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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

La conduite des programmes d’armement en coopération

Mercredi 4 avril 2013

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 20

Présidence de M. Jean Launay, co-rapporteur

– Audition de M. Patrick Bellouard ancien directeur de l’Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr)

M. Jean Launay, président et rapporteur. Nous avons déjà entendu ce matin le général Jean-Robert Morizot, sous-chef d’état-major « Plans » au sein de l’état-major des armées, le contre-amiral Charles-Henri Garié de la division « Cohérence capacitaire » de l’état-major des armées et M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement.

M. Bellouard, M. Jean-Jacques Bridey, co-rapporteur de la mission pour la Commission de la défense et des forces armées, et moi-même souhaitons vous interroger sur le fonctionnement de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr) – que vous avez dirigée de mars 2008 à mars 2013 – sur les programmes qu’elle pilote, sur la genèse des coopérations et sur leur suivi technique, industriel et financier.

M. Patrick Bellouard, ancien directeur de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr). L’OCCAr a été créée en 1998 par l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni ; la Belgique et l’Espagne les ont rejoints, respectivement en 2003 et en 2005. Sa mission consiste à assurer la gestion des programmes d’armement conduits en coopération. Ceux-ci sont confiés à l’OCCAr par des États, sur la base d’un mandat dont le contenu varie selon les projets.

Pour chaque programme, les six pays membres prennent une décision d’intégration ; celle-ci autorise l’OCCAr à initier les travaux d’intégration du programme avec les États – membres ou non membres – qui se sont montrés intéressés par sa réalisation. Au moins un État membre de l’OCCAr participe à chacun des huit programmes actuellement en cours. Les États non membres prenant part aux programmes existants sont tous membres de l’Union européenne (UE), à l’exception de la Turquie – candidate à entrer dans l’Union et dans l’OCCAr – qui participe, notamment, au projet de l’avion de transport militaire A400M.

Les États suivent de très près la réalisation des programmes. Pour chaque projet, il existe un conseil de programme (Program Board), composé des directeurs de l’armement, qui fixe les orientations stratégiques du programme. Au niveau inférieur, le comité de programme est l’organe décisionnel dans lequel les États assurent le suivi de la mise en œuvre du projet ; il se réunit tous les six mois – voire davantage, si cela se révèle utile, comme pour le programme A400M dans les premières années de son lancement.

L’OCCAr dispose des meilleurs outils de gestion et rend compte régulièrement aux États – à l’occasion de chaque comité de programme et dès qu’un pays en formule la demande. Cette transparence permet aux nations d’obtenir l’ensemble des informations nécessaires au contrôle de la réalisation du programme.

Il serait souhaitable que les États délèguent davantage de responsabilités à l’OCCAr dans la gestion des programmes, afin de renforcer son efficacité. En effet, la convention qui a fondé l’OCCAr recommande de doter l’Organisation de capacités de gestion étendues, qui s’avèrent, en pratique, variables d’un programme à l’autre.

M. Jean Launay, président et rapporteur. Qui transmet les demandes des États auxquelles vous avez fait allusion et quel est le contenu de ces requêtes ? Restent-elles de nature technique ?

Vous identifiez l’augmentation de la capacité de décision de l’OCCAr comme une source d’amélioration de la gestion des programmes. Là encore, qui serait chargé de la prise de décision, qui n’appartient pas aujourd’hui – d’après vous – à l’OCCAr ? Quels sont les obstacles à cette évolution ?

M. Patrick Bellouard. La direction des opérations de la Direction générale de l’armement (DGA) pour les conseils de programme et les directeurs d’unité de management (DUM) pour les comités de programme sont chargés de la représentation de la France dans les projets – sept sur huit – auxquels notre pays participe.

La DGA élabore les spécifications requises pour le développement et la production des armements d’un programme. Après avoir été définies par chaque pays, ces spécifications sont discutées entre les participants au programme. Dans la phase d’intégration, l’OCCAr assure un simple rôle de coordination et peut émettre des avis ; ensuite les États s’engagent auprès d’elle pour lancer un programme, en lui donnant un mandat – défini par une « décision de programme » – pour le conduire. Même si les États peuvent, au cours de la réalisation du programme, adresser des demandes, on évite de modifier les spécifications pour ne pas procéder à des changements contractuels coûteux. La durée longue des programmes peut conduire l’OCCAr, en lien avec l’industriel, à proposer des améliorations aux États, ceux-ci pouvant refuser toute évolution. Il est regrettable cependant que l’OCCAr ne puisse augmenter aucun poste de dépense sans l’autorisation des États, et ce même si le montant global de l’enveloppe du programme reste identique. Revenir sur cette interdiction – jusqu’à un certain niveau financier fixé pour chaque programme et à la condition de ne pas en augmenter le coût total – permettrait d’accélérer la prise de décision et constituerait une avancée. Dans le cadre des programmes nationaux, la DGA dispose de cette faculté vis-à-vis des états-majors.

Pour le programme de l’A400M, il existe une délégation limitée qui permet à l’OCCAr d’adopter des avenants ayant un impact financier limité. Cette souplesse est quelque peu entravée par l’attitude de certains États, qui demandent à être impliqués dans l’ensemble des relations entre l’acteur industriel et l’OCCAr, ce qui alourdit les procédures. Puisque l’OCCAr est chargée de la gestion du programme, elle devrait être seule responsable de la conduite des relations contractuelles avec l’industriel, à charge pour lui de rendre compte aux États de son action.

M. Jean-Jacques Bridey, rapporteur. S’agissant des huit programmes pilotés par l’OCCAr – certains en phase d’élaboration, d’autres proches de leur achèvement –, quel bilan dressez-vous de la coopération, programme par programme ? Quels sont les échecs et les réussites, et comment l’OCCAr aurait-elle pu améliorer la mise en œuvre de certains projets et en réduire le coût si elle avait disposé de marges de manœuvre supplémentaires ?

M. Patrick Bellouard. L’A400M constitue, contrairement à ce l’on a pu entendre, le meilleur programme de coopération mis en œuvre à ce jour en Europe. Il repose sur une démarche rare d’identification des besoins communs en matière de spécifications, établie, en 1997, par les chefs d’état-major de huit États (l’Allemagne, la France, l’Espagne, le Royaume-Uni, la Turquie, la Belgique, le Portugal et l’Italie, ces deux derniers ayant depuis quitté le programme). Un contrat de développement et de production unique a conféré de larges responsabilités au maître d’œuvre, ce qui a permis de cantonner les interventions étatiques et de faire face aux retards de développement.

Dans la gestion de ce programme, l’OCCAr a montré toute son efficacité. Par ailleurs, l’A400M n’a pas eu à subir systématiquement la règle du juste retour industriel – contrairement à l’ensemble des précédents programmes de coopération – il est vrai grâce à l’activité civile d’Airbus, qui avait déjà développé des spécialisations industrielles en Europe. Cela a permis de répartir le travail de manière plus aisée, même si nous avons dû évidemment résoudre certains problèmes de sous-traitance.

Le calendrier était très serré, puisque le premier avion devait être livré six ans après la notification du contrat. L’industriel s’était engagé à le respecter, mais n’ayant pas pris la mesure de cette exigence il n’a pas pu honorer son engagement. Cela nous a contraints à signer un avenant – notifié en avril 2011 – pour réorganiser le programme, celui-ci restant exemplaire en termes de maîtrise du coût et du délai ; par comparaison, le vol initial du premier prototype du C-17 américain a demandé dix années, alors que cette durée suffira pour livrer le premier A400M – en mai ou en juin prochain.

La France ne participe pas au programme Boxer, mais ce programme constitue également un succès pour l’OCCAr, puisque plus de 100 véhicules ont été livrés à l’Allemagne, ce matériel étant déployé en Afghanistan à la grande satisfaction de l’armée allemande.

Le Cobra est un succès dont se félicitent la France, le Royaume-Uni – bien qu’il se soit retiré du programme – et l’OCCAr, qui affiche une grande fierté d’avoir atteint, pour cet instrument, un tel niveau de disponibilité en opération.

Il est trop tôt pour tirer toutes les leçons du programme ESSOR qui se déroule de manière satisfaisante. Le cahier des charges du programme de démonstration sera respecté avec un léger retard. Ce retard, qui n’est pas anormal pour un programme de cette nature, ne modifie pas le contrat, ni le coût initialement prévu pour les États. Je souhaite que ce programme fasse l’objet d’une seconde phase permettant de passer du démonstrateur de radio logicielle sécurisée à un système doté d’une capacité opérationnelle. Des discussions sont en cours sur ce point entre les États qui ne s’étaient engagés que sur le programme de démonstration.

Le programme FSAF-PAAMS est aussi un succès. L’OCCAr est responsable depuis l’an dernier de la troisième phase de ce programme très ancien. Il porte sur des systèmes antimissiles pour les forces terrestres mais aussi des systèmes embarqués à bord des frégates italiennes et françaises ainsi qu’à bord du porte-avions Charles de Gaulle et du porte-aéronefs italien Cavour. La capacité opérationnelle de ces systèmes, y compris anti-balistique, a été éprouvée. Les tirs des deux dernières années ont été des succès. Il reste à démontrer la disponibilité de ces matériels à un prix satisfaisant. Il convient également pour l’avenir d’éviter la remise en cause des cibles du programme qui entraîne des surcoûts.

Je n’évoque pas le programme MUSIS qui est en phase de définition

Concernant le programme Tigre, on peut regretter l’existence de différentes versions de l’hélicoptère Tigre. Ce programme comportait initialement des spécifications destinées au combat antichar en Europe centrale puisqu’il a été lancé dans les années 80 en pleine guerre froide. Les autorités françaises ont par la suite modifié les spécifications initiales pour adapter les appareils à la nouvelle donne géopolitique, contrairement aux responsables allemands, qui le regrettent sans doute aujourd’hui.

Les projections initiales étaient respectivement de 212 et 215 hélicoptères pour l’Allemagne et la France. Les Allemands disposent actuellement de 80 UHT – la version antichar de l’hélicoptère, proche des spécifications initiales. La France avait initialement commandé 80 appareils, 70 HAP – la version appui-protection – et 10 HAD – la version appui-destruction. À la faveur de l’entrée de l’Espagne dans le programme qui a en grande partie financé le développement de la version HAD, la France a pu, à la satisfaction de tous et avec un surcoût mineur, revoir sa commande pour obtenir 40 HAP et 40 HAD.

Nous sommes très satisfaits de la mise en service des hélicoptères Tigre qui ont fait la preuve, dans la version HAP, de leur capacité opérationnelle en Afghanistan, en Libye ainsi qu’au Mali. Le déploiement des hélicoptères allemands en Afghanistan, sur lequel je ne dispose pas de retour d’expérience, a obligé à des modifications de ces appareils conçus pour le combat antichar afin de les adapter au combat sur le théâtre afghan. La France a apporté des modifications moins coûteuses puisque la version HAP était déjà apte à ce type d’intervention.

L’existence de différentes versions de l’hélicoptère et de trois chaînes d’assemblage – en France, en Allemagne et en Espagne – n’est malheureusement pas génératrice d’économies, contrairement à l’A400M dont l’unique chaîne de montage est située à Séville. Un programme équivalent au programme Tigre, programme qui n’a pas été sous la responsabilité de l’OCCAr à son lancement, aurait pu être conduit à moindre coût. Je suis néanmoins satisfait, comme les forces armées, de la capacité opérationnelle du Tigre.

Le programme FREMM donne lieu à une coopération très restreinte entre la France et l’Italie. Seuls 15 % des éléments du programme sont communs aux frégates italiennes et françaises. Ce programme a fait l’objet d’un contrat unique entre l’OCCAr et un consortium réunissant d’une part DCNS, côté français et d’autre part Orizzonte Sistemi Navali, côté italien. Mais ces entreprises travaillent de manière indépendante, même si elles utilisent des matériels communs – diesel, turbine, sonar, lanceur, système de contre-mesure, etc. L’intérêt de la coopération est donc limité.

M. Jean Launay, président et rapporteur. Le programme Boxer, dont la France n’est pas partie prenante, est-il plus vertueux, en matière de prise de décision et dans son déroulement, que les autres ?

Concernant le programme Tigre, y a-t-il une place pour la décision politique ? À quel moment intervient, par exemple, le choix coûteux de multiplier les chaînes d’assemblage ? Comment cette décision s’articule avec le pouvoir de représentation octroyé à la Direction générale de l’armement ?

M. Patrick Bellouard. Le programme Boxer n’est ni plus ni moins vertueux que les autres. Le bon déroulement d’un programme repose largement sur la personnalité des représentants des nations et sur les relations entre ces derniers et l’OCCAr. Nous devons parfois nous défendre contre leurs intrusions et leur rappeler qu’ils sont tenus par les décisions antérieures. Le programme Boxer se déroule de manière satisfaisante mais nous avons par le passé été amenés à faire face au comportement assez intrusif des Pays-Bas.

La signature de la décision de programme fixant le mandat de l’OCCAr est précédée d’une discussion entre les nations et au sein de chacune d’entre elles, d’une discussion sur le contenu du programme. C’est à ce stade que l’échelon politique est sollicité, selon des modalités différentes dans chaque pays. En France, la Direction générale de l’armement rapporte au Gouvernement tandis qu’en Allemagne, le ministère de la défense rapporte au Bundestag. L’OCCAr peut se prononcer sur l’opportunité de certains choix, comme la mise en place de plusieurs chaînes d’assemblage, mais la décision politique des nations intervient en amont du mandat de l’OCCAr.

M. Stéphane Jourdan, magistrat à la Cour des comptes. Quelle est la valeur ajoutée de l’OCCAr par rapport à des structures bilatérales ou multilatérales ad hoc pour conduire des programmes d’armement ?

M. Patrick Bellouard. L’OCCAr a le mérite d’exister. Elle apporte un soutien dans la gestion des programmes d’armement en mettant à disposition des différents programmes des outils de gestion, des instruments financiers et des ressources humaines. Une structure ad hoc doit créer ses propres outils pour mener à bien un programme.

L’OCCAr permet également d’échanger sur les leçons tirées du déroulement des programmes afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Des groupes de travail sont mis en place à cet effet.

L’OCCAr permet enfin la mise en œuvre très rapide d’un nouveau programme car le cadre existe déjà. La négociation du protocole d’accord (memorandum of understanding) et de la décision de programme confiant le mandat à l’OCCAr ne porte que sur les éléments spécifiques au programme, les autres éléments de la décision étant standardisés.

Par rapport aux agences de l’OTAN, l’OCCAr est économe en matière de ressources humaines, conformément aux exigences posées par les États membres lors de sa création. Les rémunérations y sont inférieures à celles des agences de l’OTAN. Un directeur de programme à l’OTAN perçoit un salaire équivalent voire supérieur à celui du directeur de l’OCCAr qui est en charge de huit programmes.

Par rapport au modèle de « nation-cadre » que les Britanniques essaient d’imposer, en vertu duquel une nation gère un programme pour le compte des autres parties, l’OCCAr offre des garanties de transparence et de traitement équitable de tous les participants. Au sein de l’OCCAr, tous les États ont le même pouvoir et ont accès aux mêmes informations, alors que dans le cas du modèle « nation-cadre », l’État chef de file concentre les pouvoirs et peut ne délivrer que des informations choisies aux autres. Ce modèle de gestion des programmes est valable si le pourvoir d’influence d’un État est très fort – c’est le cas de la France pour le programme Hélios qu’elle finance à 80 %. Lorsque les participations sont équilibrées, ce modèle ne répond pas aux besoins.

M. Jean Launay, président et rapporteur. Merci, Monsieur Bellouard.