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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission « Recherche et enseignement supérieur »

Mardi 13 mai 2014

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Alain Claeys

– Audition, ouverte à la presse, sur le thème « La gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission Recherche et enseignement supérieur », de M. Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, accompagné de M. Pierre Moschetti, sous-directeur de la construction aéronautique.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Dans le cadre de ses travaux sur la gestion des programmes d’investissement d’avenir relevant de la mission Recherche et enseignement supérieur, la mission d’évaluation et de contrôle reçoit aujourd’hui M. Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

La filière aéronautique est un acteur important des programmes d’investissement d’avenir (PIA) : 1,5 milliard d’euros lui a été attribué au titre du premier programme, et 1,22 milliard d’euros au titre du second.

Spécificité de cette filière, l’opérateur des programmes est l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) tandis que le pilotage est assuré par la Direction générale de l’aviation civile. En outre, les programmes ont été mis en place, non pas par des jurys internationaux mais dans le cadre de procédures de gré à gré. Enfin, ils ont donné lieu à la conclusion de conventions entre l’ONERA et les industriels.

La mission d’évaluation et de contrôle est donc particulièrement intéressée par la gestion des investissements d’avenir par la filière et notamment par la gouvernance qu’elle a mise en place et qui pourrait être exportée dans d’autres domaines.

Nous nous intéressons aussi aux relations des acteurs de la filière avec les diverses instances créées par les PIA en matière de recherche fondamentale. Quelles relations ont-ils noué avec les IDEX ou les LABEX ? Ont-ils, le cas échéant, contribué au financement des EQUIPEX ?

Enfin, Monsieur le directeur général, la mission souhaite vous entendre sur les relations de la filière avec les organismes institués par le PIA en matière de valorisation de la recherche. Plusieurs instituts de recherche technologique (IRT) les concernent en effet directement ; je pense notamment à l’IRT Jules Verne à Nantes et à l’IRT Saint-Exupéry à Toulouse. Des dérogations aux règles établies par le Commissariat général à l’investissement (CGI) ont-elles été mises en place pour assurer des rapports harmonieux entre ces IRT et la filière ? Quel regard la filière porte-t-elle sur les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) et quelles sont ses relations avec ces dernières ?

M. Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. La construction aéronautique est un secteur stratégique pour notre pays. Elle est un vecteur de souveraineté et un gisement d’emplois. Cette activité économique génère un chiffre d’affaires annuel de 30 milliards d’euros et apporte une contribution de plus de 20 milliards d’euros par an à la balance commerciale. Elle devrait être durablement favorable à l’industrie nationale puisque les analystes s’accordent sur une prévision de croissance du trafic aérien mondial d’environ 5 % par an sur les vingt prochaines années. La production des avionneurs est déjà vendue pour plusieurs années. La trésorerie de ces entreprises est souvent florissante grâce aux avances versées par les acquéreurs.

La France est l’un des deux seuls pays au monde, avec les États-Unis, à disposer sur son territoire d’une filière aéronautique complète, capable de fabriquer un avion entièrement français. Aucun autre pays européen ne jouit d’une telle maîtrise du marché. La filière rassemble, dans un fonctionnement harmonieux, les leaders que sont les constructeurs finaux comme Airbus ou Dassault Aviation, un très grand motoriste, Safran, des équipementiers de premier plan comme Zodiac ou Thales mais aussi un tissu d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) et de PME. Les grands groupes se préoccupent du devenir des PME qui sont leurs sous-traitants : celles-ci sont en effet détentrices d’un savoir-faire qu’ils ne peuvent pas se permettre de perdre. Ce tissu d’ETI et de PME représente à lui seul la moitié du chiffre d’affaires et des effectifs de l’industrie nationale. Si les grands groupes tirent l’industrie aéronautique, ils s’inscrivent dans ce qu’on appelle un écosystème de l’aéronautique.

L’industrie aéronautique consent un effort permanent de recherche et développement (R&D) ; elle y consacre 15 % de son chiffre d’affaires, ce qui est considérable.

Outre une féroce concurrence entre Airbus et Boeing, l’industrie aéronautique est soumise à des pressions sociétales fortes qui l’ont contrainte à réaliser des progrès remarquables en une cinquantaine d’années. Le bruit à la source a été réduit de 20 décibels depuis les premiers avions à réaction des années cinquante. Les émissions de C02 ont diminué de près de 80 %. Par chance, les préoccupations environnementales et les impératifs d’efficacité économique se rejoignent : depuis les frères Wright, les recherches s’intéressent à la réduction de la consommation de kérosène car plus sa consommation est faible, plus l’avion va loin et transporte plus.

Dans le domaine de la sécurité, les progrès sont spectaculaires. Nous sommes aujourd’hui passés sous la barre des 300 victimes par an à l’échelle mondiale pour les avions de plus de 19 places. Aucun autre mode de transport ne présente un niveau de sécurité comparable ; il est acquis au prix d’efforts importants et très coûteux.

La décennie en cours doit voir le renouvellement de grands produits. Ainsi, si l’A320 n’est pas encore renouvelé, puisque l’A320 NEO a été lancé avec des résultats tout à fait satisfaisants, l’A330 est en passe d’être remplacé par l’A350 ; l’hélicoptère Dauphin cédera la place au X4 et le Super Puma au X6 ; de nouveaux avions Dassault apparaissent ; le LEAP-X est en train de succéder au CFM-56, qui demeure un moteur de référence – il équipe les trois quarts des avions moyen courriers – ; enfin, Safran développe l’Open Rotor.

Dans cette période stratégique, l’erreur n’est pas permise car, contrairement à l’industrie automobile, la gamme de produits dans l’industrie aéronautique est très limitée. Un grand avionneur comme Airbus présente trois principaux modèles : A320, A330 – prochainement A350 – et A380. Les autres avionneurs, plus petits, essaient, sans succès pour l’instant, de pénétrer le marché des gros avions, qui reste l’apanage d’Airbus et de Boeing. Chaque produit joue dans le modèle économique de ces deux grandes entreprises un rôle essentiel, qui laisse peu de place à l’erreur. Quant aux autres avionneurs, les investissements sont si lourds qu’ils jouent leur vie chaque fois qu’ils lancent un produit.

La concurrence entre Boeing et Airbus est dure et se renforce. Airbus doit affronter un concurrent qui est massivement soutenu, au travers d’aides directes et grâce à la dualité civile et militaire de la filière. L’octroi récent à Boeing par l’État de Washington de la plus large exemption fiscale de l’histoire des États-Unis – 8,7 milliards de dollars – est le dernier exemple de ce soutien. La Chine, la Russie, et à un moindre degré le Canada et le Brésil, qui cherchent à se positionner sur le marché des avions de plus de cent places, subventionnent également leur industrie de façon massive.

Au niveau européen, l’Allemagne déploie d’importants efforts en vue de bâtir une industrie aéronautique plus performante. De même, la Grande-Bretagne relance son soutien public à cette industrie.

Ce secteur, qui stimule les technologies et offre un marché porteur, aiguise donc les appétits des grands pays industrialisés. Il faut prendre garde à ne pas décrocher du peloton. Or l’industrie française n’est pas aidée dans les mêmes proportions.

Que peut-on faire face à cette concurrence ?

L’État recourt aux avances remboursables, pour le lancement des produits, et aux subventions, pour la recherche intermédiaire – la recherche en amont ne relève pas du champ de compétence direct de la DGAC.

Nous avons tenté d’évaluer ce soutien public sur le long terme. Toutes les opérations n’ont pas été réussies. À titre d’exemple, l’A340 n’a pas remboursé toutes les avances reçues : dernier quadrimoteur dans sa catégorie, cet appareil fut un échec commercial, sa naissance ayant coïncidé avec l’autorisation de la traversée de l’Atlantique en bimoteur, dont a pleinement profité le Boeing 777, premier bimoteur dans sa catégorie. En revanche, certaines opérations ont été remboursées bien au-delà des avances qui avaient été consenties, en raison des royalties qui s’y attachent – je pense à l’Airbus A320 ou au moteur CFM56. Au total, le bilan financier des avances remboursables est excédentaire. Cet excédent a permis de financer la presque totalité des subventions de recherche aéronautique.

Le dispositif, qui joue donc un rôle d’amorçage et « s’autorembourse », a permis de financer la recherche et d’aider des industriels à lancer des aéronefs dont la fabrication assure une activité économique considérable et des emplois nombreux.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Le calcul dont vous faites état pour les avances remboursables tient-il compte du loyer de l’argent ?

M. Patrick Gandil. Ce calcul prend uniquement en compte les flux de trésorerie. Il n’en reste pas moins significatif.

Sans les avances remboursables, certains aéronefs n’existeraient pas, privant ainsi notre pays d’une source majeure d’activité et d’emplois. C’est le cas de l’hélicoptère X4 qui va remplacer l’hélicoptère Dauphin en fin de vie : il a bénéficié de ces avances, ainsi que du soutien aux recherches sur l’hélicoptère du futur.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Pouvez-vous nous apporter des éléments sur la gouvernance mise en place pour gérer les PIA et nous indiquer ce que ces programmes ont apporté à la filière ?

M. Patrick Gandil. Nous avons mis en place par une convention un comité de pilotage, que je préside, et qui réunit le CGI, la DGAC, la Direction générale de l’armement (DGA), la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) et l’ONERA. Il assure le suivi régulier des projets et des contrats qui en résultent.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Quel est le rôle de ce comité par rapport au CGI dans l’évaluation des projets ?

M. Patrick Gandil. Le comité de pilotage assure l’essentiel du suivi et de l’évaluation. Il s’appuie sur le bras armé que représente la DGA et sa capacité d’ingénierie : c’est elle qui instruit les projets et suit les opérations.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Certaines opérations ont-elles été remises en cause ?

M. Patrick Gandil. Une seule opération a été remise en cause. Il s’agissait d’un projet de moteur de l’entreprise Turbomeca pour l’hélicoptère X4 dont le financement a été rejeté par la Commission européenne dans le cadre du contrôle des aides d’État. Par ailleurs, le comité de pilotage a examiné les possibilités de réaffectation d’une somme de 10 millions d’euros, correspondant à des travaux sur les moteurs jugés non nécessaires, à d’autres projets éligibles aux programmes d’investissements d’avenir. Il a choisi de la consacrer à des travaux complémentaires sur l’Open Rotor.

Les décisions de ce comité de pilotage, qui s’est réuni à dix reprises, sont collégiales et consensuelles. Je n’ai pas le souvenir d’une quelconque tension nécessitant un arbitrage du Premier ministre car les membres partagent tous l’objectif de la réussite industrielle.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Pourtant le choix des projets ne relève pas de jurys internationaux.

M. Patrick Gandil. En effet, la filière aéronautique se distingue par son mode de sélection des projets qui ne fait pas appel à des jurys internationaux.

Cette particularité s’explique par le très petit nombre de produits et l’organisation descendante des projets. L’idée géniale d’un inventeur n’a presque aucune chance d’aboutir car il faut trouver l’avion qui la portera. Compte tenu du nombre limité de produits, ce sont plutôt les grands projets qui structurent le travail de la filière. Une attention toute particulière est apportée à la place des PME. Cette organisation s’appuie sur un syndicat professionnel très actif, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS). Il faut également souligner le rôle d’une structure consultative mise sur pied avant les PIA, le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), qui associe services de l’État (DGAC, DGA, DGCIS), grands industriels, transporteurs aériens, contrôle aérien – la DGAC – et aéroports.

Cette structure avait identifié le besoin de produits destinés à éviter les risques considérables que génère la construction sans étapes intermédiaires d’aéronefs très innovants. Les démonstrateurs technologiques – puisque tel est le nom de ces produits – ont émaillé toute l’histoire de l’aviation. Or, aucun financement n’était prévu à cette fin. L’arrivée des PIA a résolu ce problème.

Le PIA2 permet actuellement de financer un démonstrateur sur les architectures d’avion. Tous les avions depuis le Boeing 707 se ressemblent mais rien ne dit que cette architecture perdurera. Si, demain, l’Open Rotor devait voir le jour, il nécessiterait une modification de l’emplacement des moteurs, qui ne pourront plus être installés sous les ailes. On sait également que Boeing travaille sur un projet d’avion de très grande capacité avec des ailes repliables, comme les avions de porte-avions, afin de respecter les dimensions des aéroports. L’idée de construire de nouveau des sortes de biplans pour améliorer les surfaces portantes est également évoquée.

Deux autres démonstrateurs, « usine aéronautique du futur » et « systèmes embarqués et fonctionnalités avancés » sont soutenus par les PIA. Le premier s’intéresse à tous les matériaux très difficiles à préparer et à usiner qui composent les produits ; la technologie de l’imprimante 3D laisse aussi entrevoir une grande liberté formelle pour concevoir ces produits. Le second porte sur l’avionique, composante majeure pour l’industrie aéronautique, qui doit de surcroît intégrer les exigences de sécurité du système. Les systèmes électroniques actuels sont fermés : leur permettre de recevoir les messages transmis par Galileo oblige à les revoir entièrement et constitue une entreprise extrêmement difficile et coûteuse. Comment créer des systèmes ouverts ?

En résumé, le CORAC identifie le besoin en démonstrateurs, le programme d’investissement d’avenir prend en charge leur financement et le comité de pilotage suit le développement de leurs programmes.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Monsieur le directeur général, vous avez évoqué l’opportunité qu’a constituée l’arrivée du PIA pour financer les démonstrateurs. Avez-vous constaté des phénomènes de substitution entre des crédits alloués au titre du PIA et d’autres financements des programmes ? C’était un des points de focalisation de la commission Juppé-Rocard.

M. Patrick Gandil. Il y a un cas de la substitution : le financement de l’A350. Le projet aurait été pris en charge par un PIA s’il avait été décidé un ou deux ans plus tard : sa nature est en effet analogue à celle de l’hélicoptère X4 ou X6. Tous les acteurs, notamment le Gouvernement qui avait pris la décision de financer le projet, ont considéré comme une nécessité de lancer l’A350. Heureusement, du reste ! Sinon Airbus n’aurait eu aucun avion à proposer dans une des parties les plus actives de la gamme face au nouveau Boeing, sinon un A330 vieillissant, ce qui aurait été calamiteux. Dans ce type de projet, la part industrielle de chaque pays dépend de la contribution financière qu’il apporte. Des autorisations d'engagement ont permis de lancer le projet et 30 millions de crédits de paiement budgétaires ont été trouvés la première année. Mais il fallait atteindre la somme de 1,4 milliard : j’ai donc été soulagé par l’arrivée du PIA ! S’agit-il d’une substitution ou d’une débudgétisation ? Dans ce dernier cas, c’est une débudgétisation d’un argent dont nous ne nous disposions pas, à un moment crucial de la vie de l’industrie aéronautique.

M.  Alain Claeys, président et rapporteur. Dans l’industrie aéronautique, quelle est la situation de la valorisation de la recherche ?

M. Patrick Gandil. La recherche aéronautique est liée soit à des produits directs, des aéronefs précis – j’en ai évoqué plusieurs – soit à des produits d’avenir. Ainsi, l’hélicoptère du futur et les démonstrateurs technologiques ne sont pas directement liés à un aéronef précis mais préparent la génération suivante.

Nous aurons probablement encore besoin d’instruments de ce type pour la nouvelle génération d’A320. En effet, si le NEO, grâce aux progrès réalisés dans les moteurs, a été remotorisé sans qu’ait été refaite la cellule – Boeing a procédé de même avec le 737 MAX –, il conviendra à terme de concevoir un aéronef plus moderne. Comme l’A320 représente pour Airbus l’essentiel de son chiffre d’affaires – il en est de même du 737 pour Boeing –, nous devons au moins conserver la part de marché qu’il représente. Les démonstrateurs technologiques – usines du futur, nouvelles architectures, avionique du futur constituent l’étape la plus en amont : ils ne sont liés à aucun aéronef précis. La deuxième étape est celle de la spécification de l’aéronef final. La troisième est celle des avances remboursables.

Un autre produit est sur les rails : un moteur de dernière génération, à très haut taux de dilution : plus la masse qui crée la poussée est composée d’air frais, moins la consommation de kérosène est importante, ce qui permet de diminuer le coût du vol – l’air frais est gratuit. Les moteurs actuels ont un rapport air frais/kérosène de dix : l’objectif est d’atteindre un rapport de vingt, ce qui diminuerait de moitié la consommation de kérosène.

La valorisation est donc en partie directe, pour les produits les plus proches des aéronefs qui seront construits et vendus dans l’immédiat avenir, et en partie indirecte, sans être pour autant très lointaine, pour les démonstrateurs technologiques, situés plus en amont de l’élaboration d’un aéronef.

En revanche, dans la mesure où les produits sont destinés à un seul avionneur, l’industrie aéronautique ne se préoccupe pas d’élaborer des brevets pour les vendre. L’élaboration de brevets n’est importante que dans un but défensif et non pas commercial.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. La valorisation peut être importante pour les PME.

M. Patrick Gandil. C’est la raison pour laquelle il convient de conserver des aides indépendantes du PIA, lequel est plus adapté à la réalisation des produits phares qu’au soutien d’une PME qui travaille non pas directement sur un produit mais sur une méthode de production. Outre que nous pouvons aider certaines PME-PMI dans le cadre de notre enveloppe budgétaire, les plus petites peuvent bénéficier de l’action de la BPI, que nous dotons à cette fin. Cet argent est du reste régulièrement consommé.

Il y a ensuite des cas très particuliers. Je pense à l’E-Fan, un avion à propulsion électrique, conçu par une petite entreprise, qui est un vrai bijou : nous avons directement aidé le projet à hauteur de 250 000 euros. Mais lorsqu’on en sera au financement d’un avion régional électrique, par exemple par Airbus, l’opération sera plus importante et les procédures d’appui différentes.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Quel volume du crédit d’impôt recherche (CIR) est consacré au secteur aéronautique ? Avez-vous connaissance d’effets d’aubaine ?

M. Pierre Moschetti, sous-directeur de la construction aéronautique. Les grands groupes aéronautiques atteignent très vite le plafond.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Et leurs filiales ?

M. Pierre Moschetti. Il en est de même des filiales.

Le CIR est surtout important pour les PME du secteur aéronautique : toutes n’ayant pas la possibilité de monter des dossiers d’aides, le CIR devient leur principale source d’aides publiques. Si l’effet fiscal du CIR est loin d’être négligeable pour les plus grands groupes, le CIR est essentiel pour les PME.

M. Patrick Gandil. Il est d’autant plus essentiel que l’aide à l’industrie aéronautique est plus faible en Europe qu’aux États-Unis.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Dans quelle proportion ?

M. Pierre Moschetti. Nous vous transmettrons une fiche sur le sujet.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Dans un secteur – l’industrie aéronautique – où l’innovation à long terme joue un rôle déterminant, la question de l’aide est d’autant plus importante qu’elle fait débat avec la Commission européenne.

M. Patrick Gandil. Les données ont été expertisées et contre-expertisées dans le cadre du contentieux opposant Airbus à Boeing auprès de l’OMC.

Il ne faut pas non plus oublier qu’il est arrivé que les États-Unis élaborent des aéronefs tests militaires… qui n’ont été ensuite produits que dans leur version civile : le Boeing 747 – et il n’est pas le seul – est un exemple très réussi d’une telle pratique.

M. Pierre Moschetti. Alors que les aides européennes reposent sur quelques subventions et des avances remboursables – et remboursées en grande partie – le système américain d’aide repose sur un financement du civil par le militaire – le Department of Defence – et la NASA. Ce financement étant indirect, il est difficile de le quantifier. Un autre avantage, qui concerne la localisation des usines, repose sur la concurrence fiscale interne entre les États fédérés ; ce système ne saurait être transposé dans l’Union européenne – la Commission s’y opposerait. Le système d’aide américain, qui est ancien, est très difficile à démanteler.

Il ne faut pas non plus oublier les facteurs exogènes, comme l’effet dollar souvent évoqué par le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) : l’intégralité du marché est en dollars alors que l’Europe fabrique en euros.

Il conviendrait enfin de procéder à une comparaison très fine des différents systèmes fiscaux.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. La question des aides au secteur aéronautique est-elle abordée dans les négociations sur le traité transatlantique ?

M. Pierre Moschetti. Pas spécifiquement, du fait que le contentieux Airbus-Boeing n’est pas clos.

La localisation d’une usine ou d’un bureau d’études dans tel ou tel pays européen, notamment la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, est fonction de différents facteurs, tels que la fiscalité, le coût du travail ou les subventions. Grâce au PIA, la France dispose d’un système de subventionnement à peu près équivalent à celui des autres grands pays européens, alors que les crédits budgétaires français sont très inférieurs aux efforts consentis par les Allemands ou les Britanniques.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Pourriez-vous nous donner des précisions ?

M. Patrick Gandil. Nous vous ferons parvenir une fiche qui distinguera les chiffres garantis par l’OMC des autres informations. S’agissant du CIR, bien que nous n’ayons pas les moyens de Bercy, nous essaierons de vous fournir les renseignements que vous nous demandez.

Mme Nadia Bouyer, conseillère référendaire à la Cour des comptes. Le grand secteur d’activité constitué par la construction navale et aéronautique ne représentait que 5,1 % du total des dépenses déclarées au CIR – je vous renvoie au rapport de septembre 2013 de la Cour des comptes sur L’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur de la recherche. C’est l’industrie électrique qui arrive en tête – certes une grande partie de cette industrie travaille pour la filière aéronautique –, devant l’industrie pharmaceutique.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Nous nous interrogeons sur l’efficacité de France Brevets : comment percevez-vous la contribution de cet organisme au secteur aéronautique ?

M. Patrick Gandil. L’industrie aéronautique dépose des brevets non pas pour les rentabiliser mais pour protéger ses innovations contre le pillage technologique. Pour exploiter sa propre innovation, l’inventeur n’a pas besoin d’un brevet.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Le secteur aéronautique ne fonctionne donc pas en recourant à des technologies disponibles sur étagère.

M. Patrick Gandil. Dans le secteur aéronautique, aucune technologie importante n’est sur étagère. En matière de brevets, la logique du secteur est plutôt une logique défensive de protection.

La technologie aéronautique doit en effet répondre à des règles de certification très strictes, en partie internationales dans le cadre de l’Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Les avionneurs doivent également faire face à des contraintes très importantes en matière de poids ou d’efficacité thermique ou énergétique. Il faut savoir que la chaleur d’un moteur d’avion dépasse largement le point de fusion du titane. Le rendement d’un moteur étant meilleur si le moteur est très chaud, il est nécessaire de réaliser des prouesses technologiques, notamment en métallurgie ou en céramique, pour rendre le moteur le plus chaud possible. Il convient aussi, pour une question de poids, de déterminer avec exactitude la quantité de matière du plus simple boulon, tout en garantissant des tolérances, qui sont éprouvées dans le cadre de cycles de tortures très poussés. Chaque produit est donc spécifique et ne convient qu’à un aéronef déterminé, ce qui n’est pas le cas, par exemple dans l’univers du transport terrestre, où la question du poids ne se pose pas de manière aussi impérative.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Quelle est l’utilité pour le secteur aéronautique des sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) ?

M. Pierre Moschetti. La logique sectorielle des SATT les éloigne de l’industrie aéronautique.

De plus, dans le secteur aéronautique français, le transfert de la recherche publique vers le privé est aussi ancien que l’aéronautique elle-même. Il existe depuis des décennies des liens très structurants de transfert de technologie entre certaines écoles et les grands groupes. Il en est de même du secteur spatial ou des autres secteurs très technologiques : proposer des orientations à la recherche publique leur permet de diminuer le poids financier et humain de la recherche à conduire en propre. L’Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) est un établissement public de référence dans les domaines aéronautique et spatial qui a permis d’établir, depuis sa création en 1946, des passerelles entre recherche publique et recherche privée. Grands et petits industriels du secteur conduisent la même politique : même des PME réussissent à monter des projets partenariaux de transferts de technologies avec des laboratoires qui gravitent autour d’elles. L’aéronautique n’a donc pas besoin, contrairement à d’autres secteurs, d’une action publique volontariste visant à marier les secteurs public et privé : ce mariage est réalisé depuis déjà des décennies. Cela dit, il est toujours possible de progresser : ainsi, l’Institut de recherche technologique (IRT) aéronautique est également dédié au spatial et aux transports terrestres : c’est vrai aussi de l’IRT de Nantes sur les composites. Il était important pour le secteur aéronautique de ne pas rester dans son microcosme. Ces structures apportent un appoint intéressant à l’innovation aéronautique sans en constituer la source principale.

M. Patrick Gandil. Les structures destinées à valoriser la recherche universitaire ne correspondent pas forcément à nos besoins dans la mesure où les universités qui travaillent dans ces domaines sont déjà bien connues des grands acteurs de l’aéronautique, qui ont parfois créé leurs propres laboratoires de recherche – je pense à Thales ou à Safran ; SUPAERO est installée à Toulouse ; il en est de même de l’École nationale de l’aviation civile (ENAC). Cela dit, les IRT permettent d’allier les différents acteurs de manière féconde. Il en est de même des pôles de compétitivité – je pense à Aerospace Valley ou à Pégase – en plus grand et sur des thématiques choisies.

Mme Nadia Bouyer. Je tiens à rappeler que la Cour des comptes s’était étonnée du montage financier de l’A350 : le protocole d’accord entre l’État et la société Airbus relatif à ce programme ayant été signé six mois avant l’adoption de la loi instaurant les PIA, le soutien à l’A350 était alors uniquement du ressort du programme 190 en titre 7. Le recours aux investissements d’avenir, qui devait être initialement partiel et temporaire, est devenu permanent : les investissements d’avenir couvrent désormais la totalité du programme de l’A350 par la voie d’un fonds de concours au programme 190. Si la prise en charge totale par les PIA assure la soutenabilité sur la durée contractuelle du financement de l’A350, elle officialise et pérennise l’effet de substitution des investissements d’avenir et la débudgétisation du financement de l’A350 à hauteur du 1,4 milliard d’euros nécessaire au projet.

On nous a aussi informés d’un redéploiement interne du PIA 1 vers l’aéronautique à hauteur de 250 millions d’euros à partir de deux PIA gérés par l’Ademe – 150 millions sur des démonstrateurs « énergie renouvelable et chimie verte » et 35 millions sur le programme « réseaux électriques intelligents » –, ainsi que de 65 millions en provenance de l’ONERA - qui n’étaient peut-être pas engagés.

Cette spécificité a ses avantages et ses inconvénients – l’avantage principal étant que le projet est désormais intégralement financé.

M. Patrick Gandil. Compte tenu du calendrier, l’A350 ne pouvait pas être financé à l’origine par le PIA. En revanche, la nature du projet entrait dans le cadre de ceux qui sont financés par le PIA. De plus, aucune autre source de financement n’était disponible.

Si le dispositif du fonds de concours a été maintenu, c’est dans le dessein de ne pas avoir à réviser entièrement le dispositif contractuel : c’était la solution la plus simple. Si la procédure est discutable, en tout état de cause, les conditions de financement du projet ont toujours été transparentes, ont été avalisées par le comité du PIA et présentées au Parlement.

Je tiens, pour conclure, à revenir sur les particularités de la filière aéronautique : peu de produits, une excellente relation verticale entre les différents acteurs de la filière, des plus grands aux plus petits, un travail organisé dans le cadre du GIFAS, un partenariat très approfondi avec l’administration dans ses différentes composantes et avec les acteurs aval de la filière – les aéroports et les compagnies aériennes – dans le cadre du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC).

Les relations de la filière aéronautique française avec l’administration sont critiquées par de bons esprits qui détruiraient bien volontiers cette organisation, unique en Europe mais proche de l’organisation américaine ou chinoise. Il faut savoir que l’administration dispose à la fois d’une compétence technique et d’une compétence réglementaire. La DGAC participe aux différentes instances chargées d’établir la réglementation technique – l’OACI ou l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) – tout en n’hésitant pas à défendre nos industriels lorsqu’ils sont injustement attaqués. Personne, dans le secteur, ne prenant le moindre risque en matière de sécurité, défendre un industriel ne signifie pas lui faire avoir des facilités. En revanche, elle peut viser à compliquer la vie de son concurrent – je vous renvoie à l’affaire du bruit du Concorde. L’administration doit avoir la compétence technique nécessaire pour refuser des mesures jugées inacceptables ou en imposer d’autres.

L’organisation française est issue de la création, avant la deuxième guerre mondiale, du ministère de l’air. Lorsque celui a été partagé entre secteurs civil et militaire, fort heureusement, toutes les structures n’ont pas été scindées en deux. Le génie civil et les bases aériennes ont été confiés à l’aviation civile et aux transports tandis que le savoir-faire technique et industriel a été confié au militaire. La direction générale de l’armement (DGA) est une administration très compétente – je me contenterai de citer son centre d’essais en vol ou ses centres d’essai des propulseurs. La DGAC n’est pas un doublon de la DGA : elle sert d’agence d’objectifs et d’interface en matière de recherche. Si elle veille à la séparation des domaines militaires et civil – eu égard notamment au nécessaire respect du droit des aides d’État – elle ne se prive pas pour autant, sous l’égide de Pierre Moschetti, de recourir à l’expertise de la DGA, qu’il s’agisse des avions ou des hélicoptères. Le double champ de compétences de la DGAC, dans le domaine des avions grâce à la DGA, et en matière de pilotage, de sécurité ou de réglementation générale, en font un acteur très précieux. D’ailleurs, Airbus ne se tourne que vers la France lorsque le groupe rencontre des difficultés, ni l’Allemagne ni le Royaume-Uni ni l’Espagne ne bénéficiant de la même organisation.

Cette organisation demeure fondamentale pour notre industrie parce que l’aviation est – la sécurité est à ce prix – un domaine très réglementé.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Je vous remercie, messieurs.