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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Prévention et accompagnement par la puissance publique des plans de sauvegarde de l’emploi

Jeudi 30 mai 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 38

Présidence de M. Olivier Carré, président

– Table ronde, ouverte à la presse, avec les représentants des syndicats de salariés : M. Christian Janin, secrétaire confédéral de la CFDT ; M. Guillaume Lefèvre, secrétaire confédéral de la CFDT ; M. Michel Beaugas, secrétaire général de l’Union départementale Force Ouvrière du Calvados ; Mme Sylvia Veitl, assistante confédérale de Force Ouvrière ; M. Mohamed Oussedik, secrétaire confédéral de la CGT et Mme Isabelle Depuydt, conseillère confédérale de la CGT.

M. Olivier Carré, président. Nous poursuivons ce matin nos travaux sur la prévention et l’accompagnement par la puissance publique des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Nous avons le plaisir de recevoir une délégation de représentants de différents syndicats de salariés : M. Christian Janin et M. Guillaume Lefèvre de la CFDT, Mme Sylvia Veitl et M. Michel Beaugas de Force Ouvrière, M. Mohamed Oussedik et Mme Isabelle Depuydt de la CGT. Nous organisons cette audition en partenariat avec la Cour des comptes.

M. Christian Janin, secrétaire confédéral de la CFDT. En recevant votre invitation, mesdames, messieurs les députés, nous nous sommes interrogés sur son objet. Cherchez-vous à analyser la manière dont la puissance publique prévient et accompagne les PSE aujourd’hui ou souhaitez-vous réfléchir à ce que pourrait faire celle-ci à l’avenir compte tenu des évolutions en cours ?

M. Christophe Castaner, rapporteur. Nos auditions servent à rédiger un rapport élaboré dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) ; celui-ci ne répond donc pas à une commande gouvernementale et a vocation à produire une analyse financière sur l’engagement de l’État dans ces dispositifs.

Votre question est particulièrement pertinente, parce que les rapporteurs ont proposé ce thème d’étude bien avant la signature de l’Accord national interprofessionnel (ANI) le 11 janvier dernier ; l’ANI et sa transposition dans la loi relative à la sécurisation de l’emploi – ainsi que la proposition de loi déposée par M. François Brottes sur les conditions de reprise des sites rentables – ont profondément modifié l’anticipation et l’accompagnement par la puissance publique des PSE, si bien que nous sommes passés de l’évaluation à l’accompagnement de ces changements ; nous observerons ainsi la capacité des acteurs publics à prendre en compte et à appuyer la mise en œuvre de ces nouveaux dispositifs.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure. Notre objectif est de réaliser un audit des PSE, cet état des lieux devant dresser les forces et les faiblesses du système actuel en intégrant les conséquences de la nouvelle législation née de l’ANI ; à la suite de ce constat, nous élaborerons des propositions visant à améliorer l’action de la puissance publique en amont et en aval des PSE.

M. Olivier Carré, président La majorité et l’opposition mènent ensemble ce travail et cosigneront le rapport.

M. Christophe Castaner, rapporteur. Je tiens à préciser qu’il s’agit ici non pas de refaire le débat sur l’ANI et sur la loi relative à la sécurisation de l’emploi, mais d’étudier les conditions de mise en œuvre de ces textes, de recueillir vos éventuelles inquiétudes et de mettre en lumière certains sujets sur lesquels l’ANI ou la loi ne seraient pas allés assez loin, afin que nous puissions faire des recommandations sur les conditions d’application de la loi.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure. Ce qui nous intéresse c’est de bénéficier de votre expérience sur le sujet.

M. Michel Beaugas, secrétaire général de l’Union départementale Force Ouvrière du Calvados. Je vous remercie pour cet éclairage, car nous avions nous aussi des interrogations.

Le nombre de PSE est faible et ne constitue pas, de très loin, le premier motif d’inscription à Pôle emploi : les licenciements économiques représentent à peine 3 % des ruptures du contrat de travail, loin derrière l’arrêt des contrats précaires – 25 % pour les seuls CDD et 30 % si l’on y ajoute l’intérim. Le thème principal, à nos yeux, réside donc bien dans la précarisation des contrats.

Jusqu’à l’ANI et la loi relative à la sécurisation de l’emploi – le terme de sécurisation étant, en l’espèce, bien mal choisi puisque l’on parle surtout de licenciement –, l’administration, par le biais des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), pouvait contrôler les PSE, mais pas les autres ruptures – notamment conventionnelles –, qui, par leur nombre, peuvent se transformer en plans sociaux déguisés. Ainsi, l’administration rencontrerait de grandes difficultés à suivre une entreprise procédant à quatre ou cinq ruptures conventionnelles par mois.

M. Olivier Carré, président Elle donne pourtant un accord !

M. Michel Beaugas. Certes, mais les moyens alloués aux DIRECCTE sont restreints et devraient être renforcés pour que l’administration puisse remplir cette mission de vigilance.

Les entreprises devraient utiliser l’instrument de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) bien en amont du PSE, et sans lier les deux sujets. Il y a un vrai manque d’implication des employeurs dans le développement de la GPEC et comme tout a été fait pour associer GPEC et PSE, les salariés pensent au licenciement quand on leur parle de GPEC ; ces deux facteurs ne facilitent pas la mise en place d’une gestion de long terme dans l’entreprise.

M. Christian Janin. Dans la période précédant l’ANI et la loi relative à la sécurisation de l’emploi, la prévention et l’accompagnement des PSE ont été cogérés par la puissance publique et les directions d’entreprise sans que les représentants des salariés y soient associés. Au niveau national, nous avons uniquement pu débattre de ces questions de manière indirecte, à l’occasion des discussions sur les projets de loi de finances ou au sein du Conseil national de l’emploi lorsque l’on aborde les très rares accords du Fonds national de l’emploi (FNE). Il s’agit donc pour nous d’une zone noire. Le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) vient de publier une étude sur les aides publiques aux entreprises en faveur de l’emploi, qui pointe un certain nombre de difficultés. Nous considérons que l’État ne mène aucune politique de prévention et d’accompagnement des PSE ; la puissance publique joue seulement le rôle de pompier lorsqu’un gros incendie se déclare.

Cette situation découle de la suppression de l’autorisation administrative de licenciement et de celle de la mission interministérielle sur les mutations économiques, ainsi que d’autres décisions de retrait de l’investissement public dans ces domaines ; le nouveau contexte pose ainsi la question du retour de l’État. Dans la situation économique que nous connaissons, espérer faire des économies sur cette ligne budgétaire est illusoire et il conviendrait davantage de renforcer les moyens des DIRECCTE.

À l’intérieur de ce cadre général, les pouvoirs publics ont toujours mené des actions en fonction d’opportunités ou de situations conjoncturelles particulières, notamment par le biais des engagements de développement de l’emploi et des compétences (EDEC). Nous considérons que ces interventions sont trop éclatées et que la prévention et l’accompagnement des PSE devraient reposer sur des accords sectoriels ou territoriaux définissant des priorités. Des initiatives en ce sens se font jour et il y a lieu de les encourager.

De notre point de vue, les ruptures conventionnelles ne constituent pas une voie de contournement massif du PSE. Des salariés et des entreprises se mettent en revanche d’accord pour requalifier en rupture conventionnelle des départs négociés en préretraite, ce qui pose un vrai problème.

La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) nous promet depuis six mois la publication d’une enquête qualitative réalisée auprès de 3 000 salariés ayant bénéficié de la rupture conventionnelle, qui nous permettra de connaître l’utilisation de ce dispositif.

M. Mohamed Oussedik, secrétaire confédéral de la CGT. Nous nous sommes également interrogés sur le sens de votre invitation, mais les éclairages que vous nous avez apportés ont permis de préciser la nature de la contribution que vous attendiez de nous. Il est intéressant de mettre en place une mission d’évaluation sur ce sujet, même si, M. Michel Beaugas l’a rappelé, les licenciements économiques ne sont à l’origine que de 3 à 4 % des inscriptions à Pôle emploi, et les PSE ne concernent que les entreprises qui en ont les moyens et qui sont donc de grande taille ; de nombreux dispositifs pour les salariés ne relèvent donc pas des PSE, alors même que le motif économique du licenciement est avéré. La souplesse pour licencier est donc assurée.

Il faut se pencher sur les contrats précaires comme les CDD et l’intérim. Les salariés seniors sont également fragilisés, ce qui pose la question des départs volontaires. Les ruptures conventionnelles représentent 16 % des fins de CDI et un million de salariés, dont une part importante se trouve contrainte de mettre un terme à son contrat selon cette procédure plutôt que d’entrer dans une phase de licenciement plus contraignante pour l’entreprise.

Il convient également d’analyser les raisons pour lesquelles on privilégie le moment du licenciement pour accompagner les salariés plutôt que celui où l’entreprise rencontre des difficultés. Symptomatique de ce choix, le dispositif du chômage partiel est sous-utilisé en France et il serait intéressant de déterminer les causes de ce phénomène. Une différence existe entre les grands groupes et les entreprises sous-traitantes, et le système actuel de chômage partiel n’est pas adapté aux réalités de l’emploi.

La GPEC – qui a fait l’objet d’un ANI en novembre 2008 – est vécue par les entreprises comme une procédure obligatoire lorsque des suppressions d’emplois sont envisagées. L’anticipation que devrait permettre cet instrument reste donc théorique. Certaines entreprises, comme Saint-Gobain, ont signé des accords intéressants sur la GPEC, car elles ont déconnecté ce sujet de celui du PSE et ont traité de la stratégie du groupe, de ses conséquences sur l’emploi et la formation à l’échelle du bassin d’activité, et de l’avenir des sous-traitants de la filière. L’information sur la stratégie de l’entreprise est en mesure de redonner de l’utilité à la GPEC.

Je suis heureux que la puissance publique veuille accompagner – voire anticiper – les PSE ; néanmoins, il faut s’interroger sur les raisons de la suppression de dispositifs qui fonctionnaient. Je pense notamment à l’allocation spéciale du Fonds national de l’emploi (AS-FNE), mise en sommeil en dépit de son grand intérêt. Ce que l’on aborde aujourd’hui, l’AS-FNE le traitait de façon concrète : il n’y a qu’à songer au congé de conversion, au mécanisme de préretraite pour les salariés âgés de plus de cinquante-six ans, aux cellules de reclassement confiées dorénavant au secteur privé et qui devraient faire l’objet d’une enquête, et au système de mutualisation des fonds de formation. Tous ces instruments engendraient des dépenses, mais celles-ci doivent être comparées au coût du chômage.

Nous devrons donc connaître le degré d’effort – notamment financier – que la puissance publique est disposée à consentir pour mettre en place des dispositifs efficaces de prévention et d’accompagnement des PSE.

Outre le rapport du COE évoqué par M. Christian Janin, le Conseil national de l’industrie (CNI) et le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) publieront prochainement des études évaluant l’efficacité des aides publiques aux entreprises en faveur de l’emploi. Ces aides – exonération de cotisations sociales sur les bas salaires ou mesures fiscales dérogatoires comme le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – visent à maintenir ou à encourager l’emploi, mais il ne serait pas inutile que votre mission étudie les moyens de mieux utiliser les ressources publiques.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure. Notre travail se concentre sur les 4 % des salariés concernés par les PSE et auxquels vous avez fait allusion, monsieur Oussedik, mais d’autres missions se penchent sur la situation des autres salariés.

Vous avez peu abordé la façon dont vous voyez les éventuels effets de l’ANI du 11 janvier 2013 et de la loi relative à la sécurisation de l’emploi sur les PSE.

Quel est votre avis sur la gestion des effectifs dans les entreprises en difficulté, sur les plans de départs volontaires et sur les dispositifs publics d’accompagnement ? Les contrats de sécurisation professionnelle (CSP) représentent-ils une bonne solution ? Les collectivités locales sont-elles suffisamment associées aux PSE pour prévoir la restructuration des territoires et formuler des propositions au monde économique, ou faut-il agir d’une manière différente ?

M. Michel Beaugas. Dans l’ANI, nous regrettons que la mission de l’administration ne comprenne pas le contrôle de la cause économique du PSE ; si l’administration avait été en mesure de constater l’absence de raison économique aux licenciements, alors la procédure du PSE aurait pu être immédiatement arrêtée. La loi transposant l’ANI raccourcit énormément les délais, notamment ceux du recours juridique. Par ailleurs, les équipes syndicales étaient habituées aux tribunaux de grande instance (TGI) et ne sont pas familières des tribunaux administratifs. Ceux-ci doivent déjà traiter un contentieux important et ils n’auront que trois mois pour statuer, sous peine de transfert direct de la requête à la cour administrative d’appel. En outre, les comités d’entreprise et les organisations syndicales devront obligatoirement disposer d’un avocat, ce qui engendrera un coût pouvant dissuader certaines actions en justice.

Nous sommes perplexes sur l’utilité de la proposition de loi de M. François Brottes. En effet, cette proposition ne concerne que les entreprises de plus de 1 000 salariés ; le comité d’entreprise devra s’adresser au tribunal de commerce et, s’il est reconnu que l’employeur n’a pas suffisamment recherché de repreneur, la sanction sera une pénalité. Cela signifie que l’entreprise paiera, mais que les salariés seront licenciés. Ce texte n’apporte donc presque rien aux salariés et permettra à l’État d’encaisser des amendes.

Le CSP est un outil pertinent et efficace, car les salariés sont suivis individuellement jusqu’à trouver une formation ou un emploi, même s’il est actuellement difficile d’être embauché. Il convient de renforcer les moyens qui lui sont alloués, notamment dans les entreprises de moins de 1 000 salariés où le CSP individuel devrait pouvoir devenir collectif. Ainsi, nous avons suivi collectivement le dossier de l’usine Plysorol de Lisieux, où les salariés qui allaient être licenciés ont été très tôt pris en charge ; nous avons organisé à leur intention des réunions d’information sur le CSP et sur leurs droits, si bien que 85 % d’entre eux ont adhéré à ce contrat – alors que le taux d’adhésion individuelle est plus faible et que les 15 % de salariés restants disposaient de solutions alternatives comme le départ en retraite. Nous avons pu élaborer un plan de recherche de formation et un plan de recherche d’emploi, qui ont démontré l’efficacité du dispositif du CSP.

Je partage le constat de M. Oussedik sur la trop faible utilisation de l’allocation temporaire dégressive et du chômage partiel dans la prévention des difficultés des entreprises.

M. Christian Janin. L’ANI et la loi relative à la sécurisation de l’emploi introduisent des éléments porteurs d’un changement culturel dans les entreprises, car ils associent différents instruments. C’est ce lien qui constitue à nos yeux la garantie pour les salariés. Le schéma doit obéir à la séquence suivante : développer l’anticipation, tout faire pour maintenir l’emploi et, seulement en cas extrême, procéder à des licenciements économiques. Tous ces outils sont regroupés dans le chapitre III de la loi. Il est évident que si l’on ne privilégie qu’un seul de ces mécanismes, ce système échouera.

Il convient de renforcer les DIRECCTE pour qu’elles puissent assumer la fonction que la loi leur confie dans le processus ; il n’y aurait en effet rien de pire que d’avoir un dispositif d’homologation ou de validation des accords qui reste simplement formel. Il est d’ailleurs indispensable de développer un traitement administratif de qualité pour ces opérations.

Le patronat avait refusé, dans l’ANI de novembre 2008 sur la GPEC, que la stratégie des entreprises soit discutée, alors qu’il l’a accepté dans celui de janvier 2013. Cet acquiescement de principe devra se concrétiser dans la pratique, mais nos équipes syndicales doivent se préparer à intervenir avec compétence sur ces questions. Il s’agit d’un défi d’expertise que nous devons relever, afin que nous ne puissions pas être instrumentalisés par les employeurs.

Au niveau de la puissance publique, l’enjeu est double, voire triple. Nous devons parvenir à structurer le dialogue social entre l’État et les partenaires sociaux afin de garantir un pilotage et un suivi de dispositifs appelés à se développer à l’avenir. C’est le cas des excellentes mesures du Pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi qui devaient accompagner la mise en place des commissaires au redressement productif, notamment celle de plateformes territoriales d’appui aux mutations. C’est l’objectif de la mission confiée à Jean-Pierre Aubert portant sur l’amélioration de l’anticipation des mutations économiques et leur accompagnement.

S’ajoutent à cela les outils mis en place par les états généraux de l’industrie, la Conférence nationale de l’industrie et la politique de filières. Il est temps de tirer les conclusions de tous ces travaux et de les traduire sous forme de politiques publiques à mettre en œuvre. Si l’État ne parvient pas à faire des choix, à indiquer des orientations – dans le secteur automobile, par exemple – les investissements de la puissance publique resteront dispersés, voire contre-productifs. En revanche, la mise en œuvre concrète de ces grandes décisions doit être confiée aux territoires, seuls à même de les adapter aux particularités du tissu économique local.

La CFDT considère qu’un comité national de pilotage, sur le modèle du comité de pilotage du CSP, pourrait être le lieu où discuter de l’ensemble de ces politiques. L’objectif est de permettre l’articulation entre toutes ces politiques et de s’assurer qu’elles fonctionnent de façon satisfaisante. Faute d’un tel pilotage, ces politiques publiques sont vouées à l’échec.

Il faudra évidemment que les régions puissent assurer l’articulation de ces décisions avec les territoires, mais dans ce domaine il n’y a pas de remède miracle.

Enfin, nous sommes convaincus que la puissance publique doit conditionner ses investissements au respect de certaines obligations, au premier rang desquelles celle de négocier avec les partenaires sociaux. Cela inciterait les entreprises à entrer dans le dispositif. Aujourd’hui, celles-ci préfèrent user du lobbying auprès des élus et de leurs réseaux pour obtenir des financements, ce qui relève quasiment du délit d’initié. Au contraire, un véritable pilotage des investissements publics mettrait toutes les entreprises sur un pied d’égalité, pourvu que leurs objectifs soient conformes aux axes prioritaires fixés par la puissance publique.

M. Mohamed Oussedik. En matière de gestion des effectifs, le problème majeur des petites entreprises est plutôt de trouver le moyen de préserver leurs compétences et leurs savoir-faire, donc leurs salariés. Celui des grandes entreprises, en revanche, semble plutôt de développer le plus large panel de dispositifs leur permettant de se séparer plus facilement de leurs salariés quand elles traversent des difficultés. Cela va du recours à l’emploi précaire – intérim, contrats à durée déterminée, recours aux stages – jusqu’aux plans de départs volontaires. S’agissant de ces derniers, la situation est paradoxale, puisque, même s’ils sont issus d’un PSE et négociés de manière collective, ces départs sont des décisions individuelles, fruits d’un accord entre l’entreprise et le salarié, donc très peu contrôlables. En outre le salarié volontaire au départ se voit octroyer de fortes indemnités. C’est autant d’argent qui ne va pas aux caisses de la sécurité sociale et aux mesures d’accompagnement des licenciements, notamment aux mesures de reclassement.

Le contrat de sécurisation professionnelle est un bon dispositif, mais il faudrait désormais qu’il passe à une autre dimension. Aujourd’hui, il ne s’applique qu’aux salariés des entreprises de moins de 1 000 salariés et environ 140 000 salariés en bénéficient : il conviendrait de l’étendre aux entreprises de moins de 10 000 salariés. Quant au délai de douze mois, il est insuffisant pour permettre au salarié de se former à un nouvel emploi. Il faudrait donc augmenter les moyens consacrés au CSP et étendre le bénéficie de celui-ci à d’autres catégories de salariés : il faudrait notamment que les salariés en CDD puissent en profiter. Une telle extension fait aujourd’hui l’objet d’une expérimentation, mais celle-ci ne concerne que l’accompagnement. Il faudrait également renforcer l’attractivité du CSP afin d’inciter les salariés à adhérer à ce dispositif.

La véritable question est celle de la création d’emplois, donc de la politique industrielle. Certes, l’État a mis en place un Conseil national de l’industrie et défini une stratégie de filières, avec treize comités stratégiques et des contrats de filières. Mais cette politique manque de cohérence et de lisibilité. On ignore notamment les critères qui ont présidé à la répartition des 800 millions d’euros d’argent public déjà investis dans cette politique.

Surtout, alors que ces filières sont censées être des filières d’avenir, la plupart sont dans une situation très préoccupante sur le plan de l’emploi – je pense notamment à la filière automobile –, et la question qui est au centre des débats est celle de la reconversion de leurs salariés. On mesure l’incohérence de cette approche : soit il s’agit de filières d’avenir, et alors l’objectif des aides publiques devrait être de soutenir leur montée en gamme ; soit on considère que ces filières sont en fin de vie, et dans ce cas il faut mettre en place un vaste plan de formation et d’adaptation aux mutations. Le problème est qu’on reste dans un entre-deux qui interdit tout choix sérieux, alors qu’entre 2008 et 2013, ce sont près de 10 milliards d’euros qui ont été distribués sous diverses formes – prêts, primes, avantages fiscaux, etc. Quant aux aides décidées dans le cadre de la politique de filières, on ne sait pas si elles visent à soutenir l’emploi, l’investissement ou les entreprises. Cet argent est distribué sans que les organisations syndicales soient consultées, alors que nous sommes représentés au sein des comités de filière. Il est temps de donner de la cohérence et de la lisibilité au pilotage de ces politiques et d’évaluer l’utilisation de ces aides publiques.

L’ANI est supposé inciter les entreprises à embaucher en leur permettant de se séparer plus facilement de leurs salariés. Il y a là à mon avis une erreur de diagnostic. Au lieu d’inventer un faux problème, Il aurait fallu s’attaquer aux vrais problèmes des entreprises, notamment en aidant les PME et les PMI, c’est-à-dire les entreprises qui créent de l’emploi, à passer le cap quand elles connaissent des difficultés et à préserver leurs compétences et leurs savoir-faire. Ce problème-là, l’ANI ne permet pas de le traiter, en dépit de quelques avancées, tel le renforcement de la place des salariés dans les conseils d’administration, disposition prise à l’initiative de la CGT.

On ne voit pas bien non plus l’apport de l’ANI s’agissant des accords compétitivité emploi, même pour répondre à des difficultés conjoncturelles, d’autant qu’il était déjà possible de passer de tels accords avant la traduction législative de l’ANI.

S’agissant des licenciements économiques, les délais ont été raccourcis. Quant au comité d’entreprise, il est réputé avoir donné un avis même quand il s’est abstenu, notamment pour se donner le temps de vérifier la réalité du motif économique. Enfin, la loi n’a pas réglé le problème d’absence de motif au licenciement économique, alors que par son arrêt Viveo, la Cour de cassation appelait le législateur à dire si le juge devait annuler un PSE dans le cas où la cause économique du licenciement n’est pas établie.

La proposition de loi relative à la reprise de sites rentables est un signe de bonne volonté, même si elle ne traite pas la question de la reprise de sites industriels en général ni celle de la préservation de l’emploi en cas de transmission d’entreprise. En imposant aux dirigeants d’entreprise envisageant la fermeture d’un site de rechercher un repreneur, sous peine d’une pénalité, cette proposition de loi « visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel » va dans le bon sens. Il serait cependant nécessaire de réformer le fonctionnement des tribunaux de commerce avant de légiférer sur cette question.

M. Christophe Castaner, rapporteur. Les entreprises procédant à des licenciements diffus devraient-elles être soumises à une obligation de revitalisation ?

Faut-il étendre le bénéfice du CSP aux salariés sortant d’un contrat précaire, notamment pour accompagner les licenciements des entreprises sous-traitantes et faudrait-il instituer un outil intermédiaire entre le CSP et la cellule de reclassement, qui traduisait une approche plus collective ? Faut-il instituer un droit rechargeable au CSP ?

Êtes-vous associés à la mise en œuvre de la revitalisation des territoires en aval du PSE et faudrait-il instituer une obligation de revitalisation pour les entreprises de moins de 1 000 salariés ? Pensez-vous que le dispositif d’exonération fiscale en faveur des territoires en difficulté pourrait être mieux employé ? Quel serait l’outil idéal à mettre en œuvre pour assurer la reconversion des salariés ?

M. Gérard Cherpion. Pouvez-vous préciser pour quelles raisons il faudrait consacrer plus de moyens au contrat de sécurisation professionnelle ? Les expérimentations d’extension du CSP aux contrats à durée déterminée ont permis de toucher un public plus jeune et plus qualifié : faut-il aller au-delà ?

M. Michel Beaugas. Il faut étendre et adapter le CSP aux contrats précaires et aux contrats courts. Étendre le principe des droits rechargeables au CSP me semblerait également une bonne chose, puisqu’aujourd’hui un salarié en CSP perd ses droits s’il retrouve un travail. Ces adaptations supposent des moyens supplémentaires.

S’agissant de l’obligation de revitalisation, nous pensons que la charge de la preuve doit être renversée : il faut faire peser sur les entreprises d’une certaine importance – il reviendrait évidemment au législateur de définir des seuils – une présomption d’impact négatif de leurs licenciements économiques sur leur bassin d’emploi, alors qu’actuellement la charge de la preuve repose sur l’administration. Ce serait une réponse possible à la question des licenciements diffus : aujourd’hui les entreprises qui procèdent à de tels licenciements échappent à la taxe de revitalisation du bassin d’emploi. Cela permettrait en outre d’augmenter les ressources du Fonds national de revitalisation des territoires.

Si les organisations syndicales sont consultées dans le cadre des conventions de revitalisation de bassin d’emploi, elles ne le sont qu’une fois les licenciements décidés. Pourtant, si nous étions consultés en amont de la décision de licencier, nous pourrions proposer d’autres pistes car nos équipes connaissent bien les territoires et l’impact que peut avoir la fermeture d’un site industriel.

À un moment où l’on vante beaucoup la démocratie sociale et la contractualisation, je ne voudrais pas que l’approbation d’un plan de licenciement économique par 50 % des salariés interdise son contrôle par l’administration, car ce serait faire partager aux salariés la responsabilité de leur licenciement.

M. Christian Janin. L’obligation de revitalisation doit s’inscrire dans cette nouvelle culture de gestion des entreprises que nous appelons de nos vœux. Notre sentiment est que l’absence d’anticipation des conséquences d’une décision de licenciement économique devrait coûter plus cher. Tout le problème est de fixer des critères d’évaluation dans ce domaine. Ce mécanisme vertueux aurait en outre l’avantage de traiter les problèmes de sous-traitance ou de licenciement diffus. Reste que c’est avant tout la qualité du dialogue social qui permet de construire des solutions intelligentes.

La CFDT est depuis l’origine assez réservée quant à la pertinence du CSP, considérant que c’est toute l’assurance chômage qui devait s’adapter à la situation des demandeurs d’emploi et que le licenciement économique ne devait pas fonder des droits supplémentaires. Si nous avons finalement donné notre accord à la création de ce nouveau dispositif, c’était par nécessité de faire preuve de pragmatisme dans une période de crise.

L’expérimentation de son extension à d’autres publics se révèle plutôt un échec, avec un taux d’adhésion de l’ordre de 30 %. Nous ne souhaitons pas une extension plus large, qui reviendrait selon nous à créer une assurance chômage « bis » au détriment du régime de base.

A priori, nous sommes partisans de maintenir ce dispositif comme réponse d’urgence face aux grosses opérations de licenciement économique et, dans tous les autres cas, de laisser prospérer la dernière convention tripartite entre l’État, l’UNEDIC et Pôle emploi pour assurer un accompagnement et un suivi des demandeurs d’emploi qui soient plus pertinents. Je doute a fortiori de l’intérêt d’un droit rechargeable au CSP.

Les partenaires sociaux sont aujourd’hui trop peu associés à la gouvernance locale des restructurations. Il faut imaginer des dispositifs renforcés pour les sites en difficulté et des outils de reconversion des salariés spécifiques. De telles opérations devraient être contractualisées sur des durées déterminées.

M. Mohamed Oussedik. Les organisations syndicales ne sont pas associées aux démarches de revitalisation des bassins d’emplois, qui relèvent du préfet. Certes, les pénalités prévues pour les entreprises qui procèdent à des licenciements économiques représentent jusqu’à quatre fois le SMIC par salarié, mais que fait-on quand, comme c’est souvent le cas, l’entreprise est en liquidation judiciaire et que le principal objectif est de permettre aux salariés de percevoir les salaires auxquels ils ont droit ? Il est difficile, dans de telles conditions, de parler de revitalisation du bassin d’emploi.

Il faut allonger la durée du CSP : douze mois ne suffisent pas pour permettre au salarié de se projeter dans des perspectives d’emploi. Il faut également élargir le public du CSP. Faute de ces adaptations, ce dispositif va vite atteindre ses limites, en dépit du succès relatif qu’il connaît actuellement. On ne peut pas limiter cette question au risque que le CSP ferait poser sur l’assurance chômage, d’autant moins quand on sait que seul un chômeur sur deux est indemnisé.

Il faut travailler à une meilleure organisation de la politique de filières, sur le modèle de ce qui se fait en Allemagne dans le secteur automobile : Volkswagen a mis en place un système d’alerte, qui permet aux sous-traitants et aux équipementiers de s’adapter, et une responsabilité du donneur d’ordre, alors qu’en France les constructeurs automobiles dissimulent jusqu’au dernier moment leur intention de mettre en place des plans sociaux, sans se soucier de leur impact sur leurs propres sites ou sur les sous-traitants.

Il y a des dispositifs réglementaires à mettre en place pour protéger l’emploi dans les entreprises sous-traitantes – obligation d’alerte des sous-traitants, respect des délais de paiement, etc. – ainsi que des droits nouveaux à reconnaître aux salariés de ces entreprises, notamment en matière d’information : aujourd’hui, les salariés des sous-traitants sont complètement privés des droits dont bénéficient les salariés des donneurs d’ordre dans ce domaine. On pourrait envisager la mise en place d’un comité interentreprises au niveau d’un groupe ou d’un bassin d’emploi, qui assurerait au minimum l’information et la consultation de l’ensemble des représentants des salariés des entreprises sous-traitantes comme des entreprises donneurs d’ordre.

M. Olivier Carré, président. Messieurs, Mesdames, je vous remercie.