Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires économiques > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires économiques

Mercredi 30 novembre 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 28

Présidence de M. Jean Grellier, Vice-Président

– Table ronde, sur l’industrie du cinéma, avec la participation de Mme Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), Mme Carole Scotta, présidente de la société de production et de distribution « Haut et court » et co-présidente du syndicat des distributeurs indépendants réunis européens (DIRE), M. Jean-Baptiste Dupont, président de LGM Productions et vice-président de l’association des producteurs indépendants (API), et M. Richard Patry, président de la fédération nationale des cinémas français (FNCF). 2

La commission a organisé une table ronde sur l’industrie du cinéma, avec la participation de Mme Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), Mme Carole Scotta, présidente de la société de production et de distribution « Haut et court » et co-présidente du syndicat des distributeurs indépendants réunis européens (DIRE), M. Jean-Baptiste Dupont, président de LGM Productions et vice-président de l’association des producteurs indépendants (API), et M. Richard Patry, président de la fédération nationale des cinémas français (FNCF).

M. Jean Grellier, président. Je vous prie de bien vouloir excuser Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques, qui, avec le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, et le directeur général de la gendarmerie nationale, assiste à la cérémonie d’hommage au major Christian Rusig, commandant de la brigade territoriale de la gendarmerie de Tarascon-sur-Ariège, décédé tragiquement samedi soir dans l’exercice de ses fonctions.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour une table ronde consacrée à l’industrie du cinéma. Je souhaiterais d’abord remercier nos invités d’avoir répondu à notre invitation : Mme Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), M. Jean-Baptiste Dupont, président de LGM Productions et vice-président de l’association des producteurs indépendants (API), Mme Carole Scotta, présidente de la société de production et de distribution « Haut et Court » et co-présidente du syndicat des distributeurs indépendants réunis européens (DIRE) et M. Richard Patry, président de la fédération nationale des cinémas français (FNCF).

L’organisation d’une telle table ronde, décidée par le bureau de notre commission, est une première. Elle ne prétend pas représenter l’ensemble de la profession, dont les acteurs sont multiples, mais vise à aborder les enjeux économiques de l’industrie cinématographique.

La France est le premier marché du cinéma en Europe. Le cinéma et l’audiovisuel représentent une valeur ajoutée de 8,5 milliards d’euros, soit près de 1 % du PIB, et génèrent plus de 340 000 emplois. Les infrastructures d’exploitation sont les plus importantes et les plus denses d’Europe.

Malgré ces bons résultats, le secteur fait face à plusieurs difficultés. D’abord, le risque de surproduction est jugé sérieux alors que la part de marché des productions françaises baisse sur le marché domestique. Par ailleurs, les modes de diffusion et de consommation des films sont bouleversés par les évolutions technologiques. Les nouveaux acteurs, notamment les plateformes de vidéo à la demande, constituent désormais une concurrence sérieuse pour le cinéma.

Avant de donner la parole à nos invités, je souhaiterais leur poser quelques questions.

Pensez-vous que des mesures législatives soient nécessaires pour renforcer la compétitivité du cinéma français ?

Quelles sont, par ailleurs, vos pistes de réflexion pour aider les diffuseurs à faire face à la concurrence résultant des évolutions technologiques ?

L’exception culturelle, à laquelle notre pays est très attaché, peut-elle encore être défendue à l’heure d’internet, alors que nous sommes en train de passer d’une logique d’offre à une logique de demande ?

Mme Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Je voudrais tout d’abord vous remercier pour l’organisation de cette table ronde sur la situation du cinéma français et son avenir. C’est une très belle initiative à laquelle je suis d’autant plus sensible qu’elle me donne une nouvelle occasion de retrouver le chemin de l’Assemblée nationale, dont j’ai eu l’honneur d’être membre.

Les députés ont beaucoup agi en faveur du cinéma ces dernières années. Pensons à la loi du 30 septembre 2010 relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques. Il était urgent de numériser les salles de cinéma et le Parlement s’est saisi de la question avec une grande réactivité : la loi a permis à la France de numériser ses salles en deux ans, alors que, dans d’autres pays européens, des salles ont dû fermer faute d’avoir pu être numérisées. Nous disposons aujourd’hui d’un parc exceptionnel de près de 6 000 écrans. Notre pays est cinéphile et les salles dans les petites communes, voire dans les villages, constituent parfois le dernier lieu de vie sociale.

La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine a été une source d’innovations très intéressantes pour le cinéma et l’audiovisuel. Enfin, tout récemment, le Parlement a décidé, dans le cadre de la loi de finances pour 2016 et du projet de loi de finances pour 2017, d’importantes revalorisations du crédit d’impôt pour les dépenses de productions cinématographiques, fondamentales pour le secteur. Je reviendrai sur leur impact considérable.

Je rappellerai maintenant quelques chiffres. Le Centre national du cinéma et de l’image animée couvre le cinéma, l’audiovisuel, la vidéo, mais également – fait moins connu – le jeu vidéo. Au total, l’activité de ce secteur représente plus de 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 0,8 % du PIB. Ce secteur génère 346 000 emplois directs ou indirects, soit 1,3 % de l’emploi en France. Cette industrie est aussi importante que l’industrie pharmaceutique ou l’industrie automobile, concessionnaires et revendeurs mis à part.

Cette filière économique est donc stratégique pour notre pays. Nous l’avons mesuré avec l’étude du cabinet de conseil BIPE il y a trois ans, lorsque je suis arrivée à la tête du CNC, et nous en avons eu confirmation à travers une étude récente menée par le cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers. Cette croissance de l’industrie cinématographique et audiovisuelle est riche en emplois sur l’ensemble du territoire. Notre marché est le meilleur d’Europe. Grâce aux réseaux de salles, la fréquentation se situe depuis dix ans au-dessus de 200 millions de spectateurs par an, dont beaucoup de jeunes, alors même que les offres multi-écrans se multiplient.

Durant ces trois dernières années, le CNC a poursuivi deux objectifs : d’une part, structurer le secteur, d’autre part, gagner la bataille de la compétitivité internationale.

Pour structurer le secteur, nous avons d’abord cherché à augmenter ses capacités d’investissement et à assainir certaines pratiques conduisant à des distorsions de marché.

Nous avons renforcé les fonds propres des entreprises du secteur de la production et de la distribution à travers plusieurs dispositifs qui reposent sur des mécanismes assez techniques, qu’il s’agisse des exigences posées en matière de capital social ou des garanties de prêts apportées par l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC).

Nous avons pris des mesures pour maîtriser les coûts de production afin d’éviter leur inflation dans les devis de financement des films, notamment pour ce qui est des cachets des artistes. Elles ont accompagné une évolution du marché cinématographique, qui commençait à s’autolimiter après avoir connu certaines dérives.

Enfin, nous avons veillé à ce que la transparence la plus complète règne sur les comptes de production et d’exploitation. La loi précitée relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine a imposé des obligations strictes en ce domaine. La transparence, parce qu’elle est la garantie d’une meilleure remontée des recettes auprès des ayants droit et des investisseurs, est une clef pour la confiance, ce qui encourage les financements privés.

Le secteur cinématographique et audiovisuel est extrêmement concurrentiel à l’échelle européenne, mais aussi mondiale. Il faut avoir à l’esprit que l’industrie de l’image est stratégique dans le monde entier, notamment en Europe, aux États-Unis et au Canada. Chaque année, ce sont 7 000 films qui sont produits dans le monde, et les États se livrent à une véritable guerre fiscale pour attirer les tournages, d’autant que, au-delà des retombées économiques en termes de valeur ajoutée ou d’emplois, se joue le soft power, comme les Américains l’ont bien compris depuis si longtemps.

Notre second objectif a été de gagner la bataille de la compétitivité internationale. Deux mesures structurantes ont été prises dans cette perspective.

Il s’agit tout d’abord des crédits d’impôt. En 2014, nous avons été alertés par une étude qui soulignait l’ampleur des délocalisations de tournages. Plus de 40 % des dépenses étaient délocalisées pour les films dits « du milieu » – au budget compris entre 7 millions et 10 millions d’euros ; plus de 60 % pour les effets visuels ; plus de 75 % pour les films à gros budget – au budget supérieur à 10 millions d’euros. Le Parlement a été extrêmement réactif, en étendant à l’ensemble du secteur audiovisuel les mesures fortes que le Gouvernement proposait pour le cinéma. Elles ont eu un effet de levier considérable. Actuellement, pour la production cinématographique, le crédit d’impôt est égal à 30 % du montant total des dépenses dans la limite de 30 millions d’euros, pour les films français comme pour les films étrangers se tournant en France. Les effets vont même au-delà de nos espérances. Sur les dix premiers mois de l’année 2016, ont pu être relocalisées en France 380 millions de dépenses de tournage, alors que nous visions 200 millions pour l’année entière.

Ajoutons que les tournages ont un impact fort sur l’activité touristique. Grâce à nos dispositifs fiscaux, nous avons la chance d’attirer des productions chinoises et indiennes qui induisent de multiples dépenses – car chaque tournage est une véritable petite et moyenne entreprise (PME) – et des retombées indirectes. Ainsi, le film indien Tamasha a provoqué un afflux de touristes indiens en Corse, où il a été tourné, à tel point que The Economic Times a cité l’île comme la première destination étrangère des touristes indiens.

Dans la bataille pour la compétitivité internationale, notre deuxième axe d’action est l’innovation. La France dispose d’une filière d’excellence avec l’animation, qui représente plus de 5 000 emplois, principalement occupés par des jeunes gens passionnés de graphisme et extrêmement forts en informatique. Cette réussite, qui la place au deuxième rang mondial derrière le Canada, est liée au « Plan Image » lancé en 1983 par M. Jack Lang pour établir une passerelle entre la bande dessinée et le cinéma. Nous aimerions développer, grâce aux crédits d’impôt, une filière d’excellence pour les effets visuels. Beaucoup d’emplois pour les jeunes sont ici aussi en jeu.

N’oublions pas la jeune création sur le web qui voit émerger de nouvelles écritures et de nouveaux talents. L’enjeu, pour nous, est de les intégrer dans l’écosystème du CNC afin qu’ils bénéficient des dispositifs d’aides existants. Nous encourageons déjà la production d’œuvres sur le web à travers le web COSIP (compte de soutien aux industries de programme), mais nous souhaitons aller bien au-delà.

Trois chantiers principaux s’ouvrent à nous. Le premier est la lutte contre le piratage, dont les nuisances représenteraient 30 % du marché audiovisuel.

Le deuxième est la concurrence fiscale. Grâce au Parlement, nous avons franchi un cap : la France fait désormais partie des pays les plus attractifs au monde. Nos voisins et amis belges restent toutefois très dynamiques, notamment pour les tournages francophones. Le Canada occupe une très bonne place pour l’animation et les États-Unis affirment leur place dans cette bataille. Nous devons faire preuve de vigilance pour conserver notre place.

Troisième chantier, enfin : les réponses à apporter au bouleversement du paysage audiovisuel provoqué par l’arrivée des géants du numérique.

Le CNC a toujours su s’adapter aux nouveaux modes de diffusion. Il est né après la guerre à un moment où la filière du cinéma français se trouvait fragilisée par les films américains, auréolés par la gloire des libérateurs. Une taxe additionnelle au prix des places a été instituée comme une épargne forcée destinée à alimenter un fonds dont le double objectif était d’aider les salles à se moderniser, et les producteurs et distributeurs à réinvestir dans de nouveaux films. Ainsi a été établi le principe de base sur lequel reposent les mécanismes d’aides du CNC : la distribution finance la création.

Lorsque, en 1984-1985, de nouvelles chaînes de télévision ont émergé, la question s’est posée de les faire contribuer au financement du CNC. Une taxation des recettes publicitaires des nouveaux diffuseurs est venue alimenter le CNC et l’ensemble de la création. Avec l’arrivée de la vidéo sur support physique, une taxe de 2 % a été prélevée sur le prix de vente. Puis une taxe sur les médias audiovisuels à la demande a ensuite été instituée. Avec l’émergence des contenus audiovisuels sur internet, une réflexion a été menée à partir de 2007 sur l’extension de la taxation aux fournisseurs d’accès à internet. Prenant en compte la proportion qu’occupe l’image dans les contenus diffusés, il a été décidé, en accord avec eux, d’abattre 66 % de leur chiffre d’affaires pour asseoir la taxation. Et aujourd’hui, ils sont extrêmement heureux de faire partie de cet écosystème qui permet d’alimenter les contenus diffusés sur leurs réseaux.

Aujourd’hui, la question se pose de taxer les nouveaux géants du numérique qui diffusent des contenus audiovisuels professionnels – je ne parle pas, bien sûr, des contenus amateurs. Il s’agit, d’une part, des plateformes audiovisuelles par abonnement, comme Netflix, et, d’autre part, des plateformes de vidéos en ligne, comme YouTube ou Dailymotion. Le Parlement a déjà décidé, il y a deux ans, que Netflix contribuerait au financement de la création. Or nous avons une bonne nouvelle : la position de la Commission européenne a considérablement évolué et elle vient d’accepter que l’Allemagne taxe Netflix. La « taxe Netflix » française pourra être acceptée dans les semaines qui viennent par Bruxelles. Pour YouTube, les choses se présentent également de manière très positive.

Je reste à votre disposition, Mesdames et Messieurs les députés, pour répondre à toutes vos questions, notamment sur les exportations, chantier qui nous tient aussi très à cœur.

M. Jean-Baptiste Dupont, président de LGM Productions et vice-président de l’association des producteurs indépendants (API). Mesdames et Messieurs les députés, je commencerai par présenter l’association des producteurs indépendants (API) : créée en 2002 par les sociétés Gaumont, UGC, Pathé et MK2, elle a été rejointe en 2015 par de nouveaux producteurs afin de représenter le cinéma dans toute sa diversité et de devenir un acteur incontournable du domaine cinématographique. En 2015, l’API et ses quinze membres ont produit quarante films français, qui ont réuni 30 millions de spectateurs, ce qui représente 50 % des entrées des films français.

Mme la présidente du CNC a fait un tour d’horizon très complet de la production française. Je rappellerai simplement qu’en 2015, la fréquentation des salles s’est établie, malgré les attentats, à 205 millions d’entrées, ce qui constitue tout de même un excellent résultat. Et nous attendons une hausse pour l’année 2016.

Permettre aux films français de conserver une forte part de marché – elle a été en moyenne de 40 % sur les dix dernières années – est un élément fondamental pour que le cinéma reste une industrie dynamique.

Le cinéma français doit aussi être apprécié à l’aune de son rayonnement à l’étranger : pour la troisième fois en quatre ans, les films français ont enregistré 100 millions d’entrées à l’étranger, ce qui constitue le meilleur score pour le cinéma français à l’étranger depuis plus de vingt ans. Pour la deuxième année consécutive, les films français enregistrent plus d’entrées à l’étranger qu’en France. Le cinéma est un ambassadeur important de notre pays : il porte les valeurs de l’exception culturelle en Europe et dans le monde.

Le financement de l’industrie cinématographique a évolué ces dernières années, du fait de la forte baisse du marché de la vidéo sur support physique dont le chiffre d’affaires marque un recul de 12 % en 2015, pour atteindre 650 millions d’euros. Cette perte n’a pas été compensée par le marché de la vidéo à la demande, qui reste stable, avec un chiffre d’affaires de 160 millions d’euros en 2015.

Le cinéma est confronté à la concurrence de nouveaux opérateurs – Netflix et Amazon aujourd’hui, SFR demain – qui n’investissent pas en préachat des droits de diffusion. Il convient de réfléchir aux moyens de les impliquer dans la filière du financement afin d’accroître le dynamisme du secteur tout en respectant les opérateurs historiques qui, depuis vingt ans, ont joué un rôle majeur dans ce domaine.

J’en viens à la « taxe YouTube » qui constitue pour nous un enjeu de première importance. L’amendement qui prévoit une taxe de 2 % sur les recettes publicitaires des plateformes gratuites de partage de vidéos établies en France ou à l’étranger et un abattement de 66 % du chiffre d’affaires pour l’assiette a été rejeté de justesse en séance publique après son adoption en commission dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017. L’API souhaite le voir adopté lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2016. Il ne s’agit pas pour nous de la création d’une taxe nouvelle, mais de l’extension d’une taxe existante, qui permet de faire contribuer de nouveaux modes de diffusion au financement de la création. Cette taxe rétablit l’équité fiscale entre les acteurs nationaux et non nationaux. Conformément à l’évolution de la réglementation européenne, elle consacre le principe du pays de destination. Elle bénéficie avant tout aux créateurs via un soutien à la production d’œuvres destinées à une diffusion en ligne et permet de renforcer la transparence dans les relations entre les plateformes et les créateurs.

Autre sujet auquel nous accordons de l’importance : la chronologie des médias, consubstantielle au cinéma. Nous sommes conscients de la nécessité de nous adapter aux évolutions technologiques, culturelles et économiques, ainsi qu’aux évolutions de modes de consommation, linéaires ou pas. Il convient de ne pas oublier que les fenêtres d’exploitation successives et exclusives permettent le préfinancement des films et assurent la survie du cinéma dans son ensemble, en maximisant les recettes sur les supports de diffusion successifs. Un accord sur la chronologie des médias a été signé en juillet 2009 par la quasi-totalité de la profession. L’API est aujourd’hui favorable à une réforme qui inclurait l’ensemble de la filière.

Les crédits d’impôt représentent un autre enjeu majeur. Ces dispositions ont eu des effets bénéfiques immédiats dans des proportions supérieures à celles que nous anticipions. Grâce à ce dispositif, la France est devenue l’un des pays les plus compétitifs dans le domaine cinématographique et audiovisuel. Cela a des conséquences directes sur l’emploi 
– 10 000 emplois supplémentaires auraient été générés par l’augmentation des tournages – ainsi que sur les rentrées fiscales, et des conséquences indirectes pour les villes et les territoires où se déroulent les tournages.

Je terminerai par la lutte contre le piratage, élément-clef de la survie du système de financement, qui appelle un soutien sans faille des pouvoirs publics, au-delà des clivages politiques. Si le piratage prend de l’ampleur, c’est le financement et donc l’existence même des œuvres cinématographiques qui est mis à mal. La France est l’un des rares pays au monde où la quasi-totalité des films ne subit pas de piratage avant leur sortie en DVD ou leur diffusion sur les plateformes de vidéo en ligne, grâce à une vigilance extrême des professionnels. En revanche, dès lors que les films sortent sur DVD, le téléchargement illicite devient massif, avec pour conséquence une baisse spectaculaire des recettes.

La France a été pionnière dans la lutte contre le piratage, avec la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite « loi HADOPI ». Nous aimerions la voir étendue au streaming. Les statistiques restent inquiétantes : chaque mois, 13 millions d’internautes se rendent sur un site pirate, et seul un très faible nombre de dossiers est transmis au Parquet. Peut-être faudrait-il s’inspirer du modèle allemand qui ne repose pas sur la pénalisation.

Mme Carole Scotta, présidente de la société de production et de distribution « Haut et Court » et co-présidente du syndicat des distributeurs indépendants réunis européens (DIRE). Je suis très heureuse d’être ici, à une place, qui plus est stratégique, entre deux représentants de l’amont – la production – et de l’aval – l’exploitation – de la filière : il n’est pas souvent question de la distribution et je m’attacherai à décrire notre métier méconnu de passeurs d’œuvres.

Depuis plus de vingt ans que j’ai créé la société « Haut et Court », je me suis toujours investie dans l’action collective. Je participe depuis plus de dix ans aux actions du syndicat des distributeurs indépendants réunis européens (DIRE), regroupement de treize distributeurs indépendants de taille moyenne qui distribuent des films reflétant la diversité du cinéma : premiers et deuxièmes films, œuvres d’auteurs plus confirmés comme La Fille de Brest d’Emmanuelle Bercot, dont nous avions produit le premier film il y a dix ans, films étrangers comme la récente Palme d’or Moi, Daniel Blake de Ken Loach ou Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase.

En tant que distributeurs, nous sommes les premiers interlocuteurs de nos partenaires producteurs, puisque nous sommes les premiers à lire les scénarios qu’ils nous proposent, avant même les chaînes de télévision et les autres financiers du cinéma. Nous donnons en quelque sort un label à un film : la couleur du financement dépend de l’importance du distributeur. Une fois que nous avons acquis les droits d’un film, nous participons activement à son financement, puisque nous versons aux producteurs un minimum garanti, c’est-à-dire une avance sur recettes qui peut atteindre des sommes assez importantes. Quand il s’agit d’un film français, les recettes sont principalement issues des entrées en salle, et, dans une moindre proportion, des vidéos et des DVD. Quand il s’agit d’un film étranger, nous sommes considérés davantage comme des importateurs et, forts des droits d’exploitation sur le territoire français, nous cherchons activement à exploiter le film sur toutes les chaînes de télévision, de Canal+, première chaîne à diffuser des films après leur sortie en salle, jusqu’aux chaînes hertziennes, Arte principalement.

Si nos recettes proviennent d’abord de l’exploitation en salle, il est très important que nous ayons une relation suivie avec les chaînes de télévision pour asseoir nos risques qui sont très importants et tiennent non seulement aux versements que nous effectuons en amont, mais également aux frais de marketing de plus en plus élevés. Les dépenses consacrées à l’exposition des films sont plus nombreuses qu’auparavent : aux bandes-annonces diffusées dans les salles et aux affiches apposées dans l’espace public, est venue s’ajouter la communication numérique sur internet. Nous sommes donc exposés à des risques financiers élevés et nous avons besoin, pour parvenir à l’équilibre, des recettes que nous procure la diffusion par les chaînes de télévision des films étrangers dont nous avons acquis les droits.

Il serait bon, en outre, que les chaînes du service public assurent la continuité des efforts très marqués de promotion du cinéma déployés par les exploitants des salles. Pendant la tournée organisée pour la sortie de La Fille de Brest, nous avons ainsi rencontré le public dans plus de cinquante salles, et constaté chaque fois la force du tissu local, une grande audience et une envie manifeste de débattre avec les artistes. Ce travail se perdant après que les films ne sont plus projetés dans les salles, nous devons tous veiller à ce qu’ils puissent ensuite être vus à la télévision. Or les deux seules chaînes auxquelles nous vendons des films sont Canal+, pour la télévision payante, et Arte ; nos ventes à France Télévisions sont du registre de l’exception. L’équilibre économique du secteur s’en trouve menacé, comme la poursuite du travail de fond mené auprès du public dans les salles.

À mon sens, le problème qui se pose au secteur n’est pas tant la surproduction que l’adaptation à la révolution numérique commencée il y a plusieurs années. Les distributeurs ont activement contribué au plan d’équipement numérique des salles en continuant à verser aux exploitants l’équivalent du prix de la copie argentique. Nous étions favorables à cette disposition de la loi précitée du 30 septembre 2010, et c’est grâce à la solidarité du secteur que la France a pu se doter d’un parc de salles attractif, totalement numérisé et prêt à affronter la suite des bouleversements en cours.

L’offre est pléthorique, en salles – où la diversité des films doit absolument être maintenue – et sur les plateformes ; certaines font un travail remarquable, mais ce n’est pas le cas de toutes. Il a été question des géants d’internet. Il est indispensable de mesurer l’impact qu’ils ont déjà eu et qu’ils continueront d’avoir sur l’offre générale, et de les intégrer dans le système dont Mme Frédérique Bredin a rappelé qu’il a permis à l’industrie cinématographique française de s’adapter aux mutations successives depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un exemple vous donnera un aperçu de la puissance de ces opérateurs. La société « Haut et Court », qui produit aussi des films pour la télévision, observe ce qui se fait ailleurs, notamment en Angleterre. Il apparaît qu’en France, un épisode de série télévisée se fait pour un budget compris entre 1 million et 1,5 million d’euros ; au Royaume-Uni, des opérateurs tels que Netflix sont prêts à financer des épisodes à plus de 6 millions d’euros, et Amazon vient d’annoncer un pilote pour une série anglaise à 15 millions d’euros !

Chacun comprendra qu’une telle évolution va bouleverser l’équilibre trouvé avec les chaînes historiques, comme c’est déjà le cas au Royaume-Uni. Il faut donc impérativement intégrer ces opérateurs au dispositif de financement du cinéma français. Ainsi seulement pourrons-nous contrôler ce qui se passe et continuer d’exister, de produire et d’utiliser les multiples talents qui se trouvent en France, à tous les maillons de la chaîne. Nous sommes très attentifs à toutes les réflexions sur les mutations induites par l’évolution vers le numérique, dont on n’a pas encore perçu toutes les implications.

Le piratage est un autre sujet de grande préoccupation pour les distributeurs. Il n’a pas lieu lors de la sortie en salle, mais aussitôt que les DVD sont mis sur le marché – les éditeurs de DVD, nous pouvons en témoigner, et Canal+ estiment à 30 % la perte de chiffre d’affaires induite par le piratage ; c’est considérable. Chacun a pris conscience de la nécessité de lutter contre ce phénomène, pour des raisons financières et éthiques. Il est de notre devoir de citoyens de faire comprendre aux jeunes gens qu’il est moralement inacceptable de considérer la culture comme gratuite. Il est impératif de combattre le piratage pour que le secteur retrouve des ressources, et beaucoup d’artistes, des musiciens notamment, se sont mobilisés pour faire comprendre que la création coûte de l’argent et qu’être artiste c’est aussi exercer un métier. Nous devons le faire entendre d’autant plus fermement que le prix de ces biens culturels est peu de choses au regard de nombreux autres. Il est important de rétablir cette valeur sur le plan symbolique ; nous avons beaucoup perdu à sembler l’oublier pour des raisons politiques, et nous avons encore beaucoup à y perdre si un combat résolu n’est pas mené.

M. Richard Patry, président de la fédération nationale des cinémas français (FNCF). Exploitant indépendant de plusieurs salles de cinéma situées pour la plupart en Normandie, je préside la FNCF. La fédération, qui fut créée la même année que le CNC, regroupe la totalité des salles de cinéma françaises : celles des grands opérateurs – Gaumont, Pathé, UGC, MK2, CGR –, celles des indépendants et aussi celles de l’exploitation municipale. La présence des collectivités territoriales est en effet très marquée dans ce secteur : on dénombre en France 5 700 salles regroupées dans 2 000 cinémas et la moitié de ces établissements sont liés aux collectivités territoriales, qui les exploitent soit en régie directe, soit par délégation de service public.

Le modèle français d’exploitation des salles de cinéma est unique au monde. Il est caractérisé par un faible taux de concentration, les trois opérateurs principaux ne réalisant que 45 % des entrées ; la proportion est de 75 % au Royaume-Uni. Nous diffusons les films que nous proposent les distributeurs. La salle de cinéma est un écrin, un lieu neutre que nous voulons le mieux équipé possible pour nous mettre au service des créateurs en présentant leurs films au public dans les meilleures conditions. Le maillage très serré du territoire est une autre exception française : chacun, dans notre pays, est à vingt minutes au plus d’une salle de cinéma ou d’un lieu de projection des circuits itinérants – ils sont encore une centaine et permettent la diffusion de films dans les communes les plus reculées.

La fréquentation des salles est très bonne. On a compté 206 millions de spectateurs dans les cinémas de France en 2015 et l’on s’attend qu’ils soient 210 millions en 2016. Les deux tiers de nos concitoyens vont voir un film au moins une fois par an. La salle de cinéma est un lieu culturel au cœur des territoires ; ouverte tous les jours de la semaine, elle est restée un lieu de socialisation… et celui du premier baiser… (Sourires.)

200 des 700 films projetés dans les salles de cinéma en France sont des films français. C’est deux fois plus qu’il y a vingt ans, et la part de marché de ces films s’établit entre 35 et 40 % selon les années. Dans les pays voisins, la part de marché des films nationaux n’est que de 25 %. La pertinence du modèle français d’exploitation est donc avérée. Il est fondé sur l’aide des collectivités territoriales, qui consentent des investissements très importants pour maintenir ce parc de qualité, et sur l’aide de l’État – la France est le seul pays qui se soit doté d’une loi relative à l’équipement numérique des salles de cinéma. De la numérisation, qui s’est faite grâce à la contribution des distributeurs et à celle des régions, il est résulté que le parc de salles a été maintenu, au terme d’un basculement de l’analogique vers le numérique accompli en deux ans et particulièrement réussi puisqu’aucune petite salle n’a été abandonnée à son sort. Il en est allé tout autrement dans les pays voisins ; ainsi, quelque 30 % des salles de cinéma ont disparu en Allemagne, personne n’ayant voulu assumer le coût de l’équipement numérique des petites exploitations.

Le secteur applique une politique tarifaire très dynamique, qui se traduit par un prix d’entrée relativement faible – environ 6 euros la place en moyenne nationale – et une palette de tarifs très large. Vous savez l’existence des abonnements illimités ; ils n’existent qu’en France. Grâce au législateur, la TVA sur les droits d’entrée dans les salles de cinéma a été abaissée au taux réduit de 5,5 %, ce qui a permis de lancer l’opération « 4 euros la place de cinéma pour les moins de 14 ans ». Ce tarif a été maintenu par de nombreux exploitants, et même là où ce n’est pas le cas, un tarif spécifique est toujours proposé pour les jeunes, si bien que les moins de 14 ans représentent 20 % de la fréquentation totale des salles de cinéma.

Toutes les exploitations exercent leur activité sous le régime de la taxe spéciale additionnelle (TSA). Le produit de cette taxe de 10,72 %, prélevée sur le prix de chaque billet acheté et perçue par le CNC, permet de poursuivre la modernisation des établissements et contribue très fortement au financement des œuvres cinématographiques françaises, le dispositif étant ainsi conçu qu’un spectateur assistant à la projection d’un film américain dans une salle française contribue aussi à financer la production cinématographique française.

La régulation de l’implantation des salles est faite par la Commission nationale (CNAC) et les commissions départementales d’aménagement cinématographique (CDAC). Il vous revient de décider si le dispositif en vigueur doit évoluer. J’appelle toutefois votre attention sur le fait qu’il fonctionne bien en l’état puisque, hormis des cas très particuliers, il n’y a pas de « sur-implantations » de salles sur notre territoire.

L’une des caractéristiques enviées à l’étranger du modèle d’exploitation cinématographique français est que les exploitants prennent des engagements de programmation, encadrés par le CNC, mais volontaristes. Ces engagements ont pour effet d’assurer aussi la diffusion des films les plus « fragiles » du cinéma national, permettant ainsi que des œuvres diverses soient vues partout en France. Je rappelle également l’importante aide octroyée aux salles de cinéma classées Art et essai. Une réforme du dispositif est en cours ; il faut garder à l’esprit que la moitié du parc des salles françaises bénéficie de ce label. Je remercie Mme Carole Scotta d’avoir mentionné les débats que nous organisons avec le public dans ce cadre, soulignant ainsi le dynamisme d’un secteur dont l’avenir ne peut s’envisager sans un combat, capital, contre le piratage.

La France a été un pays leader en ce domaine en instituant une réponse graduée visant à avertir les contrevenants qu’ils violent la loi. Malheureusement, après que l’infraction a été constatée et que le rappel à la loi a eu lieu, il ne se passe rien, si bien que les internautes, même s’ils ont été avertis, continuent de télécharger illégalement des œuvres cinématographiques. Il est crucial de faire cesser ce fléau.

Nous nous inquiétons aussi de savoir ce qu’il adviendra quand prendra fin le versement de la contribution dite Virtual Print Fee (VPF) actuellement due par les distributeurs. Cette contribution a permis de faire basculer l’ensemble du parc de salles de cinéma vers le numérique. Cela a eu pour effet de réguler la diffusion, les films les plus « puissants » n’ayant pas accès à toutes les salles. Le financement du primo-équipement va s’achever, si bien que ce dispositif va bientôt s’éteindre ; par quel moyen continuera-t-on d’accompagner la modernisation de la projection numérique ? L’obsolescence des équipements obligera à équiper les salles de nouveaux projecteurs, ce qui suppose des investissements très lourds. L’enjeu, capital pour les exploitants est double : il faut permettre l’adaptation des salles à l’évolution technologique et réguler la diffusion.

M. Jean Grellier, président. Je remercie nos invités pour ce tour d’horizon complet de l’industrie du cinéma. La parole est aux représentants des groupes, puis aux autres orateurs.

M. Yves Blein. Au nom du groupe Socialiste, écologiste et républicain, je remercie la présidente de notre commission d’avoir organisé cette utile table ronde. Je tiens à rendre hommage à M. Jack Lang qui, alors ministre, a créé l’Agence de développement régional du cinéma, grâce à laquelle des salles en passe de fermer ont été sauvées. Le cinéma français est maintenant en bonne forme grâce au réseau de salles qui maille notre territoire, et c’est à cette époque que beaucoup s’est joué. Je salue aussi le rôle déterminant joué par Mme Frédérique Bredin en faveur de l’industrie française du cinéma.

La Région Auvergne Rhône-Alpes a institué une participation financière à la création cinématographique ; je sais que des dispositions semblables existent dans d’autres régions et j’aimerais connaître l’opinion de nos invités à ce sujet. Quel est l’impact pour les régions de cet investissement public en faveur de la création cinématographique et comment évolue-t-il au fil du temps ? Nous sommes tous conscients de l’intérêt non négligeable que présentent les tournages en France pour l’emploi, l’industrie du tourisme, le PIB et aussi, de manière non quantifiable, mais essentielle, pour ce qu’il est convenu d’appeler le soft power, le rayonnement de notre culture au-delà de nos frontières.

La fiscalité particulière qui s’applique aux droits d’entrée en salles, avec une TVA au taux réduit de 5,5 %, a toute son importance. De même, nous avons activement soutenu le crédit d’impôt cinéma. L’amendement tendant à instituer une taxe dite « YouTube » sur les revenus publicitaires des sites mettant à disposition des vidéos sur internet a été adopté en commission, mais n’a pas franchi, pour l’instant, l’étape du débat en séance publique, en raison, sans doute, d’une définition insuffisamment précise du périmètre visé et des modalités d’application. Le débat reste ouvert et nous vous remercions de l’alimenter, car nous sommes conscients de l’importance du sujet.

Qu’en est-il des filières de formation au cinéma ? Comment est-il envisagé de réformer le label Art et essai, qui permet la diffusion de films importants pour l’industrie cinématographique ?

M. Lionel Tardy. Comme c’est une table ronde qui nous réunit et non l’examen d’un texte de loi, je ne m’exprimerai pas au nom du groupe Les Républicains mais en mon nom personnel. Le crédit d’impôt cinéma – qu’il est proposé d’étendre dans le projet de loi de finances pour 2017 – a permis d’inverser la courbe de la délocalisation des tournages de films. Selon l’IFCIC, cela représente 10 000 emplois directs ou indirects en 2016 ; confirmez-vous ce chiffre ? Comment éviter que ce crédit d’impôt ne soit seulement un effet d’aubaine ? Quelles mesures autres que financières peuvent être prises pour que la France devienne une destination durablement attrayante ? Je pense notamment à la baisse généralisée des charges sociales.

Au sujet du crédit d’impôt cinéma toujours, comment agir au niveau européen pour éviter que, dans une fuite en avant sans fin, certains États n’instaurent des conditions toujours plus avantageuses ?

Enfin, au moment où la gendarmerie ferme le site Zone Téléchargement, posons-nous les bonnes questions : l’offre légale sur internet est-elle, selon vous, suffisamment développée et accessible ?

M. André Chassaigne. Je prends la parole au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Cette table ronde m’a beaucoup appris et il est toujours intéressant pour les commissaires de mieux cerner les passerelles établies entre l’industrie et la culture. Pourtant, comme le faisait dire Michel Audiard à Jean Gabin dans Mélodie en sous-sol, « l’essentiel, c’est de râler, ça fait bon genre » – je râlerai donc ! (Sourires.)

Ma première cible sera le CNC, car les responsables de petites sociétés de production ont fait état devant moi de la multiplication des dossiers bloqués, de difficultés de communication, de suspicion injustifiée et d’une interprétation des règles très stricte servant à justifier des refus, l’objectif semblant être de réduire les aides accordées, notamment aux documentaristes : qu’en est-il ? Il apparaît d’autre part que les projets de documentaires sont bâtis avec des budgets inférieurs à ce qui serait nécessaire ; il en résulte que le respect des droits des professionnels qui participent à ces productions – créateurs, opérateurs, monteurs… – est malmené. Les contrats d’aides au tournage prévoient-ils le contrôle du respect des tarifs conventionnels payés au personnel employé en contrats à durée déterminée dits d’usage et le contrôle du sort fait aux intermittents du spectacle ? Enfin, une autre difficulté tient à la rigueur des droits concédés à titre exclusif : elle a pour conséquence que certains films documentaires tournés dans les régions voient leur diffusion bloquée en dépit de leur vif intérêt.

Vous aurez noté que, étant d’humeur particulièrement tendre, je ne suis pas allé jusqu’à reprendre les mots mis par Michel Audiard encore dans la bouche de Lino Ventura, dans Ne nous fâchons pas : « En cinq ans, pas un moment d’humeur ! Pas une colère, même pas un mot plus haut que l’autre ! Et puis, d’un seul coup : crac, la fausse note, la mouche dans le lait ! » (Sourires.)

Mme Jeanine Dubié. Au nom du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste, je remercie nos invités de nous avoir dit l’état et les perspectives d’une industrie dont notre commission reçoit rarement les représentants. En vous écoutant, on mesure combien le cinéma participe au rayonnement de la France à l’étranger ; on se rappelle aussi que l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel contribue à l’économie française pratiquement dans la même proportion que l’industrie automobile, ce que l’on ne dit pas suffisamment. Selon le rapport conjoint du CNC et d’Unifrance publié le 24 novembre dernier, nos exportations de films ont été excellentes l’an dernier : avec 111 millions d’entrées pour les films français projetés dans les salles étrangères et 622 millions d’euros de recettes, 2015 aura été pour le cinéma français hors de nos frontières la troisième meilleure année depuis plus de vingt ans. Le CNC indique avoir défini un plan destiné à favoriser les exportations « pour maintenir la création française au cœur de la création mondiale ». Ce plan est assorti d’une enveloppe de 12 millions d’euros ; quels seront les critères de répartition ? S’agit-il de permettre au plus grand nombre possible d’entreprises françaises de pénétrer les marchés internationaux ou le CNC privilégiera-t-il la qualité ?

Sept films d’animation français, chiffre record, figurent dans la liste des 27 films présélectionnés pour l’Oscar du film animé pour 2017 ; je m’en félicite, et j’aimerais savoir si les écoles françaises de cinéma forment correctement au film d’animation. Enfin, comment l’industrie s’adaptera-t-elle aux bouleversements des modes de diffusion et du comportement des consommateurs induits par l’évolution technologique, notamment au développement des plateformes de vidéo à la demande ? La menace est-elle sérieuse pour les salles de cinéma et pour les modes de diffusion traditionnels ?

Mme Fanny Dombre Coste. Je salue la qualité et la diversité des interventions. Je me félicite qu’aient été mentionnés les films d’animation et les jeux vidéo, ce qui appelle des questions sur la formation à ces métiers. Je me réjouis des conséquences remarquables du crédit d’impôt cinéma pour la compétitivité de la filière et pour l’attractivité de la France en matière de tournages, et de ses effets très prometteurs sur le tourisme.

Le réseau des cinémas classés Art et d’essai se porte bien ; je l’ai constaté à Montpellier, où une troisième salle vient d’être inaugurée par un exploitant indépendant. Mais certaines salles ainsi classées, parce qu’elles cherchent légitimement à trouver un équilibre économique dont l’obtention est malaisée, sont tentées de diffuser des films à gros budget qui mobilisent les écrans pendant de longues semaines et parfois intégralement, si bien que certains films qui entrent dans la catégorie Art et essai ont du mal à trouver leur public faute d’avoir accès aux écrans. Comment, sans remettre en cause la liberté de programmation des exploitants, trouver un équilibre entre films Art et essai et « grosses machines » ?

Enfin, où en est, en liaison avec l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (IRCAM), l’innovation technique en matière de son dans les salles de cinéma, qui contribuera à leur avenir ?

M. Michel Sordi. Je suis maire d’une commune de 12 000 habitants qui a pour unique écran celui d’une salle gérée par une association et destinée aux activités culturelles, où se produisent également des acteurs du spectacle vivant. Il y a aussi, à Cernay, une friche industrielle restée vacante après le dépôt de bilan de l’usine qui y était installée. Elle est située à côté d’un quartier affecté par un fort taux de chômage et que l’ANRU s’efforce de redynamiser. Un aménageur souhaite transformer cet espace en construisant un hôtel, des restaurants et plusieurs salles de cinéma. Ce beau projet, qui permettrait de créer 140 emplois, est soutenu par la communauté de communes, car on ne compte en tout, dans le territoire considéré, que trois écrans gérés par des associations, si bien que les 50 000 habitants du piémont des vallées de la Thur et de la Doller peuvent assister à 18 projections hebdomadaires contre 450 pour le même nombre d’habitants à Colmar… Bien que 90 % des élus concernés soutiennent ce dossier, il a été refusé par la CDAC, puis par la CNAC.

Cet épisode laisse le fort sentiment qu’une bataille de réseaux et d’influences rend très difficile le développement du cinéma dans certaines zones où le sous-équipement est pourtant notoire. Mais nous ne baisserons pas les bras et nous continuerons d’accompagner cet aménageur en présentant un nouveau dossier, peut-être un peu moins amitieux, car nous sommes heureux qu’un projet vise à redynamiser nos quartiers.

Mme Annick Le Loch. L’industrie du cinéma est d’une importance essentielle pour notre pays… et nous aimons le cinéma. À titre personnel, je déplore qu’il n’y ait plus de salle indépendante à Pont-l’Abbé depuis que la dernière a brûlé il y a quelques années. La Bretagne est une terre de cinéma, et si une région, accompagnée par le CNC, soutient la production, notamment de courts métrages, c’est bien celle-là !

Le CNC envisage-t-il, pour mieux accompagner l’offre légale de vidéo à la demande, de raccourcir la chronologie des médias en assurant une plus grande exclusivité des films à des plateformes françaises pour les protéger de l’emprise grandissante de Netflix ? La vitesse à laquelle se développe cette économie fait-elle que l’accord signé en 2015 est déjà obsolète ?

Dans un autre domaine, les femmes sont mal représentées dans l’industrie du cinéma, des deux côtés de la caméra. Le rôle principal est tenu par une femme dans 23 % des films seulement ; quels mécanismes mettre au point pour en finir avec des rôles parfois stéréotypés en fonction des sexes – un reproche que l’on ne fera évidemment pas à La Fille de Brest ! Quant aux aspirantes réalisatrices, elles ont des difficultés à trouver du travail. Le CNC n’est pas en cause, car il attribue des subventions équitablement, que les devis lui soient présentés par des hommes ou par des femmes, mais l’écart serait de 2 millions d’euros entre un devis soumis par un homme et un devis présenté par une femme. On observe aussi, semble-t-il, une disparité salariale : la rémunération horaire moyenne d’une réalisatrice serait de 35 % inférieure à celle d’un réalisateur. Est-ce exact ? Si c’est le cas, comment l’industrie combat-elle ces inégalités ?

Mme Laure de La Raudière. Il a été dit que la chronologie des médias serait consubstantielle au cinéma. Mais en est-il ainsi à l’étranger ? Cette notion érigée en principe n’est-elle pas un frein au développement de plateformes légales de vidéos à la demande compétitives et à l’offre variée ?

La nouvelle taxe YouTube en discussion fait irrésistiblement penser à feue la taxe Google sur la publicité en ligne instituée en 2010 et qui, Google n’opérant pas depuis la France, taxait finalement toutes les plateformes sauf Google… Vouloir instaurer des taxes applicables aux entreprises de l’économie électronique en France uniquement est une idée fâcheuse. Ce faisant, on entrave le développement dans notre pays de nouveaux modèles qui pourraient servir le cinéma et l’innovation. J’aurais été plus favorable à un combat au niveau européen ; quelle est votre opinion ? D’autre part, fait-on le lien entre l’augmentation du piratage et une offre légale par abonnement relativement restreinte en France ? Le catalogue des œuvres proposées est-il effectivement plus réduit en France qu’ailleurs ? Une offre en ligne forfaitaire plus riche n’aurait-elle pas pour effet de réduire le piratage ? Enfin, que conseillez-vous aux candidats à l’élection présidentielle au sujet de la loi HADOPI ?

M. Alain Suguenot. Le paradoxe est que le cinéma français se porte bien, mais que son modèle économique est en difficulté. N’est-ce pas que, pendant que nous insistions sur l’exception culturelle française en nous pensant les meilleurs, d’autres formats naissaient ailleurs ?

On ne peut que s’interroger lorsque l’on sait que Claude Lelouch a jugé nécessaire d’ouvrir, à Beaune, les Ateliers du cinéma, une école complètement différente des autres : que pensez-vous du format des écoles ?

Il a été question de la concurrence des plateformes de vidéos en ligne ; je ne suis pas persuadé que l’on résoudra tous les problèmes en instaurant une taxe et peut-être faut-il trouver d’autres moyens pour financer le cinéma. Le crédit d’impôt cinéma est une heureuse mesure et le recours au mécénat une des solutions possibles, à condition que des dispositions fiscales le permettent, ce qui pourrait figurer au programme d’un futur Président de la République.

M. Éric Straumann. L’impact des films à succès sur la fréquentation touristique des lieux de tournage est indéniable. C’est ainsi que La Grande Vadrouille a valu aux Hospices de Beaune une célébrité mondiale. Je sais aussi que, en Suisse, les hôteliers d’Engelberg peinent à satisfaire la demande des touristes indiens attirés vers les sommets des Alpes par les films qu’y tourne Bollywood. Peut-être nos propres stations alpines pourraient-elles trouver là un nouveau gisement de ressources et une clientèle printanière.

Je salue le remarquable travail accompli en France par les producteurs et les distributeurs, alors que le développement du home cinema pouvait laisser craindre le pire pour l’avenir des salles. Faut-il, selon vous, maintenir les commissions départementales d’aménagement cinématographiques, qui autorisent les créations de salles de cinéma ?

Mme Frédérique Bredin. La vie quotidienne au CNC est passionnante, car on y parle à la fois d’économie et de culture, ces deux secteurs s’alimentant l’un l’autre. Aujourd’hui, je vais plutôt insister sur l’aspect économique.

Le CNC a passé avec chaque région une convention fondée sur un principe très simple : lorsque la région investit 2 euros sur une action liée à la production audiovisuelle et au cinéma, le CNC investit automatiquement 1 euro. Ce système extrêmement vertueux encourage les régions à investir davantage. Or, en nous rapprochant des nouveaux exécutifs régionaux pour discuter des nouvelles conventions, nous avons constaté qu’ils étaient tous parfaitement conscients de l’importance du cinéma et de l’audiovisuel pour l’activité et l’emploi.

Votre région, Monsieur Yves Blein, est très performante en la matière.
Les Hauts-de-France ont également décidé d’augmenter considérablement leurs investissements dans la production audiovisuelle et le cinéma. Aujourd’hui, les dépenses sont au moins équivalentes, voire en forte augmentation dans plusieurs régions, qui travaillent en parfaite osmose avec le CNC, en ce qui concerne non seulement la production audiovisuelle et le cinéma, mais également les salles. En effet, dans le cadre des prochaines conventions, le CNC apportera son soutien aux salles d’Art et essai, en les aidant à financer des emplois de médiateur pour attirer le public.

Vous avez aussi évoqué la question de l’intégration des nouvelles plateformes, et donc de la taxe YouTube – surnom que je n’aime guère, car ce n’est pas spécifiquement cette plateforme qui est visée. Ce que nous souhaitons, c’est intégrer les nouvelles plateformes dans l’écosystème français. Nous avons déjà eu ce débat à propos de Netflix, que le Parlement a décidé d’intégrer dans notre écosystème. Grâce à la réforme européenne de la TVA, on peut aujourd’hui connaître le chiffre d’affaires réalisé par ces plateformes sur le territoire français. Il faut, en l’occurrence, distinguer le pays de destination du pays d’origine.

Tous les acteurs nationaux contribuent à la création, qu’il s’agisse des salles de cinéma, des éditeurs de vidéos physiques ou des chaînes de télévision qui vivent de la publicité, comme TF1 ou M6. Les taxes alimentent la création, laquelle permet d’alimenter les canaux de diffusion. Ce que le Parlement a décidé pour Netflix pourrait l’être demain pour des plateformes qui vivent de recettes publicitaires, comme YouTube ou Dailymotion. Votre Assemblée en a débattu dernièrement et va se pencher de nouveau sur ce dossier, puisqu’un amendement du même type sera examiné cet après-midi en commission des finances, et les 5 et 6 décembre en séance publique, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2016. Il ne s’agit pas d’une nouvelle taxe, mais de l’extension d’une taxe existante, puisque tous les acteurs de la vidéo à la demande sont aujourd’hui taxés à hauteur de 2 %. C’est une question de justice fiscale : les acteurs historiques que sont TF1 ou M6 contribuent au financement de la création, contrairement aux plateformes, qui vivent aussi de recettes publicitaires et diffusent très largement des images et des films – je ne parle pas des vidéos amateurs. Il y a donc une concurrence déloyale entre les différents acteurs, selon qu’ils sont traditionnels ou nouveaux dans le secteur.

Par ailleurs, la mesure proposée par les parlementaires vise à mettre en place une taxe extrêmement faible. Après une large déduction de 66 % du chiffre d’affaires, afin de prendre en compte l’ensemble des données qui ne sont pas des images, comme la musique ou les vidéos amateurs, cette taxe correspondrait à un taux de 2 % applicable à une assiette représentant un tiers du chiffre d’affaires. Sans doute, cette taxe peut paraître symbolique, mais elle a du sens, car elle prouve la capacité d’adaptation du système au bouleversement du paysage audiovisuel. Le CNC s’est adapté à chaque nouveau mode de diffusion : la télévision, la vidéo, la vidéo à la demande (VAD). Il est évident que, demain, beaucoup d’images seront visionnées sur ces plateformes, qui sont une nouvelle espèce de diffuseurs, et il est plus facile de s’adapter au début d’une évolution. Voilà pourquoi cette taxe est importante, en termes d’équité fiscale, de symbole, d’efficience, voire de justification de tout l’écosystème français.

Notre passerelle entre économie et culture doit également permettre d’intégrer dans notre système les nouveaux créateurs et les nouvelles écritures. Pour l’instant, lorsqu’ils veulent tourner un court-métrage, les YouTubeurs ou d’autres créateurs du web ne s’adressent pas spontanément au guichet du CNC, alors que nous avons créé des aides au court-métrage : ils sont dans leur univers et il faut leur donner la chance d’être soutenus par le nôtre.

Enfin, ce type de mesure favorise la transparence : celle des recettes qu’engrangent ces plateformes, qu’elles soient constituées par des abonnements ou par de la publicité, comme celle de la rémunération des ayants droit, car nous pourrons veiller à ce qu’ils touchent leur part des recettes.

Le crédit d’impôt est tout sauf un effet d’optimisation : c’est d’abord la mesure fiscale qui, en termes de compétitivité, a été la plus efficace et la plus rapide de toutes celles qui ont été créées ces dernières années, puisqu’elle représente 380 millions d’euros en dix mois, là où l’on n’attendait que 200 millions d’euros en un an. Mais ce n’est pas non plus un effet d’aubaine, puisque les études du cabinet d’audit Ernst & Young montrent que 1 euro de crédit d’impôt, c’est-à-dire de manque à gagner fiscal, a généré à peu près 10 euros d’activité, et un retour de 3 euros, en termes de recettes fiscales et sociales. C’est donc un investissement extrêmement positif pour l’État.

Avec tous les partenaires de la filière, nous avons mis en place un système destiné à mieux présenter aux spectateurs et téléspectateurs les offres légales disponibles, qui sont clairement identifiées en ligne. Ainsi, si vous cherchez un film sur Google, au lieu d’être dirigé assez spontanément vers un quelconque site pirate, vous serez renvoyé vers le site AlloCiné, avec lequel nous avons signé un accord il y a quelques mois, et sur lequel vous découvrirez toutes les manières de visionner l’œuvre qui vous intéresse, en salle, en achat ou en location. Cet accord pragmatique fonctionne très bien, même si, je le reconnais, il ne répond pas à toutes les questions que vous avez posées sur le piratage, l’offre légale et la chronologie des médias.

Enfin, nous avons souhaité, ces dernières années, recentrer nos aides sur les documentaires de création, car nous avions observé une dérive sur les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT), qui utilisaient le genre pour alimenter leurs grilles avec des œuvres à faible coût, qui n’avaient de documentaire que le nom, qui s’apparentaient davantage à de la « trash investigation » qu’à de la création.

Le documentaire représente aujourd’hui 80 millions d’euros d’investissement pour le CNC : c’est le genre audiovisuel le plus aidé, devant la fiction, l’animation et le spectacle vivant. Nous lui apportons donc un soutien bien réel. Cependant, étant donné la faiblesse des diffuseurs, un certain nombre de documentaires ont du mal à trouver des financements. Nous avons donc recentré l’aide sur les documentaires de création, mais, pour répondre à votre préoccupation, nous venons de prendre des mesures pour aider les documentaires les plus fragiles. Ainsi, aux termes des accords que nous avons passés avec les régions, nous les encourageons à aider les télévisions locales afin que celles-ci aident à leur tour les documentaires de création. Le syndicat des agences de presse audiovisuelles (SATEV), qui représente une partie des producteurs de documentaires – notamment ceux qui font de l’investigation –, a porté notre réforme devant le Conseil d’État, qui vient d’annuler la mesure que nous avions prise pour concentrer nos aides sur les documentaires de création. L’ouvrage est à nouveau sur la table et nous devons rediscuter de l’ensemble de la réforme du documentaire pour maintenir cette exigence qui est l’objectif de la politique publique du CNC.

M. Jean-Baptiste Dupont. En ce qui concerne la chronologie des médias, il faut rappeler que le financement du cinéma repose, en France, sur des fenêtres d’exploitation successives et exclusives. C’est ce qui permet le préfinancement des films. Les autres pays européens ne connaissent pas d’accords semblables, mais, comme en France, les films n’y sortent pas en DVD ou en VAD moins de quatre mois après la sortie en salle.

Les nouveaux opérateurs, tel Netflix, pourraient avancer dans la chronologie des médias s’ils s’inscrivaient dans cette logique de préfinancement en investissant dans le préachat. Nous n’avons pas une approche psychorigide de la question : il n’y a pas d’oukase contre ces nouveaux entrants. Au contraire, l’API et, sans doute, l’ensemble de la profession seraient tout à fait favorables à ce qu’ils soient globalement impliqués dans la filière.

Mme Carole Scotta. Vos questions le prouvent, vous êtes sensibles à l’équilibre du secteur. Vous avez parlé des petits producteurs. Historiquement et globalement, la marge a toujours nourri le centre. Il faut veiller à accompagner ceux que certains ont tendance à appeler les « champions » du secteur, pour rayonner à l’international, mais aussi nourrir la diversité qui, elle-même, nourrit ces grosses sociétés. Il est donc très important de dire qu’il n’y a pas de petits producteurs, de petits distributeurs, de petits exploitants, de petits films, mais qu’il y a tout simplement le cinéma.

En 2008, nous avons eu la Palme d’or avec Entre les murs, qui était un petit film. Nous sommes des petits producteurs, et ce film a été l’un des premiers à se vendre à l’étranger et à faire rayonner la culture française. Chacun doit être à sa place et bien faire son travail, à l’intérieur d’un écosystème équitable. Toutes les mesures doivent contribuer à préserver cet équilibre.

Quant à l’offre légale, aussi fournie, aussi vive soit-elle, elle n’arrivera pas à exister tant que l’offre illégale sera perçue comme gratuite par les internautes.

En ce qui concerne la HADOPI, elle doit faire évoluer son système de surveillance d’internet, trouver des moyens techniques et réglementaires pour lutter contre le streaming, et non plus uniquement contre le téléchargement. Nous-mêmes, en tant que distributeur, prenons aussi nos responsabilités et payons chaque mois des services qui détruisent systématiquement des liens – mais ceux-ci réapparaissent dès le lendemain. Ce travail de Sisyphe nous coûte cher.

Je voudrais tempérer ce que j’ai dit sur l’exploitation. Toutes les salles ne font pas le même métier. Si vous êtes soucieux de préserver la présence du cinéma d’Art et essai dans nos territoires, veillez à ce que certaines salles abandonnent une logique de parts de marché et en reviennent à une logique plus éditoriale. Nombre d’entre elles le font, mais, dans certaines agglomérations où l’on propose toujours les mêmes films, la logique de parts de marché a tendance à tuer la diversité.

En tant que distributeurs et défenseurs de cette diversité, nous avons parfois du mal à faire exister nos films. Certains documentaires et certains petits films ne sont plus diffusés, car il est économiquement de plus en plus difficile de leur trouver des écrans. Dans le cadre d’assises organisées par le CNC, la profession réfléchit aux moyens de renforcer la réglementation et de permettre une plus grande diversité dans les salles.

J’en viens à un point de désaccord avec mon ami Richard Patry. Certes, le VPF a été un formidable instrument pour assurer la transition numérique et nous avons d’autres outils à notre disposition, telle la gestion du compte de soutien, pour permettre aux salles de poursuivre leur rénovation. Mais ce serait une erreur de croire qu’un élément de régulation garantirait une plus grande diversité dans les salles. Pour cela, il faut plutôt se tourner vers les engagements de programmation ou d’autres outils auxquels nous réfléchissons. Les distributeurs, les producteurs, les ayants droit des œuvres seront opposés à ce qu’un élément financier soit retenu pour mieux réguler le marché : face à des frais de distribution exponentiels, notre souci est de faire remonter l’argent jusqu’aux producteurs et aux ayants droit, pour que chacun puisse vivre de son métier. En ce qui concerne la distribution, seuls 20 % des films français parviennent à l’équilibre. Il faut donc faire en sorte que les frais de distribution ne deviennent pas trop lourds, afin que nous ne soyons pas en déficit pour les sorties, que les films les plus fragiles puissent arriver sur les écrans et que l’argent circule de la salle jusqu’aux ayants droit.

Vous avez parlé des femmes et je suis très heureuse que vous souligniez la minorité que nous représentons. Nous devons nous battre davantage. C’est vrai dans notre secteur, comme dans le vôtre, et dans bien d’autres. Je ne peux répondre qu’à titre individuel. Nous produisons des femmes, comme Emmanuelle Bercot, nous sommes entourés de femmes, mais c’est un travail de tous les jours. Je suis sûre qu’il y a des choses à faire aux niveaux réglementaire et législatif, et je serai très vigilante sur ce point.

Mme Frédérique Bredin. Je voudrais introduire à ce propos une note d’optimisme. Mme Carole Scotta représente la génération montante des réalisatrices, productrices, distributrices ou exploitantes. Une photographie par tranches d’âge donnerait des résultats très contrastés, et très encourageants. La nouvelle directrice générale de la Fémis, École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, est une femme, Mme Nathalie Coste-Cerdan, qui a longtemps travaillé à Canal+ et qui est, elle-même, très soucieuse de ces questions. Cette école compte autant d’étudiantes que d’étudiants, ce qui donne beaucoup d’espoir pour l’avenir.

Mme Carole Scotta. Mme Frédérique Bredin a raison de souligner l’importance de la formation. Nous avons des écoles d’excellence, comme la Fémis ou les Gobelins. La Fémis, notamment, grâce à son ancien directeur, M. Marc Nicolas, a ouvert un atelier d’écriture et plus spécifiquement d’écriture audiovisuelle. C’était inédit, et très courageux de sa part. Cela étant, je pense que ce n’est pas suffisant. Il faut accompagner ce mouvement, car les producteurs de cinéma et de séries manquent de scénaristes formés à un niveau supérieur, comme celui de la Fémis. Mais il faudrait aussi réfléchir à une formation, pour les plus jeunes, à ce que l’on appelle en anglais la « creative writing », c’est-à-dire une écriture créative. On pourrait aussi enseigner l’écriture dans les conservatoires, au même titre que la musique ou le théâtre.

M. Alain Suguenot. Même au niveau des BTS.

Mme Carole Scotta. Absolument. Je crois qu’il faut y réfléchir au niveau national.

M. Richard Patry. Bien avant le BTS, la formation au cinéma, en France, commence dès la maternelle, avec des dispositifs d’éducation à l’image exemplaires que nous avons réussi à mettre en place, avec l’ensemble de la filière, dans les écoles, les collèges et les lycées. Toutefois, la réforme des collectivités territoriales, en particulier au niveau des départements, nous donne quelques motifs d’inquiétude concernant la prise en charge des transports, dans le cadre de l’opération « Collège au cinéma ». J’appelle votre attention sur ce point, car, pour faire de l’éducation à l’image, il faut aller au cinéma. Dans un monde où les enfants sont bombardés d’images, il est capital de ne pas renoncer à l’éducation à l’image dès le plus jeune âge. Il faut leur apprendre à lire les images et à aller au cinéma, car c’est en allant au cinéma jeune que l’on continue à y aller toute sa vie.

Nous sommes en pleine discussion, avec le CNC, pour engager une réforme du secteur de l’Art et essai. En ce qui concerne l’aide aux films les plus fragiles, il faut, en effet, favoriser leur diffusion. C’est un point majeur de la réforme dont nous débattons.

En revanche, je relativise la question de la programmation des gros films dans les salles d’Art et essai les plus vertueuses. Certaines d’entre elles ont souhaité diffuser Star Wars. Mais Star Wars ne fait-il pas aujourd’hui partie de la culture cinématographique ? N’était-il pas légitime que ces salles consacrent quelques séances à la diffusion de ce film en version originale ? Les salles d’Art et essai diffusent majoritairement – 95 % de leurs séances dans les grandes villes – des films recommandés Art et essai. Comme tous mes collègues, je suis très attaché à ce secteur. La réforme de l’Art et essai est importante à nos yeux et je remercie le CNC de travailler avec nous sur le sujet.

Je vous ai dit que le secteur de l’exploitation en général allait bien, avec le franchissement du seuil des 200 millions d’entrées, mais tous les secteurs sont en forme – grande, moyenne, petite exploitation –, et celui de l’Art et essai ne va pas mal non plus. Paradoxalement, celui qui nous inquiète le plus, aujourd’hui, c’est Paris, qui perd ses entrées cinéma au profit de la banlieue. C’est un phénomène auquel nous sommes particulièrement attentifs.

En ce qui concerne la chronologie des médias, nous sommes solidaires des autres acteurs de la filière, mais il serait suicidaire de réduire la fenêtre d’exploitation des salles. Aujourd’hui, la salle de cinéma est un lieu de convivialité, de rencontre, mais aussi d’exclusivité. On va au cinéma parce qu’on va voir un film qu’on ne peut voir nulle part ailleurs. Nous sommes donc très attachés à la préservation de cette fenêtre.

En 2009, nous avons fait évoluer la chronologie des médias en l’avançant de deux mois. La salle de cinéma avait une période d’exclusivité de six mois, que nous avons réduite à quatre mois. En Normandie, nous avons l’impression d’être dans le brouillard, au bord de la falaise : si l’on réduit encore la fenêtre, nous ne serons pas à l’abri d’une chute… Restons donc très vigilants.

J’en viens à la création de salles et à notre position sur les CDAC et la CNAC. Il faudrait, pensons-nous, envisager une réforme des CDAC. Ces commissions devraient remonter au niveau régional pour mieux prendre en compte l’aspect culturel et l’équilibre de la diffusion.

Monsieur Michel Sordi, j’ignore pourquoi la CNAC et la CDAC ont refusé le projet de Cernay. Comme il y avait une multitude de projets dans ce secteur géographique, la commission a sans doute préféré les suspendre tous pour essayer de comprendre un peu mieux ce qui se passait.

Vous avez parlé, Madame Annick Le Loch, d’une salle qui a brûlé en Bretagne, et dont le remplacement pose difficulté. Nous sommes très attachés au dynamisme des exploitants et nous faisons en sorte que de jeunes professionnels puissent accéder à la direction des salles de cinéma. Nous avons mis en place avec le CNC un système de prêt participatif, organisé par l’IFCIC, qui permet à de jeunes professionnels d’obtenir des fonds propres pour racheter des salles de cinéma. Si vous le souhaitez, je suis à votre disposition pour vous présenter des jeunes professionnels qui ont envie de passer du statut de directeur de salle à celui d’exploitant et qui, grâce à ce dispositif, pourraient reprendre cette salle.

J’en viens à la question de Mme Fanny Dombre Coste sur l’innovation. Depuis l’invention du cinéma par les frères Lumière et la première projection publique et payante en 1895, le cinéma n’a cessé d’évoluer sur le plan technologique. En ce qui concerne le son, on peut dire que les jeux sont quasiment faits : une technique de son immersif, atmosphérique, a été mise au point, et des salles l’installent de plus en plus nombreuses. C’est au niveau de l’image que nous allons vivre les prochaines évolutions. Depuis 1930, le cinéma fonctionne à la cadence de vingt-quatre images par seconde. Pour aller au-delà, il aurait fallu plus de pellicule, ce qui aurait coûté plus cher. Aujourd’hui, avec le numérique, il n’y a aucune raison que cette cadence reste fixée à vingt-quatre images. Des expérimentations sont en cours pour aller au-delà de cinquante images par seconde.

En outre, le spectre des couleurs visibles, que l’on appelle la High Dynamic Range (HDR), va entraîner une évolution et nécessiter des adaptations dans les salles de cinéma. C’est pourquoi, chère Carole Scotta, je pense qu’il y aura nécessairement un après-VPF. La France possède d’excellentes industries techniques qui travaillent sur ce sujet – notamment des laboratoires qui sont très en pointe.

Mme Frédérique Bredin. Je n’ai pas évoqué la question de l’export. Avec les 12 millions d’euros que nous allons, pour la première fois, consacrer à l’export, notre objectif est de passer à la vitesse supérieure. Nous avons de bons chiffres, mais ils sont liés à deux ou trois locomotives, qui sont souvent des films réalisés par M. Luc Besson et qui tirent le box-office vers l’étranger. Au-delà de ces films locomotives, souvent tournés en anglais, nous voudrions avoir une exportation forte, pour créer de nouveaux débouchés et apporter un vrai relais de croissance à notre secteur.

Pour répondre précisément à votre question, Madame Jeanine Dubié, l’aide du CNC sera une prime au succès, puisque c’est en fonction du nombre d’entrées à l’étranger que les soutiens seront donnés. Toutefois, cette aide sera dégressive, afin que les films d’auteur, les films de la diversité, puissent aussi en bénéficier. Outre sa dégressivité, cette aide est plafonnée au-delà de 700 000 entrées dans le monde, afin que les petits films soient aidés.

On a tendance à penser que l’exportation ne concerne que quelques films français. En réalité, les films du milieu, notamment les films d’auteur, connaissent très souvent un succès considérable à l’étranger. Ainsi, les films de François Ozon ou de Jacques Audiart font plus d’entrées à l’étranger que sur le territoire français. C’est toute la palette des films français qui est concernée par cette réforme.

M. Jean-Grellier, président. Je remercie nos invités. Cette audition montre, à travers la complémentarité entre la culture et l’économie, l’importance de ce secteur industriel, en termes d’aménagement et d’animation de nos territoires.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 30 novembre 2016 à 9 h 30

Présents. – M. Damien Abad, M. Frédéric Barbier, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bies, M. Yves Blein, Mme Michèle Bonneton, M. Marcel Bonnot, M. Alain Calmette, M. André Chassaigne, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Corinne Erhel, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Christian Franqueville, M. Laurent Furst, M. Franck Gilard, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Philippe Kemel, Mme Laure de La Raudière, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Audrey Linkenheld, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-Claude Mathis, M. Yannick Moreau, M. Philippe Naillet, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, Mme Josette Pons, M. Dominique Potier, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Michel Sordi, M. Éric Straumann, M. Alain Suguenot, M. Lionel Tardy, M. Jean-Marie Tétart, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier

Excusés. – M. Bruno Nestor Azerot, M. Denis Baupin, M. Jean-Claude Bouchet, M. Daniel Fasquelle, M. Henri Jibrayel, M. Jean-Luc Laurent, M. Serge Letchimy, M. Philippe Armand Martin, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Bernard Reynès, M. Thierry Robert, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Paul Tuaiva, Mme Catherine Vautrin

Assistaient également à la réunion. – M. Olivier Falorni, M. Paul Molac, M. Christophe Premat, M. François Pupponi, M. Paul Salen