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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Comment optimiser les aides à la construction de logements sociaux en fonction des besoins ?

Jeudi 7 février 2013

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Olivier Carré, président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Emmanuelle Cosse, vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France, chargée du logement, de l’habitat, du renouvellement urbain et de l’action foncière, et de M. Angelo Zagalolo, directeur du logement, de l’action foncière et du renouvellement urbain des services régionaux, sur le thème « Comment optimiser les aides à la construction de logements sociaux en fonction des besoins ? »

M. Olivier Carré, Président. Nous recevons maintenant Mme Emmanuelle Cosse, vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France, en charge du logement, de l’habitat, du renouvellement urbain et de l’action foncière, qui est accompagnée de M. Angelo Zagalolo, directeur du logement, de l’action foncière et du renouvellement urbain des services régionaux. Je vous propose, madame, de prendre la parole pour un exposé liminaire, à la suite duquel nous vous poserons des questions.

Mme Emmanuelle Cosse, vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France, chargée du logement, de l’habitat, du renouvellement urbain et de l’action foncière. Compte tenu de la situation de la région francilienne en matière de logement, marquée par la difficulté de répondre aux besoins, voire par la pénurie, la région Île-de-France a décidé, depuis plusieurs années, de consacrer un budget d’investissement significatif au logement, avec pour objectif premier de permettre une augmentation de la construction de logements sociaux. Nous intervenons donc en cofinancement d’autres intervenants, et notamment en complément des aides à la pierre de l’État, pour accroître la production de logements sociaux en Île-de-France. Cette politique, conduite depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, s’est affinée au fil du temps.

Elle doit aussi répondre à d’autres enjeux : l’aide à la réhabilitation du parc social, qui avait été décidée avant la mise en œuvre des politiques de rénovation urbaine, mais aussi depuis une dizaine d’années, l’aide au parc privé dégradé, qui joue de fait le rôle de parc social en Île-de-France, ainsi qu’une action forte en faveur du développement du logement étudiant et du logement destiné aux jeunes – aide à la création de résidences étudiantes et de foyers de jeunes travailleurs – grâce à une forme d’aide à la pierre régionale renforcée, qui a permis la production de logements en grand nombre, même si nous sommes encore loin de répondre aux besoins identifiés.

Cette politique est complétée, dans une moindre mesure, par l’aide à des structures associatives telles que les PACT ou les comités locaux pour le logement autonome des jeunes (CLLAJ).

Sur les cinq dernières années, le budget régional consacré au logement s’est élevé à environ 220 millions d’euros. Dans le cadre de sa compétence en matière d’action sociale, la région soutient également la création ou la réhabilitation de centres d’hébergement d’urgence et de foyers d’accueil de femmes victimes de violences, de publics atteints de certaines pathologies ou encore de personnes âgées.

Le budget 2013, qui a été voté au mois de décembre, prévoit de consacrer 109 millions d’euros au développement du parc locatif social, 9,5 millions à sa réhabilitation, 45 millions aux logements destinés aux jeunes ou au logement étudiant, qui appartiennent également au parc social, et enfin 15,5 millions à la lutte contre la précarité énergétique dans ces logements.

En ce qui concerne le développement du parc locatif social, l’objectif poursuivi depuis dix ans consiste donc à cofinancer des programmes d’aide à la construction, en apportant un soutien accru aux programmes dont nous avons le plus besoin, à savoir les opérations de prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) et de prêt locatif à usage social (PLUS), mais aussi, à l’origine, de prêt locatif social (PLS). Ce financement supplémentaire de la région doit permettre de mieux finaliser les opérations de logement social en leur assurant un meilleur équilibre financier, et donc de garantir des loyers plus intéressants.

À l’origine, l’aide de la région n’était demandée que par une partie des opérateurs. Aujourd’hui, elle est sollicitée par tous et tous les dossiers passent par la région. Nous sommes passés d’une aide facultative, destinée à permettre la finalisation des programmes, notamment les plus difficiles, à un financement de droit commun, alors même que la région n’a aucune compétence en matière de logement. C’est particulièrement vrai pour les PLAI, et encore plus pour les PLUS. Cela témoigne de la difficulté de financer ce type de programmes aujourd’hui. Le budget régional est donc monté en puissance, pour faire face aux stocks de dossiers que nous avons dû traiter en 2010, 2011 et 2012 (dans la dynamique du Plan de relance).

À la fin de l’année 2012, nous n’avions toutefois pas affecté l’ensemble de notre budget, en raison d’un certain ralentissement des demandes. Cet attentisme des opérateurs s’explique sans doute par le contexte électoral. J’espère que cette baisse de la production ne sera que momentanée, et que nous allons vite renouer avec la tendance des années précédentes, même si notre stock de dossiers n’augure pour l’instant rien de certain en ce sens.

Le fait qu’il soit de plus en plus fait appel à la région pour le financement des opérations nous a contraints à affiner notre politique. Nous avons donc remis à jour notre politique du logement en 2011 – je tiens à votre disposition les délibérations correspondantes du Conseil régional. Il ne s’agit pas de réduire l’aide de la région, mais de mieux la cibler sur certaines priorités, et d’adresser des messages clairs aux opérateurs. Nous avons souhaité donner une nette priorité à la production de PLAI et de PLUS, et limiter les financements de PLS aux communes ayant déjà 40 % de logements sociaux. Nous n’avons donc maintenu cette aide que pour les communes qui souhaitent développer du PLS dans une dynamique de mixité sociale et de parcours résidentiel. Elles sont assez peu nombreuses.

Dès 2007, nous avons soumis l’octroi de notre aide à des conditions environnementales relativement exigeantes. Nous avons demandé aux bailleurs sociaux d’anticiper l’application de la réglementation thermique 2012 (RT 2012). Nous avons également instauré des primes afin d’encourager la production de bâtiments passifs ou à énergie positive, dans l’idée que notre aide permette de franchir chaque année une marche supplémentaire sur ces questions, grâce à des révisions successives. Nous avons néanmoins décidé de reporter à 2014 le renforcement de nos exigences (de 15 à 20 %) prévu en 2013, qui s’annonçait compliqué dans l’immédiat pour les opérateurs.

Une autre condition fait l’objet de discussions avec les opérateurs : la proportion de grands logements. Comme vous le savez, le logement des familles est un vrai problème pour la région francilienne. Dans certaines communes, le parc social est exclusivement composé de 2 ou de 3 pièces. Nous avons donc imposé la condition que les programmes de plus de 10 logements comportent au moins 20 % de grands logements, c’est-à-dire 20 % de T4 ou de 75 mètres carrés. C’est une condition très contraignante, mais que nous assumons eu égard aux besoins de logement actuels. La règle est diversement appréciée suivant les opérateurs - certains renoncent à demander l’aide de la région, mais d’autres s’en accommodent fort bien. J’ajoute qu’il est possible d’y déroger dans des cas particuliers. Je pense par exemple aux villes ayant déjà 40 % ou 50 % de grands logements.

Il nous a également semblé important d’imposer une condition plus contraignante pour les communes relevant de la loi SRU, c’est-à-dire qui n’ont pas atteint leurs objectifs de production fixés pour la dernière période triennale, ou qui font l’objet d’un constat de carence. Nous avons donc imposé en 2011, notamment dans les communes faisant l’objet d’un constat de carence, un nombre minimal de PLAI à produire, pour éviter ce qui a pu être observé dans le passé, à savoir que certaines communes produisent pour répondre à leurs obligations de logement social, mais font le choix de ne faire que du logement en PLS, ou que du logement spécifique – type logement étudiant – en PLS. Le niveau de l’obligation dépend du taux de logements sociaux. Son application ne pose pas de problème particulier.

Les aides sont calculées à partir de planchers et de plafonds de dépenses subventionnables. Elles s’élèvent à 9 000 ou 10 000 euros par logement, avec des primes supplémentaires le cas échéant. Cela nous permet d’aider chaque année entre 12 000 et 15 000 logements. Comme je l’ai dit, ce chiffre a été légèrement plus faible en 2012.

M. Olivier Carré, Président. Quel est le chiffre pour la partie offres nouvelles ?

Mme Emmanuelle Cosse. 15 000, si l’on intègre les logements étudiants.

Pour le logement étudiant, nous exigeons le respect des mêmes conditions environnementales, ainsi que d’une condition relative à l’agrément. Par dérogation à la loi, une convention sur la production de logement social étudiant signée entre l’État et la région Île-de-France permet à celle-ci de financer des opérations en PLS ou en PLUS. Un avenant à cette convention a été signé en 2011. Nous avons même essayé d’avoir des financements PLAI, mais nous n’avons pas obtenu de dérogation. Il faut savoir qu’en Île-de-France, le logement social étudiant reste cher. Pour éviter les effets d’aubaine que nous avons notamment pu observer dans des communes très concernées par la loi SRU, nous demandons une mixité de l’agrément entre PLS et PLUS pour les opérations de logement étudiant de plus de 150 logements, afin de pouvoir proposer différents niveaux de loyer. Les différences de loyer constatées entre un agrément PLS et un agrément PLUS peuvent en effet aller de 100 à 150 euros. Une commune qui n’a que 4 % de logements sociaux peut ainsi choisir de faire une résidence étudiante entièrement en PLS… Même avec le bénéfice de l’APL, les étudiants franciliens ne sont guère plus solvables que les autres. Or, nous arrivons tout de même à des loyers de sortie de l’ordre de 480 euros charges comprises, ce qui reste très cher.

Nous soutenons également la construction de foyers de jeunes travailleurs et de résidences pour jeunes actifs. Là encore, nous essayons d’encadrer le niveau des loyers, de poser des conditions et de faire des rappels à la loi – par exemple, certaines charges ne peuvent être exigées. Les pratiques des gestionnaires ne sont en effet pas toujours exemplaires…

Toujours en ce qui concerne le logement étudiant, la subvention par logement s’élève à 4 500 euros pour le PLS et à 8 000 euros pour le PLUS. Ce niveau élevé par rapport au logement familial traduit une forte volonté de production. Avec l’État, nous aimerions financer chaque année 4 000 logements sociaux étudiants. Or, nous en avons financé – au mieux – 2 500 ou 2 700 par an. Le problème ne tient pas au financement, mais aux opérateurs et à la disponibilité du foncier, ainsi qu’à la contrainte de l’accessibilité. Sur ce dernier point, nous souhaitons une modification législative ou réglementaire qui permette de ne pas imposer ces règles à tous les logements. Même lorsque le foncier est bien maîtrisé, la mise en œuvre de ces règles d’accessibilité requiert beaucoup d’espace.

Notre action irrigue l’ensemble des départements franciliens. Les territoires périurbains ou semi-ruraux ont plus de difficultés à produire du logement social, car les opérateurs ont du mal à s’orienter vers ce type de productions, plus réduites et qui doivent s’adapter au plan local. Nous essayons néanmoins de les développer. Sur le parc social classique, nous avons ainsi renforcé notre aide à la maîtrise d’ouvrage d’insertion. Le tissu associatif fait plutôt de la production en diffus, sur des programmes de cinq à six logements, qui s’adressent à des publics très prioritaires. Dans ce cas de figure, l’aide peut aller jusqu’à 30 000 euros pour un logement. C’est particulièrement intéressant dans les zones rurales ou périurbaines, mais aussi dans des villes très denses. Vincennes, commune très concernée par la loi SRU mais qui a des difficultés à produire, est ainsi en train de « capter » un certain nombre de petits programmes d’un ou deux logements. Elle a pour cela œuvré avec le secteur associatif.

M. Christophe Caresche, rapporteur. Je vous remercie de votre présence et de votre exposé. En matière de logement social, la région Île-de-France est à la fois acteur et observateur. Permettez-moi de vous interroger d’abord en tant qu’acteur. Vous avez certes défini un certain nombre de critères, mais votre politique dépend des projets que l’on vous soumet. Comment se ventilent les subventions de la région en termes de localisation géographique ? Vont-elles davantage vers certains territoires que vers d’autres ? Existe-t-il des distorsions importantes à cet égard ?

Au-delà des critères que vous avez définis, avez-vous une analyse propre des besoins de logements sociaux en fonction des territoires, ou en fonction d’autres critères ? Avez-vous développé des outils pour les identifier ?

Les crédits inscrits à votre budget sont-ils intégralement consommés ?

Quelles sont enfin vos relations avec l’établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF) ?

Mme Emmanuelle Cosse. Notre budget est presque intégralement consommé. En 2011, par exemple, il a été consommé à 98 %. Comme je vous l’ai expliqué, cela n’a pas été le cas en 2012, mais ce petit retard est sans doute lié au contexte politique.

Je dois cependant vous indiquer que sur les 45 millions d’euros du budget dévolu au logement des jeunes, 20 millions sont réinscrits d’année en année sans être consommés en raison du projet de réhabilitation de la résidence universitaire Jean Zay à Antony, qui abritait 2 000 logements – 1 500 aujourd’hui. Ce projet fait l’objet d’une négociation entre l’État, la région et le conseil général des Hauts-de-Seine. Ces crédits sont donc appelés à être consommés un jour, dès qu’une solution aura été trouvée.

J’en viens aux relations de la région avec l’EPFIF. Cet établissement est présidé par un élu régional, et je siège moi-même à son conseil d’administration. Néanmoins, même s’il a un fort ancrage régional, il s’agit d’un établissement public de l’État. La région et l’EPF ont d’ailleurs – sans doute grâce à notre présence au conseil d’administration et au bureau – des vues communes, qui se traduisent par le programme prévisionnel d’investissements. Sur les terrains sur lesquels il développe une stratégie foncière, l’EPFIF a deux missions : le développement de logements ou le développement d’activités économiques, en fonction de ce qui est décidé avec les villes. Toutefois, une obligation de production de logements sociaux est imposée à l’ensemble des communes soumises à la loi SRU qui signent une convention avec l’EPF : elles doivent produire au moins 30 % de logements sociaux, et jusqu’à 50 % pour celles qui font l’objet d’un constat de carence. Je dois d’ailleurs dire que les communes qui ont signé une telle convention s’en félicitent. En effet, c’est souvent pour répondre aux obligations de la loi SRU qu’elles font appel à l’EPFIF, pour arriver à maîtriser du foncier - ce qu’elles ne pourraient faire seules ou avec d’autres outils. Nous sommes informés des programmes de logements sociaux réalisés sur des terrains maîtrisés par l’EPF. Nous commençons à voir ces programmes sortir de terre, puisque l’EPF a été créé il y a six ans. Nous serons bientôt capables de comptabiliser le nombre de logements sociaux qui ont été produits dans ce cadre chaque année.

Nous discutons bien entendu aussi de l’important sujet de la fusion des EPF.

Vous m’interrogez sur la localisation géographique des programmes subventionnés et les éventuelles distorsions qui pourraient exister à cet égard. Je ne dispose pas encore des chiffres de l’année 2012, mais je puis vous indiquer que fin 2011, en Île-de-France, 80 % des logements avaient été produits dans 20 % des communes. Les distorsions sont donc réelles, même si un effort a été fait ces dernières années.

J’en viens à la répartition par département et par type de ville, c’est-à-dire en fonction du taux de logements sociaux. On observe que dans les villes qui ne sont pas concernées par la loi SRU, c’est-à-dire qui comptent déjà plus de 20 % de logements sociaux, la production continue à être forte, et même majeure. Entre 2004 et 2009, environ 35 % de notre aide est allée à des communes comptant moins de 20 % de logements sociaux, et quasiment 50 % à des communes comptant entre 20 % et 50 % de logements sociaux. Il est cependant important de rappeler que pour nombre de villes d’Île-de-France, l’objectif n’a jamais été de 20 % de logements sociaux, mais plutôt de 30 %, afin de pouvoir répondre aux besoins des populations locales – même si l’objectif n’est pas partagé partout – et parce qu’elles se pensent en capacité de le faire.

Il est plus délicat de se livrer à des comparaisons entre départements, dans la mesure où les besoins sont beaucoup plus importants en zone dense qu’en zone moins dense. Sans surprise, la production a été forte à Paris, mais aussi en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne. Elle a été plus faible dans les Hauts-de-Seine, en tout cas inférieure à ce que nous aurions souhaité. On note une accélération de la production dans le Val-d’Oise. Enfin, une évolution plus favorable se dessine depuis quelque temps dans les Yvelines et en Seine-et-Marne.

La production ne dépend pas seulement des besoins du territoire. La donne évolue en fonction de la participation des communes ou des communautés d’agglomération au financement des programmes, ou encore de la maîtrise foncière du terrain. Ce constat vaut aussi bien pour le logement social classique familial que pour le logement spécifique - logement étudiant, logement pour personnes âgées ou foyers. La multiplication des aides par les collectivités a indéniablement un effet sur la sortie des programmes. Pour prendre un exemple, Paris et la Seine-Saint-Denis affichent des objectifs forts en termes de production de logements étudiants. Mais alors que les aides sont importantes à Paris, avec la délégation de l’aide à la pierre, l’aide de la ville et du conseil général et celle de la région, la Seine-Saint-Denis n’a pas les moyens de contribuer à la réalisation des programmes. Cela peut avoir un impact pour l’opérateur, qui préférera localiser son programme à la Porte de la Chapelle plutôt qu’à Aubervilliers. Mais d’un point de vue régional, la question importante sera plutôt celle de la proximité des transports.

Notre dépendance à la production locale est réelle : lorsqu’elle est en berne ou attentiste, les financements de la région ne sont pas toujours utilisés. Afin d’encourager la production, nous avons essayé un temps de développer, à côté des aides à la pierre classiques, des conventions d’objectifs. Le principe était le suivant : nous proposions aux bailleurs de définir un plancher de production à partir d’un certain nombre de critères. S’ils allaient au-delà de ce plancher, ils bénéficiaient d’une prime – qui était assez généreuse.

M. Angelo Zagalolo, directeur du logement, de l’action foncière et du renouvellement urbain des services régionaux. Nous bonifiions en fait le financement alloué à la production lorsqu’elle allait au-delà d’un certain seuil que nous estimions comme étant le seuil de renouvellement normal du parc.

Mme Emmanuelle Cosse. Ce système s’est révélé assez efficace, mais nous y avons mis fin en 2011. Nous discutons actuellement de l’opportunité de le rétablir, sachant que son coût budgétaire n’est pas négligeable et s’étale sur plusieurs années, puisqu’il s’agit de conventions pluriannuelles. La formule est néanmoins extrêmement intéressante.

Bien que n’étant pas le seul financeur, nous avons aussi cherché à développer des relations avec les bailleurs sociaux pour « booster » l’offre. Nous organisons chaque année une conférence avec l’ensemble des bailleurs sociaux d’Île-de-France, afin de discuter des objectifs de production, des conditions de notre aide ou des évolutions techniques. C’est un vrai travail partenarial, qui peut nous inciter à modifier nos délibérations ou à mettre en place des dispositifs innovants. C’est le type même de discussions qui pourraient se tenir dans le cadre d’un Comité régional de l’habitat (CRH), ce qui n’est pas le cas en Île-de-France. Mais le Conseil régional l’a pris en charge depuis plusieurs années, ce qui a favorisé un partenariat régional avec les opérateurs de qualité.

Pour répondre à une préoccupation lancinante des opérateurs et afin d’éviter des déconvenues, nous essayons de leur assurer une visibilité – ne serait-ce qu’à un ou deux ans – sur nos orientations politiques et notre budget. Certains vous diront que ce n’est pas toujours le cas – ils ne lisent pas nécessairement les informations que nous leur adressons – ; mais la volonté est là.

La définition des besoins et la vision prospective ressortent plutôt du schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF), que nous avons élaboré avec l’État. Aujourd’hui, nous travaillons sur des pastilles de densification. Mais puisque nous sommes en plein débat sur l’avenir de la décentralisation, je vous rappelle qu’à terme, nous aimerions établir au niveau de la région un programme régional de l’habitat, afin de pouvoir substituer au séquençage communal qui prévaut actuellement une prospective régionale intégrant et affinant les travaux du SDRIF. Ce dernier comporte des objectifs en matière de production de logement, mais il ne les a jamais déclinés au niveau communal. L’État, lui, l’a fait avec la territorialisation des objectifs de logement. Le SDRIF comporte également un ratio emploi/logement par département.

En ce qui concerne le logement des jeunes et des étudiants, la loi nous avait demandé d’élaborer un schéma régional du logement étudiant - ce qui a été fait en 2009. Nous avons essayé de localiser les lieux de formation et les zones de mobilité en Île-de-France, et d’identifier sur cette base les zones essentielles pour la production de ce type de logements. Nous n’avons pas retenu le critère de la proximité physique avec un lieu de formation, mais celui de la mobilité : ces zones doivent être desservies par les transports en commun. Les jeunes ont moins besoin d’une proximité entre leur lieu de formation et leur lieu de vie que de pouvoir se déplacer sans véhicule personnel. Cette préoccupation doit être prise en compte dans les choix d’implantation, en particulier dans les Yvelines et en Seine-et-Marne, car elle peut notamment avoir des conséquences en termes de vacance finale des logements. Il nous est arrivé – comme les gestionnaires – de refuser des projets de logements spécifiques parce qu’ils étaient trop isolés des commerces de proximité et des services publics. La région Île-de-France étant constituée à 50 % de zones rurales, on a pu voir des projets de résidence étudiante en plein champ… De même, il n’est pas question de localiser des logements étudiants en zone industrielle.

M. Olivier Carré, Président. Le thème de cette audition est l’optimisation des aides, et notamment leur gouvernance. La politique mise en œuvre par la région Île-de-France est conséquente, mais il semble qu’elle joue un rôle supplétif par rapport aux autres instances. Vous l’avez dit vous-même en rappelant que la région était devenue un « passage obligé » pour les bailleurs. Cette évolution vous paraît-elle liée au seul problème des moyens financiers, notamment de ceux de l’État, ou davantage à un problème de gouvernance, sachant que l’on fait désormais clairement la distinction entre la situation de l’Île-de-France et celle des autres territoires, comme l’Orléanais, par exemple, dont je suis élu ?

M. Christophe Caresche, rapporteur. La région Île-de-France a, je crois, proposé de créer une Autorité organisatrice du logement (AOL).

Mme Emmanuelle Cosse. Nous vous avons apporté l’étude de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) relative à la création de cette Autorité.

Différentes voies sont possibles pour optimiser les aides au logement, mais les difficultés sont majeures. La baisse des aides à la pierre dans la période récente – même si l’Île-de-France a été moins impactée, en pourcentage, que d’autres territoires – a créé des difficultés. Elle a commencé en 2010, alors même que les collectivités locales – régions, communautés d’agglomération, communes – et l’EPF avaient renforcé leurs moyens en la matière sur la période 2005-2010. Cette baisse a eu des effets négatifs, y compris en Île-de-France alors même que nos moyens étaient maintenus car les objectifs de production de logement social étaient particulièrement élevés.

Le débat sur l’optimisation des aides financières a changé de nature depuis un an. En 2010, de nombreux acteurs contribuaient au financement du logement – qu’ils en aient ou non la compétence. On a assisté à un vrai renforcement de la mobilisation. Mais depuis un an, si la région a maintenu ses budgets et ses conditions de financement, on assiste à un phénomène inverse au niveau des départements, excepté à Paris et dans les Hauts-de-Seine, qui sont délégataires de l’aide à la pierre. Certains départements ont gelé leurs crédits logement dans l’attente de nouvelles politiques ; d’autres ont supprimé toute aide à l’investissement ; d’autres, enfin, ont durci drastiquement les conditions d’éligibilité à leurs aides, notamment en les ciblant sur les seuls opérateurs « locaux ». On exige par exemple que le siège social de l’opérateur, ou la plus grande part du parc à traiter soient situés dans le département - ce qui n’a guère de sens compte tenu de la mobilité qui est une réalité dans notre région. En raison de ses difficultés budgétaires, le département de la Seine-Saint-Denis a dû suspendre du jour au lendemain ses aides au logement, qui s’élevaient à 5 000 euros par logement. Or, dans ce département, nombre d’opérateurs, sérieux mais n’ayant pas nécessairement beaucoup de ressources, gèrent un parc ancien qu’il faut réhabiliter. Le bouclage des programmes de l’année 2012 s’est donc avéré délicat. Les opérateurs ont demandé à la région d’augmenter ses subventions au maximum. Au même moment, les aides à la pierre ont été réduites. Sur certains programmes situés en zone dense, l’aide à la pierre de l’État est désormais inférieure à 500 euros par logement.

Il y a encore un an et demi, beaucoup estimaient que l’optimisation des aides à la construction de logements sociaux passait par la création d’un guichet unique. Cette vision est sans doute un peu simpliste, mais il faut se mettre à la place des opérateurs, qui sont lassés de devoir présenter huit dossiers quand ils pourraient en faire un seul… Le problème est que les conditions ne sont pas les mêmes chez tous les financeurs du logement social. Cette question est liée à celle de la gouvernance, et même à celle de la politique du logement. Si l’action du conseil régional d’Île-de-France est très orientée vers le soutien aux logements qui manquent le plus, dans une optique de priorisation, certains départements ne veulent financer que du PLS, ou une très forte proportion de PLS. Dans ces conditions, envisager un guichet unique reste problématique.

À terme, il faudra néanmoins simplifier le dispositif. Force est de reconnaître qu’aujourd’hui, la situation financière des collectivités les conduit plus à délaisser le logement qu’à simplifier et mutualiser ce dispositif. C’est inquiétant pour la région, qui ne pourra pas indéfiniment investir davantage pour pallier le retrait des autres partenaires.

J’ajoute que ce mouvement de retrait des collectivités s’est accompagné de celui du 1 % logement, qui jouait un rôle majeur dans les opérations en Île-de-France, et permettait de faire baisser fortement les loyers. C’est la raison pour laquelle les opérateurs sont aujourd’hui dans l’expectative : tant que le décret sur l’emploi des fonds Action logement ne sera pas publié et qu’on n’aura pas l’usage des prêts, il restera difficile de boucler les dossiers de financement. Nous l’attendons donc avec impatience !

La région réfléchit également depuis plusieurs années aux questions de gouvernance des politiques du logement. Elle l’avait déjà fait en 2008, dans le cadre d’une commission présidée par Jean-Paul Planchou. Cette question a aussi été soulevée par le Conseil d’État et le Conseil économique, social et environnemental (CESE). L’IAU a donc travaillé l’année dernière sur une étude qui s’efforce de définir ce que pourrait être une Autorité organisatrice du logement en Île-de-France. Nous avions choisi à dessein le titre d’Autorité, qui renvoie aux notions de décision et de coercition. L’idée est bien d’organiser – et donc de réguler – les politiques du logement. L’étude a proposé plusieurs schémas, allant d’un renforcement des compétences et du poids des avis du CRH actuel, qui pourrait ne plus être présidé par le préfet de région, à une vraie Autorité rassemblant les collectivités territoriales, qui contracteraient avec l’État. Dans ce cadre, l’État pourrait décentraliser les aides à la pierre, mais aussi l’hébergement d’urgence, la gestion du droit opposable au logement (DALO), ou le pouvoir de sanction. Celui-ci pourrait être soit conservé par l’État, soit exercé par l’Autorité, à moins que l’on ne définisse un système hybride faisant intervenir un commissaire du Gouvernement… En tout état de cause, l’idée est de promouvoir une approche régionale des politiques de logement en Îe-de-France, avec une Autorité qui soit chargée de la prospective, de l’observation, de l’évaluation des besoins actuels et à venir et de la programmation, ainsi que des sanctions de la loi SRU.

Pourquoi privilégions-nous l’approche régionale, alors qu’il y a un débat entre approche métropolitaine et approche francilienne ? Il nous faut d’abord constater que le schéma d’intercommunalité francilien n’est pas au niveau : non seulement son élaboration a pris du retard, mais beaucoup d’intercommunalités ont été créées sans réflexion préalable. Le texte sur la décentralisation parle de créer des intercommunalités d’au moins 300 000 habitants en zone dense et 200 000 en zone moins dense. C’est important pour l’Île-de-France, qui compte un certain nombre d’intercommunalités dont la constitution a été inspirée par la seule logique partisane, et qui, très petites, sont dépourvues d’intérêt et de moyens. Dans les territoires très pauvres, on observe même de fortes discriminations entre communes pauvres et communes encore plus pauvres, chacun évitant soigneusement de s’associer avec plus pauvre que soi…

Cette question est liée à celle du logement. Compte tenu de la faiblesse des intercommunalités, nous avons très peu de programmes locaux de l’habitat (PLH) intercommunaux. Dans une région qui compte 12 millions d’habitants, on examine des PLH pour des communes de 10 000, 20 000 ou 30 000 habitants, sans s’intéresser à ce qui se passe au-delà des frontières communales… Cela n’a plus de sens, y compris pour des villes bien équipées en logements.

Se pose aussi la question des plans locaux d’urbanisme (PLU). De nombreuses communes franciliennes sont encore sous le régime des plans d’occupation des sols (POS), et ont organisé, de fait, la non-constructibilité de leur territoire, par le choix des conditions relatives à la taille des parcelles ou des seuils de densité.

Il ne s’agit pas de dire que la gouvernance doit revenir à la région, mais simplement que l’approche de la question doit être régionale. Cette discussion est aussi liée à l’examen de la répartition de la population et de ses mouvements en Île-de-France. Le problème du logement explique en effet, en partie, le « renvoi » des populations moins fortunées vers les territoires les plus reculés de l’Île-de-France – on note par exemple un boom démographique en Seine-et-Marne, ou aux confins du Val-d’Oise ou encore de l’Essonne, dans des zones où l’on n’a pas les moyens d’implanter des services publics. Bref, on peut parler d’une relégation des classes moyennes, qui sont obligées de se loger loin de Paris – ce qui ne va pas sans poser problème à l’heure de la hausse des prix du carburant. Il est temps de retrouver une cohérence ! Les politiques de logement dans la zone dense ont toujours des conséquences sur les territoires limitrophes. Le phénomène va d’ailleurs au-delà de la région francilienne – à la limite, nous devrions discuter avec les villes d’Orléans ou de Rouen. Le boom des loyers à Rouen est directement lié à la situation de l’Île-de-France, et notamment à celle des Yvelines.

M. Olivier Carré, Président. À Orléans, le niveau des loyers est constant depuis dix ans.

Mme Emmanuelle Cosse. Tant mieux. Mais la question se pose, par exemple, aussi pour la Picardie. Sans adopter forcément une démarche contraignante, il nous faut peut-être travailler sur des schémas de programmation ou d’anticipation sur ces sujets.

M. Olivier Carré, Président. Nous vous remercions d’avoir bien voulu nous apporter votre éclairage sur ces questions.