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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Prévention et accompagnement par la puissance publique des plans de sauvegarde de l’emploi

Jeudi 11 avril 2013

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Olivier Carré, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail, assisté de Mme Anne Sipp, sur le thème « Prévention et accompagnement par la puissance publique des plans de sauvegarde de l’emploi »

M. Olivier Carré, président. Je vous remercie de votre présence, Madame, Monsieur, pour cette audition consacrée à un sujet qui est particulièrement d’actualité : la prévention et l’accompagnement par la puissance publique des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Après vos propos liminaires, les rapporteurs Christophe Castaner et Véronique Louwagie vous poseront quelques questions.

M. Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail. Sur un plan administratif, la question que nous abordons aujourd’hui concerne à la fois la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et la Direction générale du travail (DGT) mais, sur un plan opérationnel, le suivi des PSE via les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) relève plus de la première que de la seconde.

La transposition législative de l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier dernier a entraîné une profonde modification de la législation sur les PSE. Ce n’est pas un retour à l’autorisation administrative de licenciement, supprimée en 1986, non plus qu’au contentieux judiciaire, qui a soulevé un certain nombre de problèmes en matière de sécurité juridique, mais c’est un nouveau dispositif qui a été proposé.

Le contrôle des PSE relève de l’administration ; celui du motif économique de la compétence du juge judiciaire. Le contrôle administratif, en l’occurrence, s’exercera selon deux modalités : l’homologation des plans unilatéraux et la validation des accords.

En priorité, il faudra travailler à ce que les PSE soient conclus sous la forme d’accords collectifs d’entreprises, la loi prévoyant des accords majoritaires dérogeant aux règles habituelles de validité des accords collectifs, lesquels doivent être signés par des syndicats qui représentent 30 % des salariés sans opposition du syndicat qui en représente 50 %. Cela, toutefois, dépendra des conditions du dialogue social au sein des entreprises.

Dans ce cas-là, le contrôle administratif sera techniquement restreint alors que l’homologation d’un plan unilatéral supposera qu’au-delà des aspects purement juridiques s’exerce un contrôle de proportionnalité, soit du contenu des mesures de reclassement par rapport aux moyens dont dispose l’entreprise.

Quels moyens les administrations et, notamment, les DIRECCTE, auront-elles dès lors que la décision sera prise par les responsables de ces dernières – et non par l’inspecteur du travail – et qu’aucun recours hiérarchique ne sera possible auprès du ministre ?

Autre défi, au-delà du strict contrôle juridique : l’exercice d’un contrôle qualitatif, qui n’est d’ailleurs pas spécifique aux PSE. Des mécanismes de « négociations administrées » se développent en matière d’égalité hommes-femmes, de pénibilité ou de contrats de génération. L’approche de l’administration n’est donc pas seulement juridique mais concerne l’opportunité des mesures à prendre, ce qui est souvent délicat puisque cela relève de l’activité même des entreprises.

In fine, l’administration dispose de pouvoirs conséquents, les décisions étant très importantes pour elle et pour les entreprises.

Je rappelle qu’un recours a été formulé devant le Conseil constitutionnel concernant le passage d’une partie des contrôleurs du travail des catégories B à A dans le cadre de la loi portant création du contrat de génération, le « ministère fort » cher au ministre du travail supposant un accroissement des compétences de son administration dans ces domaines. Autrement dit, il ne s’agit pas simplement de savoir si l’on homologue les services des DIRECCTE et si les effectifs seront assez nombreux, le problème étant moins quantitatif que qualitatif. L’administration agissait déjà en matière de PSE mais l’accroissement des compétences des services déconcentrés du ministère du travail est de plus en plus important. Cet enjeu essentiel concerne les rapports internes entre les administrations mais, aussi, entre l’administration du travail, les entreprises et les partenaires sociaux.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure. S’agissant des moyens des DIRECCTE, vos propos confirment le sentiment que nous avions eu lors des auditions précédentes. À cela s’ajoutent des délais d’examen raccourcis, comme en dispose le projet de sécurisation de l’emploi, ce qui entraînera une augmentation des besoins. Les DIRECCTE sont-elles donc prêtes à agir ou faudrait-il recourir à l’expertise de structures privées ?

Avant la fermeture d’un site, une entreprise devra rechercher d’éventuels repreneurs. Comment l’administration pourra-t-elle s’assurer qu’il en a bien été ainsi ?

Suite à l’ANI, pouvez-vous préciser les rôles respectifs du juge administratif et du juge judiciaire en matière de PSE ? Comment les nouvelles procédures s’articuleront-elles en cas de liquidations et de redressements judiciaires ?

M. Jean-Denis Combrexelle. S’agissant des délais, il faut avoir une vision précise de la situation. Nous ne passons pas d’une période dans laquelle l’administration ne faisait rien à une forme d’omniprésence.

Dès la première réunion du comité d’entreprise de PSA/Aulnay et, donc, bien avant le vote du projet de sécurisation de l’emploi, l’administration et, notamment, les services des DIRECCTE, étaient présents. Le texte prévoit un système de décision implicite d’acceptation, une décision étant rendue après un délai de quinze jours, ce qui ne signifie pas que l’administration statuera dans ce délai-là. Comme c’est le cas aujourd’hui, elle suivra de très près le dossier dès le premier jour. La décision juridique est certes importante mais les relations antérieures entre l’administration, l’entreprise et les partenaires sociaux le sont au moins tout autant. La différence, c’est que l’administration disposait jusqu’ici de très peu de pouvoirs juridiques et que, maintenant, elle a un pouvoir de décision.

Sans avoir une vision idyllique et naïve des services administratifs, leur proximité avec nos entreprises me laisse penser que l’expertise privée ne s’imposera pas. On dénombre environ 1 100 PSE par an. Certes, c’est déjà beaucoup trop mais les statistiques de la DARES montrent que la raison principale des inscriptions à Pôle Emploi ne relève pas tant de ces derniers que de la fin de CDD.

M. Olivier Carré, président. Et de contrats d’intérim.

M. Jean-Denis Combrexelle. En effet.

J’ajoute que ces PSE sont essentiellement concentrées à Paris et dans les Hauts-de-Seine. En région, ils sont gérables sans une complète transformation de l’organisation administrative.

En outre, nous ne manquons pas d’experts, peut-être même sont-ils trop nombreux, et la question de la légitimité de leurs analyses peut parfois se poser.

Lors de la réunion que nous avons eue hier avec le ministre à propos des PSE, des DIRECCTE et de la formation, nous avons estimé que si la question de l’organisation des pôles 3E et T se posera, tel n’est pas le cas, je le répète, de celle du recours à des structures privées.

S’agissant de la question d’éventuels repreneurs, je vous invite à auditionner des représentants de la DGEFP.

L’ancien conseiller de tribunal administratif que je suis se souvient que, dans le cadre des autorisations administratives de licenciement, le juge disposait de trois mois pour rendre sa décision. Il en sera toujours de même, avec dessaisissement, tout comme pour la Cour administrative d’appel.

Lorsque j’ai présenté le texte devant le conseil supérieur des tribunaux administratifs, les syndicats se sont interrogés. Compte tenu des mécanismes de décision tacite d’acceptation, ils ont fait remarquer que les délais seront très courts et que certains dossiers seront vides. Mais comme le ministre l’a dit et comme il en sera sans doute fait état dans les circulaires, les décisions tacites seront quasi-inexistantes. Sauf cas exceptionnels et dérogatoires, l’administration ne prendra que des décisions motivées et circonstanciées en ce qui concerne les PSE de telle façon que le juge puisse disposer du délai nécessaire en cas de contentieux.

La question des délais est en effet essentielle : la sécurité juridique, dont nous parlons souvent, ne concerne pas les seules entreprises mais, également, les salariés. Or, il arrive un moment où les salariés licenciés doivent trouver un autre emploi. C’est précisément pour cette raison que la décision est prise par « le » DIRECCTE, sans recours hiérarchique devant le ministre, et que les délais sont très courts devant les tribunaux administratifs et la Cour administrative d’appel.

Un débat a également eu lieu sur la mention du délai de trois mois, les juges ayant fait valoir qu’ils étaient capables de le respecter d’eux-mêmes.

En tenant compte de tous ces éléments, je gage que la situation sera satisfaisante.

M. Christophe Castaner, rapporteur. J’entends vos propos : vous serez donc en mesure de faire face.

Le prochain texte sur la décentralisation prévoit que les ex-Directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE), qui sont à ce jour au sein des DIRECCTE, doivent relever des conseils régionaux au titre de leur compétence économique. Dès lors, qu’en sera-t-il de vos capacités à accompagner la recherche et l’évaluation des bonnes conditions d’homologation et de validation ?

De plus, considérez-vous qu’il convient de formuler des critères de proportionnalité ou faut-il maintenir une approche au cas par cas, laquelle implique de ne pas définir de critères trop stricts ? Plus globalement, qu’en sera-t-il des moyens de contrôle de l’administration de ce point de vue-là ?

Que pensez-vous de la situation des salariés victimes de licenciements diffus ? Ils échappent à l’ensemble des procédures que nous évoquons et, comme tels, subissent une inégalité de traitement puisqu’ils ne bénéficient pas des mesures d’accompagnement des PSE. Je rappelle que M. Cherpion a déposé une proposition de loi à ce sujet, qui a d’ailleurs été reprise par d’autres.

Enfin, l’approche négociée telle qu’elle est promue par la loi de sécurisation de l’emploi ne peut-elle très rapidement s’exercer au détriment d’une approche collective alors que les incidences territoriales des PSE, la question de la revitalisation et des conditions de reprises d’activité sont également essentielles ? Par exemple, si dans le cadre de la clause de mobilité et aux termes d’un accord négocié les salariés sont prêts à effectuer 42 kilomètres pour travailler dans une autre zone, celle qu’ils quittent sera immanquablement appauvrie.

Le reclassement et la revitalisation constituent le double enjeu de l’accompagnement salarial dans le cadre des PSE.

M. Jean-Denis Combrexelle. Au-delà, c’est la question politique, au sens large du terme, de la confiance accordée à la négociation collective qui est posée. L’ANI en est issu, en vertu de la loi Larcher, et il renvoie lui-même à une série d’accords : accords d’entreprises pour le maintien de l’emploi ou concernant la mobilité interne ; accords de branche pour le temps partiel notamment.

Le problème est de savoir si le renvoi de la question de la mobilité interne à la négociation constitue une garantie suffisante. Tel est le cas dans nombre de pays où les syndicats et les partenaires sociaux travaillent volontiers ensemble. En France, en revanche, le renvoi à la négociation n’est pas toujours considéré comme une garantie suffisante, d’où l’ajout de telle ou telle procédure dans la loi. Ce sujet est donc très sensible.

Je ne suis pas sûr que, dans le cadre d’un grand groupe, la négociation n’inclurait pas la question des micro-reclassements, des sites et des territoires. La complexité et la diversité des situations sont telles que l’on peut se demander, sur le plan des principes, dans quelle condition il est possible de poser des règles législatives générales. Il n’est pas question de considérer que la loi ne doit pas intervenir mais il faut trouver un équilibre assez délicat avec la négociation collective.

Le motif économique, quant à lui, ne relève pas du champ de la décision administrative. Juridiquement, il n’appartient pas à l’administration de se prononcer sur son existence ou non et si celle-ci justifie ou non l’organisation d’un PSE. En revanche, et c’est déjà beaucoup, le contrôle de proportionnalité implique qu’elle se prononce sur l’adaptation et la suffisance des mesures de reclassement eu égard à la situation économique. Même s’il faudra faire montre de vigilance, quel que soit le devenir des DRIRE, l’administration s’adaptera.

La question de l’organisation et des niveaux de compétences des DIRECCTE me paraît plus délicate que celle de leurs moyens. Les sujets les plus sensibles tels que la pénibilité ou l’égalité hommes-femmes relèvent à la fois du travail et de l’emploi alors que les pôles T et 3E sont distincts. Il n’est pas question d’une fusion générale mais nous devons parvenir à faire travailler les pôles ensemble.

Je ne répondrai pas directement sur le problème des licenciements diffus mais nous savons combien il est difficile d’avoir une approche globale des ruptures conventionnelles, homologuées ou non par l’administration. J’ai signé des circulaires précisant que ces dernières n’ont pas pour vocation de détourner les règles relatives aux licenciements. L’administration vérifie que leur multiplication ne masquerait pas la volonté de contourner d’agir de la sorte. Jusqu’ici, une telle vérification était possible si tous les licenciements avaient lieu, par exemple, en Rhône-Alpes mais, en cas de licenciements diffus, nous ne disposions pas d’un système informatique permettant de savoir s’il y avait eu cinq ruptures conventionnelles en Rhône-Alpes, trois en Île-de-France et sept en Alsace. Nous sommes en train de remédier à cette situation afin d’avoir une approche globale. Le système d’information de l’inspection du travail, qui est parfois contesté par les syndicats, joue un rôle central en la matière.

Le contrôle de proportionnalité ne sera pas élaboré différemment en fonction des situations qui se présenteront – ce qui pourrait être perçu comme discrétionnaire, voire, arbitraire – mais il n’est pas question pour autant d’exposer des critères dans des circulaires de 300 pages. Avec la DGEFP, nous nous efforcerons de donner des directives à nos administrations en mentionnant des critères généraux auxquels il sera possible de déroger en fonction des cas particuliers. L’essentiel est que les salariés et les chefs d’entreprise comprennent la décision administrative.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure. Nous avons bien compris que les DIRECCTE jouent un rôle majeur mais avez-vous envisagé de nouer des partenariats ou d’organiser des concertations avec l’ensemble des acteurs locaux, collectivités, Pôle emploi ou autres ?

Des accords que l’on pourrait qualifier de « mixtes » pourront-ils être partiellement négociés ?

M. Jean-Denis Combrexelle. La DIRECCTE ne doit pas être une forteresse qui n’entretiendrait aucun contact avec l’administration. Hier, le ministre a réuni les directeurs régionaux de Pôle emploi, des DIRECCTE, des Pôles T et 3E. Il n’est pas question que la DIRECCTE prenne une décision de type juridico-administratif sans lien avec Pôle emploi ou les collectivités locales concernées. Il faut certes attendre la parution des circulaires mais, politiquement, l’intention du ministre est très claire.

Juridiquement, le texte a été élaboré pour permettre de tels accords « mixtes » et partiels. La clarté et l’intelligibilité de la règle reposent sur deux modalités, celle du plan unilatéral et celle de la négociation, chacune ayant sa logique. Dans certains cas, pourquoi ne pas envisager un accord mixte, oui, mais il doit être l’exception.

Mme Dominique Lassus-Minvielle, rapporteur à la Cour des comptes. Même si c’est un peu prématuré, quelle sera l’organisation des Pôles T et 3E suite à la loi sur la sécurisation de l’emploi.

Le Pôle T et les inspecteurs du travail sont concentrés dans des unités territoriales au niveau départemental alors que les compétences économiques des ex-DRIRE relèvent plutôt du siège régional des DIRECCTE où se trouvent donc les acteurs dont la vision de l’emploi est un peu stratégique, lesquels sont de surcroît responsables de la gestion des crédits. Le pouvoir régional a ainsi été très fortement renforcé.

L’analyse détaillée des procédures de terrain impliquera-t-elle un déplacement des agents ou une organisation resserrée avec des réunions très fréquentes, l’impact étant important d’un point de vue temporel et sur le plan de la gestion des ressources humaines ?

Nous avons constaté une limitation des dispositifs d’accompagnement social des restructurations économiques dans les PSE et, en particulier, de ceux dédiés aux salariés âgés. Avez-vous analysé des accords passés relatifs à l’emploi des seniors ? Un passage de relais est-il prévu avec le contrat de génération de manière que les questions de préretraites ou de congés ne relèvent pas des seules entreprises ?

M. Jean-Denis Combrexelle. La situation de la DIRECCTE du Limousin, qui gère une dizaine de PSE par an, diffère complètement de celle d’Île-de-France. Avec la DGEFP et le cabinet du ministre, nous considérons qu’il faut certes avoir un certain nombre de principes mais qu’il convient tout autant de tenir compte de la différence des situations.

Nous n’envisageons pas de réorganisation ni, a fortiori, de mutations d’agents. Les Pôles T et l’inspection du travail ont une approche « juridique » et les Pôles 3E une approche plus économique ou d’ingénierie. Parce qu’une synthèse sera nécessaire, la décision sera prise au niveau « du » DIRECCTE, une délégation pouvant être éventuellement accordée au responsable de l’unité territoriale, notamment en région parisienne où le responsable territorial des Hauts-de-Seine, par exemple, est directement concerné. In fine, la responsabilité administrative et juridique de la décision échoit à une personne.

Sans doute conviendra-t-il d’organiser des procédures et d’opérer des différenciations en fonction des régions mais, je le répète, l’application de la loi de sécurisation de l’emploi n’impliquera pas une réorganisation des DIRECCTE.

Les accords concernant les seniors comportent un aspect qualitatif mais quelle est la capacité de négociation des entreprises ? Elle existe dans les grands groupes, moins dans les PME. La même question se pose au niveau des branches. Les résultats de la mesure d’audience de la représentativité des syndicats publiés le 29 mars montrent que certaines branches ne peuvent pas négocier. Nous devons travailler avec la DGEFP et l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) afin de mettre en place des mécanismes d’appuis et de conseils qui permettront à des entreprises de négocier sur des points innovants pour les seniors ou les bénéficiaires des contrats de génération.

Ensuite, je le répète, la politique en amont demeure fondamentale. Ce défi n’est d’ailleurs pas facile à remporter parce qu’il ne relève ni de la loi ni du règlement. La capacité de négocier concerne les mondes patronal et syndical et, en la matière, beaucoup reste à faire.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure. Cela me semble en effet important. Une telle situation ne conduira-t-elle pas la DIRECCTE à formuler des propositions ou des orientations lors de la négociation de l’accord ? Ne risque-t-elle pas d’être à la fois juge et partie lorsqu’elle sera sollicitée pour l’homologation ?

M. Jean-Denis Combrexelle. C’est une bonne question ! L’administration du travail et de l’emploi relève à la fois de Bison futé et du radar : elle essaie d’impulser et de faciliter le dialogue social et elle exerce sa mission régalienne de contrôle de l’ordre public.

Ainsi, l’administration a accompli des efforts importants pour faciliter la convention collective du spectacle vivant privé, laquelle a été signée par tous les syndicats. Cet après-midi, lors de la réunion de la sous-commission de l’extension des conventions collectives, l’arrêté d’extension aboutira à exclure certaines stipulations qui ont été négociées. Dans le cadre des « négociations administrées » sur la pénibilité, l’égalité hommes-femmes ou les contrats de génération, les DIRECCTE sont dans la même situation. Cela ne soulève pas de problèmes juridiques dès lors que la spécificité de l’inspection du travail est préservée. En outre, nos fonctionnaires et nos agents sont familiers d’un tel positionnement, de même que nos interlocuteurs que sont les entreprises et les partenaires sociaux. J’ajoute que ce questionnement est assez central au sein du ministère du travail.

Sans doute la séparation des fonctions celle-ci doit-elle être rappelée mais si nous voulons être efficaces, nous devons aussi accepter certaines situations. Si nous voulons que des accords de qualité soient conclus sur les contrats de génération ou en matière d’égalité hommes-femmes, « le » DIRECCTE doit avoir un pouvoir d’impulsion ou de conseil et dire qu’il n’accepte pas tel ou tel point. J’insiste : un tel positionnement est accepté, voire, demandé par nos interlocuteurs.

M. Christophe Castaner, rapporteur. Pourriez-vous nous communiquer plus d’informations concernant l’approche globale que vous êtes en train de promouvoir s’agissant des licenciements diffus ? Nous savons ce qu’il en a été avec l’industrie pharmaceutique, nous verrons ce qu’il en sera demain avec la grande distribution.

Qu’en est-il de l’élargissement des procédures aux entreprises sous-traitantes ? Il est impossible de ne pas tenir compte de leur situation alors qu’elles subissent les conséquences des fermetures des entreprises majeures et que leurs salariés licenciés ne bénéficient ni d’une approche globale ni, sur le plan individuel, d’une approche plus qualitative.

M. Jean-Denis Combrexelle. Le texte aborde la question des entreprises sous-traitantes, de l’information des comités d’entreprises ou de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

La question de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) fait parfois sourire tant l’on y trouve de tout. Sous ce label, certaines entreprises font parfois de la « communication ». Les pouvoirs publics, au sens large, ne se rendent pourtant pas suffisamment compte combien il s’agit là d’un levier très important afin de favoriser une évolution positive sur un plan social ou environnemental.

Notre droit du travail, s’agissant notamment des PSE, doit appréhender de plus en plus la notion de groupe et, au-delà, de « communauté » incluant les sous-traitants tant les conséquences sont en effet immédiates pour eux lorsqu’un grand groupe licencie. Certaines grandes entreprises commencent à intégrer une telle logique.

Globalement, il existe trois leviers : la législation, la négociation et la RSE.

M. Olivier Carré, président. Cela relève de la gouvernance.

M. Jean-Denis Combrexelle. Quelle est la place des partenaires sociaux dans la RSE ? C’est un vrai sujet.

Mme Dominique Lassus-Minvielle, rapporteur à la Cour des comptes. Qu’en est-il des filiales – dont l’homologation impliquera d’apprécier la situation financière – alors qu’il est déjà problématique, dans le cadre de la loi actuelle, de savoir si la responsabilité pèse sur elles ou sur le groupe ? Disposez-vous d’éléments de jurisprudence ?

M. Jean-Denis Combrexelle. La jurisprudence qui concerne le co-emploi. Nous voyons bien quel est le but poursuivi lorsqu’un groupe est considéré comme co-employeur dans le cadre du PSE d’une filiale. Or, un équilibre doit être préservé.

Certains DRH de grands groupes investissent beaucoup dans une politique RH « corporate », c’est-à-dire pour l’ensemble du groupe, celui-ci étant doté d’une politique globale en matière de GPEC ou de sites, par exemple. Mais il ne faudrait pas qu’une jurisprudence légitime en matière de co-emploi soit perçue comme la sanction d’une politique RH « coporate ». Autrement dit, si le DRH d’un groupe propose une telle politique et que le groupe soit jugé responsable du PSE d’une filiale, il peut vouloir éviter le risque induit et faire en sorte que la politique RH soit définie par chaque filiale.

Le problème, ce sont les conditions d’application de la jurisprudence. Je connais un DRH qui voulait promouvoir une politique ambitieuse, au niveau du groupe, et qui a procédé à d’importants investissements sociaux. Une petite filiale a été déclarée en faillite et le groupe a quant à lui été considéré comme co-employeur, déclaré responsable et en faillite.

M. Olivier Carré, président. La notion de proportionnalité change l’échelle. La France et l’Espagne comptent parmi les pays européens dont le marché du travail est jugé rigide par l’Eurogroupe ou l’OCDE. Qu’en pensez-vous ? Le dernier ANI a-t-il contribué à changer la situation ? Comment pourrait-on encore progresser ?

M. Jean-Denis Combrexelle. Nous connaissons la situation dans laquelle se trouvent nos jeunes diplômés. Trouver un emploi relève souvent du parcours du combattant.

Les fonctionnaires de Bruxelles me demandent souvent quand la France instaurera le contrat de travail unique, seule façon selon eux de battre en brèche la rigidité du marché du travail. Selon moi, il ne changerait rien car il n’y a pas de solution purement juridique aux problèmes d’embauche. Il est certes possible de jouer sur les taux de cotisations d’assurance-chômage des CDD mais, dans certaines situations, d’autres solutions sont possibles. La rigidité du marché du travail ne résultant pas de la loi, je ne suis pas certain qu’y remédier passe par la législation. La croissance économique, les comportements, le sens des responsabilités ou les négociations me semblent plus indiqués.

M. Olivier Carré, président. Je vous remercie.