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Commission des affaires économiques

Mercredi 14 septembre 2016

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 100

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente et de Mme Elisabeth Guigou, Présidente, puis de Mme Chantal Guittet

– Audition, conjointe avec la commission des affaires étrangères, de M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, sur les négociations commerciales transatlantiques

La commission a procédé à l’audition, conjointe avec la commission des affaires étrangères, de M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, sur les négociations commerciales transatlantiques.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous avons le plaisir de recevoir Matthias Fekl, que nous avons reçu à intervalles réguliers pour évoquer les négociations commerciales internationales, et en particulier le partenariat transatlantique qui est au cœur de toutes nos préoccupations.

Avant d’aborder ce dernier, je mentionnerai le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), ou Accord économique et commercial global (AECG), conclu avec le Canada en 2014, qui est apparemment équilibré et que le Gouvernement accepte. Vous avez d’ailleurs mené, monsieur le secrétaire d’État, une action avec votre homologue allemand Sigmar Gabriel pour en améliorer le dispositif, la « société civile » elle-même ayant fait des propositions dont il a été tenu compte. Ainsi, en février dernier, les clauses concernant les litiges entre les entreprises et les États ont été modifiées, si bien qu’ils ne seront plus réglés par des arbitrages privés mais par une juridiction internationale permanente composée de juges élus désignés par les États. C’est ce que vous aviez demandé pour l’accord avec les États-Unis, et nous vous avions soutenu sur ce point. Vous nous indiquerez si nos autres exigences, qui sont autant de lignes rouges à ne pas dépasser dans le cadre du mandat donné à la Commission européenne qui négocie en notre nom, ont bien été prises en compte.

Autre élément positif : la Commission européenne a accepté, en juillet dernier, de considérer cet accord comme un accord mixte, c’est-à-dire soumis non seulement au vote de chacun des parlements nationaux, mais aussi, et c’est important, à l’approbation formelle du conseil de l’Union européenne.

Vos homologues européens et vous-même allez vous réunir à Bratislava les 22 et 23 septembre prochains, à l’occasion d’un conseil européen informel – aucune décision ne sera prise. Comment envisagez-vous cette réunion et, surtout, quel est le calendrier prévu pour le CETA ? Plus particulièrement, à quelle échéance l’Assemblée pourrait-elle avoir à autoriser ou non sa ratification ?

S’agissant du partenariat transatlantique, la situation est très différente. Depuis trois ans, des sessions de négociation sont organisées tous les trimestres dans la plus grande opacité, ce qui nous scandalise et scandalise la « société civile ». Vous-même avez d’ailleurs réclamé davantage de transparence au bénéfice des gouvernements. À notre connaissance, aucune avancée concrète n’a été constatée. En outre, la partie américaine n’aurait fait que des offres très décevantes, ne proposant aucune ouverture des marchés publics ni aucune ouverture concernant certains secteurs de services et la protection des indications géographiques (IG) de nos produits agroalimentaires. Même, dit-on, concernant le démantèlement des droits de douane – domaine pourtant le moins difficile à négocier –, l’offre américaine est très inférieure à ce que proposent les Européens.

C’est pourquoi j’approuve les positions que vous défendez et me reconnais dans les doutes que vous avez émis quant à l’aboutissement de ces négociations, dont vous avez même demandé l’arrêt il y a quelques jours. Nous savons cependant que plusieurs options restent possibles : l’arrêt officiel des négociations, leur mise en sommeil ou la simple suspension pendant la période électorale américaine. Nous devons également tenir compte de nos partenaires européens. Laquelle des trois options le Gouvernement va-t-il défendre ? Laquelle est-elle susceptible, selon vous, d’être retenue, notamment compte tenu de la position du président de la Commission européenne, qui avait indiqué, pour sa part, vouloir poursuivre les négociations, et compte tenu de la réponse du Président de la République sur la clarté de la position française ?

Mme la présidente Frédérique Massat. Je remercie la présidente Élisabeth Guigou d’avoir pris l’initiative de la présente réunion, de même que je remercie le secrétaire d’État de se mettre régulièrement à notre disposition afin de faire le point sur ces dossiers importants qui mobilisent les députés – sa dernière audition par la commission des affaires économiques sur ce sujet date du mois de juillet dernier.

Nous avons, parallèlement, avec des acteurs économiques représentant le secteur agricole, les organisations agroalimentaires et l’Union française des industries chimiques, mené un travail sur l’accord transatlantique. Au cours de leurs auditions, ils ont exprimé une grande inquiétude face au risque d’une concurrence américaine accrue. Les représentants des industries chimiques, notamment, ont émis des réserves sur les dérives possibles d’un organe de règlement des différends entre les États et les investisseurs. Ils craignent, de plus, une harmonisation par le bas des règles environnementales et de la santé, la réglementation américaine étant moins stricte que la réglementation européenne REACH (Registration, Evaluation, Authorization and restriction of CHemicals – Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques).

La principale inquiétude des organisations agroalimentaires, quant à elles, concerne la reconnaissance des indications géographiques protégées (IGP). Cette réglementation et la suppression des produits semi-génériques sont, à leurs yeux, indispensables. Sur ce dernier point, vous nous avez indiqué, le 6 juillet dernier, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement considérait que, en la matière, le CETA représentait un bon accord, notamment pour notre économie, car portant à un niveau très élevé la reconnaissance de nos indications géographiques et de ces appellations. Des inquiétudes n’en subsistent pas moins et vous êtes ici également pour nous rassurer sur vos annonces du 30 août.

Je souhaite, en outre, savoir quelles seront, selon vous, les conséquences du Brexit sur toutes les négociations en cours.

Pour conclure, nous sommes, bien sûr, favorables à la préservation de notre modèle agricole, de nos services publics, de notre exception culturelle… C’est pourquoi, dans le contexte des traités en cours de négociation, nous avons besoin de votre éclairage.

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Je vous remercie, les unes et les autres, pour votre invitation hors session parlementaire, et donc pour le temps que vous consacrez à ce sujet. Nous avons, en effet, régulièrement l’occasion d’échanger sur notre politique commerciale et vous connaissez mon attachement à la parfaite information du Parlement, non seulement par le biais des réponses que j’apporte à vos questions mais aussi à travers votre association la plus large possible à la conduite, en temps réel, des négociations commerciales internationales.

En matière de transparence, nous avons obtenu des progrès, même si beaucoup reste à faire : il ne peut plus y avoir de négociations menées dans l’opacité alors qu’elles concernent de nombreux domaines touchant à la vie quotidienne des gens. Une puissance publique moderne, à l’heure des réseaux sociaux, n’a rien à cacher. Rien n’est pire que de dispenser l’information au compte-gouttes et par fuites, pratique qui ne fait que susciter de la méfiance voire de la défiance ou même de la peur. Je demeure donc à votre entière disposition.

Les 22 et 23 septembre prochains, les ministres du commerce extérieur de l’Union européenne tiendront à Bratislava une réunion informelle, à l’issue de laquelle aucune décision ne sera prise, mais dont les trois sujets à l’ordre du jour conféreront aux échanges un caractère important : les instruments de défense commerciale, le partenariat transatlantique et le CETA. Si vous m’avez demandé de m’exprimer surtout sur les deux derniers points, je répondrai évidemment à vos éventuelles questions sur les instruments de défense commerciale, à savoir tout ce qui permet concrètement à l’Union européenne de parer au dumping, de se protéger à chaque fois que cela est nécessaire, de pratiquer une politique commerciale offensive et de défendre ses intérêts bien compris, en France comme dans d’autres pays de l’Union. Les États-Unis, par exemple, le font admirablement : ils disposent d’une panoplie d’outils des plus robustes, offensifs, et de la capacité de les employer rapidement.

Sur les deux autres sujets, j’ai eu l’occasion, à de nombreuses reprises, de m’exprimer devant vous ; vous ne serez donc pas surpris par les décisions annoncées par l’exécutif à la fin du mois d’août. Je m’étais prononcé, dès le mois de septembre 2015, et j’ai été le premier membre d’un gouvernement européen à affirmer que si les négociations n’avançaient pas, mon pays se réservait le droit de demander leur arrêt. Le Président de la République a alors confirmé les exigences de la France sur toute une série de critères : l’accès aux marchés publics, la réciprocité, le respect de l’environnement dans les négociations commerciales internationales, l’exigence de transparence, la clarté sur les règles et leur application. Il a été le premier chef d’État à formuler ces exigences de manière claire. Depuis deux ans, je bâtis la stratégie de la France sur cette base, sous l’autorité du ministre des affaires étrangères, du Premier ministre et du Président de la République.

L’ambition initiale du partenariat transatlantique, formulée par le président Obama et par les chefs d’État et de gouvernement européens, était claire et demeure, sur le fond, juste. Elle repose sur l’idée d’élaborer ensemble, entre Américains et Européens, des règles exigeantes pour l’économie mondialisée, portant sur un certain nombre de normes de sécurité. Personne ne peut sincèrement s’opposer à un tel objectif et je souhaite qu’on ait bien présent à l’esprit que la France reste attachée à l’idée que nous devons ensemble écrire des règles pour l’économie mondiale. C’est indispensable.

Si l’inspiration est bonne, le problème porte sur la manière dont les négociations se sont déroulées, que j’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de dénoncer. Ces négociations ont été engagées dans une opacité totale, suscitant défiance et peur et, sur le fond, elles se sont très mal passées. Non pas à cause de la Commission européenne, qui n’a rien cédé de ses exigences, mais parce que, du côté américain, il n’y a eu d’ouverture sérieuse sur aucun des sujets que nous avons souhaité mettre à l’ordre du jour. Pour ce qui est de la transparence, nos partenaires n’ont cessé d’essayer de restreindre vos possibilités de consulter les documents alors même que les parlementaires américains y avaient, pour leur part, un large accès. Je me suis battu sans relâche pour que vous ayez accès à l’ensemble des éléments de la négociation au même titre que vos homologues. Nous y sommes parvenus mais les conditions posées restent très rigoureuses.

Sur le fond, l’accès aux marchés publics américains demeure fermé et les négociations en la matière sont d’ordre anecdotique : des broutilles ont été concédées, soit rien de sérieux. Or, pour nos entreprises, grands groupes comme petites et moyennes entreprises (PME), l’accès aux marchés publics est très important. Les marchés publics américains sont ouverts à moins de 50 % alors que les marchés publics européens le sont à plus de 90 %. Le bon sens montre bien où se situe le problème : du côté américain. Nous savons parfaitement que les États-Unis n’ont pas la volonté sérieuse d’aboutir non seulement au niveau fédéral, mais encore au niveau des États fédérés – qui ne se sentiraient pas engagés par une ouverture des marchés publics et qui pourraient aller jusqu’à contester devant la Cour suprême des concessions qui seraient faites à cet égard. Aussi, si le Canada a accepté d’ouvrir largement ses marchés publics aux Européens et a invité les représentants des entités locales autour de la table des négociations, les États-Unis s’y sont toujours refusés et ont toujours indiqué qu’il n’y aurait pas de mouvement important de leur part en la matière.

Il en va de même concernant l’agriculture, une autre de nos lignes rouges. Nous souhaitons, dans le cadre de ces négociations, mettre en œuvre ce que j’appelle une « diplomatie des terroirs », visant à défendre, au sein des organisations internationales, les terroirs et l’agriculture française. Or les indications géographiques françaises et européennes ne sont pas discutées, à ce stade, dans le cadre des négociations dont il est ici question, si ce n’est de manière totalement informelle et embryonnaire alors que nous souhaitons pouvoir avancer. Le Canada, à travers le CETA, a reconnu quarante-deux indications géographiques alors que les États-Unis n’en reconnaissent aucune. Ainsi, 96 millions de bouteilles sont produites en Californie sous l’appellation purement et simplement usurpée de « champagne » ; le « Chablis » produit aux États-Unis ne correspond en rien à ce qu’on peut décemment attendre d’un Chablis ; le Burgundy, le vin de Bourgogne produit là-bas ne respecte aucune des clauses des cahiers des charges qui s’appliquent à nos producteurs. Au mois de mai dernier, je me suis rendu aux États-Unis pour rencontrer au Congrès, comme au sein de l’exécutif, les personnalités travaillant sur le sujet, mais aussi pour rencontrer des représentants du monde viticole et agricole américain. Certains souhaitent la reconnaissance des indications géographiques, par exemple les producteurs de pommes de terre de l’Idaho. Ce combat est très sérieux, car si nous ne voulons pas, demain, avoir un système de protection de l’agriculture et des productions par les marques, si nous voulons garder une spécificité française liée aux appellations et aux indications géographiques, nous devons nous battre pied à pied.

Nous n’avons pas non plus obtenu d’avancée sur les questions de coopération, notamment concernant les services financiers qui sont très importants pour la France – pays excédentaire net en la matière.

Fort de ces constats, après le temps de l’analyse vient le moment des décisions. Nous avons donné beaucoup de temps aux négociateurs pour avancer et, encore une fois, il y a un an, j’ai déclaré que si, courant 2016, les négociations ne progressaient pas, nous prendrions une décision sur notre volonté de les poursuivre ou non. Ce moment est venu. Il demeure en Europe une pression forte de nombreux États pour parvenir à un accord. Cette pression existe également aux États-Unis où nombreux sont ceux qui souhaitent qu’un accord soit signé avant la fin de la présidence Obama. Or nous savons tous qu’un accord rapide serait mauvais pour la France, pour les valeurs et pour les intérêts que nous défendons.

Voilà pourquoi l’exécutif a annoncé, à la fin du mois d’août, qu’il demanderait la fin des négociations. La situation juridique n’en reste pas moins compliquée. Vous le savez, le droit européen prévoit qu’un mandat de négociation est donné à la Commission européenne – un mandat potentiellement valable éternellement : aussi la Commission est-elle parfaitement en droit de négocier autant qu’elle le souhaite. Le droit précise en outre qu’une fois les négociations avancées, la Commission revient vers les États pour leur demander leur avis sur ce qui a été obtenu ou pour constater l’échec des négociations – mais rien ne permet à aucun pays membre de l’Union européenne d’exiger leur arrêt. Reste que notre position est claire : je demanderai à Bratislava, les 22 et 23 septembre prochains, la fin des négociations, ce qui signifie que, pour nous, le mandat de négociation n’aura plus le soutien politique de la France.

Dès lors, plusieurs options sont envisageables : l’option paresseuse, qui consiste à miser sur l’enlisement des négociations, le mieux étant d’attendre sans rien faire ; l’option ambiguë, qui vise à ménager un certain nombre de portes de sortie, à interrompre le processus pendant les périodes électorales américaine, française et allemande, quitte à le reprendre par la suite ; l’option claire, qui consiste pour la France à demander l’arrêt des négociations, malgré les limites juridiques que j’ai indiquées. Nous ne sommes pas majoritaires, au sein de l’Union européenne, sur cette position – manière très polie de dire les choses – mais nous devons nous montrer sans ambiguïté.

Je dirai, pour finir, quelques mots de l’accord avec le Canada, qui sera également discuté au conseil informel de Bratislava. Sur le fond, nous considérons que cet accord, bien que perfectible comme l’est tout accord, est équilibré, bon pour l’Union européenne et pour la France ; ainsi nos partenaires en jugent-ils pour le Canada. Les marchés publics canadiens s’ouvrent largement, au niveau national comme infranational. C’est très important pour les 550 entreprises françaises déjà installées au Canada, sans compter celles, beaucoup plus nombreuses encore, qui exportent vers ce grand pays ami. La négociation relative aux indications géographiques, à l’agriculture et à la diplomatie des terroirs, a remporté un succès important : quarante-deux indications géographiques françaises sont reconnues – notamment concernant les fromages et la charcuterie –, soit près d’un quart des 173 indications géographiques reconnues par le Canada relatives à l’Europe. Il s’agit d’une avancée très positive dans la lutte contre les usurpations, les contrefaçons et la concurrence déloyale.

De la même manière, le Canada a accepté, alors même que les négociations étaient terminées, de rouvrir les discussions relatives à l’arbitrage et sur la proposition que j’ai élaborée au nom de la France, largement reprise par l’Union européenne, sur la Cour de Justice commerciale internationale. Les arbitres privés seront ainsi remplacés par des juges publics rémunérés par les États ; les conflits d’intérêts seront interdits ; les attaques contre les choix des politiques publiques seront également prohibées – c’est écrit noir sur blanc. Sur ce dernier point, autant une entreprise est en droit de se défendre contre des abus, des expropriations abusives, autant les choix ratifiés par les parlementaires sur la santé, l’énergie ou l’alimentation ne doivent pas pouvoir être attaqués par des voies d’exception. Nous saluons, par conséquent, la prise en compte de cette proposition par le gouvernement canadien, ce qui était impensable avant que M. Trudeau n’arrive au pouvoir. Le Canada a ainsi été le premier État à l’accepter.

Je réunirai ce soir ceux de mes homologues européens qui sont sociaux-démocrates, pour discuter de politique commerciale internationale. La France a des positions tranchées mais elle est aussi force de proposition pour rénover la politique commerciale européenne, la rendre robuste, à la fois offensive et défensive. Il s’agit de prendre en compte l’environnement dans lequel nous travaillons, marqué en particulier par l’application extraterritoriale du droit américain en matière commerciale – je sais, d’ailleurs, qu’une mission d’information parlementaire a été constituée sur le sujet, présidée par M. Lellouche et dont Mme Berger est la rapporteure. Nous devons appréhender le monde tel qu’il est, sans naïveté et en faisant valoir de nombreuses propositions concrètes importantes pour la défense des intérêts économiques de la France avec, en arrière-plan, une certaine conception de l’Union européenne.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. J’ai compris que le CETA, selon vous, est un bon accord et que, au point où nous en sommes, il ne saurait être question d’aller plus avant dans les négociations du partenariat transatlantique qui est, celui-ci, un mauvais accord – le négociateur américain ne voulant tout simplement pas négocier. Par cette attitude contrastée, nous montrons ainsi que nous ne sommes pas opposés aux accords commerciaux internationaux, au contraire, mais que nous n’y sommes pas favorables à n’importe quel prix, en tout cas pas au prix de l’abaissement de l’Union européenne. Il y a de bons accords et il y a de mauvais accords.

La France a raison de se montrer ferme. D’ailleurs, mon expérience, bien ancienne, m’a appris que quand la France s’exprime avec clarté et fermeté, que ce soit pour bloquer des processus qui ne lui paraissent pas satisfaisants ou que ce soit pour relancer des initiatives européennes, en général, elle est entendue. J’approuve donc tout à fait votre position.

Mme Chantal Guittet. En soulignant, monsieur le secrétaire d’État, que nous n’avions pas la possibilité de mettre fin légalement aux négociations, vous avez répondu à la première question que je souhaitais vous poser – je pensais néanmoins que pouvait s’appliquer, en l’occurrence, la règle de l’unanimité.

Pour quelle raison, en juin 2016, avez-vous accepté la poursuite des négociations ? Des éléments nouveaux vous ont-ils conduit à décider de les arrêter ? Vous avez évoqué l’éventualité de reprendre les négociations sur de bonnes bases ; mais qu’appelez-vous de bonnes bases ? Faut-il, selon vous, revoir le mandat de négociation ?

Je m’interroge beaucoup sur le CETA et plus particulièrement ses possibles retombées économiques. Je suis l’élue d’une circonscription qui compte de nombreux éleveurs de porcs, dont vous connaissez les difficultés ; or le CETA prévoit l’autorisation d’importer 70 000 tonnes de porc de plus. Quels mécanismes stabilisateurs avez-vous prévus ?

Avez-vous évalué la conjonction de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) avec le CETA ? Ne revient-elle pas, de fait, à faire un TAFTA (Transatlantic Free Trade Area, partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) ?

Enfin, comment concilier le traité de Paris sur le climat avec le fait que le CETA permet d’accroître l’extraction d’énergies fossiles au Canada ? Une fois de plus, et comme toujours, un accord commercial international ne tient pas compte des accords sur le climat ou sur le développement durable.

M. Jean-Paul Chanteguet. J’ai lu que le caractère mixte du CETA serait décidé par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Cette information est-elle fondée ? On indique que, du fait de cette mixité, les parlements nationaux pourront se prononcer sur ce qui relève des compétences nationales. Sommes-nous capables, aujourd’hui, d’indiquer ce qui relève des compétences européennes et ce qui relève des compétences nationales ?

Si, demain, un parlement national votait négativement, quelles en seraient les conséquences sur l’application de cet accord international ? Seules les compétences nationales seront-elles concernées ?

M. Jacques Myard. Je rappelle que le commerce international n’a pas forcément besoin de tels accords : il croît, en dehors des périodes de crise, de 7 % par an. Il n’y a donc pas péril en la demeure et tout réglementer n’est pas une obligation.

Pour ce qui est, ensuite, de la transparence, je suis tout de même étonné de votre réaction. Vous dites que vous avez œuvré pour rendre accessibles les documents relatifs à la négociation. Soit, mais, à un moment donné, on prend ses responsabilités et on les rend vraiment accessibles ! Ce n’est pas nous qui sommes soumis à la Commission européenne mais la Commission qui nous est soumise. Or l’accord qu’elle a pris avec les Américains est parfaitement scandaleux. C’est la Commission qui donne des injonctions aux États alors que c’est l’inverse qui doit être.

En ce qui concerne la possibilité ou non de poursuivre les négociations, je rappelle que le compromis de Luxembourg est toujours en vigueur et prévoit ce qui s’appelle un veto. Aussi, si vous avez raison d’exprimer fortement la position de la France, il faut, à un moment donné, frapper du poing sur la table.

Admettons qu’on aboutisse à un accord, tout dépendra du degré de son approbation par le congrès américain, car, faute d’un vote à majorité qualifiée, les États fédérés resteront libres. C’est donc le point qu’il faut éclaircir : l’accord sera-t-il approuvé par les deux tiers du congrès des États-Unis ou non ? Sinon, nous revivrons ce qui s’est passé avec la Société des nations (SDN).

J’en viens au CETA et au tribunal arbitral que vous avez institué. Les décisions de ce dernier seront-elles directement applicables en droit français ou relèveront-elles de la procédure de l’exequatur ? Car je vous assure que pour « canaliser » la justice des États-Unis, il faut se lever de bonne heure. Il faut donc bien border l’affaire et préciser que les tribunaux nationaux ne s’en occuperont pas, ce qui n’est pas gagné d’avance avec les cabinets américains.

Toujours concernant le CETA, reste l’important problème de la réciprocité. Avez-vous levé l’obligation, pour les entreprises françaises, d’entrer dans une entreprise conjointe pour pouvoir soumissionner à des marchés publics ? Comme vous savez, Bombardier, en France, répond directement aux appels d’offres tandis qu’Alstom doit, pour la même opération au Canada, passer par une entreprise conjointe. Ce handicap a-t-il bien été levé ?

Enfin, il est bon de disposer d’instruments de défense commerciale mais c’est encore mieux de s’en servir. Nous avons constaté que, à l’occasion de certaines récentes affaires, nous nous sommes couchés face à la Chine pour la seule raison que l’Allemagne s’était mise en travers. Il ne faut pas rêver, monsieur le secrétaire d’État, vous êtes à la tête d’une coalition et, comme le disait Foch : « Depuis que j’ai commandé une coalition, j’admire beaucoup moins Napoléon. »

M. Hervé Pellois. Le Royaume-Uni est le pays de l’Union européenne qui entretient les relations commerciales les plus étroites avec le Canada. Dès lors, le Brexit peut-il avoir des conséquences, en termes de tonnage notamment, sur le CETA ? Cette question est importante pour le monde de l’élevage.

Par ailleurs, il semble que les études d’impact à disposition soient anciennes et donc difficilement exploitables. La France en a-t-elle lancé de nouvelles dans le cadre des négociations avec les États-Unis ?

M. Pierre Lellouche. Vous le savez, je préside la mission d’information commune sur l’extraterritorialité de la législation américaine, et j’ai aussi eu, par le passé, l’honneur d’occuper le même poste que vous, monsieur Fekl. Je le rappelle parce que je suis surpris, compte tenu de l’estime que je porte à votre intelligence, que vous ayez attendu tout ce temps pour découvrir qu’il y avait des problèmes liés à la transparence des négociations, que l’accès aux marchés publics des États-Unis – en particulier ceux des États fédérés – n’allait pas de soi et qu’il y avait des difficultés concernant l’agriculture et les services financiers. L’administration du Trésor connaît cela par cœur.

Vous savez, par ailleurs, que les règles européennes sont ainsi faites que quand une négociation commence avec mandat donné à la Commission, le ministre du commerce extérieur se trouve dans une position très inconfortable parce que la seule personne chargée du dossier est, en l’occurrence, Mme Malmström. C’est elle qui négocie, elle qui possède l’information, cela au grand dam des ministres nationaux. En France, nous nous réveillons en pleine campagne électorale en disant que nous ne voulons plus jouer parce que les règles ne seraient pas bonnes. Seulement, vous ne pouvez pas vous arrêter : une fois que le mandat est donné, après qu’il a été préparé – en interministériel pour ce qui nous concerne –, la négociation continue.

Or je soupçonne votre prédécesseur – et d’ailleurs je le lui avais dit – de ne pas avoir préparé sérieusement la négociation. On a, par exemple, exclu deux marchés complètement fermés aux Européens, l’armement et l’audiovisuel, alors que les Américains trouvent en Europe un marché ouvert aussi bien concernant les armements que le cinéma ou la télévision. Sur le reste, mon sentiment est que ce que vous faites mine de découvrir aujourd’hui, nous le savions dès le début, notamment qu’il est très compliqué d’entrer dans les marchés publics des États fédérés, et qu’il fallait s’attendre à la manière dont la négociation a été conduite. Votre attitude m’apparaît donc, j’y insiste, lourdement influencée par le calendrier électoral. En outre, vous ne semblez pas avoir de solution : dans la mesure où vous êtes complètement isolé et où les autres veulent continuer les négociations, je ne vois pas très bien comment vous les arrêteriez.

Il aurait fallu demander un réexamen du mandat. Le TAFTA a au moins ceci d’utile qu’il nous évitera, demain, des normes chinoises. Si l’Europe et les États-Unis se mettent d’accord sur un certain nombre de normes de travail, de normes environnementales ou industrielles, cela évitera que les Chinois ne dictent demain leur loi. Voilà pourquoi je ne vois pas très bien où vous allez : vous annoncez que vous allez arrêter la négociation, or vous ne l’arrêterez pas ; je ne connais pas votre position de repli, car sans doute n’en avez-vous pas. Vous êtes donc en train de mettre la France dans une impasse et de l’isoler complètement. Vous ne maîtrisez pas la situation.

En ce qui concerne le CETA, nous avons, en effet, obtenu un certain nombre de progrès même si des questions subsistent en matière d’environnement et en matière agricole puisque nous allons voir arriver en France plusieurs dizaines de milliers de tonnes de viande bovine et porcine sur des marchés pourtant déjà pour le moins déprimés.

Où en sommes-nous, par ailleurs, du statut d’économie de marché de la Chine ? Sur ce point aussi, les conséquences sur l’emploi sont susceptibles d’être massives alors que la date butoir approche.

J’en viens à la crise d’Alstom. Elle était annoncée depuis le dépeçage de 2014 et la vente du pôle énergie à l’Américain General Electric, laissant un pôle transport des plus vulnérables et très difficile à l’export – vous en savez quelque chose. Le résultat est que l’entreprise est fragilisée. Pourquoi l’amende de 772 millions de dollars infligée par la justice américaine à la suite d’allégations de corruption concernant la branche énergie est-elle payée, non pas par General Electric, qui pourtant s’y était engagé, mais par la branche transport qui se trouve déjà en difficulté ? Pourquoi avez-vous laissé passer une chose pareille ?

Quid, ensuite, de l’Iran ? Le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA-Plan d’action conjoint), signé en juillet 2015, prévoit la levée des sanctions ; or vous savez que les sanctions continuent à peser sur le système financier international et, de facto, interdisent aux entreprises françaises de travailler en Iran. Nous nous trouvons ici dans le cas typique d’une confrontation avec une législation américaine qui s’applique unilatéralement et qui, je le répète, empêche la France et les autres pays de travailler, n’étaient quelques banques italiennes locales dont les opérations ne s’effectuent pas en dollars. Qu’entendez-vous faire en la matière ?

Enfin, une loi américaine a été votée, il y a trois jours, à l’unanimité de la Chambre des représentants et à l’unanimité du Sénat : la loi JASTA, Justice against Sponsors of Terrorism, qui permet désormais des class actions, des actions civiles ou pénales, visant à lever l’immunité souveraine des États. Je n’ai, pour l’instant, pas entendu de réaction du gouvernement français et je suis donc assez intéressé par votre position parce que cette loi va provoquer une véritable révolution juridique, créer une sorte de jungle mondiale où tout le monde pourra attaquer tout le monde. Dès lors qu’un État sera mêlé, directement ou indirectement, à une action terroriste qui peut toucher les États-Unis, il sera susceptible d’être traîné en justice devant les tribunaux américains.

Pour en revenir à mon tout premier point, si je comprends bien pourquoi la négociation avec les États-Unis a été mal menée, je ne comprends pas, en revanche, où vous conduisez la France sinon dans une impasse.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Toutes les questions que vous soulevez, monsieur Lellouche, sur l’extraterritorialité des lois américaines sont parfaitement légitimes puisque nous avons souhaité que vous présidiez la mission d’information dont Karine Berger est la rapporteure. Je précise que nous allons examiner votre rapport très prochainement, ce qui n’empêche pas le secrétaire d’État de nous livrer son point de vue.

J’insiste sur le fait que celui-ci, dès le début des négociations, nous a indiqué être choqué par l’absence de transparence ; aussi a-t-il pris des dispositions qui ne l’avaient jamais été auparavant – vous en savez quelque chose, monsieur Lellouche, puisque vous avez exercé les mêmes fonctions que lui.

Mme Annick Le Loch. À propos du CETA, n’y a-t-il pas un risque de déstabilisation des filières d’élevage bovine et porcine, notamment avec l’importation de 50 000 tonnes supplémentaires de viande de bœuf et de 70 000 tonnes de viande de porc ? Avez-vous mesuré ce risque ?

En ce qui concerne l’application provisoire du texte, certains parlements nationaux ont refusé l’application de plusieurs dispositions. Le Gouvernement pourrait-il demander au conseil européen, qui devrait se réunir le 18 octobre prochain, la suspension de l’application provisoire de l’accord tant que le Parlement n’a pas été consulté ?

Pour ce qui est de l’accord entre l’Union européenne et Singapour, une fois l’avis rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne, des modifications sont-elles envisageables à l’occasion de la consultation des parlements nationaux ?

Enfin, un autre accord que le TAFTA et le CETA est en cours de négociation, qui touche le commerce des services (ACS), le TISA (Trade in Services Agreement), et qui pourrait affecter de nombreuses activités en France dans les secteurs des transports ou des services financiers. Pouvez-vous nous informer de l’état des négociations en cours ainsi que de la position de la France ?

M. Éric Straumann. Dans le cadre des négociations sur l’accord transatlantique, de quelle manière coordonnons-nous notre action avec notre partenaire allemand ? L’Allemagne est un acteur de premier plan qui, comme l’a rappelé Jacques Myard, peut se révéler décisif quant au cours que va prendre la négociation. Quels sont nos éventuels points de désaccord avec ce partenaire que vous connaissez très bien ?

M. Michel Destot. Je partage votre point de vue, monsieur le secrétaire d’État, selon lequel le CETA est un bon accord pour l’Europe et pour la France. Certes, mais qu’est-ce qu’un bon accord ? Un accord signé à un moment donné dans un contexte donné. Or les négociations sur le CETA ont été menées avant le vote britannique sur le Brexit et avant la signature de l’accord de Paris sur le climat. Les conséquences de ce vote et de cet accord devraient être intégrées de façon dynamique au CETA.

Ensuite, les échanges commerciaux de l’Europe et de la France ne se limitent pas à nos partenaires nord-américains. La deuxième puissance du monde est la Chine et la troisième le Japon. Au sein de la commission des affaires étrangères, nous avons mené, avec Patrice Martin-Lalande, une mission importante sur la Chine. Nous avions alors mis en avant deux points : le premier était le déficit de nos échanges commerciaux avec ce pays, non seulement pour les grandes entreprises internationales, mais aussi pour les petites et moyennes entreprises qui avaient beaucoup de difficulté à s’implanter sur place ; nous avions ensuite mis l’accent sur le tourisme, et le ministre de l’époque, Laurent Fabius, avait, si je puis dire, repris la balle au bond. Avons-nous, sur ces deux points, réalisé des progrès ?

M. Axel Poniatowski. À l’évidence, nous ne pouvons mettre les deux accords sur le même plan. On peut se féliciter que les négociations du CETA soient sur le point d’aboutir mais l’accord important demeure tout de même le partenariat transatlantique du fait de ses conséquences cruciales sur les normes mondiales et du fait que la conclusion de cet accord nous apporterait un supplément de 0,5 point de croissance, ce qui est considérable puisque cela représenterait une augmentation de plus de 50 % de notre croissance actuelle. Reste que l’accord n’est pas acceptable en l’état et que vous avez raison, monsieur le secrétaire d’État, de le dire et de le refuser.

Un accord global est-il vraiment possible ? Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée de le rechercher. Ne devrait-il pas être pris point par point afin qu’on en termine avec certains avant d’en aborder d’autres ? L’essentiel est évidemment l’accès aux marchés publics : il n’y a strictement aucune raison pour que les règles soient différentes en Europe et aux États-Unis. Nous ne pouvons accepter d’avoir accès à même pas 50 % des marchés publics aux États-Unis, alors que les Américains ont accès à 90 % des nôtres. Il nous faut donc nous focaliser sur ce point, car tout le reste en découle, et il est bien plus important que la question agricole, fût-elle majeure – tout le monde sait de quoi il retourne quand on parle de « champagne » américain, qui est non seulement absolument dégueulasse, mais qui coûte le double du champagne français.

Ensuite, vous avez complètement évacué la question très importante des services financiers. Vous signalez notre excédent mais je souhaite en savoir davantage sur votre politique en la matière.

M. Dominique Potier. Contrairement à Jacques Myard, je pense qu’un accord est toujours préférable à l’absence d’accord. Mieux vaut, en effet, une réglementation élaborée dans le cadre d’une concertation que le jeu du libre marché, qui peut causer des dégâts considérables. Je suis donc plutôt favorable à la conclusion, à terme, d’accords transatlantiques – je n’y suis pas, en tout cas, hostile par principe.

Si le CETA est en effet meilleur que le TAFTA, je ne suis pas convaincu pour autant qu’il s’agisse d’un bon accord. Nous devons prendre en compte les éléments de contexte : la crise agricole et les menaces industrielles pesant sur l’acier préoccupent nos concitoyens. En outre, le Brexit a suscité au sein des assemblées européennes le besoin de nouvelles régulations, et il pourrait être dangereux de conclure aujourd’hui des transactions alors que le pacte de régulation européen n’est pas consolidé. Par ailleurs, nos concitoyens sont, naturellement, davantage préoccupés par le bassin méditerranéen et la conclusion d’accords commerciaux et de co-développement avec l’Afrique, accords qui représenteraient, en termes de sécurité et de ressources pour l’avenir, des investissements plus pertinents que les échanges commerciaux avec les États-Unis ou le Canada.

Quelles pourraient être les conséquences du vote négatif d’un parlement national sur la poursuite du processus ? Que se passerait-il si ces accords étaient appliqués de façon prématurée, avant la fin du cycle des délibérations nationales et européennes ? N’aurions-nous pas engagé un processus irréversible qui produirait des dégâts économiques et sociaux non mesurés ? Autrement dit, n’est-il pas temps de réaliser de nouvelles études d’impact et de respecter la chronologie des délibérations qui assure à nos concitoyens la sécurité qu’ils attendent ?

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez débuté votre intervention en vous déclarant satisfait du CETA, mais nous aurons l’occasion d’en débattre au Parlement, puisqu’il a été qualifié d’accord mixte. En tout état de cause, nous en mesurerons les conséquences lorsque nous assisterons à l’arrivée massive sur le marché de produits agroalimentaires canadiens qui produira un effet dépréciatif sur les prix. Vous vous êtes félicité que quarante-deux IGP avaient été reconnues au niveau européen, mais la France, à elle seule, en compte 122. Force est de constater que, si nous sommes toujours très exigeants en ce qui concerne l’exception culturelle, c’est-à-dire le protectionnisme à l’égard des artistes, nous le sommes malheureusement peut-être un peu moins lorsqu’il s’agit de protéger les agriculteurs.

En ce qui concerne le TAFTA, je vous crois volontiers lorsque vous affirmez vous être battu pour favoriser la transparence des négociations, mais celle-ci reste aujourd’hui encore très insatisfaisante. Nous n’avons accès qu’à des documents partiels, rédigés en anglais et consultables dans des conditions extrêmement strictes, et nous ne sommes pas autorisés à en informer nos concitoyens dans le détail. Au demeurant, si nous étions transparents jusqu’au bout, nous devrions dire aux Français que la France n’a pas les moyens d’arrêter ces négociations pour lesquelles elle a donné mandat à la Commission ; elles iront donc à leur terme. Vous ne semblez pas, hélas ! très optimiste – et nous ne le sommes pas non plus – sur la possibilité d’obtenir une majorité pour s’y opposer au Conseil de l’Union européenne. Nous sommes donc embarqués dans un processus dans lequel le gouvernement français n’a plus la main. Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir si vous envisagez que cet accord puisse être qualifié d’accord mixte, ce qui permettrait au Parlement français de s’opposer à ce traité. Il s’agirait presque de notre seule marge de manœuvre pour arrêter le processus de négociation.

Mme Marie-Lou Marcel. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez déclaré il y a quelques semaines que, fin septembre, lors de la réunion des ministres du commerce extérieur à Bratislava, vous demanderiez l’arrêt pur et simple des négociations sur le TAFTA. En revanche, vous avez salué le CETA, que vous jugez équilibré sur le fond. Opposer un bon CETA à un mauvais TAFTA n’est-il pas quelque peu illusoire ?

Par ailleurs, vous avez indiqué que le CETA reconnaissait quarante-deux indications géographiques, soit un quart de l’ensemble des indications géographiques de notre pays. Or vous savez combien nous sommes attachés à ces indications, vitrines de nos terroirs. À quelles conditions la reconnaissance de ces indications géographiques pourrait-elle faire l’objet d’une négociation ou d’une renégociation, et comment faire avancer ce sujet ?

Mme Monique Rabin. Je suis heureuse de pouvoir saluer, ici, le courage dont vous avez fait preuve en 2015 en annonçant dire non au TAFTA. Je veux cependant appeler votre attention sur le refus citoyen dont fait de plus en plus l’objet le CETA. Certains éléments sont de nature à nous rassurer, notamment la reconnaissance de la mixité de l’accord, mais qu’en sera-t-il de la gouvernance de ce traité, s’il est adopté : qui aura réellement le pouvoir ? Une parole forte permettrait, je l’espère, de rassurer nos concitoyens.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. J’observe en tout cas que l’absence de transparence n’empêche pas les députés de poser des questions très pointues…

M. le secrétaire d’État. Mme Guittet et d’autres de ses collègues m’ont interrogé sur le calendrier des négociations. Tout d’abord, puisque la question de la reconfirmation du mandat de la Commission a été évoquée, je souhaiterais revenir sur ce qui s’est passé au Conseil européen de juin 2016, soit juste après le Brexit. Alors que celui-ci était le principal sujet de débat entre les chefs d’État et de gouvernement, la présidence de la Commission européenne a jugé bon – et c’est son droit – de réaliser un tour de table sur les questions relatives au commerce international, notamment le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership). Elle en a déduit que les chefs d’État et de gouvernement reconfirmaient son mandat. Or j’ai déjà eu l’occasion de dire à ce moment-là qu’il n’en était rien, et pour cause : une telle reconfirmation n’existe pas. Le mandat perdure et la Commission a la possibilité de s’appuyer sur celui-ci autant qu’elle le juge nécessaire. Dès lors, il n’est pas sérieux de tenter de semer le doute sur les positions des uns et des autres, et il est parfaitement regrettable que la Commission européenne ait procédé ainsi. Les choses sont parfaitement claires, et le chef de l’État a rappelé au Conseil européen quels étaient les exigences de la France et les critères d’un bon accord.

M. Pierre Lellouche. Au mois de juin, il n’a pas annoncé que nous en sortions !

M. le secrétaire d’État. Parce qu’il a toujours été clair que le Conseil des ministres du commerce extérieur de Bratislava procéderait à un passage en revue, après les différents tours de négociation. Nous savons, aujourd’hui, au vu de ces derniers, que les choses n’avancent pas dans le bon sens. Il convient de se reporter aux différentes déclarations du chef de l’État, du Premier ministre, du ministre des affaires étrangères et à mes propres déclarations, qui n’ont jamais varié d’un iota, quel que soit le sujet, lors de mes différentes auditions devant vos commissions. Tout a été parfaitement clair. Il n’est donc pas sérieux de faire semblant de croire à un changement de cap.

Reprendre les négociations sur de bonnes bases, cela suppose tout d’abord de prendre acte qu’elles ne peuvent pas se poursuivre, d’une part, parce qu’elles sont enlisées, d’autre part, parce que dans l’esprit de nos concitoyens et de nombre d’entre vous, elles ne doivent pas se concrétiser. Négocier avec des partenaires amis, c’est aussi savoir se dire les choses. Car il existe deux risques : celui d’une accélération, une majorité d’États en Europe étant favorables à la conclusion d’un « TTIP light » avant la fin de la présidence Obama, ou, au contraire, le risque d’un véritable enlisement comparable à celui qu’ont connu les négociations de l’OMC à Doha, enlisement qui susciterait une augmentation de la méfiance et empêcherait de discuter avec les États-Unis d’autres sujets sérieux tels que celui des règles ou celui de l’extraterritorialité, qui est à mon avis très important pour l’avenir. Donc soyons sérieux : prenons acte de l’impossibilité de poursuivre ces négociations et avançons ! Cela signifie qu’il y aura probablement lieu de confier à la Commission un nouveau mandat de négociation. Mais nous n’en sommes pas là : pour le moment, le mandat actuel perdure et, juridiquement, rien ne permet d’y mettre un terme.

J’en viens au CETA, qui suscite beaucoup d’interrogations. Tout d’abord, nombreux sont ceux qui voient dans ce traité le cheval de Troie des États-Unis. Pour ma part, je n’y crois pas du tout. Il est erroné de penser que les entreprises américaines ont besoin du Canada pour pénétrer le marché français. Des milliers d’entreprises américaines sont implantées en France, où elles ont créé – vous pouvez le constater dans vos régions – des centaines de milliers d’emplois. Inversement, des milliers d’entreprises françaises sont implantées aux États-Unis, où elles ont également créé des centaines de milliers d’emplois, dans tous les secteurs, qu’il s’agisse de l’agroalimentaire, des transports ou des biotechnologies. Regardons la réalité plutôt que d’agiter je ne sais quel fantasme : l’interpénétration de nos économies est réelle !

J’ajoute qu’il a été pris soin de préciser qu’une entreprise ne pouvait bénéficier des stipulations du CETA que si elle exerçait une activité réelle au Canada. Il s’agit de lutter ainsi contre la pratique, qui a pu exister par le passé, consistant à créer des « entreprises-boîte aux lettres » fictives.

En ce qui concerne le secteur agricole, la reconnaissance de quarante-deux indications géographiques est importante, j’y insiste, car, en matière d’appellations laitières, fromagères et charcutières, nous partions de zéro. Ces indications s’ajoutent, en outre, à celles qui ont été reconnues, au début des années 2000, dans le domaine des vins et spiritueux. Je précise, car j’ai été interpellé par José Bové sur la question des fromages, que les indications reconnues sont celles qui sont le plus exposées au risque d’usurpation ou de contrefaçon au Canada. Nous allons exercer un suivi très précis et, si nous constatons des usurpations ou des fraudes concernant d’autres appellations, rien ne nous empêche de mettre le sujet sur la table et de réclamer la reconnaissance d’indications supplémentaires.

Par ailleurs, nous sommes extrêmement attentifs à la question des quotas globaux de viande qui, dans le cadre des différents accords commerciaux, finissent par arriver sur le marché français. Il faut, en effet, éviter que ne se créent des déséquilibres sur notre marché, d’autant que les producteurs de certaines filières rencontrent déjà des difficultés très importantes.

Pour ce qui est de la mixité des accords, celle du CETA a été reconnue par une décision prise avant l’été – la Commission a fini par se ranger à cette idée. Vous serez donc saisis de cet accord. Le Gouvernement soutient sa ratification, mais ce sera au Parlement de se prononcer par un vote. Il faut reconnaître que la Commission a tenté de soutenir que le CETA n’était pas un accord mixte, contrairement à ce que tous les États membres de l’Union ont toujours affirmé et contrairement à l’avis du service juridique du Conseil. Le sujet a fait l’objet d’une discussion très ferme ; Sigmar Gabriel et moi-même avons écrit à la commissaire européenne concernée, et nous avons obtenu gain de cause.

Nous savons néanmoins qu’il existe, au sein de la Commission, la tentation très forte de considérer que, le commerce étant une compétence communautaire, il doit l’être entièrement. Nous nous opposons à cette analyse, car, dans le cadre des négociations portant sur les accords commerciaux dits de nouvelle génération, on discute de sujets qui ne sont pas seulement commerciaux – je pense en particulier aux normes – et qui peuvent affecter la vie quotidienne. Il est évidemment hors de question que les États se voient confisquer des compétences qui relèvent de leurs attributions. Nous bataillons ferme sur ce sujet. Nous avons obtenu gain de cause s’agissant du CETA, et nous mènerons le même combat s’agissant du TTIP si les négociations devaient se poursuivre, car il n’est pas question de changer les règles en cours de route et d’exclure les parlements du processus de ratification. Nous devrons, du reste, revoir les processus européens en la matière : vous devez être associés plus en amont et en permanence aux différentes ratifications.

La Commission a demandé à la Cour de Justice de l’Union européenne de se prononcer sur la mixité de l’accord conclu avec Singapour, ce qu’elle fera cette année ou dans le courant de l’année prochaine.

M. Pierre Lellouche. De toute façon, la Cour donne toujours raison à la Commission !

M. le secrétaire d’État. On sait que la Cour adopte presque systématiquement une interprétation maximaliste des traités. Quoi qu’il en soit, nous serons très vigilants sur ce point ; nous souhaitons que les parlements puissent se prononcer sur ces traités.

S’agissant du CETA, l’ensemble du projet de traité sera annexé au projet de loi de ratification qui vous sera soumis. Vous discuterez donc de l’ensemble de l’accord, mais celui-ci relève à la fois de compétences communautaires et de compétences nationales. Dès lors, que se passerait-il si un parlement national rejetait le traité ? Puisqu’il n’existe pas de précédent dans ce domaine, je me dois d’être très prudent. S’ouvrirait, en tout cas, une phase d’analyse juridique et politique afin de déterminer si seules les stipulations relevant d’une compétence nationale tomberaient ou si, de fait, l’ensemble de l’accord serait concerné. Sur ce point, les analyses juridiques sont très divergentes. Quant à nous, nous considérons qu’il faut être cohérent : lorsqu’un parlement national rejette un traité, il faut en tirer les conséquences politiques.

M. Pierre Lellouche. Surtout lorsqu’il n’a pas le droit de réserve !

M. le secrétaire d’État. Absolument.

La Commission procède actuellement à un passage en revue des articles relevant respectivement du communautaire et du national ; elle présentera ses conclusions à la mi-septembre. Nous suivons cela de très près, et je pourrai, si vous le souhaitez, vous en dire plus après cette échéance. J’ajoute que la question de l’exequatur, soulevée par M. Myard, n’est pas tranchée non plus, en l’absence d’avis de la CJUE sur ce sujet.

En matière de réciprocité avec le Canada, nous avons progressé, notamment dans le domaine des marchés publics hospitaliers, qui représentent un enjeu important compte tenu de l’exceptionnel savoir-faire français en la matière. Ainsi n’est-il plus nécessaire d’être dans une entreprise conjointe.

M. Jacques Myard. Ce n’est donc pas général ?

M. le secrétaire d’État. Non, ce n’est pas général. Mais nous avons pris soin d’y travailler, car la réciprocité est un principe général qui doit se traduire par des actes.

Monsieur Myard, il ne suffit pas de dire : « Y a qu’à », « Faut qu’on ». Toujours est-il que, lors du G20, le Président de la République a indiqué que le Président Juncker pouvait continuer à négocier s’il le souhaitait, mais il a été extrêmement clair sur la position de la France – position que nous sommes, à ce stade, les seuls à affirmer de manière aussi précise. Je note que, dans son discours sur l’état de l’Union, le Président Juncker n’a pas reparlé de ces négociations et n’en fait plus une priorité de l’agenda européen, ce qui est une nouveauté. C’est le rôle de la France de s’exprimer avec clarté, y compris au risque de l’isolement. Je travaille avec plusieurs de mes homologues européens, notamment mon homologue allemand, mais si nous devons être les seuls à défendre une position que nous estimons juste, nous devons l’assumer.

J’en viens au Brexit, sur lequel M. Pellois et Mme la présidente Massat m’ont interrogé. Là encore, le Président de la République a toujours été très clair : nous respectons le vote du peuple britannique. Le résultat du référendum a été très clair et nous devons en prendre acte. L’Europe a beaucoup souffert du fait que l’on a pu donner l’impression, notamment en France, que les choses pouvaient continuer comme avant en dépit des votes qui étaient intervenus. C’est aussi aux proeuropéens de tenir ce discours.

Ce vote a plusieurs conséquences. Premièrement, nous attendons, comme je l’ai rappelé hier à mon homologue britannique, Lord Price, une notification du retrait du Royaume-Uni au titre de l’article 50. Nous l’espérons avant la fin de cette année, mais il paraît plus probable qu’elle interviendra au début de l’année prochaine. Toujours est-il que, tant que les choses en restent là, nous ne souhaitons pas que s’engagent des pré-négociations informelles qui permettraient d’enfoncer un coin entre les États européens.

Deuxièmement, on ne peut pas être à la fois dans et hors de l’Union. Une fois qu’un pays décide d’en sortir, sa décision doit bien entendu emporter des conséquences. On ne peut pas à la fois échapper à diverses règles contraignantes, ne plus contribuer au budget et profiter de l’accès au marché européen. La position de la France est parfaitement claire sur ce point. Pour ma part, je considère – mais c’est un avis personnel – que les fonctionnaires britanniques qui travaillent dans les instances européennes n’y auront plus leur place après la sortie du Royaume-Uni.

Par ailleurs, nous avons craint, durant l’été, que le Brexit n’ait un impact immédiat sur le tourisme en France, notamment à cause de la dévaluation d’environ 20 % de la livre, mais les réservations ont finalement été confirmées. Nous espérons que les touristes britanniques continueront de venir dans de nombreuses régions de France et nous ferons le nécessaire, avec ces régions, pour que la France demeure, pour eux, une destination attractive.

En ce qui concerne les relations économiques entre l’Union européenne et le Royaume-Uni après la sortie de celui-ci, différents scénarios existent. Le Royaume-Uni peut être considéré comme un membre de droit commun parmi d’autres de l’Organisation mondiale du commerce, à laquelle il devra d’ailleurs adhérer en tant que tel ; une association ou partenariat, à la norvégienne ou à la turque, peuvent être également conclus. Cela sera discuté au niveau européen, sans qu’il soit possible de mener des négociations avec les uns et les autres qui permettraient de jouer certains États contre les autres. En tout état de cause, le Royaume-Uni ne peut pas espérer bénéficier des mêmes facilités d’accès au marché européen qu’aujourd’hui.

Quant aux études d’impact, je suis parfaitement d’accord pour qu’elles soient renforcées ; nous l’avons demandé à la Commission européenne. Les travaux du Parlement sur ce sujet sont très précieux. Je suis, du reste, favorable à la création, autour de celui-ci, d’un grand pôle d’évaluation des politiques publiques auquel seraient rattachées de nombreuses instances d’évaluation actuellement dispersées et qui renforcerait l’expertise sur laquelle vous pouvez d’ores et déjà vous appuyer. Une telle instance est indispensable, d’autant qu’elle permettrait également de réhabiliter le débat contradictoire au sein de la science économique. La pensée unique économique ne peut, en effet, être la seule à avoir pignon sur rue. On ne peut accepter que ses tenants donnent des leçons en usant d’arguments d’autorité pour le moins contestables, alors qu’ils ont été incapables d’anticiper et d’analyser les dernières crises, notamment celle, désastreuse, de 2008.

J’en viens maintenant aux questions de M. Lellouche. Celui-ci a évoqué l’influence du calendrier électoral, et il me semble avoir répondu sur ce point. Je précise néanmoins que proposer, comme le fait M. Sarkozy, de suspendre le processus pendant les élections me semble une manière de faire très ancienne – l’Europe paie très cher ce type de pratiques. Si démarche électoraliste il y a, je ne crois qu’elle soit le fait du Gouvernement…

S’agissant des enjeux des négociations, je partage l’idée selon laquelle les marchés publics sont prioritaires. La question de l’antidumping, y compris avec la Chine, est également extrêmement importante : nous devons nous doter, dans ce domaine, d’outils de défense commerciale très robustes. Je suivrai de très près les travaux de la mission présidée par M. Lellouche sur l’extraterritorialité, que je considère comme un enjeu majeur sur lequel l’Europe a également son mot à dire. La décision que la Commission a prise concernant Apple est très positive du point de vue du volontarisme industriel, et elle doit poursuivre son action dans d’autres domaines. La réciprocité signifie aussi que, lorsqu’un grand pays, même ami, vous inflige des décisions unilatérales, il faut être en mesure de répliquer, sans s’interdire d’utiliser tous les instruments possibles. Je prendrai connaissance des conclusions de la mission avec intérêt, et je suis disponible pour travailler sur ce sujet.

En ce qui concerne l’Iran, la frilosité de nos établissements financiers est bien compréhensible compte tenu de l’extraterritorialité de la législation américaine. Nous travaillons sur ce sujet avec les autorités monétaires américaines, mais il n’est pas satisfaisant de devoir prendre ainsi des directives. En effet, la France respecte parfaitement les régimes de sanction internationaux de l’ONU et de l’Union européenne, elle n’a donc pas à ployer sous des régimes unilatéraux. J’ai conduit, avec Stéphane Le Foll, une délégation de 135 entreprises au mois de septembre dernier en Iran. Un tel déplacement n’était pas intervenu dans ce grand pays depuis une dizaine d’années. De nombreuses délégations d’entreprises s’y rendent désormais. L’Iran compte 80 millions d’habitants et une classe moyenne émergente qui a des besoins en biens d’équipement pour lesquels le savoir-faire français est attendu et déjà présent dans les rues iraniennes – je pense notamment aux automobiles. Nous continuerons à accompagner nos entreprises pour qu’elles puissent exporter vers ce pays. Après l’accord de Vienne du 14 juillet dernier, en faveur duquel la diplomatie française et Laurent Fabius ont beaucoup œuvré, une nouvelle phase de nos relations avec l’Iran doit s’ouvrir, dans le respect plein et entier de l’accord de Vienne.

S’agissant des négociations du TISA, la France a, en tant que pays exportateur net en matière de services, des intérêts offensifs à faire valoir. C’est pourquoi nous souhaitons avancer dans ce domaine, y compris dans un cadre multilatéral. La vingtième session de ces discussions doit se tenir du 19 au 25 septembre prochain. Ce que j’ai dit tout à l’heure à propos de la transparence s’applique à ces négociations comme à toutes celles auxquelles la France participe. J’ai déjà indiqué, du reste, que j’étais favorable, à titre personnel, à l’open data : tout doit être connu. De toute façon, puisque tout finit par fuiter, autant organiser et assumer la transparence : tout doit être rendu public et ce qui ne peut pas l’être ne doit pas être négocié. Nos intérêts offensifs concernent les transports, maritime et aérien, les services financiers, les services postaux, et nous resterons très exigeants sur ces sujets. Nous avons également été attentifs à ce que le mandat de négociation exclue expressément les services audiovisuels et garantisse la protection efficace des services publics. Il est vrai que la France était, au départ, seule à défendre cette position, mais ces secteurs font maintenant l’objet d’une sorte de consensus européen. Il faut demeurer vigilant, mais tout le monde sait qu’une négociation ne peut pas s’ouvrir sans que ces aspects soient bien intégrés.

M. Straumann m’a interrogé sur la coordination franco-allemande. Depuis ma nomination, je travaille étroitement avec nos partenaires allemands, notamment avec le Vice-Chancelier, Sigmar Gabriel. Sur les questions d’arbitrage et la proposition de création d’une Cour de Justice commerciale internationale, nous sommes parvenus, ensemble, à créer un consensus européen en quelques mois, en emportant l’adhésion des autres États membres. Il est vrai qu’il existe un débat au sein de la grande coalition du gouvernement allemand, notamment entre la Chancelière et le Vice-Chancelier. Mais la France travaille avec le gouvernement allemand en tant que tel, et nous continuerons à le faire. Nous avons toujours entretenu une coordination très étroite avec l’Allemagne sur ce sujet, à tous les niveaux. Certes, les intérêts de l’Allemagne ne sont pas tout à fait les mêmes que les nôtres, en raison de la spécialisation de son industrie, de sa stratégie d’export et de ses relations commerciales avec les États-Unis. Il est donc possible qu’à un moment donné, nos intérêts ne se rejoignent pas ; ce ne serait pas un drame. En tout cas, je tiendrai bon sur les intérêts de l’économie, de l’industrie et de l’agriculture françaises.

« Qu’est-ce qu’un bon accord ? », me demande M. Destot. Il m’est difficile de répondre à cette question philosophique en définissant quelques critères. J’estime cependant qu’un bon accord doit d’abord respecter nos lignes rouges et défendre les intérêts français. Il doit également être tourné vers l’avenir, respecter l’exigence de transparence et être soumis au contrôle démocratique du Parlement. Par ailleurs, il doit intégrer, M. Destot a raison, les acquis de l’accord historique obtenu à Paris au mois de décembre dernier dans le cadre de la COP21. J’ai ainsi proposé au Président de la République, qui s’y est déclaré favorable lors de la conférence environnementale, que la France ne signe désormais que les accords commerciaux intégrant l’urgence écologique et les acquis de l’accord de Paris. Nous avons été les premiers à adopter cette position. Certes, l’accord avec le Canada a été conclu avant le sommet de Paris et il aurait sans doute été différent s’il l’avait été après. Mais on ne peut pas dire pour autant que, dans son équilibre global, il soit préjudiciable à l’environnement. M. Trudeau a pris des engagements politiques précis sur la question de l’exploration des gaz de schiste. Nous devons cependant y demeurer très attentifs. Quoi qu’il en soit, rien ne s’oppose à une évaluation de l’accord à assez brève échéance. Je suis ainsi favorable à ce que l’on mesure le bilan carbone des accords commerciaux et à ce que l’on propose, le cas échéant, de nouvelles discussions. Tout ce qui permet une actualisation des accords me semble positif ; je rejoins donc l’approche innovante défendue par M. Destot sur ce point.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Pardonnez-moi, monsieur le secrétaire d’État, mais je dois vous quitter, car j’ai avec mon homologue allemand un rendez-vous téléphonique durant lequel nous devons nous entretenir du Brexit. Je rappelle, à ce propos, que le président de l’Assemblée nationale préside une mission consacrée à ce sujet qui rassemble plusieurs de nos commissions. Il me semble que nous devons garder à l’esprit que ce n’est pas parce que le Royaume-Uni sort de l’Union européenne que nous ne devons pas continuer non seulement à préserver, mais à intensifier nos relations bilatérales avec ce grand voisin, notamment en matière de défense ou de migration. Néanmoins, il est très important que nous fassions montre d’une grande fermeté dans le cadre des négociations de sortie de l’Union européenne, et je salue à cet égard la position prise par le Président de la République. Que le Royaume-Uni se voit gratifié in fine d’un statut spécial, pourquoi pas ? Après tout, d’autres pays bénéficient d’un tel statut. Mais cela ne doit pas se faire au détriment du respect des principes de fonctionnement de l’Union européenne. Il n’y a aucune raison que nous nous laissions ballotter par l’indécision britannique. Nous pouvons laisser un peu de temps au Royaume-Uni mais, à partir d’un certain moment, nous devrons nous interroger sur les moyens de pression dont nous pouvons user pour que tout ceci ne dure pas indéfiniment.

(Mme Chantal Guittet remplace Mme la présidente Élisabeth Guigou.)

M. le secrétaire d’État. S’agissant du Brexit, nous sommes parfaitement d’accord avec Mme Guigou sur les exigences de clarté.

En matière de tourisme, lequel relève du Quai d’Orsay depuis plusieurs années maintenant, nous menons une politique de promotion, d’accueil et d’investissement très volontariste. Un fonds de 1 milliard d’euros, piloté par la Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance, a ainsi été créé pour favoriser l’investissement dans les territoires. S’agissant de l’accueil, en particulier des touristes chinois, nous nous efforçons de faciliter la délivrance des visas, dont le délai passera bientôt de 48 heures à 24 heures, et de renforcer la sécurité des touristes, après la survenue de faits très préjudiciables à notre pays. Le ministère de l’intérieur est très impliqué dans ce domaine, mais un seul fait peut avoir des effets très importants s’il est relayé notamment par les réseaux sociaux. Par ailleurs, le ministre des affaires étrangères a annoncé, hier, que le montant de l’enveloppe consacrée à la promotion de la destination France dans le contexte post-attentats serait porté de 1,5 million à 10 millions d’euros, afin d’accompagner les efforts des collectivités locales et mener une véritable campagne de promotion à l’international. J’ajoute que le Premier ministre présidera un comité interministériel sur le tourisme à la mi-octobre et que la conférence annuelle sur le tourisme se tiendra d’ici à la fin de l’année, sous la présidence du ministre des affaires étrangères. Dans ce secteur, nous devons faire face à la concurrence internationale. Le nombre des touristes dans le monde, qui est de 1 milliard aujourd’hui, atteindra 1,8 milliard d’ici à 2030. Nous nous sommes donc fixé l’objectif d’accueillir en France 100 millions de touristes en 2020 – nous en avons accueilli 85 millions en 2015, ce qui est un record.

Monsieur Poniatowski, je vous remercie pour votre soutien. Il est très précieux, dans le contexte difficile de ces négociations, que la stratégie française obtienne le soutien le plus large possible de la représentation nationale. À cet égard, je suis heureux d’avoir toujours défendu devant vous une position parfaitement claire, car cela évite les procès d’intention. Dès lors que l’intérêt de notre économie, les valeurs démocratiques et la transparence sont en jeu, j’espère que le plus large consensus possible puisse émerger, y compris dans la période politique qui va s’ouvrir : il y va de nos entreprises et de l’emploi.

Je partage, par ailleurs, votre interrogation sur l’opportunité de négocier un accord global. Ne faut-il pas privilégier des accords sectoriels, qui permettent de régler des problèmes techniques sans ouvrir la boîte de Pandore ? La question est légitime. Je souscris à l’idée selon laquelle l’accès aux marchés est un point stratégique ; la diplomatie des terroirs l’est aussi, mais ce n’est pas contradictoire. On peut parfaitement vouloir des avancées dans ces deux domaines. En tout état de cause, la commande publique est un levier de croissance et de création d’emplois très puissant. Or, dans ce domaine, il n’y a actuellement aucune ouverture sérieuse de la part des États-Unis. Il n’y en a pas davantage s’agissant des services, en particulier des services financiers, pour lesquels nous souhaiterions pouvoir élaborer des règles communes, notamment prudentielles. Je suis à votre disposition pour approfondir ce sujet.

Monsieur Potier, je connais votre intérêt pour la dimension environnementale et sociale de ce type d’accords, qui ne saurait être anecdotique et déclaratoire. La diplomatie française est un tout : les négociations environnementales, sociales et commerciales doivent être cohérentes. Telle est la stratégie de notre pays. Celle-ci doit se traduire davantage par des études d’impact et l’évaluation, en amont comme en aval. Il faut non seulement éviter de promettre monts et merveilles avant les négociations – prétendre évaluer à l’euro près l’augmentation du pouvoir d’achat par ménage européen est grotesque –, mais il faut aussi avoir le courage d’évaluer les accords après leur mise en œuvre. Une telle évaluation peut, certes, réserver des surprises désagréables, mais elle permettrait également de découvrir des points positifs. Ainsi, l’accord avec la Corée du Sud, que beaucoup craignaient, a permis à la France de voir sa balance commerciale avec ce pays devenir excédentaire. Le débat doit donc être contradictoire au sein de la science économique et l’évaluation indépendante.

Mme Marion Maréchal-Le Pen m’a interrogé sur la mixité des accords. Sur ce point, je pense avoir répondu avec clarté et mentionné les interrogations qui subsistaient. Par ailleurs, il est faux de dire que l’agriculture n’est pas au cœur de la stratégie commerciale et politique française au plan européen. Il est également faux de faire accroire aux agriculteurs français que notre agriculture aurait un avenir si elle se repliait sur elle-même. Celle-ci est exportatrice nette ; elle est avec, le secteur agroalimentaire, le deuxième excédent commercial français. Beaucoup d’aspects du fonctionnement de la politique agricole commune doivent, certes, être revus – Stéphane Le Foll est très mobilisé sur ce sujet –, mais notre agriculture est ouverte sur le monde : elle exporte et elle a besoin de continuer à être reconnue internationalement. Tel est l’objet de la diplomatie des terroirs, de la reconnaissance des indications géographiques et de la conquête de nouveaux marchés. Enfin, s’agissant du TAFTA, la transparence est insuffisante, je l’ai dit.

Mme Marcel m’a interrogé sur le CETA, sur lequel notre appréciation est claire – elle peut, bien entendu, être discutée. Il n’existe pas d’accord parfait en matière commerciale, mais le CETA est globalement positif pour notre économie, y compris pour notre agriculture puisque les fromages français, aujourd’hui soumis à des droits de douane extrêmement élevés, pourront s’exporter, à hauteur de 18 500 tonnes, au Canada. Encore une fois, rien n’est parfait, mais nous devons profiter des progrès significatifs lorsqu’ils existent. On peut émettre des critiques fondées sur les négociations avec les États-Unis, mais lorsqu’on constate que, sur de nombreux points, les choses se sont bien passées avec le Canada, il faut être capable de le reconnaître. Quoi qu’il en soit, nous vous proposerons d’approuver cet accord, au nom du Gouvernement. Si des questions se posent sur les IG, je serai le premier à les évoquer avec mes homologues canadiens.

Je crois avoir répondu aux questions de Mme Rabin sur le CETA. Je sais que vous suivez ces négociations de très près depuis longtemps. Vous êtes, du reste, nombreux ici à assister au comité de suivi stratégique des sujets de politique commerciale que j’ai créé afin de rendre des comptes devant les parlementaires, les syndicats, les ONG et les filières professionnelles.

En conclusion, je vous remercie de votre vigilance sur ces différents sujets, car, bien souvent, le Parlement a joué un rôle d’aiguillon et de relais.

M. Jacques Myard. Un éventuel saucissonnage de l’accord serait contraire au droit international. On ne peut pas prétendre que le refus de l’accord par un parlement national ne porterait que sur les matières relevant des compétences nationales. Une négociation porte sur l’ensemble des aspects de l’accord : on peut renoncer à ceci pour obtenir cela. Il est donc impossible de plaider la division de l’accord : c’est tout ou rien !

M. le secrétaire d’État. Cette question fait l’objet d’un débat. Il faut tenir compte de la spécificité de la construction communautaire : les États ont consenti des transferts de souveraineté concernant différentes politiques, notamment la politique commerciale.

M. Jacques Myard. Non !

M. le secrétaire d’État. Je vous dis précisément où en est le débat. Des clarifications sont nécessaires et je suis le premier à les réclamer. Au plan prospectif – et c’est un des sujets que j’aborderai ce soir avec mes homologues sociaux-démocrates –, nous avons besoin d’une politique commerciale qui soit offensive, cohérente et globale au niveau de l’Union, mais qui respecte l’impératif démocratique. Il nous faudra donc certainement, un jour ou l’autre, revoir les processus en y associant les parlements nationaux d’emblée et tout au long des négociations. Il reste que l’Union européenne est le premier ensemble économique au monde, et il est important qu’elle puisse peser politiquement à la hauteur de ce qu’elle représente économiquement. C’est un travail complexe, qui devra être poursuivi dans les années qui viennent, y compris par mes successeurs quels qu’ils soient.

Mme la présidente Frédérique Massat. Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour la précision de vos réponses. Nous serons, bien entendu, très attentifs aux échéances futures, notamment le conseil de Bratislava, et nous vous réinviterons pour continuer de suivre de près ces négociations.

Mme Chantal Guittet, présidente. Je tiens également à vous remercier pour votre disponibilité et la clarté de vos propos. Vous nous permettez d’éclairer à notre tour nos concitoyens, qui sont nombreux à nous interroger sur ces sujets.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 14 septembre 2016 à 10 heures

Présents. - M. Yves Blein, Mme Karine Daniel, M. Yves Daniel, M. Jean Grellier, Mme Annick Le Loch, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Dominique Potier, Mme Béatrice Santais, M. Éric Straumann, M. Jean-Marie Tétart, Mme Catherine Vautrin

Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, Mme Jeanine Dubié, Mme Marie-Hélène Fabre, Mme Pascale Got, M. Antoine Herth, M. Jean-Luc Laurent, M. Thierry Lazaro, M. Serge Letchimy, Mme Audrey Linkenheld, M. Philippe Armand Martin, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Philippe Naillet, M. Bernard Reynès, M. Thierry Robert, M. Jean-Paul Tuaiva, M. Fabrice Verdier

Assistaient également à la réunion. - M. Luc Belot, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Régis Juanico, M. Pascal Popelin, Mme Monique Rabin, Mme Cécile Untermaier