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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Prévention et accompagnement par la puissance publique des plans de sauvegarde de l’emploi

Jeudi 30 mai 2013

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 39

Présidence de M. Olivier Carré, président

– Audition, ouverte à la presse, de représentants du MEDEF : M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission Relations du travail, emploi, formation, et Mme Kristelle Hourques, chargée de mission senior de la direction des affaires publiques.

M. Olivier Carré, président. Nous sommes heureux d’accueillir M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission Relations du travail, emploi, formation du MEDEF, qui est accompagné de Mme Kristelle Hourques, chargée de mission senior de la direction des affaires publiques.

M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission Relations du travail, emploi, formation du MEDEF. Nous vous remercions de votre accueil. Nous étions conviés à cette réunion avec les autres organisations représentatives des employeurs. À l’heure où nous discutons de la représentativité patronale, nous voulons voir un présage dans l’absence de nos amis de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et de l’Union professionnelle artisanale (UPA), avec lesquels nous sommes en constantes relations.

Vous souhaitez d’abord connaître notre sentiment sur la place des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) dans le cadre des nouvelles pratiques de gestion des effectifs que sont les plans de départs volontaires, la rupture conventionnelle et la montée en puissance de l’intérim et des contrats courts.

À nos yeux, la rupture conventionnelle ne constitue pas une pratique de gestion des effectifs. Ce mode de rupture est à l’initiative aussi bien de l’employeur que du salarié. Si l’on s’en tient à l’esprit et à la lettre de la loi, il est totalement déconnecté de la situation économique et des besoins de réorganisation des entreprises. Parmi les outils qui sont à la disposition des entreprises pour adapter les effectifs à leur niveau d’activité, nous privilégions bien sûr les solutions qui permettent de maintenir le lien contractuel avec le salarié. C’est tout le sens de notre travail des dernières années. Pour peu que l’on accorde suffisamment de souplesse aux entreprises dans l’application de ces dispositifs, ils seront de nature à aider nombre d’entre elles à passer des caps difficiles sans licencier, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui.

Les PSE ne sont pour nous qu’un ultime recours, lorsque la situation des entreprises ne leur permet vraiment pas de faire autrement que de se séparer d’une partie de leurs salariés. Ils sont parfois couplés avec des plans de départs volontaires. Lorsque ceux-ci ne sont pas mis en place seuls, ils peuvent être l’occasion pour des salariés qui n’auraient pas sauté le pas de se lancer dans une nouvelle expérience professionnelle avec un appui financier et opérationnel. Je le dis non seulement en tant que représentant du MEDEF, mais aussi en tant que directeur des ressources humaines (DRH) d’un grand groupe.

Quant à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), elle est un moyen d’anticiper les évolutions de l’activité des entreprises, et donc de limiter les réductions d’effectifs. L’accord du 11 janvier 2013 lui accorde d’ailleurs une place particulière : il accentue le lien entre la GPEC et la formation afin d’améliorer l’employabilité des salariés. La loi prévoit de soumettre à la négociation les grandes orientations du plan de formation : c’est un changement considérable. En ce domaine, un nouveau changement – alors même que le précédent n’est pas encore entré en vigueur – n’aurait donc pas de sens.

En ce qui concerne le recours aux contrats courts et à l’intérim, il faut se garder de s’engager dans des voies illusoires. Rappelons que c’est l’activité économique même qui appelle l’utilisation de ce type de contrats, en particulier les remplacements et les surcroîts d’activité. Nous sommes à mon avis dans un paradigme erroné s’agissant du contrat à durée déterminée (CDD) et de la précarité dans la société française. D’une part, nous qualifions de « précaire » un contrat court. Or un CDD de longue durée peut être précaire s’il est l’objet de constants renouvellements. D’autre part, l’organisation de notre société fait que tant que le salarié ne dispose pas d’un contrat à durée indéterminée (CDI), il lui est beaucoup plus difficile d’obtenir un prêt bancaire ou de louer un appartement. Ces réactions en cascade sont dues à une perception partielle du CDD en France. Permettez-moi de vous citer une anecdote à ce sujet. Il y a une dizaine d’années, Michel de Virville, qui fut l’un de mes prédécesseurs, avait proposé, dans son rapport Pour un droit du travail plus efficace, un CDD de cinq ans. Immédiatement, on cria à la précarisation, jusqu’au jour où le professeur Jean-Emmanuel Ray, spécialiste incontesté du droit du travail, expliqua que le CDD de cinq ans était le contrat le plus « verrouillé » au monde. Cette proposition fut néanmoins retirée. Il faut donc se demander où est la vraie précarité et en quoi elle consiste réellement. Le CDD et le contrat court sont des concepts qui mériteraient d’être approfondis.

Néanmoins, on ne peut contester qu’il y a un problème dans la mesure où, alors que 83 % des salariés sont en CDI, plus de 75 % des embauches se font en CDD. Il y a donc un travail collectif à conduire. Notre analyse est que la peur de l’embauche en CDI est liée aux risques juridiques, voire financiers qui pèsent sur l’entreprise en cas de rupture du contrat. Nous avons commencé à y apporter une réponse dans l’accord du 11 janvier, en ramenant les délais de prescription de cinq à deux ans et en rendant plus attractif l’arbitrage prud’homal par l’instauration du barème. Cela va dans la bonne direction, celle de l’instauration d’une possibilité de rompre un contrat de travail par consentement mutuel sans drame et dans le respect de l’autre, sur le modèle de ce qui existe en droit de la famille depuis 1975.

Vous nous interrogez ensuite sur la proposition de loi Brottes visant à renforcer les incitations à la recherche de repreneur dans le cas de sites rentables, et sur la manière de renforcer ces incitations sans tomber dans des sanctions confiscatoires.

Prenons un exemple : posons-nous la question de savoir comment il faudrait procéder dans le cas de la centrale nucléaire de Fessenheim. Si des propositions sont faites, elles devront être examinées avec beaucoup d’intérêt : nous sommes en effet typiquement dans un cas où la question devrait se poser. Vous ne mesurez pas l’impact négatif que cette proposition de loi peut avoir sur l’image internationale de la France, donc sur l’investissement et sur l’emploi ! À l’heure où le chômage atteint un niveau historique dans notre pays, nous avons besoin de relancer la croissance, d’envoyer des signes positifs aux investisseurs. Quelles que puissent être les bonnes intentions de son auteur, cette proposition de loi est très mal acceptée par les entrepreneurs et risque d’aggraver la situation économique de notre pays – c’est un point sur lequel je tiens à insister. Je me permets par ailleurs de soumettre deux remarques à votre réflexion. Le montant de la pénalité prévue est-il compatible d’une part avec notre droit, au regard du principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre, d’autre part avec le droit communautaire, au regard du principe de la liberté d’installation ? Comment articuler cette proposition de loi avec la loi sur la sécurisation de l’emploi ? Il est nécessaire de repartir de l’article 19 de celle-ci, qui traite du même problème.

Vous nous interrogez par ailleurs sur l’articulation entre les principaux dispositifs publics d’accompagnement des salariés, à savoir la dotation globale de restructuration, le contrat de sécurisation professionnelle (CSP), les cellules de reclassement et les conventions du Fonds national de l’emploi (FNE).

Comme vous le savez, le CSP est réservé aux salariés licenciés pour motif économique dans les entreprises de moins de 1 000 salariés ou en cas de redressement ou de liquidation judiciaire. Les congés de reclassement sont obligatoires dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. Dans ce cadre, depuis la création du CSP en septembre 2011, les conventions du FNE ont théoriquement disparu – même si elles subsistent parfois exceptionnellement. À nos yeux, il n’existe donc plus de problème d’articulation, comme c’était le cas avant la création du CSP. La seule redondance que l’on puisse encore constater est la mise en place de cellules de reclassement alors même que les salariés bénéficient du CSP. Il nous semble néanmoins difficile d’interdire ce type de cellules, qui sont créées à la demande des organisations syndicales en raison du manque de confiance qui subsiste à l’égard de Pôle emploi – qui gère les CSP dans 60 % des bassins – en dépit des progrès considérables réalisés ces derniers temps. Connaissant l’extrême difficulté de la tâche, je voudrais pour ma part rendre hommage à Pôle emploi. Ma remarque se veut davantage une photographie de la situation qu’une critique des efforts mis en œuvre.

Vous nous demandez si les dispositifs publics d’aide à la formation tels que le FNE formation ou les fonds d’urgence des régions sont suffisants.

Il est difficile de répondre de manière générale à cette question. Les fonds d’urgence relevant des conseils régionaux, l’appréciation que nous portons dépend de la politique de chacun d’eux. Néanmoins, notre analyse est que les conseils régionaux disposent de moyens suffisants pour aider à la restructuration des bassins d’emploi sinistrés. Lorsque tel n’est pas le cas, cela relève d’un arbitrage politique qu’il nous appartient de respecter.

Quant aux moyens du FNE formation, ils sont en baisse. Compte tenu du niveau historique de l’endettement public, c’est sans doute inévitable.

Faudrait-il créer un outil intermédiaire entre les CSP et les cellules de reclassement afin de développer des prises en charge collectives lorsque des salariés présentent des caractéristiques socio-économiques proches en termes de qualification, de parcours professionnels et de rémunération ?

Pour nous, le problème du chômage n’est pas fondamentalement un problème de prise en charge des demandeurs d’emploi ou de formation ; c’est avant tout un problème de croissance. Sur les cinq dernières années, un point de croissance a représenté en moyenne 66 000 emplois. Selon l’INSEE, la population active de la France devrait s’accroître d’environ 120 000 personnes par an dans les prochaines années. La stabilisation du chômage requiert donc une croissance d’au moins 1,5 %. Or, compte tenu des perspectives pour 2013 et 2014, il va continuer à augmenter. Le meilleur moyen de le faire reculer est donc de relancer la croissance, c’est-à-dire de diminuer les charges des entreprises, d’investir dans la recherche et développement (R&D) et de faire monter nos productions en gamme.

Dans ce contexte de faible croissance, tous les dispositifs d’accompagnement, si performants soient-ils, donnent des résultats médiocres. Le taux d’insertion du CSP est inférieur à 30 %, pour un dispositif qui coûte plus d’un milliard d’euros par an à l’assurance chômage. Comment pourrait-il en être autrement ?

En l’état actuel de la situation économique, au moment où la seule question qui vaille est celle de la création d’emplois, il ne nous paraît donc pas utile de développer de nouveaux dispositifs d’accompagnement. En l’absence d’emploi et de croissance, c’est en effet toujours vers le chômage que l’accompagnement se fera.

Au moment de la création du CSP, qui a fusionné le contrat de transition professionnelle (CTP) et la convention de reclassement personnalisé (CRP), nous avions déjà observé que lorsque l’on généralise un dispositif qui fonctionne très bien parce qu’il y a peu d’élus, cela revient en quelque sorte à passer de la haute couture au prêt à porter, si bien que le succès est souvent moindre. Nous avons malgré tout encouragé la création du CSP, mais nous ne sommes pas surpris que les résultats de la mesure aient été amoindris : l’effet de masse est inévitable.

L’ouverture du CSP aux contrats précaires est une bonne chose. Le CSP est un dispositif intéressant, moins par ses résultats, du moins à ce stade, que par le changement de culture qu’il entraîne. Je rends ici hommage aux comités de pilotage régionaux du CSP, qui réunissent les différents acteurs autour de la table pour leur permettre de jouer en équipe, ce qui était loin d’être toujours le cas auparavant. Près de 40 bassins sur 345 sont aujourd’hui concernés. Les résultats sont pour l’instant variables selon le degré de mobilisation locale. Globalement, l’expérimentation mérite cependant d’être prolongée.

De nouveaux outils publics – capacité de transformer les créances publiques en capital, création d’un fonds de retournement public – pourraient-ils être envisagés pour renforcer la capacité d’accompagnement des mutations économiques de l’État ? Nous n’avons pas d’objection sur le principe, mais il nous faudrait examiner la proposition en détail – en particulier le fonctionnement de ces dispositifs – pour nous prononcer plus avant. Sachez toutefois que nous sommes intéressés.

La mutualisation des ressources financières issues de l’obligation de revitalisation des territoires, pour les entreprises de plus de 1 000 salariés qui procèdent à un licenciement collectif, permettrait-elle de mener des actions qualitatives en faveur de la réindustrialisation, de la reformation de sites, de la reconversion de personnels ou de l’investissement en R&D, tout en évitant les éventuels effets d’aubaine ?

L’équilibre à réaliser est subtil. Pour prendre une image, on ne peut être assuré tous risques pour le prix d’une assurance au tiers. Toute décision a sa part de risque. Entre celui d’un effet d’aubaine mais assorti d’une relance de l’emploi et le risque inverse, le choix est vite fait. Mais dans la mesure où plusieurs conventions de revitalisation seraient conclues dans le même bassin d’emploi, les contributions des entreprises pourraient être mutualisées sur des projets de ce type, les actions prévues étant de toute façon déterminées après consultation des collectivités territoriales intéressées, des organismes consulaires et des partenaires sociaux membres de la commission paritaire interprofessionnelle régionale (COPIRE). C’est donc une voie qu’il ne faut pas fermer.

En revanche, vous ne serez pas surpris qu’il ne nous paraisse pas opportun de soumettre les entreprises de moins de 1 000 salariés qui mettent en place un PSE à une obligation de revitalisation différenciée et proportionnée aux moyens dont elles disposent.

La question des licenciements diffus peut-elle faire l’objet d’un traitement similaire à celui des PSE afin de renforcer les objectifs de sauvegarde de l’emploi et des territoires ?

Selon nous, les règles relatives aux PSE prennent déjà en compte les pratiques de licenciement diffus : si plus de dix salariés ont été licenciés sur une période de trois mois consécutifs, tout nouveau licenciement engagé au cours des trois mois suivants est soumis à la procédure de PSE. Ensuite, tout dépend de la position du curseur, et surtout de la qualité des relations sociales et de celles qui existent entre l’entreprise et l’inspection du travail et la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), certaines appliquant la règle de manière très stricte et d’autres moins.

J’en viens à la pratique généralisée de la prime supra-légale partiellement défiscalisée, qui évite aux entreprises de financer des reconversions.

Les mesures contenues dans un plan social sont fonction des possibilités financières de l’entreprise et des besoins des salariés. Elles sont longuement discutées avec les organisations syndicales présentes dans l’entreprise, même lorsque celles-ci ne signent pas toutes l’accord – ce qui est fréquent. L’administration dispose déjà d’un droit de regard sur le contenu du PSE, et peut formuler des observations. Nos partenaires attirent régulièrement notre attention sur le caractère parfois néfaste de ce qu’ils appellent le « chèque valise ». Nous les comprenons fort bien : la généralisation systématique de cette prime n’est bonne ni en soi, ni pour les salariés, qui en font parfois un usage très discutable. Nous essayons donc de trouver des solutions de substitution. Néanmoins, il faut reconnaître qu’en pratique, les demandes des salariés – relayées par les organisations syndicales – vont toutes dans ce sens. Lorsque nous proposons des mesures de reclassement, souvent plus coûteuses pour l’entreprise, dans neuf cas sur dix le salarié préfèrera le « chèque valise ». Nous avons donc collectivement le devoir de réfléchir à la manière de faire évoluer les comportements. C’est un sujet à la fois légitime et difficile.

M. Christophe Castaner, rapporteur. Je souhaite précisément vous interroger sur la prime supra-légale, et notamment sur l’idée d’instaurer un plafonnement encadré, qui permettrait d’éviter les « chèques valise ».

Au-delà de cette question, j’aimerais vous interpeller sur le volet revitalisation des territoires des PSE. Dans la phase amont, la réflexion collective portée par les organisations syndicales et les entreprises se traduit généralement par des mesures d’accompagnement ou de reconversion, mais peut négliger le territoire. C’est souvent une difficulté pour les élus locaux et les acteurs des territoires. Quel est votre sentiment ? Quels outils faudrait-il mettre en place pour mieux anticiper les restructurations que connaissent nos grandes filières – ce que nous n’avons pas toujours su faire ? La désindustrialisation des dix dernières années en France est liée non seulement au poids des charges sociales, mais aussi à un certain attentisme. Comment faire évoluer la gouvernance du système pour prendre en compte une approche plus territorialisée de la réponse dans la phase suivante ?

Ma deuxième question porte sur l’anticipation nécessaire pour améliorer l’acceptabilité des PSE. Loin d’être le fruit de la volonté ou de la mauvaise humeur du chef d’entreprise, le PSE est la conséquence directe de la nécessité de faire face, à un moment donné, à des contraintes qui peuvent appeler des réponses douloureuses. Néanmoins, l’anticipation, à travers la GPEC et l’information des salariés sur la réalité de la situation de l’entreprise, permet une meilleure acceptabilité du PSE, donc une plus grande adaptabilité des salariés. Or, il est très délicat pour une entreprise de communiquer sur sa situation. Comment envisagez-vous, à partir de votre expérience, l’association le plus en amont possible des salariés à la réalité des difficultés traversées par l’entreprise pour favoriser l’accompagnement ?

M. Benoît Roger-Vasselin. À votre deuxième question, il est très difficile d’apporter une réponse générale, valable pour tout type d’entreprise. Je suis moi-même directeur des ressources humaines d’un grand groupe dans le secteur de la communication. Dans ce groupe, le turnover structurel est de 21 %. Dans un secteur comme le nôtre, qui est l’un de ceux qui sont le plus rapidement touchés par les changements de conjoncture, la stricte application des procédures de la GPEC permet tout au plus de s’adapter à une conjoncture déjà dépassée. Le turnover naturel que nous constatons nous permet de ne pas remplacer tous les départs. Mais cela peut se révéler bien plus compliqué dans d’autres secteurs, notamment les secteurs industriels. La réponse réside alors davantage dans des accords de branche que dans une vision collective globale. Les situations sont en effet si complexes et diverses qu’une vision trop générale risquerait de déboucher sur des réponses inadaptées. Il revient donc à chaque branche – dans la mesure du possible – de faire les propositions les plus adaptées au type d’entreprises qu’elle représente.

Je reviens à votre première question. Comment faire pour prendre davantage en considération les aspects territoriaux ? C’est une question délicate, sur laquelle il existe des divergences parfois importantes – par exemple entre la CFDT et FO, l’une étant de culture plutôt girondine, l’autre plutôt jacobine. Selon les plus optimistes, un travail d’équipe fidélisé par des relations de confiance entre les partenaires sociaux locaux, les élus et la puissance publique pourrait donner des résultats extrêmement intéressants ; mais selon d’autres – les plus nombreux –, cela risque d’aboutir à des chasses gardées.

Une voie particulièrement féconde serait de suivre l’exemple des comités de pilotage du CSP et d’apprendre à travailler en équipe, dans le respect des prérogatives de chacun et avec le souci de l’intérêt général. Certes, il y a un écart entre cette ambition et les expériences qui nous remontent du terrain, mais je préfère une vision délibérément volontariste et optimiste à un constat désabusé.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure. Que pensez-vous des comités stratégiques de filières (CSF) ? Quels sont leurs atouts et leurs faiblesses ? Considérez-vous qu’ils participent à la difficulté de déterminer une politique générale ? Ne serait-il pas préférable de revenir à un pilotage au niveau des branches et des territoires ?

Concernant les nouveaux outils destinés à mieux anticiper et accompagner des mutations économiques, vous vous déclarez prêts à entendre nos propositions ; mais vous, que proposeriez-vous ?

Vous avez rappelé que la formation professionnelle était de la responsabilité de la région. Or, aujourd’hui, certaines formations ne sont pas pourvues faute de candidats. Estimez-vous qu’il faudrait faire évoluer les relations entre le monde économique et les régions, de manière à mieux adapter les formations aux besoins du terrain ?

M. Benoît Roger-Vasselin. À notre avis, il n’existe aucune contradiction entre les CSF et les branches ; le problème est de bien les articuler. Il importe de développer une vision stratégique, et le MEDEF y travaille. Avant-hier soir, nous avons, avec l’UPA, la CGPME, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC, présenté à la presse un rapport commun sur la question. D’une manière générale, nous considérons qu’une réflexion stratégique collective nationale, voire européenne, devrait aller de pair avec un affinement à l’échelon local ; il faut veiller à la bonne complémentarité des deux, tout en évitant les redondances.

S’agissant des nouveaux outils, nous sommes demandeurs d’un dialogue qui nous permettrait d’aller davantage dans le détail ; nos équipes sont à votre disposition pour cela. Il reste que dans la période actuelle, pour nous, la priorité est le retour de la croissance : tant que le bateau n’avance pas, il ne sert à rien d’agiter le gouvernail dans tous les sens. À notre avis, cela implique une diminution générale des charges, mais nous sommes parfaitement conscients de la difficulté de la situation et nous reconnaissons les efforts qui ont été faits. Depuis que Laurence Parisot en a pris la direction, le MEDEF a l’intérêt général comme point de mire ; au « y’a qu’à… faut qu’on », nous préférons le dialogue et la réflexion collective avec les pouvoirs publics, les partenaires sociaux et les régions.

Pour ce qui est de la responsabilité des régions dans la formation professionnelle, il peut en sortir le meilleur comme le pire. Il fut très compliqué de persuader les entrepreneurs du bien-fondé de l’accord de 2009, car selon eux il n’y avait aucune raison que l’argent des entreprises serve à pallier les carences de l’éducation nationale ; ils estimaient en outre qu’ils n’avaient pas à former des jeunes qui n’avaient jamais travaillé et qui n’avaient pas été formés. Avec Jean-François Piliard, nous avons fini, après moult difficultés, par les convaincre qu’il fallait être solidaires avec ces jeunes. En tant que directeur des ressources humaines, j’ai toujours été choqué par l’attitude de mes collègues qui reprochent à des jeunes de ne pas avoir de première expérience sans vouloir la leur offrir. Mon équipe, qui comprend une trentaine de personnes, est organisée en groupes de cinq ; quand un poste se libère, les quatre autres doivent recruter un jeune qui n’a jamais travaillé, lequel prend en retour l’engagement de procéder de même par la suite. Cela fonctionne ainsi depuis une douzaine d’années, et certains de mes collaborateurs ont accédé à des fonctions importantes après avoir commencé de cette manière ; malheureusement, je n’ai pas réussi à étendre ce mode de fonctionnement au reste du groupe !

Dans l’idéal, il serait important qu’à l’échelon territorial, les élus participent à la formation professionnelle, mais d’après les échos que j’ai du terrain, les entrepreneurs craignent que les élus ne fassent main basse sur la formation professionnelle et la réservent aux chômeurs. Or, s’il nous semble normal que la formation professionnelle paie son écot, nous récusons le sophisme – répandu à droite comme à gauche – consistant à dire que l’argent de la formation professionnelle ne doit pas servir à former des personnes déjà formées : permettre à un ingénieur de se maintenir au plus haut niveau suppose de dépenser beaucoup d’argent en formation professionnelle.

Là encore, je veux être optimiste. Si l’on se met autour d’une table, si chacun essaie de comprendre les problèmes des autres, si les élus dialoguent avec les partenaires sociaux locaux, en liaison avec les partenaires sociaux nationaux – qui déterminent les grandes orientations stratégiques –, on peut aboutir à des résultats de qualité. Nous avons prévu d’aborder la question lors de la grande conférence sociale des 20 et 21 juin prochains, dans le cadre du groupe de travail « Emploi et formation professionnelle » ; d’ailleurs, la commission que je préside au MEDEF s’appelle désormais « Relations du travail, emploi et formation », parce que les trois sont liées.

Nous sommes donc prêts à travailler en ce sens, mais à condition de faire passer l’intérêt général en premier. Or les échos que j’ai du terrain sont plutôt pessimistes. Du coup, il y a des tentations de repli de la part de certains employeurs. Il faudrait arriver à restaurer un climat de confiance, de façon à ce que les entrepreneurs comprennent qu’il est de leur intérêt que la formation professionnelle se passe au plus prêt du terrain ; quant aux élus locaux, ils devraient être attentifs à ne pas donner l’impression aux entreprises qu’ils veulent les déposséder de la formation professionnelle.

M. Gérard Cherpion. Un licenciement diffus, c’est quand une entreprise – par exemple une banque – procède à un licenciement collectif sur l’ensemble du territoire français. Je me permets donc de vous reposer la question : pensez-vous que cela pourrait faire l’objet d’un traitement similaire à celui des PSE ?

Ne pourrait-on pas envisager une mutualisation de tout ou partie de la prime supra-légale, de manière à satisfaire des demandes qui ne sont pas prises en compte par les PSE, comme un déménagement ou une formation lointaine ?

M. Benoît Roger-Vasselin. Je reconnais que j’avais envisagé les licenciements diffus sur une période plutôt que sur un territoire ! Que les choses soient claires : nous trouverions parfaitement légitime que cette pratique soit régulée si elle tendait à se systématiser ; mais n’oublions pas que, dans le cas des banques, les salariés, même lorsqu’ils perdent leur emploi, continuent à être très bien traités dans le cadre des plans sociaux : il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal ! Néanmoins, il faut certainement procéder à un ajustement.

S’agissant de la prime supra-légale, comment envisageriez-vous sa mutualisation ? Il n’y a pas de sujet tabou, et nous savons que cette solution est la plus demandée par les organisations syndicales et par les salariés.

Je crois qu’il existe une très grande disparité entre les petites et les grandes entreprises sur la question. Les grandes entreprises peuvent se permettre de faire des plans très « généreux » – au point que certains employés demandent à être intégrés dans le plan social, et que ce qui est à l’origine une mesure destinée à compenser un préjudice devient un effet d’aubaine. Les organisations syndicales alimentent ce cercle vicieux en soulignant que, vu les profits réalisés par ces entreprises, cela ne changera pas grand-chose pour elles. Or des centaines de milliers de petites entreprises ne peuvent pas faire de même, et leurs salariés ont de ce fait l’impression d’être mal traités.

Aujourd’hui, on en viendrait plutôt à regretter le fameux plan social de Lu, qui avait mis tant de monde dans la rue et avait fait l’objet d’une telle pression médiatique ! Du côté syndical comme du côté patronal, on considère désormais qu’il était plutôt généreux. S’il a été si mal perçu, c’est parce que l’accompagnement humain était insuffisant. Il est évident que les entreprises sont prêtes à donner plus d’argent aux salariés à qui elles créent un préjudice, en échange d’une réduction des délais qui favoriserait une reconversion rapide.

Mettre en place un système homogénéisé et mutualisé n’est pas dans nos projets, mais, sur le principe, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’on examine la question sous cet angle, car la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Il conviendrait cependant d’évaluer avec précision les conséquences d’une telle mesure.

Mme Dominique Lassus-Minvielle, magistrate à la Cour des comptes. Quelle est votre opinion sur le FNE formation ?

Veillez-vous à la diffusion de bonnes pratiques en matière de revitalisation, sachant que les entreprises tantôt réalisent elles-mêmes le montage des actions, tantôt le délèguent à des cabinets spécialisés ? Y a-t-il une harmonisation des pratiques à partir de ces retours d’expérience ?

M. Benoît Roger-Vasselin. L’harmonisation des pratiques se fait surtout branche par branche, et les résultats sont inégaux. Dans le cadre du groupe de travail « Échanges de bonnes pratiques », nous essayons de recenser les pratiques qui ont obtenu de bons résultats. L’objectif est de produire un document de synthèse afin que, malgré la conjoncture difficile, les chefs d’entreprise soient sensibilisés à des solutions de maintien ou de réorientation de l’emploi, grâce à l’activité partielle, à la formation professionnelle ou aux autres outils existants. Pour le moment, le rendu est disparate : les résultats sont très contrastés non seulement suivant les branches, mais aussi suivant les territoires. Lorsqu’ils sont positifs, c’est qu’il y a eu une relation de confiance et un travail d’équipe. Je ne sais pas si les résultats seront suffisamment pertinents pour qu’on puisse en tirer une règle générale, mais c’est une démarche qui nous paraît indispensable.

Mme Véronique Louwagie, rapporteure. Dans l’hypothèse d’un travail d’équipe, qui devrait être le chef de file ?

M. Benoît Roger-Vasselin. La question fait débat. Certains considèrent que les partenaires sociaux doivent le rester, d’autres pensent qu’il est préférable que la région tienne ce rôle dès lors que des règles claires sont arrêtées. Nous sommes plusieurs à être prêts à faire l’essai : nous considérons que, dans la continuité de la loi Larcher, il serait légitime que les élus locaux soient en première ligne ; il faudrait toutefois que les choses soient strictement codifiées, car les partenaires sociaux craignent d’être dépossédés. C’est pourquoi il est si nécessaire d’établir une relation de confiance.

M. Olivier Carré, président. Monsieur Roger-Vasselin, je vous remercie.