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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mission d’évaluation et de contrôle

Gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission « Recherche et enseignement supérieur »

Mercredi 25 juin 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Alain Claeys, président

– Audition, ouverte à la presse, sur le thème de la gestion des programmes d’investissements d’avenir relevant de la mission « Recherche et enseignement supérieur », de M. Alain FUCHS, président du CNRS

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Bienvenue, monsieur le président du CNRS.

Monsieur le président, dans le cadre de ses travaux sur la gestion des programmes d’investissement d’avenir relevant de la mission Recherche et enseignement supérieur, la mission d’évaluation et de contrôle a souhaité recueillir le point de vue du CNRS, connaître son implication en matière d’IDEX, de LABEX et d’EQUIPEX, et enfin aborder avec lui la question de la valorisation de la recherche.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Monsieur le président, nous sommes aussi particulièrement intéressés par le point de vue du CNRS sur l’articulation entre ce qu’on pourrait appeler le canal historique des financements par projets, celui de l’ANR, et le nouveau canal qui est celui du PIA, et la façon dont le CNRS organise pour lui-même cette articulation.

M. Alain Fuchs, président du CNRS. La création du PIA a été concomitante à la réorganisation du CNRS, en 2010, et à ma prise de fonctions.

L’orientation de politique scientifique que je voulais donner, et que j’avais présentée à la ministre de l’époque, était celle d’un rapprochement stratégique avec les universités, avec lesquelles les relations du CNRS étaient globalement difficiles alors même que les laboratoires soutenus par le CNRS, les Unités mixtes de recherche (UMR), étaient pour l’essentiel hébergées par les universités et les écoles.

Ces difficultés relationnelles, a priori paradoxales, ont en réalité pour origine la double distinction qui marque l’enseignement supérieur et la recherche français : celle entre universités et grandes écoles, d’une part, et celle entre université et grandes confondues et recherche, de l’autre. Il faut y ajouter la très grande dispersion des structures d’enseignement supérieur, voire de recherche, y compris au sein de ce que nous avons très vite appelé des sites, un site étant, pour parler vite, un grand ensemble métropolitain académique, au sein duquel établissements d’enseignement supérieur et organismes de recherche sont présents.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Les relations entre université et le CNRS se sont améliorées ?

M. Alain Fuchs. De façon considérable.

La raison essentielle de ces difficultés relationnelles est la regrettable habitude qui a été prise en France, depuis très longtemps, de considérer séparément enseignement supérieur et recherche, y compris dans les structures administratives (il existe une direction générale de la recherche et de l’innovation et une direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle) et les stratégies nationales, avec la stratégie nationale de l’enseignement supérieur et la stratégie nationale de la recherche.

Or, aujourd’hui, la mission de recherche des universités est très importante. Dans les dernières décennies du XXè siècle, il a été recruté dix fois plus de maîtres de conférences ayant aussi une fonction de chercheur que de chercheurs proprement dits. Eu égard à la puissance de recherche désormais présente au sein des universités, il n’y a plus lieu de maintenir cette forte distinction.

Dans le cadre de cette stratégie de politique scientifique, j’ai exposé à la Conférence des présidents d’universités que le partenariat entre les universités et le CNRS allait se concrétiser désormais par un dialogue sur des projets communs, une conception des UMR comme des unités réellement copilotées par le CNRS et les universités, et une transformation des conventions de partenariat passées entre le CNRS et les universités en véritables documents de réflexion stratégique et de projets communs pour l’avenir.

Le CNRS couvrant presque toutes les disciplines, il est lié par des conventions avec pratiquement tous les établissements de chaque site. J’ai donc proposé l’établissement de conventions de sites, liant plusieurs établissements d’un site et le CNRS, pour réfléchir à des projets partagés, interdisciplinaires et comportant des aspects de mutualisation.

Cette proposition a reçu un très bon accueil. Le CNRS a changé les modalités pratiques de ses relations avec les universités – son président allant sur place signer les conventions de sites au lieu que les présidents des universités partenaires soient convoqués à son siège, par exemple….

Aujourd’hui, le CNRS a établi de nombreuses conventions de site, avec les établissements de Bordeaux-Aquitaine, d’abord, mais aussi avec ceux de Toulouse, voire avec des sites où il n’a pas été constitué d’IDEX. Nous continuons à mailler le territoire de conventions de sites partout où le CNRS est présent. L’objectif est de faire en sorte que, sur un site, les établissements très morcelés ou divisés puissent se réunir autour de projets communs, pour créer de nouveaux établissements susceptibles de disposer de tous les attributs d’universités ou d’établissements de recherche tels qu’on les connaît à l’étranger, la multidisciplinarité notamment.

Le programme d’investissements d’avenir a été une aubaine pour le CNRS ; en effet, ce qu’on pouvait considérer comme son objectif de territorialisation de la recherche et de l’enseignement supérieur – à travers les structures qu’il mettait en place – allait dans le même sens que l’action conduite par le CNRS.

Nous avons donc très vite pris contact avec les sites qui constituaient des projets d’IDEX, et accompagné ces projets. Si certains de ces sites n’ont pas été retenus comme IDEX, nous constatons a posteriori que le simple fait d’avoir présenté un projet a permis par lui-même une meilleure structuration du site ou des réflexions sur la façon dont il pourrait être construit – je pense notamment à Bourgogne-Franche Comté. Aujourd’hui, certains sites qui n’avaient pas jugé leurs chances assez fortes pour construire un projet regrettent souvent de ne pas l’avoir fait, du fait de l’effet de structuration qu’ont créé le montage d’un projet et les échanges avec un jury international.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Vous avez agi selon une logique de territoire.

M. Alain Fuchs. Plutôt de territorialisation. Nous avons voulu identifier la géographie de la recherche. Elle ne coïncide pas toujours avec celle des régions : en science la logique territoriale est celle de l’excellence.

Le CNRS a donc été très présent dans le montage des IDEX – y compris lorsque des réorientations se sont avérées nécessaires pour répondre aux demande du jury international, comme à Paris-Saclay. Aujourd’hui, il participe à la gouvernance de sept des huit projets qui ont été couronnés, son absence de celle de Sorbonne Paris Cité ne tenant qu’à des raisons conjoncturelles – le CNRS est aujourd’hui membre fondateur de la communauté d’universités et d’établissements (COMUE) Sorbonne Paris Cité.

Le concours des IDEX a donc permis au CNRS de développer une véritable politique de sites et des partenariats étroits avec ses partenaires universitaires. Il est aujourd’hui d’ores et déjà sollicité par des sites candidats aux nouvelles IDEX et aux ISITE (initiatives science-innovation-territoires-économie) du PIA 2.

De même, les LABEX et EQUIPEX ont également été très bénéfiques pour le CNRS. Bien au-delà des montants qui ont transité par le CNRS en tant que coordonnateur ou porteur de l’un des projets – je vous en ferai parvenir le bilan –, les chiffres les plus importants me semblent être ceux de la participation des équipes du CNRS et des UMR. Les équipes labellisées CNRS participent à 164 LABEX sur 171, soit à 96 % d’entre eux, et à 97 % des EQUIPEX. Autrement dit, quel que soit le canal par lequel les fonds ont transité, le CNRS participe, à travers ses structures propres ou à travers des structures auquel il est associé, à la quasi-totalité des projets, même lorsque ceux-ci sont dirigés par un enseignant chercheur.

Notre souci n’était pas de diriger le plus de projets. Il était de favoriser l’émergence du plus grand nombre de projets de qualité possible. Lorsque des projets dépassaient le périmètre et le territoire d’une fondation de coopération scientifique, c’est assez logiquement que le CNRS s’en est retrouvé le porteur, à la demande des partenaires, et sans contestation ni opposition spécifique. Dans d’autres cas, le CNRS a favorisé la meilleure configuration possible, où il pouvait n’être que partenaire. Au bout du compte, nos structures et celle que nous soutenons ont été fortement bénéficiaires des LABEX et des EQUIPEX.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Y a-t-il eu des effets de substitution entre projets relevant du financement par l’ANR et projets financés par le PIA ?

M. Alain Fuchs, président du CNRS. Non. À ma connaissance, il n’y a eu aucun effet de substitution. Qu’il s’agisse du CNRS ou de nos partenaires, notamment des universités, les structures qui pilotent les programmes ont mis en place les processus comptables et financiers qui permettent de suivre les fonds relevant du PIA séparément des autres financements. Budgétairement et comptablement, il n’est pas possible que les financements relevant du PIA soient utilisés pour financer d’autres projets : les crédits ne sont pas fongibles, l’utilisation des fonds fait l’objet de reportings détaillés transmis par les porteurs à l’ANR.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Ma question se situe plus en amont du processus. Un porteur de projet dispose devant lui d’une palette de systèmes de financement : l’ANR, le PIA, ou encore les financements européens. Au moment où croissaient les appels à projet de l’ANR, on a vu en parallèle diminuer le recours des chercheurs français aux financements européens. Ce type de substitution s’est-il aussi manifesté entre financements par l’ANR et financements par le PIA ?

M. Alain Fuchs. L’envergure des projets de LABEX finançables au titre du PIA est, pour l’essentiel, sans comparaison avec celle des projets financés par l’ANR. Les projets LABEX font coopérer non pas deux ou trois équipes, comme c’est le cas pour des projets ANR, en biologie par exemple, mais cinq, voire dix équipes, relevant de plusieurs UMR, avec un fonctionnement en mode projet. Beaucoup de LABEX deviennent eux-mêmes des systèmes de recrutement de chercheurs post-doctorat, notamment par des appels d’offres internes. Beaucoup d’entre eux fonctionnent comme les anciens réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA). À mon sens nos collègues ne se sont pas présentés de la même façon pour bénéficier des crédits de l’ANR ou pour obtenir une labellisation en tant que LABEX. On a vu des chercheurs seniors, bien installés dans le monde de la recherche, porter des projets de LABEX assez importants, tandis que, dans les laboratoires de ces chercheurs, des chefs d’équipe continuaient à aller présenter des projets à l’ANR. De ce que j’ai pu voir, la création des financements du PIA pour la création de LABEX n’a pas du tout eu pour conséquence une diminution des projets standards soumis à l’ANR.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. On pourrait donc parler d’une complémentarité des deux types de financement ?

M. Alain Fuchs. Oui tout à fait, d’une très grande complémentarité.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Pourtant, les demandes de financements européens ont considérablement baissé.

M. Alain Fuchs. Je ne suis pas complètement sûr de cet effet de vases communicants. D’autres éléments peuvent expliquer cette diminution. Le premier est que l’Europe s’est élargie, et avec elle le nombre de porteurs de projets éligibles aux financements européens. Par ailleurs, nous avons toujours eu des difficultés à motiver des chercheurs pour être coordinateurs de projets européens. Enfin, au CNRS, nous avons dû faire face à un incident assez lourd à gérer et qui a laissé des traces, l’audit du sixième PCRD (programme cadre de recherche et développement). Les auditeurs de la Commission européenne n’ont pas été très loin de penser que le CNRS fraudait la Commission. L’Olaf, l’Office européen de lutte antifraude, a été mis sur l’affaire. Cela a valu à des ingénieurs de recherche du CNRS d’être retenus pendant des après-midi entières par la police judiciaire pour s’entendre demander s’il n’y avait pas eu de fraude organisée au plus haut niveau au CNRS pendant la durée du programme. Le caractère insupportable de la bureaucratie bruxelloise – même si celle-ci s’est légèrement détendue, mais insuffisamment, ces derniers temps – peut aussi être un facteur d’explication de la moindre appétence des équipes françaises pour les financements européens.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Si des modifications devaient être effectuées en matière de gouvernance des investissements d’avenir, quels seraient les points à privilégier ?

M. Alain Fuchs. Le triangle constitué par l’ANR, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et le Commissariat général à l’investissement nous a souvent laissé un peu perplexes. On ne peut pas dire que c’est la simplicité qui a été recherchée. Il reste qu’aujourd’hui, les structures sont en place et le système tourne. Il n’est pas nécessaire de refaire l’histoire.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. La gestion quotidienne des investissements d’avenir reste-t-elle compliquée ?

M. Alain Fuchs. Elle l’est beaucoup moins aujourd’hui. La mesure des demandes a été prise. Les lourdeurs les plus considérables venaient surtout de l’ANR ; lors de la passation des conventions avec l’ANR, il nous a été demandé de remplir des demandes de renseignements tellement vastes que nous n’en comprenions ni les tenants ni les aboutissants. L’administration du CNRS s’est mobilisée pour aider les porteurs à faire face à la multiplicité, à la précision et la complexité des demandes. Il était par exemple demandé aux porteurs de projets de LABEX d’indiquer le nombre de chercheurs qu’ils prévoyaient d’employer sur une durée de 10 ans. La situation s’est bien améliorée aujourd’hui. Globalement, les équipes de chercheurs relevant du CNRS n’ont pas à se plaindre de l’ANR.

Le sujet, ce n’est pas la gouvernance. C’est la paperasserie extrêmement complexe qui a été mise en place en vue de la signature des conventions.

Mme Nadia Bouyer, conseillère référendaire à la Cour des comptes. Pendant deux ans, l’ANR s’est trouvé submergée par les dossiers. Pour pallier à l’engorgement des procédures normales, des systèmes d’avance de fonds ont dû être mis en place en vue de la création de certains LABEX. Par ailleurs, si c’est à l’ANR que les porteurs de projet avaient affaire, il faudrait analyser l’ensemble du système pour savoir si la complexité des demandes émanait vraiment de l’ANR elle-même : sa convention avec l’État la contraint elle aussi à un reporting extrêmement précis.

Si la complexité des procédures a retardé les projets d’un an, les leçons de l’expérience ont bien été tirées, puisque les dossiers à fournir pour les LABEX et les EQUIPEX du PIA 2 ont été considérablement simplifiés. D’autres améliorations, comme l’infocentre que doit constituer l’ANR, devraient venir s’ajouter à ces évolutions.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Un autre élément régulièrement abordé, en particulier par les présidents d’université, est que le financement nécessaire pour faire tourner un LABEX ou un EQUIPEX est en réalité toujours supérieur au financement qui peut être obtenu à la suite de la présentation et de la validation du dossier. Dans ces conditions, un projet lauréat du programme d’investissements d’avenir génère des coûts de structure pour l’établissement au sein duquel il est inséré. C’est notamment l’analyse du président de l’université de Strasbourg, Monsieur Alain Beretz.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Autrement dit, les financements sur projets induiraient des coûts indirects. Ces coûts sont-ils financés ? Leur existence peut-elle être un frein à la présentation de projets dans le cadre des investissements d’avenir ?

M. Alain Fuchs. Les présidents d’IDEX ont très vite abordé cette question. Le président Beretz a du reste beaucoup construit sa réflexion en s’inspirant de chiffres recueillis et traités par le CNRS. Nous parlons en réalité là de ce qu’on appelle dans tous les pays overheads – frais généraux – et qu’on a traduit en France par préciput, ce terme ayant vocation à désigner en quelque sorte des overheads à la française, c’est-à-dire des overheads de bien moindre montant qu’à l’étranger.

La question des overheads est une vraie question qui n’a pas été complètement traitée. Le CNRS lui aussi l’a soulevée. Elle déborde largement le cadre des investissements d’avenir, puisqu’elle touche tous les financements sur projets de l’ANR, et ce depuis le début. Hors investissements d’avenir, le coût indirect pour le CNRS des quelques centaines de millions d’euros qui tombent chaque année dans l’escarcelle de ses équipes au titre des financements sur projets de l’ANR est de l’ordre de 20 millions d’euros.

À un moment où il était possible de l’aborder, la question du montant des préciputs a été soulevée. L’ANR ne l’a pas esquivée. Les discussions ont été entamées avec la gouvernance de l’ANR. La réduction des crédits de l’ANR pour les financements sur projets entraînée par l’alternance, et plus globalement la situation des finances publiques, ont cependant rendu de plus en plus difficile d’aborder le dossier.

Certaines universités privées américaines pratiquent des taux d’overheads allant jusqu’à 50 %. Dans ces conditions, même sans se fonder sur des taux aussi élevés, on voit bien que le taux de préciput instauré par l’ANR n’était pas suffisant. C’est que, lors de la création de l’ANR, l’idée était que les financements consentis pour les projets permettraient le financement de l’intégralité de chaque projet.

L’insuffisance du taux de préciput a obligé le CNRS à modifier son organisation. Ainsi, lorsqu’un porteur de projet embauche un post-doc, nous devons vérifier auprès de l’organisme financeur – ANR mais aussi Union européenne, avec qui nous avons eu parfois des discussions un peu tendues – si, par exemple, les dépenses d’assurance-chômage sont ou non éligibles au titre du projet. Si elles ne le sont pas sur le projet même, elles le deviennent sur la subvention d’État au titre de la masse salariale...

Il est dommage que la situation soit bloquée. Malgré l’évolution défavorable des crédits de l’ANR, et même si la situation idéale à la fois pour le calcul du coût du projet et pour des raisons de comptabilité pratique serait évidemment de travailler à coûts complets, la question du préciput devrait être reconsidérée aujourd’hui.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. L’insuffisance du préciput pour les projets lauréats du PIA est-elle amplifiée par rapport à celle qui touche les projets financés par l’ANR, où est-elle de même nature ?

M. Alain Fuchs. La question est difficile. Selon le CGI, le raisonnement ne peut être identique pour tous les outils. La notion de préciput ne peut se calculer de manière identique pour un EQUIPEX, un équipement lourd qui sera acheté par une structure, et un LABEX, au sein duquel seront embauchés des doctorants ou des post-doc, dont la présence va entraîner la consommation de fluides – eau, électricité – ou encore de consommables. C’est plutôt dans ce cas que la notion de préciput a un sens. Cette différenciation a été l’un des éléments sur lesquels le CGI s’est appuyé pour refuser la mise en place de préciputs, les calculs étant, selon lui, trop compliqués. La question du préciput au sein du PIA se pose, mais elle doit être traitée outil par outil, voire au cas par cas.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Passer en comptabilité à coûts complets serait sans doute en effet la meilleure solution. Ce mode de comptabilité est du reste souvent exigé dans les financements européens. Quels sont les éléments qui font achopper sa mise en œuvre ?

M. Alain Fuchs. Mes fonctions ne font sans doute pas de moi la personnalité la mieux placée pour répondre. Je ne crois pas qu’il y ait des réticences, voire des résistances pour aller dans ce sens. Je crois plutôt que la difficulté est que l’effort à produire est extrêmement important, en énergie comme en moyens financiers.

M. Patrick Hetzel, rapporteur. Quel regard porte aujourd’hui le président du CNRS sur la mise en place des sociétés d’accélération du transfert technologique (SATT) ?

M. Alain Fuchs. Le choix – car c’est un choix – du CNRS a été d’être actionnaire de toutes les SATT. Il sera actionnaire des SATT de Grenoble et de Paris-Saclay.

J’avais en effet la conviction que, dès lors que le CNRS considérait que les SATT apporteraient une plus-value d’une part dans la rapidité du transfert et de la valorisation, du fait de leur proximité avec les vecteurs, et de l’autre dans la maturation, domaine qui ne constituait pas vraiment l’un des points forts du CNRS, il fallait qu’il soit présent dans l’ensemble des SATT, et non pas dans certaines d’entre elles seulement – dont on peut se demander sur quels critères nous les aurions choisies.

La structure de valorisation du CNRS, qui est une structure nationale, a ses forces et ses faiblesses. Parmi ses forces figurent sa visibilité nationale, notamment pour les réseaux de recherche. Ceux-ci peuvent constitués d’équipes présentes dans plusieurs régions. Pour de tels réseaux, confier au CNRS la valorisation de leurs innovations, la construction puis la gestion de la propriété intellectuelle qui y sera attachée, a du sens. On n’imagine pas aujourd’hui que des grappes de brevets constituées de façon multi-territoriale et souvent aussi multidisciplinaire se retrouvent dispersées dans différentes SATT. Il y a des sujets qui ne se déclinent pas en logiques territoriales. Il y a un véritable intérêt à avoir sur certains axes stratégiques, que nous appelons des axes stratégiques d’innovation, et que nous définissons, une vision et une capacité de gestion de la propriété intellectuelle nationales.

Ce qui constitue tout l’intérêt des SATT, c’est le contact sur place. Nous savons qu’aujourd’hui, pour valoriser une innovation, il ne faut pas tarder. La rapidité du temps de passage au marché peut être discriminante. Ce temps doit être le plus court possible.

Or, le type d’innovation avec lequel le CNRS est le plus familier, c’est l’invention majeure et structurante, comme en pharmacie le blockbuster, que le CNRS a bien connu avec le Taxotère. Dans ce type de cas, l’invention est telle qu’elle demande encore un travail considérable en aval avant de pouvoir être mise en œuvre par le marché. Ce travail de valorisation sera fait en commun avec un grand groupe – pharmaceutique par exemple – qui pourra y mettre le prix. La rapidité de l’arrivée sur le marché n’est alors pas le plus déterminant.

En revanche, nous nous sommes très vite rendus compte qu’une gestion nationale de la propriété intellectuelle de l’ensemble des brevets – plusieurs centaines chaque année – issus des laboratoires du CNRS ou des unités mixtes de recherche n’était ni le mode de gestion le plus souple ni le plus rapide.

En France, le monde de la valorisation est traversé par des conflits quasi idéologiques entre valorisation nationale ou locale. À mon sens, il faut être pragmatique. Leur implantation régionale permettra aux SATT de trouver sur place les éléments permettant la valorisation et la maturation d’une découverte dans de bonnes conditions de rapidité. Le CNRS accompagne donc sans aucune arrière-pensée la création et le développement des SATT.

Certes, pour le CNRS, il est trop tôt pour dire que le dispositif des SATT est un succès. Nous constatons que certaines d’entre elles, parce qu’elles ont trouvé le bon mode opératoire au sein de leur environnement, fonctionnent mieux que d’autres – je pense notamment, bien sûr, à Conectus. Nous ne savons pas non plus si toutes les SATT réussiront. Il reste qu’il ne faut pas commencer à faire le procès des SATT sans leur avoir laissé le temps de faire leurs preuves. Les SATT ont été créées dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, qui est une grande opération nationale ; pour le CNRS, il faut tout faire, et sans arrière-pensée, pour qu’elles réussissent. Le CNRS joue le jeu des SATT.

Nous devons trouver la bonne articulation entre les SATT sur le territoire, les services de partenariat et de valorisation de nos délégations régionales, qui existent et n’ont pas démérité, notamment en ce qui concerne les start-up, et la gestion nationale. Il ne faut pas que tous les dossiers des SATT que le CNRS souhaite examiner remontent à l’échelon national. Des décisions doivent pouvoir être prises sur place. Il y a, pour y arriver, un important travail à conduire ; l’installation des SATT dans le paysage de la valorisation de la recherche prendra du temps.

On peut aussi se demander s’il est bien raisonnable de demander aux SATT de disposer de comptes équilibrés, voire d’être rentables, à un horizon de 10 ans. Certaines s’interrogent sur ce point. À mon sens, c’est une erreur de penser que la maturation de projets risqués va permettre systématiquement d’équilibrer les comptes des SATT à 10 ans. Si, à l’approche d’un horizon de 10 ans, on constate que de très beaux projets ont été maturés, qu’ils ont réussi à passer la « vallée de la mort » avec des entreprises qui y ont cru, on pourra déjà considérer qu’un résultat est là. Contrairement à une opinion trop répandue, on sait créer des start-up en France. Ce qu’on ne sait pas faire, c’est les faire croître. Les start-up que le CNRS a pu créer depuis l’an 2000 sont souvent vivantes – elles ont parfois été rachetées –, mais, en règle générale, elles ne comportent pas plus de 10 ou 15 salariés ; SuperSonic Imagine, superbe succès de 120 salariés qui vient d’entrer en Bourse, est l’arbre qui cache la forêt.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Quel regard le CNRS porte-t-il sur France Brevets ?

M. Alain Fuchs. Le CNRS travaille avec la société France Brevets sans souci particulier. Nous avons signé une convention avec elle. Nous avons passé un contrat de licence sur une technologie particulière. Des relations se mettent en place graduellement. Il y a, je pense, complémentarité.

La question est plutôt celle de la stratégie qui sera celle de France Brevets dans l’avenir. La politique du CNRS est de contribuer à l’application des résultats de la recherche. Il n’est pas dans une logique d’achat et de revente de licences, de pattern troll. Mais il ne semble pas non plus que France Brevets s’engage dans cette direction.

M. le président Alain Claeys, rapporteur. Monsieur le président, nous vous remercions.