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Commission des affaires économiques

Mercredi 5 octobre 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 2

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

– Audition de M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie auprès du ministre de l’économie et des finances

La commission a auditionné M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme la présidente Frédérique Massat. Mes chers collègues, nous sommes réunis pour entendre notre nouveau secrétaire d’État chargé de l’industrie, M. Christophe Sirugue, que notre assemblée connaît bien. À cette occasion, je me permets, Monsieur le ministre, de vous féliciter pour ces nouvelles responsabilités, qui sont nombreuses, car votre portefeuille ne comprend pas que l’industrie, mais aussi les services, les professions libérales et la poste, dont nous avons beaucoup parlé ce matin.

Je vous sais gré d’avoir bien voulu vous rendre à notre invitation très rapidement ; la situation d’Alstom ne constitue pas le seul sujet sur lequel nous souhaitons vous interroger, mais il est le principal. Comme vous le savez, notre commission a entendu le président-directeur général de cette entreprise, M. Henri Poupart-Lafarge, la semaine dernière, mais, des négociations étant alors en cours, il n’a pas été en mesure de nous en livrer précisément la teneur.

Un certain nombre d’annonces ont été faites hier, qui engagent, non seulement le Gouvernement et Alstom, mais également les collectivités. Votre audition arrive donc au bon moment, car elle nous permet de faire le point avec vous dans la transparence, comme vous l’avez d’ailleurs souhaité, sur un dossier important pour notre pays, notre industrie, ainsi que pour l’avenir de notre économie.

Notre commission des affaires économiques a procédé à beaucoup d’auditions sur d’autres sujets touchant à l’actualité industrielle comme les projets d’EDF à Hinkley Point. Nombre de parlementaires suivent le dossier de l’énergie, compétence que vous partagez pour partie avec la ministre de l’écologie, Mme Ségolène Royal, dont nous attendons toujours une réponse positive à notre invitation pour une audition.

Par ailleurs, au-delà de l’actualité relative au dossier d’Alstom, demeure le sujet de l’investissement productif ainsi que la question de l’évaluation d’un certain nombre de mesures prises par notre majorité, comme le pacte de responsabilité et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui commencent à porter leurs fruits. Peuvent encore être évoqué la transformation du secteur manufacturier par le numérique et l’industrie du futur, qui ont toujours constitué pour nous, comme pour le Gouvernement, des sujets de préoccupation.

Pour la première fois depuis 2009, la France crée plus de sites de production qu’elle n’en supprime, ce qui est un signe fort, et aujourd’hui, le site d’Alstom à Belfort fait partie de cette stratégie industrielle du Gouvernement. La semaine dernière, l’audition de M. Henri Poupart-Lafarge nous a quelque peu laissés sur notre faim, particulièrement au regard de la stratégie industrielle de l’entreprise. En effet, le Gouvernement n’est pas seul en cause dans ce domaine, l’entreprise a aussi des responsabilités dans le domaine de la diversification de ses activités, dans la répartition de la charge de travail entre ses divers sites, et nous n’avons pas obtenu de réponses à toutes nos questions.

Quoi qu’il en soit, hier vous avez annoncé des mesures s’articulant autour de trois axes conjoncturels, structurels et d’innovation, correspondant à des solutions à court, moyen et long termes pour le site d’Alstom à Belfort. C’est ce qui était demandé par ceux qui y travaillent et sont très inquiets, certes, mais aussi par tous les employés de l’entreprise répartis dans les sites se trouvant sur le territoire national.

Afin de maintenir l’activité du site de Belfort ainsi que l’expérience et le savoir-faire de ses salariés, aux côtés d’Alstom et de la SNCF, l’État jouera pleinement son rôle d’État stratège, car c’est là que résident ses capacités d’action. Il commandera notamment quinze rames de TGV, réorganisera les métiers de maintenance et de service du site, et préparera les projets de demain qui garantiront la pérennité des activités de l’entreprise à Belfort ainsi que celles de l’ensemble des sites d’Alstom sur notre territoire.

De son côté, le projet de TGV du futur progresse rapidement, et cette industrie devrait très prochainement connaître un certain nombre de réalisations concrètes. Cela sera l’occasion de faire jouer tous nos atouts, notamment l’atout majeur de notre savoir-faire, dont les agents d’Alstom et de ses filiales sont dépositaires.

Je vous laisse la parole, car nous sommes là avant tout pour vous entendre. Les députés qui le souhaitent vous poseront ensuite des questions. Vous disposerez de tout le temps nécessaire pour y répondre : nous sommes à votre entière disposition.

M. Christophe Sirugue, secrétaire d’État chargé de l’industrie auprès du ministre de l’économie et des finances. Je vous remercie pour cette invitation, Madame la présidente. Je considère, bien sûr, que c’est à moi qu’il revient de me mettre à votre disposition pour répondre aux questions que vous voudrez bien me poser, que ce soit sur Alstom ou sur d’autres sujets.

Les enjeux industriels sont fondamentaux ; aussi avons-nous besoin d’une appréciation commune des défis qu’il nous revient de relever, ainsi que d’une définition des différentes politiques que nous entendons retenir afin de permettre à notre industrie d’être la plus performante possible, que ce soit en termes humains, économiques ou de développement.

Si vous m’aviez invité la semaine dernière, Madame la présidente, je me serais trouvé dans la même situation que M. Henri Poupart-Lafarge, puisque nous étions dans une phase de discussion. Je suis très heureux d’être devant votre commission aujourd’hui, car je lis tant de choses surprenantes dans les expressions que j’ai pu découvrir de la part des uns ou des autres, ainsi que dans les analyses pouvant être faites, que je crois nécessaire de prendre le temps de présenter de façon très détaillée le plan arrêté hier à Belfort.

Ce plan répond à plusieurs objectifs, que vous avez rappelés dans votre exposé introductif, et il est nécessaire que chacun en connaisse tous les éléments. Le devenir du site de Belfort nous a mobilisés, conformément à la volonté du Président de la République, qui a formulé de manière très précise le souhait que ce site soit préservé.

Il faut conserver à l’esprit le lien unissant Alstom à Belfort ; son histoire remonte à la fin du XIXe siècle, et ce site est emblématique pour l’entreprise. Aujourd’hui, il emploie environ 500 personnes, il fabrique des locomotives, ce qui constitue son métier historique, ainsi que des motrices de TGV. L’entreprise réalise également de façon marginale des prestations de maintenance.

Le site de Belfort doit faire face à deux défis majeurs.

La production de locomotives est en baisse régulière, sans perspective réelle à court terme, d’autant moins avec la perte par Alstom d’un marché de 44 locomotives pour Akiem au cours de l’été 2016. Le marché domestique est peu dynamique, et les marchés à l’export sont porteurs de contraintes de localisation fortes puisque situés au Kazakhstan, en Azerbaïdjan et en Inde.

La production de motrices TGV jouit d’une perspective confortable avec le programme de TGV du futur, en cours de développement. Néanmoins, le site aurait eu à faire face à un creux de charge de deux ans en 2019 et 2020, qui aurait conduit à la perte du savoir-faire et de l’expertise industrielle du site de Belfort.

Devant ces défis, dont je prends ma part, la direction d’Alstom a annoncé, le 7 septembre dernier, son souhait de transférer les activités de production et d’ingénierie de locomotives, aujourd’hui situées à Belfort, vers Reichshoffen, dans le Bas-Rhin. Cette réorganisation devait s’étendre sur deux ans.

Si ce choix était compréhensible, du fait de l’absence de visibilité sur la production de locomotives et de beaucoup d’incertitudes sur celle des motrices TGV, il ne prenait pas en compte, pour ce qui nous concerne, les éléments majeurs que pouvait apporter une mobilisation des pouvoirs publics et des parties prenantes afin d’apporter des réponses stratégiques de long terme.

Le Gouvernement a pris le sujet à bras-le-corps, et le Président de la République a rapidement fixé l’objectif. Avec M. Michel Sapin, nous avons d’abord reçu la direction d’Alstom afin d’échanger sur la façon dont ce plan avait été annoncé, mais surtout sur les analyses justifiant l’appréciation qu’Alstom portait sur le site de Belfort.

Puis nous avons amorcé une phase de concertation, à laquelle j’ai souhaité avec insistance associer les élus locaux ainsi que les organisations syndicales, car il me semble que, devant une telle situation, il convient de garantir la plus grande transparence possible. L’information doit en effet être partagée afin que tous puissent avancer en disposant des mêmes éléments.

Parallèlement, nous avons engagé la discussion avec la direction d’Alstom, afin d’identifier les pistes de maintien de l’activité ferroviaire du site de Belfort, et de manière plus générale – j’insiste fermement sur ce point – pour l’ensemble des sites de l’entreprise. Car il n’était pas question d’avoir une approche consistant à déshabiller Pierre pour habiller Paul : nous sommes attentifs aux conséquences de nos propositions sur l’ensemble des sites d’Alstom.

Cette méthode symbolise ma vision de la politique industrielle : l’État doit avant tout rassembler les acteurs autour de la table, chercher des solutions constructives, et tâcher de les partager. Et j’ai déjà dit que je n’étais adepte ni des coups de menton, ni des déclarations péremptoires dont malheureusement la réalité tarde à venir, ni du laisser-faire, car l’État a une responsabilité en matière de politique industrielle.

Dès le début des discussions avec la direction, il nous est apparu que le site historique industriel de Belfort ne pouvait rester immuable. Notre but était donc d’apporter une réponse structurelle passant par la mobilisation de tous autour d’un projet commun. Cet objectif a ouvert de nouvelles pistes non prévues initialement, qui permettent le maintien d’une activité ferroviaire et industrielle sur le site de Belfort, tout en renforçant les autres sites d’Alstom.

Ce nouveau projet, je veux le redire ici, est porté par la direction d’Alstom, soutenu par l’État et les collectivités locales.

Trois axes de maintien de l’activité et de l’emploi sur le site de Belfort ont été identifiés et constituent un plan alternatif à celui envisagé initialement.

À court terme, la commande publique permettra de conforter et de maintenir la production à Belfort.

La SNCF a confirmé sa commande de six TGV pour la ligne Paris-Turin, via sa filiale SNCF Mobilités, et de vingt locomotives destinées au secours des trains en panne, en passant par sa filiale SNCF Réseau.

Ces deux commandes, qui ne sont en rien nouvelles puisqu’envisagées depuis plusieurs mois, répondent à un besoin exprimé par la SNCF, bien avant que nous fussions interpellés sur la situation du site de Belfort, et n’auront aucun impact sur les finances publiques, car déjà intégrés dans les projets d’acquisition tels que nous les connaissions.

L’État a annoncé la commande de quinze rames TGV Euroduplex pour la ligne Bordeaux-Marseille. Cette annonce a pour le moins fait couler beaucoup d’encre, c’est pourquoi je me permets d’en préciser le contenu ainsi que l’intérêt économique à long terme.

S’agissant tout d’abord des modalités de commande, je rappelle que l’État est autorité organisatrice des transports sur la ligne Bordeaux-Marseille, qui est, avec Paris-Limoges et Paris-Clermont-Ferrand, l’une des trois lignes structurantes identifiées par le rapport de M. Philippe Duron intitulé : « Trains d’équilibre du territoire : agir pour l’avenir », remis au secrétaire d’État chargé des transports le 26 mai 2015. C’est donc bien l’État qui choisit le matériel roulant sur ces lignes ; chacun doit avoir à l’esprit cette importante clé de compréhension du dispositif.

Je rappelle d’ailleurs que le secrétaire d’État aux transports, M. Alain Vidalies, avec qui j’ai beaucoup travaillé sur les propositions formulées, avait annoncé au mois de février 2016 que l’État commanderait du matériel roulant pour renouveler le parc ferroviaire vieillissant sur ces trois lignes. À l’époque, il lui avait été reproché de tarder à passer ces commandes. Il ne s’agit donc pas d’une commande supplémentaire – je verse cette donnée au débat. Ensuite, l’État s’appuie pour cette commande sur un contrat-cadre existant entre la SNCF et Alstom pour la fourniture de TGV, qui, en son temps, avait donné lieu à un nouvel appel d’offres remporté par Alstom. Il n’est donc pas nécessaire d’en passer un nouveau.

S’agissant du choix du matériel TGV, l’État avait deux possibilités : en premier lieu, faire l’acquisition de trains Intercités, pour un montant estimé à 350 millions d’euros, puis acquérir du matériel TGV, pour 450 millions d’euros, à la mise en service des lignes à grande vitesse –  telle était l’option jusqu’alors retenue – ; en second lieu, acheter dès maintenant du matériel TGV afin d’équiper la ligne existante, pour 450 millions d’euros, qui sera ensuite capable de circuler sur les lignes à grande vitesse dès leur mise en service.

Le Gouvernement a fait le choix de ne pas acheter du matériel deux fois. Il prend ainsi la meilleure décision à long terme pour le contribuable, qu’on nous a accusés de spolier : il donne en outre de la visibilité à six sites d’Alstom en France, et pérennise 1 500 emplois directs et 3 000 emplois indirects chez les sous-traitants.

Enfin, je le rappelle car des reproches nous ont également été faits à ce sujet, que des TGV roulent déjà sur de nombreuses lignes qui ne sont pas à grande vitesse : Le Mans-Quimper, Tours-Bordeaux, Marseille-Nice, et je pourrais en citer d’autres. Il ne s’agit donc en rien d’une pratique nouvelle. Quant à la question du coût de fonctionnement, sur lequel nous avons aussi été interpelés, le fait de choisir un matériel existant permet des gains substantiels de mutualisation avec le parc existant, notamment dans le domaine de la maintenance, ainsi que de développement, ce qui compense le surcoût de fonctionnement.

Par ailleurs, l’État a confirmé sa commande de trente rames Intercités, annoncée par le secrétaire d’État aux transports au mois de février dernier, qui permettra de donner de la visibilité au site Alstom de Reichshoffen.

À moyen terme, nous engageons, et c’était une demande adressée à l’État par Alstom, la diversification du site de Belfort en en faisant le centre européen de référence de la maintenance des locomotives du groupe. Il faut conserver à l’esprit que notre proposition ne pouvait pas se limiter exclusivement à de la commande publique, mais devait s’accompagner d’un engagement d’Alstom quant à l’avenir du site et quant à sa volonté d’en diversifier les activités.

Les activités de maintenance et de services sont indispensables pour les sites industriels comme celui de Belfort, car elles permettent de compenser une des difficultés majeures qu’est la cyclicité des commandes, inhérente à l’industrie ferroviaire. En effet, toute entreprise ne disposant que d’un seul marché, et n’ayant qu’une seule activité, est bien plus sujette aux aléas liés aux commandes que si elle se diversifie.

Développer la maintenance, c’est faire marcher le site de Belfort sur deux jambes au lieu d’une seule. Un plan de diversification de Belfort dans la maintenance et les services a été conforté : Alstom a annoncé qu’il y investira 5 millions d’euros, et le Gouvernement a obtenu que cette activité emploie à terme 150 salariés.

À plus long terme, enfin, 70 millions d’euros seront investis pour préparer l’avenir du site de Belfort

De fait, la compétitivité de l’industrie française passe indiscutablement par l’innovation, comme c’est d’ailleurs le cas dans bien d’autres domaines. C’est dans cette perspective – la seule pour pérenniser la production en France –, qu’Alstom et l’État consacreront 30 millions d’euros pour le développement du TGV du futur, qui bénéficiera aussi de la compétence du site de Belfort, et qu’Alstom investira 30 autres millions d’euros pour une nouvelle plate-forme de locomotives de manœuvre. J’ajoute qu’un investissement de 5 millions d’euros a été annoncé par Alstom pour la production de nouveaux types de véhicules à Belfort. Cet investissement s’appuiera sur les compétences fortes présentes sur le site, notamment la chaudronnerie, la soudure et le câblage.

Ce sont donc bien, au total, 70 millions d’euros qui sont investis pour préparer l’avenir du site de Belfort.

L’État a ainsi su ouvrir des pistes qui n’étaient pas envisagées jusqu’alors pour le devenir du site de Belfort, en travaillant sur des leviers susceptibles de rendre ce projet économiquement pertinent pour Alstom. À travers les discussions menées, le Gouvernement a défendu l’intérêt de l’industrie et des territoires, car nous sommes dans notre rôle lorsque nous considérons qu’une politique industrielle doit ménager les territoires chaque fois que c’est possible, et chaque fois qu’il y a un avenir. Et, en l’occurrence, nous ne sommes pas devant une filière privée d’avenir industriel.

La politique industrielle que nous menons a su répondre à une situation d’urgence, mais elle a surtout été pertinente, car elle prépare l’avenir. Nous n’avons ni suspendu, ni reporté ce plan ; nous avons présenté un plan alternatif ambitieux. Les annonces présentées par Alstom, le développement des activités de maintenance, mais aussi l’annonce d’une stratégie de diversification, visent précisément à nous assurer qu’un avenir de long terme émerge pour Belfort.

Cet engagement doit s’inscrire dans une perspective plus large pour la filière ferroviaire française, qui doit faire face à de nombreux défis.

Tout d’abord, nous sommes face à une demande intérieure stable, voire en diminution. Les marchés que nous pouvons gagner à l’export, et Alstom en est un champion, continuent à bénéficier à l’ingénierie française. Mais les pays donneurs d’ordres développent de façon croissante une forme de protectionnisme réglementaire, comportant une part prépondérante de production locale. Ensuite, les marges de la construction ferroviaire s’érodent, et certains produits deviennent progressivement des commodités. La concurrence sur les prix devient de plus en plus difficile, en particulier avec des productions dans des pays à bas coût de main-d’œuvre. Je pense notamment à la concurrence des nouveaux acteurs chinois, comme CRRC. Enfin, l’industrie ferroviaire est une industrie ancienne, confrontée à la révolution numérique et à l’importance grandissante des services. Or, ces activités concentrent une part toujours plus grande de la valeur ajoutée.

Enfin, je voudrais une nouvelle fois saluer le travail réalisé en totale concertation avec les dirigeants d’Alstom, avec les représentants syndicaux ainsi qu’avec les collectivités territoriales. Le relevé de décisions que nous avons publié à la fin de nos travaux est le fruit d’un travail réalisé en commun, ce qui prouve non seulement que nous avons partagé le projet présenté, mais encore que nous avons su entendre les avis de nos interlocuteurs.

J’affirme de façon très solennelle, Madame la présidente, que cette décision n’est ni électoraliste ni politique : la meilleure preuve en est que le PDG d’Alstom,
M. Henri Poupart-Lafarge, la soutient avec nous, dans l’intérêt de l’entreprise, des employés, et de toutes les parties prenantes.

Je rappelle que nous avons passé cet accord avec des collectivités de diverses couleurs politiques. Aussi nous taxer d’électoralisme relèverait-il de la mauvaise foi, alors que tous se sont accordés à reconnaître les qualités du plan que nous proposions.

Nous avons fait bien plus : nous avons trouvé un avenir industriel pour le site de Belfort, et nous avons consolidé la charge de travail des autres usines du groupe. Nous devons désormais poursuivre notre travail pour conforter la filière ferroviaire française – filière d’excellence. Je réunirai d’ailleurs, d’ici la fin de l’année, le comité stratégique de filière ferroviaire, afin d’apporter une réponse collective à ces enjeux.

Voilà, Madame la présidente, la présentation assez précise à laquelle je souhaitais me livrer, car la précision permet d’éviter les interprétations hasardeuses ; je suis maintenant à la disposition de la commission pour répondre à ses questions.

M. Frédéric Barbier. Merci, Madame la présidente, pour l’organisation rapide de ces auditions, qui ont permis à notre commission de prendre toute sa part dans le dossier Alstom.

Les mesures que vous avez annoncées hier, Monsieur le ministre, sont source de soulagement pour les salariés du site de Belfort, dont le maintien en activité est désormais assuré. Ainsi, 500 emplois directs et plus de 800 emplois chez les sous-traitants sont-ils sauvés dans les territoires de Belfort et Montbéliard. L’État et le Gouvernement ont évité une catastrophe économique et levé les craintes de 1 200 familles.

Au-delà du site de Belfort, c’est un fleuron de l’industrie française que vous avez voulu soutenir, comme la majorité l’a déjà fait au cours de la présente législature avec Peugeot, les chantiers navals de Saint-Nazaire, Areva, EDF ou l’aéronautique française, par les ventes du Rafale.

Pourtant, les engagements d’Alstom et de l’État suscitent des interrogations, et les médias s’en font l’écho. Les solutions proposées répondent aux attentes des salariés, des milieux économiques ainsi que du monde politique toutes tendances confondues, qui se sont exprimés dès l’annonce de la fermeture du site. Un dialogue constructif a été établi entre l’État, la direction de l’entreprise et les salariés sur l’avenir de la filière du transport ferroviaire.

La charge de travail du site de Belfort a été améliorée afin de lui donner un répit et bâtir une stratégie à plus long terme ; des investissements liés à la modernisation à la performance ont été réalisés afin de pérenniser l’établissement. Par ailleurs, la création du centre européen de maintenance, ainsi que les activités de recherche et développement pour le TGV du futur, le moteur hybride et les bus électriques, garantissent la diversification des activités.

Quel suivi le Gouvernement compte-t-il mettre en place afin de s’assurer que les engagements pris aujourd’hui seront effectivement honorés et la viabilité du site de Belfort garantie ?

Qu’attendez-vous de la part de la direction d’Alstom, en termes de résultats et de sa politique industrielle en France, en contrepartie des engagements de l’État ?

Vous l’avez souligné, le secteur ferroviaire constitue un fleuron de notre économie : il est nécessaire de le moderniser et de le développer. Le plan proposé met en évidence l’importance de notre politique de transports ferroviaires en France et en Europe : comment développer et moderniser notre réseau ? Qu’attendez-vous à cet égard de la part de la SNCF, notre opérateur national dans les domaines du fret et du transport de voyageurs ?

La commande de rames de TGV, passée par l’État en anticipation de la construction de lignes à grande vitesse, fait débat, particulièrement les liaisons Bordeaux-Toulouse et Montpellier-Perpignan. Disposez-vous d’informations relatives au calendrier de ces réalisations ainsi qu’à la mise en place des lignes à grande vitesse (LGV) ?

Depuis quelques jours, la presse économique fait ses titres sur une rupture avec les années précédentes : depuis six mois, le nombre des annonces d’ouverture de sites industriels dans l’Hexagone dépassent celui des fermetures. L’écart est encore faible, mais suffisamment important pour être signalé, car c’est la première fois depuis 2009 que le solde est positif pendant plus d’un trimestre.

Quelle est votre analyse de la situation de l’industrie française ainsi que votre appréciation de son évolution au cours des mois à venir ?

Enfin, je ne peux enfin m’empêcher d’évoquer l’industrie des deux-roues et trois-roues, chère à mon cœur, afin de vous demander si l’entreprise Peugeot Scooters, dont le site de fabrication est situé à Mandeure, dans ma circonscription, a un avenir. Depuis plusieurs mois, cette entreprise rencontre des difficultés importantes, et je renouvelle mon invitation à venir vous rendre compte sur place de la situation.

M. Lionel Tardy. Notre commission a entendu le président-directeur général d’Alstom la semaine dernière, et votre présence aujourd’hui, Monsieur le ministre, est bienvenue.

La chose a été dite et redite : l’État va commander quinze rames de TGV pour sauver le site Alstom de Belfort. Comme beaucoup de mes collègues, je demeure interrogatif à l’égard de ce sauvetage ; M. Gérard Larcher a évoqué ce matin un « rafistolage électoral », et il me semble difficile de dire autre chose.

Tant mieux pour les salariés de Belfort, bien sûr, mais tant pis pour les comptes de l’État et pour ceux qui devront payer les 500 millions d’euros, c’est-à-dire l’ensemble des contribuables, ou du moins les usagers de la SNCF. Il n’empêche que les syndicats ont fait leur calcul : pour le site de Belfort, l’horizon est d’un an et demi ; en y ajoutant l’éventuelle commande de la SNCF, le délai sera allongé de six mois. Cela permet de passer le creux de la vague, mais ne résoudra pas le problème, car le site ne peut pas « vivre indéfiniment aux crochets de l’État », comme l’a reconnu M. André Fage, délégué CFE-CGC à Belfort.

Tous ces problèmes auraient dû être anticipés par l’État, puisque, comme nous l’a confirmé M. Henri Poupart-Lafarge la semaine dernière, la fermeture du site de Belfort avait bien été évoquée en conseil d’administration, au sein duquel sont présents des administrateurs de l’État.

Il faut rappeler que l’éventualité de fermer le site de Belfort a été annoncée immédiatement après les résultats d’un appel d’offres européen lancé par Akiem, filiale de la SNCF, qui a préféré des locomotives allemandes aux locomotives françaises. C’est là le jeu du marché unique européen, que d’aucuns passent savamment sous silence, or tout achat public excédant un certain montant doit faire l’objet d’un appel d’offres transparent.

Le Gouvernement devra d’ailleurs rapidement justifier devant la Commission européenne, qu’en dehors de toute procédure réglementaire européenne, l’État français vient de procéder à un achat de 500 millions d’euros. Je répète que ce genre d’opération réclame un appel d’offres européen.

Ma question, que j’ai aussi posée ce matin en commission des finances à M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, est simple : avez-vous consulté la Commission européenne ? Pour ma part, j’estime que cette commande sera considérée comme une aide d’État ; qui paiera l’amende en dernier ressort ?

M. André Chassaigne. Je ne reviendrai pas sur le débat qui concerne Alstom, mais je m’interroge sur la notion d’État stratège, car la question est là. Existe-t-il véritablement une stratégie nationale de développement de l’industrie ferroviaire ?

À l’initiative de mon groupe, une commission d’enquête a rendu ses conclusions il y a quelques années sur ce sujet. Quelle est la maîtrise des grands groupes stratégiques de notre pays ?

Nous constatons que le problème de fond est constitué par cette déconnexion existant entre l’industrie ferroviaire française et le service des transports, la mobilité, la SNCF. Faut-il rappeler que certains pays, dont l’Allemagne, développent une stratégie toute différente de la nôtre ?

En Allemagne, la Deutsche Bahn et Siemens agissent toujours de concert lorsqu’il s’agit de qualification et d’homologation des matériels made in Germany, et l’État intervient sur le long terme dans le domaine du développement. Un lien très étroit a été tissé entre le service du transport et la production industrielle. Nous devons rétablir des liens étroits entre la SNCF et les grandes entreprises de l’industrie ferroviaire.

Or ce n’est pas ce qui s’est produit : des choix politiques ont été opérés dans le domaine de la politique des transports, et par plusieurs gouvernements. Nous sommes passés d’une priorité au ferroviaire à une politique privilégiant le routier, ce qui ne peut être sans conséquence sur l’industrie et l’environnement. Ces questions appellent des politiques portant sur le long terme ; certes, il y a urgence, et vous avez tenté d’habiller les choses. Je rappellerai néanmoins, qu’après le rapport de M. Philippe Duron, le renouvellement de certaines lignes avait été annoncé ; vous en avez d’ailleurs cité trois, dont Clermont-Ferrand-Paris.

À cette époque, 1,2 milliard d’euros avait été réservé sur le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), mais la volonté de passer des commandes pour des trains existants a fait défaut. Le Régiolis fabriqué par Alstom ne pouvait être qu’un palliatif, et les TGV ne correspondaient pas vraiment aux besoins des lignes d’équilibre du territoire puisqu’il avait été envisagé de les recycler pour cet usage.

On se trouve alors condamné à agir dans l’urgence, qui n’apporte que des solutions provisoires. Nous devons avoir une vision à plus long terme du développement de l’industrie ferroviaire ainsi que du type de transports que nous voulons pour notre pays.

M. Yves Blein. Monsieur le ministre, le journal Les Échos a annoncé hier que, pour la première fois depuis 2009, la France enregistrait un solde positif de création d’usines. Quelle interprétation faites-vous de ce résultat très encourageant ?

M. Louis Gallois, que nous avons entendu hier dans le cadre d’un groupe de travail sur l’industrie, a indiqué que les industries manufacturières en France représentaient 11 % du PIB, contre 16 % en Italie et 20 % en Allemagne. Ces chiffres donnent une idée du chemin à parcourir, mais considérez-vous que nous connaissons une perspective de réindustrialisation, ce qui constituerait un signal très positif pour notre pays ?

Comptez-vous prolonger le dispositif du suramortissement fiscal ainsi que le crédit d’impôt recherche (CIR), particulièrement appréciés du monde de l’industrie, car constituant d’efficaces moteurs de développement ?

La filière de la chimie, très importante en France et en Europe, est exposée à la rude concurrence des gaz de schiste et de leurs dérivés provenant des États-Unis, qui apportent aux chimistes américains, indiens et chinois des conditions d’accès à la matière première à des prix très bas. Mon propos n’est pas l’exploitation du gaz de schiste en France, même si je suis toujours surpris de constater le refus de chercher et de savoir.

Ce sujet fait-il partie de vos thèmes de réflexion ?

Mme Michèle Bonneton. Les décisions prises pour le site Alstom de Belfort sont-elles, selon vous, Monsieur le ministre, parfaitement compatibles avec le droit européen ?

Vous avez par ailleurs tenu des propos rassurants au sujet des divers sites français d’Alstom, en particulier le site alsacien de Reichshoffen, mais que pouvez-vous nous dire au sujet des autres sites, dont celui de Valenciennes ?

Les difficultés que connaît aujourd’hui le site de Belfort sont notamment dues à l’abandon du développement du fret ferroviaire, celui-ci résultant pour partie de l’abandon de l’écotaxe. Le Gouvernement est-il animé par la volonté de développer à nouveau le fret ferroviaire ? Car, le moins que l’on puisse dire, est que cette volonté n’apparaît pas clairement.

Au-delà du seul cas d’Alstom, à quels moyens est-il recouru pour conserver et développer nos industries ? Il s’agit d’emplois, de compétences, et parfois, de notre indépendance. Ainsi, notre sidérurgie est-elle mise à mal par l’acier chinois qui nous envahit : existe-t-il des mesures de protection à l’échelon européen ? Ce qui serait parfaitement justifié au regard des pratiques de dumping social et environnemental de ce pays.

De son côté, le crédit d’impôt recherche est très apprécié, mais on constate, malheureusement, que, souvent, les retombées et les innovations technologiques que ce dispositif favorise sont développées industriellement hors de France.

M. Jean-Luc Laurent. Monsieur le ministre, je demeure frappé par le manque d’anticipation dont a fait preuve Alstom ; c’est un gigantesque gâchis, dont se sont rendus coupables les présidents successifs du groupe.

Depuis une bonne vingtaine d’années, l’avenir de cette grande entreprise n’est pas assuré ; dès lors il est assez « gonflé » d’attendre des solutions de la part de l’État. « Gonflés » encore, les propos de M. Patrick Kron, lorsqu’il nous a présenté la vente de la branche énergie d’Alstom comme le moyen de sauver l’ensemble du groupe ! Cette supercherie est maintenant révélée au grand jour.

En outre, les déclarations faites par le PDG d’Alstom la semaine dernière devant la commission ont été incroyables : il nous a expliqué qu’il n’y avait pas d’autres moyens que de se résoudre aux décisions que le groupe avait annoncées au début du mois de septembre pour réduire l’activité du site de Belfort à de la simple maintenance.

C’est oublier que l’effort de recherche et développement, au sein du groupe Alstom, est assez faible, se situant à peine dans la moyenne française. En outre, cet effort est uniquement adossé à des contrats qui, parfois, ne sont pas honorés par les donneurs d’ordre.

Je veux saluer, Monsieur le ministre, les décisions prises, qui permettent de faire la jointure durant ces trois ans où les carnets de commandes étaient faibles, dans l’attente du TGV du futur devant intervenir quelques années après. Au regard de l’état des lieux, vous ne pouviez pas prendre de meilleures décisions. Il me semble toutefois impérieux d’éclaircir l’avenir en matière de politique industrielle. Ainsi, le fret doit-il être redressé, car il est passé de 20 % à 8 %. L’enjeu de la recherche et développement pour l’innovation ne doit pas être négligé.

Cette politique industrielle, vous ne devez pas la conduire seul, mais avec les entreprises et ces capitaines d’industrie qu’il nous revient de trouver dans notre pays.

La conclusion de l’accord portant sur la construction de la centrale nucléaire d’Hinkley Point a fait couler beaucoup d’encre, et inquiète dans l’entreprise comme à l’extérieur. Quelles sont les conditions que vous allez imposer pour lever les doutes ?

M. Hervé Pellois. La lecture de la presse du jour ressemble à un « copié-collé » : les attaques contre le sauvetage d’Alstom pleuvent, comme s’il s’agissait d’un échec du Gouvernement. On me permettra der m’interroger : que n’aurions-nous entendu si vous n’étiez pas parvenu à mettre sur pied un plan ? Que n’aurions-nous entendu si, depuis 2012, nous n’avions pas fait autant d’efforts pour redresser nos outils industriels, pris dans la tourmente depuis 2002 ?

Le rapport du comité de suivi du CICE, publié le 29 septembre dernier par France Stratégie, montre qu’en 2014 les créations d’emploi ont augmenté de 50 000 à 100 000 : que se serait-il passé si rien n’avait été fait ? A-t-on une idée du nombre d’emplois réellement sauvés et gagnés grâce à cette mesure ?

Enfin, quelle analyse faites-vous, Monsieur le ministre, de la situation de nos entreprises à la fin de 2016 ?

Mme Marie-Lou Marcel. Je souhaiterais, Monsieur le ministre, appeler votre attention sur la situation du groupe Arche, au sujet duquel une délégation de représentants des personnels a été reçue au ministère de l’économie et des finances. En son nom, je tiens à vous remercier pour votre écoute et votre efficacité.

Une procédure de cession de ce groupe est pendante devant le tribunal de commerce.

Sa filiale SAM Technologies se situe au cœur de la Mecanic Vallée, bassin d’emploi qui couvre trois départements. Les activités industrielles y sont l’automobile, l’aéronautique et la machine-outil. Plus de 180 entreprises y sont implantées, les métiers traditionnels sont bien représentés, comme la chaudronnerie, mais aussi certaines technologies avancées comme les composites. On y trouve encore de grands groupes, telle, justement, la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM), premier employeur privé de ma circonscription, avec 450 contrats à durée indéterminée (CDI) et 120 intérimaires. L’entreprise, spécialisée dans la sous-traitance automobile, dispose d’un plan de charge important ainsi que d’un savoir-faire reconnu.

Vous avez considéré, Monsieur le ministre, que l’État avait une responsabilité dans la politique industrielle. Cette politique doit soutenir l’entreprise, et ménager nos territoires, singulièrement là où il y a un avenir.

Nous souhaitons que, dans ce dossier, l’État stratège joue pleinement son rôle, tant dans l’accompagnement de cette entreprise que de ses sous-traitants, mais aussi des donneurs d’ordres que sont Peugeot et Renault, dont l’État est actionnaire.

Mme Marie-Hélène Fabre. Je m’associe aux propos qu’a tenus mon collègue Frédéric Barbier concernant le TGV, la ligne Montpellier-Narbonne-Perpignan traversant ma circonscription. Un rapport sénatorial publié la semaine dernière indique que quatre lignes sont à « geler » dans les quinze ans à venir, dont celle-ci.

Par ailleurs, les annonces de votre prédécesseur concernant la recapitalisation d’Areva, censée intervenir au mois de février 2017, seront-elles tenues ?

Enfin, je ne referai pas l’historique des reclassés de La Poste, mais quelques 3 000 agents de France Télécom et d’Orange qui avaient choisi, en 1993, de rester dans la fonction publique d’État sont aujourd’hui dans une situation d’injustice, et le Conseil d’État a jugé qu’ils pouvaient être rétablis dans leurs droits à avancement. Notre commission a constitué une mission de médiation, conduite par notre collègue Henri Jibrayel, mais force est de constater l’échec complet de cette mission, La Poste n’ayant aucune volonté réelle d’ouvrir la discussion. Qu’est-il envisagé dans ces conditions ?

M. Yves Daniel. Deux mots : satisfaction et amertume. Satisfaction, bien sûr, à l’égard du sauvetage d’Alstom ainsi que du maintien de l’emploi et du développement de son activité. Amertume parce qu’il y a environ deux ans, nous avons vu fermer à Châteaubriant, en Loire-Atlantique, les Ateliers bretons de réalisation ferroviaire (ABRF), qui étaient pourtant rentables. À l’époque, je me suis dit que c’était parce que notre pays n’avait pas de politique ferroviaire. Mais il semble, au vu de ce qui se passe aujourd’hui, que nous en ayons enfin une, et j’en suis très heureux. Au-delà de la question d’Alstom, j’aimerais comprendre quel est le projet politique ferroviaire à moyen et à long termes, non seulement pour notre pays mais également en Europe et dans le monde – pour que la France ait sa place, à la fois dans le fret et le transport collectif.

M. le secrétaire d’État. Je voudrais tout d’abord vous remercier, Monsieur Frédéric Barbier, d’avoir participé à la mobilisation. On parle de Belfort, mais tout le bassin de vie de Montbéliard, dont vous êtes l’élu, est également concerné. Il est important que nous ayons un lien permanent avec les élus locaux, indépendamment de leur couleur politique, et avec les parlementaires que vous êtes. Je voudrais donc vous remercier vivement des informations sensibles que vous nous avez transmises grâce à votre connaissance du territoire : elles sont extrêmement importantes pour pouvoir apprécier un dossier.

Je reviendrai un instant sur les conditions dans lesquelles nous avons annoncé les conclusions de nos travaux. Nous l’avons fait à Belfort, tout d’abord, par une présentation commune du président-directeur général d’Alstom et du représentant du Gouvernement, au terme d’un travail constructif mené sur place avec les organisations syndicales et les collectivités locales, et ensuite par une communication de presse commune. Si j’insiste sur ce déroulement, c’est pour souligner, d’une part, que nous avons un accord écrit et, d’autre part, que cet accord a été présenté puis discuté devant les organisations syndicales, que les collectivités locales ont participé à son élaboration et que ce même accord a fait l’objet d’une communication très large. Cela montre l’affirmation d’un projet qui engage l’État et Alstom également.

Le texte que nous avons élaboré mentionne un comité de suivi composé de représentants d’Alstom, de l’État, des organisations syndicales et des collectivités territoriales. L’objectif est que ce comité de suivi se réunisse régulièrement, pour pouvoir attester du respect des engagements pris – parmi lesquels la commande de trente trains d’équilibre du territoire (TET) dès novembre 2016. Des rendez-vous ont donc été programmés.

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur l’organisation de la filière. Un travail a déjà été entamé, dans le cadre du Conseil national de l’industrie, par le comité stratégique de filière qui doit rendre ses conclusions avant la fin de l’année. Ce support me semble très intéressant puisque la filière regroupe à la fois les donneurs d’ordres, les principaux opérateurs, les constructeurs, mais aussi les PME et les TPE. J’insiste sur ce point car, en cas de séisme économique, on se mobilise souvent pour l’entreprise principalement touchée, mais il ne faut jamais oublier que derrière celle-ci se trouve un énorme tissu de TPE et de PME. Avant de prendre position sur ce que doit faire la filière, j’attends qu’elle nous dise quelle analyse elle fait de la situation et quelles pistes de travail elle nous suggère. Je veux redire ici combien je juge indispensable que les acteurs de la filière se parlent et se coordonnent.

Le président André Chassaigne a mentionné ce qui se pratique en Allemagne, mais les règles européennes s’appliquent outre-Rhin comme en France. Nous ne pouvons nous limiter à l’échelle nationale, et nous avons un débat au niveau européen. Nous nous sommes ainsi organisés face à la concurrence agressive de l’acier chinois. J’ai assisté la semaine dernière à Bruxelles à un comité stratégique, où nous avons évoqué les outils à mettre en place pour permettre à l’Europe de faire face à cette agressivité commerciale. Lorsque je suis allé, il y a quinze jours, à Berlin au salon InnoTrans – le salon mondial du ferroviaire –, nous avons également débattu de ces questions avec M. Sigmar Gabriel, le ministre allemand de l’économie. Nous nous sommes notamment demandé comment nous pourrions, de la même façon que face à l’acier chinois, nous mobiliser sur la question ferroviaire. Car il faut savoir que, tout récemment, les deux plus grandes entreprises ferroviaires chinoises d’État se sont unies pour former un nouveau groupe qui, à lui tout seul, est plus fort et plus grand que Siemens, Bombardier et Alstom réunis. Lorsque j’ai rencontré, à l’ambassade de France à Berlin, les entreprises françaises et allemandes, même ces dernières ont évoqué la question de savoir comment l’Europe – et plus particulièrement la France et l’Allemagne – pouvait s’organiser face à ces enjeux. Bref, si je partage l’avis du président André Chassaigne quant à la nécessité de parler de filière française, il faut évidemment aussi traiter la question au niveau européen, sans quoi l’on risque de pécher soit par naïveté, soit par excès de protectionnisme. Je rappelle que 40 % de l’activité d’Alstom est destinée à l’export : nous devons donc être attentifs aux conséquences des messages que nous sommes parfois tentés d’adresser.

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé, plus généralement, sur la politique industrielle. Nous avons trois orientations.

La première part de l’idée qu’il y a un avenir pour les filières industrielles et pour une stratégie industrielle dans notre pays. Il nous faut sortir d’une vision archaïque de l’industrie et porter cette dimension industrielle, y compris dans le débat de société. J’étais ce matin avec M. Michel Sapin au Mondial de l’automobile, où je m’étais d’ailleurs déjà rendu vendredi dernier. Je rappelle que, si l’État n’était pas intervenu, l’industrie automobile française ne serait peut-être pas dans son état de bonne santé actuel ! Quand on m’interroge sur le rôle de l’État, je me permets de donner cet exemple. J’ai aussi reçu, l’autre jour les professionnels des industries de santé, domaine qui, lui aussi, revêt des enjeux déterminants. Bref, il est nécessaire de tenir un discours positif sur notre capacité industrielle.

Deuxième orientation : si l’on veut pouvoir tenir ce discours, il faut être capable d’en tenir un également sur la modernisation : c’est toute la question de l’industrie du futur. L’innovation, ce n’est pas seulement le numérique. Si nous n’avons pas l’ambition d’exiger que l’industrie du futur tienne compte des enjeux environnementaux et sociaux, et que les donneurs d’ordres soient exemplaires à l’égard de leurs sous-traitants, nous oublions une partie de ce qu’est l’enjeu industriel.

Enfin, et c’est notre troisième orientation, il faut, je n’ai pas peur de le dire, défendre notre outil industriel : localement, d’une part, et c’est le rôle des commissaires au redressement productif, en partenariat avec les régions, dont nous avons choisi de renforcer le rôle dans le domaine économique ; au niveau européen, d’autre part, car nous avons besoin d’outils pour nous protéger, sans tomber pour autant dans un protectionnisme exacerbé. Les politiques industrielles ont donc vraiment un rôle à jouer. Certaines filières fonctionnent bien, d’autres moins bien.

Nous avons déjà parlé de Peugeot Scooters, Monsieur Frédéric Barbier, lorsque nous nous sommes rencontrés dans mon bureau. Quatre cents personnes travaillent sur le site installé dans votre circonscription, et qui rencontre des difficultés financières réelles, ainsi qu’un problème de plan de charge lié au retard de développement du scooter P340. Nous souhaitons faire suivre le dossier par le commissaire au redressement productif et la direction régionale des entreprises, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Mon cabinet est également mobilisé. Nous allons demander à rencontrer la direction du groupe Mahindra pour faire le point sur la stratégie du site, car le moins que l’on puisse dire est qu’elle manque de visibilité. Forts de ces éléments, je vous propose que nous nous retrouvions pour évoquer l’avenir de Peugeot Scooters.

Je souhaiterais corriger un propos de M. Lionel Tardy : l’achat de quinze rames de TGV ne pèsera pas sur les usagers de la SNCF. Je le dis car il y a confusion entre ce qui relève de la SNCF et ce qui relève de l’État. Il s’agit bien d’une commande de l’État. Si nous avons capacité de passer commande, c’est parce que nous sommes autorité organisatrice de transport sur les lignes concernées. Quant à savoir si c’est une mauvaise opération financière, je redirai ce que j’ai indiqué tout à l’heure : au départ, nous envisagions d’acheter pour 300 millions d’euros de rames TET, puis ces fameuses rames TGV – qui, je le rappelle, étaient programmées – pour 450 millions d’euros. Nous proposons de supprimer l’étape intermédiaire. C’est plus avantageux en termes de dépense publique, mais présenterait selon certains – dont je ne fais pas partie – l’inconvénient de faire rouler des TGV sur des lignes Intercités. J’ai énuméré nombre de lignes où cela se fait déjà depuis des années et au sujet desquelles je n’ai jamais entendu personne se plaindre, et les usagers encore moins, car ils y gagnent en confort. Nous sommes en l’occurrence dans le cadre d’un projet prévoyant le développement de ces lignes et faisant, je le rappelle, l’objet d’une déclaration d’utilité publique (DUP). L’accusation qui nous est adressée de dépenser l’argent n’importe comment est donc infondée.

J’ignore ce que vous a dit M. Henri Poupart-Lafarge la semaine dernière sur l’anticipation de la baisse de charge par Alstom, mais je puis clairement affirmer que, si les difficultés liées au carnet de commandes ont été évoquées en conseil d’administration, jamais il n’y a été dit que serait proposée la fermeture du site de Belfort. Il importe que cela soit dit, car, là-dessus également, on a entendu tout et n’importe quoi. J’ai moi-même indiqué publiquement que le dossier que j’avais trouvé à mon arrivée à Bercy contenait effectivement des éléments quant aux inquiétudes du groupe en matière de commandes, mais non pas quant à l’annonce de la fermeture du site de Belfort.

Akiem, filiale de la SNCF, est à 50 % française et à 50 % allemande. Il se trouve que ce sont des Allemands qui ont remporté le marché : tant pis pour nous, mais il faut regarder les choses en face : nous ne sommes pas, et c’est heureux, en mesure d’intervenir dans les appels d’offres.

Contrairement à ce que vous avez affirmé, Monsieur Lionel Tardy, l’État n’aura pas à se justifier devant la Commission européenne. Etant autorité organisatrice de transport, il peut passer des commandes sans être suspectés d’apporter une aide d’État, directe ou indirecte, à l’entreprise. Nous le faisons, qui plus est, au titre d’un contrat-cadre ayant déjà donné lieu en 2007 à un appel d’offres remporté par Alstom, et qui prévoyait des commandes fermes et optionnelles couvrant les quinze rames de TGV en question.

Monsieur le président André Chassaigne, ce que nous proposons pour Belfort n’est pas une solution provisoire. Ayant en commun, vous et moi, d’avoir dans nos territoires des bassins industriels en difficulté, nous savons bien que lorsque l’activité y est tributaire d’un seul secteur, sa fragilité est plus grande. C’est pourquoi le plan que nous proposons vise à contribuer à la diversification de la production et de l’activité de maintenance, grâce à des investissements. Je fais partie, comme vous, des élus qui, quand ils vont visiter une entreprise, demandent toujours quelle part elle consacre à l’investissement. En règle générale, lorsque cette part est importante, c’est le signe que l’entreprise est attachée au site. Je considère que les 70 millions d’euros d’investissements annoncés pour le site de Belfort, et figurant dans l’accord public écrit dont j’ai parlé, nous permettent d’affirmer que la solution retenue, loin d’être provisoire, offre des perspectives à ce site.

M. Yves Blein m’a interrogé sur les bons chiffres relatifs aux créations nettes des sites industriels. Depuis six mois, mon cabinet a recensé quatre-vingt-deux créations d’usines contre soixante-quinze fermetures. Ce résultat important n’est pas le fruit du hasard mais, entre autres, une conséquence des choix faits par le Gouvernement, à commencer par celui d’instaurer le CICE, qui permet aux entreprises de restaurer leurs marges et donc d’investir. En outre, ces nouvelles usines utilisent des outils d’aide à la robotisation.

M. Hervé Pellois m’a demandé si l’on disposait d’un bilan du CICE. Des éléments ont été, vous le savez, donnés récemment. Nous aurons, d’ici à la fin de l’année, ouvert 45 milliards d’euros de droits depuis la création du dispositif, au bénéfice d’un million d’entreprises environ. Les premières analyses effectuées par France Stratégie montrent qu’il est un peu tôt pour dresser un bilan précis. On sait que le CICE a permis aux entreprises de restaurer rapidement leurs marges. Entre 50 000 et 100 000 emplois ont été créés ou sauvegardés entre 2013 et 2014, nous dit France Stratégie, ce qui recoupe assez largement nos estimations ainsi que celles de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Il nous faut poursuivre ce travail d’évaluation, en gardant à l’esprit que la montée en charge du dispositif est progressive et que nous attendons aussi du CICE un certain impact en termes de recherche et développement – élément déterminant de la compétitivité de nos entreprises. Autre bonne nouvelle : le coût horaire du travail en France est aujourd’hui passé en dessous de celui de l’Allemagne.

S’agissant de la filière de la chimie, soyons clairs : le Gouvernement est opposé à l’exploitation du gaz de schiste, car elle repose sur la fracturation hydraulique, et il ne reviendra pas sur cette position. Cela étant, bien d’autres éléments sont en discussion dans cette filière. J’ai annoncé mon intention de réunir les comités stratégiques de toutes les filières – ce fut le cas ce matin pour l’automobile, ce le sera prochainement pour la chimie – afin de faire le point sur les engagements pris par les uns et les autres, sur le déroulement des différentes procédures et sur la nécessité éventuelle de donner un coup de pouce pour qu’elles avancent de façon plus satisfaisante.

Il est vrai, Madame Michèle Bonneton, que, parmi les différents sites du groupe Alstom, Valenciennes ne bénéficie pas directement des commandes retenues dans notre plan, mais ce site tirera peut-être profit des appels d’offres en cours, dont je ne connais évidement pas le résultat. Il nous faut attendre encore un peu pour le connaître.

M. Jean-Luc Laurent a raison : une des leçons à retenir de ce dossier est l’importance de l’anticipation. Je constate toutefois qu’Alstom, globalement, ne va pas mal. Lors des discussions que nous avons eues avec les organisations syndicales et le PDG d’Alstom, nous avons évoqué la répartition de la charge de travail, qui peut être une manière pour l’entreprise d’éviter les à-coups de production, et émis le souhait que les commandes décidées permettent un tel lissage. J’ai dit aussi quelle était ma conviction profonde quant à la filière : elle a de l’avenir, mais elle doit s’organiser, notamment au niveau européen, pour faire face à une forte concurrence.

Je ferai à présent un point sur le nucléaire. C’est une bonne nouvelle que la confirmation par la Grande-Bretagne de l’achat des deux réacteurs EPR. Que n’aurait-on dit si elle ne l’avait pas confirmé ? C’est une bonne nouvelle pour EDF, mais aussi pour l’ensemble de la filière, car le projet intéresse 4 500 emplois directs en France. J’ai bien évidemment été alerté de certaines inquiétudes, qui ont même donné lieu à une démission au sein de la direction EDF, mais je rappelle qu’une évaluation des risques a été faite, et qu’EDF en a tiré des enseignements pour renforcer sa solidité financière, grâce à des mesures internes de nature à améliorer les marges de l’entreprise, à des ventes d’actifs et à une recapitalisation.

Cela m’amène à faire le lien entre cette question et celle de Mme Marie-Hélène Fabre sur Areva. Les délais seront tenus, de sorte qu’au début de l’année 2017 nous assisterons bien aux recapitalisations annoncées, à hauteur de 5 milliards d’euros pour Areva, sachant que la réorganisation juridique du groupe est en cours. Le nouvel Areva sera recentré sur les activités du cycle et des mines. Cette réorganisation avance plutôt bien, et la Commission européenne instruit le dossier dans un esprit de bonne coopération, selon un calendrier compatible avec notre objectif de procéder à l’augmentation de capital au début de l’année 2017. Les éléments d’alerte, que je n’ai jamais sous-estimés, ont été pris en compte pour s’assurer qu’EDF assainira sa situation financière.

Mme Marie-Lou Marcel m’avait alerté très rapidement de la situation du groupe Arche. Je comprends bien ce que ce dernier représente pour un territoire comme le sien, et j’ai dit tout à l’heure que l’action de l’État devait tenir compte des enjeux territoriaux. Cela ne veut pas dire que nous soyons capables d’intervenir partout, notamment dans les cas où la filière a peu d’avenir. Mais notre rôle peut aussi consister à favoriser les reconversions et l’accompagnement. En l’occurrence, il ne s’agit pas d’un problème de marché, mais d’une relation compliquée entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Il nous faut être très réactifs, et c’est le cas. Mme Marie-Lou Marcel a été reçue hier au ministère. Nos services se sont fortement mobilisés et discutent avec le groupe Arche des engagements qu’il est prêt à prendre. Il existe des marques d’intérêt pour des offres éventuelles, et j’ai demandé au commissaire au redressement productif de mettre en place un comité de suivi regroupant l’État, la région, les organisations syndicales, les élus et les sous-traitants. Je crois beaucoup à ces outils permettant de rassembler des informations et de cheminer ensemble. L’avenir passe par le renforcement de la filière mécanique, notamment grâce au cluster Mecanic Vallée. Nous allons prendre toute notre part pour vous accompagner dans le traitement de ce dossier important.

Mme Marie-Hélène Fabre m’a interrogé au sujet des reclassés de La Poste, dont votre commission suit le sort avec attention. Nous parlons là des 5 % de fonctionnaires de La Poste et de France Télécom qui, en 1993, ont refusé d’intégrer les nouveaux corps. Aujourd’hui, compte tenu de l’absence de recrutement externe dans le corps de reclassement et de l’existence de quotas statutaires, il est vrai que les possibilités de promotion de ces fonctionnaires se sont trouvées pour le moins réduites. Cette situation a été traitée par le biais de mesures prises en 2004 pour Orange, puis en 2009 pour La Poste. Il semble toutefois difficile de procéder à une reconstitution de carrière collective des reclassés pour les années sans promotion, à la fois parce que les juridictions administratives excluent une telle promotion automatique et parce que ce serait une mesure générale, créant objectivement une inégalité de traitement. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Un accord social a été signé unanime à La Poste en février 2015 sur la revalorisation des grilles indiciaires des fonctionnaires des catégories B et C, et les décrets correspondants ont été publiés. Sous l’impulsion de votre commission et du Gouvernement, des discussions sont en cours avec La Poste comme avec Orange : on ne peut donc d’ores et déjà, comme a cru devoir le faire M. Henri Jibrayel, dresser un constat d’échec. Les organisations syndicales et les directions des deux entreprises négocient, et ces négociations ont déjà permis d’intégrer plusieurs mesures au projet d’accord actuellement à la signature des organisations syndicales. Parmi ces mesures se trouvent la réouverture du droit d’option, qui offre un gain financier immédiat ainsi qu’un impact positif sur le montant de la retraite, et l’augmentation du volume de promotion des reclassés qui ne voudraient pas faire usage de ce droit. Il nous faut laisser les négociateurs aller jusqu’au bout de ce processus avant de dresser quelque constat que ce soit.

Ne connaissant pas, cher Yves Daniel, le dossier de la Loire-Atlantique, je ne me hasarderai pas sur ce point, mais je veux redire que ce n’est pas parce que nous sommes en période électorale que nous avons porté secours à Alstom Belfort. Nous sommes intervenus parce que nous considérions avoir un rôle à jouer – et pas seulement parce que nous détenons 20 % du capital d’Alstom. Lorsque des évolutions permettant un développement industriel sont possibles, je ne vois pas pourquoi l’État ne serait pas au rendez-vous.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous entendons bien vos propos concernant les reclassés de La Poste. Il est vrai que plusieurs membres de notre groupe de travail sont déçus, mais ce dernier n’a pas pour autant terminé ses travaux. Nous avons encore des pistes à creuser, et le groupe de travail sera à même de vous rencontrer à nouveau pour faire le point sur le dossier.

M. André Chassaigne. Je voudrais aborder deux sujets dont je n’ai pas parlé tout à l’heure, sans attendre forcément une réponse immédiate.

Le premier concerne le niveau – ou la marge – d’intervention de l’État dans la politique industrielle. Il convient de prendre à bras-le-corps cette question, qui touche à des cas précis sur nos territoires.

Le deuxième a trait aux pratiques des services de l’État au niveau local. Les élus n’obtiennent pas forcément les réponses qu’ils voudraient avoir, et ne sont pas toujours considérés comme étant les mieux à même de régler certaines situations. Nous avons même parfois les pires difficultés à obtenir la réunion d’une table ronde pour trouver des solutions ! C’est une réalité que je vis, malheureusement, et qui a pu être différente sous d’autres gouvernements. Cela ne veut pas dire que les résultats aient été meilleurs, mais il y avait, sur les questions industrielles, une écoute que l’on n’a plus aujourd’hui. Je citerai deux cas pour illustrer mon propos.

Premier cas : je vous ai récemment écrit concernant l’usine Flowserve de Thiers, après avoir adressé une question au Gouvernement – en l’occurrence, au ministre Emmanuel Macron. Dans cette affaire, ce dernier a – pour reprendre un mot que vous avez employé – donné des coups de menton et fait des déclarations péremptoires, mais sans résultats concrets. Cette entreprise de quatre-vingt-cinq salariés, qui fabrique des vannes stratégiques pour la marine nationale, notamment pour le porte-avion Charles-de-Gaulle et les sous-marins nucléaires, ferme. Les vannes vont désormais être fabriquées en Autriche, peut-être demain en Inde. Cette question de fond n’a pas été résolue et, alors même qu’il y a une possibilité de reprise, fût-elle partielle, de l’activité, je n’ai pas obtenu la table ronde que j’avais sollicitée – qui aurait réuni le groupe américain Flowserve, les salariés et les différentes parties prenantes – parce qu’on l’a considérée comme non pertinente. Cela pose un problème de méthode et d’intérêt national : l’État, par excès de prudence ou peur de ne pas obtenir de résultats, ne met pas les choses sur la table avec transparence.

Second cas : des couteliers de Thiers disposent de stocks d’ivoire datant d’avant 1975, qui sont agréés et autorisés et qui servent à la coutellerie d’art. Or, d’un seul coup, alors que ces stocks reconnus par l’État valent beaucoup d’argent, on interdit d’utiliser l’ivoire pour la fabrication nouvelle de couteaux. Cela a des conséquences financières sur les artisans concernés.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Je voudrais à mon tour interroger le ministre sur la société Écopla, en Isère, qui fait l’objet d’un projet de reprise par une société coopérative et participative (SCOP) montée par vingt salariés. Ces derniers sont soutenus par le commissaire au redressement productif, mais, en juin, le tribunal avait donné la préférence à un concurrent italien. L’audience a lieu cet après-midi et le jugement sera mis en délibéré jusqu’au 20 octobre. Pourriez-vous nous confirmer votre soutien dans cette affaire ? Comment faire pour favoriser le maintien de cette SCOP qui garderait les salariés d’Écopla alors que le concurrent italien ne reprendrait que le matériel mais aucun emploi ?

M. le secrétaire d’État. Je répondrai tout d’abord au président André Chassaigne.

En termes de méthode, tout d’abord. Ayant été alerté de la situation de Peugeot Scooters, j’ai reçu les salariés de l’entreprise, le député Frédéric Barbier et le sénateur Martial Bourquin. Ayant été interpellé sur STX, j’ai reçu l’autre jour tous les élus du secteur. Concernant Alstom, je crois avoir fait la démonstration de ma mobilisation. S’agissant d’Arche, Mme Marie-Lou Marcel a été reçue hier. Je veux dire par là que pour pouvoir traiter ces questions correctement ensemble, il faut qu’il y ait échange et rencontre. Je vous redis ma disponibilité à cette fin.

Je m’engage à examiner avec le commissaire au redressement productif le dossier Flowserve que vous venez d’évoquer. S’agissant de l’autre dossier, j’ai lu le courrier que vous m’avez remis la semaine dernière. Nous sommes, il est vrai, face à une vraie difficulté, étant donné l’interdiction d’utiliser l’ivoire. La question est de savoir si l’on peut ou non utiliser les stocks existants. Ne détenant pas la réponse, j’ai transmis votre courrier aux services du ministère, dès que vous me l’avez remis, la semaine dernière, lors des questions au Gouvernement, et je vous apporterai rapidement la réponse la plus précise possible.

S’agissant du rôle de l’État en matière de politique industrielle, j’essaie d’éviter deux écueils. Il faut, selon moi, veiller, y compris par respect pour les salariés, à ne pas laisser penser que l’État peut tout. Cela ne veut pas dire que l’État ne puisse rien faire. On m’a dit à maintes reprises que je faisais le « pompier » : je n’ai pas du tout le sentiment d’être dans ce rôle. Cela fait partie de ma mission que d’accompagner les entreprises en difficulté. Parfois, nous avons la capacité de nous mobiliser – soit parce que nous sommes au capital de l’entreprise, soit parce que nous y avons une majorité de blocage comme chez STX. Quoi qu’il en soit, je crois que nous devons être là, mettre les gens autour de la table et essayer de faire avancer les dossiers, mais sans laisser penser que nous pourrons tout faire. Par ailleurs, il faut aussi que les chefs d’entreprise assument leur rôle. Il est trop facile de venir chercher l’État quand cela ne va pas, et d’être de ceux, le reste du temps, qui considèrent que l’État se mêle de ce qui ne le regarde pas ! Nous sommes parfois dans des situations schizophréniques tout à fait ahurissantes. Il faut, je crois, que l’État dise quelles sont ses ambitions : remettre au cœur de la société le débat sur l’avenir industriel, tout d’abord ; œuvrer en faveur de l’industrie du futur, ensuite ; et, enfin, défendre nos industries, aux côtés des acteurs locaux voire au niveau européen quand il le faut.

Nous avons suivi la situation d’Écopla – Mme Martine Pinville a reçu une délégation au ministère sur ce sujet – et avons dit clairement quelle était notre préférence. Nous avons co-signé, Martine Pinville et moi-même, une lettre au procureur de la République pour dire que nous soutenions l’opération menée par les salariés réunis en SCOP. M. Michel Sapin l’a fait également. Cela étant, je ne veux ni ne peux m’immiscer dans une décision de justice. L’appel était examiné cet après-midi ; nous allons attendre le délibéré. Mais nous nous sommes mobilisés et avons même pris position très clairement – encore une fois, non pas auprès du juge mais du procureur, pour ne pas interférer dans les décisions du tribunal.

Mme la présidente Frédérique Massat. Je vous remercie pour vos réponses et pour la disponibilité dont vous faites preuve, Monsieur le secrétaire d’État. Nous serons amenés à nous revoir, compte tenu des nombreux dossiers qui nous concernent et de notre devoir de vigilance.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 5 octobre 2016 à 16 h 15

Présents. – M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bies, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. André Chassaigne, Mme Karine Daniel, M. Yves Daniel, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Goldberg, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Hervé Pellois, M. Lionel Tardy

Excusés. – M. Denis Baupin, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Jeanine Dubié, M. Georges Ginesta, M. Jean Grellier, M. Thierry Lazaro, M. Jean-Pierre Le Roch, M. Philippe Armand Martin, M. Kléber Mesquida, M. Germinal Peiro, M. Dominique Potier, M. Bernard Reynès