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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Prévention et accompagnement par la puissance publique des plans de sauvegarde de l’emploi

Jeudi 11 avril 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 21

Présidence de M. Olivier Carré, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Sébastien Raspiller, secrétaire du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), sur le thème « Prévention et accompagnement par la puissance publique des plans de sauvegarde de l’emploi »

M. Olivier Carré, président. Nous vous remercions de votre présence pour nous faire part de votre expérience sur cet important sujet.

M. Sébastien Raspiller, secrétaire du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). Créé par un décret de 1982 et prenant la suite du Comité interministériel d’aménagement des structures industrielles (CIASI), qui datait de 1974, le CIRI est l’organisme public le plus ancien en matière de traitement des difficultés des entreprises. Structure légère, administrativement rattachée à la direction générale du Trésor, il comporte un secrétaire général et cinq – bientôt six – rapporteurs. Son fonctionnement est cependant interministériel car il répond à la nécessité de réduire, pour un chef d’entreprise en difficulté, le nombre d’interlocuteurs publics, et d’assurer le lien, pour un même dossier, entre les différentes administrations concernées. Sont plus spécialement visées la direction générale des finances publiques et la direction de la sécurité sociale, pour les créanciers publics, auxquelles nous adressons des recommandations ; le ministère de la justice, pour les aspects juridiques qui peuvent être très complexes ; ainsi que des directions plus techniques, depuis celles de l’agriculture jusqu’à celles de la défense …

Le CIRI n’a guère évolué depuis trente ans dans ses méthodes de travail, restant fidèle à certains principes.

Il ne s’autosaisit jamais. Il reçoit, à sa demande, le chef d’entreprise concerné, accompagné de ses conseils et, éventuellement, du mandataire ou du conciliateur, afin d’examiner ses difficultés et, le cas échéant, ce qui a déjà été fait pour tenter de les résoudre. Il considère également l’environnement et les partenaires éventuels de l’entreprise, tels qu’un groupe de banques, l’existence d’une assurance crédit et d’un passif public, la situation du poste clients, les relations avec les fournisseurs, la mobilisation des actionnaires, les efforts déjà accomplis ou envisageables par la direction de l’entreprise. Ce premier rendez-vous permet de déterminer si le dossier est, ou non, éligible au CIRI, et de porter une première appréciation, chaque cas étant singulier et devant donner lieu à une relation de confiance.

La procédure est toujours amiable, les procédures collectives relevant des tribunaux de commerce et des administrateurs judiciaires. Le CIRI n’intervient donc pas en cas de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires. Son objectif est d’aboutir à un accord contractuel, ce qui exige l’unanimité des parties prenantes. Il cherche donc à définir une stratégie qui ne vise pas à minimiser les efforts de chacun mais de les répartir équitablement.

Cela se traduit d’abord par l’établissement d’un diagnostic sur l’origine et le niveau des difficultés, avec le concours d’auditeurs indépendants et reconnus, condition indispensable à la crédibilité de la démarche.

Nos règles de base sont intangibles.

La première réside dans la confidentialité, condition indispensable à la réussite d’une procédure amiable, faute de quoi la situation économique de l’entreprise peut se dégrader très rapidement. Celles qui s’adressent à nous éprouvent le plus souvent des difficultés de trésorerie qui déterminent le calendrier de notre intervention. Avant même de formuler des recommandations de restructuration, il nous faut gérer ce problème urgent. Dans les quelques exemples où la confidentialité n’a pas été respectée, toutes les parties prenantes de l’entreprise ont eu à en souffrir.

La deuxième réside, comme je l’ai déjà dit, dans la répartition équitable des efforts, selon un ordre relativement classique.

En premier lieu, l’actionnaire, dont le premier rôle, y compris sur le plan juridique, est d’assurer la poursuite de l’activité. C’est donc à lui qu’il revient d’accomplir les premiers efforts, notamment en matière de trésorerie. Nous n’intervenons que pour les entreprises comptant plus de 400 salariés, mais dont la détention du capital est très variable, pouvant relever de personnes physiques, d’autres entreprises, d’institutionnels, de fonds de placement … Ce qui n’a pas la même incidence quand il s’agit d’apporter de l’argent en cas de difficultés.

En deuxième lieu, les créanciers privés, en distinguant les créanciers interentreprises, notamment au titre de l’affacturage, des créanciers bancaires, qui ont intérêt à préserver leurs créances en réinjectant de l’argent frais mais qui veillent souvent à ce que l’actionnaire soit mis le premier à contribution.

En troisième lieu, les créanciers publics, adossés à un passif un peu particulier puisque celui-ci résulte non d’un contrat mais du défaut de paiement.

Le CIRI, jouissant de la confiance des parties prenantes, s’efforce d’abord de maîtriser le calendrier, disposant de toutes les relations nécessaires avec les administrations, ce que ne possède pas forcément un administrateur judiciaire. Il ne détient toutefois aucun instrument financier direct, à l’exception des prêts du Fonds de développement économique et social (FDES) mais qui restent marginaux. Il ne dispose pas davantage de pouvoirs d’ordre réglementaire ni de pouvoir d’injonctions.

Le CIRI constitue un espace de médiation, mais qui peut être assez ferme, son principal atout résidant dans sa capacité de persuasion et sa force dans sa parfaite connaissance de tous les ressorts et de tous les intervenants du traitement des entreprises en difficultés. S’est ainsi instaurée une certaine discipline collective qui permet d’éliminer, d’un dossier à l’autre, les « passagers clandestins ».

Nos moyens humains sont limités mais totalement dédiés à notre objectif.

Nous sommes indépendants, gratuits et constants, inspirant ainsi confiance aux entreprises pour définir des stratégies respectant toutes les parties et selon les mêmes principes depuis trente ans. Nous recevons donc plutôt mal les dirigeants d’entreprise qui ne songent qu’à préserver leurs propres intérêts et, compte tenu de notre longue expérience, ils le savent ! Ce qui vaut aussi pour les actionnaires.

Cela étant, toute restructuration comporte un coût pour les parties prenantes. Et toute solution discutée et basée sur un effort de chacun est, à l’expérience, plus pérenne qu’une solution imposée par un juge. Les solutions amiables présentent un taux de réussite bien supérieur à celui des procédures judiciaires. Il vaut mieux intervenir le plus possible en amont mais il est également vrai que seul le pied du mur oblige à accepter certains efforts.

Les entreprises sortant d’un problème traité par le CIRI en retirent généralement l’impression qu’on ne pouvait agir autrement et que toutes les pistes ont été explorées pour préserver leur activité ainsi que l’emploi salarié.

Pour autant, nous ne sommes pas dogmatiques : le cas échéant, des ajustements de charges salariales s’avèrent inévitables, impliquant des réductions d’organisation ou d’activités qui, à terme, permettent des réembauches. Le droit français privilégie la préservation de l’emploi ; nous nous efforçons de préserver l’activité économique.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure. Combien d’entreprises recourent à vos services ? Comment, ensuite, évoluent-elles ? Quel est donc le taux de réussite de votre mission à moyen et à long terme ?

Le seuil de 400 salariés est-il le seul critère d’éligibilité aux prestations du CIRI ?

La nouvelle procédure judiciaire de sauvegarde des entreprises, qui comporte aussi médiation, conciliation et confidentialité, entre-t-elle en concurrence avec vous ? Quel est l’intérêt d’une entreprise en difficultés de s’orienter vers l’une ou vers l’autre formule ?

Dans quels cas la confidentialité n’a-t-elle pu être respectée ? Les cas sont-ils nombreux ? Pourquoi ? Et quels sont les remèdes envisageables ?

Quelles suggestions feriez-vous pour améliorer le dispositif et les moyens du CIRI ?

M. Sébastien Raspiller. Notre rapport annuel, à paraître avant la fin du premier semestre, fournira dans le détail toutes les statistiques dont vous avez besoin.

En 2012, le CIRI a traité 60 entreprises en difficulté, dont 30 nouveaux dossiers, représentant au total un peu plus de 78 000 emplois. La moitié d’entre elles ont connu une issue positive, préservant environ 31 000 emplois. Mais nous avons subi trois échecs. Au cours des trois années précédentes, le nombre de nouveaux dossiers était plus élevé, se montant à environ 45 000 : 2012 a donc marqué un ralentissement mais le premier trimestre de 2013 traduit une forte augmentation, de l’ordre d’une trentaine, soit à peu près le même nombre que pour toute l’année 2012.

M. Olivier Carré, président. C’est considérable !

M. Sébastien Raspiller. Cette augmentation s’est manifestée à partir de décembre 2012.

M. Olivier Carré, président. Représentant combien d’emplois ?

M. Sébastien Raspiller. Toutes les tailles d’entreprises sont concernées, avec une moyenne de 1 500 salariés. En termes d’emploi, le premier trimestre de 2013 est également comparable à toute l’année 2012.

Le seuil des 400 salariés, en France, est le principal critère d’éligibilité à l’intervention du CIRI mais s’apprécie au niveau du groupe : si une filiale en difficulté emploie moins de personnes, nous la prenons tout de même en compte dans le cadre d’un traitement global.

Intervient un second critère : le CIRI n’intervient que dans l’hypothèse de besoin de restructuration, financière et/ou industrielle, et non pour un simple moratoire bancaire. Il n’a vocation à traiter que des dossiers complexes impliquant des décisions lourdes mettant notamment en cause l’organisation et l’efficacité de la direction d’entreprise, la recherche de nouveaux actionnaires et de nouveaux investisseurs, la cession de pans d’activité, la restructuration de la dette …

M. Olivier Carré, président. M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, a récemment donné des chiffres très précis mais différents des vôtres : ayant traité 70 909 emplois menacés, son action – et bien sûr celle de ses services – avait permis d’en sauver 59 961. Le premier chiffre n’est donc pas loin du vôtre mais le deuxième n’est plus que de la moitié de ce que vous venez de nous dire …

M. Sébastien Raspiller. Je vous ai communiqué les statistiques, arrondies, de l’année 2012. M. Arnaud Montebourg ne compte qu’à partir de son entrée au Gouvernement et jusqu’aux données les plus récentes de 2013. Il tient également compte du travail des commissaires au redressement productif, que nous n’intégrons pas dans les statistiques portant sur les entreprises de plus de 400 salariés.

M. Christophe Castaner, rapporteur. Vous avez souligné le maquis des intervenants publics concernant le redressement des entreprises en difficulté. Le CIRI a trente ans mais de nouveaux acteurs publics sont apparus : comment la gouvernance administrative s’organise-t-elle vraiment ? Quelles réformes seraient souhaitables pour articuler au mieux les cellules de médiation du crédit et de la sous-traitance, les commissaires au redressement productif, le Comité départemental de soutien au financement des entreprises (CODEFI), la banque publique d’investissement (BPI), le fonds stratégique d’investissement (FSI), les collectivités territoriales et le CIRI ?

Le secret de l’instruction de vos dossiers est évidemment un sujet majeur. Mais comment entre-t-il en cohérence avec le projet de loi de sécurisation de l’emploi qui préconise le maximum de transparence en amont vis-à-vis des représentants syndicaux ? La médiatisation pouvant en résulter risque-t-elle de gêner le travail du CIRI ?

M. Sébastien Raspiller. Si certains gros dossiers d’entreprises en difficulté occupent les premiers rangs de l’actualité, le CIRI se soucie avant tout de l’intérêt public, c’est-à-dire des entreprises dont la disparition entraînerait de graves perturbations dans l’économie nationale ou territoriale, au niveau de la filière de production comme des bassins d’emplois. C’est ce qui a justifié la création et qui justifie aujourd’hui son existence.

La crise de 2008 et 2009 a accéléré les besoins de médiation pour sauver des entreprises au plan financier, d’où la création de la médiation du crédit et des commissaires au redressement productif (CRP) après celle des quelques commissaires à la réindustrialisation.

Le CIRI n’éprouve aucune difficulté à travailler avec la médiation du crédit ni avec les CRP. Le seuil de 400 salariés permet en effet de départager nos compétences respectives. Ce nombre n’est cependant pas un dogme : il peut arriver que nous traitions un dossier d’entreprise un peu en-dessous.

Les CRP ont en portefeuille beaucoup plus d’entreprises que le CIRI mais, s’appuyant sur les services des préfectures, ne traitent pas leurs problèmes en profondeur comme nous le faisons. Car on n’aborde pas les difficultés d’une entreprise de 50 ou de 100 salariés comme celles d’une entreprise de 1 000 salariés. Les mécanismes de crédit, le mode de direction, l’implication des actionnaires ne sont pas les mêmes. De sorte que CIRI et CRP ne sont pas des concurrents, seul le premier pouvant travailler sur des dossiers individuels pendant plusieurs mois, voire davantage.

La médiation du crédit constitue, pour sa part, un instrument de masse, avec 300 saisines par mois qui, pour 90 % des cas, concernent de très petites entreprises (TPE) en délicatesse avec leur banque sur leur ligne de crédit. C’est pourquoi la médiation du crédit, qui a besoin d’un réseau réactif, s’appuie sur celui de la Banque de France. Mais nous discutons régulièrement avec elle afin de clarifier la frontière de nos interventions respectives, selon qu’il existe un besoin de restructuration ou seulement de moratoire de crédit.

Les missions et le mode de fonctionnement de chacun sont bien définis.

Moyennant quoi, les dirigeants d’entreprise en difficultés peuvent encore hésiter dans la recherche du bon interlocuteur. Il serait peut-être utile d’éditer un vademecum facilitant leur tâche à cet égard.

M. Christophe Castaner, rapporteur. Selon vous, la communication à l’intention des entreprises serait encore insuffisante, mais pas jusqu’à créer une « main unique » pour suivre tous les cas ?

M. Sébastien Raspiller. Du fait de ses missions, le CIRI ne saurait se confondre avec la médiation du crédit, pas plus qu’avec la BPI ou le FSI. Il traite un actionnaire public comme un actionnaire privé, sans passe-droit, sinon les créanciers pourraient dénoncer un traitement non égalitaire. Il en va de même de ses relations avec Oséo. Car il ne faut pas confondre la fonction de médiation avec celle d’intervenant financier public. La « main unique » risquerait donc de mélanger les genres. Car il est moins difficile d’investir que de se comporter en actionnaire et encore moins dans une entreprise en difficulté.

Le CIRI occupe une position neutre à l’égard de tous les intervenants, ce qui conforte une crédibilité acquise et reconnue à travers trente ans d’exercice et qui ne coûte rien à l’État. Je ne suis donc pas demandeur d’une quelconque évolution de l’organisme.

Il ne faut pas confondre secret et confidentialité. Ce qu’on peut lire dans les journaux sur des dossiers que nous traitons comporte généralement des éléments inexacts et, si ceux-ci proviennent de certaines parties prenantes c’est afin d’orienter la négociation en leur faveur. Nous garantissons un processus transparent, qui exige la confidentialité, mais qui ne comporte rien de secret : la première protège les parties et est opposable aux tiers.

Notre principal outil de travail réside dans la conciliation, afin d’aboutir à une homologation, dans le cadre de laquelle les salariés sont représentés. Ces derniers seront-ils plus présents avec l’entrée en vigueur de la future loi sur la sécurisation de l’emploi ? En l’état actuel du texte, je n’entrevois pas de difficultés nous concernant. La responsabilité d’informer les salariés sur l’évolution des discussions en vue de dégager une solution incombe à la seule direction d’entreprise et non au CIRI.

M. Christophe Castaner, rapporteur. Un de nos collègues interrogeait récemment le Gouvernement sur la mise en redressement judiciaire de l’entreprise Heuliez, mettant en cause le CIRI. Comment analysez-vous cette perception de votre action ?

S’agissant des instruments à perfectionner pour faciliter le redressement des entreprises en difficultés, que pensez-vous de l’idée de transformer les créances publiques en participations au capital ou en quasi-fonds propres ?

Comment jugez-vous la position de la Commission européenne dans le dossier SeaFrance, considérant certaines aides indirectes comme des aides d’État déguisées ?

Des fonds territoriaux pourraient-ils soutenir votre action en facilitant des reprises d’entreprises ?

D’une façon plus générale : faut-il inventer de nouveaux outils ou renforcer certains outils existants ?

M. Sébastien Raspiller. Concernant Heuliez, il ne faut pas confondre le CIRI et le FSI. Le CIRI a déployé dans ce dossier, symbolique, tous les efforts possibles relevant de sa compétence. Mais ne pas accepter la contribution proposée, et raisonnable à mes yeux, du FSI relève du seul choix de l’actionnaire, qui n’a pas voulu ouvrir son capital.

La reprise de créances publiques par les actionnaires exposerait ceux-ci à des risques juridiques et financiers considérables. Quant à la transformation de ces créances en capital, cela reviendrait à nationaliser des PME, le plus souvent dépourvues de direction financière et de documentation, et aussi à envoyer des administrateurs d’État partout en France… Mieux vaut raisonner de façon plus générale : une telle solution est rarement nécessaire. L’actionnaire qui ne remet pas d’argent dans l’entreprise alors que celle-ci souffre d’une impasse de trésorerie, et qu’elle choisit du coup de ne pas payer ses impôts, en abandonne de fait la propriété économique. Celle-ci se trouve donc transférée au créancier public. Ce dernier doit-il alors provoquer une mise en redressement judicaire pour cessation de paiement ? Le comportement de certains actionnaires le justifie mais il serait préférable que le créancier public puisse agir comme un créancier de droit commun. J’ai demandé, sur ce thème, une mission à l’inspection générale des finances, actuellement en cours.

M. Olivier Carré, président. Hormis les salariés, le créancier fiscal est un créancier de premier rang …

M. Sébastien Raspiller. Certes, mais il en va différemment dans une procédure de traitement amiable.

M. Olivier Carré, président. La question a été débattue avec la direction du trésor lors du plan de relance. L’État voulant être payé avant les fournisseurs, ceux-ci exigeaient d’être payés par avance. De ce fait, avoir momentanément rétrogradé les créances de l’État derrière les créances « économiques » a permis de rétablir une certaine confiance et d’éviter une embolie.

La puissance publique n’est pas créancier prioritaire dans tous les pays. Souvent, la vie économique prime sur la dette à l’égard de l’État.

M. Sébastien Raspiller. Il serait bon que les créanciers publics disposent des mêmes outils que les créanciers privés. Par exemple, ils ne bénéficient pas, aujourd’hui, dans le cadre d’une conciliation, du privilège dit de « new money », permettant à l’entreprise de survivre durant la négociation, selon l’article L. 611-11 du code de commerce.

Le régime de remboursement du passif public me paraît donc devoir être amélioré, afin que le créancier public puisse enfin raisonner comme un partenaire économique et non comme un simple revendicateur de dû.

M. Olivier Carré, président. Faut-il, pour autant, transformer le Trésor en créancier ordinaire ?

M. Christophe Castaner, rapporteur. Cela risque, en outre, d’avoir des incidences sur la sous-traitance et, partant, sur les emplois à la clé.

M. Sébastien Raspiller. Le CIRI examine bien sûr avec soin la situation des sous-traitants, surtout s’ils sont peu nombreux.

L’ordre des privilèges des créances et des sûretés mérite en effet d’être revu car il s’agit aujourd’hui d’un maquis nuisant à la capacité des acteurs économiques de se positionner par rapport au réel de l’entreprise : personne ne sait vraiment quel rang il occupe.

Comparativement à d’autres pays européens, notamment le Royaume-Uni, il est particulièrement difficile en France d’accéder à de l’argent frais pour des entreprises en difficulté et en négociation en vue de leur redressement. Car notre système de hiérarchie des privilèges des créanciers, difficilement lisible, dissuade de prendre des risques économiques quand justement ils seraient particulièrement nécessaires. En outre, les dirigeants d’entreprise s’adressent tardivement à nous, alors que quelques mois supplémentaires auraient permis d’aborder leurs problèmes de trésorerie avec davantage de sérénité et de passer plus vite au problème de fond de la restructuration.

M. Olivier Carré, président. Ne décrivez-vous pas là une époque disparue, quand le dialogue était beaucoup plus cloisonné, chaque partie prenante ne raisonnant que chacune pour soi ? Aujourd’hui on se met plus facilement, acteurs publics comme privés, autour de la table pour chercher des solutions en commun.

M. Sébastien Raspiller. S’agissant des créances publiques, je considère que l’instrument de la dette doit toujours l’emporter sur celui de la participation au capital. Je suggère donc que l’actionnaire défaillant, qui dispose aujourd’hui du seul pouvoir de nuisance à travers la propriété juridique de l’entreprise alors qu’il ne dispose plus de sa réalité économique et que d’autres partenaires ont sauvé celle-ci à sa place, puisse être évincé, mais évidemment selon un encadrement juridique précis, un peu comme dans le système du « bail in » bancaire.

Encore que des instruments juridiques existent déjà pour conforter les vrais actionnaires : les quasi-fonds propres mais aussi des formules de transfert de propriété comme la fiducie récemment introduite en droit français, qui permet d’échapper à la confusion des patrimoines tout en défendant les créances publiques. Réfléchissons-y.

La Commission européenne surveille de près les aides d’État. Mais tous les dossiers traités par le CIRI ont bénéficié de son blanc-seing. Car nos principes de fonctionnement répondent à ses préoccupations : s’il y a effort public, il doit aussi y avoir effort privé ; les créanciers publics ne sont pas mieux traités que les privés ; en cas d’investisseur public, intervient aussi un investisseur privé … Cette panoplie de règles et d’usages permet donc de faire jouer à plein l’effet de levier d’une intervention financière publique, de mieux boucler les tours de table, de préserver les responsabilités juridiques de chacun, surtout quand de grandes banques s’en mêlent. La Commission européenne le comprend d’autant mieux qu’elle s’est approprié les principes à la base du CIRI, et même du CIASI.

Je me permets, en conclusion, de signaler que l’effet levier, notamment grâce aux prêts du FDES, joue comme l’effet boule de neige mais qu’il est difficile de l’arrêter.

Dans un cas récent, pour une grosse entreprise souffrant d’une impasse de trésorerie de plusieurs dizaines de millions d’euros, qui ne pouvait même plus payer les salaires et qui voulait faire endosser au créancier public un passif de 30 millions, le CIRI est intervenu pour qu’elle obtienne un prêt grâce à la mobilisation des autres créanciers, ce qui a divisé par 2,5 l’exposition des deniers publics.

Donc mieux vaut un créancier actif que passif !

M. Olivier Carré, président. Ce n'est pas, en effet, à l’État de se substituer au banquier … Monsieur nous vous remercions.