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Commission des affaires économiques

Mardi 7 février 2017

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 45

Présidence de Mme Frédérique Massat, Présidente

– Audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de M. Jean-François Carenco, dont la nomination à la présidence du collège de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) est envisagée par le Président de la République, puis vote sur cette nomination

La commission a procédé à l’audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de M. Jean-François Carenco, dont la nomination à la présidence du collège de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) est envisagée par le Président de la République.

Mme la présidente Frédérique Massat. Chers collègues, la commission des affaires économiques doit rendre un avis préalable à une nomination envisagée par le Président de la République. Cette procédure, qui répond à une exigence prévue à l’article 13 de la Constitution, est régulièrement mise en œuvre par notre commission : aujourd’hui, nous l’appliquons pour la seizième fois au cours de la XIVe législature.

Je vous rappelle néanmoins le déroulement de la procédure. L’audition est publique. Le scrutin est secret et doit avoir lieu hors la présence de la personne auditionnée ; il ne peut donner lieu à délégation de vote ; il sera effectué par appel public ; des bulletins vous seront distribués à cet effet. Le dépouillement, qui sera effectué par deux scrutateurs, aura lieu simultanément à l’Assemblée nationale et au Sénat, conformément à l’article 5 de l’ordonnance du 17 novembre 1958.

Vous vous souvenez également que le bureau de la commission des affaires économiques a pris deux décisions lors de sa réunion du 21 septembre 2016.

D’une part, le dépouillement s’effectue désormais, en principe, en salle de commission lorsque le vote du Sénat intervient dans la continuité de celui de l’Assemblée nationale. Mais lorsque, comme c’est le cas pour la présente audition, le vote du Sénat ne se déroule pas dans la continuité de celui de l’Assemblée nationale, le bureau a décidé que l’urne serait transportée dans mon bureau, où les scrutateurs seront appelés à intervenir, le moment venu. La commission des affaires économiques du Sénat entendra M. Jean-François Carenco demain, mercredi 8 février, à 14 heures 45. L’urne sera donc déposée dans mon bureau après notre réunion. Chaque scrutateur se verra remettre l’une des deux clefs nécessaires à l’ouverture de l’urne, clefs qu’ils ne devront pas oublier quand ils seront appelés à venir dépouiller les bulletins dans mon bureau demain, après les questions au Gouvernement.

D’autre part, le bureau de la commission des affaires économiques a également décidé d’adapter les règles de désignation des deux scrutateurs. Depuis notre précédente audition dans le cadre de la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution, sont donc choisis le commissaire présent le plus jeune du groupe Socialiste, écologiste et républicain et le commissaire présent le plus jeune du groupe Les Républicains.

Je vous rappelle enfin que, conformément au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution, le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission compétente de l’Assemblée nationale et du Sénat représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Il m’appartiendra de communiquer le résultat du vote à la présidence de l’Assemblée nationale puis de vous en informer ultérieurement.

Nous auditionnons aujourd’hui M. Jean-François Carenco, personnalité pressentie pour occuper les fonctions de président du collège de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), en remplacement de M. Philippe de Ladoucette, qui occupait ce poste depuis 2006 et que notre commission a auditionné à plusieurs reprises.

Monsieur Jean-François Carenco, au cours de ces quinze dernières années, la Commission de régulation de l’énergie a pris une place stratégique dans le secteur de l’énergie et est souvent qualifiée de gendarme de l’électricité et du gaz. Si votre nomination est confirmée par le Parlement, de nombreux chantiers vous attendront dans le cadre de vos nouvelles fonctions : la préservation des tarifs réglementés, la mise en place du mécanisme de capacité, le développement des interconnexions, la réalisation du projet IFA 2 (Interconnexion France-Angleterre 2) qui pourrait être quelque peu compromise par le Brexit et bien d’autres sujets encore que les parlementaires ici présents ne manqueront pas d’aborder.

Quelle doit être, selon vous, la place de la CRE, régulateur national, dans le cadre du projet européen d’Union de l’énergie ? La Commission a publié, en novembre 2016, de nouvelles propositions communément appelées « paquet hiver », auxquelles la CRE vient de réagir : le régulateur français s’interroge fortement quant au nombre des nouvelles compétences attribuées aux régulateurs, à la pertinence et au respect du principe de proportionnalité. Il estime que le niveau de détail des règles envisagées laisse peu de marge de manœuvre aux régulateurs nationaux. La Commission européenne souhaite notamment modifier le processus de vote au sein du conseil de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER). Que pensez-vous de l’équilibre actuel des pouvoirs de régulation entre les niveaux national et européen ? Qu’estimez-vous devoir être la répartition optimale entre ces niveaux ? Dans sa proposition de règlement sur l’électricité, la Commission européenne charge également l’ACER d’adresser une recommandation aux régulateurs nationaux pour arriver à une convergence progressive de la structure des tarifs de transport et de distribution d’électricité. Que pensez-vous d’une telle convergence au niveau européen ? Enfin, le projet législatif de la Commission prévoit l’attribution d’un nombre substantiel de responsabilités nouvelles aux régulateurs nationaux. Dans quelle mesure la CRE dispose-t-elle des moyens nécessaires pour faire face à ce surcroît de prérogatives ?

M. Jean-François Carenco. Je vous remercie de votre accueil. Je commencerai par me présenter pour ensuite vous décrire mes motivations ainsi que ma vision du secteur et du rôle de la CRE.

Bien que je sois préfet depuis vingt-trois ans, et actuellement préfet de la région Île-de-France et de Paris, il ne me semble pas forcément incongru que je sois nommé à la tête d’une autorité administrative indépendante. Ce n’est pas chose commune que de nommer un préfet à la tête de la CRE mais cela a déjà été fait à deux reprises. Je pourrai vous dire que c’est le Président de la République qui m’a choisi, mais je préfère être sincère et vous dire que je l’ai sollicité et qu’il m’a donné son accord.

Je n’évoquerai que brièvement ma carrière car beaucoup d’entre vous m’ont croisé dans le passé. De mes études à HEC, j’ai gardé la conviction de l’importance de l’industrie et de la nécessité d’une industrie forte pour ce pays. Je suis, du fait de mes études et de mon parcours, plutôt un industrialiste. Mon passage au service d’une grande collectivité locale, à Montpellier, m’a donné à connaître de l’intérieur les regroupements de communes et les communes qui, demain, seront appelés à jouer un rôle important dans les smart grids, les ajustements entre production et consommation ainsi qu’en faveur des nouvelles consommations et des nouvelles méthodes de production d’électricité. Aux trois postes que j’ai occupés outremer, j’ai pu découvrir les contraintes des zones non interconnectées (ZNI), l’importance de l’ensoleillement pour le photovoltaïque, et ainsi le caractère intermittent des énergies renouvelables, mais aussi l’importance de la péréquation tarifaire et de la solidarité nationale. Mes longues expériences de préfet de département puis de préfet de région m’ont évidemment confronté aux enjeux territoriaux du développement des énergies renouvelables, à ses incidences économiques et sociales et à l’évolution des systèmes de production énergétique. Les fonctions de préfet du Rhône m’ont aussi amené à connaître les concessions hydrauliques. Bref, l’énergie, secteur majeur en France, est au cœur des fonctions que j’ai exercées en tant que préfet. Tout au long de ma carrière, j’ai eu à favoriser l’adaptation des réseaux à la croissance rapide des métropoles et à accompagner la mise en place d’infrastructures à l’égard desquelles nos concitoyens sont de plus en plus réservés.

J’ai eu à traiter des questions énergétiques auprès de M. Jean-Louis Borloo en qualité de directeur de son cabinet alors qu’il était notamment chargé de l’énergie et des négociations sur le climat. J’y ai découvert l’extrême complexité du secteur de l’énergie. Au cœur des négociations européennes – puisque nous négociions alors le troisième paquet énergie –, j’en ai mesuré l’importance et la difficulté. J’ai pu mesurer l’importance et l’âpreté des combats interministériels. À la tête des administrations du ministère, j’ai pu apprécier leur très grande compétence technique mais aussi m’apercevoir de leur goût immodéré pour la complexité…

Deux raisons m’amènent à solliciter votre aval, sur proposition du Président de la République. D’une part, je suis convaincu que mon expérience peut être mise au service des enjeux énergétiques. D’autre part, je suis animé encore et toujours par le devoir et l’envie de faire avancer les dossiers, en rassemblant et en faisant émerger le consensus entre des acteurs qu’initialement tout oppose sur des sujets très complexes.

Il serait vain de prétendre que je suis un technicien mais j’ai la volonté d’apprendre – j’ai commencé à le faire ces deux dernières semaines. Surtout, l’important n’est sans doute pas là aujourd’hui. Ce qui compte, c’est que la CRE et son président puissent être, avec le Parlement, pleinement au cœur des enjeux stratégiques en assurant la fluidité du marché, la sécurité du consommateur, la sécurité des approvisionnements, le respect des règles européennes, le développement de notre industrie et le rayonnement de la France. Voilà le défi que je souhaite relever.

J’en viens aux enjeux de notre système énergétique.

Nous sommes dans un monde incertain qui change à la fois rapidement et du tout au tout. Le paysage que je découvre dix ans après avoir exercé mes fonctions de directeur de cabinet a profondément évolué en termes de puissance de calcul et du fait de la numérisation, de l’internationalisation, des nouvelles technologies, de l’aspiration à une nouvelle gouvernance et du changement climatique. Il faut donner au système énergétique les moyens d’être agile et de se réinventer. Ce mouvement de réinvention est en marche depuis plusieurs années : il s’opère sous l’impulsion de l’Union européenne avec les premier, deuxième et troisième paquets énergie qui dessinent l’Europe de l’énergie, déjà évoquée par Jacques Delors, et maintenant l’Union de l’énergie avec le quatrième paquet « énergie propre », que la Commission européenne souhaite en rupture avec les trois paquets précédents.

Les enjeux me semblent être globalement les mêmes pour le gaz et l’électricité, avec certes des différences, mais pas quant aux principes fondamentaux que sont la sécurité des approvisionnements, la défense des consommateurs finals, la défense de l’outil industriel, la transition énergétique et la construction de l’Union de l’énergie.

La sécurité des approvisionnements est dans mon esprit, avant même la défense des consommateurs, l’objectif premier. Pour l’électricité comme pour le gaz, elle est synonyme d’équilibre entre l’offre et la demande.

S’agissant de l’électricité, au-delà de la nécessité de favoriser le développement des énergies renouvelables, de la question du stockage et du débat entre offre et gestion de la demande, l’enjeu pour notre pays est d’avoir une vision claire de l’évolution de notre industrie nucléaire. Cela ne relève pas directement de la compétence de la CRE – encore qu’elle intervienne dans la fixation des tarifs, qu’elle ait une influence sur les investissements et qu’elle régule la concurrence.

Pour le gaz, l’enjeu est plutôt macroéconomique car la sécurisation des approvisionnements suppose des investissements considérables qui tiennent compte de nos liaisons européennes, de nos terminaux gaziers, de nos relations avec les pays fournisseurs, du stockage, de son financement et surtout de la perspective du verdissement de cette source d’énergie.

Dans les deux secteurs, la sécurité des approvisionnements est l’enjeu majeur des marchés et des interconnexions européennes : l’Europe est, en soi, une plaque énergétique. Les règles y sont claires. L’Union de l’énergie, aujourd’hui en construction, doit permettre d’améliorer la sécurité des consommateurs en élargissant le champ des possibles grâce à une optimisation des contraintes, à la disponibilité de moyens de production diversifiés à tout moment et à l’échange en base ou pour la satisfaction de la pointe. La France, du fait de sa position géographique et de sa fonction exportatrice, peut être le moteur de cette construction européenne – elle doit l’être au moment où les incertitudes internationales renforcent la nécessité de cette union.

Marché de gros, marché de détail, marché de l’effacement et marché des certificats de capacité : tous doivent être transparents et reliés pour assurer le meilleur ajustement possible entre offre et demande d’énergie. Des progrès gigantesques ont été réalisés mais l’intégration européenne renforcée comme les progrès de la numérisation permettent encore des avancées. C’est là une tâche importante pour la CRE que d’être à l’écoute des exigences de sécurité et de veiller au bon fonctionnement de ces marchés.

Rendre le secteur de l’énergie efficient est un enjeu complexe, technique, parfois peu compréhensible, mais cette optimisation de l’offre et de la demande permet des économies considérables, des économies de production, donc une moindre empreinte écologique. Cela suppose d’avoir des opérateurs énergétiques professionnels, performants et indépendants.

Enfin la sécurité des approvisionnements passe par la robustesse des gestionnaires de réseau de transport et de distribution. L’indépendance des opérateurs français est reconnue, qu’il s’agisse du Réseau de transport d’électricité (RTE), du Gestionnaire de réseau de transport de gaz (GRT Gaz), de Transport et Infrastructures Gaz France (TIGF), d’Enédis, de Gaz Réseau Distribution de France (GRDF) ou d’autres. L’enjeu de la solidité, de l’indépendance, de la capacité d’innovation et de la capacité de financement de ces entreprises est majeur. Pour avoir déjà eu à les rencontrer et à les connaître, je sais qu’elles sont à la hauteur. Votre commission a l’habitude de les auditionner aussi. Si l’enjeu est évidemment celui du développement de l’investissement que le secteur est capable de proposer face aux enjeux mondiaux, c’est à la CRE d’assurer un dialogue permanent pour trouver le juste équilibre entre des objectifs parfois contradictoires et ne pas entraver le développement de notre industrie tout en favorisant la concurrence, entre baisse des prix et financement des investissements. Les mésaventures du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) montrent bien qu’on est là au cœur de contradictions qu’il vous appartient de résoudre et qu’il m’appartient de vous aider à résoudre.

Le deuxième enjeu est celui de la défense du consommateur final. Celle-ci passe d’abord, nous l’avons vu, par la sécurité des approvisionnements à court et à long termes. Mais d’autres considérations sont également importantes pour le consommateur : non pas uniquement le prix, mais aussi la liberté de choisir, la possibilité de prendre part aux décisions qui sont prises, son rôle éventuel en tant que producteur et la défense de l’environnement. Ces considérations nouvelles, aujourd’hui rendues possibles par la digitalisation et l’absolue victoire de l’information et de la communication, modèlent l’avenir du système sur un fond de tassement de la croissance de la demande, voire d’une certaine décroissance depuis deux ans. Le marché de l’électricité a en effet considérablement évolué au cours de ces dix dernières années, la demande d’électricité étant stable voire déclinante alors que le secteur avait fondé son modèle sur l’hypothèse d’une demande en hausse et que les gros producteurs perdent aujourd’hui souvent de l’argent.

S’agissant du prix, nous passons peu à peu d’un système où les coûts étaient variables à 80 % et fixes à 20 % à un système inverse. L’ancien système électrique était ainsi déterminé par des coûts variables ; le nouveau me semble déterminé par des coûts fixes. Pour le consommateur final, c’est un problème considérable car le prix de l’énergie brute s’efface devant le prix des transports, du raccordement et des énergies nouvelles et devant le montant des taxes et le coût de la solidarité.

Concrètement, ces sujets sont tous difficiles pour la CRE car, au-delà des propositions du Gouvernement et des choix du Parlement qui fixent la feuille de route dans un cadre européen, les problèmes soulevés ont tous des solutions contradictoires, qu’il s’agisse de la suppression des tarifs réglementés pour le gaz et, peut-être demain, pour l’électricité, de la concurrence entre les producteurs avec le libre accès aux réseaux et la liberté de la fourniture d’énergie, du poids relatif de la puissance ou de l’énergie dans le tarif de transport, de l’évolution de l’ex-contribution au service public de l’électricité (CSPE), du coût des énergies renouvelables et de leur financement, des enjeux territoriaux – notamment ceux des ZNI – ou encore du coût de la solidarité.

En toute indépendance d’analyse, dans le respect de la déontologie et sans doute avec un certain « devoir d’ingratitude » – c’est-à-dire avec la capacité d’oser remettre en question certains acquis –, la qualité du dialogue avec le Parlement, les industriels et le Gouvernement est essentielle pour permettre à la CRE de rendre ses avis et de fixer les prix.

La liberté de choix est autant une revendication du consommateur résidentiel que du consommateur industriel. S’agissant de la consommation ordinaire, cette liberté de choix est, en droit, à peu près totale. Les prochaines étapes sont connues : la décision attendue du Conseil d’État sur le gaz, la fin, demandée par l’Union européenne, du dernier tarif réglementé sur l’électricité et la redéfinition, à terme, de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH).

À mon sens, l’enjeu réside aujourd’hui dans les contrôles sur les marchés, le rôle de la concurrence et les possibilités que nous offre la technologie. Le contrôle du fonctionnement des marchés, y compris de celui du CO2 – même si le prix de ce dernier est inférieur à dix euros – est très important. L’extension des marchés et leur unification peuvent permettre des manipulations qu’il s’agit de surveiller, de contrôler voire de repousser. La réglementation européenne avec le règlement européen relatif à l’intégrité et à la transparence des marchés de gros de l’énergie (REMIT) doit s’appliquer.

La libre concurrence est un enjeu essentiel pour l’avenir et le développement de l’industrie européenne mais nous connaissons tous les tenants et aboutissants du débat en la matière : monopole contre baisse des prix, consommateurs contre producteurs, idéologie contre pragmatisme, construction européenne contre décisions nationales – voire replis nationaux. À l’évidence, avec les propositions sur le quatrième paquet, les débats sur l’avenir du nucléaire et la montée des énergies décentralisées de même que les débats sur la concurrence ne sont pas près de s’éteindre. La concurrence au service d’une politique du meilleur prix semble une bonne chose. Encore faut-il qu’elle permette d’assurer l’investissement à long terme, la sécurité des approvisionnements, la préservation de l’environnement et l’équilibre de l’Union européenne. C’est bien là l’optimisation à rechercher.

La défense du consommateur et l’irruption du citoyen-consommateur dans les processus de décision sont une nouveauté. La transition énergétique et sa prise en compte dans le débat sur les tarifs dans toutes ses composantes sont les caractéristiques du monde nouveau qui est en train de se construire. Nous y reviendrons lorsque nous évoquerons les énergies renouvelables.

Les smart grids, le rôle des collectivités locales, les agrégateurs d’effacement et le cloud storage des réseaux face au stockage par les producteurs sont autant d’éléments qui me conduisent à penser qu’il ne faut pas regretter l’ancien monde, celui des citoyens consommateurs silencieux et des contribuables résignés. Mais prenons garde : sous couvert de questions très techniques, ce sont des sujets de société qui se dessinent, qu’il s’agisse du stockage autorisé ou non pour les gestionnaires de réseaux de transport (GRT), de la tarification du soutirage ou de l’injection pour les auto-consommateurs. Sur l’ensemble de ces sujets, la CRE a vocation à aider le Parlement à tracer le chemin à suivre.

Certes, se posent aussi, sur ces points, les questions de la bande de sécurité de production et de son financement et du rôle respectif des gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) et des GRT pour les niveaux de raccordement mais il s’agit bien là aussi de questions de société et si la capacité désormais absolue de la technique autorise tous les possibles, le législateur doit jouer un rôle majeur pour éviter le danger de l’entre soi énergétique dans ce paysage chamboulé.

La CRE, par ses avis et ses propositions, me semble devoir être un animateur objectif et impartial du débat, permettant au législateur comme au Gouvernement de prendre ses décisions, et choisir ses orientations de façon éclairée et de façon à garantir la solidarité entre tous les territoires.

Le troisième enjeu est celui de la défense de l’intérêt industriel.

Le secteur énergétique se caractérise avant tout par un faible prix du mégawattheure. Cette semaine, il tourne autour de 35 euros sur les marchés de gros alors qu’il y a dix ans, nous nous attendions à ce qu’il soit de 100, voire de 200 euros. La deuxième caractéristique de ce secteur réside dans le tassement de la consommation électrique et gazière autour de 450 térawattheures. Le développement des véhicules électriques changera la donne en termes de consommation mais ne devrait pas avoir d’effet sur la puissance nécessaire si l’on sait étaler les périodes de charge.

Il appartient au Gouvernement, à la Représentation nationale et aux industriels de tout faire pour préserver l’appareil industriel de la filière énergétique française – vous êtes ici plusieurs à savoir à quel point j’y suis attaché –, en France comme à l’exportation, notamment grâce aux techniques de production renouvelable, de stockage, de production de base et d’ingénierie. Cela se fait à une vitesse inégalée à ce jour.

Sommes-nous loin du rôle de la CRE ? Je ne le crois pas. S’il revient au Parlement et au Gouvernement de le trancher, le débat sur la défense de l’outil industriel doit s’appuyer sur une analyse objective et équilibrée, présentée avec impartialité et indépendance par la CRE, puis sur l’action concertée de tous les acteurs du monde de l’énergie. En tout cas, je souhaite que la CRE soit un lieu où la défense de l’emploi ne soit pas hors sujet.

J’en viens à l’environnement et à la transition énergétique.

Le mot « transition » évoque un passage, une réinvention. Cette nouvelle exigence d’un modèle plus durable, soucieux des enjeux environnementaux et d’une efficacité énergétique passe par la promotion des énergies renouvelables, la diversification des sources d’énergie et la réduction de nos besoins énergétiques. Nous nous appuyons en la matière sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 et sur l’accord adopté au terme de la Conférence de Paris sur le climat (COP21).

Le développement des énergies renouvelables est un objectif ambitieux mais difficile à concrétiser. Cette dynamique collective avait été enclenchée par M. Jean-Louis Borloo – j’en tire aussi une certaine fierté – alors qu’on pensait que le prix de l’énergie allait s’envoler. Aujourd’hui, l’enjeu du prix demeure pour les producteurs. Il reste donc nécessaire de soutenir le développement et la production d’énergies renouvelables, même si les prix de revient ont considérablement baissé et même si cela a un impact sur le montant de la CSPE. L’une des questions qui se posent à la CRE est celle de la forme que doit prendre ce soutien – instauration d’un prix de marché avec prime après appel d’offres ou obligation d’achat assortie de prix fixes. Mais à terme, les énergies renouvelables triompheront du charbon et des énergies fossiles, comme elles le font déjà dans de nombreux pays du monde.

Toujours en ce qui concerne les énergies renouvelables, doivent être traitées les questions des zones non interconnectées (ZNI), des niveaux de raccordement, entre GRT et GRD, et du power to gas, ce système qui force mon admiration et qui permet de faire de l’hydrogène avec de l’eau et de l’électricité – l’hydrogène pouvant être utilisé comme pile, comme complément de gaz à injecter ou pour la fabrication de méthane à injecter dans les réseaux grâce au CO2 produit par nos industries. Ce modèle est en passe de voir le jour à Fos-Cavaou. Les énergies nouvelles sont devant nous ; elles représentent un enjeu gigantesque.

La moindre consommation d’énergie fossile me paraît un objectif accessible. C’est l’un des enjeux de la transition énergétique mais aussi celui des certificats de capacité de production et de la mise sous cocon des centrales combinées à gaz. L’évolution des capacités de production de ces dernières doit nous permettre de faire face aux crises, sachant que le niveau d’acceptabilité du risque de défaillance reste très faible – de trois heures par an. Enfin, reste posée la question de la pérennisation du nucléaire et du coût du grand carénage.

La consommation globale d’énergie a baissé de 9 % entre 2005 et 2012 et devrait encore diminuer, l’objectif étant d’atteindre moins 34 % en 2020 pour les énergies fossiles. Comme tous les autres pays, nous sommes confrontés à la fois à une baisse de la consommation, à un déclin – souhaitable – des combustibles fossiles, à une dépendance accrue envers les importations de gaz et au problème de l’intermittence de la production d’énergies renouvelables, que l’évolution des techniques devrait nous permettre de résoudre. Nous sommes aussi confrontés à une concurrence internationale pour l’accès aux matières premières énergétiques. Mais la réduction de nos besoins est vraisemblablement une des réponses aux défis de demain.

Permettez-moi de vous livrer quelques-unes de mes interrogations sur le sujet de la moindre consommation. Elles concernent notamment le véhicule électrique et son influence sur l’énergie à produire et sa distribution, l’influence de la baisse tendancielle de la consommation sur le parc nucléaire mais aussi sur la tarification des réseaux et la substitution de la fourniture de services énergétiques à la fourniture d’énergie. Je pense ici aux compteurs intelligents qui permettent aux consommateurs de recevoir des informations mais qui sont parfois rejetés par certains. Ces chantiers sont devant nous et la CRE devra prendre toute sa part pour accompagner ces changements structurels absolument nécessaires tout en garantissant le respect des règles démocratiques comme le bon fonctionnement de notre système énergétique.

Je répondrai à présent aux quelques questions que vous m’avez posées concernant la construction de l’Union de l’énergie, Madame la présidente. Le quatrième paquet, récemment dévoilé par la Commission européenne, est le chemin nouveau qu’elle propose vers une Union de l’énergie. L’optimisation de l’utilisation de la production sur la plaque européenne est évidemment une bonne chose, tout comme le renforcement des interconnexions européennes des réseaux de gaz et d’électricité, mais il faut analyser en détail les coûts et les avantages de toute nouvelle interconnexion avec le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et le Portugal avant d’investir lourdement. Les marchés de régulation fonctionnent bien entre pays européens. Saluons enfin l’initiative de RTE sur le système en flux.

L’Union de l’énergie qui vous est proposée dans ce quatrième paquet est indispensable mais elle soulève quand même des interrogations, notamment quant à la rigidité législative : pourquoi faire remonter au niveau central des directives qui pourraient rester au niveau de la pratique ? On s’interroge aussi quant à la tendance centralisatrice et uniformisatrice de cette Union de l’énergie, dans un temps où la mise en place des énergies renouvelables appelle au contraire finesse et décentralisation, et quant au niveau de régulation retenu, qui semble politiquement inexplicable – comment déciderait-on à Ljubljana s’il faut couper l’approvisionnement d’une partie de la Bretagne ? À ce stade, l’énergie n’est pas une compétence propre de la Commission européenne mais le texte que cette dernière met aujourd’hui en discussion entre les États membres pourrait faire évoluer cet aspect. L’énergie relevant des compétences partagées entre l’Union européenne et les États membres, une extension des compétences de l’Union nécessiterait une modification des traités. La volonté d’une plus grande intégration des compétences actuelles peut expliquer les postures de la Commission, au regard notamment des négociations internationales sur le gaz. Mais le temps du débat et des décisions du Gouvernement et du Parlement viendra. Il reviendra à la CRE de les éclairer dans cette construction de l’Europe énergétique.

Qu’il me soit permis de souligner le caractère éminemment technocratique du système des codes réseaux dans leur méthode de construction, d’approbation et d’application ; le rôle central que doit jouer le marché de l’énergie dans la solidarité entre pays européens – nous, qui sommes bien dotés, ne devons pas nous désintéresser de ceux qui le sont moins ; enfin, le rôle que doit jouer la CRE, au sein de l’ACER et de la conférence des régulateurs pour défendre les positions et le modèle français.

Encore faut-il que la CRE en ait les moyens humains et budgétaires. La question reste posée. La ministre chargée de l’énergie a bien voulu accorder vingt postes supplémentaires à notre régulateur de l’énergie : je ne puis dire aujourd’hui si cela suffira. La France doit peser le plus possible dans la mise en place du quatrième paquet et la CRE doit y participer en première ligne. L’appui de la CRE est nécessaire pour élaborer, au profit du Parlement, un corpus de réflexion sur ce sujet très technique mais non moins sociétal. L’Europe doit également accepter de prendre en compte la question de la précarité énergétique.

Voilà, Madame la présidente, Mesdames, Messieurs, le regard que je porte sur notre système énergétique. J’en viens enfin au rôle de la CRE.

Je voudrais tout d’abord remercier M. Philippe de Ladoucette qui, ayant passé onze ans à la tête de l’institution après Jean Syrotta, y a indéniablement laissé sa marque. Pour accompagner les évolutions nationales et européennes du secteur de l’énergie, la CRE doit d’abord remplir – strictement, complètement et en temps voulu – les missions qui lui sont confiées : concourir au bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz naturel au bénéfice des consommateurs finals. Cela doit être fait en cohérence avec les objectifs que vous avez fixés à la politique énergétique : réduction des émissions des gaz à effet de serre, maîtrise de la demande d’énergie et développement de la production d’énergie renouvelable.

Les travaux de la CRE sont centrés sur les prix et le marché, les réseaux, les ZNI, le lancement d’appels d’offres dans le domaine des énergies renouvelables, la participation aux instances européennes de régulation et enfin, les avis qu’elle émet à la demande du Gouvernement et du Parlement. Au-delà, je crois que la CRE doit être un organe de réflexion, d’information équilibrée et complète et de proposition au service du Parlement et du Gouvernement – soit à leur demande, soit à sa propre initiative mais avec prudence, dans le second cas. La CRE ne doit, en aucune manière, se substituer à ceux à qui incombent les choix politiques ; elle ne doit pas être un État dans l’État mais être au service et sous l’autorité du Parlement à qui elle rend compte, en toute indépendance vis-à-vis du Gouvernement – fait encore récemment confirmé. Elle est au service de la Nation. Elle peut être aussi un think tank permanent et discret permettant aux partenaires nationaux de la construction de l’Europe de l’énergie de tracer des chemins de convergence. Elle peut être, si vous le souhaitez, l’intervenant majeur des autorités françaises auprès des diverses instances européennes pour que l’Union de l’énergie, si désirable qu’elle soit, préserve les intérêts de notre pays. Elle devra aussi devenir un vecteur de pédagogie et accomplir sa mission en toute indépendance, de manière éthique et collégiale, valeurs qui me paraissent toutes trois essentielles. La CRE n’a de comptes à rendre qu’au Parlement : cela demande du courage car il lui faut savoir se confronter à des intérêts divergents qui, quelquefois, se dissimulent derrière l’intérêt général pour s’exprimer. La CRE et son président sont là pour faire le tri entre toutes ces opinions, pour que se construise une société où l’énergie ne sera plus un enjeu de luttes.

Voilà, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, le regard que je porte sur ce poste.

M. Yves Blein. Que pensez-vous des débats en cours sur le niveau que doit atteindre le TURPE pour assurer le financement des énergies renouvelables ?

Vous avez évoqué la capacité de la CRE à influer sur les investissements pour assurer la sécurisation des approvisionnements et mentionné, entre autres, les investissements nécessaires pour développer les potentialités que recèle l’hydrogène. Quel regard portez-vous sur le verdissement du gaz ? Quels sont les développements attendus de la biomasse ?

En ce qui concerne le rôle même de la CRE, comment comptez-vous inscrire votre action dans le cadre des perspectives ouvertes par la loi de transition énergétique ? Comment entendez-vous favoriser le développement des moyens nécessaires à cette transition ?

Dans quelle mesure les prix de l’énergie peuvent-ils aider notre industrie à demeurer compétitive, en particulier face à ses concurrents américains ?

Avec l’essor des smart grids et des techniques d’autoproduction, comment le régulateur peut-il anticiper une moindre consommation ? N’est-ce pas là un des ressorts importants de gestion de la ressource ? La défense du consommateur, dont vous avez beaucoup parlé, nous conduit souvent à raisonner en termes de prix. Or, vous l’avez souligné, ces derniers sont de plus en plus constitués de coûts fixes et dénués de souplesse. Dès lors, comment garantir la stabilité des prix tout en tenant compte, parallèlement à la décroissance de la demande, de la préoccupation environnementale, qui est sans doute un élément de renchérissement du coût de l’énergie ?

M. Lionel Tardy. Monsieur le préfet, vous me permettrez de vous appeler cher Jean-François, en hommage à vos anciennes fonctions de préfet de Haute-Savoie, puis de préfet de la région Rhône-Alpes.

Dans une interview au site Contexte, votre prédécesseur, M. Philippe de Ladoucette, estime que la France a un problème avec la concurrence, que l’ouverture du marché de l’électricité est insuffisante et trop lente. Partagez-vous ce constat ? Si c’est le cas, comment comptez-vous relever ce défi ?

Comment comptez-vous défendre l’indépendance du régulateur ? Comment analysez-vous la différence d’appréciation, que l’on pourrait qualifier de passe d’arme, entre la ministre et la CRE sur le TURPE 5 ?

En tant que directeur de cabinet de M. Jean-Louis Borloo, vous aviez pris part au lancement, en avril 2010, du renouvellement des concessions hydro-électriques, fondé alors sur le cadre légal de la loi Sapin. Sept ans après, ce processus n’est toujours pas engagé. Que pensez-vous de ce dossier que vous connaissez bien et dont les implications – en termes de concurrence et de redevances pour les collectivités et l’État – sont tout à fait déterminantes ?

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le préfet, je vous remercie pour votre présentation.

En dressant son bilan, votre prédécesseur a rappelé son attachement à l’économie de la concurrence tout en évoquant les difficultés d’ouverture du marché de l’énergie en France. Comment analysez-vous ces résistances françaises ? Pensez-vous qu’il est possible de les dépasser sans créer des tensions sociales ?

M. Philippe de Ladoucette a également insisté sur l’importance de préserver l’indépendance de l’autorité de régulation. Nous avons vu, lors de la publication de la décision de la CRE sur le TURPE 5 concernant Enedis et la hausse des tarifs d’acheminement, qu’il pouvait y avoir des désaccords entre la CRE et le ministre chargé de l’énergie. Ces désaccords auraient-ils pu être anticipés ? Estimez-vous que les moyens budgétaires accordés à la CRE sont suffisants pour qu’elle puisse exercer ses missions en toute indépendance ?

L’une des missions de la CRE est de « contribuer à la construction du marché intérieur européen de l’électricité et du gaz ». Dans un contexte particulièrement incertain en raison du futur Brexit et de la sortie progressive allemande du nucléaire, comment concevez-vous votre rôle de régulateur français et comment comptez-vous apporter votre pierre à la construction du marché européen de l’énergie ?

Pensez-vous que les pouvoirs de l’ACER doivent être renforcés, notamment en matière d’élaboration des tarifs des réseaux ? Un tel renforcement n’entraînerait-il pas un affaiblissement des missions des régulateurs nationaux tels que la CRE ?

Ma dernière question portera sur le compteur Linky qui continue à susciter beaucoup de polémiques et de suspicions sur nos territoires. D’aucuns s’inquiètent de ses effets sur la santé, la vie privée ou la facture du consommateur. Comment la CRE pourrait-elle contribuer à répondre à ces inquiétudes et aux oppositions qui se manifestent sur le terrain ?

M. Franck Reynier. Je suis très heureux de retrouver M. Jean-François Carenco après l’avoir croisé dans ses fonctions de directeur de cabinet de M. Jean-Louis Borloo et de préfet de la région Rhône-Alpes. Son expérience et ses qualités d’homme de consensus font de lui un être précieux, je tenais à le dire avant d’en venir à mes questions.

Dans votre exposé, vous avez rappelé les enjeux du marché de l’énergie. La CRE participe à d’importants arbitrages sur les tarifs et elle joue un rôle essentiel en tant que conseil du Gouvernement et du Parlement. Le Brexit aura des conséquences sur le positionnement et le poids de la France dans les décisions européennes et nous devons nous y préparer dès à présent. L’une des missions essentielles de la CRE sera d’accompagner l’État qui, au cours des années à venir, devra se montrer stratège dans le secteur de l’énergie. La COP21 a été l’occasion de rappeler la volonté de la France et d’un grand nombre de pays de décarboner la consommation énergétique, ce qui a des incidences sur les décisions stratégiques que nous allons prendre.

Dans le domaine nucléaire, vous avez rappelé le lancement du grand carénage mais il faut aller bien au-delà et commencer à réfléchir au renouvellement de notre parc nucléaire. Selon les objectifs fixés dans la loi relative à la transition énergétique, 50 % de notre production énergétique doit être assurée par le nucléaire. Pour s’inscrire dans la durée, l’État stratège doit définir quels types de réacteurs doivent être installés, à quelle échéance et sur quels sites. Un vrai travail prospectif doit être entamé sans tarder, parallèlement au grand carénage.

Nous devons aussi nous préoccuper des énergies renouvelables et des smart grids. Quand on parle de nucléaire ou des énergies renouvelables, on parle aussi d’industrie, de développement, d’exportations, de filières essentielles. La CRE doit éclairer la vision stratégique de l’État par ses connaissances et ses compétences en la matière.

Vous avez travaillé avec M. Jean-Louis Borloo, qui se préoccupe beaucoup de développements au-delà de nos frontières, notamment par le biais de l’énergie. En Afrique, le savoir-faire de l’industrie française pourrait trouver à s’employer dans l’électrification. En l’occurrence, les besoins humanitaires rejoignent des enjeux économiques et des phénomènes sociaux en lien avec les migrations. Il serait intéressant que vous puissiez nous donner un éclairage sur ce sujet, que je m’attendais à vous voir aborder.

Mme Fanny Dombre Coste. C’est toujours un plaisir de recevoir un grand serviteur de l’État qui, par son parcours et sa réputation arrivée jusqu’à nous, a toutes les qualités requises pour endosser cette responsabilité éminemment stratégique.

La France va être confrontée à de multiples enjeux dans le domaine de l’énergie : nous avons adopté la loi relative à la transition énergétique ; nous avons pris des engagements dans le cadre de la COP21 puis de la COP22, dans un contexte complexe d’ouverture à la concurrence et de construction de l’Europe de l’énergie. Dans ces conditions, comment voyez-vous votre rôle de régulation des investissements extrêmement importants qui vont être nécessaires pour démanteler les centrales nucléaires et assurer l’avenir de la filière nucléaire, développer et gérer les nouveaux moyens de productions d’énergies renouvelables, développer des réseaux intelligents, les Smart grids, et poursuivre l’innovation ?

Comment va-t-on pouvoir lisser ces engagements financiers sur l’ensemble de la chaîne, producteurs et distributeurs, sans que la facture ne fasse les montagnes russes pour le consommateur ?

En tant que haute autorité de l’énergie, la CRE doit veiller à l’indépendance de la France, à l’impact environnemental et social de notre mix énergétique, tout en assurant l’accès de tous à l’énergie par la lutte contre la fracture énergétique. Derrière leur aspect technique, ces questions sont éminemment sociétales, vous l’avez souligné.

M. Guillaume Chevrollier. Créée en 2000, la CRE a su se faire sa place et assurer sa crédibilité dans un secteur capital pour notre économie, notre souveraineté et notre sécurité : l’énergie. Elle joue un rôle stratégique dans la fixation des prix réglementés, sachant qu’il convient de trouver un tarif économiquement probant qui ne soit pas un frein à la concurrence, et dans la libéralisation des marchés. Cependant, la libéralisation du marché de l’électricité est beaucoup moins réelle que celle du marché du gaz où un tiers des abonnés a choisi une offre au prix du marché. Que comptez-vous entreprendre pour mieux faire connaître l’offre alternative en électricité et simplifier les démarches en cas de changement de fournisseur, afin que les Français puissent bénéficier des opportunités de la concurrence avec laquelle, à la fin de son mandat, votre prédécesseur nous a expliqué que la France avait un problème ?

M. Hervé Pellois. Ma première question porte sur la fin des tarifs réglementés de vente d’électricité. Lors d’une audition, votre prédécesseur nous a indiqué que, dix ans après l’ouverture des marchés à la concurrence, 88 % des clients étaient encore au tarif réglementé chez EDF. Depuis un peu plus d’un an, on observe une progression d’environ 2 % de la part de marché des fournisseurs alternatifs, et on voit apparaître de nouveaux fournisseurs, petits ou gros, comme Total. Quel diagnostic faites-vous de la situation actuelle ? Comment envisagez-vous l’avenir ?

Ma deuxième question est relative à un appel d’offres. Le 1er février dernier, la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, Ségolène Royal, a annoncé le lancement d’un nouvel appel d’offres pour les moyennes et grandes installations éoliennes terrestres. Elle a saisi la CRE, avec la Commission européenne, afin de définir le cahier des charges en vue d’attribuer trois gigawatts d’énergie éolienne terrestre. Pouvez-vous nous donner quelques éléments quant au contexte de cet appel d’offres ?

M. Laurent Furst. Pourriez-vous nous décrire le rôle de la CRE dans le développement de la future stratégie française en matière de consommation électrique ? Sera-t-il purement politique et se cantonnera-t-il au niveau ministériel ?

Je vous pose la question parce que j’ai du mal à voir quelle est la stratégie actuelle de notre pays. Le remplacement des énergies fossiles par l’électricité est-il possible ? On pense toujours aux voitures électriques mais l’électrification concerne aussi les lignes de chemin de fer, le logement, l’économie.

Quelles énergies renouvelables seront privilégiées et par quels moyens ?

Qu’en est-il de l’autoconsommation électrique dont la part reste faible alors que le potentiel est considérable ?

Quelles centrales nucléaires pour demain ? Quelle technologie ? Quelle localisation ? Combien de centrales ? Quelle puissance ?

La France n’est pas très en avance dans le développement des smart grids, qui représentent une manière de consommer moins et différemment. Avez-vous un rôle à jouer dans la réflexion sur le développement des technologies de consommation maîtrisée d’électricité ?

Mme Marie-Hélène Fabre. M. Yves Blein et Mme Jeanine Dubié vous ont déjà interrogé sur le TURPE, qui fait l’objet de ma première question. Quelle est votre position concernant ce futur tarif, étant entendu que la CRE a délibéré à deux reprises malgré l’intervention de Mme la ministre ?

Ma deuxième question porte sur les clients professionnels. Les offres de marché de l’électricité se sont fortement développées au premier trimestre de l’an dernier, en raison de la fin des tarifs réglementés au 1er janvier 2016 ; le rythme s’est ralenti au deuxième trimestre et il est resté stable au troisième. Comment favoriser une meilleure transition des tarifs réglementés aux offres de marché ?

La CRE doit être aussi un organe de réflexion et elle doit s’intéresser, en particulier, aux énergies renouvelables, avez-vous dit. On constate que certains industriels se sont engagés dans des politiques de diversification de leurs sources d’énergie, notamment en utilisant les déchets. Qu’en pensez-vous ? La CRE envisage-t-elle de se saisir de cette proposition ?

M. Antoine Herth. À l’occasion de diverses auditions menées dans cette commission, nous avons pu comprendre que la stabilité des réseaux était relativement fragile depuis la montée en puissance des énergies renouvelables. Ces réseaux sont pilotés par des systèmes informatiques. Or nous assistons à des attaques de bases de données ou de systèmes informatiques, qui peuvent se révéler déstabilisantes. La question de la sécurité et de la protection des systèmes de distribution d’électricité, des systèmes d’interconnexion, fait-elle partie de votre champ de réflexion ?

M. Yves Daniel. Merci, Monsieur le préfet, pour votre présentation qui était complète et qui nous a éclairés sur votre vision du dossier.

Quelles sont les attentes des consommateurs d’électricité ? Ils comptent sur la qualité et la régularité de leur approvisionnement et ils souhaitent qu’on les aide à maîtriser leur consommation notamment par l’installation de compteurs intelligents tels que le Linky. Ils se soucient également du prix et, pour ma part, j’insisterai sur la nécessaire maîtrise de la facture. Nous aurions besoin de critères d’alerte simples et faciles à utiliser, d’une simplification des factures. La CRE doit être un vecteur de pédagogie, dites-vous. Qu’entendez-vous par là exactement ?

M. Éric Straumann. En ce qui me concerne, je voudrais vous interroger sur la gestion des pics de consommation d’électricité. Avec la fin des tarifs réglementés, le tarif effacement des jours de pointe (EJP) devrait disparaître. Par quoi peut-on le remplacer ? Comment favoriser les consommateurs qui acceptent de s’effacer en période de pointe ? Durant ces pics de consommation, on constate des épisodes de pollution très forte dans le nord-est de la France, liés aux rejets des centrales à charbon allemandes dans la vallée du Rhin. Comment la CRE peut-elle lutter contre ce phénomène ?

M. Jean-Luc Laurent. Monsieur Jean-François Carenco, vous avez un très beau parcours diversifié et une très belle carrière préfectorale durant laquelle vous avez agi au nom de l’État. Vous avez même su incarner l’autorité de l’État, je peux en témoigner pour vous avoir côtoyé dans différentes circonstances. Vous étiez au cabinet de M. Jean-Louis Borloo lorsqu’il s’est agi de créer l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), puis de mettre en place de nouveaux établissements publics fonciers dont celui d’Île-de-France. Vous avez été nommé préfet de la région Île-de-France et préfet de Paris, pour mettre en place la métropole du Grand Paris et les établissements publics territoriaux.

Et vous voilà devant nous pour prendre la présidence de la CRE. Ma question est donc simple : que diable allez-vous faire dans cette galère ? (Sourires.) Pour faire chic, on dit que la CRE est un arbitre, un régulateur ; en fait, la CRE est l’œil de Bruxelles. Je dirais même mieux : la CRE est le bras armé de Bruxelles, avec la concurrence libre et non faussée.

Aujourd’hui, je vous le dis tout net, j’ai l’impression que l’État perd un grand serviteur. On se connaît suffisamment pour se dire les choses. En l’état, je serais presque tenté de voter contre votre nomination pour vous éviter un tel malheur. J’attends avec intérêt votre réponse.

M. Lionel Tardy. La CRE a soutenu la réforme du stockage du gaz consistant à passer d’un système négocié et non transparent à un système régulé. Que pensez-vous de la non-application de cette réforme pourtant inscrite dans la loi relative à la transition énergétique ?

Mme la présidente Frédérique Massat. Vous voyez, Monsieur Jean-François Carenco, que les parlementaires sont très affûtés sur le sujet. Merci, chers collègues, pour toutes ces questions. Je vous précise que M. Jean-François Carenco ne pourra répondre qu’aux questions qui le concernent directement en tant que candidat à la présidence de la CRE : il n’est pas membre du Gouvernement et nous ne sommes pas en train de nommer un ministre de l’environnement ou de l’énergie. Vous êtes des habitués de ce style d’auditions et vous savez dans quel cadre vont s’inscrire ses réponses.

Pour ma part, j’aimerais ajouter une dernière question. Nous avons parlé de consommateurs, de relations, de tarifs. Quelles seront vos relations avec le Médiateur de l’énergie ?

Nous sommes en train de légiférer sur des ordonnances concernant l’autoconsommation d’électricité et les énergies renouvelables. Mme Béatrice Santais, ici présente, est la rapporteure de ce texte qui sera examiné jeudi prochain en commission mixte paritaire. Quant à la commission des affaires économiques, elle organise demain une table ronde sur les bornes de recharges électriques, avec l’ensemble des acteurs concernés. Si M. Jean-Luc Laurent ne s’oppose pas à votre nomination, vous serez bientôt invité à participer à ce genre de tables rondes au titre de la CRE. (Sourires.)

M. Jean-François Carenco. Si vous le permettez, je vais répondre d’abord à M. Jean-Luc Laurent car sa question touche à l’essence du sujet. Que suis-je venu faire dans cette galère ? Je me pose aussi la question… À ce stade de ma carrière, j’ai acquis une certaine liberté de ton. La CRE traite de sujets importants pour la société, l’emploi, l’industrie. Elle a, en effet, acquis la réputation de défendre la concurrence pure et parfaite. J’ai cru dire que ce n’était pas tout à fait ma vision. Si la CRE peut être le bras armé de Bruxelles, elle doit être aussi l’un des bras armés de la France à Bruxelles. C’est un jeu d’équilibre, d’aller-retour et d’itération. Si je suis désigné président de la CRE, j’entends prendre toutes les relations avec Bruxelles à mon niveau et ne pas les déléguer à un commissaire. Mon engagement est clair et simple.

Il nous faut construire cette Union de l’énergie parce que l’élargissement de la plaque énergétique est une bonne chose pour l’Europe, pour le climat, pour le consommateur. Je regrette que M. Yves Blein et d’autres aient fait semblant de croire que je ne parlais que du consommateur résidentiel car mon propos inclut évidemment le consommateur industriel. Compte tenu de mon histoire, il me semble que je pourrais être à Bruxelles la voix de cette construction énergétique que nous souhaitons tous mais qui est difficile à réaliser parce que nul ne sait actuellement ce que seront nos capacités technologiques dans dix ans.

Je suis un fanatique des évolutions des technologies, de ce qui nous arrive. Qui pouvait penser, il y a dix ans, quand je travaillais aux côtés de M. Jean-Louis Borloo, qu’on saurait stocker l’hydrogène, qu’on parlerait d’autoconsommation, qu’on ferait de la méthanisation ?

Le système évolue extraordinairement rapidement. Comme certains d’entre vous, j’ai appris à programmer en basique. On s’est cru intelligent en apprenant ce qu’étaient les exaflops et les pétaflops et voilà qu’on nous parle d’ordinateurs quantiques. C’est l’équivalent de ce qui se passe dans le monde énergétique.

Pour en revenir à ma candidature, je dirais que mon train arrivait en gare. Je l’ai pris parce que j’ai la conviction absolue que les acteurs français du monde de l’énergie, dans leur diversité, peuvent influer ensemble sur la construction de ce monde de demain qui, il est vrai, s’élabore beaucoup à Bruxelles. C’est une raison de plus de renforcer la présence de la CRE à Bruxelles. C’est aussi pourquoi je considère que c’est à moi d’y aller si je suis désigné. Il y a l’ACER et la présidence des commissions de régulation. Je pense que la France a plus que sa place dans la conférence des régulateurs. Oui, dans cette galère, je vais faire ce que je crois être l’intérêt de mon pays. C’est ce que je fais depuis quarante ans, je ne vais pas changer. J’ai encore un peu d’énergie.

Par souci de préséance, je vais maintenant répondre à la question de Mme la présidente sur le Médiateur de l’énergie. L’existence parallèle d’un médiateur et d’un régulateur entraîne-t-elle des surcoûts ? C’est le point qui me concerne et m’intéresse puisque les moyens sont limités. Il me semble que le débat a été réglé pour l’essentiel, même si on peut regarder s’il est possible d’économiser encore deux ou trois euros par-ci par-là. Une autre question se pose : le Médiateur doit-il être le réceptacle des plaintes des individus ? Pour ma part, je n’en suis pas sûr mais c’est à lui de répondre.

J’en viens à l’autoconsommation, qui représente un changement radical et pose des questions gigantesques. Certaines, très techniques, se rapportent à l’accès au réseau, tant en soutirage qu’en injection du surplus. Elles induisent des problèmes de tarification, donc de solidarité nationale. Va-t-on vers un entre soi énergétique qu’autorisent l’autoconsommation, les smart grids ? N’y a-t-il pas un danger de « communautarisme énergétique », donc de délaissement de la solidarité nationale ? Tout dépend du prix de l’injection et du soutirage, du TURPE. Les requêtes d’Enedis sont d’ailleurs un peu à front renversé car le gestionnaire du réseau n’est pas chargé de la défense de l’autoconsommation.

Je suis favorable à l’autoconsommation, aux smart grids et aux compteurs Linky dont on sait bien qu’ils n’émettent pas plus d’ondes que les grille-pain. – on peut supprimer à la fois les compteurs Linky et les grille-pain… Les réactions à ce compteur sont révélatrices de la peur de l’avenir que peut éprouver chacun de nous, ce qui m’amène au rôle pédagogique de la CRE. Les autorités dites indépendantes ont-elles plus de poids ? À mon avis, elles doivent, après concertation, s’affirmer comme la voix de tous ceux qui essaient de connaître et de tracer l’avenir. C’est ce que le public attend. La CRE doit donc faire de la pédagogie sur les compteurs Linky et l’autoconsommation.

L’adéquation entre l’offre et la demande en matière énergétique doit-elle reposer sur la territorialisation ? Je n’en suis pas sûr du tout, et cela pose des questions d’investissement. Toulouse doit-il être autonome en matière énergétique ? Quand la Commission européenne parle de régionalisation de la régulation, il s’agit du même sujet : la solidarité entre tous, qui engendre des débats sur les tarifs ou sur les bénéfices d’Enedis et d’EDF. Tout cela est du ressort du législateur. En tant que régulateur, la CRE doit avoir un regard indépendant. Comme elle a accès à des informations en permanence, elle doit aussi vous donner des éléments de réflexion, porter une parole à Bruxelles, faire de la pédagogie vis-à-vis de tout le monde.

Plusieurs questions m’ont été posées sur le TURPE. Je suis heureux que le débat ait été tranché. Imaginez qu’un nouveau régulateur arrive et prenne le contre-pied du Gouvernement, histoire de donner une belle leçon d’indépendance. Si j’étais arrivé avant que le problème soit réglé, j’aurais dû prendre la décision politique – au meilleur sens du terme – de donner tort au Gouvernement, sinon c’en était fini. Je suis donc très content que ce soit réglé…

Fallait-il donner raison ou tort au Gouvernement ? Si je suis nommé à la CRE, j’exprimerais les reproches que j’ai à faire. Je ne trouve pas normal que la CRE ait répondu en quarante-huit heures à la deuxième sollicitation de la ministre, quelle que soit la réponse au fond. Dans sa requête devant le Conseil d’État, Enedis fait d’ailleurs valoir que la commission n’a pas respecté le délai de sept jours. Autre sujet qui me fâche : Enedis est certes indépendante mais je ne crois pas qu’il revienne à une société publique de soulever des questions prioritaires de constitutionnalité. Je le dis comme je le pense. Cela ne participe pas d’une bonne gestion du système.

En matière de sécurité des approvisionnements, la CRE peut se prononcer sur le stockage de l’énergie, sur les plans d’investissement, sur les tarifs réglementés, sur le fonctionnement des marchés, sur les réseaux – rappelons que le transport représente entre 20 et 30 % du prix – et sur les appels d’offres concernant les énergies renouvelables. Elle influe sur le prix de façon considérable. Or, dans ce monde, le prix conditionne l’investissement qui est la clef du changement. Quoi qu’il en soit, la CRE doit faciliter cette transition énergétique.

Je n’oublie évidemment pas l’industrie et, je le répète, le concept de défense de l’emploi ne doit pas être interdit à la CRE. Il ne m’appartient pas d’en dire plus. Comme l’a relevé M. Lionel Tardy, tous les types de technologies recèlent des emplois : la construction de turbine des industries lourdes mais aussi les smart grids, les technologies nouvelles, les facteurs d’autoconsommation.

La France a-t-elle un problème avec la concurrence ? On pourrait dire que les Français, plus que la France, ont un problème avec la concurrence. En dehors des tarifs réglementés, la concurrence est totale. Pourtant, les acheteurs résidentiels d’électricité ne font pas appel à la concurrence. La CRE doit-elle tout faire pour que ces acheteurs changent de fournisseur ? Est-ce le rôle du président de la CRE ou du Gouvernement ? Il me semble qu’il revient à chaque producteur indépendant de persuader ses clients potentiels qu’il est le meilleur. Quant à la CRE, elle doit appliquer des tarifs qui permettent à la concurrence d’exister. Faut-il absolument que tous les consommateurs quittent les producteurs historiques ? Je n’ai pas de religion en la matière.

En ce qui concerne les concessions hydrauliques, M. Lionel Tardy a raison.

M. Lionel Tardy. Évidemment !

Mme Delphine Batho. Non !

M. Jean-François Carenco. En 2009, j’avais imaginé qu’il fallait aller vers une mise en concurrence non pas poste à poste et barrage par barrage mais sur des linéaires. Pour la mise en concurrence des concessions hydrauliques, il fallait donc recréer des linéaires. Vous l’avez fait récemment mais il a fallu quelques années pour que vous imposiez par la loi cette idée de linéarité dans la production sur l’ensemble des rivières.

À l’époque, nous étions dans un autre monde et j’assume les idées qui ont présidé aux décisions prises. Le Gouvernement était contre le fait de confier la production d’un EPR à un autre groupe qu’EDF. La mise en concurrence pour certains barrages était vue comme une compensation accordée à l’autre grand producteur français et personne n’imaginait qu’il y ait d’autres concurrents.

En outre, cette nouvelle attribution de concession pour une durée longue était associée à des obligations de service public en matière d’aménagement et d’environnement pour l’ensemble du linéaire. Le nouveau titulaire de la concession devait s’impliquer fortement dans le développement durable sur l’ensemble du linéaire. Les choses ont traîné jusqu’à venir sous le regard de Bruxelles et de certains concurrents. Le débat n’est plus du tout le même qu’il y a dix ans. Je donne les termes du débat de l’époque mais je ne représente pas le Gouvernement ou le Parlement.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous avons eu beaucoup de débats sur le sujet !

M. Jean-François Carenco. Je souhaite rétablir ma petite part de vérité puisque j’ai participé au processus de décision.

L’indépendance de l’autorité face au ministre, je l’ai mentionnée en parlant du TURPE, pour lequel il existe un commissaire du Gouvernement. Si le président du collège de régulation et la directrice de l’énergie à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) entretiennent des relations normales, il ne me semble pas nécessaire de créer un poste de plus. Il faut évidemment établir un dialogue permanent avec les services et le ministre. Faut-il un commissaire du Gouvernement spécifique pour ce faire ? Honnêtement, pour être commissaire du Gouvernement dans un certain nombre de sociétés, je ne le crois pas.

S’agissant des moyens budgétaires de la CRE, j’ai répondu : je ne suis pas à même de les estimer ; je prends acte de la création de vingt postes et de l’arrêt de la baisse des moyens de la commission hors titre 2, c’est-à-dire hors dépenses de personnel.

Revenons un instant sur les compteurs Linky. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) vient de se prononcer très clairement sur le sujet. Un haut fonctionnaire, fut-il indépendant, doit faire confiance aux autorités que vous avez investies de la mission de se prononcer sur la dangerosité. Ou bien alors, on est sur une autre planète ! Il faut faire preuve de pédagogie en la matière, comme pour l’autoconsommation.

Quant à la facturation, elle résulte de la formation du prix et elle est liée à l’indépendance des réseaux. La facturation reflète notre indécision, bien naturelle, à l’égard de la stratégie. Dans ce monde, comment ne pas douter ? Pourtant, il faut bien que nous définissions ensemble une stratégie et je pense que la CRE peut être le lieu de convergence de tous les acteurs. C’est en tout cas le souhait de tous les industriels – ils m’ont téléphoné pour me le dire. La CRE peut-elle être le lieu de construction de cette convergence tout en sauvegardant son indépendance et son éthique ? Oui, même si l’exercice n’est pas facile. Il est toujours plus aisé d’opposer un refus à quelqu’un que l’on ne voit pas, que l’on n’aime pas et avec lequel on ne travaille pas. Il est plus difficile de le faire à quelqu’un avec lequel on travaille et que l’on apprécie. C’est pour ça que c’est une vraie « galère » mais je suis prêt à assumer.

Les industriels, notamment les gazo-intensifs et les électro-intensifs qui posent des problèmes « bruxellois » de concurrence, sont confrontés à l’élévation du prix de l’énergie. On peut leur proposer des tarifs, des investissements dans l’effacement. Plusieurs centaines d’industriels participent au marché de l’effacement qui a fait des progrès considérables. À l’instar des papetiers, ils peuvent aussi explorer la piste de l’autoconsommation de déchets et de leur transformation en énergies renouvelables. Les industriels de l’extraction pétrolière souhaitent le faire avec leurs torchères mais ce n’est pas autorisé. Je rappelle au passage que ce qui se passe en Seine-et-Marne n’est pas autorisé, c’est aussi simple que cela.

Monsieur Antoine Herth, je n’ai pas de réponse à vous apporter sur la cyber-sécurité des réseaux. J’imagine que des travaux existent. Quoi qu’il en soit, je vous remercie de m’avoir posé cette question parce que nous devons tous être vigilants face au terrorisme, chacun à sa place. La discussion avec les responsables des opérateurs, les GRT comme les GRD, est fondamentale. Je note ce sujet qui m’interpelle et dont je voudrais faire une priorité.

Mme la présidente Frédérique Massat. Merci, Monsieur Carenco. Je pense que les parlementaires ont été éclairés sur la manière dont vous envisagez cette nouvelle « galère ».

M. Jean-François Carenco. Merci à vous, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés. Peut-être ne serai-je pas nommé mais j’ai envie de travailler.

*

* *

Après le départ de M. Jean-François Carenco, il est procédé au vote sur la nomination par appel à la tribune et à bulletins secrets.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

Nombre de votants

19

Bulletins blancs ou nuls

0

Suffrages exprimés

19

Pour

19

Contre

0

Abstention

0

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 7 février 2017 à 16 h 15

Présents. - M. Frédéric Barbier, Mme Delphine Batho, M. Yves Blein, M. Yves Daniel, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Jeanine Dubié, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Christian Franqueville, M. Laurent Furst, M. Daniel Goldberg, M. Jean Grellier, M. Antoine Herth, M. Jean-Luc Laurent, Mme Annick Le Loch, M. Philippe Le Ray, Mme Frédérique Massat, M. Kléber Mesquida, M. Hervé Pellois, M. Franck Reynier, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, M. Éric Straumann, M. Lionel Tardy

Excusés. - M. Denis Baupin, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, M. Dino Cinieri, M. Jean-Michel Couve, Mme Corinne Erhel, M. Georges Ginesta, M. Thierry Lazaro, Mme Marie-Lou Marcel, M. Jean-Claude Mathis

Assistaient également à la réunion. - M. Guillaume Chevrollier, Mme Virginie Duby-Muller