mon avis, être revus si nous voulons accélérer la création d’entreprises innovantes par des chercheurs issus du public. Cela suppose une modification législative et cela doit être débattu. J’ai donc demandé à deux personnes, M. Jean-Luc Beylat, patron de la recherche d’Alcatel-Nokia, et M. Pierre Tambourin, directeur général de Genopole, de me faire d’ici à la fin de l’année, des propositions pour améliorer cette loi. Elles pourront éventuellement faire l’objet d’un texte, mais vous connaissez comme moi la réalité du calendrier. En tout cas, elles donneront lieu à un travail concerté et public.

Le CIR est sanctuarisé jusqu’à la fin du quinquennat. C’est la feuille de route gouvernementale, et je n’ai rien à y ajouter. En revanche, quelques questions se posent. Je souhaite notamment un vrai travail indépendant sur les raisons pour lesquelles le CIR, qui représente quand même un effort significatif pour doper la recherche privée – environ 6 milliards d’euros aujourd’hui, contre un peu plus de 3 milliards d’euros en 2012 –, n’a pas entraîné une progression significative de l’investissement en recherche privée rapporté au produit intérieur brut (PIB). Ce ratio est d’environ 1,26 %, comme au début du quinquennat. Il faut trouver les raisons, au niveau macroéconomique et au niveau microéconomique, de cette absence d’effet d’entraînement, et peut-être trouver des pistes pour agir. C’est une nécessité absolue, car il n’y a pas assez de recherche privée en France. Quand on dit que la France ne dépense pas assez en recherche, on ne parle pas de la recherche publique : la recherche publique française représente 0,78 % du PIB, et se situe à un niveau tout à fait comparable à la recherche allemande, qui représente 0,83 % du PIB allemand. Elle se situe à un niveau supérieur à la moyenne de la zone euro, qui est de 0,70 %, et à celle de l’Union européenne, qui est de 0,62 %. En revanche, la recherche privée représente 1,23 % du PIB en France, mais 1,88 % en Allemagne et 1,63 % aux États-Unis – où la recherche publique représente 0,84 % du PIB. Nous devons peut-être faire un effort pour la recherche publique, mais il faut surtout faire un très gros effort pour le privé. Pour quelles raisons ne parvenons-nous pas à stimuler les dépenses de recherche de nos acteurs privés ? J’ai quelques hypothèses, mais cela excède l’objet de notre audition.

Nous devons également faire mieux en ce qui concerne la bonification pour l’embauche de jeunes docteurs. Je recommande vivement aux entreprises d’en recruter : ce sont des accélérateurs d’innovation. Interrogez un docteur sur sa technologie et l’état de la recherche dans le monde entier, il peut par exemple vous dire, dans la minute, qu’il faut, pour faire tel ou tel type de matériau nouveau, aller en Argentine ou en Suède, où l’on y travaille. Je n’ai rien contre les ingénieurs, mais ce n’est pas leur métier. L’embauche d’un jeune docteur donne droit à une bonification qui rembourse 100 % de son coût pendant un an ; une petite dotation sur les frais généraux fait qu’il est même un peu plus que remboursé. Cela devrait normalement booster l’embauche des docteurs. Or nous avons constaté récemment, lors d’une réunion avec 300 directeurs des ressources humaines, que 54 % d’entre eux ignoraient l’existence de cette bonification. De même, 63 % ignoraient l’existence des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE), qui sont un très bel outil permettant des doctorats en alternance dans une entreprise. Il y a donc du travail à faire.

Dans le cadre du PIA 3, 5,9 milliards d’euros, soit 59 % du montant global, sont consacrés à la recherche ou à l’innovation ; c’est un effort très significatif. Notre idée est que l’excellence en matière de recherche et en matière de science ne se résume pas aux groupements territoriaux jusqu’à présent financés par les PIA : Initiatives d’excellence (IDEX) et Initiatives Science - Innovation - Territoires - Économie (I-SITE). Des universités de taille plus ou moins grande, parfois de taille modeste, ont atteint un remarquable niveau d’excellence dans tel ou tel domaine scientifique et doivent être soutenues, même si elles ne peuvent l’être par les outils existants. Les crédits du PIA 3 sont donc ventilés en visant une meilleure répartition territoriale, de nature à favoriser l’excellence.

Quelles peuvent être les conséquences du Brexit pour l’enseignement supérieur et la recherche ? Restons prudents. Aujourd’hui, les dotations perçues en la matière par le Royaume-Uni sont supérieures à ses contributions financières, il est donc bénéficiaire, et le Brexit lui posera, de ce point de vue, un vrai problème de financement. Nous avons étudié deux hypothèses.

Le Royaume-Uni pourrait devenir un État associé pour tous les programmes, qu’il s’agisse d’Horizon 2020, qui finance la recherche, d’Erasmus+ ou des futurs programmes-cadres de recherche et développement technologique (PCRDT) ; aujourd’hui, huit pays sont à peu près dans ce cas, dont la Norvège, l’Islande et, dans une certaine mesure, la Suisse. Les conséquences pour l’Union européenne et le Royaume-Uni seraient assez limitées, sauf, bien sûr, en ce qui concerne la capacité d’influence de ce pays dans la programmation, donc dans la définition des cibles scientifiques et technologiques sur lesquelles sont assis les financements européens. Ce serait quand même une vraie perte : n’étant représenté ni dans la Commission européenne, ni au Conseil, ni au Parlement européen, le Royaume-Uni ne pourrait pas voter les programmes annuels. Il conviendrait aussi de s’assurer que les bénéfices qu’il pourrait tirer du programme-cadre ne soient pas supérieurs à sa contribution financière. Étant donné le niveau actuel d’intégration du Royaume-Uni dans l’Europe de la recherche, on peut considérer qu’il y laisserait quelques plumes.

La deuxième hypothèse que nous avons envisagée est que le Royaume-Uni deviendrait un pays tiers au regard de ces programmes. Les conséquences seraient alors beaucoup plus importantes. Pour la recherche, le retour financier d’Horizon 2020 pour le Royaume-Uni est supérieur à 100 % – il était de 135 % en 2014, c’est assez significatif. Le financement de la recherche britannique subirait donc une perte nette. C’est d’ailleurs une grande crainte de la communauté de la recherche au Royaume-Uni. La dépense nationale britannique en recherche n’est que de 1,6 % du PIB, public et privés confondus ; c’est peu, et les financements européens manqueraient gravement. En ce qui concerne l’enseignement supérieur, en cas de non-association à Erasmus+, les échanges entre étudiants s’en trouveraient mécaniquement diminués. Or, actuellement, le Royaume-Uni est le quatrième pays en nombre d’étudiants européens en mobilité Erasmus. C’est donc un acteur très puissant. Et si je m’en tiens aux échanges entre la France et le Royaume-Uni, 20 % des Français qui font une mobilité la font au Royaume-Uni, tandis que 30 % des Britanniques font leur mobilité en France. Les conséquences seraient donc assez fortes.

Je n’évoque pas les conséquences en termes d’attractivité du Royaume-Uni en matière de recherche ou d’attraction des talents. Difficiles à estimer, elles seront probablement les plus fortes, et les plus susceptibles de menacer la science britannique. La compétition internationale se joue également sur le terrain de l’attraction des talents.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous passons aux questions des députés, en commençant par les représentants des groupes : Madame Karine Daniel pour le groupe Socialiste, écologiste et républicain et Madame Sophie Rohfritsch pour le groupe Les Républicains.

Mme Karine Daniel. Cette réunion est pour nous l’occasion de rappeler l’excellence de la recherche française, que nous devons à l’engagement des chercheurs, des enseignants-chercheurs et des personnels qui s’investissent dans les fonctions support. C’est aussi l’occasion de souligner la stratégie nationale mise en place à la suite des différentes réformes et la structuration de l’action de l’État en vue d’une focalisation de nos recherches sur des questions qui intéressent au plus haut point nos concitoyens, sur des préoccupations sociales, sur de grands défis, sans oublier la nécessité d’investir encore et toujours dans la recherche fondamentale. Cette stratégie nationale se décline aussi au niveau territorial, avec des regroupements, notamment dans le cadre des ComUE, et avec les investissements du PIA. On peut néanmoins s’interroger sur l’articulation et le risque d’une compétition entre, d’une part, cette stratégie et ces appels d’offres au niveau national et, d’autre part, les stratégies européennes. Quand des chercheurs s’investissent beaucoup sur des appels d’offres nationaux, un certain décrochage en termes de visibilité de la recherche française sur les projets européens peut être redouté.

En matière de valorisation, je me réjouis de ce souci d’évaluer et de mettre en perspective l’action des SATT. Demeure néanmoins, au-delà des SATT, une foison d’incubateurs, de technopoles, etc., qui sont souvent des leviers d’action pour les collectivités territoriales ou même les universités, qui continuent à développer leurs projets, parfois concurrents. Un problème de lisibilité me paraît donc toujours se poser en matière de valorisation.

En ce qui concerne les enjeux budgétaires, nous avons tous à l’esprit cet objectif de 3 % de PIB consacrés à la recherche, publique et privée. Il nous faut poursuivre les efforts sur les budgets de recherche publique – nous avons tous cet objectif à cœur, les réactions parlementaires au décret d’avance en témoignent. Par ailleurs, les montants consacrés au CIR augmentent, et il faut que la recherche privée continue de croître, mais, au-delà des enjeux budgétaires et financiers, il faudrait peut-être remettre les investissements privés en perspective en examinant leurs résultats et leurs effets en termes de compétitivité et de valeur ajoutée.

Mme Sophie Rohfritsch. L’intervention de Monsieur le secrétaire d’État me donne à penser que nous arrivons à un moment charnière. Des choix doivent finalement être faits entre les structures d’accompagnement de l’innovation et de la recherche, entre les thématiques de recherche, entre les dispositifs en place à l’heure actuelle. Le passage d’une philosophie de la subvention tous azimuts et du guichet à une philosophie d’appels à projets a considérablement fait évoluer le secteur, notamment en termes de valorisation, comme on le voit sur les territoires. Il faut cependant aussi admettre, aujourd’hui, que « qui trop embrasse mal étreint ». Nous avons voulu satisfaire toutes les initiatives, c’est très bien au départ, mais il faut ensuite un tri, des choix. Dans un certain nombre de secteurs, le service public de l’innovation a incontestablement produit des résultats, mais il en est d’autres où les efforts ne sont pas couronnés du succès espéré.

Il semble donc nécessaire, sur le terrain, de s’interroger sur le coût du service public porteur d’innovation, du service public d’accompagnement de l’innovation dans les territoires. Doit-il être définitivement gratuit ? Ne pourrions-nous pas admettre la possibilité d’un service payant ? Vous semblez dire, Monsieur le secrétaire d’État, que ce n’est pas envisageable pour les SATT, mais pourquoi celles-ci ne pourraient-elles proposer des prestations payantes ? Cela peut être inscrit dans leur modèle économique. La SATT de l’université de Strasbourg, que je connais bien, pensait pouvoir parvenir ainsi à l’autofinancement. Cela peut donc entrer dans le langage des structures de valorisation.

Par ailleurs, quels choix thématiques ? On ne peut pas privilégier tous les choix scientifiques. Ne serait-il pas temps aussi que l’État se recentre définitivement, sans changer son fusil d’épaule tous les quatre ou cinq ans, sur de grandes priorités de recherche fondamentale, quitte à laisser des appels à projets blancs ? Il n’y en a plus du tout et les équipes s’en plaignent. L’État pourrait laisser aux régions, aux fonds européens et éventuellement aux grandes agglomérations tout ce qui est du ressort, localement, de la recherche privée, de la valorisation plus industrielle, en aval de la recherche ?

Enfin, je me réjouis que les CIFRE soient remis à l’honneur. Pendant longtemps, ces dispositifs n’ont bénéficié d’aucun crédit. Effectivement, il n’y a pas assez de CIFRE.

M. Hervé Pellois. Monsieur le secrétaire d’État, non seulement les réfugiés rencontrent des difficultés administratives pour accéder à l’université, mais ils ont aussi, parfois, des problèmes de maîtrise de la langue française. Quelles initiatives envisagez-vous pour faciliter leur prise en charge, pour mieux les informer des possibilités qui leur sont offertes pour reprendre des études ? Pouvez-vous nous fournir une estimation de leur nombre pour évaluer le réel impact de leur intégration et améliorer les dispositifs en vigueur ? Et quelles initiatives envisagez-vous pour améliorer la coordination entre les aides pour les réfugiés et les aides pour les étudiants ? Enfin, pensez-vous revenir sur l’interdiction de travailler qui est faite aux réfugiés ? Il s’agirait de leur permettre de subvenir à leurs besoins et d’améliorer l’intégration des réfugiés, à l’université et dans notre société.

M. Jean-Claude Mathis. Le 28 avril dernier, vous avez annoncé, Monsieur le secrétaire d’État, cinquante premières mesures de simplification pour l’enseignement supérieur et la recherche, qui visent notamment à alléger les contraintes et faciliter la vie de ceux qui travaillent et étudient. La mesure n° 3 vise à permettre « un accès facilité au statut d’étudiant-entrepreneur ». Vous envisagez de « mettre en place une plateforme de services ouverte à tous les étudiants-entrepreneurs […], qui recenserait l’ensemble des données concernant les entrepreneurs » et de « simplifier la procédure de traitement et de gestion du statut pour répondre à l’augmentation très forte des candidatures ». Pourriez-vous nous en dire plus ? Où en sont les travaux sur cette mesure dont la mise en place est promise pour la prochaine rentrée ? Par ailleurs, quelles sont les attentes exprimées par ces étudiants-entrepreneurs ?

Vous avez également annoncé la mise en place d’un organisme indépendant chargé spécialement d’évaluer la mise en œuvre de l’ensemble des mesures ainsi que leur impact sur l’organisation du secteur. Pouvez-vous nous en dire plus également ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Selon les chiffres du ministère, qui ne sont pas récents mais qui sont les seuls disponibles, sur un total, en 2008, de 2 186 maîtres de conférences habilités à diriger des recherches et qualifiés, seuls 836 ont obtenu un poste de professeur des universités. Parmi les qualifiés non recrutés, certains ont pu effectuer une mobilité en dehors de l’enseignement supérieur, mais nombreux sont ceux qui ne trouvent aucun débouché. En outre, compte tenu de la pyramide des âges et malgré leur très haut niveau, ces enseignants n’ont guère d’espoir d’accéder au corps des professeurs des universités. Comment évolue la situation ? Quelles mesures envisager pour valoriser leurs compétences ?

M. Philippe Le Ray. Monsieur le secrétaire d’État, votre présentation montre que vous maîtrisez très bien votre sujet, mais elle était tout de même extrêmement condensée.

Au-delà de la question des moyens, la multiplicité des acteurs et des intervenants donne une impression de fouillis. Quel serait, dès lors, votre modèle, votre idéal d’organisation ? Pouvez-vous aussi nous donner vos priorités, le cap que vous souhaitez donner à la recherche de notre pays ?

Par ailleurs, vous indiquez que le montant du CIR est de 6 milliards d’euros, mais j’aimerais une présentation plus qualitative. À quoi ces 6 milliards d’euros ont-ils servi ? Quels types de recherche en ont bénéficié ?

M. Lionel Tardy. Le Conseil national du numérique vous a récemment rendu un avis sur l’université du numérique. J’aimerais avoir votre point de vue sur deux propositions. La première est la création d’une fonction de responsable de la transformation numérique au sein de chaque université. Une telle fonction n’a de sens que si elle a les moyens d’agir. Et n’est-elle pas un aveu du retard pris en la matière ? Ensuite, le Conseil national du numérique constate que les espaces, salles et bibliothèques sont peu adaptés au co-working. Les étudiants investissent donc cafétérias et couloirs pour leur expérience collaborative. Comptez-vous, Monsieur le secrétaire d’État, développer de tels espaces de co-working dans les universités ?

M. Patrick Hetzel. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous expliquer ce pas de tango qui fut le vôtre ? Dans un premier temps, vous avez accepté des annulations de crédits pour la recherche. Ensuite, une fois les prix Nobel français montés au créneau et après qu’ils ont rencontré le Président de la République, une partie des annulations a été supprimée. Vous nous dites assez régulièrement que la recherche est une priorité de ce gouvernement, mais, en l’occurrence, nous avions la parfaite illustration du non-respect des engagements que vous aviez pris. J’ai d’ailleurs sous les yeux une récente interview de M. Alain Fuchs, président du CNRS, liée aux échanges qu’il a pu avoir avec la commission des affaires culturelles du Sénat. Il dit clairement que la recherche française a besoin d’un coup de pouce. Vos récentes déclarations ne semblent pas apaiser les directeurs des organismes de recherche, qui considèrent que l’effort est insuffisant dans la durée, car les risques d’annulation perdurent.

Ma deuxième question s’inscrit dans le droit fil de la précédente. Le Premier ministre a annoncé que le Gouvernement tiendrait évidemment compte de l’avis formulé par le jury international sur les IDEX ; un certain nombre de dotations seraient donc retirées. Plus récemment, nouveau pas de tango, vous avez semblé revenir sur cela. Alors que vous aviez annoncé vous en tenir aux décisions du jury, vous semblez dire qu’une nouvelle négociation est possible avec les IDEX – le jury international considérait que les engagements pris par les IDEX en question eux-mêmes n’étaient pas tenus.

Pouvez-vous éclairer la commission sur ces deux points ?

Mme Delphine Batho. Dans le cadre de la mission d’information sur l’avenir du secteur automobile, je vous avais interrogé, Monsieur le secrétaire d’État, sur la question de la recherche et développement (R&D). Je vous remercie de vos réponses, même si je demanderai peut-être quelques compléments.

Je veux revenir sur les propos que vous avez tenus sur la recherche privée. Du point de vue de la politique industrielle, c’est la question clé. Nous le voyons lorsque nous faisons des comparaisons entre la France et les autres grandes nations automobiles. Pour les entreprises, la R&D d’aujourd’hui, ce sont les emplois de demain. Le CIR sera maintenu, mais peut-on aller un peu plus loin ? Que faire de plus pour inciter puissamment les entreprises à augmenter leur budget de R&D ? Dans le secteur automobile, les équipementiers qui ont fait le choix, dans la crise difficile de 2008-2009, non pas de réduire leurs budgets de R&D mais de les augmenter sont ceux dont les performances et la croissance sont aujourd’hui extrêmement satisfaisantes ! La question est donc vraiment déterminante. Les entreprises doivent pouvoir porter des projets de long terme, non à trois ou cinq ans, mais à dix ou quinze ans. C’est de ce point de vue que se pose un problème de financement.

Mme la présidente Frédérique Massat. Avant de donner la parole à Monsieur le secrétaire d’État, je précise que la question du CIR sera l’objet de travaux au mois d’octobre dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances. Monsieur le secrétaire d’État pourra alors être amené à compléter ses réponses.

M. le secrétaire d’État. Je vais essayer de répondre le plus précisément possible aux questions détaillées qui m’ont été posées.

Madame Karine Daniel, en ce qui concerne la question des appels d’offres nationaux et des appels d’offres européens, vous avez raison : dans un certain nombre de disciplines, principalement en sciences humaines et sociales, le nombre de dossiers de demande de financement européen déposés est insuffisant. Des efforts doivent être faits. Nous avons identifié les causes et tout un travail doit s’engager. Cependant, la stratégie nationale de la recherche a permis un heureux rapprochement entre la structuration de la recherche française, avec ces fameux dix défis, et la structuration de la recherche au niveau européen ; elles correspondent, il y a donc des grilles de lecture partagées. Le Président de la République a en outre annoncé une décision importante : les dossiers de projets prometteurs en matière de recherche déposés au Conseil européen de la recherche (ERC, pour European Research Council) qui auraient passé le stade de la validation en termes de qualité mais n’auraient pu être financés budgétairement par l’Europe pourront être financés par la France sans aucune instruction supplémentaire – nous reprenons le dossier ERC et nous donnons notre accord. La mesure s’appliquera dès cette année 2016.

Votre question sur la coexistence d’un certain nombre d’outils est également très pertinente. Personnellement, je pense qu’un certain nombre de SATT peuvent aujourd’hui intégrer les incubateurs. Très concrètement, dans le cadre du plan annoncé la semaine dernière, nous avons identifié deux endroits, Bordeaux et Montpellier, où cela peut être fait très vite et nous avons mandaté les préfets pour qu’ils s’en occupent avec les différents acteurs territoriaux intéressés. Plus généralement, il s’agit de donner le pouvoir aux acteurs locaux dans les conseils d’administration – en gros, l’État se retire – et de permettre aux régions d’entrer demain au capital des SATT. Cela permettra normalement une clarification du paysage des outils autour des différentes SATT, puisque celles-ci auront des actionnaires territoriaux qui pourront faire cette architecture.

Madame Sophie Rohfritsch, la SATT Grand Est de Strasbourg, l’une des meilleures, fonctionne très bien ; pourtant, elle perd encore de l’argent. Il n’y a tout simplement pas de modèle économique, nulle part dans le monde, pour les sociétés de valorisation. Seules les structures de deux universités américaines sur les cinquante dont nous avons étudié les modèles gagnent de l’argent. Cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas faire payer des prestations, mais ne nous faisons pas d’illusions sur les recettes susceptibles d’être ainsi engrangées.

Je partage votre préoccupation en ce qui concerne la stratégie nationale de la recherche (SNR) et la disparition des appels à projets blancs. Nous allons confier, dans quelques jours, une mission à l’inspection générale de l’éducation nationale et de la recherche, sur les nouvelles règles de programmation de l’Agence nationale de la recherche (ANR), issues de la SNR, notamment sur la prise en compte des questions de recherche fondamentale dans la nouvelle stratégie de l’ANR. Des modifications seront possibles à l’issue de cette mission, qui va être annoncée dans les prochains jours.

Les CIFRE ne sont effectivement pas assez connus. Il reste de l’argent, et trop peu de dossiers sont déposés. Il est donc toujours bon de connaître l’existence de ce dispositif. Actuellement, 4 000 CIFRE sont en cours.

Si la question des réfugiés, évoquée par Monsieur Hervé Pellois, n’entre pas forcément dans le champ de notre discussion de cet après-midi, elle n’en mérite pas moins d’être traitée, et nous la suivons avec la plus grande attention. Nous avons organisé au ministère une journée de travail pour recenser l’ensemble des initiatives, étudiantes ou universitaires, prises sur le terrain en faveur des réfugiés, faire le point des différentes actions menées et déterminer quelles mesures d’accompagnement étaient possibles. Nous avions convié les services de l’État, notamment du ministère de l’intérieur, les services sociaux, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Ce fut vraiment une journée assez fructueuse, de nature à fluidifier un système qui mérite de l’être, en soutenant les acteurs mobilisés. Par ailleurs, vient d’être signé un partenariat entre la France et les Allemands de l’université en ligne Kiron, destinée aux réfugiés. Seront principalement proposés des MOOC (massive open online course – cours ouverts en ligne) car les réfugiés ne restent pas toujours au même endroit, ce qui nécessite des formes de pédagogie adaptées. Ils bénéficieront de cours spécifiques et pourront rejoindre dans un délai de deux ans un cursus universitaire normal, avec certification des crédits des enseignements qui leur seront donnés. Cela leur permettra, s’ils le souhaitent, un parcours universitaire classique après ces deux années de préparation. Ce sera l’objet d’une communication dans quelques jours, au ministère ; je vous tiendrai bien volontiers informés, Mesdames et Messieurs les députés, des détails.

Monsieur Jean-Claude Mathis m’a interrogé sur les mesures de simplification, notamment la mesure n° 3 sur le statut des étudiants-entrepreneurs. Aujourd’hui, l’instruction des candidatures est très longue, elle prend plus de six mois ; le statut est très intéressant, mais la création d’une entreprise ne peut pas attendre six mois. Nous revoyons donc complètement le système pour que l’étudiant puisse obtenir une réponse dans un délai de trente jours. Par ailleurs, je souhaite en effet placer l’application des mesures des plans de simplification sous le contrôle d’un organisme d’évaluation indépendant. Un certain nombre de laboratoires de recherche universitaire ont été consultés pour déterminer dans quelles conditions cette évaluation des politiques publiques pourrait être faite en direct. Rendez-vous est pris pour le mois d’octobre prochain – c’est la date prévue pour le deuxième plan de mesures de simplification.

Monsieur Jean-Pierre Le Roch m’a interrogé sur le faible nombre de postes de professeurs des universités. Depuis le début du quinquennat, nous avons veillé à ce que 1 000 postes supplémentaires – certes, pas seulement des postes de professeurs – puissent être créés chaque année dans l’enseignement supérieur. Cela étant, ces décisions sont désormais de la responsabilité des établissements. Autonomes, ils décident, dans le cadre d’un plafond national, de créer des postes de professeurs, de techniciens et de personnels administratifs, ou de ne pas le faire. Il est vrai que cela rend le système plus compliqué, mais, si des moyens nouveaux sont débloqués au cours des prochaines années pour les universités – j’y travaille –, cela devrait permettre d’augmenter le nombre des professeurs et donc d’améliorer le taux d’encadrement des étudiants.

Monsieur Philippe Le Ray m’interroge sur mon idéal d’organisation. Il est difficile de répondre à une telle question en quelques mots ! En ce qui concerne mes priorités, je renvoie à la SNR, document cadre de notre action, même si je pense qu’une réflexion plus poussée sur la recherche fondamentale permettrait de l’améliorer. Par ailleurs, la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche prévoit que la stratégie nationale de l’enseignement supérieur (StraNES) et la SNR fassent l’objet d’un bilan, sous la forme d’un livre blanc. Confiée à M. Bertrand Monthubert, la rédaction de ce livre blanc est en cours, et nous pourrons en discuter à l’automne, en même temps que du budget. En ce qui concerne mon idéal d’organisation, vous me donnez l’occasion de vous dire une chose importante : je crois à la structuration de la recherche française par organismes. Les organismes français, présents dans les meilleurs classements, sont une richesse, un patrimoine, une force extraordinaires. Nous n’en devons pas moins renforcer l’articulation entre le paysage universitaire et le mode de la recherche. Cette articulation existe déjà, notamment avec les unités mixtes, mais nous devons aller plus loin pour que notre université, confrontée à la nécessité d’élever le niveau de qualification des jeunes, puisse s’appuyer sur l’armature de la recherche. Peut-être aurons-nous des choses importantes à vous dire à ce propos prochainement.

Monsieur Lionel Tardy m’a interrogé sur le plan numérique et sur l’adaptation des locaux au co-working. La mutation numérique de notre système d’enseignement supérieur est pour nous une priorité absolue. Cela se matérialise par des faits très concrets. Premièrement, mon cabinet compte une personne détachée par le Conseil national du numérique pour traiter ces questions. Deuxièmement, nous avons créé un poste équivalent à celui de chief technology officer : quelqu’un sera responsable de ces technologies, directement rattaché à la directrice générale des finances publiques, pour que l’administration mette au premier rang de ses priorités cette mutation. Troisièmement, dans le cadre du PIA 3, 250 millions d’euros sont destinés au financement d’actions d’accompagnement de la mutation numérique et, accessoirement, pédagogique des établissements. Quatrièmement, nous avons formalisé un petit kit de transformation numérique, qui permet à chaque université d’adapter sa stratégie en la matière en fonction du degré de maturation des esprits, des équipes, des responsables. Différents parcours, plus ou moins longs, plus ou moins complets, sont proposés. Cette boîte à outils à leur disposition vise à inciter les universités à avancer sur cette voie. En outre, cette ligne du PIA 3 et une autre, qui concerne l’immobilier, d’un montant d’environ 250 millions d’euros, offrent la possibilité d’opérations immobilières spécifiques.

Monsieur Patrick Hetzel, en ce qui concerne le décret d’avance, je ne reviens pas sur les informations que j’ai données au début de cette réunion. En revanche, je veux le dire : il n’y a plus de risque d’annulations. Le décret est sorti, les engagements pris par le Président de la République sont tenus à la lettre – j’y ai veillé personnellement. Qu’il y ait cependant des besoins budgétaires, c’est une évidence. J’espère que le budget 2017 nous permettra d’y répondre, en ce qui concerne tant l’enseignement supérieur que la recherche.

Pour le PIA 3, les crédits sont de 5,9 milliards d’euros, dont 700 millions d’euros pour de grandes universités de recherche – c’est la suite des programmes IDEX et I-SITE actuels – et 300 millions d’euros pour ce que nous avons appelé des écoles universitaires de recherche. C’est une nouveauté. L’excellence ne se résume pas à quelques IDEX et à quelques I-SITE. Sur tout le territoire national, des universités répondant à un niveau d’exigence scientifique particulièrement élevé, dans telle ou telle discipline, sur telle ou telle technologie, doivent pouvoir être soutenues en dehors de la procédure beaucoup plus lourde des IDEX et des I-SITE.

En ce qui concerne les deux dossiers de Toulouse et de Sorbonne Paris Cité, « sortis » par le jury, deux décisions ont été prises. Premièrement, un plan de réduction progressive des dotations de l’IDEX a été arrêté ; il s’agit quand même de mutations assez lourdes, il faut donc garantir le maintien d’un minimum de dotations. Deuxièmement, si, grâce à un plan très précis, avec des objectifs, notamment, en termes d’organisation et de gouvernance, les ensembles concernés veulent postuler à nouveau comme IDEX, ils le pourront. Les formes que prendront ce plan d’accompagnement et cette progression organisationnelle feront l’objet d’une démarche contractuelle entre le Commissariat général à l’investissement (CGI) et nous, et ils pourront se représenter au jury IDEX dans un délai de dix-huit mois s’ils le souhaitent.

Madame Delphine Batho me pose une question majeure. Comment mobiliser les entreprises privées ? C’est un sujet politique et culturel, un débat passionnant. Il faut des outils. En premier lieu, il faut convaincre les entreprises françaises que la compétitivité par les coûts est une illusion. Bien sûr, si l’on peut diminuer le coût du travail, parfois, les coûts de production, cela renforce la compétitivité, mais l’idée selon laquelle la baisse systématique des coûts serait la clé d’une performance durable de l’économie française est une illusion : nous trouverons toujours plus forts que nous en la matière. Et parmi ceux qui produisent moins cher, il en est qui investissent par ailleurs massivement dans la recherche et risquent de prendre un peu d’avance technologique. Misons donc tout sur la qualité. C’est pour moi un projet pour le pays, car cela peut être décliné dans de nombreux domaines. Et c’est d’abord en investissant dans la recherche que nous aurons ce coup d’avance. Il n’y a pas de solution miracle, mais je suis convaincu qu’il faut faire entrer des docteurs dans l’entreprise. Ils ont la culture de la recherche, ce sont des accélérateurs de compétitivité, parce qu’ils connaissent l’état de l’art, et parce qu’en diffusant cette culture de la recherche, en accélérant l’innovation dont les entreprises françaises sont capables, ils bonifient la recherche privée. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place un réseau de parrains-ambassadeurs et nous faisons systématiquement des réunions entre entreprises et universités pour qu’ils se connaissent, c’est aussi la raison pour laquelle nous développons des actions spécifiques visant les directeurs des ressources humaines de l’ensemble des entreprises françaises, de toutes tailles. Au début du mois d’octobre prochain, après un an de ce plan « jeunes docteurs » qui vise à diffuser des chercheurs dans les entreprises, à côté des ingénieurs, et en fournissant les mêmes efforts dans l’administration qui, à mon avis, doit aussi offrir des débouchés aux docteurs, nous pourrons montrer très concrètement les résultats de cette action à laquelle je crois plus que tout. J’ai tous les jours des exemples d’entreprises qui viennent d’embaucher des docteurs et ont compris ce qu’ils apportent, à côté des ingénieurs. Ce n’est pas là faire la charité à l’université ; compter dans leurs rangs des gens qui ont cette culture du coup d’avance, de l’innovation, cette capacité à former des réseaux bonifie nos entreprises privées. La clé est donc culturelle : il n’y pas de salut uniquement par les coûts. Elle est aussi organisationnelle : il faut beaucoup plus de personnes issues du monde de la recherche parmi les cadres supérieurs des entreprises.

Mme la présidente Frédérique Massat. Merci, Monsieur le secrétaire d’État, pour ces réponses.

Nous aurons l’occasion de nous revoir dans quelques mois, pour examiner les crédits de la recherche.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 28 juin 2016 à 17 h 45

Présents. – Mme Delphine Batho, Mme Karine Daniel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Laurent Furst, M. Daniel Goldberg, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Yannick Moreau, M. Philippe Naillet, M. Hervé Pellois, M. Lionel Tardy

Excusés. – M. Jean-Michel Couve, Mme Corinne Erhel, M. Thierry Lazaro, Mme Marie-Lou Marcel, M. Philippe Armand Martin, M. Kléber Mesquida, Mme Béatrice Santais, Mme Catherine Troallic

Assistaient également à la réunion. – M. Patrick Hetzel, Mme Sophie Rohfritsch